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Management CHEF, JE VEUX PAS ÊTRE CHEF Afterworks MÉTRO, BOULOT, APÉRO Créer son job UNE ISSUE DE SECOURS FACE À LA CRISE DIPLÔMÉS : un tour du monde de l’emploi FORMATION | RECRUTEMENT | CARRIÈRE Supplément au Monde 21093 daté du 13 novembre 2012. Ne peut être vendu séparément

Campus

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ManagementCHEF, JE VEUXPAS ÊTRE CHEF

AfterworksMÉTRO, BOULOT,

APÉRO

Créer son jobUNE ISSUE DE SECOURS

FACE À LA CRISE

DIPLÔMÉS : un tour dumonde de l’emploi

FORMATION | RECRUTEMENT | CARRIÈRE

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Au cœur des projets technologiques

Ingénierie et Conseil enTechnologies

ALTEN, c’est 13500 ingénieurs dans le monde...et peut-être vous demain ?

Leader européen de l’Ingénierie et du Conseil en Technologies, le Groupe ALTEN (15500 collaborateurs dont 88% d’ingénieurs) accompagne lastratégie industrielle des plus grandes entreprises françaises et internationales dans les domaines de l’innovation, de la R&D et des Systèmesd’Information. Avec 2800 recrutements prévus en France en 2013 dont la moitié à destination des jeunes diplômés,ALTEN se positionnecomme un acteur incontournable du marché de l’emploi.

RejoindreALTEN, c’est la promesse d’évoluer dans un monde d’ingénieurs stimulant,et de découvrir des métiers et des secteurs d’activité variés en France et à l’international.

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mardi 13 novembre 2012 Le Monde Campus / 3

C inq ans, c’est long quand on a 20 ans. Une éternité, même.En cinq ans, la crise économique qui a éclaté aux Etats-Unisen 2008 a gagné l’Europe du Sud, puis l’Europe entière,mise à l’arrêt par l’austérité budgétaire, et enfin, les pays

émergents – Chine, Inde, Brésil –, dont la croissance est menacée parl’effondrement des exportations vers les pays développés.Lorsque l’activité ralentit et lorsque les entreprises hésitent à recru-ter, ce sont d’abord les jeunes qui trinquent. L’Organisation interna-tionale du travail (OIT) prévoyait en septembre la poursuite de lahausse du taux de chômage mondial des jeunes d’ici à 2017, de 9,5 %à 10,4 % en Asie de l’Est, de 14,6 % à 14,7 % en Amérique latine, de13,1 % à 14,2 % en Asie du Sud-Est, de 26,4 % à 28,4 % auMoyen-Orient,mais aussi une baisse de 17,5 % à 15,6 % dans les pays développés.Serait-ce la reprise?Quenenni : l’OIT anticipe «le découragement d’ungrandnombre de jeunes qui finissent par quitter lemarché du travail»!Lorsque les Etats ne parviennent plus àboucler leurs budgets pour payer les en-seignants, financer la recherche, mainte-nir les filets de sécurité sociale, ce sont en-core les jeunes qui trinquent. Selon uneétude publiée le 22 octobre par la Fonda-tion pour l’amélioration des conditionsde travail, une agence européenne baséeà Dublin, le nombre de neets (not in em-ployment, education or training, «ni en emploi, ni en formation») de15 ans à 29 ans a atteint 14 millions dans l’Union européenne, dont5,5 millions inscrits au chômage. Un tiers seulement de cette classed’âge est en activité, le taux le plus bas jamais enregistré.La fondation dublinoise, observant que ces neets font preuve, par rap-port aux autres jeunes, d’un niveau d’engagement politique et socialet d’un degré de confiance dans les institutions spectaculairementplus bas, sonne l’alarme et appelle à une révision complète des me-sures prises en faveur de l’emploi des jeunes : celles-ci devraient êtreorientées vers le soutien direct aux personnes plutôt qu’aux entre-prises ou aux institutions censées les employer, privilégier les em-plois stables, durables et de bonne qualité plutôt que la flexibilité, etsurtout viser à la qualification pour faciliter l’intégration sur le mar-ché du travail, plus que jamais réservée aux diplômés.L’OIT estime que garantir à tous les jeunes un emploi stable et uneformation représenterait pour les pays développés un investissementd’un demi-point de produit intérieur brut. «Cela peut sembler unelourde charge additionnelle, mais elle sera inférieure aux coûts sup-plémentaires qu’engendre l’éloignement durable des jeunes chômeursayant perdu contact avec le marché du travail.» CQFD.

Antoine ReveRchon

édito

Génération sacrifiée

Lorsque L’activité raLentitet Lorsque Les entreprises

hésitent à recruter,ce sont d’abord Les jeunes

qui trinquent

Président du directoire,directeur de la publication

Louis Dreyfus

Directeur du «Monde»,membre du directoire,directeur des rédactions

erik izraeLewiCz

Secrétaire généralede la rédaction

Christine Laget

Coordination rédactionnelleantoine reverChon

Pierre JuLLien

Directeur artistiquegiLLes Le nozahiC

EditriceDoriane kaLbe

IllustrateursgiuLia D’anna LuPo

aLJosCha bLauJean-ManueL Duvivier

freDDy MartinJoan negresCoLor

zoé vaDiM

Publicitébrigitte antoine

FabricationaLex Monnet

Jean-MarC Moreau

Imprimeursego, taverny

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FACE À LA CRISE

DIPLÔMÉS : un tour dumonde de l’emploi

FORMATION | RECRUTEMENT | CARRIÈRE

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ILLUSTrATIOnDE COUvErTUrE :jean-manuelduvivier

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4 / Le Monde Campus mardi 13 novembre 2012

3 Edito

6 En bref

24 Chef, je veux pas être chef !

28 Afterworks : métro, boulot, apéro

30 Université recherche anciens étudiants

32 La guerre des âges n’aura pas lieu

34 La vertu, ça peut rapporter gros

52 Le remue-ménage des repreneurs étrangers

58 Le e-learning tarde à décoller

62 Ces jeunes diplômés qui boudent le DIF

64 L’avenir bien engagé des leaders étudiants

66 A lire

8 Dossier Créer sonpropre job, une issue de secours?14 L’appel du large de jeunes chefs d’entreprise

18 Entretien avec Nadine Levratto, économiste

20 Quel statut choisir ?

22 Où trouver les financements ?

36Dossier Que vautmon diplômedans unmonde en crise?

39 Dans les débris du rêve américain

41 Le difficile retour en Tunisie des jeunes partis pour étudier

43 Entretien avec Ragui Assaad, économiste

44 Les Chinois se lancent dans le grand show de l’emploi

45 En Espagne, toute une génération de jeunes désœuvrés

46 France : quatre jobs pour faire un emploi

48 Diplômés, stagiaires, hors-la-loi

50 Vous empruntiez ? Et bien , remboursez maintenant !

Sommaire

Supplément auMonde 21093 daté du 13 novembre 2012

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Safran recrute des ingénieurspour vivre desmissions clés

Les ingénieurs de Safran permettentà desmillions de voyageursde parcourir lemonde, tout en réduisantleur impact sur l’environnement

Le LEAP est une nouvelle génération demoteurs

destinés à équiper les avions monocouloirs,

et faisant largement appel à des matériaux

composites révolutionnaires. Plus léger, moins

bruyant, ce moteur consomme 15 % de carburant

enmoins par rapport aux précédentes générations

demoteurs.safran-talents.com

Grâce au LEAP, le nouveaumoteur d’avionmoins consommateur

en carburant et moins polluant, conçu par les ingénieurs de Safran

en partenariat avec GE, Léa peut continuer de voyager pour

découvrir de nouveaux horizons. Une innovation qui va bien au-delà

d’une simple avancée technologique.

Créditphoto:S.Casimiro/GettyImages-Snecma

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6 / Le Monde Campus mardi 13 novembre 2012

JobTeaser, une plate-forme Webde recrutement et de découvertedu monde de l’entreprise à des-

tination des étudiants et des jeunesdiplômés, a lancé le label «StageAd-visor», qui donne la parole aux sta-giaires et distingue les entreprisesles plus intéressantes pour effec-tuer un stage. L’étude a été menéeen juillet 2012 dans 60 entreprises– dont 8 du CAC 40 – ayant choiside jouer le jeu. Elles ont acceptéde transmettre un questionnaire à

plus de 4 000 personnes de niveaubac+4 ou +5 effectuant un stage ouemployées en alternance. Celles-ci sesont ainsi prononcées sur la capacitéde leur entreprise à les intégrer, à lesformer, à leur fournir des missionsintéressantes et valorisantes. Au fi-nal, 10 entreprises ont obtenu le la-bel «StageAdvisor» : Bureau Veritas,Coca-Cola Entreprise, Ferrero, Heine-ken Entreprise, Kronenbourg, Micro-soft France, Pepsico France, Philips,Schlumberger, Solucom.

Vive le luxe!Les entreprises des biensde consommation etdu luxe retrouvent leurattractivité chez lesdiplômés des grandesécoles de commerce,selon le palmarès établipar TNS-Sofres en 2012.Danone (+7 rangs)et LVMH (+11 rangs)prennent la tête duclassement des sociétéscitées spontanément,devant BNP Paribas(premier en 2011), tandisque la Société généralepasse du 2e au 9e rang.

En bref

Les entreprises préféréesdes stagiaires

13%C’est le pourcentage des salariés payés au smicqui le sont toujours cinq ans plus tard, tandisque 22 % ont fait des «allers-retours» entre smicet salaires supérieurs. Ceux dont la rémunérationne décolle pas sont plus souvent des femmes etdes ouvriers, selon une étude de l’Insee publiéele 25 octobre dans la revue Economie et statistique.

L’espionqui jouaitLa Grande-Bretagne a lancéle 18 octobre une campagneinédite pour recruter et formerdes jeunes férus de réseauxsociaux et de jeux vidéo dansle cadre d’un nouveau schémad’apprentissage, afin d’aiderses services du renseignementà contrer les attaquesinformatiques. «Nous voulonsaccroître notre effort pourdénicher les plus talentueux,afin que ceux-ci nous aident àconserver notre expertise dansle domaine informatique »,a souligné le ministre

britannique des affairesétrangères, William Hague,lors d’un déplacement enoctobre à Bletchley Park (sud del’Angleterre). Ce site historiqueétait le siège de l’ancienquartier général des servicesd’écoutes et de renseignementchargés de décrypter les codeset les messages chiffrés desnazis pendant la seconde guerremondiale. Un diplôme de find’études secondaires ou unequalification professionnelledans le domaine des sciencesou de la technologie suffirontpour faire acte de candidature.– (AFP)

Ça balance sur InternetUn quart des jeunes salariés de 18 à 25 ans sont «amis» avec leur patron sur

Facebook, selon une récente étude de la société de sécurité informatique AVGmenée auprès de 4 400 jeunes de 11 pays. Cependant, cette proportion varie beaucoupd’un pays à l’autre : elle s’élève à 33 % aux Etats-Unis, mais s’établit à seulement 8 % enFrance, pays où le taux est le plus bas. Celui-ci atteint ou dépasse les 30 % en Espagne,au Royaume-Uni, en République tchèque (30 %), ou encore en Australie (31 %) et enItalie (33 %). Et 13 % des personnes interrogées reconnaissentavoir déjà mis en ligne sur leur page des contenus «abusifs»concernant leur patron ou leur société après «une mauvaisejournée au travail». Ce sont les jeunes employés italiens quisont les plus enclins à partager leur colère : ils sont 18 % àposter leurs humeurs concernant leurs employeurs, contre10 % des Français, Japonais ou Néo-Zélandais. IM

AgES

D.R

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mardi 13 novembre 2012 Le Monde Campus / 7

Qualité de vie Avancée numérique1er 27e Bombay SéoulParis 12eParis1er

27e

Sao Paulo

Internationalisation Facilité pour les affaires1er 27e Abou Dhabi SingapourLondres

2e Paris 14e Paris

1er 27e Shanghaï

Transport et infrastructures Coût de la vie1er 27e Johannesburg BerlinSingapour

10eParis 24eParis

1er 27e Tokyo

Puissance économique Capital intellectuel et innovation

Source:P

wC,C

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Paris

Pékin

Londres

1er

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3e

Toronto

Stockholm

Paris

1er

2e

3e

Moins de fonctionnaires

Les effectifs de l’ensemble de la fonction publique ont très légèrement diminuéen 2010 par rapport à l’année précédente, selon un rapport ministériel publié

chaque année. Les fonctions publiques d’Etat, territoriale et hospitalière employaient5,2 millions de personnes en 2010, soit 20 % de l’emploi total du pays. Sur un an, lenombre de fonctionnaires a diminué de 0,1 %, soit 5 000 agents. Les agents de l’Etat ontperçu en 2010 un salaire net moyen de 2 459 euros par mois (+0,8 % sur un an en eurosconstants, c’est-à-dire en tenant compte de l’inflation). Dans la fonction territoriale, lesalaire net moyen s’établissait à 1 800 euros par mois (–0,2 % en euros constants) et ilétait de 2 205 euros pour les agents hospitaliers (+9 % en euros constants). – (AFP)

Entrepreneurssociaux de talentSFR lance un appel à projetsdans le cadre de son concoursannuel « SFR Jeunes Talents-Entrepreneurs sociaux ».A travers cette initiative,SFR souhaite promouvoirl’entrepreneuriat socialen soutenant huit porteurs deprojets ayant pour objectif derépondre à une problématiquesociétale ou environnementale.L’appel à projets se dérouleen deux temps : une premièresélection de finalistesrégionaux de mi-janvier à mi-février 2013, suivie d’une finalenationale en mars 2013. Il estouvert jusqu’au 7 janvier 2013.

Pour en savoir plus :Sfrjeunestalents.fr

InégalitéssalarialesLa rémunération des femmesest inférieure de 22 % à celle deshommes, selon l’étude publiéeen septembre et réalisée par lescabinets Deloitte et Nominationauprès d’un panel de plus de5 500 décideurs, dont 21 % defemmes. Un dernier chiffre quiillustre la faible représentativitéde celles-ci dans les postes àresponsabilité. La majoritédes femmes interrogéessont issues d’une formationuniversitaire (contre 32 % pourles hommes) et seules6 % d’entre elles ontsuivi une formationde type ingénieurs(contre 27 % pour leshommes).

.

Une chaire auxpetits oignonsL’école de commerceEdhec a créé une chairede recherche Bonduellesur le campus de Lillepour étudier l’impact desmutations technologiquessur le marketing desmarques alimentaires.Le professeur titulaireorganisera le programmede recherche et constitueral’équipe nécessaire auxétudes, recherches etenseignements pour lancerun nouveau cours dèsjanvier 2013.

Paris rejoint cette année letop 5 des villes mondiales.

Elle se classe derrière New York,Londres et Toronto, et gagnequatre places par rapport à 2011.C’est la principale conclusionde «Cities of Opportunity 2012»,une étude mondiale de PwC,publiée le 11 octobre, quicompare la situation de 27 villes– toutes des capitales de lafinance, du commerce et de laculture –, selon dix catégoriesregroupant des critères aussibien économiques que sociaux.

Si Paris est la deuxième ville enterme de puissance économique(calculée sur la base du nombred’entreprises de plus de500 personnes ayant leur siègedans les villes concernées, dela part de la population activedans les services, du nombrede projets et du montant desinvestissements étrangers, de laproductivité, ainsi que du tauxde croissance), la première pourla qualité de vie et la troisièmeen terme de capital intellectuelet d’innovation, elle traînerespectivement aux 14e, 16e et24e places pour la facilité defaire des affaires, pour le coûtd’un appartement en centre-ville et pour le coût de la vie.

« Innovation » et « puissance économique »

Paris sur le podium

61,3%C’est la part des salariés qui se déclarent en difficultélors d’un appel téléphonique en anglais, selon unsondage réalisé de juin à août 2012 auprès de 150 salariéspar Jobintree.com pour le Wall Street Institute.En revanche, ils sont moins nombreux (42,6 %)à paniquer dans le cadre d’une présentation orale.

61,3

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8 / Le Monde Campus mardi 13 novembre 2012

doss i er

Créer son propre job,une issue de secours?Les difficultés d’accès à un travail salarié et «l’héroïsation»de la figure de l’entrepreneur devraient inciter les jeunesdiplômés français à créer leur entreprise. Et pourtant...

jean-m

anuel

duviv

ier

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mardi 13 novembre 2012 Le Monde Campus / 9

Est-ce un de ces nom-breux paradoxes àla française? Plus lesjeunes sont diplô-més, moins ilscréent d’entreprise.Et la crise n’y changeguère. Selon l’en-quête de la Confé-

rence des grandes écoles intitulée «Inser-tion 2012», seuls… 0,5 % des sortants ontmonté leur activité dans la foulée.Une étude de l’Insee sur les profils de

créateurs d’entreprise en 2010montre que3 % d’entre eux étaient étudiants avant delancer leur structure, la même proportionqu’en 2006. Les diplômés de l’enseigne-ment supérieur de 20 ans à 29 ans repré-sentaient 5,1 % des porteurs de projets sui-vis par les chambres de commerce etd’industrie (CCI) en 2011, contre 22 % pourles jeunes de la même tranche d’âge maisdemoindre qualification.Pourtant, quandon les interroge, près de

lamoitié des étudiants déclarent souhaitercréer un jour une entreprise. Leur diplômeen poche, pourquoi ne passent-ils pas rapi-dement à l’action? Selon un sondage effec-tué cet été par Didaxis, cabinet de conseilen ressources humaines, 80% des jeunesdiplômés jugent que le contexte écono-

mique ne s’y prête pas. Et 88 % en sont dis-suadés par leur entourage : «La créationd’entreprise n’est pas la filière rêvée des fa-milles, note le PDG de Didaxis, GuillaumeCairou. La réussite à la française reste defaire carrière dans un grand groupe.»D’autres facteurs, plus profonds, expli-

quent que les jeunes diplômés soient peutentés par l’aventure à la fin de leur forma-tion. «La crise et la crainte de ne pas trou-ver un emploi à la mesure de leurs aspira-tions n’influencent pas vraiment leurmotivation, estime Hervé Demazure, res-ponsable de service à la direction forma-tion et compétences de CCI France. Ce quicompte pour eux, c’est d’avoir une idée etde prendre le temps de murir leur projet.»Une analyse que partage Neïla Tabli,

consultante à l’Agence pour la créationd’entreprise : «Ils entendent d’abord éprou-ver leurs connaissances théoriques et déve-lopper une expérience professionnelle pourasseoir leur crédibilité.»Les jeunes les plus diplômés pêche-

raient donc par excès de prudence. Maisaussi par manque de réalisme : selon Na-

SeulS 0,5 % deS SortantSdeS grandeS écoleS

ontmonté leur activitédanS la foulée

témoignage

alexandre curtelin

CofondateurdeMobblesCorp

«Avec sa propreboîte, on peut allerplus haut qu’enétant salarié»

Avec deux amis, Alexandre

Curtelin a créé Mobbles, un

jeu sur smartphone : grâce à

la géolocalisation, le joueur

repère sur son téléphone le

«mobble», un monstre

virtuel rôdant dans la vie

réelle, et le capture. Il peut

ensuite le nourrir, le

distraire et l’endormir, à la

manière d’un Tamagotchi.

Le jeune homme voulait

créer son entreprise dès sa

sortie d’école d’ingénieurs,

en 2010. «Il n’y a pas de

limites. En travaillant bien, on

peut aller plus haut qu’en

étant salarié», explique-t-il.

Pour lui, «le plus dur est de se

fier aux goûts des joueurs

mais aussi à son instinct, en

prenant des risques».

«En 2011, nous avons été

sélectionnés par un

accélérateur de start-up

américain de la Silicon Valley.

Après trois mois de travail,

nous avons levé

500 000 dollars [soit

385 000 euros] auprès

d’investisseurs», raconte le

jeune homme, qui s’est

inspiré des Pokémons, une

passion d’enfance. Lancé il y

a quatre mois, le jeu «a été

téléchargé 85 000 fois et

15 000 utilisateurs jouent

quotidiennement. L’entreprise

génère des revenus grâce aux

accessoires et créatures qu’ils

achètent», détaille

M. Curtelin. Il prévoit une

rentabilité d’ici à six mois. Et

fourmille de nouvelles idées.Léonor Lumineau

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10 / Le Monde Campus mardi 13 novembre 2012

doss i er | créer son propre job

thalie Carré, animatrice du réseau créa-tion, transmission et reprise des CCI, ilsont parfois la tête pleine de «concepts dedimension mondiale», pensant qu’unetendance qui marche ailleurs pourra fairesouche en France. «Or, il faut unmarché etdes clients, ici et maintenant, explique-t-elle. On ne crée pas en surfant sur le Web,mais en allafnt sur le terrain.»Pour Renaud Redien-Collot, enseignant-

chercheur en entrepreneuriat à Novancia

Business School, à Paris, les manageursd’élite et les ingénieurs d’exception sontaux premières loges de l’information :«Ils constatent que les investissements ac-tuels dans l’économie réelle sont faibles etça les décourage.»Pourtant, des efforts ont été accomplis

pour insuffler la fibre entrepreneuriale.Dans les grandes écoles d’abord, qui ontmultiplié formations, outils d’accompa-gnement et «incubateurs» – des struc-tures d’accueil et d’accompagnement desjeunes entreprises. Mais aussi à l’univer-sité, avec les 20 pôles de l’entrepreneuriatétudiantmis en place en 2010 à l’initiativeduministère de l’économie.Une enquête de la Conférence des

grandes écoles montre un frémissementqu’il faut prendre avec prudence : enmoyenne, par établissement, 6,4 entre-prises ont été créées (ou reprises) par desétudiants de la promotion 2010-2011, soitune augmentation de 35 % par rapport àceux de la promotion précédente. Mais ilfaut noter que les chiffres de 2009-2010étaient en recul de 3 % par rapport à ceuxde 2008-2009, conséquence probable dela crise financière qui a sapé des vocations.

Avec unmarché du travail plus quemo-rose, certains jeunes diplômés ont crééleur activité pour échapper au chômage.Le recours au portage salarial – procédépar lequel un indépendant fait appel à unesociété intermédiaire afin d’obtenir uncadre juridique et administratif qui luipermette de travailler pour une entre-prise – et la création d’entreprise en fran-chise ont légèrement augmenté. Lesjeunes diplômés ont également été unpeuplus nombreux à se tourner vers les orga-nismes de microcrédit, tels que l’Associa-tion pour le droit à l’initiative écono-mique (Adie). Selon Catherine Barbaroux,sa présidente, «avec 37 % de bac+2, lesjeunes porteurs de projet [qu’ils ont] ac-compagnés en 2011 étaient plus qualifiésque ceux de 2010».Dans un environnement économique

difficile, avoir des qualifications reste un

Témoignage

marion govin

CofondatricedeMaelshop

«L’entrepreneuriats’est révélé une trèsbonne surprise»

A sa sortie d’école de communication, en

septembre 2011, Marion Govin déchante :

«Je ne trouvais pas d’offre de travail qui me

correspondait», se souvient-elle. La jeune

fille décide alors de lancer sa marque de

bijoux faits main, Maelshop. Elle s’associe

avec Elodie Revel, rencontrée à l’école, et

une SARL est créée en mai 2012. Depuis

deux mois, leurs créations sont disponibles

sur leur site Internet : «On a enregistré

quelques ventes et nous cherchons de

nouveaux comptoirs», se réjouit Marion,

qui porte ses créations, un collier avec des

pendentifs en croix et un fin bracelet en

argent agrémenté d’une rose.

«Notre société, c’est du réseau. Nous avons

été aidées par des amis pour l’aspect

juridique, la comptabilité, le site, poursuit

la jeune femme. On est à la fois comptable,

directrice des ressources humaines,

secrétaire et créatrice.» L’expérience est,

quoi qu’il advienne, positive : «On sait ce

que c’est de gérer une boîte. Ce ne sont pas

des choses qu’on apprend à l’école.»

Pour Marion et Elodie, l’entrepreneuriat est

une «très bonne surprise». «Si le marché

du travail était meilleur, on serait peut-être

passées à côté», s’exclament-elles.

Léonor Lumineau

Témoignage

nathalie Fargeon

Cofondatriced’Emoi-émoi

«Il y a des hauts et des bas.Mais dans les hauts,c’est euphorique»

Il y a trois ans, Nathalie Fargeon,

fraîchement diplômée d’HEC, lançait, avec

sa camarade Adèle Bounine, Emoi-émoi,

un site de vente en ligne de vêtements de

mode à destination des femmes enceintes.

Les bureaux dans lesquels elle reçoit

maintenant, en plein cœur de Paris, sont

flambant neufs. «Il y a encore quelques

semaines, nous étions à Arcueil [Val-

de-Marne], au milieu des cartons. Mais

nous avons réussi à externaliser la

préparation des commandes», dit la

jeune entrepreneuse, visiblement pas

mécontente de ne plus avoir à emballer,

scotcher et étiqueter les produits

commandés par les jeunes mamans.

«J’adore le vêtement ! Ça, je le sais

depuis toute petite. En revanche, je ne

pensais pas spécialement créer mon

entreprise», explique-t-elle. Entre un

passage comme vendeuse chez Jules,

une marque de vêtements masculins,

et un stage au site Web de La Redoute,

cette bonne élève d’HEC comprend vite

que les grosses structures lui pèsent.

Sur les conseils d’amis, elle choisit la

filière «Entrepreneuriat». «Lire des

études économiques dans sa chambre

ne sert à rien. Il faut aller à la rencontre

d’entrepreneurs, se rendre compte que

c’est fou ce que l’on peut réaliser en deux

mois avec quelques personnes.» Les deux

étudiantes ont 23 ans, commencent à avoir

des copines enceintes. L’idée d’Emoi-émoi

germe. Elles interrogent alors 200 femmes

enceintes et vont rencontrer les petits

créateurs sur les salons. Le compagnon

de Nathalie est mis à contribution sur

la partie informatique, sa mère sur la

comptabilité. L’acharnement finit par

payer. Aujourd’hui, le site référence

1 000 produits de 40 designers et vient

de sortir sa version anglaise. La société

a embauché deux salariés et deux

stagiaires. «Il y a des hauts et des bas. Mais

dans les hauts, c’est euphorique.»SébaStien DumouLin

PourTanT, des eFForTsonT éTé accomPlis

Pour insuFFler la FibreenTrePreneuriale

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Et si ses responsabilité

s passaient

par c

efil

L’énergie est notre avenir, économisons-la!

Pour Céline, travailler dans une centrale,c’est évoluer au cœur d’un environnementtechnologique, garantir la sécurité de tous,prendre toujours plus de responsabilités etenrichir son expérience. 94% de nosjeunes ingénieurs recommandent EDFen tant qu’employeur.

EDF recrute des ingénieurs Grandes Écoleset Universités H/F sur edfrecrute.com

EDF552081317RCSPARIS,75008Paris–

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12 / Le Monde Campus mardi 13 novembre 2012

doss i er | créer son propre job

atout. D’après l’Insee, 71 % des structuresmontées par des diplômés de l’enseigne-ment supérieur en 2006 (tous âgesconfondus) sont toujours actives trois ansplus tard, contre 58 % de celles créées pardes non-diplômés. Un bon résultat, mêmesi l’âge joue un rôle important, puisque59 % des entreprises des moins de 30 anssurvivent, contre 68 % de celles des créa-teurs plus âgés.

«Les jeunes diplômés qui se lancent s’ensortent plutôt bien, juge Cyrille Saint-Olive, de l’association Réseau entre-prendre Paris. Ils sont en phase avec lesnouvelles attentes de la société et peuventtrouver des opportunités sur des micro-marchés, même avec la crise.» S’ils sontquelques fois freinés par le manqued’épargne personnelle pour apporter desfonds propres, leur situation – pas ou peude charges familiales et de crédits loge-ment – les favorise pour traverser les pre-mières années, en se rémunérant peu.En outre, si le succès n’est pas au ren-

dez-vous, ils sauront rebondir : «Ils ont étédirigeants, ont embauché du personnel,ont su convaincre des banquiers et gérerdes fournisseurs et des clients… Autantd’atouts pour se repositionner sur un mar-ché du travail même atone», considèrePierre Tapie, président de la Conférencedes grandes écoles.

Néanmoins, créer sa propre activitécomme alternative à un emploi salarié quise dérobe n’est pas une panacée. «Les deuxou trois premières années, les jeunes entre-preneurs gagnent moins que s’ils étaientemployés par une entreprise, indique Blan-dine Bierre, responsable du pôle appui duréseau Initiative France. Il faut donc qu’ilssoient vraiment convaincus par leur idée.»Par exemple, au bout de trois ans d’activi-té, 90 % des autoentrepeneurs, et particu-lièrement les moins de 30 ans, dégagentun revenu inférieur au smic, selon uneétude de l’Insee publiée en septembre.C’est là l’un des enjeux de la création d’unemicro-entreprise, en particulier avec lacrise : «Elle ne doit pas fabriquer des tra-vailleurs pauvres, observe Catherine Bar-baroux, de l’Adie. Je crois cependant que,pour les jeunes, et notamment les moinsqualifiés, elle joue un rôle de tremplin.»Avant de s’inscrire comme autoentre-

preneur, 30 % d’entre eux étaient chô-meurs et… 5 %, étudiants. Cela n’étonnepas Dominique Restino, président duMouvement pour les jeunes et les étu-diants entrepreneurs (MoovJee) : «Lesprojets des jeunes diplômés sont en généralportés par au moins deux personnes, ce quirend caduc l’accès à ce statut. Ils addition-nent les compétences et chacun apportedes fonds pour la mise initiale. Ils en fontune aventure partagée.» Loin de la soli-tude du coureur de fond entrepreneurial,encore plus pesante en temps de crise…

Nathalie Quéruel

90 % des autoentrepreneursdégagent un revenu inférieur

au smic, selon l’insee

témoignage

antoine gentil

Cofondateur

de Baby-speaking

«Si je devaisdonner un conseil,c’est de s’associer»Un concept polyglotte pour une idée

apatride. C’est suite à ses expatriations

qu’Antoine Gentil mûrit l’idée d’un

service de garde d’enfants en langue

étrangère. Aux Etats-Unis d’abord,

pendant son adolescence. Puis en Chine,

dans le cadre d’un double diplôme.

«Je suis revenu avec un très bon niveau

d’anglais, alors pourquoi ne pas proposer

des services d’immersion à domicile?»

Cette question, Antoine se la pose avec

Julien Viaud sur les bancs de l’école

de commerce ESCP. En 2009, les deux

camarades lancent Baby-speaking.

«Si je devais donner un conseil dans la

création d’entreprise, c’est de s’associer.

Julien et moi, on est complémentaires :

je m’occupe du commercial et de la

communication, il prend en charge la

finance et la gestion. C’est le premier

atout de notre entreprise.» Une

entreprise qui mobilise aujourd’hui

500 nounous afin d’initier les enfants

aux langues étrangères. Baby-speaking

vise 1,6 million en chiffre d’affaires

pour l’année à venir et lorgne sur

le marché international. Toutefois,

si les perspectives sont ambitieuses

aujourd’hui, les débuts ont été difficiles :

«Pendant plus de deux ans, nous ne nous

sommes pas payés.» Les deux jeunes ont

finalement emprunté 100 000 euros

auprès d’une banque. «Ça s’est bien

passé parce que nous avions la garantie

Oseo et nous étions lauréats du Réseau

Entreprendre. Sans ces appuis, c’est très

compliqué d’emprunter, surtout lorsqu’il

s’agit de financer du développement et

non de l’investissement.»Mais, pour

Antoine Gentil, la principale entrave à

la création d’entreprise est «la lourdeur

administrative française» : «Dès qu’on

veut embaucher, ça devient compliqué,

législativement et fiscalement. Les petites

entreprises paient des charges énormes et

ne sont pas du tout soutenues.»Margherita Nasi

L’agence pour La création

d’entreprise (apce) :l’association donne des

informations sur son portail

Internet (Apce.fr)

Les chambres de commerce

et d’industrie (cci) :1 400 conseillers en création

et reprise d’entreprise

reçoivent les porteurs de

projets dans les 234 «espaces

entreprendre» du réseau

consulaire.

Le réseau des boutiques de

gestion (bge) : il compte

950 salariés et 750 bénévoles

pour accompagner les

créateurs d’entreprise.

Les agences de déveLoppement

économiques (et les comités

d’expansion) : elles ont

des antennes dans chaque

département et région pour

aider les porteurs de projets.

Les pLateformes d’initiative

LocaLe (pfiL) : ce sont

des associations créées à

l’initiative des collectivités

publiques pour soutenir

les créateurs par le biais de

prêts d’honneur. La plupart

des PFIL sont membres du

réseau Initiative France.

Les centres européens

d’entreprise et

d’innovation (ceei) : ilsaccompagnent dans les

départements les porteurs

de projets technologiques.

où se renseigner sur la création d’entreprise?

Page 13: Campus

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Page 14: Campus

14 / Le Monde Campus mardi 13 novembre 2012

doss i er | créer son propre job

Partir dès la fin de ses études créer sa start-updans la Silicon Valley ou à Shanghaï?Chaque année, le rêve devient réalitépour quelques dizaines d’étudiants qui osentl’aventure de l’entrepreneuriat à l’étranger.

L’appel du large de jeuneschefs d’entreprise

C ’est un mouvement très dis-cret, mais que plusieurs res-ponsables de grandes écolesont remarqué. Ces dernièresannées, certains étudiants ont

envie de créer une entreprise à l’étranger.Quelques jeunes diplômés de l’Ecole su-périeure des sciences économiques etcommerciales (Essec), par exemple, ontpoursuivi cette ambition : «C’est un phé-nomène encoremodeste, qu’on observe de-puis trois ou quatre ans, relève Julien Mo-rel, directeur d’Essec Ventures, le pôleentrepreneuriat de l’école. Trois créateursse sont lancés aux États-Unis, et nous no-tons un intérêt croissant pour la Chine.»Pourquoi un tel frémissement? La pre-

mière explication est sans doute la crise.

Quelques pays attirent naturellement lesjeunes diplômés quand la France afficheune morosité économique et renvoiel’image d’une terre peu favorable aux en-trepreneurs. «Dans l’imaginaire collectif,

un pays comme les Etats-Unis offre plus defacilités juridiques et administratives quela France», constate Manuelle Malot, di-rectrice carrière et prospective à l’Ecole deshautes études commerciales (Edhec).Les candidats au départ peuvent donc

avoir l’impression que l’environnementéconomique y sera plus adapté à l’entre-

preneuriat. Ce qui n’est pas totalementfaux, à en croire Thibault Lanxade, prési-dent de l’association Positive entreprise :«Les financements d’entreprise, comme lecapital-risque, y sont beaucoup plus déve-loppés, les investisseurs y trouvant davan-tage d’intérêts. Non pas que les succès desociétés nouvellement créées soient plusnombreux, mais celles qui réussissent lefont avec plus d’ampleur qu’en France, enraison de l’importance dumarché.»

Projets InternetLe développement de certains secteurs

d’activités a pu également éveiller des en-vies d’ailleurs. Parmi les projets de créa-tion qui lui sont présentés, JulienMorel necompte plus ceux en lien avec Internet.

Pourquoi un tel frémissement?la Première exPlicationest sans doute la crise

jean-m

anuel

duviv

ier

Page 15: Campus
Page 16: Campus

16 / Le Monde Campus mardi 13 novembre 2012

doss i er | créer son propre job

çais de l’étranger, les Euro-info-centres…)disposent aussi d’importantes ressourcessur l’expatriation et le monde de l’entre-prise à l’étranger. Enfin, des informationspertinentes pourront être obtenues surplace, auprès des CCI établies à l’étrangeret des missions économiques des ambas-sades. Des services, là encore, pensés pourdes entreprises françaises désirant s’ins-taller sur place ou pénétrer unmarché.

«Il manque un dispositif fort»«La possibilité de créer son entreprise à

l’étranger n’est pas réellement prise encompte dans les mesures d’accompagne-ment et d’aides pour les jeunes entrepre-neurs, résume Thibault. Lanxade. Ilmanque un dispositif fort pour qu’ils puis-sent développer un tel projet. Ce sont sur-tout les dispositifs éducatifs qui l’encoura-gent : Erasmus incite les étudiants àpoursuivre leur route dans un pays où ilsont séjourné, et les écoles de commerce semontrent beaucoup plus réactives qu’au-paravant pour aider les entreprises, enFrance comme à l’étranger.»A l’Essec, Julien Morel confirme cette

évolution : «Nous avons parmi nos parte-naires des fonds jouant un rôle à l’interna-tional, et un cabinet d’avocats américain.»Surtout, l’école vient de signer un accordavec un incubateur de la Silicon Valley

qui propose locaux et accompagnement.Un partenariat a également été établiavec un incubateur chinois.L’aide a toutefois ses limites. «Nous les

accompagnons pour le business plan, leséléments juridiques, mais pour incuber, ilsse tourneront vers les structures locales,note Manuelle Malot, de l’Edhec. Ce n’estpas un hasard si la plupart des créateursne sont pas des jeunes diplômés juste sortisd’école. Ils ont souvent acquis au préalableune nécessaire connaissance du pays, àtravers un premier emploi par exemple.»C’est le cas d’Arnaud, sorti d’une école

de commerce française voici quatre ans,et qui crée aujourd’hui son entrepriseaux Etats-Unis : «Si on n’a pas de connais-sances spécifiques, le minimum est d’avoirrecours aux conseils d’un réseau d’entre-preneurs sur place, indique-t-il. Toutefois,avant de se lancer, expérimenter soi-même le pays, s’adapter à la culture localeet s’entourer d’autochtones me semble in-contournable.»

François Desnoyers

L’internationaLisation croissantedes études – stage, année

de scoLarité à L’étranger –a aussi joué un rôLe

«Et dans ce domaine, l’aura des Etats-Unisest grande.» L’internationalisation crois-sante des études – stage, année de scolaritéà l’étranger – a aussi joué un rôle.Mais, l’idée acquise, comment trouver

les informations et les appuis pour menerà bien son projet? Un rapide tour d’hori-zon des structures françaises d’aide auxentrepreneurs montre que celles-ci se

consacrent avant tout à la création… enFrance. Les chambres de commerce et d’in-dustrie (CCI) avouent ne pas savoir versquel service diriger ceux qui désirent créerune entreprise hors du pays. Rien de pluslogique : la raison d’être des organismesconsulaires est bien plus de développer lecommerce extérieur en soutenant les so-ciétés de leur territoire, que d’aider les cer-veaux à s’éloigner de leurs frontières.Même déficit d’interlocuteurs à l’Agence

pour la création d’entreprise (APCE). Onpeut cependant trouver une documenta-tion abondante classée par pays (struc-tures juridiques des entreprises, fiscalité,aides…) sur son site Internet. D’autres or-ganismes (Ubifrance, la Maison des Fran-

L’épopée indienne d’un jeune entrepreneurEn IndE comme ailleurs,

les cadeaux ont parfois

tendance à se ressembler.

Jérémy Grasset, jeune

entrepreneur de 31 ans

installé dans ce pays

depuis 2004, en a fait

l’expérience : il ne compte

plus les sets de table qu’il a

reçus pour son mariage, à

New Delhi.

Dans ce constat, le

jeune homme a vu

une opportunité : celle

d’importer dans son pays

d’adoption le concept

du coffret cadeau, qui

laisse à son destinataire

le soin de choisir ce qu’il

souhaite dans un catalogue

d’activités et de séjours.

Lui qui a aidé plus de

150 entreprises françaises

à s’implanter en Inde, et

en a créé lui-même trois

sur place, savait qu’il était

très facile de créer une

nouvelle société dans le

secteur des services. Les

compétences des Français

y sont recherchées, comme

dans la gastronomie ou

l’hôtellerie, et le démarrage

de l’activité exige souvent

moins d’investissements

que dans l’industrie. «Il

est faux de croire que l’Inde

est le pays du bas coût :

les prix des terrains sont

devenus horriblement chers

et les salaires ont fortement

augmenté ces dernières

années», constate-il.

Pour créer le catalogue de

sa «dhoom box», Jérémy

Grasset et son équipe ont

passé beaucoup de temps à

trouver les établissements

qui n’allaient pas fermer

leurs portes au bout de

quelques mois. Car, en Inde,

les difficultés ne sont pas

là où on les attend : il est

plus difficile d’acheter que

de vendre. Dans presque

tous les domaines, que ce

soit pour un intercalaire

ou une machine-outil, les

fournisseurs fiables sont

rares. «Ce sont même eux qui

dictent leur loi», soupire le

jeune entrepreneur.

Depuis huit ans qu’il est à

New Delhi, il a beaucoup

appris sur la gestion délicate

des ressources humaines :

«Je donne rarement des

titres de “manageur” à mes

salariés, sinon ils exigent des

assistants, des salaires élevés

et rechignent à exécuter

toutes les tâches.» Donner un

titre d’«assistant-manageur»

permet donc d’économiser

de l’argent et bien des soucis.

Dans une société aussi

hiérarchisée que celle de

l’Inde, chaque titre a son

importance, tout comme

l’adresse de l’hôtel où on

séjourne ou la marque de la

voiture que l’on conduit.

«Etre un étranger n’est

pas un handicap, bien au

contraire», estime le jeune

entrepreneur. Il réserve

même des privilèges,

auxquels, malheureusement,

on ne s’attend pas toujours.

Jérémy Grasset se souviendra

longtemps d’un rendez-vous

avec les responsables d’une

zone économique spéciale

dans le sud de l’Inde. Arrivé

en triporteur, couvert de

poussière, il pensait que son

interlocuteur l’attendrait

dans son bureau. Il a été

accueilli avec des fleurs

par l’ensemble du conseil

d’administration, au pied

de son véhicule, comme

s’il sortait d’un avion

présidentiel.

Pour ceux qui veulent tenter

l’aventure dans le pays,

Jérémy Grasset conseille…

la lecture duMahabharata

en bande dessinée : «Cette

grande épopée permet de

mieux comprendre la société

indienne, ses conceptions

du devoir, de la hiérarchie

ou encore l’importance

de la famille.» Lire les

200 000 vers en version

originale peut aussi être un

bon exercice pour tester sa

sa capacité à vivre dans le

pays. Car, en Inde, la patience

s’apprend, ou se perd.Julien Bouissou,

new Delhi, corresponDance

Page 17: Campus

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18 / Le Monde Campus mardi 13 novembre 2012

doss i er | créer son propre job

QQue recouvre la notion d’entrepreneur?Avant d’être une personne, l’entrepreneurest un concept, analysé depuis longtemps,notamment par l’économiste autrichienJoseph Schumpeter [1883-1950] comme ce-lui qui investit et qui accumule du capital.Par la suite, l’école autrichienne d’écono-mie en a donné une image assez idéalisée :l’entrepreneur comme leader charisma-tique, visionnaire capable de dépasserl’existant pour innover.L’approche anglo-saxonne, quant à elle,met davantage en avant le self-made-man,sorte de cow-boy des temps modernes, in-dépendant. L’économiste contemporainMark Casson le décrit commeun chef d’or-chestre, avec des capacités pour coordon-ner des tâches variées, et qui ne trouve pasdans le travail salarié, à cause du lien desubordination, la liberté de faire fructifierson talent. Pour ses successeurs, tout indi-vidu économiquement rationnel fait unarbitrage entre salariat et entrepreneuriat,après comparaison des contraintes et pos-sibilités de chacun des statuts.Est-ce toujours une figuremythique?Lemythe de la success story, à la Bill Gatesou à la Mark Zuckerberg [le fondateur deFacebook], reste très vivace parmi lesjeunes diplômés, qui baignent dans unflou conceptuel quand on leur demandede définir un entrepreneur : pour eux,c’est quelqu’un qui s’épanouit en mettanten œuvre un projet personnel. Parti derien, il devient richissime et connu grâce àune idée géniale. Quelques exemples édi-

Nadine Levratto est professeurd’économie. Depuis 2007, elle est chargéede recherches au Centre nationalde la recherche scientifique (CNRS),au laboratoire Economix de l’universitéde Paris-Ouest-Nanterre-la Défense.

Entretien avec Nadine LevrattoLemythe de Bill Gates

reste vivace parmiles jeunes diplômés»

fiants nourrissent cette légende, mais ilsne représentent que la queue de comètedes créateurs d’entreprise. La plupartd’entre eux ne partent pas de rien et beau-coup ont hérité de l’affaire de papa. La réa-lité est que, sans capitaux, il est difficiled’étendre son «empire». La réussites’avère généralement liée à la mise defond initiale. La probabilité d’échec estélevéemais, sans grands risques, il n’y au-rait pas d’opportunité de profits.Depuis vingt ans, comment a évoluél’image de l’entrepreneur en France?Un glissement sémantique s’est opéréen 1998, lorsque, sous la houlette d’Ernest-Antoine Seillière, le Conseil national du pa-tronat français (CNPF) a muté en Mouve-ment des entreprises de France (Medef).«Le patron», comme figure opposée auxsalariés, laisse la place à «l’entrepreneur»,

une représentation conno-tée nettement plus positi-vement, qui fond dans unmême ensemble toustypes de chefs d’entreprise.La figure historique de lapersonne qui engage descapitaux et utilise unemain-d’œuvre salariée envue d’une production dé-terminée, avec son imagenégative d’exploiteur dupeuple, tend à disparaîtreet à laisser la place à l’en-trepreneur «près de chezvous», sympathique etbonhomme.D’ailleurs, sur le papier,tout le monde peut le de-venir : nul besoin de di-plômeni de capitaux. C’estparticulièrement vrai de-puis 2003, avec la loi pro-

mulguant les sociétés sans capital socialminimal. Depuis règne une certaineconfusion entre, d’un côté, les manageursconnus de grandes entreprises, qui sontdes salariés, et, de l’autre, des entrepre-neurs sans capital et sans salarié, qui nedirigent pas grand-chose.Les politiques publiques n’ont cesséd’encourager la création d’entrepriseces dernières années. Ont-ellescontribué àmodifier la figurede l’entrepreneur?Dès la fin des années 1970, alors que Ray-mond Barre était premier ministre, se dé-veloppe l’idée de sortir les personnes sansemploi du chômagepar la créationd’entre-prise. D’une certaine façon, son pointculminant a été atteint en 2009avec le lan-cement du statut d’auto-entrepreneur.

Dans les chiffres, le résultat est impres-sionnant : le nombre de créations atteintaujourd’hui un niveau inégalé dans l’his-toire. Avons-nouspour autantplusd’entre-preneurs? Loin de là. L’entrepreneuriat deconquête au sens classique, avec un véri-table projet dans une logique de crois-sance, s’entremêle avec l’entrepreneuriatpar défaut, dans une logique de survie, quiamène à créer son propre emploi.L’auto-entrepreneur ne dégage parfois, etmême souvent, aucune activité. Celabrouille le concept d’entrepreneur tel quedéterminé par la théorie économique, etaussi son image. Il n’est plus forcément lehéros apportant des innovations qui vonttransformer la société.

ProPos recueillis

Par Nathalie Quéruel

Publications

2012 Chercheur associé auCentre d’étude de l’emploi,elle publie en collaborationavec Evelyne Serverin «Letravailleur individuel enrégime d’auto-entrepreneur :quels risques pour quelsprofits? Bilan de trois annéesde fonctionnement durégime», dans Revue de laRégulation, automne.

2011 La Défaillance desentreprises. Etude sur donnéesfrançaises entre 2000 et 2010,éd. Oséo, collection «Regardssur les PME», n°21, LaDocumentation française,148 p., 19 €.

2009 Les PME : Définition,rôle économique et politiquespubliques, éd. De Boeckuniversité, 192 p., 19,50 €.

«La PLuPart dEs créatEursd’ENtrEPrisE NE PartENt

Pas dE riEN Et bEaucouP oNthérité dE L’affairE dE PaPa»

Page 19: Campus
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20 / Le Monde Campus mardi 13 novembre 2012

doss i er | créer son propre job

Statut apport initial,conditionS d’accèS

Qui dirige

l’entrepriSe ?Mode d’iMpoSition

de l’entrepriSerégiMe fiScal

du dirigeant

entrepriSeindividuelle

(ei)

Il n’y a pas de notion decapital social, l’entreprise etl’entrepreneur ne formantjuridiquement qu’une seuleet même personne

L’entrepreneur individuelest le seul «maître à bord»

Le chef d’entrepriseest imposé directementau titre de l’impôtsur le revenu

Impôt sur le revenu dansla catégorie correspondantà l’activité de l’entreprise

entrepreneurindividuel à

reSponSabilitéliMitée

(eirl)

L’entrepreneur individuel àresponsabilité limitée estun statut qui permet deconstituer un patrimoineaffecté à l’activitéprofessionnelle distinct dupatrimoine personnel

L’entrepreneur individuelest le seul «maître à bord»

Sous certaines conditions,il est possible d’opter pourl’impôt sur les sociétés

Impôt sur le revenu dansla catégorie correspondantà l’activité de l’entreprise

auto­entrepreneur

L’autoentrepreneur est unentrepreneur individuel quiexerce une activitéindépendante, commerciale,artisanale ou libérale, dontle chiffre d’affaires (horstaxes) n’excède pas :− 81 500 euros pour uneactivité commerciale− 32 600 euros pour uneactivité de services

L’entrepreneur individuelest le seul «maître à bord»

L’autoentrepreneur déclarechaque trimestre ouchaque mois le chiffred’affaires (CA) réaliséet verse les cotisationssociales correspondantes,soit 12 % du CA pour lespersonnes dont l’activitéest commerciale, 21,3 %du CA pour les prestatairesde services et pour lesprofessions libérales

Son régime fiscalest celui de l’entrepriseindividuelle. Le montantdu chiffre d’affaires estporté sur la déclarationcomplémentaire de revenuset le bénéfice imposablesera déterminé parl’administration fiscale quiappliquera au montantdéclaré un abattementforfaitaire pour fraisprofessionnels

JeuneentrepriSeinnovante

(Jei)

Entreprise de moins de250 salariés et créée depuismoins de huit ans, dontle chiffre d’affaires estinférieur à 50 millionsd’euros. Le capital doitêtre détenu pour 50 %au minimum par despersonnes physiques, desassociations ou fondationsreconnues d’utilité publiqueà caractère scientifique, desétablissements de rechercheet d’enseignement et leursfiliales, etc. Les dépenses derecherche-développementdoivent représenter aumoins 15 % de leurs charges

En fonction du statutjuridique de l’entreprise(EI, EIRL, EURL, SARL…)

− Exonération d’impôtsur les bénéfices etd’imposition forfaitaireannuelle (IFA) pendantvingt-quatre mois− Exonération d’impôt surles plus-values de cessionde titres pour les associésde la JEI− Allégement des chargessociales patronales sur lessalaires versés aux salariésparticipant à la recherche

En fonction du statutjuridique de l’entreprise(EI, EIRL, EURL, SARL…)

Quel statut choisir?

Source : Agence nAtionAle de lA créAtion d’entrepriSe

La gamme des statuts juridiquespossibles pour créer une micro-activité s’est élargie. Encore faut-iltrouver chaussure à son pied...

Page 21: Campus

mardi 13 novembre 2012 Le Monde Campus / 21

Statut apport initial,conditionS d’accèS

Qui dirige

l’entrepriSe ?Mode d’iMpoSition

de l’entrepriSerégiMe fiScal

du dirigeant

JeuneentrepriSe

univerSitaire

(Jeu )

10 % du capital del’entreprise doit êtredirectement détenupar des étudiants,des personnes titulairesdepuis moins de cinq ansd’un master ou d’undoctorat, ou des personnesaffectées à des activitésd’enseignements et derecherche. L’entreprisedoit signer une conventionavec un établissementd’enseignement supérieur

L’entreprise doit être dirigéepar des étudiants, despersonnes titulaires depuismoins de cinq ans d’unmaster ou d’un doctorat,ou des personnesaffectées à des activitésd’enseignementset de recherche

- Exonération d’impôtsur les bénéfices etd’imposition forfaitaireannuelle (IFA) pendantvingt-quatre mois- Exonération d’impôt surles plus-values de cessionde titres pour les associésde la JEU- Allégement des chargessociales patronales sur lessalaires versés aux salariésparticipant à la recherche

En fonction du statutjuridique de l’entreprise(EI, EIRL, EURL, SARL…)

entrepriSeuniperSonnelleà reSponSabi­lité liMitée

(eurl )

Le montant du capitalsocial est librement fixé parl’associé. 20 % des apportsen espèces sont versésobligatoirement aumomentde la constitution, le soldedevant être libéré dansles cinq ans

L’EURL est dirigée par ungérant (obligatoirementpersonne physique)qui peut être soit l’associéunique, soit un tiers

L’associé unique est imposédirectement au titre del’impôt sur le revenu(catégorie des bénéficesindustriels et commerciauxou des bénéfices noncommerciaux).L’EURL peut cependantopter pour l’impôtsur les sociétés

Impôt sur le revenu soitdans la catégorie desbénéfices industriels etcommerciaux ou desbénéfices non commer-ciaux (EURL à l’impôt sur lerevenu), soit dans celle destraitements et salaires(EURL à l’impôt sur lessociétés)

Société àreSponSabilité

liMitée

(Sarl)

Le montant du capitalsocial est librement fixépar les associés

La SARL est dirigée par unou plusieurs gérant(s),obligatoirement per-sonne(s) physique(s).Le gérant peut être soit l’undes associés, soit un tiers

Les bénéfices sont soumis àl’impôt sur les sociétés.Il est toutefois possibled’opter pour l’impôt sur lerevenu (IR) dans le cas de laSARL de famille. Une optionpour l’IR est égalementpossible, sous certainesconditions, pour lesSARL de moins de cinq ans

Traitements et salaires,sauf si option de la sociétépour l’impôt sur le revenu

aSSociation

Il n’y a pas de capital social.L’association perçoit descotisations de ses membressi la facturation de sesservices et les réservesqu’elle a pu constituers’avèrent insuffisantes.Les membres peuventégalement effectuer desapports en nature, enindustrie ou en espèces,avec la possibilité derécupérer les apportsen nature à la dissolutionde l’association

Sonmode de gestion estchoisi librement. L’associa-tion est souvent dirigée parun conseil d’administra-tion, qui élit généralementun bureau composé d’unprésident, d’un trésorieret d’un secrétaire

Les associations qui réalisentdes bénéfices, dans un butlucratif, sont assujettiesà la TVA et doivent acquitterl’impôt sur les sociétés (IS)au tauxnormal.Les associations sans butlucratif ne sont pasredevables de l’IS de droitcommun, et elles sontexonérées d’impôtscommerciaux si leursrecettes commercialesaccessoires n’excèdentpas 60000 euros par an

Traitements et salairessi une rémunérationest versée

Page 22: Campus

22 / Le Monde Campus mardi 13 novembre 2012

doss i er | créer son propre job

Types de financemenTssources eT naTure

de financemenTsmonTanTs

Aides ou subventionsà lA personne

L’Etat : prêt sans intérêt et sansgarantie Nacre (Nouvel accompagnementpour la création et la reprise d’entreprise)

Les collectivités locales

Les fondations

De 1 000 ¤ à 10 000 ¤, attribués pour unedurée maximale de cinq ans à des jeunes de18 à 30 ans en complément d’un prêt bancairede même montant et durée.

prêt d’honneur(c’est-à-dire sans garanties)

eT crÉdiT soLidaire

Les plates-formes Initiative France

Le réseau Entreprendre

L’ADIE (Association pour le droit à l’initiativeéconomique)

France Active

Les collectivités locales

Les fondations

Certains employeurs, dans le cadrede l’essaimage

De 1 500 ¤ à 30 000 ¤

45 000 ¤maximum

10 000 ¤maximum

10 000 ¤maximum

prêt bAncAire personnel Les banques commerciales

pArticipAtion dAns le cApitAl

Les organismes de capital-risqueLes clubs d’investisseurs (Cigales…)Les sociétés de reconversionLes investisseurs individuelsLes associations

primes, subventionsà l’entreprise

L’EtatLes collectivités locales

prêts à moyen ou long termeà l’entreprise

OSEO : prêt à la création d’entreprise (PCE)

Les établissements de crédit (banques)

De 2 000 ¤ à 7 000 ¤ sans cautionpersonnelle ni garantie, en complémentd’un prêt bancaire

crédit-bAilLes banquesLes organismes spécialisés

Où trouver des financements?

Les sources pour financer un projetde création ne manquent pas.Mais les guichets sont nombreuxet les circuits administratifs complexes...

Source : Agence nAtionAle de lA créAtion d’entrepriSe

Page 23: Campus

mardi 13 novembre 2012 Le Monde Campus / 23

Types de financemenTssources eT naTure

de financemenTsmonTanTs

aides à l’innovation

aides au financemenTdes fonds propres

France Active : fonds Innov’ess

Le réseau Entreprendre – Initiative France –conseil régional : prêts d’honneur

OSEO : prêt participatif d’amorçage

de 5 000 € à 500 000 €

de 15 000 € à 90 000 €

Jusqu’à 75 000 €(150 000 € avec le soutien de la région)

aides à la faisabiliTédu projeT innovanT

OSEO : aide au projet innovant

OSEO :aide à la création d’entreprise innovante

OSEO :aide au partenariat technologique (APT)

OSEO – Conseil régional – Réseau dedéveloppement technologique (RDT) :prestation technologique réseau (PTR)

Critt – Biocritt :aide régionale à l’innovationet au transfert de technologie (ARITT)

Avance à taux zéro, remboursableen cas de succès, soutien jusqu’à 50 %des dépenses retenues

Subvention de 30 000 € maximumpour les études de faisabilité.

Subvention plafonnée à 50 000 €

Financement jusqu’à 80 %d’une étude technico-économiqueSubvention plafonnée à 10 000 €

Financement de 75 % des études,subvention plafonnée à 15 000 € et 50 000 €Recrutement : subvention de 50 % des salaireset charges plafonnées à 13 000 € pour unbac+2 et à 35 000 € pour un ingénieur

aides à l’invesTissemenT

Drire :fonds de développement des PMI (FDPMI)

OSEO :garantie innovation

OSEO :contrat de développement innovation

OSEO :biotech garantie

OSEO :contrat de développement participatif

Subvention régionale. Pour Paris,financement de 15 % d’un programmed’investissement de 3 M€ maximum

Garantie des interventions bancaires jusqu’à80 % d’un montant maximum de 300 000 €

Prêt de 40 000 € à 300 000 € encofinancement avec une banque

Garantie du concours bancaire à hauteurde 70 % pour les PME de biotechnologiede moins de 5 ans

Prêt d’un montant maxi de 3 M€ dansla limite des fonds propres de l’entreprise

aides pour les jeunes

fonds de prêTs d’honneurpour les jeunes créaTeurs d’enTreprise

ADIE (Association pour le droit à l’initiativeéconomique) et Pôle emploi avec la Caissedes Dépôts : prêts sans intérêts

Montant maximum de 5 000 eurosà 1 000 jeunes chaque annéeCondition : le besoin de financement duprojet doit être inférieur à 10 000 euros

créajeunes

ADIE (Association pour le droit à l’initiativeéconomique)

Public visé : jeunes de 18 à 32 ans.Formation de un à quatre mois, accompa-gnement par des professionnels, suivipost-création de dix-huit mois, immersion enentreprise, financement des dépenses liées àla préparation ou au démarrage du projet

envie d’agirMinistère de l’éducation nationale Accompagnement personnalisé

et de proximité dans chaque département

Page 24: Campus

24 / Le Monde Campus mardi 13 novembre 2012

A

De nombreux salariés se montrentréticents à diriger une équipe.Un problème qui a pour toile defond la dégradation des conditionsde travail liée à la crise.

Alors que ses amis finissent leursétudes ou peinent à trouver untravail, Laure décroche à 22 ansun contrat à durée indétermi-née (CDI) en tant que chef de pro-jetWeb en agence de communica-tion. Une belle façon de couron-ner un parcours brillant : classeprépa, puis Sciences Po.Pourtant, deux ans plus tard, la

jeune fille quitte son poste pourun contrat à durée détermi-née (CDD ) de responsable decontenus digitaux pour unemarque. «Je voulais avoir dutemps pour moi et pour mes pro-jets personnels, explique-t-elle.Quand je rentrais chez moi le soir,je me rendais compte que j’avaispassé 70 % de mon temps à ma-nageur des employés. C’est trèsstressant, et j’aurais aimé avoirun supérieur. Je veux bien trouverdes solutions, à condition quequelqu’un les valide. Dans manouvelle boîte, j’ai un responsableet des objectifs plus précis.»

Si cette décision a pu sur-prendre son entourage, la situa-tion de la jeune femme n’est pasexceptionnelle. Selon une en-quête réalisée en 2009 par l’Asso-ciation pour l’emploi descadres (APEC), environ la moitiédes salariés du secteur privé nesouhaite pas passer cadre.

«Une situation infernale»Un résultat qui n’étonne pas

Alain Pichon, docteur en sociolo-gie à l’université d’Evry-Val-d’Es-sonne et auteur de l’ouvrage LesCadres à l’épreuve (PUF, 2008):«J’ai toujours été extrêmementfrappé par l’image épurée qu’ondonnait des cadres, représentéscomme des gens épanouis, alorsque ce que je voyais autour de moine me semblait pas si simple.»La situation des cadres s’est dé-

tériorée un peu plus «à chaquecrise économique», constateAlain Pichon : «Ils sont désormaistouchés au même titre que lesautres par les plans sociaux.»Mais, selon lui, c’est surtout la fi-gure du cadre encadrant qui estaujourd’hui en crise, car celui-cise trouve bloqué «dans une situa-tion absolument infernale» : «Es-sayez d’interroger les cadres dechez PSA-Aulnay! Ils se retrouvent

notamment le management parobjectifs : «Le non-respect deceux-ci est considéré comme unéchec dont la responsabilité estrejetée sur le cadre.» Sans parlerde l’impact des nouvelles techno-logies dans la vie de l’employé.«Les entreprises estiment qu’ilfaut être joignable à tout mo-ment. Les cadres n’ont plus letemps de respirer!»Nathalie Bosse, auteur de l’en-

quête «Devenir cadre, une pers-pective pas toujours attrayante»du Centre d’études et de re-cherches sur lesqualifications (Cé-req), en avril 2012, partage cesmêmes constats : les salariés re-doutent stress et horaires tropcontraignants. Mais, pour la cher-cheuse, ces motivations «s’ap-puient davantage sur la représen-tation que les salariés se font durôle et de l’activité des cadres quesur une vision réelle de leur travail,car ils les côtoient peu».Nathalie Bosse remarque qu’il

faut également prendre encompte l’intériorisation de l’ab-sence de réelle possibilité de pro-motion. «Le passage au statut decadre peut être vu comme trop sé-lectif, et l’évaluation des compé-tences est vécue comme uneépreuve, un jugement.»

entre le marteau et l’enclume, carce ne sont pas les hauts dirigeantsqui font le sale boulot.»

Sylvaine Pascual, consultantespécialiste des relations hu-maines et de la reconversion pro-fessionnelle, confirme : «Avec lacrise, l’ambiance s’est dégradéedans les entreprises, les relationssont plus tendues, et il peut s’avé-rer stressant de prendre en chargeles équipes.» D’autant plus quandle salaire ne suit pas.

Pour Eric Peres, secrétaire géné-ral de FO-cadres, si des salariésrefusent de passer cadre, c’estavant tout en raison d’une tropfaible rémunération. Même s’ilconcède que ce facteur n’expliquepas à lui seul le malaise descadres : «C’est aussi une questionde coût humain dans la vie detous les jours.»Eric Peres pointe ainsi du doigt

la politique de management denombreuses entreprises, citant

Chef, je veux pasêtre chef!

«Les entreprisesconsidèrent qu’iL faut

être joignabLeà tout moment.

Les cadres n’ont pLusLe temps de respirer!»

Eric PErEs, secrétairegénéral de FO-cadres

management

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mardi 13 novembre 2012 Le Monde Campus / 25

ils souhaitent protéger leur car-rière. La perspective d’adhérer à unsyndicat est encore plus lointaine,car c’est perçu comme un acte dedéloyauté envers l’entreprise.»Le refus d’une promotion,

l’abandon d’un poste à hautesresponsabilités suscitent souventl’incompréhension de la direc-tion des ressources humaines.«On a encore des idées assez arrê-tées sur ce que doit être une car-rière. Au sein de l’entreprise, ons’interroge sur la place d’un sala-rié qui ne souhaite pas évoluer»,constate le sociologue.

Porte de sortieSophie Gros, employée dans un

grand groupe industriel, vient dedonner sa démission. «Aprèsquinze ans de travail, je commen-çais à voir des failles partout.J’avais un poste à responsabilités,et il était difficile de satisfaire lahiérarchie en gérant des équipespas forcément motivées.»Elle a donc préparé sa porte de

sortie en passant un certificatd’aptitude professionnelle (CAP)en candidat libre afin d’ouvrir un

Ce qui est certain, c’est qu’unmalaise s’instaure entre lescadres et l’entreprise. «L’identitéinitiale des cadres repose sur la fi-gure de l’expert, note Alain Pi-chon.Quand de jeunes ingénieursarrivent dans les entreprises, ilssont motivés par l’innovation.Mais, depuis le début de la finan-ciarisation des entreprises, lesquestions de gestion et de rentabi-lité capitalistique sont devenuesles principales préoccupations.»C’est ici que se creuse «le hiatus

entre les attentes du cadre et cellesde l’entreprise». Alain Pichon citele «cas emblématique» de Peu-geot, où «des salariés qui croienten leur produit se heurtent à ungroupe essentiellement préoccupépar des problèmes gestionnaires».Comment les cadres réagis-

sent-ils à une situation qui se dé-grade? Il n’est pas rare de voir dejeunes diplômés choisir un em-ploi sans rapport avec leur ni-veau d’études. A la sortie de Poly-

technique, Luc ne tient quequelques mois comme assistanttrader dans une banque. «Je suispeut-être trop sensible pour tra-vailler dans une grande boîte, jene supporte pas la pression ins-taurée par le système hiérar-chique. Ce qui est dommage, c’estque tous les jobs qu’on me propo-sait n’étaient pas du toutrock’n’roll, juste parce que je sor-tais de Polytechnique. Comme sij’étais trop au-dessus des autrespour accomplir certaines tâches.»Aujourd’hui, l’ancien de l’X estguitariste-chanteur pour ungroupe demusique.Mais se révolter contre une si-

tuation qui se dégrade n’est pastoujours facile. Alain Pichon parled’une «désapprobation silen-cieuse» :«Souvent isolés, les cadresn’osent pas prendre la parole car

atelier de couture. Mais cette re-conversion ne s’est pas faite sansdifficulté : «Même en ayant uneissue de secours, ce n’est passimple de quitter un statut recon-nu. On a peur du regard desautres. Je suis passée par un tra-vail psychologique, j’ai écrit noirsur blanc les pour et les contreavant de prendre ma décision.»Pour la consultante en rela-

tions humaine Sylvaine Pascual,la reconversion est injustementdévalorisée. «On a beaucoup in-sisté sur les difficultés liées à unchangement de carrière et c’estlégitime : c’est un parcours com-plexe. Mais, à force de se concen-trer sur les problèmes, on ne voitplus les aspects positifs. Or lespersonnes qui identifient un mé-tier qui les passionne font preuved’une grande détermination quileur permet de gérer de frontl’emploi qu’elles veulentquitter etleur nouvelle formation.»

Margherita Nasi

«il est difficilede satisfairela hiérarchie

en gérant des équipespas forcément

motivées»sophie gros, ex-chef d’équipe

dans un grand groupe

Joan

negrescolor

/les

illustrateurs

Page 27: Campus

26 / Le Monde Campus mardi 13 novembre 2012

estiment que la voie normale,celle qui est valorisée dans l’entre­prise, est d’avoir dix, puis vingt,puis cinquante personnes sous sadirection… C’est aussi celle quipermet de rester dans la course, etde ne pas êtremenacé.Ils constatent qu’en effet, les en­treprises sont dirigées par desma­nageurs, non par des experts, etque toute autre filière que celle dumanagement est considérée com­me une voie de garage.Le paradoxe est que les jeunes di­plômés sont tout à fait clair­voyants sur l’extrême difficultéde la fonction de manageur, surl’insatisfaction qu’elle génère,mais n’en concluent pas moinsqu’il faut en passer par là.Vous venez d’achever uneautre étude sur la «qualité»des carrières. Qu’avez-vousobservé?Le profil type de celui qui effec­tue une «bonne carrière» est unhomme, très diplômé, qui restelongtemps dans la même entre­prise et suit la filière managé­riale. Malgré les discours sur lesavantages de la mobilité ex­terne, la promotion de la diver­sité et le développement des« talents», les parcours gagnantsrestent très classiques.Pourtant, les entreprisesn’ont-elles pasmultipliéles dispositifs de détectionet de promotion des «hautspotentiels», de gestionprévisionnelle des postes?

Entretien avec Jean PralongPersonne ne s’intéresse

à ce qu’est lemétierdemanageur»

Management

Certes, mais il n’est pas sûr queces dispositifs soient utilisés. Lefameux «entretien annuel d’éva­luation», par exemple, ne sert pasaux nominations : la progressionhiérarchique reste une affaire depolitique interne. La complaintedes DRH sur la difficulté à trouverde «bons manageurs» tient à lamontée des exigences : ceux à qui

on donnait leur chance il y a dixans, on ne la leur donne plus au­jourd’hui, à la fois par crainte dese voir reprocher une «erreur decasting», et parce qu’on exige desrésultats à court terme, sans lais­ser le temps de se former.Cette pression influence aussi lespratiques de recrutement. Là oùun employeur acceptait autre­fois d’avoir à choisir entre dixcandidats, il exige aujourd’huiqu’on lui amène le mouton àcinq pattes. Le tout sur fond dediscours du type : «Les mauvais,on ne peut pas se permettre de lesgarder», alors que les entreprisesse permettaient, il y a encorequelques années, de garder les«moyens».

Quelles sont les conséquencesde ces attitudes sur la fonctionmanagériale elle-même?Le problème est que ceux quisont jugés bons pour devenirchefs sont ceux qui sont prêts àen passer par là pour avancer, etnon ceux qui ont le goût ou l’apti­tude pour la fonction. Personnene s’intéresse à la question de sa­voir ce qu’est le métier de mana­geur : diriger un projet? Coordon­ner des équipes?Il y a quinze ans, les chosesétaient claires : le manageur étaitchargé d’appliquer les décisionsde la direction. Aujourd’hui, onlui demande de décider locale­ment de ce qu’il faut faire, ce quiprésuppose, premièrement, qu’ilest capable de décider, deuxiè­mement, qu’il n’y a plus de déci­sion venue d’en haut! Ce qui estfaux la plupart du temps : la réa­lité, c’est la généralisation de l’in­jonction paradoxale.Les plus jeunes ne résistent-ilspas à ce type demanagement?Le discours sur la “génération Y”ne fait pas le poids face à la réalitéde 25 % de chômage des jeunesactifs. Tout pousse au confor­misme et au respect des règlesdès lors qu’on a réussi à intégrerune entreprise. Le comportementpseudo­libéré de la génération Ys’arrête à la porte du bureau, oùils se savent évalués sur de toutautres critères.

ProPos recueillis Par

antoine reverchon

VVous avez réalisé il y a troisans une enquête qualitativeauprès de jeunes diplômés enactivité âgés de 25 à 35 ans, oùils étaient invités à comparerleurs attentes personnellesavec la réalité de l’entrepriseoù ils travaillent. Quelles sontvos principales conclusions?Ces jeunes sont écartelés entreleur propre projet professionnelet la nécessité de faire carrière. Ilsressentent une contradictionentre ce qu’ils souhaitent et cequ’ils doivent effectivement fairepour progresser, ou même seule­ment rester, au sein de l’organisa­tion qui les emploie.Le choix d’un emploi semble plusguidé par un besoin de sécurité– «Je vais là où “ça marche” – quepar le goût pour un métier, unefonction. La plupart intègrent lesgrandes entreprises en pensant :«Je sais que je vais m’y emmerder,je sais qu’on va m’y emmerder,mais j’aurai une belle ligne surmon CV». En début de carrière, onremet à plus tard la réalisation deson vrai projet pour pouvoirmettre un pied dans l’emploi.Quelle est leur attitude parrapport aux responsabilitésmanageuriales?Ils ne déclarent guère d’intérêtpour lemétier demanageur, mais

Jean Pralong dirige la chaire «nouvellescarrières» à Rouen Business School.Il a réalisé en 2009 l’étude «La “génération Y”au travail : un péril jeune?». Il signe en 2012«La “qualité” des carrières des cadres français :diversification ou hétérogénéisation?».

«LE coMPortEMEntPsEudo-Libéré

dE La génération Ys’arrêtE à La PortE

du burEau»

Page 28: Campus

présentent

le salon Des MASTERS&MASTÈRESSPÉCIALISÉSsamedi 2 FéVRieR 2013CiTé de La mOde eT dU desiGNLES DOCKS 34 quai d’Austerlitz PaRis

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Page 29: Campus

28 / Le Monde Campus mardi 13 novembre 2012

UUn mail, simple et encourageant.«Hello, seriez-vous dispo mardiprochainpourunpot“afterwork”?Nous avons des choses à fêter…»Neuf réponses positives sur dix.L’affaire est entendue. Le mardisuivant à 19 heures pétantes, Phi-lippe, responsable du service Re-search d’Accenture France, lance àla cantonade : «Allez, vous êtesprêts? On y va!»Enmoins de tempsqu’il ne faut

pour le dire, tout son petitmondese retrouve attablé à L’Avenue, unbar cosy situé au pied des bu-reaux de l’entreprise, dans leXIIIe arrondissement de Paris.«Notre service est né de la réunionde deux équipes : l’une chargée deconseil en stratégie, l’autre de do-cumentation, explique Philippe,en attrapant une poignée dechips. C’est pour fédérer cette nou-velle équipe que nous avons lancél’idée d’un afterwork.»Un concept de soirée importé

des Etats-Unis il y a une dizained’années qui consiste à retrouver

deux jours par semaine, ce quinous conduit à moins nous voir,confie cette chargée d’étude.Parfois, je regrette qu’on ne par-tage pas davantage de tempstous ensemble. »Renouer du lien, découvrir ses

collègues dans un autre contexte,prendre le temps de discuter, voi-

là ce qu’attendent les adeptes desapéros pros. «On a beau être hy-perconnecté, avoir 2 000 amis surFacebook, on n’a pas forcémentson compte de relations socialespour autant, explique MichaëlHoffmann-Hervé, directeur gé-néral délégué aux ressources hu-maines au sein du groupe Rands-tad France. Cela peut semblerparadoxal, mais l’avènement desnouvelles technologies a plutôtfavorisé la solitude.»La mise en place de la réforme

des 35 heures, en 2000, n’a rienarrangé non plus. «Pour gagneren productivité, la plupart des en-treprises françaises ont chassétous les moments d’échange et de

Aller boire un verre entre collèguesjuste après le travail, en veillant à nepas se coucher après 1 heure du matin :le concept séduit de plus en plus decadres surbookés en mal de sorties.

ses collègues après le travail pourprendre un verre. Lumière tami-sée et musique pop-rock en sour-dine, on échange sur les pro-chains entretiens individuelsd’évaluation, les films à ne pasmanquer dans les salles obscuresou les performances de ZlatanIbrahimovic au PSG.

«L’objectif n’est pas d’en faire unrendez-vous formel auquel tout lemonde se sentirait obligé de parti-ciper, mais un moment convivialoù l’on peut discuter à bâtons rom-pus sans barrière hiérarchique»,insiste Francis, responsable mon-dial des études stratégiques chezAccenture. Idéal pour intégrerune nouvelle recrue. Samira en afait l’expérience. «Quand j’ai dé-barqué chez Accenture, en sep-tembre 2011, j’avais un peu peur deme sentir exclue car tout le mondedans le service se connaissait de-puis longtemps. Finalement, grâceaux afterworks, j’ai très vite réussià trouver ma place.»

Renouer du lienMalgré ses onze années d’an-

cienneté, Emilie ne raterait cesrendez-vous pour rien aumonde. «Depuis l’accord signéen février 2010 par la direction etles organisations syndicales,nous travaillons tous à distance

partage d’expérience, constateRoger Sue, professeur de sociolo-gie à l’université Paris-Descartes.Or, c’est dans ces temps intersti-tiels que se forgent la motivationet l’esprit d’équipe.»Les sociétés anglo-saxonnes et

japonaises ont, elles, compris l’in-térêt de ces moments de détente.Pour développer la culture d’en-treprise, nombreuses sont cellesqui réunissent leurs équipes, unefois par semaine ou une fois parmois, dans un endroit branché.Une aubaine pour les bars, les res-taurants et les discothèques desgrandes villes, enmal de clientèlependant la semaine.Open bulles, open buffet et

soirée dansante pour 20 euros enmoyenne, plus le vestiaire, toutest bon pour attirer cette nou-velle clientèle. Signe de la popu-larité du concept, la marque demode Sandro propose dans cer-taines de ses boutiques, en plusd’un bar, un atelier «BarberShop» où la clientèle masculinepeut se refaire une beauté.En lançant au début des an-

nées 2000 les premières soirées«seven to one», de 19 heures à1 heure du matin, le jeudi soir, lebar La Galerie – rebaptisé depuisLe Players –, dans le IIe arrondis-sement de Paris, a trouvé un fi-

Afterworks:métro, boulot, apéro

Lumière tamiséeetmusique

pop-rock en sourdine,on échange

sur Les prochainsentretiensd’évaLuation

vie de bureau

Page 30: Campus

mardi 13 novembre 2012 Le Monde Campus / 29

lon très lucratif. «Auparavant,trouver un endroit où l’on pou-vait danser avant 1 heure du ma-tin était mission impossible, sesouvient le directeur de nuit del’établissement, Nicolas Monta-tin. Désormais, les gens qui tra-vaillent peuvent s’amuser sans secoucher très tard.»Vincent, chef de projet envi-

ronnement et développementdurable chez AEW Europe, entre-

prise de conseil en investisse-ment, apprécie. «On retrouvel’ambiance des soirées étu-diantes, en version plus classe,s’enthousiasme le jeune hommede 28 ans, dans son costumesombre impeccablement coupé.On se détend, on s’amuse. Mais à1 heure du matin au plus tard onest couché. Ça permet d’être d’at-taque le lendemain.»Sur la piste de danse du

Concorde-Atlantique, une pé-niche amarrée sur la Seine, unebande de joyeux drilles tirés àquatre épingles pouffentbruyamment. Cadre à la Sociétégénérale, Jessica, 24 ans, leur jetteun regard réprobateur. «Avec l’al-cool, on peut vite perdre lecontrôle et donner une mauvaiseimage de soi. Pour éviter les en-nuis, mieux vaut garder une cer-taine retenue.»Avec ses collègues, Jessica parle

musique, voyages ou exposi-tions, mais veille à ne jamaiss’épandre sur sa vie privée. San-dra, 23 ans, s’impose lamême dis-cipline. «Je préfère ne pas mélan-ger le travail et la fête, témoignecette chargée de communication.J’ai trop peur de ce qui pourrait sedire ensuite au bureau.»

ElodiE ChErmann

UneaUbainepoUrlesbars,

lesrestaUrantsetlesdiscothèqUes,enmaldeclientèlependantlasemaine

recruter autour d’un verreSe détendre ou

«réSeauter»? Avec les

apéros «networking»,

plus besoin de choisir !

Encore assez confidentielles

en France, ces soirées

permettent d’étoffer son

carnet d’adresses dans

une ambiance détendue.

On boit un verre, on

échange ses cartes de visites,

et plus si affinités.

C’est le principe des

afterworks organisés quatre

fois par an par le Club des

jeunes pros du marketing.

«Gratuites et ouvertes à tous,

ces rencontres sont l’occasion

pour les marketeurs de

communiquer sur les bonnes

pratiques, de démarcher de

nouveaux clients, voire de

décrocher un job», témoigne

Stéphane Alcaraz, le co-

président du club.

Mais cela ne peut

évidemment fonctionner

qu’en mélangeant les

générations. «Prendre un

verre avec des collègues du

même âge, c’est rarement

efficace pour trouver du

boulot», rappelle ainsi

Bénédicte Poinsart, directrice

d’un cabinet de conseil et

de formation à l’usage des

réseaux sociaux.

D’où son idée d’organiser,

tous les trimestres,

des afterworks inter-

générationnels. «J’invite entre

50 et 80 personnes d’âges

et d’horizons différents :

des jeunes cadres, des

chercheurs expérimentés, des

demandeurs d’emploi, des

recruteurs…» Apéro, buffet,

séquence artistique, puis

chacun navigue d’une table

à une autre pour élargir son

cercle professionnel.

Les jeunes diplômés auront

toutefois plus de chances de

décrocher leur premier job

lors des soirées spéciales

recrutement. Adetel Group,

spécialisé en électronique,

et la société de conseil

en sécurité Lexsi en sont

devenus adeptes, de même

qu’Akka Technologies.

«Les afterworks sont un bon

moyen d’attirer les jeunes

talents dans l’entreprise,

assure Eve Royer, la

directrice recrutement

France de la société de

services en ingénierie

informatique. Nous invitons

les candidats à se regrouper

autour d’un événement

sportif, puis nous organisons

des tables rondes et des

“speed entretiens” d’un quart

d’heure avec nos managers.»

La recette semble plutôt

efficace. La société embauche

en moyenne 10 % des

personnes rencontrées

à ces soirées.

E. C.

Giu

lia

D’a

nna

lupo

Page 31: Campus

30 / Le Monde Campus mardi 13 novembre 2012

U

Les établissements publics misentdésormais sur leur réseau d’anciens élèvespour favoriser l’insertion professionnelledes étudiants et doper les levées de fonds.Mais le processus est laborieux.

Réseaux

Université Paris-Dauphine dansle chic XVIe arrondissement,20 heures. Dans les couloirs du7e étage flotte une forte odeur decigare. Au loin résonne de la mu-sique cubaine. Sur la terrasse sur-plombant Paris, une vingtaine depersonnes discutent, cigare dansune main et verre de rhum dansl’autre. Ce soir, le Club DauphineCigare réunit des anciens.Ici, on discute passion, mais

aussi affaires. « Je suis d’abordvenu pour le cigare, mais je ren-contre des gens intéressants.Alors pourquoi pas faire dunetworking? Nous vivons dansun monde de réseaux», souritBernard Kayat, promo 1989, gé-rant d’une filiale spécialiséedans la tuyauterie industrielle.«C’est utile pour se donner des

contacts, des conseils et desbonnes infos», précise l’avocatAntoine Jacquet, promo 2008,entre deux bouffées. Le club estégalement ouvert aux personnesextérieures, sur invitation.

versités (LRU). «Elle a créé uneautre mission pour les universi-tés : l’insertion professionnelle. Etsavoir ce que les anciens font estdevenu une obligation. Les asso-ciations d’alumni [«élèves» enlatin] ont été vues commeune op-portunité de remplir ces mis-sions», explique Christian Daran-tière, directeur délégué del’Association pour faciliter l’inser-tion professionnelle des jeunesdiplômés (AFIJ).«Notre voulons proposer un

réseau clés en main», confirmeStéphane De Caro, chef de projetà la direction de l’insertionprofessionnelle de l’universitéPierre-et-Marie-Curie (UPMC), àParis. Il espère que les anciensfournissent conseils et contactsaux plus jeunes. «C’est impor-tant pour l’égalité des chances.Et c’est gratuit, contrairementaux réseaux sociaux profession-nels», ajoute t-il.Un carnet d’adresses d’autant

plus précieux qu’avec la crise leréseau a pris de la valeur. PourChristian Darantière, « les uni-versités sont très mal représen-tées dans les réseaux d’entre-prises. Or, depuis 2008, celles-cirecrutent moins par offres d’em-ploi, car il faut gérer les candida-tures. Elles font appel aux ré-

Cigare, mais aussi voile ou bu-siness angels... Dauphine Alum-ni, l’association des anciens deParis-IX, chapeaute une quin-zaine de clubs où actuels et ex-dauphinois se côtoient. L’uni-versité souhaite en tirer partipour développer un réseau d’an-ciens structuré, à la manière desécoles de commerce ou des uni-versités américaines. Formationde haut niveau et esprit de corpslui facilitent la tâche.

Paris-Dauphine n’est pas laseule à s’être lancée dans l’aven-ture. Depuis quelques années,les universités publiques fran-çaises sont de plus en plus nom-breuses à consacrer un service àla mise en place d’un réseaud’anciens. Car il y a du retard àrattraper par rapport aux gran-des écoles hexagonales.Ce nouvel intérêt date de la loi

du 10 août 2007 relative aux li-bertés et responsabilités des uni-

seaux, qui ont un effet filtrant».«Avec la LRU, le réseau des di-

plômés participe aussi du fund-raising [collecte de fonds]»,ajoute Kim-Loan Nguyen, char-gée du réseau des anciens del’université de Cergy-Pon-toise (Val-d’Oise), qui organisetoute l’année forums, débats etapéros networking. La loi a auto-risé les universités à créer desfondations. Leurs projets sont fi-nancés par des levées de fondsauprès d’entreprises et de parti-culiers. «Les anciens sont lamanne des universités, vu le vo-lume d’étudiants qui y sont pas-sés», assure Yaële Aferiat, direc-trice de l’Association françaisedes fundraisers (AFF).Pour Philippe Aghion, profes-

seur d’économie à Harvard, lesanciens étudiants participent aurayonnement de leur établisse-ment de formation. Les universi-tés les mieux classées au plan in-ternational sont souvent cellesqui ont des réseaux d’anciens dé-veloppés. «Ce sont aussi celles quiont mis en place des conseils d’ad-ministration où les anciens jouentun rôle important», ajoute t-il.«Le réseau des anciens nous

permet d’avoir le regard des per-sonnes diplômées sur leur univer-sité, de profiter de leurs conseils,

Université rechercheanciens étudiants

«C’est impoRtantpouRl’égalitédesChanCes.

etC’estgRatuit,ContRaiRement

auxRéseauxsoCiauxpRofessionnels»

StéphaneDeCaro, service insertionde l’université Pierre-et-Marie-Curie, Paris

Page 32: Campus

mardi 13 novembre 2012 Le Monde Campus / 31

Selon une enquête en ligne

publiée en juin 2011 par

CampusFrance, l’agence

nationale pour la promotion

de l’enseignement supérieur,

l’accueil et la mobilité

internationale, 58 % des

116 établissements du supérieur

adhérents ayant répondu (sur

248) ont un réseau d’anciens

étudiants, mais les trois quarts

des universités n’en ont pas

encore. Cependant, toutes ont

répondu qu’elles songeaient à

créer un fichier d’alumni.

Pour les établissements, le

but principal de ce type de ce

réseau est de «mettre en relation

les anciens et les nouveaux

étudiants». Vient ensuite la

volonté de «favoriser l’insertion

professionnelle». La promotion

de la structure hors des murs de

l’université arrive en troisième

position. La possibilité de

recueillir les dons financiers

des anciens n’est pas affichée

comme prioritaire.

Selon les établissements, la

principale motivation attribuée

aux étudiants qui participent

à un réseau d’anciens serait le

souhait de «se constituer un

réseau professionnel» (61%). La

«dimension amicale» n’arrive en

tête des motivations supposées

que dans 20 % des cas.

L. L.

de leur expertise sur un plan na-tional et international», expliqueJean-Marc Jeltsch, vice-présidenten charge des partenariats avecles entreprises à l’université deStrasbourg. Cette dernière s’estlancée depuis janvier 2011 dans lastructuration de son réseaud’alumni, et espère récupérer lescoordonnées de plus de 40 000d’entre eux d’ici 2016.

Sentiment d’appartenanceStrasbourg n’est pas un cas iso-

lé. Depuis 2008, plusieurs univer-sités emploient du personnelpour construire et animer de telsréseaux. Elles ne cachent pas leurssources d’inspiration : «On re-prend des choses qui fonctionnentbien dans les universités améri-caines et dans les grandes écolesfrançaises», explique StéphaneCalipel, vice-président délégué àla communication de l’universitéd’Auvergne (UDA), qui a réussi àattirer 12 000 personnes sur sonréseau virtuel, baptisé UDA Pro.Mais difficile de donner vie à

un réseau d’anciens sans senti-ment d’appartenance. L’universi-té d’Auvergne tente d’en façonnerun. Elle a créé la marque «Madein UDA». «Elle sert de poinçon surles campagnes de communicationet nous montons une boutique

«On met la gomme sur la re-cherche des coordonnées»,confirme Dominique Blanche-cotte, présidente de DauphineAlumni. A l’association, deuxpersonnes se consacrent exclusi-vement à cette mission labo-rieuse, très encadrée par la loi. «Ilfaut que les étudiants aient don-né leur autorisation sur leur fichepour que l’université nous trans-mette leurs données», expliqueDominique Blanchecotte. Un im-pératif problématique pour les«vieux» diplômés, à qui la ques-tion n’a pas été posée.Dauphine Alumni a trouvé

une façon ludique de récupérernoms et adresses mail. «Le jeu“ le réseau, c’est nous ! ” proposeaux dauphinois de retrouverleurs ex-camarades, avec des ca-deaux à la clé», explique Domi-nique Blanchecotte.En 2008, c’est l’UPMC qui avait

innové avec le jeu «Docteur XWanted», pour retrouver ses an-ciens docteurs. «80 %des promo-tions ciblées ont été retrouvées»,souligne Stéphane De Caro. Lejeu a ensuite été élargi à toutel’université. «La propagationd’une idée est toujours plus effi-cace lorsqu’elle se fait via les gensimpliqués», philosophe t-il.

Léonor Lumineau

avec des vêtements, des mugs, desporte-clés portant ce slogan», dé-taille Stéphane Calipel.D’autres universités misent sur

les «rituels». Parmi ceux-ci, la re-mise des diplômes, très soignée àl’université de Cergy-Pontoise.«Nous l’avons entourée d’un céré-monial. Les diplômés sont en toge.Il y a des animations sur le cam-pus. C’est “la” date importantepour les anciens et les étudiants»,explique Kim-Loan Nguyen, laresponsable du réseau.

Mais ces associations se heur-tent à des difficultés spécifiques àl’université. «Le gros problèmeest qu’elles n’avaient pas, au dé-part, de logique d’entretien d’unréseau, et donc pas de fichiers desanciens», souligne Yaële Aferiat,de l’AFF. A Strasbourg, «nousavons juste des noms : nous sa-vons qu’ils ont été chez nous, etpour quel diplôme», expliqueJean-Marc Jeltsch, qui prévoit dixà quinze ans pour récupérer lesdonnées des 400 000 anciens.

Les réseaux d’anciens en chiffres

ALJO

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BLAU/cOm

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Page 33: Campus

32 / Le Monde Campus mardi 13 novembre 2012

H

De nombreux jeunes cadres sont amenésà diriger des seniors, moins diplômésmais plus expérimentés. Quelles sontles clés d’une cohabitation réussie?

Ressources humaines

De quoi contrarier le discoursambiant qui véhicule l’idée d’uneguerre des âges. «Certes, pendantlongtemps, l’entreprise a été unlieu d’apartheid générationnel, re-connaît le sociologue Serge Gué-rin, professeur à l’ESG Manage-ment School à Paris et auteur deLaNouvelle Société des seniors (Mi-chalon, 2011). Les jeunes avaientdu mal à y entrer et les vieux dumal à y rester. Mais la société aévolué. Avec les stages de find’études et le maintien en activitédes seniors, les générations sont deplus en plus amenées à se côtoyer,et force est de constater que ça sepasse plutôt bien.»

L’effet de miroir y est aussipour beaucoup. «Les seniors ac-cordent à leur jeune manageur lerespect qu’ils souhaiteraient qu’onmanifeste à leurs enfants dumême âge, et vice versa.»Directeur du service solutions

répétitives à Schneider ElectricParis, Benoît, 30 ans, inscrit surun grand tableau blanc les objec-

La guerre des âgesn’aura pas lieu

Huit heures trente. Blouseblanche, chaussures de sécurité etcharlotte sur la tête, Vincent, res-ponsable d’une usine agroalimen-taire en Vendée, arrive à la chaînede production pour saluer toutson petit monde : Patrick, Deniseet, bien sûr, Michel, le doyen de labande. Vincent a 33 ans, Michel,55 ans, mais, entre eux, ça a tou-jours été l’entente cordiale.«Dans l’ensemble, les seniors

me donnent moins de fil à re-tordre que les jeunes fraîchementémoulus de l’école, qui ont peul’habitude d’être cadrés, accor-dent une place secondaire au tra-vail et connaissent leurs droitsmieux que leurs devoirs, confie àmi-voix le directeur. Les anciens,eux, nourrissent un profond atta-chement pour leur boutique etrespectent la hiérarchie. Ils saventqu’un patron ne compte pas sesheures et ne gagne pas dix foisleur salaire. D’ailleurs, si on leurproposait la place, aucun d’entreeux n’en voudraient.»

«l’entRepRisea longtemps été

un lieu d’apaRtheidgénéRationnel.mais la société

a évolué»Serge guérin, sociologue

Joan

negrescolor

/les

illustrateurs

Page 34: Campus

mardi 13 novembre 2012 Le Monde Campus / 33

Des destins liés par le contrat de générationAlors que le chômage

des jeunes et des seniors

a particulièrement

augmenté en septembre, le

gouvernement présentera

le 12 décembre un projet

de loi sur les contrats de

génération, dispositif visant

à associer l’embauche de

jeunes au maintien en

activité des seniors, pour un

vote début 2013.

Le contrat de génération

devrait revêtir trois visages

différents selon la taille

des entreprises (moins de

50 salariés, entre 50 et 300,

plus de 300). Il se substituera

aux accords et plans seniors

obligatoires depuis 2010 dans

les entreprises de plus de

50 salariés.

L’accord concernera les

seniors à partir de 55 ans

et les moins de 30 ans, si le

jeune embauché en contrat

à durée indéterminée (CDI)

était déjà en CDD ou en

apprentissage, handicapé ou

doctorant ; 25 ans sinon.

L’entreprise qui recrutera un

jeune en CDI et maintiendra

dans l’emploi un salarié

senior identifié sera liée à

l’Etat par une «convention

de génération».

Les entreprises de moins

de 300 salariés recevront

une aide financière de deux

fois 2 000 euros annuels,

durant trois ans pour le

jeune et jusqu’à la retraite

pour le senior. Au-delà de

300 salariés, les entreprises

seront obligées de conclure

des accords ou des plans,

sous peine de sanction.

Pierre Jullien

bouchons dans les oreilles et en-file son casque. Pendant trois ans,la jolie brunette de 31 ans, a dirigéune équipe de 90 personnes. Unevingtaine d’entre elles avaiententre 50 ans et 55 ans. «Les deuxpremières semaines, ils m’ontbeaucoup observée, un brin mé-fiants. Mais quand ils ont vu que jetenais la route, ils m’ont naturelle-ment intégrée dans le circuit.»

Bien sûr, Amandine n’a paséchappé aux remarques dugenre : «Ecoute, t’es gentille, j’enai vu passer plein des comme toi.Je n’ai jamais courbé l’échinejusqu’à maintenant, et ce n’estpas aujourd’hui que ça va chan-ger.» Certains seniors ont telle-ment peur que les jeunes leur«piquent» leur poste qu’ils es-saient de leur barrer la route.

Pour éviter des conflits de cegenre, Amandine a trouvé l’as-tuce. «Les seniors sont très in-fluents dans une équipe, sou-

ligne-t-elle. Ils détiennent lesavoir-faire, la technique, le re-tour d’expérience. Plutôt que deme les mettre à dos, j’ai choisi dem’appuyer sur eux. Dès lors qu’onleur confie des responsabilités, laplupart sont très faciles à gérer.»

La sociologue Béatrice Delaypartage le même constat dansune étude intitulée «La Trans-mission des savoirs dans l’entre-prise. Construire des espaces decoopération entre les généra-tions au travail» (2006). «S’ils sesentent investis d’une mission deformation auprès des nouveaux,c’est aussi dans l’objectif de “pas-ser le flambeau” et de contribuerà la pérennité de l’activité, la-quelle, en retour, confère du sensà leur propre engagement profes-sionnel, sur le mode : “Si ça conti-nue après nous, on n’aura pastravaillé pour rien.”»

Une solution gagnant-gagnantqui semble faire recette. En avril2011, le groupe de restaurationSodexo France a, lui aussi, signéun accord avec les organisationssyndicales pour promouvoir,entre autres, le tutorat et latransmission du savoir-faireentre générations.

elodie Chermann

travail pour leur montrer qu’ilssont meilleurs qu’eux.

C’est ce qu’a vécu Jean-Phi-lippe, 53 ans, vendeur automo-bile à Toulouse. «J’exerce ce mé-tier depuis trente ans, raconte-t-il.Je maîtrise donc parfaitement lestechniques de questionnement,d’argumentation, de réponse auxobjections et de conclusion. Pour-tant, lorsque le nouveau respon-sable des ventes a pris ses fonc-tions, il m’a obligé à revoir toutesmes méthodes, sous prétexte debooster le chiffre d’affaires. De-puis, nos relations sont glaciales.»

Imposer un système hiérar-chique pyramidal, rien de telpour se tailler une réputationd’arriviste. Plutôt que d’appli-quer des théories toutes faites,mieux vaut donc se laisser letemps d’observer, de com-prendre le mode de fonctionne-ment de l’équipe et d’appréhen-der les différentes personnalitésqui la composent : leurs par-cours, leurs motivations, maisaussi leurs attentes par rapport àla hiérarchie. «Un bonmanageurest comme un caméléon, rappelleBenoît, en se remémorant le dis-cours de ses formateurs en ma-nagement. Il a la capacité d’adap-ter son comportement à chaquecollaborateur. »

«Ecoute, t’es gentille...»Sur le pont dès 6 h 30 du matin,

Amandine, chargée de la régula-tion industrielle à la direction dumatériel de la SNCF, se met des

tifs à atteindre dans l’année. Unsilence religieux règne dans lasalle. «Nous allons devoir amélio-rer de 7 points le net promotorscore [un indice mesurant le tauxde satisfaction des clients]», an-nonce l’ingénieur des Arts et mé-tiers, l’air parfaitement à l’aise.«Aujourd’hui, je ne fais plus dutout attentionà la différence d’âgequi me sépare de certains collè-gues. Mais cela n’a pas toujoursété le cas», avoue-t-il au sortir desa réunion d’équipe.«Quand j’ai pris mon premier

poste de manageur en 2008, monautorité n’était pas du tout natu-relle. Il arrivait d’ailleurs souventque les clients me demandent quiétait mon responsable…» Et pourcause! A tout juste 26 ans, Benoîtétait le plus jeune du service, et deloin. La plupart de ses collèguesavaient autour de 45 ans, l’âge deses parents. «J’avais beau avoir debeaux diplômes et un statut decadre, je me demandais vraimentce que j’allais pouvoir leur appor-ter. Jeme sentais d’autantmoins àl’aise que ma mission de respon-sable édition, logistique et événe-mentiel consistait, entre autres, àremettre les médailles du travailet à accompagner les seniors versle départ à la retraite…»

Avec l’allongement de la duréedes études, nombre de salariés ju-niors se retrouvent ainsi catapul-tés à la tête d’équipes plus âgées,alors qu’ils n’ont aucune expé-rience de management. «Beau-coup manquent de confiance eneux et ont du mal à trouver leurplace, constate Hélène Silvert, for-matrice en management et com-munication. C’est en travaillantsur leur savoir-être qu’ils parvien-nent à gagner en charisme.»

Pour asseoir leur légitimité,certains jeunes manageurs sonttentés de la jouer «copain-co-pain» avec leurs aînés. D’autres,au contraire, se risquent à révolu-tionner toute l’organisation du

Imposerun systèmehIérarchIquepyramIDal,

rIenDe tel pourse taIller

une réputatIonD’arrIvIste

Page 35: Campus

34 / Le Monde Campus mardi 13 novembre 2012

AA La Poste, au Crédit agricole,chez Rhodia, Schneider Electric,France Télécom-Orange, Danoneou Vivendi, une part de la rému-nération des dirigeants est condi-tionnée aux progrès de la «res-ponsabilité sociale» de leurentreprise (RSE).Une aubaine? Une contrainte

supplémentaire? Une nouvelleusine à gaz? Un progrès social?Quoi qu’il en soit, le phénomènese développe. Mais pour associerrémunérations des dirigeants etRSE, il a fallu au préalable la défi-nir et se doter des instrumentsnécessaires à sa mise en place.

Sensibilisation efficaceLa responsabilité sociale des en-

treprises recouvre trois champs :le social, l’environnemental et lesociétal. Du bilan carbone auxéconomies d’eau en passant parla réduction des inégalités de sa-laire, la RSE est une notion assezvague, ce qui a permis à certainesentreprises d’en faire pendant

Formation des salariés, féminisationdes équipes, ou encore économies d’eau...Dans de nombreux grands groupes, le bonusdes cadres est désormais lié aux progrès dela responsabilité sociale de l’entreprise (RSE).

des années un instrument de«greenwashing» (que l’on pour-rait traduire par «peindre envert») pour soigner leur image àpeu de frais.Mais, depuis avril, les entre-

prises cotées se penchent un peuplus sérieusement sur la ques-tion : un décret d’ application dela loi dite du Grenelle de l’envi-ronnement les oblige en effet àinscrire d’ici à 2013 un reportingenvironnemental et sociétal àleur bilan. Et celui-ci est regardéde près par les investisseurs.Convaincues que l’incitation fi-

nancière est la plus efficace despolitiques de sensibilisation auxquestions sociales et environne-mentales, plusieurs entreprisesont intégré des critères RSE dansla part variable de rémunérationdes dirigeants et desmanageurs.«Les entreprises qui souhaitent

inscrire la RSE dans une vision àlong terme ont besoin de l’adhé-sion de leurs salariés», note l’Ob-servatoire sur la responsabilitésociétale des entreprises (ORSE),qui a passé en revue les dé-marches de grands groupes dansce domaine : définition des objec-tifs, choix des critères et des bé-néficiaires, calcul des bonus etarticulation avec la politique deressources humaines.

Pérenniser la démarche RSE oul’intégrer dans la stratégie de l’en-treprise, modifier les comporte-ments, coresponsabiliser les sala-riés, sont autant d’objectifsauxquels répondent autant depolitiques différentes. Le choixde l’une ou l’autre dépendant no-tamment de la maturité de l’en-treprise à l’égard de la RSE.

«Traditionnellement, il y avaitdans les entreprises des indica-teurs sur la santé au travail», rap-pelle François Fatoux, délégué gé-néral de l’ORSE.Mais laRSE couvreun champ beaucoup plus large.Les entreprises ont donc dû défi-nir de nouveaux indicateurs, dé-terminer où ils devaient s’appli-quer (France, Europe, monde?),

La vertu, ça peutrapporter gros

Rémunération

Ne sait pas

15 %

1 %

32 %

N’a pas l’intention d’investir

A déjà investi

Va investir

52 %

Source : Baromètre entreprise « engagement dans le développement durable »de BVA réalisé à la demande du ministère de l’économie, des financeset de l’industrie et du ministère du budget et des comptes publics, juin 2010.

LAMOITIÉ DES PME N’ONT PAS L’INTENTION D’INVESTIRDANS LE DÉVELOPPEMENT DURABLE

Quelle est la position de votre entreprise sur la prise en comptedu développement durable ?en % des PME interrogées

Page 36: Campus

mardi 13 novembre 2012 Le Monde Campus / 35

selon quel calendrier, et enfinfixer la part du salaire qui devaitêtre conditionnée aux indicateursindividuels et collectifs.A La Poste, la mise en place

d’une politique RSE a demandédes mois de consultation préa-lable. Quelque 10 000manageursont été mis à contribution, à rai-son d’une ou deux réunionsmen-suelles en groupe de travail, pourétablir une liste d’indicateurs pos-sibles dont on puisse suivre l’évo-lution sur le long terme.Le groupe a défini des recom-

mandations, puis chaque filiale amené son projet. «La difficulté aété de choisir des critères en lienavec notre stratégie générale, etd’éviter à tout prix les critèresanecdotiques qui décrédibilisent ladémarche auprès de manageurstrès pragmatiques, témoigneLaure Mandaron, déléguée au dé-veloppement durable du groupeLa Poste. Les critères doivent êtremesurables, valoriser les mana-geurs et ne pas être anxiogènes.»Le choix d’un indicateur indivi-

duel ou collectif est déterminantpour l’objectif visé. A France Télé-com-Orange, «la démarche a étéinitiée dans un moment difficile»,rappelle Brigitte Combes di Mar-tino, directrice qualité sociale etprojets RH du groupe. Les valeurssociales de l’entreprise avaient étéébranlées par le programme demobilité professionnelle «Timeto move», qui a précédé une va-gue de suicides en 2008 et 2009.L’objectif était donc de corespon-sabiliser l’ensemble des salariéssur la qualité sociale de l’entre-prise : «Des critères communs ontété déterminés par un collège in-terne pour les 850 principauxcadres dirigeants du groupe», in-diqueMme Combes diMartino.Lapart variable de leur rémuné-

ration dépend depuis 2010 d’uncoefficient multiplicateur consti-tué à 30% de résultats en perfor-mance sociale, à 50% d’objectifsfinanciers (contre 80% aupara-vant) et à 20% de critères de qua-lité de service. Les résultats de laperformance sociale sont mesu-rés pourmoitié à partir d’un baro-mètre de la qualité de vie au tra-vail réalisé tous les six mois au-près des salariés, et pour l’autre

La RSE, un enjeu pour les PMEDavantage que par

obligation, «la

responsabilité sociale

des entreprises se

développera par

capillarité. Les grandes

entreprises l’exigeront

de leurs sous-traitants,

fournisseurs ou

partenaires. Déjà,

certains assureurs

n’acceptent plus

d’entreprises sans

enquête préalable

sur leur RSE»,

affirme Françoise

Savès, présidente de

l’Institut français des

experts-comptables

et des commissaires

aux comptes (IFEC).

Les PME, qui sont

au premier rang des

sous-traitants, auraient

donc tout intérêt à

investir dans la RSE dès

aujourd’hui.

En France, certaines

sont signataires du

Global Compact, en

vertu duquel elles

doivent chaque

année faire état de

leur engagement sur

10 principes universels

qui couvrent les

domaines des droits

de l’homme, des

normes du travail, de

l’environnement et de

la corruption.

Beaucoup prennent

des mesures de bon

sens favorables à

l’environnement

et à leurs salariés.

Les PME s’engagent

davantage que les TPE.

Mais «l’intégration

de la RSE par les PME

reste disparate», note

Frédérique Smadja, qui

vient de rendre une

thèse sur le sujet dans

le cadre d’un MBA sur

le management de la

performance globale.

«Les freins sont

nombreux : manque

de moyens, de

disponibilité,

d’expertise. Mais le

facteur déterminant

est la proximité du

dirigeant avec les

valeurs RSE», a-t-elle

constaté. La RSE, levier

de compétitivité,

est donc toujours

aujourd’hui une

question de conviction.A. R.

moitié selon cinq indicateurs sui-vis par la direction des ressourceshumaines du groupe : le tauxd’absentéisme de courte durée, letaux de féminisation des ins-tances dirigeantes, le taux d’entre-tiens individuels, le taux de sala-riés sans formation au cours destrois dernières années et enfin letaux de départ dans les trois ansaprès l’embauche.Ces critères sont analysés au

niveau national. Ce qui a faitgrincer des dents certains mana-geurs. «Sortir du classement dumeilleur au plus mauvais pourpasser à une logique de corespon-sabilité, voire de solidarité, n’étaitpas naturel, explique BrigitteCombes di Martino. Dans les pre-miers temps, certains manageursne se sentaient concernés que parles résultats de leur entité.»D’autres entreprises ont choisi

d’associer des indicateurs par en-tité ou par fonction avec un réfé-rentiel collectif, afin de garantir lacohésion au niveau du groupetout en adaptant la politique RSEà une logique de métier. C’est lecas de Rhodia (groupe Solvay, in-dustrie chimique) dont les indica-teurs de développement durableont été intégrés dans la part

variable de rémunération de3 000 manageurs en 2011. Santé,sécurité, maîtrise des risques… Legroupe avait déployé dès 2007une série d’objectifs pour l’en-semble du réseau mondial, puischaque entité (entreprise ou fonc-tion) a fixé les siens propres.

«Le fait de lier les 10 %de bonusaux indicateurs RSE aprovoquéunintérêt certain», constate JacquesKheliff, directeur du développe-ment durable de Rhodia. D’autantplus que le groupe applique inci-tations et sanctions. Si, dans uneentité, les objectifs ne sont pas at-teints, les manageurs ne touchent

pas les 10 % de part variable; parexemple, si un accidentmortel in-tervient dans l’entité, ils sont évi-demment perdus; il en est demême si le seuil minimal de l’in-dicateur collectif, baptisé le «Rho-diaWay», n’est pas atteint.Dans les cas étudiés par l’ORSE,

entre 10 % et 30 % de la part va-riable de la rémunération sontconditionnés aux critères RSE, cequi, dans un contexte de crise oùles performances boursières ré-duisent sérieusement les primeset intéressement, n’est pas négli-geable. «Vu le cours boursier et lerésultat net, l’indice Fred a suscitébeaucoup d’intérêt», témoigneJérôme Courcier, responsable dudéveloppement durable au Cré-dit agricole. L’indice Fred, créépar la banque pour mesurer lacréation de valeur sociétale,compte pour un tiers dans la ré-munération variable long termeen actions de performance des650 cadres dirigeants du groupe.De ce travail de pionniers, il est

un peu tôt pour tirer des conclu-sions en termes de progrès social.Les entreprises étudiées estimenttoutefois que «ça marche».Quant aux syndicats, ils saluentune tendance intéressante, quine peut que doper la productivitéet la croissance de l’entreprise,puisqu’elle vise à améliorer lesconditions de travail.Mais, «pour aller au-delà du

greenwashing, il faut associer lessalariés aux réflexions», proposeFranca Salis Madinier, secrétairenationale en charge de la gouver-nance et du RSE à la CFDT-cadres.«Ces démarches RSE seront ver-tueuses si elles sont bien intégréesdans le dialogue social, parexemple en créant un comité RSEincluant des administrateurs sala-riés», renchérit Anne-Marie Mou-rer, élue CFE-CGC au conseil d’ad-ministration de GDF-Suez.Quelles que soient les nouvelles

obligations légales, «le bon baro-mètre de préparation, c’est la pré-sence d’un responsable développe-ment durable au comité dedirection», estime Myriam Boni-face, cofondatrice de Nicomak, so-ciété de conseil et de formation enresponsabilité sociale.

Anne RodieR

«CESdéMaRChESRSESERontvERtuEuSES

Si ELLES SontbiEn intégRéES

danSLEdiaLoguESoCiaL»

Anne-MARie MouReR, élue CFE-CGCau conseil d’administration de GDF-Suez

Page 37: Campus

36 / Le Monde Campus mardi 13 novembre 2012

doss i er

Que vautmon diplômedans unmonde en crise ?En France, en Chine, aux Etats-Unis... Obtenir un premier emploi stable estsouvent une gageure. Pour échapper à la précarité, certains jeunes diplômés

choisissent l’expatriation, une option encore peu exploitée.

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Page 38: Campus

mardi 13 novembre 2012 Le Monde Campus / 37

Beaucoup de genssont partis à l’étran-ger dans les an-nées 1950, en Alle-magne, en Suisse,pour s’en sortir.Mais, avec le retourde la démocratie,nous pensions que

nous ne reverrions jamais ça…», racontaiten juillet José Caballero, 79 ans. Son petit-fils, Alberto Orozco, venait d’avouer qu’ildevrait quitter l’Espagne. La moitié descompagnons d’université d’Alberto, jeuneingénieur madrilène, étaient alors déjàpartis à l’étranger. Confrontés à un tauxde chômage desmoins de 25 ans de 52,9 %,les jeunes Espagnols sont de plus en plusnombreux à franchir le pas de l’expatria-tion. Ils redécouvrent aujourd’hui l’Amé-rique du Sud comme un Eldorado.Avec la hausse du chômage de masse,

«la mobilité professionnelle a connu uneaugmentation au cours des trente der-nières années», notent Richard Duhau-tois, Héloïse Petit et Delphine Remillon,chercheurs du Centre d’études de l’emploiet coauteurs de LaMobilité professionnelle(éd. La Découverte, 128 p., 10 €). Or, la zoneeuro compte 3,4 millions de chômeurs demoins de 25 ans, même si les taux de chô-mage des jeunes font le grand écart entrel’Allemagne (8,1 %) et l’Espagne (52,9 %).La situation de l’emploi des jeunes di-

plômés y est donc critique, mais elle n’estpas encore désespérée – la Grèce et l’Es-pagne mises à part. En France, parexemple, en 2010, 82 % des jeunes diplô-més du supérieur occupaient un emploitrois ans après la fin de leurs études. L’ex-patriation n’intervient que lorsque toutesles autres pistes ont été épuisées. En at-tendant, chacun reste chez soi.

CDD, intérim, contrat aidé...Reste que les conditions d’entrée sur le

marché du travail se sont durcies : lesstages souvent non rémunérés ont rem-placé les périodes d’essai, voire les contratsà durée déterminée (CDD). En France, unjeune sur quatre de moins de 25 ans et ti-tulaire d’un diplôme d’aumoins bac+3 estrecruté en CDD, en intérim ou en contrataidé. Aux Etats-Unis, où le taux de chô-

mage des jeunes atteignait 12,4 % en sep-tembre, l’usage des stages se généralise.Lorsqu’on a envoyé des centaines de CVsans obtenir de réponse, une offre de stageprend facilement les couleurs d’une pro-messe d’embauche… souvent illusoire.La création d’entreprise, parfois préco-

nisée par les pouvoirs publics comme al-ternative au salariat, n’intéresse en Europeque 32 % des jeunes, avec de grandes dis-parités d’un pays à l’autre. Elle séduit da-vantage les Italiens (47 %) et les Britan-niques (35 %) que les Allemands (27 %) oules Français (22 %), indique une enquêtedu cabinet de conseil et de formation Ce-gos, réalisée enmai auprèsde 3000 jeunesEuropéens d’Allemagne, du Royaume-Uni,de France, d’Italie et d’Espagne.

Le poste idéal selon les jeunes sondés setrouve dans les grandes entreprises (ils lespréfèrent à 59 %, contre 31 % pour les pe-tites et moyennes entreprises).

La crise fait logiquement privilégier lastabilité de l’emploi à la rémunération etaux opportunités de carrière, exceptionfaite des Britanniques qui désignent cesdernières comme critère prioritaire dansleur recherche d’une première embauche :il est vrai que, sur le marché du travail bri-tannique, l’idée même de stabilité est de-venue une chimère. En France, la stabilitéde l’emploi est passée du 8e au 1er rang despriorités des jeunes entre 2009 et 2012.«La crise a un impact sur cette généra-

tion qui, lorsqu’elle dispose d’un emploistable, s’y accroche», commente JacquesCoquerel, PDG de Cegos, dans un entre-tien à l’hebdomadaire L’Inffo. Mais, cettefois encore, la stabilité de l’emploi nerime pas avec mobilité : la localisation de

Reste que les conditionsd’entRée suR lemaRché du tRavail

se sont duRcies

Sources : «Atlas des jeunes en France», éditions Autrement 2012 ; Commission européenne

France

Allemagne

Lux.

Belgique

Pays-Bas

Danemark

Islande

NorvègeFinlandeSuède

Irlande

Roy.-UniEstonie

Lituanie

Lettonie

Pologne

SlovaquieRep.Tchèque

HongrieRoumanie

Bulgarie

Grèce

Turquie

CroatieSlovénie

EspagneItaliePortugal

Autriche

Malte Chypre

Nombre d’étudiantsétrangers accueillis

Nombre d’étudiantsnationaux partisà l’étranger

Taux de croissance 2009-2010des échanges erasmus

En %

Baisse

0 à 4

5 à 7

Plus de 7

35 00010 0002 000100

Page 39: Campus

38 / Le Monde Campus mardi 13 novembre 2012

doss i er | unmonde en crise

l’entreprise reste un facteur déterminantlors du recrutement.Pourtant, la mobilité pourrait devenir

une opportunité plutôt qu’un ultime re-cours. «Dans une économie mondiale va-cillante, les entreprises apprécient de pou-voir opérer en souplesse des transfertsd’activité vers des marchés nouveaux etinexploités. Cette nécessité qui s’impose à

elles incite un nombre croissant de multi-nationales à développer des populationssalariées internationalement mobiles etde bon niveau», indique Mariam La-mech, directrice générale de l’associationWorldwide ERC, un centre de ressourcespour la mobilité de la main-d’œuvre auservice des entreprises.Cet organisme a publié le 4 octobre, avec

le cabinet de conseil en ressources hu-maines Towers Watson, une étude sur lagestion des cadres à l’horizon 2021. Selonses conclusions, la demande mondiale detalents sera en forte hausse d’ici dix ans,particulièrement enAsie, auMoyen-Orientet en Amérique du Sud, avec des métiersqui changent au rythme des évolutionstechnologiques et de lamondialisation.Les jeunes diplômés, qui sont les

cadres de demain, devraient donc rapide-ment adhérer à la mobilité pour profiterdès les cinq prochaines années des op-portunités de plus en plus nombreusesdans les pays émergents, alors que lacroissance des économies occidentalessemble durablement atone.

Vers plus de mobilitéCette suggestion est avancée à la fois

par les directions de ressources humaineset par les dirigeants politiques à la re-cherche de réponses au chômage desjeunes, devenu un véritable fléau. Denombreuses entreprises travaillentd’ailleurs directement avec les gouverne-ments pour simplifier la mobilité géogra-phique de leurs salariés ou la formationinternationale des étudiants.Mais l’adaptation à la culture, à la langue

et la situation familiale demeurent desfreins importants à cette mobilité. C’estpourquoi les échanges internationaux en

cours de cursus représentent un atoutconsidérable pour les futurs diplômés.Pour les étudiants des pays émergents, lamobilité est devenue une norme d’inté-gration sociale et professionnelle. Lenombre de jeunes Chinois qui partentétudier à l’étranger a ainsi augmenté de24 % par an ces trois dernières années.

Entre 2009 et 2011, les échanges Eras-mus ont augmenté de plus de 7 % auRoyaume-Uni, en Espagne, en Italie et enSuède. Le nombre d’étudiants concernéspar ce programme communautaired’échanges entre les différentes universi-tés et grandes écoles européennes est pas-sé, sur la même période, de 160 000 à180 000. La remise en cause du finance-ment d’Erasmus en raison des restrictionsbudgétaires envisagées par les Etatsmembres de l’Union européenne serait àcet égard une catastrophe.A plus long terme, le rapport entre la

demande et l’offre de compétences aurachangé. «Dans le futur, les marchés ma-tures vont manquer de main-d’œuvrequalifiée», explique Fanny Potier-Ko-ninckx, directrice de la gestion globaledes talents chez Towers Watson. Parailleurs, les technologies de l’informationet de la communication vont faciliter deplus en plus le travail à distance, toutcomme la gestion à distance des compé-tences et des performances par les entre-prises. Les salariés qualifiés seront ainsi enmesure de vendre leurs compétences auplus offrant sur un marché mondialisé.Sansmême avoir à quitter le sol natal !

Anne RodieR

Les opportunités serontde pLus en pLus nombreusesdans Les pays émergents

Famille, travail, amis : les priorités des 20-30 ansEn EuropE, la famillE est dans

le trio de tête des valeurs

importantes pour 86 % des

jeunes (73 % la définissent

même comme leur priorité),

le travail n’arrivant qu’en

seconde position (59 %),

indique l’Observatoire Cegos

dans une étude réalisée en

mai auprès de 3 000 actifs

âgés de 20 ans à 30 ans

dans cinq pays européens

(Allemagne, France, Espagne,

Italie, Royaume-Uni).

En France, «les attentes

matérielles sont passées

au second plan, derrière

la réalisation de soi et

la qualité des relations

interpersonnelles», indiquait

déjà en 2008 l’«enquête

valeurs» réalisée pour

l’Institut national de la

jeunesse et de l’éducation

populaire (Injep). La crise n’y

a rien changé : les 20-30 ans

travaillent avant tout pour

gagner leur vie (83 % en

Europe, 93 % en France). Ils

exercent aussi leur métier

pour se réaliser (53%)

et développer leurs

compétences (48%).

La nouveauté est que les

jeunes Européens s’appuient

aujourd’hui davantage sur

leur réseau d’amis, jugé

«important» par 50 % d’entre

eux, selon l’enquête Cegos.

En France en particulier, les

amis (55 %) arrivent avant le

travail (51 %). «Les relations

amicales sont devenues

fondamentales et prennent

la forme d’un réseau d’amis

cooptés et interconnectés

en permanence», remarque

Virginie Loye, responsable

des formations ressources

humaines de Cegos.A. R.

JEUNES DIPLÔMÉS SORTANTDE L’ENSEIGNEMENT SUPÉRIEUR,ÉLOIGNÉS DE L’EMPLOI*en %

JEUNES DIPLÔMÉS SORTANTDE L’ENSEIGNEMENT SUPÉRIEUR,EN EMPLOI STABLE*en %

1,9

2,5

3,5

5

7,1

*Ayant travaillé moins de six mois au coursdes trois premières années d’activité

*Ayant travaillé sous contrat à durée indéterminéeou durant une période ininterrompue de dix-huit moisau cours des trois premières années d’activité

Source : Cereq, « Quand l’école est finie...Premiers pas dans la vie active de la génération 2004 », 2008

45,7

53

59

62

66,3

Page 40: Campus

mardi 13 novembre 2012 Le Monde Campus / 39mardi 13 novembre 2012 Le Monde Campus / 39

unmonde en crise | doss i er

L’Amérique de l’après-crise n’est pas tendrepour les nouveaux arrivants sur lemarchédu travail. Face au chômage, à la baissedes salaires, même sortir d’une universitéprestigieuse n’est plus une garantie.

Dans les débris du rêve américain

New York, correspondance

En mai 2011, Ericka, une ambi-tieuse jeune femme de 27 ans, afièrement décroché son MBA(Master of Business Administra-tion) à l’université Columbia de

New York. Depuis, elle cherche, avec deplus en plus d’impatience, l’emploi decadre supérieur que sa prestigieuse écolelui permettait d’espérer. « J’ai eu une ving-taine d’entretiens, dit-elle. J’ai envoyé150 CV, et toujours rien.»Ericka a étendu ses recherches à l’en-

semble des Etats-Unis. Elle préférait audépart l’industrie des médias et du diver-tissement, mais, aujourd’hui, elle se ditprête à travailler dans les services finan-ciers, la santé, l’univers des consultants...«On se sent rejetée, décrit-elle, mes nerfssont en pelote.» Et d’invoquer la reprise

tropmolle de l’économie. «Il y a des tas degens qui postulent pour les mêmes em-plois, et ce sont toujours les plus expéri-mentés qui sont choisis. Si j’avais su, j’au-rais travaillé plus longtemps avant decommencer mon MBA.»

Economie fragilePour tenir le coup financièrement, Eric-

ka est retournée vivre chez samère en Ca-lifornie. Elle s’occupe en animant un blog,Thebeautydossiers.com, et en écrivant leroman d’une jeune femme, célibataire...au chômage. L’histoire d’Ericka n’est mal-heureusement pas originale. L’économie,fragile, ne produit pas assez d’emploisqualifiés pour répondre au rêve améri-cain de la «génération Y».Trois professeurs du John Heldrich Cen-

ter forWorkforceDevelopmentde l’univer-

sité Rutgers (New Jersey) ont réalisé uneenquête sur les diplômés du supérieur de2006 à 2011. Parmi les 444 ex-étudiantssondés, les trois quarts ont eu un premieremploi depuis l’obtention de leur diplôme.Mais leur carrière est loin d’être toute tra-cée. La moitié d’entre eux seulement oc-cupe aujourd’hui un poste à temps plein,26% sont à temps partiel, 12% sont au chô-mage et les autres sont repartis à l’école,perfectionner leurs connaissances.

Plusieurs indices montrent l’insatisfac-tion des intéressés, même quand ils ontun emploi. La moitié d’entre eux sont dé-çus par leur salaire : ils avaient comptésur plus au sortir de l’école. Quatre sondés

même quand ils ont un emploi,lamoitié des jeunes diplômés sondés

sont déçus par leur salaire

Giu

lia

d’a

nna

lupo

Page 41: Campus

40 / Le Monde Campus mardi 13 novembre 201240 / Le Monde Campus mardi 13 novembre 2012

doss i er | un monde en crise

sur dix estiment avoir pris un poste n’exi-geant pas quatre ans d’études. Ils se sen-tent sous-employés. Et 25 % exercent unmétier en dehors de leur compétence.«La chasse au rêve américain» – c’est le

titre de l’étude de l’université Rutgers – seheurte à de dures réalités. Pourtant, les en-fants de l’Oncle Samy croient encore. «AuxEtats-Unis, le diplôme universitaire amènetoujours d’incroyables avantages, déclareJen Mishory, le directeur adjoint de YoungInvincibles, une association qui représenteles intérêts des 18-34 ans à Washington. Laproportion des chômeurs est bien pire par-mi les personnes sans diplôme.» De fait,l’US Bureau of Labor Statistics, l’Insee amé-ricaine, annonçait en septembre 2012 untaux de chômage pour l’ensemble des 20-24 ans de 12,4 %, alors que le taux de chô-mage, évalué annuellement, des titulairesd’un bachelor degree – qui ont suivi avecsuccès quatre ans d’études – était de 9 %.Il n’empêche, la quête d’un emploi peut

se révéler désespérante. Kevin Flowers estsorti de la faculté de droit de Dayton, enOhio, en 2006. L’année suivante, il a réussi

le concours pour devenir avocat en Cali-fornie et en 2008, il récidivait dans l’Ohio.En vain. Il a envoyé 250 CV par mois auxcabinets juridiques de Californie, au mo-ment où les professionnels de Los Angelesrenvoyaient 1 500 avocats. Il a essayé d’ou-vrir son propre cabinet mais il a vite dé-chanté : il y avait une liste d’attente decinq ans pour les avocats commis d’officeau palais de justice. Le voilà donc au-jourd’hui sans emploi, de retour chez sesparents, avec 250000dollars (192 000 eu-ros) de prêts étudiants à rembourser. Etpas question de tenter sa chance derrièrele comptoir de McDonald’s. Le groupe abien trop peur d’être poursuivi en justicepar un salarié surqualifié.

«Nous ne sommes plus officiellement enrécession, dit Linda Barrington, professeurà la School of Industrial and Labor Rela-tions (ILR) de l’université Cornell, àNew York. Mais les embauches ne sont tou-jours pas là. La crise économique actuellene peut donc pas être comparée à la sévèrerécession des années 1980 qui avait, elle, étésuivie par une reprise rapide.»Cette fois-ci, les offres d’emploi sont

non seulement plus rares, mais les sa-laires moins généreux. Une étude réaliséepar l’Economic Policy Institute, un thinktank basé à Washington, atteste d’unebaisse de 5,2 % des salaires des jeuneshommes diplômés sur la période 2007-2011. Pour les femmes, le recul est légère-

mentmoindre (4,4 %). L’enquête des cher-cheurs de l’université Rutgers remarquela même tendance. Avant la récession, lafiche de paie annuelle moyenne d’un pre-mier emploi s’élevait à 30 000 dollars. De-puis, elle est tombée à 27 000 dollars. Et,renchérit Linda Barrington, «il faudra aumoins quinze ans pour rattraper le retardpris en début de carrière.»

Comment alors naviguer au mieux parces temps difficiles? Linda Barringtonconstate la montée en puissance du phé-nomène des stages : «L’employeur neprend pas de risques. Il utilise les stagesgratuits pour selectionner les candidats.»C’est en jouant cette carte qu’Hayleigh Co-lombo, 22 ans, a décroché son premierposte de reporter économique au Lafa-yette Journal and Courier : «J’ai commencél’université Butler, dans l’Indiana, à l’au-tomne 2008, une époque très incertaine, sesouvient-elle. Pire encore, je voulais mefaire une place dans une industrie qu’on di-sait mourante. Je savais que ce ne serait pasune simple promenade dans le parc.»Hayleigh s’est battue. Dès la deuxième

année de fac, elle alignait un premier stageà Indianapolis. Elle en a ensuite enchaînéquatre autres, dans unmagazine politique,un journal d’affaires, une entreprise de re-lationspubliques et un journal dans leWis-consin. Elle en a tant fait que, deux moisavant la fin de l’université, le LafayetteJournal and Courier lui faisait une offre.Anne Dancy, 23 ans, ancienne élève en

ingénierie biomédicale de l’universitétechnologique duMichigan (MTU), a aussisu tirer profit de son staged’été chezChrys-ler : «J’ai travaillé sur la reconnaissance vo-cale dans les voitures. Cela m’a mis le pied àl’étrier.» La direction du constructeur auto-mobile, emballée, lui a proposé un posteun an avant son diplôme. Elle travaille au-jourd’hui sur le nouveau véhicule de lamarque Ram, pour un salaire annuel de60 000 dollars. Et elle poursuit ses étudesà l’université aux frais de son employeur.Le rêve américain perdure. Quandmême.

Caroline TalboT

Aux Etats-Unis, l’endettement écrase les étudiantsPour financer leurs coûteuses

études, les jeunes Américains

ont de plus en plus recours

à l’emprunt. Selon les

chiffres les plus récents de

l’Institute for College Access

and Success, deux tiers des

étudiants diplômés en 2010

avaient emprunté. Et la

dette moyenne atteignait

25 250 dollars ( 19 500 euros ),

soit 5 % de plus qu’en 2009.

«Les étudiants des universités

publiques sont un petit peu

moins touchés. Leur fardeau

est de 20 000 dollars en

moyenne», explique Rachel

Fishman, analyste à la New

America Foundation.

La note reste tout de même

salée, et ce pour beaucoup

de personnes. L’association

Young Invincibles a ainsi

calculé que les mille

milliards de dollars de

dettes étudiantes concernait

39 millions de citoyens de

tous âges. «L’étudiant typique

met dix ans à rembourser

ses prêts, dit Jen Mishory,

directeur adjoint de Young

Invincibles. Il aura tendance

à remettre à plus tard l’achat

d’une maison, ou d’une

voiture.» Et si ce même

étudiant ne trouve pas

rapidement un emploi bien

payé, sa situation devient

vite précaire.

Les Américains disposent

de deux types de prêts : les

prêts fédéraux soutenus

par l’Etat et les prêts

privés. Les premiers

sont les plus souples.

L’étudiant ne commence

ses remboursements que

six mois après la fin de

l’université et, souligne

Rachel Fishman, «ses

mensualités sont calculées en

fonction de son revenu». Le

prêt privé, en revanche, est

moins modulable.

Et, au cas où l’étudiant se

retrouve au chômage, pas

question pour lui d’éliminer

sa dette en se déclarant en

faillite, une option pourtant

accessible aux autres

catégories de citoyens. Une

loi, votée par les républicains

sous la pression du lobby

bancaire, l’en empêche

depuis 2005.

Si Barack Obama n’a rien

fait jusqu’à maintenant pour

modifier la donne, l’abolition

du texte est désormais

inscrite dans le programme

du candidat démocrate.C. T.

PAs qUEstion dE tEntEr sA chAncEà McdonAld’s. lE groUPE A biEn troP

PEUr d’êtrE PoUrsUivi En jUsticEPAr Un sAlArié sUrqUAlifié

Page 42: Campus

mardi 13 novembre 2012 Le Monde Campus / 41

un monde en crise | doss i er

«Rentrer au pays» reste l’objectif des jeunesTunisiens exilés pour suivre leur cursusuniversitaire. Mais comment composeravec un marché du travail souvent inadaptéà leur formation et leurs aspirations?

Le difficile retour en Tunisiedes jeunes partis pour étudierTunis, correspondance

L ’envie de rentrer, latente, s’estfaite pressante avec la révolu-tion. Après un master à Paris-Dauphine et une première ex-périence de quatre ans dans le

conseil en management, Selim Kharrat asauté le pas cet été : il a démissionnépour prendre la direction d’une ONG ba-sée à Tunis, Al-Bawsala, spécialisée dansle soutien au processus démocratique.Lui qui n’avait « pas l’ambition de resteren France » y a finalement passé huit ans.Mais, « par rapport à une Europe en crise,j’ai senti que le champ des possibilitésétait désormais plus grand en Tunisie »,explique le jeune homme de 31 ans.Six mille Tunisiens partent chaque an-

née étudier en France, ce qui en fait leurpremière destination universitaire. Une«tradition de l’excellence», souligne SaïdAïdi, ministre de l’emploi dans le premiergouvernement post-révolution. Mais, lesétudes terminées, le retour sur le marchédu travail tunisien n’est pas sans en-combres. Quand rentrer, comment trou-

ver un emploi à la hauteur des attentes?Ces questions préoccupent une majoritéde ces jeunes qui, souvent, attendent dese ménager un bon site d’atterrissage.

«C’est très rare que les gens reviennenttout de suite. En général, ils restent aumoins trois, quatre ans, pour acquérir unepremière expérience professionnelle», noteAmine Aloulou, ancien d’AgroParisTech etmembre de l’Association des Tunisiens desgrandes écoles (ATUGE), qui fédère4 000 anciens élèves. Pourtant, poursuit-il, «90 % disent vouloir rentrer, même sicela reste parfois longtemps à l’état de fan-

Selim Kharrat n’avait«paS l’ambition de reSter enFrance». il y a paSSé huit anS

freddy

martin

Page 43: Campus

42 / Le Monde Campus mardi 13 novembre 2012

doss i er | unmonde en crise

Dans le tissu des entreprises tunisiennes,essentiellement composé de PME, «peut-être une quarantaine seulement ont la struc-ture, l’encadrement, l’organisation et laculture nécessaires pour faire évoluer cesjeunes», reconnaît Amine Aloulou. Parmiles secteurs qui absorbent un peu de hautescompétences, quelques fleurons nationaux,les banques, les grands groupes publics quise restructurent, les multinationales.

Quant à la fonction publique, «c’estmort», tranche Amine Aloulou : «La no-tion de grand corps de l’Etat n’existe paset on ne peut pas y faire carrière. » Pour-tant, la filière «grandes écoles» a été créée,dans les années 1960, pour fournir leshauts cadres dont le jeune pays avait be-soin. A l’époque, « tout le monde rentraitdès la fin des études, avec un poste qui at-tendait», raconte Amine Aloulou. Depuis,la crème des bacheliers et des élèves prépacontinue de partir, avec une bourse. «Maispersonne ne les appelle à rentrer. »

«L’éLément décLencheur n’est pasprofessionneL, c’est unmariage,

une naissance»Amine Aloulou, ex-étudiant d’AgroParisTech

tasme». Souvent, «l’élément déclencheurn’est pas professionnel, c’est un mariage,une naissance». Ceux qui rentrent vitesont aussi «ceux qui ont des facilités, quipeuvent intégrer l’entreprise familiale».

C’est le cas de Molka et Emna Taktak. Lesdeux sœurs, parties respectivement àLondres et Paris, sont revenues au bercailsitôt leurs études terminées. «Nous étionsles seules dans nos promos dans ce cas»,souligne Emna, attachée à sa famille et à saqualité de vie en Tunisie. Molka, elle, s’estmariée. Toutes deux viennent de commen-cer à travailler dans l’hôtel de leur père.

Elles n’ont pour le moment «ni fonc-tion précise ni salaire», mais s’en accom-modent. «Le travail est intéressant et lesperspectives claires», souligne Molka.«Même si tu n’es pas très bien payé, tu faisgrandir un projet, ajoute Emna. De toutefaçon, en Tunisie, la rémunération n’estpas proportionnelle aux diplômes. Ils nesont pas valorisés, c’est frustrant.» C’estd’ailleurs pour ça qu’une majorité deleurs compatriotes et camarades de classe«ont fait le choix de rester» à l’étranger.

«On a tous envie de rentrer, tôt outard». Diplômée d’une grande école, Me-riem est revenue en Tunisie en fé-vrier 2012 après trois ans dans la finance,pensant que la révolution apporteraitson lot d’opportunités. L’expérience atourné court. Sept mois plus tard, elle aregagné Paris. « J’ai ressenti un décalagepar rapport à ce que j’attends du mondeprofessionnel : il n’y a pas de services deressources humaines, les postes ne sontpas bien définis et on a l’impression querien n’est sûr par rapport aux engage-ments de recrutement», détaille-t-elle.

La jeune femme n’envisage pas de re-tenter sa chance avant plusieurs années :«Les employeurs étaient intéressés parmon profil “grande école ”. Mais ils ne sa-vaient pas vraiment où me mettre, car jesuis encore junior. D’habitude, ceux quirentrent ont dix ou quinze ans d’expé-rience et reviennent pour occuper despostes à responsabilités. »

dans le public commedans le privé, le règne du pistonLes tunisiens ont tous dans leur

entourage quelqu’un qui a trouvé

un job grâce à ses relations. «On

engage quelqu’un qu’on connaît,

pour des questions de confiance et

parce qu’on s’aide beaucoup entre

Tunisiens. Genre, si j’aide ton

cousin un jour, tu pourras m’aider

pour des papiers plus tard»,

détaille une diplômée.

La pratique est courante aussi

bien dans le secteur privé que

dans la fonction publique, que

beaucoup de jeunes rêvent

d’intégrer. Karim parle dumaire

de son village «qui a placé son

fils dans la douane», du cousin

«entré dans la police judiciaire

par des pots-de-vin».

«Beaucoup de mes amis

travaillent dans des entreprises

publiques grâce à leur père,

un ami de leur père ou, avant,

grâce au RCD [l’ex-parti d’Etat de

Ben Ali]», ajoute Rafaâ, 23 ans,

diplômé en imagerie médicale.

Un autre jeune homme raconte

sans grands complexes comment

il a lui-même eu recours aux

«épaules», selon l’expression

consacrée : «A l’époque de Ben Ali,

je connaissais la famille d’un

ministre, originaire de ma région.

Il était rentré pour les fêtes de

l’Aïd. Je suis allé le voir, il m’a

trouvé un poste de chef de service

dans l’administration.» «Quand

on se noie, on s’accroche même à

une paille», se justifie-t-il.

Pour Wided, la galère a

commencé juste après la

révolution, quand sa société,

une entreprise d’accueil de VIP à

l’aéroport et propriété de proches

de Ben Ali, a été confisquée par

l’Etat et s’est débarrassée de ses

précaires. Depuis, elle essaie

tout. Elle a décroché une licence

pour ouvrir un cybercafé et

cherche un local. Elle fait aussi

un stage dans une compagnie

d’assurances pour, peut-être,

un jour, avoir une franchise, car

«tous ceux qui l’obtiennent, c’est

par connaissances».

La jeune femme a même essayé

de jouer le jeu du piston. «Une

fois, à l’aéroport, je n’ai pas fait

payer le directeur d’une société

publique, pensant qu’il pourrait

m’aider. Quand je suis allée le

voir à son bureau, il m’a fait des

avances», raconte-t-elle, dégoûtée

qu’«en Tunisie, les compétences

ne représentent rien».

Ce lundi matin, au bureau

d’emploi des cadres de Tunis,

Wided vient déposer un dossier

de candidature à la fonction

publique. Le «trentième»,

compte-t-elle. Après la

révolution, les autorités ont

lancé de multiples concours :

34 000 personnes ont été

recrutées en 2011 ; 25 000

doivent l’être en 2012.

En 2008, le résultat d’un

concours de recrutement pour

la Compagnie des phosphates

de Gafsa (CPG), quasiment la

seule industrie dans cette région

du Sud, avait déclenché six

mois d’émeutes. Les habitants

dénonçaient alors les passe-droits

dont avaient bénéficié les enfants

de syndicalistes et de cadres

locaux du RCD.

«Ceux qui ne connaissaient

pas de responsables ou qui

n’achetaient pas leur poste

n’avaient aucune chance»,

confirme Hédi Triki, chargé de

mission auministère de l’emploi.

Sa mission, justement : faire le

tri parmi les 45 000 candidats

aux 6 000 postes ouverts à la

CPG. Les premiers résultats,

publiés fin 2011, ont engendré de

violentes protestations, les jeunes

ayant décelé des injustices. Les

autorités ont fait preuve de bonne

volonté et les nouvelles décisions,

connues depuis septembre,

semblent mieux acceptées.e. A.

«La meilleure façon d’exercer en Tuni-sie, c’est de créer son entreprise», aconclu,pour sa part, Elyès Jeribi. Ce polytechniciende 30 ans vient de lancer une start-up dansl’e-commerce, un pied en France, un pieden Tunisie. Le projet s’est concrétisé dansla foulée de la révolution, qui a précipitéson retour : le jeune homme a intégréquelques mois le cabinet d’un ministre.

Si la chute du régime de Ben Ali a suscitéun enthousiasme, «il ne s’est pas concrétisédans la durée, remarque Saïd Aïdi. Faceaux difficultés économiques et à l’instabili-té politique, la prudence a repris le pas.»

elodie AuffrAy

Page 44: Campus

mardi 13 novembre 2012 Le Monde Campus / 43

QQuelle est la situation des jeunesdiplômés égyptiens, un an aprèsla révolution?Avant deparler de la situationdes jeunes, ilfaut noter que le taux de chômage dans lepays a atteint 12,6%audeuxième trimestrede 2012, contre 11,8 % en 2011, selon leschiffres officiels. Le plus alarmant est effec-tivement la situation des jeunes : entre 20et 24 ans, le taux de chômage est de 41% et,de 25 à 29 ans, il est de 25,3 %. Cette situa-tion est surtout due à la crise des secteursdu tourisme et de la construction, viviersd’emplois traditionnels pour les jeunes.Dans le cas des diplômés, nous observonsun rallongement de la période de re-cherche d’emploi, qui, avant la révolution,pouvait déjà atteindre trente-sixmois. Celaen force certains à se diriger vers les em-plois du secteur informel. Sans contrat detravail, ils ne bénéficient pas de couverturesociale. Le phénomène est en forte haussedepuis la révolution. Les autres acceptentdes postes inférieurs à leurs qualificationset donc des salairesmoindres.Une dernière option possible pour entrersur le marché du travail est l’émigration.En 2009, 30%des jeunes diplômés souhai-taient déjà quitter le pays. Peu y parvien-nent. Car, pour s’installer dans les pays duGolfe, il faut un contrat signé, et l’émigra-tion en Europe est très coûteuse.Cette précarité des jeunes est source defrustration. Beaucoup dépendent de leursparents pour survivre et doivent parfoisreporter leurs projets de mariage et d’ins-

Ragui Assaad est professeur de politiquepublique à l’université duMinnesota.Il dirige également le département travailet ressources humaines de l’EconomicResearch Forum au Caire, à l’origined’une enquête annuelle sur lemarchédu travail en Egypte.

Entretien avec Ragui AssaadLa révolutionn’a fait

qu’accentuer les problèmesd’emploi des jeunes Egyptiens »

tallation. Si l’ensemble de ces problèmesexistait auparavant, la révolution n’a faitque les accentuer.Le chômage des jeunes est un problèmeendémique, pourquoi?Dans les pays arabes, 90 % des chômeursn’ont jamais travaillé, et 80%ontmoins de30 ans. Cela montre que le chômage desjeunes est principalement un problèmed’insertion. La première explication est larigidité de la législation qui encadre le tra-vail : licencier un salarié est très difficile etextrêmement mal perçu en Egypte. Lesemployeurs sont donc très frileux et préfè-rent ne pas se risquer à embaucher sans enavoir le besoin impérieux.

Un autre obstacle est la qualité des di-plômes délivrés. La plupart des étudiants àl’université atteignent le niveau bac+4, ilsne sont donc pas sous-diplômés. Mais lesétudes ne garantissent pas un emploi, bienau contraire. Les détenteurs de diplômesintermédiaires, universitaires et post-uni-versitaires sont les plus frappés par le chô-mage : huit sur dix ne trouvent pas d’em-ploi, selon les sources officielles.Le problème est que le niveau de l’ensei-gnement laisse souvent à désirer : les com-pétences ne correspondent pas aux at-tentes des recruteurs. Le récent succès desinstituts techniques privés tend égalementà tirer le niveau général vers le bas, car il y apeu de contrôle.La situation des jeunes femmesdiplômées est-elle différente?En ce qui concerne les femmes, les chiffresparlent d’eux-mêmes : leur taux de chô-mage, 24,1 %, est presque le triple de celuides hommes (9,2 %). Depuis la révolution,

le problème s’aggrave, surtout chez les plusdiplômées. Elles sont nombreuses à tra-vailler dans le secteur public, mais beau-coup arrêtent leur carrière après leur ma-riage. Leur proportion est en baisseconstante dans le secteur privé, une baisseaccentuée par la contraction générale dumarché du travail. Quand les hommes setournent vers le secteur informel, il est trèsmal vu pour les femmes d’occuper desmé-tiers nondéclarés pourdes raisonsde sécu-rité et de bienséance. Face à ces obstacles,beaucoup de jeunes diplômées ne cher-chentmême plus de travail.Quellesmesures préconisez-vous?Je pense que le marché du travail va re-prendre, mais cela peut prendre du temps.Pour tenter d’endiguer le phénomène, legouvernement a récemment annoncé larequalification enCDI de tous les CDDde lafonction publique, ce qui correspond à en-viron un million de personnes. Mais jepense que cela va entraîner l’inverse de l’ef-fet escompté : cette mesure pousse lesjeunes à postuler dans l’administration età bouder le secteur privé, qui offre pour-tant davantaged’opportunités. Ce qui, fina-lement, va augmenter le chômage.Le gouvernement devrait s’allier aux en-treprises pour faciliter les embauchesdans le secteur privé, avec par exempledes réductions d’impôts ou des subven-tions. Car, aujourd’hui, ce secteur est malvu : en 2003, une loi a renforcé la flexibi-lité des contrats, et a autorisé ainsi le re-nouvellement à l’infini des CDD. EnEgypte, près de 3 % des adultes en âge detravailler arrivent sur le marché du travailchaque année, ce qui est une proportionénorme. Il faut trouver un moyen de lesabsorber coûte que coûte.

ProPos recueillis Par camille Février,Beyrouth (liBan ), corresPondance

«lE tAux dE chômAgE dAns lE pAysA AttEint 12,6 % Au dEuxièmE tRimEstRE

dE 2012, contRE 11,8 % l’An dERniER»

Page 45: Campus

44 / Le Monde Campus mardi 13 novembre 2012

doss i er | unmonde en crise

Shanghaï, correspondance

C haque mardi soir sur Jiang-su TV, des candidats se relaientpendant une heure devant dix-huit juges. A la différenced’autres programmes, il ne

s’agit pas d’exhiber ses talents musicauxmais de présenter son CV, poussé par leprésentateur, Li Xiang.Produite depuis 2010, l’émission, bapti-

sée «Zhilai zhiwang», «Les jobs, ça va, çavient», rencontre un franc succès dansun pays où le marché de l’emploi devientde plus en plus compétitif. Les examina-teurs vont du gestionnaire de grand hôtelau rédacteur en chef de magazine devoyage, en passant par de hauts respon-sables des ressources humaines du géant

du web Sina ou de Starbucks.Malgré le ralentissement de sa crois-

sance, l’économie chinoise continue denourrir un fort besoin demain-d’oeuvre :douze millions d’emplois ont été créésen 2011, selon les chiffres officiels. Iln’empêche que les diplômés de la géné-ration «enfant unique», sur lesquels lafamille mise tous ses espoirs et ses éco-nomies, doivent savoir se vendre. « Ils nes’attendent nullement à ce que ce soit ga-gné d’avance, ils savent que le marché estdur», constate Dominic Johnson-Hill,connu en Chine pour ses boutiques detee-shirts branchés et membre du jurydepuis la première émission.A l’embauche, l’épreuve de la pratique

est la première barrière. « Ils ont étudié du-rement, leurs connaissances sont bonnes,mais le système éducatif se focalise sur la

Passer un entretien devant des millionsde téléspectateurs, tel est est le conceptd’une émission de télé-réalité très populaireen Chine. Et pour cause : le marché du travaily devient de plus en plus compétitif.

«leurs connaissances sontbonnes, mais ilsmanquent

parfois de créativité»Dominic Johnson-hill, jury de l’émission

de télé-réalité «Zhilai zhiwang»

Les Chinois se lancentdans le grand show de l’emploi

mémorisation et ils manquent parfois decréativité. Nous cherchons également descompétences sociales, pas juste un robotqui a travaillé au maximum», dit l’entre-preneur d’origine britannique.Selon une étude publiée par le Quoti-

dien de la jeunesse, 69 % des premièresembauches à la sortie de l’université sefont en dessous de 2 000 yuans (247 eu-ros) par mois. De tels salaires placent lesjeunes cols blancs presque au niveau desouvriers d’usine, douchant leurs espoirsd’ascension rapide grâce à l’éducation. Cesjeunes, qualifiés mais toujours pas aisés,sont surnommés la «tribu des fourmis».

Ils n’ont pas les moyens de résider dans lecentre-ville moderne où ils travaillent etsont ainsi contraints de rentrer le soir dansdes chambres exiguës de quartiers péri-phériques, généralement perçus commele lieu de vie des ruraux peu qualifiés fraî-chement débarqués.

Les temps sont difficiles«Trouver un emploi n’est pas si difficile

en soi après de bonnes études, mais denombreux jeunes peinent ensuite à joindreles deux bouts», constate M. Johnson-Hill.Même pour l’élite issue de l’universitéTsinghua de Pékin, régulièrement classéepremière du pays, le premier salaire est enmoyenne de 2 719 yuans, c’est à diremoinsqu’une partie des ouvriers qui cumulentles heures supplémentaires sur les lignesd’assemblage des iPhones, chez Foxconn.Les temps sont difficiles aussi pour Liu

Hanzhao, un ancien élève de l’académiedes arts dramatiques de la province duJiangsu, dans l’est du pays. Il peine à trou-ver des opportunités,même s’il sait jouer,chanter et animer des émissions de télé-vision à son tour : «Certains de mes amisme surnomment multi-tâches», se dé-fend-il devant l’audience.Les attentes des futurs employés par

rapport à leur travail ont aussi évolué. «Ily a bien sûr des interrogations communes,telles que le salaire, la couverture sociale etla pénibilité. Mais, au-delà de ces préoccu-pations de base, l’étudiant chinois se foca-lise désormais sur le potentiel pour son dé-veloppement personnel, les perspectives etles opportunités de formation», constateYanXiaoke, coproducteur de l’émission. Se-lon lui, pourtant, les jeunes diplôméschinois trouveront in fine un emploi.«C’est subjectif, poursuitM. Yan, il est natu-rel d’avoir de hautes exigences.»

harolD ThibaulT

C’est le nombre de personnes ayant obtenu

leur diplôme dans une université chinoise

au cours de l’été 2012. Un record : ils étaient

6,6 millions en 2011 et 6,3 millions en 2010,

selon le ministère des ressources humaines

et de la sécurité sociale.

C’est la progression annuelle moyenne,

au cours des trois dernières années,

du nombre de jeunes partant étudier à

l’étranger, une manière de mettre en valeur

son CV dans un environnement compétitif.

6,8millions

24 %

Page 46: Campus

mardi 13 novembre 2012 Le Monde Campus / 45

unmonde en crise | doss i er

Madrid, correspondante

I ls ont entre 15 et 29 ans, ne tra-vaillent pas et n’étudient pas nonplus. Les «ni-ni», comme on lessurnomme familièrement, repré-sentent près de 23,7 % des jeunes

Espagnols, selon le rapport «Regards surl’éducation 2012» de l’Organisation decoopération et de développement écono-miques (OCDE), réalisé à partir de chiffresde 2010 et présenté début septembre. Soitsept points de plus qu’en 2008.

Alors que la moyenne est de 15,8 %dans les pays développés, l’Espagne seplace en tête des pays européens, devantla Grèce ou le Portugal : actuellement, lenombre de «ni-ni» s’y élève à 1,9 millionde personnes, mais il augmente de ma-nière vertigineuse.

La faute d’abord aux maigres perspec-tives d’emploi, dans un pays où le taux dechômage des moins de 25 ans dépasse les52 %, insiste Julio Carabaña, professeur desociologie à l’université Complutense deMadrid. Il pointe aussi du doigt un mo-dèle de développement économique per-vers et un système éducatif défaillant.«Les jeunes qui n’obtiennent pas le brevetdes collèges ne peuvent pas poursuivreleur scolarité», explique M. Carabaña. Ilsse retrouvent de fait «expulsés de l’école».

Durant les dix années qui ont précédé lacrise économique, le taux d’abandon sco-laire, proche de 30 %, ne semblait pas vrai-ment un problème pour l’Espagne : les sec-teurs du tourisme et, surtout, de laconstruction, alors en plein boom, fournis-saient des places peu qualifiées à foison.Qui plus est, souvent mieux rémunéréesque beaucoup d’emplois qualifiés, puisque

On les appelle les «ni-ni». Ils ne travaillentni n’étudient. Le phénomène se répandpartout en Europe, mais c’est en Espagnequ’il atteint des sommets, avec un quartdes jeunes de 15 à 29 ans concernés.

La faute à unmodèLe dedéveLoppement économique perverset un système éducatif défaiLLant

En Espagne, toute une générationde jeunes désœuvrés

de nombreux jeunes diplômés, surnom-més les Mileuristas, se contentaient alorsd’un salairemensuel de 1 000 euros.

Aujourd’hui, ces jeunes sans formationse retrouvent sans emploi. Point positif :beaucoup sont disposés à reprendre leursétudes pour chercher une solution auchômage. Signe de ce revirement, lenombre d’élèves en formation profes-sionnelle a augmenté de 127 000 ces troisdernières années, selon José Campos-Tru-jillo, le responsable éducation du princi-pal syndicat espagnol, les Commissionsouvrières (CCOO). Il estime que, cette an-née, « près de 80 000 jeunes risquent de seretrouver sans la place qu’ils ont deman-dée » dans ces filières saturées.

Beaucoup d’autres «ni-ni», choyés pardes familles où le nombre d’enfants a bru-talement chuté ces trente dernières an-nées, préfèrent clamerhaut et fort que « lesétudes ne servent à rien, car il n’y a pas detravail », en dépit des chiffres qui démon-trent que les qualifications sont un atoutdans la recherche d’emploi.

Car, parmi les «ni-ni», on trouve deplus en plus de diplômés, comme SaraGandullo et Mar Fernandez, deux jeunes

femmes de 26 ans titulaires d’un di-plôme universitaire en administrationd’entreprises. Toutes les deux sont ve-nues de Séville, en Andalousie, chercherun emploi àMadrid. « Nous nous sommesdonné quatre mois pour trouver unposte, de caissière ou de serveuse s’il lefaut. Si nous n’y parvenons pas, nous re-tournerons vivre chez nos parents », ex-pliquent-elles, en reconnaissant qu’ellesont peu d’espoir. «La seule possibilitépour avoir un travail aujourd’hui, c’estd’avoir des contacts, un piston. C’estcomme ça que nous avons trouvé notrepremier emploi. »

En 2011, Sara a travaillé comme comp-table, Mar comme secrétaire administra-tive. La première n’a pas eu son contratd’un an renouvelé. « Ils préfèrent prendredes jeunes diplômés pour les exploiter »,dénonce-t-elle. La deuxième a jeté l’épongeaprès quatre mois sans avoir été payée,« parce que l’entreprise coulait ». Dans cesconditions, de plus en plus de jeunes choi-sissent l’exil, en Europe ou en Amériquelatine, après avoir cherché en vain du tra-vail en Espagne.

Sandrine Morel

La classe politique enmal de vraies solutionsLes responsabLes politiques

espagnols semblent avoir

renoncé à l’idée d’offrir

un futur prometteur aux

jeunes diplômés sur leur

sol. En marge du sommet

hispano-germanique

du 6 septembre 2012,

l’ancienne présidente

de la région de Madrid,

Esperanza Aguirre, a

déclaré avec enthousiasme :

«Si l’Allemagne a besoin de

jeunes biens formés,

Madrid peut les lui fournir.»

Pour permettre cette

expatriation massive

en terre germanique,

Mme Aguirre amême promis

d’offrir 20 000 cours

d’allemand «de base ».

Pas un mot sur les craintes

des économistes de voir

l’Espagne se délester de ses

meilleurs cerveaux, ceux

qui justement seraient les

plus aptes à aider

le pays à sortir de la crise.

Pas l’ombre d’un regret

non plus sur le fait que

d’autres pays puissent

profiter à moindres frais

d’une formation payée

par l’Espagne, sans que

celle-ci puisse en attendre

un retour quelconque.

Aujourd’hui, l’ambiance est

plutôt au «sauve-qui-peut».

S. M.

Page 47: Campus

46 / Le Monde Campus mardi 13 novembre 2012

doss i er | unmonde en crise

E lle le sait, elle est assise sur unsiège éjectable. Professeurd’éducation physique et spor-tive en Saône-et-Loire, Laëtitia,26 ans, attend chaque rentrée

avec l’angoisse de se retrouver sur le car-reau. «Comme j’ai raté le concours, je nepeux prétendre, avec ma maîtrise, qu’àdes contrats de maîtres auxiliaires dansdes établissements privés reculés», ex-plique la jeune Bourguignonne. Ainsi a-t-elle dû accepter, en 2007, huit heures decours dans une cité scolaire à Autun, àprès de 80 km de chez elle.

Nouveaux galériens«Pour compléter, j’occupais unposte d’as-

sistante d’éducation dans un collège deSaint-Vallier. En tout, je parcourais plus de700 km par semaine pour gagner à peine1 000 euros par mois!» Cinq ans plus tard,rien n’a changé ou presque. Laëtitia jongleentre ses seize heures de cours hebdoma-daires à La Clayette, ses deux heures à Pa-ray-le-Monial et les séances de step qu’elleanime dans un centre de remise en forme.Laëtitia est loin d’être un cas isolé. Pour

beaucoup de jeunes, même très diplô-més, l’emploi précaire est devenu, sinonla norme, du moins un passage obligé endébut de carrière. D’après une enquêteréalisée en 2010 par le Centre d’études etde recherches sur les qualifications (Ce-req), 75 % des sortants d’écoles d’ingé-nieurs sont embauchés en CDI dès la finde leurs études. La proportion tombe à52 % pour les étudiants en écoles de com-merce et à 50 % pour les détenteurs d’unmaster scientifique.De ce phénomène de déclassement est

née une génération de précaires, condam-nés, pour s’en sortir, à cumuler les petitsboulots. Au Japon, on appelle ces nou-veaux galériens les «parasaito shinguru»

– «les célibataires parasites», vivant aucrochet de leurs parents. En Chine, on lessurnomme les «ant tribes» – «tribus defourmis» –, quand, outre-Atlantique, onles qualifie de «limbo generation» – «lagénération des limbes».«Malgré les difficultés qu’ils rencontrent

à intégrer la vie professionnelle, les diplô-

més des grandes écoles s’en sortent propor-tionnellement mieux que les moins quali-fiés», temporise Frédéric Lerais, directeurgénéral de l’Institut de recherche écono-mique et sociale (IRES). Il suffit de compa-rer le taux de chômage des actifs récentspar degré de qualification. En 2010, il s’éle-vait à 45 % pour les détenteurs du brevet

des collèges, contre seulement 10 % pourles diplômés du supérieur.N’empêche, aussi nécessaire soit-il, le di-

plôme ne constitue plus une garantie ab-solue d’accéder à l’emploi. La faute au chô-mage structurel qui pèse sur certainesbranches d’activités, mais aussi à la proli-férationdes stagiaires dans les entreprises.«Des secteurs comme la communica-

tion ont pris l’habitude de fonctionneravec un minimum de permanents et unmaximum de stagiaires, ce qui pèse évi-demment sur les conditions d’emploi»,constate Claude-Emmanuel Triomphe,délégué général de l’Association travailemploi Europe société (Astrees).Sandrine en a fait durement les frais.

En un an et demi, cette journaliste-repor-ter d’images de 26 ans a envoyé pasmoins de 250 candidatures et passé desdizaines d’entretiens. Sans succès. En dé-

Cumul d’emplois : ce que dit la loiExErcEr unE doublE, voireune triple activité… A

priori, rien ne s’y oppose.

A condition de respecter

la durée légale du travail.

«Sauf dérogation, celle-ci

ne peut excéder dix heures

par jour, quarante-huit

heures par semaine ou

quarante-quatre heures

sur une période de douze

semaines consécutives»,

rappelle Bruno Rosier,

juriste en droit social.

Le régime des heures

supplémentaires ne

s’applique pas dans ce cas.

Le salarié est par ailleurs

soumis à une obligation

de loyauté vis-à-vis de son

employeur. Pas question

donc d’exercer une activité

concurrente, que ce soit

pour son compte ou celui

d’une autre entreprise. Tout

contrevenant s’exposerait à

un licenciement pour faute.

«Avant de vous engager

sur un autre poste, relisez

votre premier contrat,

conseille Bruno Rosier. Si

vous avez signé une clause

d’exclusivité, vous n’aurez

plus qu’à faire une croix sur

le cumul d’activités.»

Pour les fonctionnaires,

la question ne se pose

même pas, puisqu’ils

sont censés se consacrer

entièrement à leur emploi.

Une dérogation leur est

cependant accordée pour

le bénévolat et les travaux

scientifiques, littéraires

ou artistiques.

La création du régime

d’auto-entrepreneur en

2009 a considérablement

simplifié l’exercice

des petites activités

indépendantes. Encore

faut-il respecter les seuils

de chiffre d’affaires...E. C.

PourbeauCouPde jeunes,l’emPloi PréCaire estdevenu,

sinonlanorme,dumoinsunPassageobligé

En France, pour joindre les deux bouts,de nombreux actifs sont obligésde cumuler plusieurs emplois.Et le phénomène n’épargne plusles jeunes diplômés. Loin de là.

Quatre jobs pour faire un emploi

Page 48: Campus

mardi 13 novembre 2012 Le Monde Campus / 47

l’assouplissement du RSA jeunes. «En im-posant aux moins de 25 ans des conditionsd’accès plus strictes que pour les autres, àsavoir justifier d’un emploi d’au moinsdeux ans à plein temps au cours des troisdernières années, l’Etat les oblige à accepterle premier job qui passe», s’insurge JulienBayou, un animateur du collectif.

Un brin hyperactifsFace à cette situation de précarité écono-

mique, certains décident d’aller tenter leurchance à l’étranger. D’autres, un brin hype-ractifs, en profitent pour élargir leurchamp de compétences. On les appelle les«slasheurs». Un anglicisme, dérivé dusigne typographique «slash», qui désigneces jeunes travailleurs devenus experts èszapping professionnel.

C’est le cas de Yannick, 27 ans, respon-sable administratif d’une licence profes-sionnelle au Conservatoire national desarts et métiers, à Paris. «Au bout de deuxans, je commençais à m’ennuyer à monposte, raconte-t-il. Pour enrichir mon expé-rience et aussi élargir mon réseau decontacts, j’ai déposé un statut d’auto-entre-preneur qui m’a permis de développer desprogrammes internationaux pour desécoles désireuses d’attirer des étudiantsétrangers», une activité qu’il mène deconserve avec son autre métier.

Consultant en informatique à Nîmes,Xavier a, lui, trouvé son équilibre en ani-mant des colonies sur ses congés payés.«Chaque année, je bloque trois à quatresemaines de vacances pour encadrer desséjours itinérants, confie-t-il. Cela me per-met non seulement de voyager à moindrefrais, mais surtout de transmettre le plaisirque j’ai éprouvé, petit, à partir en colo.»Décidément, les enfants de la crise sontdifficiles à suivre.

ElodiE ChErmann

pit de ses diplômes – une licence d’infor-mation et de communication à l’univer-sité de Villetaneuse (Paris-XIII), suivied’un cursus à l’Institut supérieur de for-mation au journalisme (ISFJ), à Paris –,Sandrine ne parvient pas à dégotermieux qu’une pige par-ci, un CDD dedeux mois par-là.

Alors, en attendant d’arriver à vivre desa passion, la jeune femme n’a pasd’autre choix que de courir plusieurslièvres à la fois : elle joue les agents litté-raires pour un jeune auteur, tourne desvidéos institutionnelles pour une mairie,donne des cours de théâtre à des enfants,assure des remplacements comme ser-veuse dans des cantines scolaires.«Cela me dessert parfois en entretien,

ironise-t-elle. Certains recruteurs estimentqu’on ne peut être vraiment compétentdans un domaine si on est touche-à-tout.Mais je ne multiplie pas les contrats de

gaieté de cœur. Même avec tout ça, je n’aipas de quoi payer un loyer.»

C’est cette situation d’immense fragilitéque les essayistes Anne et Marine Ram-bach ont souhaitémettre au jour dans leur

enquête en deux parties, Les Intellos pré-caires (Fayard, 2001) et Les Nouveaux Intel-los précaires (Stock, 2009). «Onpointe tou-jours la précarité des contrats, mais ce quipèse le plus, aujourd’hui, sur les travailleursdes milieux intellectuels, c’est la baisse duprix du travail, insiste Anne. Ce qui nour-rissait à peu près il y a quinze ans ne nour-rit plus aujourd’hui.»

D’où le combat que mène le mouve-ment Génération précaire en faveur de

Sandrinejoue leS agentS littéraireS,

tourne deS vidéoS,aSSure deS remplacementS

comme ServeuSe

zoé

vadim

Page 49: Campus

48 / Le Monde Campus mardi 13 novembre 2012

doss i er | un monde en crise

En sEptEmbrE 2005, lanaissance de Génération

précaire attire l’attention sur

la question des stagiaires. Le

collectif rassemble des jeunes

«révoltés par l’existence d’un

véritable sous-salariat toujours

disponible, sans cesse renouvelé

et sans aucun droit». Une série

de textes est alors votée pour

que le stage reste un outil de

formation. Le décret portant

sur la loi du 31 mars 2006 pour

l’égalité des chances précise

qu’un stagiaire ne doit pas

servir à remplacer un salarié

absent ou non remplacé. La

loi du 24 novembre 2009

relative à l’orientation et à la

formation professionnelle tout

au long de la vie impose quant

à elle une gratification de

436 eurosmensuels pour les

stages de plus de deuxmois.

La loi du 28 juillet 2011 pour le

développement de l’alternance

et la sécurisation des parcours

professionnels, dite «loi

Cherpion», impose un délai

de carence du tiers de la durée

du stage entre l’accueil de

deux jeunes.

L. L.

La législation française en progrès

Q uand tu ne trouves pas deboulot, tu finis par être ten-tée d’accepter n’importequoi», confesse Nathalie. A23 ans, deux masters de

grandes écoles en poche et deux ans destages cumulés (dont un post-diplôme,grâce à une convention délivrée parl’université étrangère qu’elle venait determiner), elle cherchait «un vraicontrat» en communication. «Les em-ployeurs me disaient que je n’avais pasassez d’expérience. Quand j’ai postulédans une ONG, on m’a expliqué la mêmechose mais on m’a proposé de faire unstage pour parfaire mes compétences»,se souvient-elle. La jeune fille refuse.Après plusieurs mois de recherches, elletrouve un CDD de quatre mois.

Les stages dits «hors cursus pédago-gique» sont pourtant interdits par le dé-cret d’application de la loi du 24 no-vembre 2009. Entré en vigueur enseptembre 2010, son but était d’éradiquerles stages «post-diplôme», acceptés parde jeunes actifs faute de propositiond’emploi. Car la pratique a un effet per-vers : les stages phagocytent les emploisjuniors. Mêmes tâches, même pression,mais pas même rémunération.Les syndicats étudiants et les organisa-

tions représentatives des jeunes diplô-més dressent un bilan en demi-teinte. «Lefait que les stages hors cursus aient été in-terdits est une victoire importante, car lestage doit intervenir dans le cadre de laformation et pas dans celui de l’insertion.Mais ils continuent d’exister», regretteYannis Burgat, responsable des questions

universitaires à l’Union nationale des étu-diants de France (UNEF).Même constat du côté d’Antoine Diers,

président du Mouvement des étu-diants (MET), pourqui cettedérivemontre«que le stage de fin de cursus n’a pas eul’effet escompté d’insertion, puisque lejeune reste coincé dans ce sas.» Pour Gaë-tan Mortier, du collectif Génération pré-caire, le problème s’est étendu avec lacrise : «Il faut une action supplémentairepour combler les trous du dispositif.»«Demoins enmoins de jeunes nous solli-

citent en pensant qu’on peut leur donnerune convention de stage, alors que c’étaitfréquent avant 2010», tranche ChristianDarantière, directeur délégué de l’Associa-tion pour faciliter l’insertion profession-nelle des jeunes diplômés (AFIJ). Cet «indi-cateur» lui fait dire que le phénomène abaissé, «même si plusieurs paliers de diffi-cultés subsistent». Une observation qu’iltire de son expérience de terrain, commed’ailleurs tous les autres acteurs concernés.Car il n’y a pas de suivi statistique des

stages hors cursus qui, officiellement,n’existent pas. «Qui peut contrôler quoi?C’est le problème de ce décret. Le monde

professionnel dépend du ministère du tra-vail tandis que les stages dépendent de l’en-seignement supérieur», souligne Domi-nique Glaymann, enseignant-chercheuren sociologie à l’université Paris-Est-Cré-teil. Cas hybrides, les jeunes diplômés sta-giaires passent entre les gouttes.

Davantage de contrôleS’il a besoin d’une convention, une

simple inscription à la fac suffit au jeunediplômé pour redevenir étudiant. «Lesuniversités sont moins complaisantesqu’auparavant lorsqu’elles délivrent desconventions, elles font plus attention», as-sure cependant Christian Darantière.Depuis 2010, la Conférence des prési-

dents d’universités (CPU) pousse à davan-tage de contrôle des précieux feuillets.Elle demande par exemple qu’un nombrerestreint de personnes soient habilitées àles signer. Elle exige que seuls les étu-diants présents aux examens y aientdroit et réclame la création d’un serviceunique consacré aux stages. Mais l’orga-nisme le reconnaît : l’application du dé-cret dépend de la volonté et de l’interpré-tation de chaque établissement.

La pratique phagocyteLes empLois juniors. mêmes tâches,

même pression, mais pas mêmerémunération

En France, les stages «hors cursus» sontillégaux depuis 2010. Mais la pratique persiste,acceptée par de jeunes diplômés aux prisesavec un contexte économique difficile.

Diplômés, stagiaires, hors-la-loi

Page 50: Campus

en fournissent moyennant 150 euros,à ma charge évidemment», sesouvient Nathalie.

«Construire son CV»Pour le sociologue Domi-

nique Glaymann, «les em-ployeursontpris l’habituded’externaliser les coûts quegénère l’acquisition d’ex-périence d’un jeune en-trant dans l’emploi, soiten les reportant sur l’Etat,qui subventionne et exo-nère de charges sociales,soit sur le jeune et sa fa-mille, qui supportent des

rémunérations très faibles etintermittentes». En usantd’une dose de manipulation –ils ont de la chance d’être là – etd’une carotte – un emploi estpeut-être à la clé.Cette stratégie – accepter un

stage lorsqu’on est diplômé plu-tôt quene rien faire – est-elle effi-cace pour décrocher un emploi?Peut-être, mais pas forcément ce-lui qui était prévu. Claire, 25 ans,diplômée des grandes écoles, sedestinait à travailler dans les rela-

tions internationales, en ONGou en ins-titution. «Je ne trouvais rien, on me disaitque je n’avais pas assez d’expérience. Mastratégie a donc été d’en acquérir, de

construire mon CV.»En juillet 2011, elle s’est inscrit dans une

universitéparisienne, sansdifficulté. Lapré-sence aux cours n’était pas obligatoire. Lajeune fille a obtienu des conventions et faitdeuxstages, l’unde cinqmois, l’autrede six.«J’ai fini par chercher un emploi dans un

autre secteur, car je ne trouvais tou-jours rien. Par défaut, car, au

bout d’un an et demi destages, il faut bien trou-ver un salaire.»

Léonor Lumineau

certains établissementsprivés continuent

de délivrer des conventionssans formation

giu

lia

d’a

nna

lupo

Pour les syndicats étudiants, ledécret a eu un «effet pervers» :lamultiplicationdesdiplômesuniversitaires (DU). «Denombreuses universités enont créé dans le seul but dedélivrer des conventions.En termes pédago-giques, beaucoup sontvides. C’est une vraiedérive», constate Yan-nis Burgat, de l’UNEF.Le syndicat étudiant

demande un «audit»de ces DU. «Les univer-sités décident seules deleur création car ce nesont pas des diplômes na-tionaux. Elles fixent elles-mêmes les frais d’inscrip-tion. Il n’y a pas de contrôle»,dénonce Philippe Loup, an-cien président de la Fédéra-tion des associations géné-rales étudiantes (FAGE).Selon lui, plusieurs déroga-

tions permettraient aussi à lapratique de perdurer : «Lestage hors cursus est autorisédurant l’année de césure, encas de réorientation, et dans lecadre des stages complémen-taires de fin de formation.Ce flou permet decontourner tropfacilement l’in-terdiction.»Déjà pointés du

doigt en 2010, cer-tains établissementsd’enseignement su-périeur privés conti-nuent de délivrer desconventions sans for-mation pédagogique,assure le collectif Gé-nération précaire.Des « distributeurs »

que certains employeursconnaissent bien. «Lorsque cette ONGm’a proposé un stage, je leur ai signalé que,n’étant plus étudiante, je n’aurais pas deconvention. Ils m’ont expliqué qu’ils tra-vaillaient avec des organismes privés qui

Le Monde Campus / 49

Page 51: Campus

50 / Le Monde Campus mardi 13 novembre 2012

doss i er | unmonde en crise

Q uand il est arrivé à Angersen 2008 pour trois ans decycle d’ingénieur, Nicolas sa-vait ce qui l’attendait sur leplan financier. Impossible

pour ce jeune homme d’un milieu mo-deste de continuer à casser la tirelire fa-miliale pour les 5 000 euros de frais descolarité annuels. Pas après les deux an-nées de classe préparatoire intégréepayées par ses parents. Les banques étantséduites par ce type de cursus, il n’a euaucun mal à trouver un banquier pourlui avancer 15 000 euros, à rembourser àpartir de septembre 2011.

En effet, le gros avantage des prêts étu-diants, qui sont un type de crédit à laconsommation, est que le bénéficiairepeut rembourser seulement les intérêtspendant ses études et le capital bien plustard, à l’issue de son cursus.

Jusque-là tout allait bien. Mais ungrain de sable est venu gripper lesrouages : Nicolas a raté ses examens ets’est vu contraint de redoubler sa pre-mière année d’école. Sa banque a refuséde décaler d’un an le remboursement deson prêt. «Par conséquent, ma dernièreannée d’études a été extrêmement tenduesur le plan financier. Je devais trouver unlogement à Paris pour un stage, payermon année et commencer à rembourser350 euros par mois à la banque.»

Par chance, après une année à racler lesfonds de tiroir, le stage de fin d’études dujeune homme a débouché sur un contratà durée indéterminée (CDI) : il n’auradonc pas à endurer de longs mois de chô-

Pour qui a besoin de financer ses études,s’adresser aux banques est le premier réflexe.Mais une fois le diplôme obtenu, il faut payerses dettes, peu importe les imprévus. D’oùl’intérêt de bien se renseigner avant de signer.

Nicolas a dû redoublersa première aNNée.sa baNque a refuséde décaler d’uN aNle remboursemeNt

Vous empruntiez ?Et bien, remboursezmaintenant !

mage avec un emprunt sur le dos, commecertains de ses camarades.

C’est tout le paradoxe de l’équation.Alors que de plus en plus d’étudiants sontamenés à emprunter, du fait notammentde l’augmentation des loyers et des fraisd’inscription, leur capacité de rembour-

sement s’amenuise, l’accès à l’emploi desjeunes s’étant singulièrement compliquédepuis le début de la crise.

Entre les étudiants qui veulent négo-cier quelques mois de délai supplémen-taire et ceux qui voudraient au contraireaugmenter leurs mensualités pour se dé-

Autres19 %

Scientifique et technique 17 %

Médico-social14 %

Littéraire

4 %

Economie-gestion19 %

Commerce-vente27 %

Université et IUT17 %

Ecole d’ingénieurs 1 %

Ecole (bac+5 ou plus)35 %

Ecole(bac+2 à bac+4)

24 %

Classe préparatoire2 %

BTS

14 %

Autres

7 %

Source : ministère de l’enseignement supérieur et de la recherche, 2012

DOMAINE D’ÉTUDES DES ÉTUDIANTS AYANT EMPRUNTÉ (en %)

NIVEAU D’ÉTUDES DES ÉTUDIANTS AYANT EMPRUNTÉ (en %)

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mardi 13 novembre 2012 Le Monde Campus / 51

leurmontant, leur durée et les taux de dé-faillance. Mais le ministère de l’enseigne-ment supérieur et de la recherche esti-mait en 2008 que les prêts bancairesétaient «des produits de marché ouverts àun faible segment de la population» avec«environ 60 000 prêts accordés actuelle-ment par les banques aux étudiants», es-sentiellement à ceux des grandes écoles.C’est pour le démocratiser qu’en 2008,

le ministère de l’enseignement supérieuret de la recherche a mis en place avec legroupe financier public Oseo un prêtétudiant d’un montant maximal de15 000 euros, sans conditions de res-source ni caution d’un tiers, dont lerisque de défaillance est garanti parl’Etat à hauteur de 70 %.Depuis leur création, 20 000 de ces

prêts ont été accordés, pour un montantmoyen de 7 840 euros, sur une duréemoyenne de six ans – soit autant de prêtsen cinq ans que ses concepteurs avaientprévu d’en écouler dès la première année,signe s’il en est que le marché françaisn’est pas non plus en train d’exploser.

Christian Kamayou, fondateur du cour-tier spécialisé Financetesetudes.com, areçu 4 000 dossiers depuis mars : «Lenombre de demandes augmente, maisl’emprunt ne concerne qu’un étudiant surdix. 60 % des demandes que nous étudionsproviennent d’étudiants des grandes écoles,qui cherchent à emprunter 20 000 eurosen moyenne, et 40 % d’étudiants d’univer-sité, qui empruntentdes sommesmoindres,7 000 euros en moyenne.»Pour ce jeune chef d’entreprise, qui a

lui-même dû emprunter 30 000 eurospour financer sa scolarité à HEC, le rem-boursement n’est pas particulièrementproblématique en France car les condi-tions proposées aux étudiants sontavantageuses. «Les banques convoitentla clientèle jeune, car elles savent qu’onchange peu de banque par la suite. Avecdes taux attractifs, entre 2,5 % et 4,5 %, leprêt étudiant est un produit d’appel. »

SébaStien Dumoulin

barrasser d’un emprunt qui les empêchede se réendetter – pour acheter un loge-ment par exemple –, il semble évidentque bien des jeunes gagneraient à mieuxcomprendre et mieux négocier les condi-tions de remboursement de leur prêtétudiant au moment de sa souscription.

Caution parentale ou étatiqueCela dit, il est inutile de dramatiser. En

France, les prêts sont généralement ga-rantis par une caution, parentale ou éta-tique, à laquelle les banques ne manque-ront pas de faire appel au besoin. Lasituation est très loin d’y être aussi pro-

blématique qu’ailleurs dans le monde,pays anglo-saxons en tête.Ainsi, aux Etats-Unis, l’endettement

étudiant a atteint en 2011 le montant re-cord de 1 000milliards de dollars. Selon lecentre de recherches Pew pour le public etlesmédias, un foyer américain sur cinq estconcerné et la dette moyenne atteignaiten 2010 près de 27 000 dollars, soit prèsde 21 000 euros. Certains économistesvoient dans ces données une probablesource de nouvelle crise économique.En France, rien de tel à l’horizon. Certes,

très peu de chiffres sont communiquéspar les banques sur le nombre de prêts,

Couverturemédicale : les jeunes diplômés dans le flou

Plus étudiants, mais pasencore salariés. Un entre-

deux angoissant à bien des

titres, notamment en matière

de couverture-santé : «Les

jeunes tombent dans un

“trou” lorsqu’ils ont terminé

leurs études et ont perdu

les droits qui vont avec le

statut d’étudiant, mais qu’ils

ne trouvent pas d’emploi»,

explique Gaëtan Mortier, du

collectif Génération précaire.

Car, dans ce cas, l’affiliation

au régime général de sécurité

sociale en tant que salarié

est évidemment impossible.

Des solutions existent pour

continuer d’être couvert…

mais elles sont limitées.

Il faut d’abord rappeler que fin

des études ne veut pas dire fin

immédiate de la couverture

sociale étudiante. «Quand

ils quittent l’enseignement

supérieur, les jeunes

diplômés voient leurs droits

automatiquement reconduits

jusqu’au 31 décembre par les

organismes de sécurité sociale

étudiante [LMDE, EmeVia],

sans aucune démarche de

leur part», rassure Gaëlle

Kergutuil, administratrice

déléguée chargée de l’accès

aux soins à la LMDE.

Un laps de temps prévu pour

permettre aux ex-étudiants

d’effectuer les démarches

nécessaires. «Le jeune diplômé

qui n’est pas encore salarié

doit faire une demande de

maintien de droits étudiants

auprès de la Caisse primaire

d’assurance-maladie (CPAM)

de son domicile, qui le couvrira

pendant un an», explique

Benjamin Chkroun, délégué

général d’EmeVia. Attention,

la démarche est volontaire : en

cas d’oubli, plus de couverture

sociale.

C’est après, soit un an après la

fin des études, que la situation

se complique. Ceux qui n’ont

pas décroché le gros lot avec

un contrat doivent faire

une demande d’affiliation

à la couverture-maladie

universelle (CMU) s’ils veulent

continuer à être remboursés

de leurs dépenses de santé.

Mais le panier de soins est

assez limité, notamment en

ce qui concerne le dentaire et

l’optique.

«Le maintien des droits

étudiants ne dure pas assez

longtemps. Les jeunes

parviennent de moins en moins

facilement à trouver un emploi

stable et cette couverture d’un

an paraît faible», déplore

Gaëtan Mortier.

Laure Delair, chargée des

questions sociales à l’Union

nationale des étudiants de

France (UNEF), constate l’effet

pervers de cette situation:

«Les jeunes – y compris ceux

qui, récemment diplômés,

sont en recherche d’emploi –

arbitrent dans leur budget.

Leur santé devient secondaire.

Certains n’ont même pas de

mutuelle. Pour eux, aller chez le

médecin est un risque financier

important.»

Le problème de la couverture

médicale des jeunes alimente

aussi une «dévaluation

générale» : «Certains jeunes

diplômés acceptent le premier

emploi venu pour sortir de

cette précarité», explique

Philippe Loup, ex-président de

la Fédération des associations

générales étudiantes (FAGE).

Pour les syndicats étudiants

et Génération précaire, il

faut que l’Etat entame une

réflexion à ce sujet.

De leur côté, les mutuelles

étudiantes se sont adaptées à

l’évolution de la situation des

jeunes diplômés. «Nous nous

sommes aperçus qu’ils avaient

de plus en plus de difficultés

à bénéficier d’une couverture

mutualiste liée au salariat.

Depuis deux ans, nous leur

offrons donc la possibilité

de renouveler la couverture

complémentaire qu’ils avaient

chez nous lorsqu’ils étaient

étudiants. Cette offre est

disponible par tranches de

plusieurs mois jusqu’à 28 ans»,

détaille Gaëlle Kergutuil.

Même chose chez EmeVia,

qui étend l’offre jusqu’à

30 ans. Une solution plus

économique que le recours à

une mutuelle classique ou à

une assurance.léonor lumineau

En FrancE, la situationEst très loin d’êtrE aussi

problématiquE qu’aillEursdans lEmondE

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52 / Le Monde Campus mardi 13 novembre 2012

QQu’on ne s’y trompe pas. Ce n’estpas parce qu’il est de nationalitéindienne que Lakshmi Mittal apour habitude d’intégrer «àl’asiatique» les sociétés que songroupe rachète. En 2006, les diri-geants d’Arcelor l’ont vite perçu :pas de doutes, la manière de faireétait très «anglo-saxonne». Unvéritable rouleau-compresseurs’estmis enmarche, a pris posses-sion des lieux de façon métho-dique avec, en point d’orgue, lafermeture de l’aciérie de Gan-drange en 2009 et celle, annon-cée, des hauts-fourneaux de Flo-range (Moselle).«L’approche est très ration-

nelle, très financière, indiqueBéatrice Collin, professeur destratégie à l’école de commerceESCP-Europe. Des processus demanagement ont été institués etdes équipes sont venues rapide-ment occuper les postes-clés.Tout cela a été un choc culturelterrible pour les salariés en place.»Lorsque des entreprises étran-

une volonté d’acculturer quireste très forte», résume Béa-trice Collin.Volonté qui passe par le rem-

placement des équipes demana-gement et par la mise en placede techniques de gestion des res-sources humaines très précises.

Français le lundi, Chinois le mardi !Les rachats d’entreprises ont souvent delourdes conséquences sur l’encadrement.Car, avec les nouveaux propriétaires,c’est toute une culture qui fait son entrée.

gères mettent la main sur dessociétés françaises, la prise depossession peut être totale, sansnuances. Et, en la matière, les casd’école souvent cités ciblent desfirmes américaines.Lorsque Yahoo! a croqué les

Français du comparateur de prixKelkoo, en 2004, le groupe amé-ricain a plaqué son modèle degestion sur la société nouvelle-ment rachetée. «L’aventure hu-maine de Kelkoo avait été telle-ment forte qu’on ne pouvait pasrester longtemps dans une telleorganisation matricielle», ré-sume l’un de ses anciens cadres.Huit mois après le rachat, lesmanageurs avaient tous quitté lenavire. «L’arrivée des Américains,c’est spécial…», conclut-il.

Spécial ? Les Américains pre-nant possession d’une entre-prise ont très souvent la volontéd’imposer leur mode de mana-gement et leurs façons de faire.«Même si leur façon de procédera pu être plus intense par le pas-sé, ils ont encore aujourd’hui

«Les Américains ont un mode demanagement plutôt technique,qualitatif et centré sur les résul-tats, poursuit le professeur del’ESCP-Europe. Les regards sonttournés vers les tâches plus quevers les personnes, ce qui peutsurprendre les Européens. On est

Le remue-ménagedes repreneurs étrangers

Mondialisation

Lorsqu’iL a décidé de vendre

PriceMinister, Pierre Kosciusko-

Morizet ne voulait pas d’un

supérieur français. «Je suis jaloux

de mon indépendance et de mon

autonomie, je n’avais vraiment

pas envie d’avoir des Français sur

le dos.» Sa préférence allait donc

aux patrons… lointains.

Mais pas aux Américains. Les

fondateurs du site de vente en

ligne, dont il fait partie, voulaient

en effet poursuivre l’aventure. Et

ils le savaient : «Les Américains

gardent rarement le management

de l’entreprise qu’ils rachètent.»

Après des discussions multiples,

c’est finalement aux Japonais de

Rakuten que le géant français

du e-commerce a été vendu, en

juin 2010, pour 200 millions

d’euros. Et, même s’il doit

désormais rendre des comptes à

un supérieur, Pierre Kosciusko-

Morizet, toujours PDG du site,

se dit ravi des évolutions qui ont

suivi le rachat. «Pour s’adapter

à un pays dont ils ne maîtrisent

pas tous les codes, les Japonais

jugent nécessaire de garder

l’équipe fondatrice, indique-t-il.

Ils sont conscients de leur valeur,

mais savent aussi qu’ils sont très

différents de nous et que, par

conséquent, le mieux est de nous

faire confiance pour développer

l’activité en France et en Europe.»

Les adaptations managériales

se sont faites à la marge, avec

parfois quelques nouveautés

insolites. Comme le souhait que

les membres de PriceMinister

s’appellent entre eux par un

surnom qu’ils se sont eux-

mêmes trouvé. Ce n’est pas sur ce

plan-là non plus que les Japonais

auront réussi à bousculer les

habitudes de Pierre Kosciusko-

Morizet : il a choisi PKM.F. D.

PriceMinister à l’heure japonaise

«Les AMéricAinsont une voLonté

d’AccuLturer qui restetrès forte»

Béatrice collin, professeurde stratégie à ESCP-Europe

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mardi 13 novembre 2012 Le Monde Campus / 53

en réalité dans des systèmes qua-siment scientifiques.»

L’intégration menée à marcheforcée n’est toutefois pas unerègle absolue chez les Américains.En effet, au-delà de la nationalitédes acquéreurs, leur approchemanagériale dépend égalementde leurs intentions. S’ils souhai-tent que la société reste forte-ment insérée dans son marchélocal, les repreneurs pourrontlaisser davantage de «respira-tions» aux salariés comme aumanagement présents.

Le secteur d’activité a aussison importance. «Ce n’est pas lamême chose de reprendre une en-treprise industrielle et une société

tant de différences culturelles,mais aussi et surtout pour s’ap-proprier des techniques qu’ils nemaîtrisent pas encore.

«Les Chinois vont éviter la plu-part du temps de supprimer desemplois, ils vont garantir un ni-veau de revenu égal, voire, dansquelques cas, l’augmenter, et neprocéder qu’à peu de change-ments de têtes au sein de l’équipe

sonnel en place que pourraientavoir par exemple des acheteurschinois, venant pour la technolo-gie et le savoir-faire et qui onttout à apprendre.»

Il est vrai qu’on ne pourraittrouver deux modes de fonction-nement plus différents que celuides Chinois et des Américains.Lors de leurs acquisitions d’entre-prises étrangères – encore relati-vement rares aujourd’hui –, lesentrepreneurs de l’empire du Mi-lieu ont conscience que leur arri-vée va susciter de la méfiance,des suspicions. Ils savent aussiqu’ils ont besoin des équipes enplace pour comprendre un ter-rain européen avec lequel ils ont

travaillant dans les biens deconsommation ou les services,juge Béatrice Collin. Dans le se-cond cas, il peut être néfaste dedétruire le lien de proximité exis-tant avec le consommateur et quifait la force de l’entreprise.»

MéfianceEn dépit de ces nuances, l’in-

fluence de la nationalité et de laculture des acheteurs se fait tou-jours sentir : «Les acquisitionsaméricaines ont souvent une fi-nalité financière, estime un syn-dicaliste ayant suivi plusieursdossiers de rachat en France. Lesacteurs n’auront pas le mêmesouci de laisser s’exprimer le per-

au-delà dela nationalité,

l’approchemanagériale

des acquéreursdépend aussi

de leurs intentions

ALJO

SHA

BLAU/cOm

iLLUS

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54 / Le Monde Campus mardi 13 novembre 2012

de direction», note un syndica-liste CFDT. Ce qui ne les empê-chera pas, de façon plus lente etprogressive, de procéder à lamise en place d’un système demanagement à leur main.

Cette prise de possession rela-tivement équilibrée n’a toute-fois pas toujours été la règle. Lespremiers Chinois à s’emparerd’entreprises françaises ont es-suyé les plâtres. Certains d’entreeux ont tenté de développer unmanagement identique à celuiqu’ils pratiquaient sur leursterres : relativement autoritaire,et adapté à des salariés s’effaçantd’eux-mêmes derrière l’intérêtde l’entreprise.

Ils ont découvert que les sala-riés français étaient d’un autrebois. Et que leur habitude desluttes syndicales et des rapportsde force imposait une stratégiedifférente. Les convocations à desréunions le dimanche ont doncrapidement disparu. Au fait de cesprécédentsmalheureux, les entre-preneurs chinois ont su s’adapter.

L’approche européenne se si-tue à mi-chemin entre le modèleaméricain d’intégration àmarcheforcée dans un groupe et ce nou-veau modèle chinois qui offreune grande liberté à la société ra-chetée. On parle de «coconstruc-tion» : la recherche d’un consen-sus est jugée nécessaire – un peudans le même esprit que celui dela construction politique del’Union européenne.

L’empreinte locale est doncpréservée : elle permettra de pé-nétrer le marché. L’acheteur bé-néficie ainsi des apports de sanouvelle acquisition, tout en en-gageant le processus d’intégra-tion dans un réseau : les compé-

tences de la maison mère sontainsi infusées dans l’entreprise.

Le mode de fonctionnementeuropéen est celui qu’emprun-tent généralement les paysémergents lorsqu’ils rachètentune société. C’est le cas des Brési-liens, chez lesquels on retrouvecette approche médiane dansleur propre culture d’entreprise.Celle-ci marie une proximitédans le contact (tutoiement,usage du prénom…) et un grandrespect de la hiérarchie.

Si les grands traits de ces di-vers modes de management de-meurent, des évolutions se fonttoutefois jour ces dernières an-nées : «Nous évoluons douce-ment vers un lissage des varia-tions entre pays», note BéatriceCollin. L’internationalisation descarrières estompe les différences.

C’est notamment le cas en Eu-rope, où les managements alle-mand, espagnol ou français,fruits de cultures différentes,peuvent être finalement fortsemblables. «L’effet de généra-tion est considérable, observeBéatrice Collin. La césure se faitaux alentours de 40 ans. En des-sous de cet âge, les manageursont souvent fait une partie deleurs études à l’étranger, ils onttoujours circulé à travers l’Europepour leur travail et ont donc unevision qui dépasse leurs frontièresnationales.»

Restent quelques pays quiéchappent à cette règle, comme,par exemple, les Etats-Unis.«L’orientation internationale yest bien moins fréquente qu’enEurope», estime la professeur destratégie à ESCP-Europe. D’où unrelatif maintien des caractéris-tiques de « l’acquisition à l’amé-ricaine». Et du rôle d’épouvan-tail endossé par ces Américainsque bien des cadres redoutent devoir arriver aux commandes deleur entreprise.

François Desnoyers

L’internationaLisationdes carrières estompe

Les différencesdemanagement

entre pays

mondialisation

Les investissements étrangersdécidés enFrance en2011

Pays d’origine Projets emPlois

Etats-UnisAllemagneItalieSuisseBelgiqueJaponRoyaume-UniEspagneSuèdeCanadaChineHongkongPays-BasAutricheIndeDanemarkFinlandeRussieAustralieBrésilIrlandeLuxembourgTaïwanAutres

Total général

149120464639383627262417620151211654444435

698

6 0874 4351 6102 2381 3918741 3592 18791080869631836058318822115950651007020835

3 006

27 958

698nouveauxprojets

27 958emplois créésou sauvegardés

Source : rapport annuel 2011 de l’Agence française pour les investissements internationaux.

Nombrede projetspar régionen 2011

30

120233

DOM-TOM

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mardi 13 novembre 2012 Le Monde Campus / 55

Xuefei Lu est directrice du départementAsie du cabinet de conseil Inter CulturalManagement Associates (ICM). Elle atravaillé plusieurs années en Chine, dansl’industrie et le commerce international.

Entretien avec Xuefei LuLes Chinois louent

le professionnalismeet l’expertise des Français»

doit-on faire?», les Français in-terrogent : «Pourquoi dois-jefaire cela?»Quel regard lesmanageurschinois portent-ils surles salariés français?En Chine, le consensus et le com-promis sont toujours recherchésen interne avant d’exprimer pu-bliquement une décision. LesChinois trouvent donc que lesFrançais sont trop directs quandils s’expriment ou prennent unedécision. Eux sont au contraireadeptes d’une communicationbeaucoup plus «oblique».Bien souvent, les Français necomprendront d’ailleurs pas lemessage et sa structuration trèsindirecte, pas toujours facile à dé-crypter. Les manageurs chinois

ne disent jamais «non», ils sontdonc parfois choqués par l’atti-tude des salariés français.Autre différence culturelle : lecheminement des discussionsprofessionnelles n’est pas iden-tique. Les Français ont tendance

à aller du particulier vers le gé-néral, et les Chinois l’inverse :pour eux, le contexte global im-porte plus que les détails. Ilstrouvent en conséquence que lesFrançais portent trop d’atten-tion à ces mêmes détails.Quelles qualités attribue-t-on,en Chine, aux salariésfrançais?Les différences culturelles sontprésentes, mais les Chinois fontmalgré cela beaucoup d’éloges àpropos des Français. Ils louentnotamment leur professionna-lisme et leur expertise. De même,ils jugent mature et particulière-ment avancée l’organisation éco-nomique de la France.Après analyse dumodèlefrançais et des spécificités deses salariés, la France attire-t-elle toujours les Chinois?Oui, et ce sera de plus en plus lecas. La plupart des acquisitionsen France sont de petite taille,mais les choses pourraient évo-luer. En ce qui concerne l’indus-trie, il est clair que le regard desChinois se tourne davantage versl’Allemagne.Mais la France a un atout consi-dérable : c’est un pays qui ren-voie une excellente image de sa-voir-vivre, avec des secteurs depointe, comme la mode et le vin.Les Chinois s’y intéressent deprès et les rachats devraient doncse développer dans les annéesqui viennent.

ProPos recueillis Par F. D.

portant : l’implantation de cer-taines entreprises qui ne s’yétaient pas préparées a été unéchec retentissant.La première différence à analy-ser se situe au niveau de la men-talité. Celle des Chinois est fon-dée sur le confucianisme :l’intérêt collectif l’emporte surcelui de l’individu. Le groupe a laplus forte priorité. Cela im-plique que lorsqu’il y a unconflit entre un employé et sonentreprise, comme entre un ci-toyen et son gouvernement, ilconvient de mettre ses intérêtspropres en retrait.C’est le contraire de la culture in-dividualiste qu’on peut souventretrouver, notamment en France.D’où des incompréhensions po-tentielles et de possibles conflitsqu’il faut anticiper et éviter.Les styles demanagementsont-ils différents entre laFrance et la Chine?Le manageur chinois qui arriveen France doit s’adapter : les em-ployés qu’il a face à lui n’ont pasdu tout la même approche quela sienne des tâches à effectuer.En Chine, il n’a pas à se justifier :les salariés chinois exécutentdes ordres, ils ne discutent pasavec la hiérarchie. C’est le mana-gement «top down».Les salariés français sont diffé-rents, ils ont besoin d’êtreconvaincus avant d’accepter unordre. En somme, là où les sala-riés chinois demandent : «Que

«Là où LEs saLariéschinois dEmandEnt :“QuE doit-on fairE?”,

LEs françaisintErrogEnt :

“PourQuoi dois-jEfairE cELa?”

CComment les Chinois rachetantdes entreprises hexagonalesenvisagent-ils leurs relationsavec les Français?Les Chinois ont une mentalitétrès flexible quand ils ne se trou-vent pas sur leur propre terrain.Même lorsqu’ils deviennent l’ac-tionnaire majoritaire, ils ontconscience qu’ils sont minori-taires en nombre. Ils n’apportentdonc pas de changements mas-sifs et rapides. Au contraire, ilscherchent dans un premiertemps à plaire, à rassurer. Ils sesavent en terre inconnue.Les quelque manageurs qui sontdépêchés sur place vont doncfaire l’effort de vivre avec lesFrançais et essayer de s’adapteraux habitudes et à la mentalitédu pays. Ils sont en recherched’intermédiaires qui vont leurpermettre d’améliorer la com-munication avec les salariés, despécialistes pour leur expliquerqui sont les Français, commentils fonctionnent…Les fortes différences culturellessont-elles une gêne?Oui, il peut y avoir de fortes in-compréhensions à ce niveau.D’où la conscience, de la part desChinois, d’un nécessaire travailde compréhension mutuelle.C’est d’ailleurs un point très im-

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56 / Le Monde Campus mardi 13 novembre 2012

Mondialisation

T out cela est tout demême paradoxal!»Lorsqu’elle décrit leschangements opérésdepuis le rachat de son

entreprise agroalimentaire, Hé-lène, déléguée CFE-CGC, le recon-naît : «On ne vit pas douloureuse-ment lemanagement allemand.»Les décideurs d’outre-Rhin qui

ont repris cette société d’un mil-lier de salariés voici quelques an-nées y ont réinsufflé l’espritd’équipe. «Ils organisent desgrands rassemblements de fa-mille avec la direction, note-t-elle. C’est le genre de choses quiavait disparu. Il n’y avait plusnon plus de repas de service.»Les repreneurs allemands sont

même allés jusqu’à mettre enplace des courses à pied où le per-sonnel, sans considération hiérar-chique, se mélange à petites fou-lées. Contrairement à l’imagetraditionnellement véhiculée parles rachats, le changement de«pavillon» peut donc apporterdes évolutions saluées en interne.«La volonté de rationaliser l’or-

ganisation de l’entreprise n’a tou-tefois pas été appréciée de tous lessalariés», tempère la syndicaliste.Le mode de fonctionnement àl’allemande, par sa rigueur, a purefroidir. Logiquement, la centra-lisation du pouvoir outre-Rhin aété vécue douloureusement. «Dé-sormais, les décisions sont prises

ailleurs et il faut les respecter», ré-sume Hélène. Cette restructura-tion de la chaîne de décision s’estaccompagnée d’un renouvelle-ment du comité de direction. «Sesmembres ont été remplacés petit àpetit, parfois à l’occasion de dé-parts en retraite.»Une reprise en main en dou-

ceur destinée à ne pas heurter lessalariés. «Le management à l’al-lemande ressemble finalement àcelui pratiqué en France. Nous nesommes pas dans la violence desrapports qu’on peut parfois ren-contrer chez les Anglo-Saxons»,indique Hélène.

Cela ne va pas sans quelquesincompréhensions culturelles. Larugosité des affrontements, no-tamment avec les syndicats, laissecertains Allemands songeurs. «Ilsn’appréhendent pas bien la rela-tion conflictuelle. Notre nouveauPDG s’est, un jour, fait bousculerpar des syndicalistes, il a été tota-lement affolé.»Mais ce choc des cultures peut,

toutefois, à ses yeux, avoir aussidu bon : «La manière de nousprésenter les choses, notammentles réalités économiques, est par-

fois beaucoup plus franche quece qu’on connaissait auparavant.Nos anciens responsables avaientplutôt une culture du secret.»

Fini la fêteLa culture du secret n’était pas

vraiment la caractéristiqueprinci-pale de cette autre société fran-çaise passée au début des an-nées 2000 sous pavillon étranger.C’était même tout le contraire :dans cette enseigne de vente debiens de consommation, lescontacts entre le patron et les sala-riés étaient permanents.Responsable adjoint d’un des

magasins de l’enseigne, Jean-Paul,syndicaliste CFDT-cadres, se sou-vientque«tous les salariésavaientle portable du PDG, et celui-ciconnaissait le prénom d’unnombre impressionnant d’em-ployés. Chaque soir, on téléphonaitpour donner le chiffre d’affaires deson magasin.» La promotion in-terne était encouragée, certainescarrières ont été fulgurantes.Mais le caractère familial de la

conduite de l’entreprise pouvaitavoir son revers. «Les affairesn’étaient pas bien gérées», notele syndicaliste. Et ce jusqu’à la ca-ricature : «Tout le monde se sou-vient de fêtes grandioses où tousles salariés étaient conviés… Alorsque l’entreprise coulait !»Les Chinois, repreneurs de la

société, ont donc été vus par cer-

tains comme des sauveurs. «Heu-reusement qu’ils sont arrivés avecleurs millions!», concède bien vo-lontiers Jean-Paul. Les temps ontalors changé. Fini la fête, place à larigueur. Adieu le patron fonda-teur qu’on surnommait «papy»,bonjour au PDG vivant à des mil-liers de kilomètres de la France.Les salariés sont passés d’un

extrême à l’autre. «Les nouveauxpropriétaires ontmis en place uneorganisation basée sur de mul-tiples procédures, avec beaucoupde lourdeurs, l’humain passant ausecond plan. Ça a été une douchefroide pour certains.»Là aussi, l’équipe dirigeante a

été renouvelée progressivement.Un plan social a par ailleurs étémis en place au bout de quelquesannées. Et le poste de directeur gé-néral a pris des allures de siègeéjectable : depuis le rachat, la du-rée moyenne du maintien à cettefonction est inférieure à deux ans.«Mais, dans l’ensemble, les

cadres ont cerné la nécessité dedavantage structurer la marchede l’entreprise, note le militantCFDT. Nous avons compris que lesnouveaux dirigeants voulaientque les choses soient faites correc-tement. A commencer par les fon-damentaux. On a ainsi réapprisque le fond de caisse d’un maga-sin doit être contrôlé par la hié-rarchie.»

FrançoisDesnoyers

Les rachats d’entreprises parun groupe étranger ne se font pastoujours dans la douleur. Le nouveaumode de management peut mêmeavoir un effet salutaire. Exemples.

Sauvés par desméthodesvenues d’ailleurs

«HeureuseMentque les CHinois

sont arrivés aveCleursMillions!»

Jean-Paul, cadre dans une enseignede biens de consommation

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58 / Le Monde Campus mardi 13 novembre 2012

L

La formation en ligne peine à séduireles petites entreprises. En cause :les réticences des patrons, le manqued’impulsion des pouvoirs publics,mais aussi les lacunes de l’offre.

Internet

La France est à la traîne dans laformation en ligne. Le constatvientd’uneétudedugroupeCegossur la formation professionnelleen Europe, menée dans six pays(France, Allemagne, Espagne, Ita-lie, Hollande et au Royaume-Uni).Malgré un titre enthousiaste – «Leboomdes formationsmixtes et dututorat» (avril 2012) –, l’enquêteducentre de formation profession-nelle ne livre pas une image flat-teuse de la France en termes de e-learning. Si les salariés françaissont en première ligne en ce quiconcerne la formation classique(95% d’entre eux en ont bénéfi-cié), ils arrivent derniers en termesde formation en ligne et de forma-tionmixte (en salle et à distance).

Michel Lisowski, consultante-formation à Centre Inffo, orga-nisme d’information sur la for-mation permanente, ne s’étonnepas de ces résultats et dénonce lediscours tenu par les prestatairesdu e-learning «qui ont intérêt àdire que les choses vont se dévelop-

Lisowski : «Pour la plupart desdirigeants de PME, la formationest avant tout une obligation,pas une stratégie d’entreprise.Elle est prise en charge par l’ex-pert-comptable, car elle est vécuepresque comme un impôt.»

Et si la formation semble uneobligation fastidieuse, le e-lear-ning suscite parfois la crainte deschefs d’entreprise. «Les servicesinformatiques n’acceptent pas delever les pare-feu qui permettentl’utilisation de plates-formes. Unpetit patron accepte difficilementque des informations entrentdans l’entreprise sans qu’il puisseles contrôler», explique le consul-tant de Centre Inffo.

Michel Diaz, cofondateur dusite E-learning letter, confirme :«Les dirigeants prennent des pin-cettes car ils veulent s’assurer lamaîtrise de l’information, éviterque les salariés racontent n’im-porte quoi à n’importe qui.»M. Diaz souligne aussi que les ré-ticences face au e-learning neconcernent pas que les chefsd’entreprise. «Ce système fait del’apprenant le principal acteur desa formation, ça vaut pour les sa-lariés comme pour les managers.Tout le monde n’a pas la capacitéou la motivation à se former et àremettre en question le train-

pant. Or, quandon regarde qui uti-lise le e-learning, on se rendcompte que les grandes entre-prises représentent 80% du mar-ché. Et encore, il s’agit de secteursprécis : banques et assurances es-sentiellement», explique-t-il.

Le e-learning, apanage desgrandes structures au détrimentdes PME? C’est afin de répondreà cette question que la Confédé-ration générale du patronat despetites et moyennes entre-prises (CGPME) a fait réaliser parOpinion Way une enquête surl’utilisation d’Internet par lespetites structures.

ParadoxePour l’année à venir, 6 % des

entreprises de moins de 50 sala-riés prévoient de recourir à uneformation à distance, pour leursdirigeants ou leurs employés.«Les PME de moins de 50 salariésutilisent très peu, ou en tout casbeaucoup moins que d’autrespays, le numérique pour accom-pagner leur développement, ana-lyse Christian Sainz, chargé dunumérique pour la CGPME.Seules 25 % de ces entreprises ontun site Internet, contre 80 % enAngleterre. Alors que la France fi-gure parmi les pays les mieuxconnectés, les patrons de PME uti-

lisent le numérique pour lire leursmails ou acheter des billets detrain, mais pas pour le développe-ment de leur entreprise. Nous es-sayons de comprendre les raisonsde ce paradoxe.»

Christian Sainz pointe des réti-cences culturelles par rapport aunumérique : «Aujourd’hui, unchef d’entreprise a plutôt 50 ansque 30, il ne perçoit pas forcémentle potentiel de ces technologies etse sent vite perdu, d’autant plusqu’il est habitué au face-à-face.»Un constat que partage Michel

Le e-learningtarde à décoller

«Aujourd’huI,un pAtron A plutôt50 Ans que 30, Il ne

perçoIt pAs forcémentle potentIel de

ces technologIes»Christian sainz, chargé

du numérique pour la CGPME

Page 60: Campus

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A l’occasion du 30e anniversaire de sa mort, le 24 décembre 1982, un grand portrait de Louis Aragon parDaniel Bougnoux, directeur de l’édition desŒuvres romanesques complètes d’Aragon dans « La Pléiade ».

Une sélection de textes de l’auteur le montrant à la fois romancier, poète, essayiste, militant.

Un entretien avec Pierre Juquin, qui publie ces jours-ci une biographie monumentale consacréeà l’écrivain.

Et aussi les hommages et les débats que, tout autant adulé que détesté, il sucita de la part de FrançoisMauriac, Philippe Sollers, d’André Breton ou Léo Ferré. Ses prises de position ont suscité des réactionspassionnées.

Ce hors-série du Monde vous propose de revenir sur cet auteur majeur, un homme qui a traversé sonsiècle avec unemaîtrise imparable de la confusion des genres.

Page 61: Campus

60 / Le Monde Campus mardi 13 novembre 2012

train du stage de formation donton bénéficie une fois par an, quiest connu et confortable.»Il ne faut pas non plus négliger

les difficultés d’accès au e-lear-ning que peuvent rencontrer lesentreprises. «Pendant long-temps, les OPCA [organismes pa-ritaires collecteurs agréés, char-gés de réunir les fonds desentreprises destinés à la forma-tion professionnelle ] étaient ré-ticents pour financer le e-lear-ning, raconte François Mazoyer,responsable de la formation chezEuromaster. La situation a chan-gé depuis deux ou trois ans. Maisil faudrait que les pouvoirs pu-blics fassent évoluer les dispositifsde prise en charge et incitent lesentreprises à investir dans ce typede formation.»

Le prix reste en effet élevé. «Sion veut inciter les entreprises quine font pas de e-learning à se lan-cer, il faut que les prix baissent : unmodule sur mesure de quarante-cinq minutes coûte 25 000 euros,voire plus selon le niveau d’inte-ractivité recherché. A cela s’ajou-tent 80 à 100 heures de travailpour nos équipes. Cet investisse-ment est intéressant pour unnombre compris entre 200 et250 apprenants par module», dé-taille le responsable du serviceformation d’Euromaster.A ce niveau, le e-learning n’est

donc pas intéressant pour les pe-tites structures. Mais, avec uncoup de pouce, la donne pourraitchanger : «Les organismes debranche ont une carte à jouerpour permettre aux TPE et PMEd’avoir accès à ce type de forma-tion en mutualisant les besoins»,estime François Mazoyer. Car,même si elles parviennent à fi-

treprises en fonction des ce qu’ellesproposent en ce domaine».Le consultant à Centre Inffo cite

les grandes compagnies améri-caines, qui en font un facteur derecrutement. «Il commence à yavoir des entreprises, notammentbanques et assurances, qui propo-sent aux salariés des formationsnomades à télécharger sur tablettenumérique ou smartphone. LesPME qui voudront attirer les jeunestalents devront en passer par là.»

Margherita Nasi

nancer le e-learning, les entre-prises n’ont pas toujours accès à«des formations correspondant àleurs attentes», explique Chris-tain Sainz. L’enquête de la CGPMEmontre qu’elles «sont deman-deuses de formations courtesdans une logique métier, quin’existent pas sur le marché».Le responsable du numérique

pour la CGPME note tout demême une «évolution» dans ledomaine du e-learning : «Noussommes contents qu’il y ait dans

le nouveau gouvernement uneministre déléguée aux PME et àl’économie numérique, et lespremiers contacts sont assez en-courageants. »Michel Lisowski est plus miti-

gé : «Je pense que le changementn’interviendra pas avec la généra-tion actuelle, les 30-60 ans.» Enrevanche, la situation pourraitévoluer avec la nouvelle généra-tion, «très consommatrice denouvelles technologies, où leshauts diplômés vont choisir les en-

L’ère du «blended learning»,la formation en ligne à visage humainLa formation à distance

s’est développée en France

au début du millénaire,

«en même temps que la

bulle Internet, raconte

Patrick Bérard, directeur

du développement de

Demos e-Learning. C’était

très avant-gardiste :

Internet était tout jeune,

les débits pas terribles. »

Ce développement précoce

explique en partie la

désaffection des salariés :

«Les modules n’étaient

pas toujours de bonne

qualité, graphiquement

ou pédagogiquement»,

se souvient Michel Diaz,

cofondateur du site

E-learning letter.

Mais les failles de la

formation à distance

n’étaient pas seulement

techniques. Selon Patrick

Bérard, cette première

version du e-learning

reposait sur «un postulat

naïf» : «Croire que

l’autoformation convient à

tout le monde.»

Michel Diaz confirme : «Le

e-learning représentait un

tel changement dans les

habitudes, après des siècles

de formation en face-à-face,

qu’il est apparu nécessaire

de le compléter par une

médiation humaine entre

les apprenants et un

tuteur.»

C’est la naissance du

«blended learning»,

l’association entre

formation virtuelle et

présentielle, sur fond

d’augmentation des

capacités techniques,

autour de 2010. «Il a fallu

raisonner de façon plus

pragmatique, puisqu’il

y a des thèmes qui ne se

traitent pas à distance.

Désormais, la théorie se

fait à distance et la mise en

application en présentiel»,

explique Patrick Bérard.

Problème : le «blended

learning» requiert des

compétences en ingénierie

de formation. «Il faut

distinguer ce qui sera

délivré en amont ou en

aval, à distance, et ce qui

sera délivré en présentiel»,

explique Michel Diaz. Pour

le rédacteur en chef de

E-learning letter, le grand

enjeu de la formation

en France aujourd’hui

consiste à «réussir à créer

le cadre des apprentissages

informels, par lequel passe

l’essentiel de l’apprentissage

des salariés».M. Diaz cite

le modèle anglo-saxon du

«70-20-10» : «70 % des

connaissances sont acquises

sur le tas, 20 % dans le

contact entre les salariés,

10 % seulement par des

dispositifs de formation.»

Mais réussir à encadrer

l’apprentissage informel

est une tâche difficile

pour des entreprises qui

n’en ont ni le temps ni

les moyens. «La mise en

œuvre d’une telle politique

suppose de s’appuyer sur

un corpus technologique

qui existe, mais que peu

d’entreprises se sont

aujourd’hui approprié : il

faut avoir des compétences

significatives en plate-forme

participative et savoir

animer des communautés.

Les départements formation

sont dans la gestion du

quotidien et des aspects

réglementaires, au

détriment de la réflexion

stratégique.»M. N.

«UnmodULe sUrmesUrede qUarante-cinqminUtes

coûte 25 000 eUros»FraNçois Mazoyer, responsablede la formation chez Euromaster

internet

Page 62: Campus

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N° 7 3/01 Etats-Unis : de Roosevelt à Obama

N° 8 17/01 Israël : l’Etat inachevé

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N° 15 25/04 Climat : la catastrophe annoncée

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N° 1 7 23/05 Espace : de la Lune à Mars

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N° 19 20/06 Russie : de Staline à Poutine

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Page 63: Campus

62 / Le Monde Campus mardi 13 novembre 2012

LLes yeux rivés sur son écran d’or-dinateur, Virginie, chargée declientèle dans une agence BNP-Paribas à Marseille, relit une der-nière fois sa lettre. «Monsieur,dans le cadre du droit individuel àla formation [DIF], je souhaite-rais bénéficier d’un perfectionne-ment de soixante heures en an-glais auprès de l’APFA. Cetteformation me permettra demieux répondre aux objectifsd’évolution évoqués lors de monentretien d’évaluation. Vous trou-verez ci-jointe la proposition dé-taillée de l’organisme APFA corres-pondant à ma demande…»Elle clique sur l’icône d’im-

pression, appose sa signature enbas de la page et glisse le cour-rier dans une enveloppe. La ré-ponse lui parvient une semaineplus tard par lettre recomman-dée avec accusé de réception :DIF accepté.A l’instar de Virginie, tout sala-

rié justifiant d’un an d’ancienne-té dans l’entreprise jouit, de-

Ces jeunes diplômésqui boudent le DIF

Huit ans après son lancement,le droit individuel à la formationest largement sous-utilisépar les jeunes actifs. En têtedes explications : l’autocensure.

puis 2004, d’un crédit annuel devingt heures de formation,cumulables sur six ans à hauteurde cent vingt heures. Mais de lathéorie à la pratique, il y a un pasque peu de jeunes diplômés sem-blent prêts à franchir.D’après l’édition 2011 du rap-

port sur la formation profes-sionnelle publié par l’Union descaisses nationales de sécuritésociale (UCANSS ), « le DIF estl’un des dispositifs qui favorise leplus l’accès à la formation dessalariés en seconde partie ou enfin de carrière». Ainsi, en 2010,57 % des bénéficiaires avaientplus de 44 ans.Ceci s’explique d’abord par

l’élévation du niveau d’études.«En cinquante ans, la durée de lascolarité a doublé et la part debacheliers dans une générationest passée de 4 % en 1946 à plusde 60 % aujourd’hui», rappelleAlain-Frédéric Fernandez, direc-teur du développement de Sy-darta Conseil.Plus diplômés que leurs aînés,

les jeunes actifs éprouvent d’au-tant moins le besoin d’user deleur DIF qu’ils sont lesmieux lotisen ce qui concerne les plans deformation en entreprise. En té-moigne, par exemple, le cycleCampus que la société immobi-

lière Foncière des régions amis enplace pour onze jeunes cadresnouvellement embauchés. «Nousleur permettons de s’appropriertoutes les activités internes dugroupe et d’acquérir les bases dumanagement par le biais de deuxjours de formation tous les deuxmois», explique la responsable duprojet, Elise Blaevoet.Mais pour bénéficier de tels

avantages, encore faut-il disposerd’un emploi stable. «Or, au-jourd’hui, les jeunes diplôméssont rarement bien installés dansles entreprises en début de car-rière», rappelle Didier Cozin, fon-dateur de l’Agence pour la forma-

tion tout au long de la vie.D’après une étude publiée en

octobre 2012 par l’Associationpour l’emploi des cadres (APEC),seuls 56 % des jeunes sortis del’école en 2011 auraient obtenuun contrat à durée indéterminée.Chez les diplômés universitaires,le taux tombemême à 47 %.

Pas étonnant que le DIF soit lecadet de leurs soucis. «A l’entréedans la vie active, on ne songe gé-néralement qu’à être titularisé etlégitimé à son poste», constateMarie-Françoise Leflon, prési-dente de l’APEC.Juriste dans une société de

transports, Marion, 23 ans, semoque éperdument des heuresde DIF qu’elle a thésaurisées de-puis son embauche, il y a un anet demi. «Si j’ai passé cinq ans àl’université, ce n’est pas pour re-tourner sur les bancs de l’école àpeine sortie», s’amuse la Stras-bourgeoise, révélant à demi-motsa crainte de perdre toute crédi-bilité auprès de son patron.

«Beaucoup de jeunes actifs ontle sentiment que demander unDIF est un aveu de faiblesse, unepreuve d’incompétence», constateà regret Frédéric Desandrieux,responsable formation à lachambre de commerce et d’in-dustrie du Havre. Alors ils lais-sent leur compteur DIF grossird’année en année.Une façon aussi d’éviter un

bras de fer avec leur employeur.«Contrairement à ce que laisseentendre son nom, le droit indi-viduel à la formation n’est pasacquis d’office, dénonce IsabelleDuc, qui gère le dossier au sein

«Si j’ai paSSécinq anS

à l’univerSité,ce n’eSt paS

pour retourner SurleS bancS de l’école

à peine Sortie»Marion, 23 ans, juriste

Formation

Page 64: Campus

mardi 13 novembre 2012 Le Monde Campus / 63

du groupe Randstad. Il est sou-mis à l’accord de l’entreprise. Ilne s’agit donc pas d’un véritabledroit. » Une enquête réaliséed’octobre 2011 à mars 2012 parle groupe de formation Demosrévèle en effet que près d’unquart des entreprises privées etla moitié des organismes pu-blics acceptent moins de 20 %des demandes.

Frilosité des patronsJulien, consultant en informa-

tique, en a fait les frais. «Deux an-nées de suite, lors de mes entre-tiens individuels d’évaluation, j’aidemandé à bénéficier d’une for-mation sur Swift, un formatd’échanges d’informations ban-caires que je rencontre dans montravail. Et tout ce qu’on a trouvé àme proposer à chaque fois, c’estdes diaporamas Powerpoint sur lesujet. Depuis, je n’insiste plus», ra-conte le jeune homme, dépité.Pour justifier leur frilosité à

l’égard du DIF, certains patrons,comme Alec Fargier, directeur gé-néral d’Ortec, groupe spécialisédans les services à l’industrie, ar-guent de l’inadéquation du dispo-sitif aux besoins de leur entre-prise : «Non seulement le DIFouvre la voie aux demandes lesplus farfelues, mais en plus il nepermet pas, avec seulement vingtheures par an, d’acquérir des com-pétences solides.»Unpoint de vuepartagéparDa-

vid Lelong, associé gérant de lasociété Castelis. «Dans le domaineinformatique, les organismes deformation ont toujours un trainde retard par rapport à nos be-soins. Jusqu’à présent, aucun demes collaborateurs n’a donc solli-cité son DIF. Mais leur capitald’heures arrivant pour beaucoupau plafond, ils pourraient tousfaire jouer leur droit aumêmemo-ment. Et là, j’ignore comment jeferais tournerma boîte…»

ElodiE ChErmann

Duréemoyenne des formations en DIFen heures par salarié bénéficiaire

(échelle de gauche)

Taux d’accès au DIFen %

(échelle de droite)

0 0

15

10

5

2005 2006 20102007 2008 2009

30

20

10

Source : déclarations 24-83, exploitation Céreq.

Sources : déclarations 24-83, exploitation Céreq, projet de loi de finances 2012, ESF.

DIF : ÉVOLUTION DU TAUX D’ACCÈS ET DE LA DURÉE

LES DIFFÉRENTS DISPOSITIFS DE FORMATION POUR LES SALARIÉS(en 2010 en heures par salarié et par an)

Plan de formation 11,9

Congé individuelde formation - CDI

2,8

Périodes de professionnalisation 1,8

DIF 1,4

Congé individuelde formation - CDD

0,7

Qui peut en bénéficier?Les saLariés en CDijustifiant d’un an

d’ancienneté bénéficient

d’un crédit annuel de

vingt heures de formation

cumulables sur six ans,

dans la limite de cent

vingt heures. Les titulaires

d’un CDD doivent justifier

de quatre mois de

présence dans l’entreprise

(consécutifs ou non) au

cours des douze derniers

mois pour en profiter. Le

nombre d’heures est alors

calculé au prorata temporis.

Comment faire sa DemanDe

De Dif?Il suffit d’adresser un courrier

à son employeur avec le type

de formation souhaitée, le

nom de l’organisme choisi,

les dates, la durée et le coût.

Il est important d’expliquer

ses motivations, l’intérêt

de cette formation pour

son projet professionnel,

mais aussi et surtout celui

de l’entreprise à l’accepter.

L’employeur dispose d’un

mois pour transmettre sa

réponse; au-delà de ce délai,

la demande est considérée

comme acceptée.

Peut-on DemanDer n’imPorte

queLLe formation?En théorie, le salarié est

libre de demander la

formation qu’il souhaite,

sous réserve de disposer d’un

crédit d’heures suffisant.

En pratique, il a toutes les

chances d’essuyer un refus si

le stage souhaité n’est pas en

adéquation avec son projet

professionnel et les intérêts

de son entreprise.

queLs sont Les reCours

PossibLes en Cas De refus ?L’employeur a le droit de

rejeter le DIF pendant deux

années consécutives, sans

avoir à se justifier. Au bout

de deux ans, le salarié peut

formuler une nouvelle

demande auprès du

Fonds de gestion du congé

individuel de formation, le

Fongecif, qui peut lui aussi la

refuser si elle ne répond pas

aux priorités et aux critères

qu’il a fixés.

A queLLe rémunération Peut-on PrétenDre PenDant

La formation?Si le salarié suit sa formation

en dehors du temps de

travail, ce qui est en principe

la règle, il est censé percevoir

une allocation égale à 50 %

de son salaire net. Dans le

cas contraire, il perçoit sa

rémunération habituelle.

que Deviennent Les Droits au

Dif en Cas De LiCenCiement ?La loi de 2009 sur la

formation professionnelle

permet de faire valoir son

crédit d’heures de DIF après

la rupture de son contrat

de travail, qu’on soit au

chômage ou salarié dans

une nouvelle entreprise.

Seul le licenciement pour

faute lourde exclut la

portabilité du DIF.

E. C.

Page 65: Campus

64 / Le Monde Campus mardi 13 novembre 2012

Carrière

LCe dernier poncif est, il faut le

reconnaître, alimenté par les tra-jectoires météoritiques de cer-tains anciens responsables étu-diants (voir encadré). Pourtant, ày regarder de plus près, si la filia-tion entre syndicats étudiants etpartis politiques ne saurait êtrecomplètement niée, elle n’estpas aussi automatique que l’onveut bien le croire.

«La perception générale estdéformée par quelques person-nalités emblématiques», pré-vient ainsi le juriste Robi Mor-der, spécialiste des organisationsétudiantes. «Il y a un mythe qui

fait des syndicats étudiants uneécole de formation politique,mais, dans les cabinets ministé-riels, le cursus scolaire est bienplus déterminant que le militan-tisme étudiant.»En analysant les bureaux na-

tionaux de l’Union nationale desétudiants de France (UNEF)d’avant-1968, il montre ainsi que,sur plus de 200personnes, seules

Le syndicalisme étudiant évoquela grogne, les amphis bloqués et lajeunesse révoltée. Le prisme mé-diatique y est sans doute pourbeaucoup, mais le fait est que lesigle «UNEF», par exemple, ré-sonne comme un écho desconflits qui ont marqué l’ensei-gnement supérieur : la loi Deva-quet pour les plus anciens (unprojet de réformes, présentéen 1986 et abandonné la mêmeannée, qui prévoyait entre autresune sélection à l’entrée des uni-versités), le contrat première em-bauche (CPE) pour une autre gé-nération, la loi relative auxlibertés et responsabilités des uni-versités (LRU)pour lesplus jeunes.En conséquence, pour le grand

public, comme pour de nom-breux étudiants qui ne les fré-quentent que de loin, les organisa-tions représentatives étudiantessont au pire des groupusculesd’indécrottables mécontents, aumieuxun tremplinpolitiquepourjeunes arrivistes hyperpolitisés.

une quinzaine sont arrivées à despostes de député ou de ministre.«Ça n’a jamais dépassé 5 % ou6 % de l’ensemble!»

Proximité avec les partisMême si, dans les faits, l’UNEF

est aussi connue pour sa proxi-mité avec le PS que le Mouve-ment des étudiants (MET) avecl’UMP, toutes ces organisations serevendiquent apolitiques et au-cune ne place systématiquementses anciensmembres dans les ap-pareils politiques, loin de là.Les organisations de jeunesse

des partis jouent de ce point devue un rôle autrement plus cen-tral, sans être incompatible.

«Benoît Hamon ou Michel Rocard,par exemple, ont bien fait partiede l’UNEF, mais ils ont avant toutété des responsables du MJS [Mou-vement des jeunes socialistes]»,poursuit Robi Morder.Un autre point à ne pas négli-

ger est la grande diversité des or-ganismes représentatifs étu-diants. Certaines structures tellesque la Fédération des associa-tions générales étudiantes (FAGE)ou Promotion et défense des étu-diants (PDE) se démarquent enne regroupant pas des militants,mais des associations membres.Les bureaux nationaux sont

alors composés d’étudiants ayantdéjà une expérience associative

L’avenir bien engagédes leaders étudiants

Diriger un syndicat étudiant supposedes compétences souvent appréciéesdes employeurs. Si ce n’était pas suffisant,les ex-militants peuvent aussi s’appuyersur un carnet d’adresses bien fourni.

«Se préSenterComme préSident

d’un bureaudeS élèveS

eSt toujourS vupoSitivement»

Steven Da Cruz, président de PDE

les principaux syndicatsMêMe si d’autres structures

existent localement sur les

campus, comme par exemple

Fac verte, une organisation

écologique créée en 2003,

la loi donne le statut

d’associations étudiantes

représentatives à celles ayant

des élus au Centre national

des œuvres universitaires

et scolaires (Cnous) ou

au Conseil national de

l’enseignement supérieur et

de la recherche (Cneser), dont

les élections ont lieu tous

les deux ans. Aujourd’hui,

elles sont au nombre de cinq :

la Confédération étudiante (CÉ),

la Fédération des associations

générales étudiantes (FAGE),

le Mouvement des

étudiants (MET), Promotion et

défense des étudiants (PDE) et

l’Union nationale des étudiants

de France (UNEF).

S. D.

Page 66: Campus

mardi 13 novembre 2012 Le Monde Campus / 65

locale. «Nous pouvons toujoursnous présenter comme présidentou trésorier d’un bureau desélèves (BDE) par exemple, ce quiest toujours vu positivement»,explique Steven Da Cruz, actuelprésident de PDE. «Et puis, face àun employeur, c’est avant tout lecursus qui parle.»

Ici, comme à la FAGE, on ré-cuse d’ailleurs la terminologie«syndicat étudiant», abusivedans la mesure où ces organisa-tions représentatives sont en faitdes associations. Ce petit conflit

sur le vocabulaire en dit long surles représentations véhiculées.«Nous n’utilisons même pas le

terme “militant”. Nous sommesdes étudiants engagés dans la vieassociative», explique Jean-Syl-vain Chavanne, qui vient dequitter le bureau de la FAGE, or-ganisation représentative qui re-groupe 2 000 associations étu-diantes, dont le BDE qu’il avaitrejoint en première année de li-cence à Brest.

Pour les membres des bu-reaux nationaux, l’expérienceengrangée en quelques annéesest sans équivalent. Ils gèrent devéritables petites entreprises,avec des salariés, une trésorerie…Ils sont amenés à rencontrer lesresponsables des universités,mais aussi des journalistes etdes responsables politiques,jusqu’au ministre en personne.«Il me faudrait dix ans d’expé-

rience professionnelle pour arri-ver à ce niveau», résume StevenDa Cruz. Ses journées feraientpeur à plus d’un étudiant. Ellescommencent toutes à 8 heurespour terminer tard dans la nuit,la quantité de documents à in-

L’attrait de l’arènepolitiquePlusieurs Personnalités

dumonde politique ont

fait leurs classes dans les

bureaux nationaux des

syndicats étudiants.

Pour ne citer que quelques

exemples parmi les plus

connus, on pourra par

exemple mentionner

Bruno Julliard, qui a été

président de l’Union

nationale des étudiants

de France (UNEF) de 2005

à 2007, avant de devenir

secrétaire à l’éducation du

Parti socialiste et conseiller

auprès du ministre de

l’éducation nationale dans

le nouveau gouvernement

de Jean-Marc Ayrault.

Au même poste

(président de l’UNEF-

Unité syndicale puis de

l’UNEF-Indépendante et

démocratique) entre 1978

et 1984, on retrouve un

certain Jean-Christophe

Cambadélis, député et

candidat malheureux au

poste de premier secrétaire

du PS en 2012.

La dernière campagne

présidentielle fut une

occasion de plus de

vérifier que les anciens

responsables étudiants

tenaient quelques rôles-

clés. Au centre, le directeur

de communication du

candidat François Bayrou,

Jean-François Martins,

fut le président de la

Fédération des associations

générales étudiantes (FAGE)

de 2004 à 2006. Occupant

la même fonction auprès

de Jean-Luc Mélenchon,

Arnauld Champremier-

Trigano, un ancien vice-

président de l’UNEF.S. D.

ment pas terminé sa formationd’ingénieur à l’INSA de Lyon estloin de regretter son engage-ment. «En 2005, je suis sorti avecun “master UNEF”, plaisante-t-il.Ça a profondément changé mavie. A l’heure qu’il est, je pourraisêtre ingénieur automobile.»

Multiples propositionsYassir Fichtali est le premier à

le reconnaître, il s’est normalisé :« Je suis chef de service, je metsdes cravates…» La transition versle monde professionnel n’apourtant pas été le moins dumonde douloureuse. Après avoirenvisagé de faire partie del’équipe travaillant sur la candi-dature parisienne aux JO de2012, il a été contacté par le pa-tron du groupe coopératifChèque Déjeuner qui lui a pro-posé de rejoindre la direction.

Au cœur d’un réseau relation-nel important, il n’est pas rareque les responsables des organi-sations étudiantes reçoivent despropositions d’emploi, des syn-dicats notamment, mais aussides élus ou des responsables as-sociatifs ou chefs d’entrepriseavec qui ils ont pu travailler lors

de leurs mandats. «Mon expé-rience pouvait intéresser certainsrecruteurs comme des acteurs dulogement étudiant par exemple.Les propositions syndicales af-fluent également, même si je n’aijamais été encarté», expliqueGuillaume Joyeux.

Engagés un jour, engagés tou-jours... Il n’est pas rare que lesanciens militants se retrouventdans des structures représenta-tives professionnelles ou ausein de conseils municipaux outerritoriaux. «Nous avons en gé-néral le sens du service public,cela peut jouer sur les choix pro-fessionnels», avance Jean-Syl-vain Chavanne, qui, pour sapart, a été approché par la direc-tion de la communication de lamairie de Brest.«C’est vrai que je ne connais

pas d’anciens du bureau nationalde l’UNEF qui travaillent chezCoca. Cela ne ferait pas grandsens», ajoute Yassir Fichtali.«Une chose est sûre, la crainte dece que l’on pourra faire derrièren’existe pas. D’ailleurs, elle seraitinjustifiée, un ancien présidentde l’UNEF, ça s’achète cher !»

SébaStien Dumoulin

gurgiter rapidement est phéno-ménale et il n’a pas un week-endde libre de tout le premier tri-mestre. «Ma vraie peur pour lasuite, ce n’est pas qu’on me re-proche cet engagement, c’est plu-tôt lemanque quim’attend quandje retournerai à la vie normale.»

Pour les étudiants engagés, lescompétences engrangées sont àla hauteur des responsabilitésconfiées. SelonGuillaume Joyeux,ancien président de PDE au-jourd’hui chargé d’affaire dans laconstruction, diriger une organi-sation étudiante «est une véri-table expérience de management.Conduire une réunion, motiverdes équipes… Ce sont des savoir-être de plus en plus reconnus parle monde professionnel». Il sesouvient de sa première sortie duministère face à trente journa-listes. «C’est très impressionnant.Il n’y a pas de droit à l’erreur. Onapprend beaucoup sur soi».

Yassir Fichtali, président del’UNEF de 2001 à 2005, abonde :«C’est une vie trépidante, se sou-vient-il. A 25 ans, Il faut animerdes meetings de centaines de per-sonnes ou négocier avec des par-lementaires !» Lui qui n’a finale-

«A 25 Ans, iL fAutAnimer desmeetingsou négocier Avec

des pArLementAires»YaSSir Fichtali, président l’UNEF

de 2001 à 2005

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66 / Le Monde Campus mardi 13 novembre 2012

Restaurerl’égalitédes chances

La chronique est un genreefficace pour faire toucher du

doigt les origines et la dynamiquede la discrimination à traversdes situations ordinaires, oùrien de fondamentalementgrave ne se produit, mais où,jour après jour, petites lâchetés,gestes d’exclusion, remarquesdéfavorables et pressions dediverses natures construisent desinégalités irréversibles à l’égardde l’éducation, de l’emploi oudu logement, entre hommes etfemmes, entre handicapés etvalides, entre immigrés et non-immigrés, entre les seniors et lesautres. Vincent Edin, journaliste,et Saïd Hammouche, fondateur etdirecteur général de Mozaïk RH,cabinet de recrutement spécialisédans la diversité, nous en livrentsix portraits. Pour «restaurerl’égalité des chances», commeest titrée la troisième partie del’ouvrage, les auteurs en appellentà Léon Gambetta et prônent unmodèle politique qui se préoccupede «faire des égaux plutôt quede les reconnaître» : en ouvrantunmaximum de lieux d’accueilpour les enfants en bas âge,en redonnant aux habitantsdes quartiers, où le chômageest très important, la mêmediversité d’orientation scolaire etprofessionnelle, en «changeant lagestion des âges de la vie»...Bref, toute une série de pistespratiques qui peuvent paraîtreévidentes, mais qui restent àréaliser. Elles sont adresséesaux décideurs politiqueset économiques, ainsi qu’àl’ensemble des citoyens. Le B.A.-BAde la lutte anti-discrimination està la portée de tous : l’usage desmots qui, bien choisis, peuventenrayer la construction de ladiscrimination ordinaire.

Anne RodieR

ChRonique de ladisCRimination oRdinaiRe

de Vincent Edin et SaïdHammouche, éd. Gallimard,

240 p., 3,60 €.

allez les jeunes!

Cet ouvrage bourré d’informa-tions, réalisé en partenariat avecl’Institut national de la jeunesse

et de l’éducation populaire (Injep) etl’Observatoire de la jeunesse, dresseun portrait des jeunes en Franceaujourd’hui, à l’aide d’une abondanteinfographie – cartes, tableaux, gra-phiques. «Sont-ils plus en difficultéqu’hier?», interrogent les auteurs.«Sont-ils si désintéressés des enjeuxde la société, si peu engagés quel’on voudrait bien le dire?», commel’assène une opinion répandue…La réalité montre que «la moitiéd’une génération accède aujourd’huià l’enseignement supérieur». Les740 000 personnes qui quittentles bancs de l’école aujourd’huipour entrer dans la vie active sontconfrontées à un emploi des jeunes

qui a «reculé davantage que l’emploi total entre 2007 et 2010».Si on constate, dans des enquêtes sur les valeurs, que la familleet le travail sont privilégiés toutes catégories d’âge confondues,les jeunes valorisent relations amicales et loisirs, au contraire dela religion et de la politique. L’ouvrage explique toutefois que,confrontés à des difficultés d’insertion professionnelle et sociale,ils ne sont pas tant «dépolitisés» que «politisés autrement» :s’ils se «retrouvent plus largement dans l’abstention», cela ne lesempêche pas de manifester, pétitionner, défendre des causeshumanitaires ou humanistes, «dans une temporalité différentede l’action politique classique». Le dernier chapitre fait le constatque «la mobilité est devenue une norme d’intégration sociale».En effet, «un jeune ayant changé de région entre le collège et lafin de ses études a près de deux fois plus de chance de trouver unemploi qu’un jeune qui n’a pas été mobile».

PieRRe Jullien

devenir fonctionnaire, mode d’emploi

En temps de crise, pourquoi ne pas tenter la voie de la fonction publique?Postes accessibles sans diplôme; avec le BEPC, un CAP ou un BEP; du

bac à bac+2; avec un bac+3 et plus… Ce livre liste les différents métiers oùil est possible de passer le concours pour devenir fonctionnaire, ainsi queleurs niveaux de rémunérations, et donne les moyens d’y parvenir. Chacun– «800 000 personnes s’inscrivent chaque année aux concours de la fonctionpublique» – y trouvera son bonheur : ceux qui s’intéressent aux métiers dela santé – agent des services hospitaliers (sans diplôme), orthophoniste,sage-femme, etc. –, comme ceux qui se destinent à la culture – agent dupatrimoine (sans diplôme), conservateur d’Etat de l’Ecole des chartes...Le «top»? Les écoles de fonctionnaires où les élèves sont rémunérés, tellesque l’ENA, l’Ecole nationale des impôts ou encore celle de la magistrature.Très pratique avec ses adresses utiles, conseils et fiches métiers...

P. J.

le Guide des ConCouRs 2013«Comment intégrer la fonction publique»,

sous la direction de Sylvie Grasser,Nathan, 464 p., 14,90 €.

secrètes élites

Fruit de quatre ans d’enquêtesur le terrain, ce remarquable

ouvrage est «l’histoire d’un Etatdans l’Etat, d’un monde parallèle,secret, privé, où l’élitisme joue unrôle majeur au cœur d’une universitéd’élite elle aussi», expliqueStéphanie Grousset-Charrière dansson introduction. Les «final clubs»de Harvard – «J’ai le sentimentde pénétrer le parc de Poudlard»,avoue-t-elle – sont constitués de huitclubs masculins ancestraux – quisont d’abord de riches propriétairesimmobiliers – rejoints plusrécemment par six clubs féminins.A travers ces sociétés secrètess’opère un triple apprentissage :«le maniement du secret, des jeuxde pouvoir et de la sélection desmeilleurs». Une passionnanteplongée ethnographique qui permetde comprendre qu’il subsiste unlien entre ces clubs étudiants et lepouvoir politique et économiqueaux Etats-Unis.

P. J.

la FaCe CaChée de haRvaRd«La socialisation de l’élite dansles sociétés secrètes étudiantes»,de Stéphanie Grousset-Charrière.

La Documentation française,230 p., 19 €.

a lire

atlas des jeunes en FRanCe«Les 15-30 ans, une génération

enmarche», de Yaëlle Amsellem-Mainguy et Joaquim Timoteo,

Editions Autrement,96 p., 19 €.

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