CANFORA_Le «cercle des lecteurs» autour de Photius_Une source contemporaine_REB 56_1998

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    Luciano Canfora

    Le cercle des lecteurs autour de Photios : une source

    contemporaineIn: Revue des tudes byzantines, tome 56, 1998. pp. 269-273.

    Rsum

    Les canons 8 et 9 du IVe concile de Constantinople permettent d' affirmer, contrairement l'opinion de certains modernes,

    l'existence d'un cercle de lecteurs auprs de Photius, avant l'accession de ce dernier au patriarcat, et mme lorsqu'il tait

    patriarche.

    Abstract

    REB 56 1998 France p. 269-273

    Luciano Canfora, Le cercle des lecteurs autour de Photius : une source contemporaine. The 8th and 9th canons of the 4th

    council of Constantinople allow to assert, against the opinion of some modern authors, that a circle of readers existed around

    Photius, before he attained patriarchy and even when he was patriarch.

    Citer ce document / Cite this document :

    Canfora Luciano. Le cercle des lecteurs autour de Photios : une source contemporaine. In: Revue des tudes byzantines,

    tome 56, 1998. pp. 269-273.

    http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/rebyz_0766-5598_1998_num_56_1_1961

    http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/author/auteur_rebyz_343http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/rebyz_0766-5598_1998_num_56_1_1961http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/rebyz_0766-5598_1998_num_56_1_1961http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/author/auteur_rebyz_343
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    LE CERCLE DES LECTEURSUTOURDE PHOTIUS :

    UNE SOURCE CONTEMPOR INE

    Luciano CANFORA

    Rsum Les canons 8 et 9 du IVe concile de Constantinople permettent d' affirmer,contrairement l'opinion de certains modernes, l'existence d'un cercle de lecteurs auprs dePhotius, avant l'accession de ce dernier au patriarcat, et mme lorsqu'il tait patriarche.Varie et diverse est la mchancet que depuis longtemps le misrable Photius a dploye au sein de l glise de Constantinople. En effet,nous avons appris que bien longtemps avant son tyrannique patriarcat, ils'attirait par des crits signs de sa propre main des partisans dsireuxd apprendre la sagesse qui a t change en folie par Dieu.Ces mots figurent au dbut du 9e canon du IVe concile cumnique deConstantinople (869/870), compt chez les Latins comme le VIIIeconcile cumnique, mais considr nul par les Grecs1. Ce concile futvoulu par le pontife Hadrien II, puis accept et prsid par l empereurBasile Ier.Le texte dont nous venons de lire la traduction est conserv en latin,dans le manuscrit Vat. lat. 4965, f. 124r, lignes 6-7. Il s agit du prcieuxmanuscrit contenant la traduction des Actes du IVe ConcileConstantinopolitain, rdige par Anastase le Bibliothcaire, qui avait ttmoin direct de la dernire sance du Concile et qui fut charg par ladlgation romaine de la traduction des actes grecs, presque incomprh

    ensibles pour les dlgus latins. Le manuscrit a valeur d autographe,puisque c est Anastase lui-mme, dont on a reconnu la main, qui l a revuet corrig2. Malheureusement l original grec est perdu et ce qui en reste1. Cf. Les conciles cumniques, Les dcrets, tome 11/ 1, texte original tabli parAlberigo, Dossetti, Joannou, Leonardi, Jedin, dition franaise sous la direction deA. Duval, B. Lauret, H. Legrand etc., Paris 1994, p. 381.2. Sur ce sujet voir, du moins C. Leonardi, Anastasio bibliotecario e l'ottavo concilioecumenico, Studi medievali S. III, 8, 1967, p. 59-192; D. Lohrmann, Eine

    Revue des tudes Byzantines 56, 1998, p. 269-273.

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    270 LUCIANO CANFORAn est qu un abrg, des excerpta, conservs dans deux exemplaires, indpendants l un de l autre, tous les deux du 14e sicle le Marc. gr. 167 etle Monac. gr. 4363, qui sont l origine de la tradition subsistante de cettecollection.Il faut considrer comme dpasse la thse rpandue chez les savants grecs etprotestants le texte authentique serait celui des excerpta et la traduction latineaurait t largement manipule (par Anastase lui-mme). Voir par exemple, lercit de A. Ivantzoff-Platonov, Le patriarche Photius, Revue Internationale deThologie (Berne) 5, 1894, p. 94 (la version d Anastase contient des interpolationsvidentes, et malgr cela est considre en Occident comme une sourceparfaitement sre pour la biographie de Photius ). L'authenticit de la rdaction atine tait repousse dj par Jean Valetta { , London1864, p. 62, . 2) et, aprs lui, par Sophocle Oikonomos (prface l'dition desAmphilochia, Athnes 1868, p. , . ). De son ct, Oikonomos se rattache l'autorit de William Cave, Scriptorum Ecclesiasticorum Historia litteraria,publie Genve la fin du 17e sicle et rimprime en Angleterre au dbut dusicle suivant (I, p. 392 ; II, p. 176). Du ct protestant, on peut noter au moinsle chapitre Griechische Kirche, sign par J. Hasermann, qui fait partie de l article Griechenland de XAllgemeine Encyclopdie der Wissenschaften undKnste dirige par Ersch et Gruber (Erste Sektion, Band 84, p. 157, n. 3 Diebersetzung stimmt nicht mit dem noch vorhandenen Original berein) et l article sur le IVe concile constantinopolitain crit par . Chrysos pour le Lexikondes Mittelalters (vol. 5, 1991, col. 1396). En tout cas le titre du texte grecindique trs clairement qu il s'agit d'extraits ( ).Signalons une curiosit l'erreur de considrer les extraits grecs (publis pour lapremire fois par M. Rader, Ingolstadt, 1604) comme un original complet ( )figure dj chez Baronio, dans le tome X des Annales Ecclesiastici (1602),publi lorsque les extraits grecs taient encore indits. Ce qui a port le pauvreRader imaginer que Baronio possdait Rome l'original grec d Anastase (voirles pages **2r~v et **3 de son dition Anastasii Bibliothecarii exemplar aequeGraecum ac Latinum [...] multis annorum centuriis neglectum et ignotumiacuisse, et en particulier l loge de Baronio qui et Anastasium Interpretern etcodicem Graecum eruit e tenebris ). Je reviendrai sur le rle de Baronio et surles malentendus qu il a provoqus dans une (prochaine) histoire du texte desextraits grecs du concile Constantinople IV. L ide erronne selon laquelle lesextraits sont le texte authentique et la traduction d Anastase une manipulation,constitue une rponse grecque la formule trs dure qu Anastase lui mmeemploie contre les Grecs, accuss d'tre des faussaires (prface la traductiondes Actes) pro futurorum cautela temporum arctius memoriae commendan-dum, ne forte procedente tempore in Graecis codicibus reperiatur huic SanctaeSynodo quidquam (...) suatim [ ] additum vel mutatum {PL 129, 18C).L expression n'est pas d'une lgance pousse.Ironie de l'histoire. la suite de l'alarme jete par Anastase, le cardinalHergenrther, dans son livre monumental sur la vie et les uvres de Photius,Arbeitshandschrift des Anastasius Bibliothecarius, Quellen und Forschungen aus italienischenArchiven und Bibliotheken 50, 1971, p. 420-431 ; M. Palma, Antigrafo/apografo.La formazione del testo latino degli Atti del Concilio Constantinopolitano 869/70, // libroe il testo, a cura di C. Questa e R. Raffaelli, Urbino 1984, p. 309-335.3. Voir les variantes entre les deux, classes par A. Smithies, Nicetas Paphlago's life ofIgnatius a critical edition, Diss. Univ. New York 1987 (indite), p. xii-xm.

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    LE CERCLE DES LECTEURS 27 1rassure le lecteur In der That finden wir aber im griechischen Exemplar keineZustze, sondern weit eher Abkrzungen und Auslassungen (Photios,Patriarch von Konstantinopel, II, Regensburg 1867, p. 64). Le problme est plutt que le savant Anastase n a pas toujours compris le grec qu il lisait. Il le ditlui-mme la fin de la prface Rara praeterea interpreti doctiori interpretandaservavi (PL 129, 18B = Mansi XVI, 9D). Mais revenons notre passage.

    Le texte latin du 9e canon est le suivant Variam et diversam mali-tiam antiquitus in ecclesia Constantinopolitana infelix operatus estPhotius. Didicimus enim, quod et multo ante tyrannicum praesidatum4propriae manus subscriptionibus muniebat adhaerentes sibi clientes, addiscendam sapientiam quae a deo stulta facta est.Le tmoignage est prcieux le canon dit d une faon trs prcise quePhotius dirigeait un cercle d lves lis sa personne grce des promesses {subscription.es), et par consquent indiqus commes sesclients {adhaerentes sibi clientes) ; qu il enseignait ces clients lasagesse profane (sapientia quae a deo stulta facta est)5 ; qu il a continucette activit dangereuse mme lorsqu il tait dsormais patriarche.Aucun doute que les clientes sont destinataires et complices de lectures profanes ce type de lectures, dont la Bibliothque (Myriobiblos)de Photius est le document concret et explicite (voir , etc. au dbut de chaque chapitre)6. Le canon prcdent(le huitime) parle aussi des promesses que Photius aurait exiges etobtenues ad propriam tutelam ( titre de protection). Mais il s agit ld un autre genre de promesses, visant la loyaut des fidles engnral vis- -vis du patriarche, non pas l tude de la sagesse profane.On distingue donc, de la part des auteurs des canons, d un ct les promesses de dvotion au patriarche, de l autre un type tout fait particuli re promesses, que Photius prtendait tenir d un certain nombre declientes, bien avant son patriarchat {multo ante tyrannicumpraesidatum) ce dernier est le cas du cercle de lecture constituautour de lui l poque o il tait encore laque7, cercle qui est rest enfonction c est l une rvlation du canon 9 mme aprs l elec-

    4. Praesidatum est la forme exacte qu'on lit dans le manuscrit d'Anastase (Vat. lat. 4965,f. 124r, lignes 6-7). Praesidiatum est la forme incorrecte, que l'on lit chez Mansi et dans lesditions modernes des Dcrta Conciliorum. Voir aussi Ths. ling. Lat. X, 2, fasc. VI,Stuttgart-Leipzig 1987, s.v. praesidatus, coll. 877-878 (tout spcialement 8781"7).5. Dfinition topique de la science profane voir saint Paul, Ire Lettre auxCorinthiens, 1 20.6. Le tmoignage contemporain des Actes Conciliaires est dfinitif contre l'opinion deW. Treadgold, qui considre trangement le reading circle autour de Photius comme amyth that has no basis (Photios and the Reading Public for Classical Philology inByzantium, Byzantium and the Classical Tradition, ed. by M. Mullett and R. Schott,Birmingham 1981, p. 124.7. Voir ce propos le tmoignage qu'il donne dans la lettre 290 (Photii PatriarchaeConstantinopolitani epistulae et Amphilochia, ed. B. Laourdas - L. G. Westerink,Leipzig 1983-1985), p. 12664"81.

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    272 LUCIANO CANFORAtion de Photius au patriarcat et pendant son patriarcat. Deux types depromesses analyss dans deux canons diffrents.On dispose heureusement du texte grec du canon 8, correspondant (enpartie) la traduction latine du savant Anastase. Voil tout d abord legrec * , , ' (Rader,. 352 = Mansi, XVI, col. 404 = Dcrta Concil. Oecumen., tr. cite,p. 380).Anastase s est trouv en difficult, notamment face au mot auditibus nostris fama sonuit, quod non solum haeretici, et ii quiSanctae Constantinopolitanorum ecclesiae sacerdotium sortiti [Anastasea imagin que ferait allusion un type d occupation coupable du sige patriarcal, et par consquent il traduit nonsolum haeretici et ii qui sacerdotium sortiti ], sed et orthodoxi et legi-timi patriarchae a sacerdotali catalogo [cette rfrence prcise estabsente de l extrait grec ; il semble toutefois hautement probable qu ellesoit originale] propriae manus scripta facere (= ) adpropriam tutelam favoremque suum et quasi stabilitatem exigant et com-pellant. Quoique le traducteur ait eu une dfaillance, le sens est bienclair. L usage des promesses exiges du clerg est largement rpandunon seulement les schismatiques la Photius, mais les orthodoxesaussi y ont recours ; dornavant (=visum est sanctae huic et universali Synodo nequaquam id ex hoc a quo-piam fieri). Les promesses rclames ' (adpropriam tutelam) sont exiges du clerg a sacerdotali catalogo. Lespromesses du canon 9 (ad discendam sapientiam, quae a deo stulta factaest) sont exiges de tout sorte de gens, mme des personnes prives,d autant plus que Photius les requrait mme avant son accession aupatriarcat.Or, le thme des promesses avait t dj l ordre du jour duconcile lors du dbat la huitime session (novembre 869), et la question y est pose d une faon moins claire qu elle ne le sera dans les dlibr tions codifies (canons 8 et 9). Le rcit de la huitime session commence par voquer les mauvais artifices grce auxquels Photius a li sapersonne le Snat, le clerg, la ville tout entire ; peu aprs la liste estdresse des catgories impliques ) ) , (Rader, . 326 = Mansi XVI, col. 384). Iciaussi Anastase s est tromp il n a pas compris que o sont leslaques (ceux qui n appartiennent pas l glise, au catalogue sacr) ;par consquent il parle, dans sa traduction, de la Grande glise (c est dire Sainte-Sophie) et des glises qui sont dehors (sic ) ab omnisacrato Catalogo et omni ordine clericorum tam magnae ecclesiae quamearum quaeforis sunt (Vat. lot. 4965, f. 104r).

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    LE CERCLE DES LECTEURS 273Les mots , sont, leur tour, suivisd une liste analytique, qui comprend, la suite des Snateurs, les autrespersonnages, soit illustres soit obscurs, les gens qui se sont illustrs danstout genre de science () ou de mtier (). Aprs quoi onlit une liste de mtiers (, , ,) ; une liste dont le propos ironique est vident on veut montrer que Photius n a pargn personne, qu il n a pas voulu renoncermme l appui du moindre artisan.Les deux types de promesses, bien que soigneusement distingusaux canons 8 et 9, ici sont mlangs ; le ton est polmique et apparemmentyperbolique. Pour tre compris, ce qui est dit ici au dbut de lahuitime session doit tre compar avec les deux textes formels(canon 8 et 9). Ce n est qu une hyperbole de dire que Photius avait li sa personne toute la ville et tous les membres des couches sociales desplus hautes aux plus basses. En ralit il s agit, d un ct du rapport tabli avec les membres du clerg (ce qui n est pas une nouveaut ni uneparticularit des hrsiarques canon 8), et de l autre des rapports tablispar Photius avec les diffrents milieux du monde laque (ce qui doit serapporter essentiellement au problme soulev dans le canon 9 c est--dire l'interdiction de l enseignement de la sagesse profane, enseignementntrepris par Photius bien avant l lvation au patriarchat et poursuivi ce qui apparat encore plus grave lorsqu il tait dsormaispatriarche).L hyperbole adopte dans le rcit de la huitime session suggre quedes masses considrables de laques auraient t lies Photius par cesecond genre de promesses. Le nombre lev dpend, peut-tre, dufait que plusieurs gnrations d lves, de compagnons d tudes et delectures, s taient succdes en effet le systme des promesses avaitfonctionn, ad discendam sapientiam quae a Deo stulta facta est,depuis plusieurs annes iam multo ante tyrannicum praesidatum. Il ya peu prs dix ans (858-867) que Photius est patriarche au moment(869) o ces mots sont crits et ces dix annes sont prcdes leurtour d une assez longue priode (multo ante). C est pourquoi l auteurdu rcit dit que la ville tout entire ( ) a t lie Photiuspar ce lien formel des promesses pour des fins injustes ( p. 324 Rader = Mansi, XVI, 384)8.

    Luciano CanforaUniversit de Bari

    8. Le rapport des avec les disciplines philosophiques est envisag d'unefaon admirable et en mme temps polmique par ce passage du philosopheTommaso Campanella {De libris propriis et recta studendi ratione, [Parisiis 1642],cap. II, art. V Sed cum in officinis artistarum plus philosophiae realis habeatur quam inscholis philosophorum, consulendi sunt diligenter pictores, tinctores, ferrarii, aurifices,auriductores, agricolae, milites, bombardarii, pannifici, destillatores et id genus reliqui).