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CANTON DE VAUD TRIBUNAL D'ARRONDISSEMENT PP04.015592 J U G E M E N T rendu par le P R E S I D E N T D U T R I B U N A L C I V I L le dans la cause CANTON Richard , avenue de l'Avant-Poste 6, 1005 Lausanne, CANTON Raymonde , Domaine de la Gottaz Seniors SA, Verger de la Gottaz 1, 1110 Morges, THERIN-CANTON Rolande , Le Castelet 5, Domaine de Coudrée, 74140 Sciez (France) et MUHEIM-CANTON Régine , avenue de l'Avant-Poste 6, 1005 Lausanne, dont le conseil commun est Me Bernard de Chedid, avocat à Lausanne, contre ROUGE Marc-Etienne , chemin de Condamine, 1267 Coinsins, dont le conseil est Me Bernard Katz, avocat à Lausanne. * * * Audience du 9 décembre 2005 Président : M. P. Bruttin, président Greffier : G. Vionnet, greffier substitut

CANTON DE VAUD - UZH-4- 23980 Notre client accepte pour finir de vous rejoindre et de se porter acquéreur de votre immeuble à Fr. 2'750'000,-- valeur dès que possible. Merci de

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CANTON DE VAUD

TRIBUNAL D'ARRONDISSEMENT

PP04.015592

J U G E M E N T

rendu par le

P R E S I D E N T D U T R I B U N A L C I V I L

le

dans la cause

CANTON Richard, avenue de l'Avant-Poste 6, 1005 Lausanne,

CANTON Raymonde, Domaine de la Gottaz Seniors SA, Verger de la Gottaz 1, 1110

Morges,

THERIN-CANTON Rolande, Le Castelet 5, Domaine de Coudrée, 74140 Sciez (France)

et

MUHEIM-CANTON Régine, avenue de l'Avant-Poste 6, 1005 Lausanne,

dont le conseil commun est Me Bernard de Chedid, avocat à Lausanne,

contre

ROUGE Marc-Etienne, chemin de Condamine, 1267 Coinsins,

dont le conseil est Me Bernard Katz, avocat à Lausanne.

* * *

Audience du 9 décembre 2005

Président : M. P. Bruttin, président

Greffier : G. Vionnet, greffier substitut

-2-

23980

EN FAIT

1. Richard Canton, Raymonde Canton, Rolande Therin-Canton et Régine

Muheim-Canton, demandeurs, forment l'hoirie Roger Canton.

Marc-Etienne Rouge, défendeur, est propriétaire d'un immeuble locatif

sis chemin du Rossignol 1 à Morges, parcelle n° 1342.

2. a) A la recherche d'un "placement sûr", les demandeurs se sont

intéressés à faire l'acquisition d'un immeuble.

b) Au cours de l'année 2004, le défendeur a souhaité vendre son

immeuble. Le 29 avril 2004, il a passé un contrat dénommé "Contrat de courtage immobilier

non-exclusif SwissRéseau" avec la société de Rham SA. Il a également passé un contrat de

courtage avec la société Bernard Nicod SA. Sous la rubrique "Exclusivité", ce contrat

mentionnait:

"Le vendeur accorde au courtier

l'exclusivité pendant une période de 6 mois,

soit du …15 avril au 15 octobre 2004 …

L'exclusivité sera tacitement reconduite

pour une même durée, sauf dénonciation

donnée par écrit un mois à l'avance.

Pendant la durée de l'exclusivité, le

vendeur doit conclure par l'entremise du

courtier."

Sous la rubrique "Conditions particulières" figurait ce qui suit, écrit à la

main:

"Sans exclusivité pour les prospectus

actuels"

c) L'immeuble du défendeur a été mis en vente pour un prix de fr.

2'900'000.-. La notice de vente indiquait notamment:

-3-

23980

"Pour tous renseignements complémentaires,

visiter et traiter, s'adresser à:

ROCHAT & CIE SA

REGIE IMMOBILIERE

RUE ST-PIERRE 3 – 1002 LAUSANNE

[…]"

Entendu en qualité de témoin lors de l'audience du 9 décembre 2005,

Patrice Rochat, administrateur de la société Rochat & Cie SA, a confirmé qu'il était le

mandataire du défendeur. Il a au surplus expliqué avoir conçu ladite notice de vente, et ce

sans connaître les demandeurs, et a encore précisé que sa commission devait être payée

par le vendeur à un taux de 3% du prix de vente, sans compter la TVA.

3. a) Par courrier électronique du 6 mai 2004, Patrice Rochat a informé le

défendeur de ce qui suit:

"Cher Monsieur,

J'ai un amateur très intéressé par votre

immeuble.

Il propose un prix d'acquisition de l'ordre

de Fr. 2'500'000,--. Mais je pense qu'il

doit être possible de pouvoir augmenter

quelque peu ce chiffre.

Toutefois il souhaite disposer d'un relevé

du compte d'exploitation des 2 dernières

années afin de se décider plus précisément.

Pouvez-vous nous procurer ces documents en

urgence par fax. SVP

[…]"

Le défendeur ne conteste pas que les demandeurs sont "l'amateur"

auquel fait allusion Patrice Rochat. Interrogé sur ce point, ce dernier a expliqué que

l'immeuble était en vente depuis environ un an lorsque les demandeurs s'y sont intéressés.

b) Le 12 mai 2004, Patrice Rochat s'est adressé ainsi au défendeur:

"Monsieur,

-4-

23980

Notre client accepte pour finir de vous

rejoindre et de se porter acquéreur de votre

immeuble à Fr. 2'750'000,-- valeur dès que

possible.

Merci de nous bloquer l'affaire.

Nous commandons un acte de vente au plus

vite auprès du Notaire Martin Habs à

Lausanne.

Merci de nous tenir au courant dès que

possible.

[…]"

Par courrier électronique du 18 mai 2004, Patrice Rochat a ensuite informé

le défendeur qu'il commandait un acte de vente immédiate au notaire Antoine Rochat, à

Lausanne, au prix convenu de fr. 2'750'000.-. Il l'a en outre invité à lui donner ses

coordonnées personnelles (nom, prénoms, filiation, date de naissance, prénoms de son

père, origines, état civil, adresse personnelle) afin de les faire suivre au notaire. En sa

qualité de témoin, Patrice Rochat a exposé qu'un acte de vente n'est commandé qu'une fois

que l'accord sur le prix est intervenu, mais qu'il est toujours possible que la négociation sur

le prix se poursuive avant la signature de l'acte.

4. a) Les demandeurs ont dans un premier temps pris contact avec la

Banque Cantonale Vaudoise (ci-après: BCV) pour connaître les conditions de financement

de cet établissement pour la vente de l'immeuble sis chemin du Rossignol 1 à Morges. Ils

n'ont cependant signé aucun contrat d'emprunt hypothécaire avec la BCV sur la base de la

proposition de cette banque, ce dont le défendeur a été informé.

b) Par courrier électronique du 25 mai 2004, le défendeur a fait part à

Patrice Rochat de ce qui suit:

"Cher Monsieur,

Je vous remercie de votre téléphone de ce

jour, le 25 mai 2004. Je comprends qu'il

n'est pas possible à ce jour de me faire

tenir une offre complète qui tienne compte

de tous les points essentiels qui restent

aujourd'hui en suspens, notamment celui

-5-

23980

relatif au crédit hypothécaire.

Dès que ces points essentiels seront réglés,

je vous remercie de me faire tenir votre

offre.

[…]"

Le témoin Rochat a confirmé les explications des parties selon

lesquelles les "points essentiels" du message qui précède concernaient notamment la prise

en charge par les acquéreurs, en sus du prix de vente convenu (2'750'000.-) de la dédite

due par le défendeur pour la dénonciation anticipée de son prêt hypothécaire auprès de la

BCV.

c) Les négociations avec la BCV en vue de la conclusion d'un crédit

hypothécaire ayant échoué, les demandeurs se sont tournés vers le Crédit suisse, dont les

conditions étaient plus favorables. Le témoin Rochat a précisé que le défendeur était

informé des contacts entre les demandeurs et le Crédit suisse. Les 8 et 9 juin 2004, les

demandeurs ont signé avec cette société un "contrat-cadre de crédit hypothécaire" pour la

somme de fr. 2'000'000.-. Aux dires du témoin Pascal Irani, employé du Crédit suisse à

Pully, le crédit hypothécaire n'était pas un crédit ouvert, mais s'attachait à une opération

immobilière donnée. Le contrat prévoyait comme garantie un gage immobilier grevant

l'immeuble sis chemin du Rossignol 1 à Morges. En outre, il était notamment stipulé que:

"En cas de dénonciation anticipée d'un

contrat de crédit ensuite de transfert de

l'immeuble, d'exécution forcée, de

résiliation extraordinaire de la part de la

banque ou pour d'autres motifs, l'emprunteur

doit verser, outre le capital, les intérêts

échus et courus, une indemnité forfaitaire

correspondant à 1 %o du montant en capital,

mais ne pouvant être inférieure à CHF

1'000.00, au titre des frais et démarches

engagés par la banque.

Par ailleurs, la banque décomptera à

l'emprunteur le gain ou la perte éventuels

d'intérêts attribuable à la dénonciation,

-6-

23980

respectivement au remboursement anticipé. Ce

montant s'obtient en calculant la différence

entre le taux d'intérêt appliqué au contrat

de crédit au moment de la dénonciation/du

remboursement, et le taux pouvant être

obtenu, compte tenu du temps restant, avec

un placement sur le marché monétaire ou des

capitaux au moment de la dénonciation/du

remboursement, différence qu'il convient

ensuite de multiplier par le solde du

montant du crédit et la durée restante. Tout

excédent en faveur du client est compensé

avec l'indemnité pour frais et démarches."

d) Le 8 juin 2004, Patrice Rochat a communiqué ce qui suit au

défendeur:

"Cher Monsieur,

C'est bon nous avons reçu la réponse du

Crédit suisse qui finance l'immeuble.

Je commande donc ce jour un acte auprès du

notaire de la famille Canton à Fr.

2'750'000,--.

M. Canton confirme qu'il paie la dédite de

la BCV.

[…]"

5. Le 8 juin 2004, Patrice Rochat a envoyé un courrier électronique au

notaire Antoine Rochat, courrier dont la teneur est notamment la suivante:

"Monsieur,

Au nom de M. Richard Canton et ses sœurs,

j'ai le plaisir de vous demander de nous

préparer un acte de vente immédiate pour

l'objet ci-après désigné:

[…]

Objet : Immeuble locatif en nom, parcelle No

1342 de la commune de Morges, chemin du

Rossignol 1.

-7-

23980

Prix : Fr. 2'750'000,-- payé chez vous le

jour de la signature.

Remarque : il y a lieu de mettre une clause

quelque part dans l'acte, mais non dans le

prix de vente pour des raisons fiscales pour

les 2 parties, que la dédite sur la

dénonciation du prêt hypothécaire auprès de

la BCV Lausanne, sera payée par les

acquéreurs. Elle se monte à la somme

d'environ Fr. 55'000,--. Je demande à M.

Rouge de me donner les coordonnées de son

contact à la BCV pour que vous puissiez

obtenir les modalités de remboursement.

Financement : Le Crédit suisse de Pully, M.

Pascal IRANI (021- 721 73 50), finance

l'acquisition par un prêt de Fr.

2'000'000,--. Il y aura lieu d'augmenter la

cédule à ce montant si ce n'est pas déjà

fait.

[…]"

6. Par courrier électronique du 9 juin 2004, Patrice Rochat s'est adressé

de la façon suivante au défendeur:

"Monsieur,

Je viens vous proposer 3 dates pour la

signature de l'acte de vente chez le notaire

Antoine Rochat à Lausanne :

Vendredi 18 juin 2004 à 16 h.

Lundi 21 juin 2004 à 9 h

Mardi 22 juin 2004 à 14 h 30.

Durée : entre 1 h et 1 h 30

D'ici là vous aurez bien évidemment reçu un

projet de Me Rochat.

Seront présents, Vous-même, le notaire

Rochat représentera la succession en tant

-8-

23980

qu'exécuteur testamentaire, le notaire Emery

pour le District de Morges et moi.

[…]"

Le défendeur a répondu à Patrice Rochat en ces termes par courrier

électronique du même jour:

"Cher Monsieur,

Suivant votre demande je vous prie de

trouver les éléments d'informations ci-

dessous que vous avez sollicités, destinés à

vous permettre d'établir, par la confection

de l'acte notarié à intervenir, une offre

complète et définitive :

Marc-Etienne fils de René Rouge, né le dix-

sept février mil neuf cent cinquante-sept,

originaire de Lausanne, domicilié à

Coinsins, chemin de Condamine, divorcé.

Concernant le notaire, j'ai un voyage à

l'étranger, planifié depuis longtemps, dès

le 18 juin 12h00 y compris la semaine

suivante, j'aimerai par conséquent que nous

puissions nous voir avant le 18, toutefois

si ce n'est pas possible, je donnerai

procuration à mon avocat Maître von Gunten

pour me représenter.

Concernant les cédules, la principale est

avec la BCV Lausanne, contact : Monsieur

Fernand Gavin, je dispose également, en

main, à mon nom, d'une cédule supplémentaire

de chf 400'000.--

Pour mémoire, votre commission de courtage

sera calculée sur le prix de chf

2'750'000.--

-9-

23980

Finalement, je vous faxe à l'instant l'état

locatif du Rossignol 1 à ce jour.

[…]"

Par courrier électronique du 9 juin 2004, Patrice Rochat a transmis au

notaire Antoine Rochat les informations fournies ci-dessus par le défendeur.

Finalement, la date de la signature de l'acte de vente a été fixée au

lundi 21 juin 2004.

7. Par courrier du 14 juin 2004, le Crédit suisse a fait part aux

demandeurs de ce qui suit:

"Confirmation de notre convention relative

au produit du 14.06.2004

Montant du crédit CHF 2'000'000.00

Utilisation Hypothèque Fix

Compte N° 0273-

659227-61

Immeuble d'habitation,

Chemin du Rossignol 1,

1110 Morges

Durée et paiement 21.06.2004 –

des intérêts 20.06.2014

Taux d'intérêt 3.6% annuellement net,

fixe pour toute la

durée

Paiement des Les intérêts seront

intérêts débités

automatiquement à

chaque échéance sur le

compte N° 0273-

-10-

23980

659227-60.

Le "contrat-cadre de crédit hypothécaire" du

08.06.2004 et ses annexes font partie

intégrante de la convention.

[…]"

Par courrier du 15 juin 2004, le notaire Antoine Rochat a remis un

projet d'acte de vente au défendeur, aux demandeurs, à Me Pierre-Alain Givel, notaire du for

à Morges, ainsi qu'à Patrice Rochat. Il a en outre confirmé que la signature de l'acte aurait

lieu le lundi 21 juin 2004 à 9h00 en son étude à Lausanne.

En son article I/5, le projet d'acte de vente avait la teneur suivante:

"Les cédules hypothécaires numéros 220'052

et 220'053 désignées ci-dessus sont cédées

gratuitement aux acheteurs, libérées

d'engagement. Les acheteurs deviennent

propriétaires des titres et en répondent dès

lors solidairement, à l'entière décharge et

libération du vendeur. Les acheteurs

prennent à leur charge les frais de

dénonciation de l'emprunt hypothécaire du

vendeur auprès de la Banque Cantonale

Vaudoise."

8. Le 15 juin 2004, les demandeurs ont réalisé un portefeuille de titres à

hauteur de fr. 938'174.70. Les frais relatifs à cette vente se sont élevés à fr. 7'781.70, la

banque chargée de la transaction ayant précisé que les frais d'un éventuel rachat ultérieur

des titres en question seraient d'un niveau comparable aux frais initiaux. Interrogés en

qualité de témoins, le notaire Antoine Rochat et Pascal Irani ont expliqué que cette opération

était intervenue afin de réunir les fonds propres nécessaires à l'achat de l'immeuble sis

chemin du Rossignol 1 à Morges.

9. Par courrier électronique du 16 juin 2004, Patrice Rochat a fait part au

notaire Antoine Rochat de ce qui suit:

"Cher Monsieur,

-11-

23980

J'ai bien reçu votre projet d'acte de vente.

Je n'ai pas dû vous faire suivre l'accord

intervenu avec M. Rouge, ou plutôt son

avocat, à savoir que le prix de vente

englobe la pénalité due à la BCV de Fr.

55'000,--. Donc le prix de vente est

augmenté à Fr. 2'805'000,-- et la clause 5,

2ème partie est sans objet.

Je suggère que ce point soit corrigé le jour

de la signature et qu'il n'y ait pas besoin

de refaire un projet puisque M. Rouge me lit

en copie.

Par la présente, je demande à M. Rouge de me

faire parvenir avant la signature,

l'ensemble des contrats d'assurance et des

contrats d'entretien afin que nous soyons au

clair conformément au point 12 de votre acte

de vente.

[…]"

Le décompte BCV reçu par le notaire Antoine Rochat indiquait que le

montant de la dédite due à cette banque s'élevait à fr. 25'000.-. Par courrier électronique du

17 juin 2004, il a alors répondu à Patrice Rochat en ces termes:

"Cher Monsieur,

J'a bien reçu votre message ci-dessous et je

vous en remercie.

J'ai reçu le décompte de remboursement de la

BCV. La pénalité en raison du remboursement

anticipé du prêt n'est finalement pas de fr.

55'000.--, mais de fr. 25'000.--.

J'indiquerai donc dans l'acte un prix de

vente de l'immeuble de fr. 2'775'000.--, si

-12-

23980

M. Rouge, qui me lit en copie, n'y voit pas

d'inconvénient.

[…]"

Par courrier électronique du même jour, Patrice Rochat a répondu en

ces termes à Antoine Rochat:

"Parfait- Merci

[…]"

10. Le 18 juin 2004, le défendeur a, par acte authentique, conclu une

vente à terme avec droit d'emption sur l'immeuble litigieux en faveur de Bernard Nicod. Ce

dernier a établi une procuration datée du 16 juin 2004 en faveur de Jean-Daniel Pauchard

aux fins de conclure ce contrat. Le prix de vente stipulé s'élevait à fr. 2'730'000.-. Le droit

d'emption a été inscrit le 23 juin 2004 au registre foncier de Morges. Le témoin Rochat a

précisé que ni lui, ni les demandeurs n'avaient été informés de cette transaction.

11. Par courrier électronique du vendredi 18 juin 2004, à 18h57, Me von

Gunten, alors conseil du défendeur, s'est adressé ainsi à Patrice Rochat:

"Monsieur,

Mon client, M. Marc Etienne Rouge, me fait

part, ce jour, de l'e-mail que vous lui

adressiez en copie, jeudi 17 juin 2004.

Vos Clients se croient en droit de tirer

avantage de la négociation que M. Marc-

Etienne Rouge a entreprise, relative au

contrat hypothécaire qu'il a conclu avec la

BCV et de retrancher du prix de vente le

montant de CHF 25'000.00. M. Marc-Etienne

Rouge ne peut les suivre sur cette voie.

Le 25 mai dernier, M. Marc-Etienne Rouge

expliquait clairement qu'il était dans

l'attente d'une offre complète lui

permettant de se déterminer. Aujourd'hui, il

-13-

23980

entend ne plus aller de l'avant et me prie

de vous en informer.

M. Marc-Etienne Rouge m'invite à vous prier

d'annuler la réunion du 21 juin prochain,

dès lors sans objet, et réserve tous ses

droits.

Vous souhaitant bonne réception de la

présente, je vous prie de recevoir,

Monsieur, l'expression de mes respectueuses

salutations.

[…]"

Par courrier électronique du dimanche 20 juin 2004, Patrice Rochat a

alors communiqué ce qui suit au défendeur:

"Monsieur,

Je prend connaissance du mail de votre

avocat, reçu ce vendredi 18 juin à 18 h 57.

En tout état de cause, nos clients sont

acheteurs aux prix de Fr. 2'805'000,-- tant

mieux si vous avez pu négocier une meilleure

sortie avec la BCV.

Le notaire pensait bien faire, étant donné

qu'il a reçu le montant à rembourser à la

banque. Il s'est trompé et je vous prie de

m'en excuser.

Je ne me souvenais pas que vous m'aviez dit

vouloir ou pouvoir encore négocier cette

libération de la BCV, tant mieux et bravo.

Je rappelle que je défend vos intérêts et

que j'ai fait monter le prix de vente. Donc

je persiste à dire qu'ils achèteront à Fr.

2'805'000,--.

Je compte donc vivement sur vous pour

toujours signer ce lundi à 09 00.

[…]"

-14-

23980

Le défendeur n'a pas donné de suite écrite à ce courrier. En sa qualité

de témoin, Patrice Rochat a confirmé n'avoir pas non plus été oralement interpellé par le

défendeur quant à cette correspondance. Il a en outre expliqué que le défendeur ne lui avait

pas fait part d'un désaccord sur un point de l'acte de vente dont il avait reçu le projet, d'où il

en a déduit qu'il avait accepté la teneur de cet acte.

12. Le défendeur ne s'est pas présenté à la séance d'instrumentation de la

vente prévue le lundi 21 juin 2004 à 9h00. Le témoin Rochat a expliqué avoir appris

l'annulation le jour même à 8h30 par l'intermédiaire de Patrice Rochat, soit trente minutes

avant l'heure convenue. Ce dernier en a attesté lors de son audition. Le témoin Rochat a

encore précisé que le notaire Pierre-Alain Givel s'était déplacé de Morges à Lausanne en

vue de la signature de l'acte de vente.

Conformément à une note détaillée du notaire Antoine Rochat aux

demandeurs, ses frais en vue de l'instrumentation de l'acte de vente, ainsi que ceux du

notaire Pierre-Alain Givel, s'élèvent à fr. 3'535.80.

Par courrier électronique du 21 juin 2004, Patrice Rochat s'est adressé

au défendeur en ces termes:

"Monsieur,

Je ne comprends pas bien pourquoi vous ne

voulez pas me répondre.

Je ne suis pas personnellement responsable

de cette situation et suis prêt à vous

écouter.

Je confirme que les Canton sont toujours

acquéreurs au prix de Fr. 2'805'000,--

Je vous informe aussi que je suis prêt à

réduire ma commission de 50%.

Je crois là que vous ne devriez avoir aucune

crainte à revenir à la table du notaire.

Vous pouvez m'appeler sur mon natel 079 332

03 00.

Merci de votre compréhension et je compte

sur vous, s'il vous plaît.

[…]"

-15-

23980

Par courrier du 24 juin 2004, le notaire Antoine Rochat s'est adressé

de la sorte à Me von Gunten:

"Maître,

Je me réfère à votre courrier informatique

du 18 juin 2004 à M. Patrice Rochat.

Je regrette que vous n'ayez pas jugé bon de

me transmettre une copie de ce courrier.

Je n'ai appris l'annulation de la séance

prévue pour l'acte lundi 21 juin 2004 à 9

h.00 à mon étude que le jour même à 8 h.30

et mon confrère Givel s'est déplacé de

Morges à Lausanne pour rien. En outre, j'ai

tenté en vain de vous atteindre par

téléphone au début de cette semaine, dans le

but de dissiper les malentendus.

Par ailleurs, je réfute formellement les

termes du deuxième paragraphe de votre

lettre.

Selon les indications qui m'ont été

fournies, le prix de vente convenu était de

fr. 2'750'000.--, auquel s'ajoutait les

frais de dénonciation de l'emprunt

hypothécaire du vendeur à la BCV.

J'en veux pour preuve un courrier

informatique du 9 juin 2004 de M. Rouge à M.

Rochat, précisant que la commission de

courtage sera calculée sur le prix de fr.

2'750'000.--. Je n'ai nullement voulu "tirer

avantage" de la négociation de M. Rouge avec

la BCV.

Cela étant, je vous informe que les membres

de l'hoirie Canton sont toujours disposés à

acheter la parcelle 1342 de Morges, et ils

-16-

23980

sont prêts à payer le prix de fr.

2'805'000.--, puisque c'est semble-t-il le

montant demandé par votre client.

Dès lors, je vous serais obligé de bien

vouloir m'indiquer, par écrit et dans les

meilleurs délais, si M. Rouge est prêt à

revoir sa position, telle qu'exprimée dans

votre courrier précité. Je vous en remercie

d'avance.

J'envoie copie de la présente à M. Rochat,

pour son information.

[…]"

13. a) Par lettre du 24 juin 2004, expédiée par téléfax et par pli simple, Me

Bernard de Chedid, conseil des demandeurs, a notamment fait part à Me von Gunten qu'il

considérait que les parties étaient tombées d'accord sur un prix de vente fixé à fr.

2'750'000.-, augmenté des frais réclamés par la BCV pour la dénonciation anticipée du

crédit hypothécaire du défendeur. Il a précisé qu'en dépit du fait que ces frais s'élevaient à

fr. 25'000.-, le défendeur a néanmoins exigé fr. 55'000.-, ce que les demandeurs ont

accepté. Me de Chedid a en outre informé Me von Gunten qu'il se tenait à sa disposition

jusqu'à la fin du mois de juin 2004 afin de trouver une issue amiable au différend opposant

les parties. Il était précisé que le crédit hypothécaire demeurait jusque-là en suspens auprès

de la banque et que la perte pour les demandeurs ne serait donc pas irréversible.

Le 29 juin 2004, Me von Gunten a répondu à Me de Chedid que le

défendeur contestait formellement qu'un accord soit intervenu tant sur le prix que sur toutes

autres modalités qui caractérisent la réalisation d'un contrat de vente.

b) Interrogé sur la question de l'accord des parties, le notaire Rochat a

précisé qu'elles s'étaient entendues dans un premier temps, mais que la vente avait été

annulée pour une raison qu'il ignore. Il a appris ultérieurement qu'un élément du prix avait

posé problème. Il estime en outre que les demandeurs étaient prêts à ajouter au prix de

vente les frais relatifs à la dédite de la BCV, quel qu'en ait été le montant. Quant au témoin

Rochat, il a déclaré que les parties ont toujours été d'accord sur tous les points essentiels de

la vente, le défendeur n'ayant apporté aucun élément permettant d'admettre que tel n'était

-17-

23980

pas le cas.

14. Par courrier du 19 juillet 2004, le Crédit suisse à communiqué ce qui

suit à Me de Chedid:

"Maître,

Nous nous référons à votre demande par

téléphone du 15 juillet 2004 et vous

communiquons ci-après pour information le

décompte de remboursement de l'engagement

hypothécaire, valeur 19.07.2004 :

Hypothèque No 0273-659227-61

Capital CHF 2'000'000.--

Intérêts du 22.06.04

au 19.07.04 CHF 5'600.--

Intérêts de pénalité

pour remboursement

anticipé CHF 129'500.90

Frais contractuels CHF 1'000.—

Total à nous

rembourser CHF 2'136'100.90 s.e.& o.

[…]"

15. Aux dires des témoins Irani et Rochat, les demandeurs se sont alors

efforcés de réemployer le crédit hypothécaire évoqué ci-dessus, ainsi que le produit de la

vente des titres du 15 juin 2004.

Le 11 août 2004, ils ont ainsi acquis un immeuble sis chemin

Benjamin-Dumur 6-8 à Lausanne, au prix de fr. 2'600'000.-. Ce montant a en partie été réglé

le 19 août 2004 au moyen du crédit de fr. 2'000'000.- que le Crédit suisse avait accordé aux

demandeurs. Ces derniers ont ainsi exposé ne pas devoir s'acquitter des intérêts de pénalité

pour remboursement anticipé. Par courrier du 25 février 2005, le Crédit suisse a fait parvenir

aux demandeurs un décompte des intérêts hypothécaires du 21 juin 2004 au 19 août 2004.

Avec la précision que le versement effectif du crédit hypothécaire avait été effectué à cette

dernière date, il était mentionné que les intérêts pour la période considérée se montaient à

-18-

23980

fr. 12'000.-.

Pour le reste, l'acquisition de l'immeuble a été financée par le produit

de la vente des titres effectuée le 15 juin 2004, de sorte que de nouveaux frais de courtage

ont pu être évités.

16 . Par demande du 23 juillet 2004, reçue le 27 juillet 2004 au greffe du

Tribunal de céans, Richard Canton, Raymonde Canton, Rolande Therin-Canton et Régine

Muheim-Canton ont pris, avec suite de frais et dépens, la conclusion suivante:

"I. Marc-Etienne Rouge est le débiteur de

Richard Canton, Raymonde Canton, Rolande

Therin-Canton et Régine Muheim-Canton de la

somme de 100'000 fr. (cent mille francs)

plus intérêt à 5% l'an dès 21 juin 2004 et

leur en doit immédiat paiement."

Par réponse du 30 novembre 2004, Marc-Etienne Rouge a conclu, avec

suite de frais et dépens, au rejet de la conclusion de la demande.

L'achat de l'immeuble sus chemin Benjamin-Dumur 6-8 à Lausanne leur

ayant permis d'éviter de payer la pénalité relative au crédit hypothécaire ainsi que de

nouveaux frais de courtage sur les titres vendus, les demandeurs ont, dans leurs

déterminations du 1er mars 2005, réduit, toujours avec dépens, la conclusion de leur

demande comme suit:

"M. Marc-Etienne Rouge est leur débiteur de

fr. 15'535.80 + intérêts à 5% l'an dès le 21

juin 2004 et leur en doit immédiat paiement"

EN DROIT:

I. A l'appui de leur prétention, les demandeurs allèguent en substance que le

défendeur a violé son devoir de négocier sérieusement. Il ne les aurait pas informés de la

conduite de pourparlers parallèles et aurait dû les avertir plus tôt de son intention de ne pas

-19-

23980

aboutir à la vente, au lieu de poursuivre les négociations jusqu'à finalement tirer argument

d'un prétendu désaccord quant aux conditions de la vente pour ne pas la conclure. Le

comportement du défendeur aurait éveillé en eux une confiance légitime en la poursuite de

pourparlers devant aboutir à la conclusion du contrat. Le dommage serait constitué d'une

part des intérêts hypothécaires dus au Crédit suisse, ayant couru du 21 juin au 19 août

2004, et d'autre part des frais relatifs à l'acte notarié dont l'instrumentation était prévue le 21

juin 2004. Il en découlerait une responsabilité du défendeur au titre de la culpa in

contrahendo.

Le défendeur oppose à cela que la confiance que les demandeurs

prétendent avoir fondée en son intention de mener à terme les négociations n'est pas

légitime. Les demandeurs ne pouvaient ignorer les pratiques du marché immobilier,

notamment la conduite de négociations parallèles et la constante possibilité de rupture des

négociations avant la conclusion formelle du contrat. Le défendeur expose en outre que les

demandeurs ont tenté de tirer avantage d'une réduction qu'il aurait obtenue sur le montant

de la dédite de son crédit hypothécaire, afin d'imposer unilatéralement une réduction du prix

de vente au dernier moment, ce qui l'aurait conduit à se tourner vers un autre acheteur.

II. Le principe général de la responsabilité précontractuelle ou culpa in

contrahendo repose sur l'idée que l'ouverture des pourparlers crée déjà une relation

juridique entre les parties, ce qui implique de se comporter conformément aux règles de la

bonne foi (art. 2 CC; ATF 121 III 350 consid. 6c p. 354). Certes, les interlocuteurs ne sont

pas tenus de poursuivre les pourparlers qu'ils ont entamés; chacun a le droit de les rompre

sans être obligé - en principe - d'en donner les raisons (P. Engel, Traité des obligations en

droit suisse, Berne 1997, p. 188, avec réf.). Néanmoins, la conduite de pourparlers

contractuels impose naturellement des devoirs d'égards réciproques aux parties.

En particulier, chaque partie doit négocier conformément à ses véritables

intentions (ATF 116 II 695, c. 3, p. 698; 105 II 75, c. 2a) et renseigner l'autre, dans une

certaine mesure, sur les circonstances propres à influencer sa décision de conclure le

contrat ou de le conclure à certaines conditions (ATF 105 II 75, JT 1980 I 66; ATF 102 II 81,

JT 1977 I 210; ATF 92 II 328, c. 3b, JT 1968 I 34; ATF 90 II 449, c. 4, JT 1965 I 275). Le

devoir de se comporter sérieusement suppose de ne pas engager, ni de poursuivre des

négociations en ayant l'intention de ne pas conclure le contrat; il implique également de ne

pas mener des pourparlers de manière à faire croire que sa volonté de conclure est plus

forte qu'en réalité (ATF 4c.381/2002 et références citées).

-20-

23980

Une partie ne peut pas, par une attitude contraire à ses véritables

intentions, éveiller chez l'autre l'espoir illusoire qu'une affaire sera conclue et l'amener ainsi à

faire des dépenses dans cette vue (ou au contraire à s'abstenir de prendre d'autres

dispositions). Celui qui engage de la sorte des pourparlers dans le dessein, même éventuel,

de les rompre doit réparation pour le préjudice causé à son partenaire. Dans le même ordre

d'idées, il peut exister un devoir de rompre: dès que l'un des partenaires se rend compte que

les négociations sont vouées à l'échec, il doit mettre fin aux tractations pour éviter une perte

de temps, des démarches, des frais inutiles à son partenaire (Engel, op. cit., pp. 188-189,

avec réf.). Ainsi, lorsqu'une partie doit savoir qu'un fait, ignoré de l'autre et qu'elle doit lui

révéler selon les règles de la bonne foi, peut faire échouer les pourparlers, elle doit l'en

informer sans attendre (P. Piotet, Culpa in contrahendo et responsabilité précontractuelle en

droit privé suisse, Berne 1963, p. 127).

La culpa in contrahendo sanctionne ainsi les devoirs de diligence que les

règles de la bonne foi ou de l'équité imposent aux parties dans la passation d'un acte

juridique ou dans les pourparlers en vue d'un tel acte. La violation fautive de ces devoirs de

diligence et de loyauté dans les pourparlers oblige à réparer le dommage que la partie lésée

n'aurait pas subi en l'absence de la faute. (Piotet, op. cit., pp. 126 et 127 ; Engel, op. cit., pp.

748 et 754). La culpa in contrahendo ne suppose toutefois pas une faute intentionnelle. Si

une partie ouvre et poursuit des pourparlers sans rendre son interlocuteur attentif à des

circonstances qu'il ne peut ni ne doit connaître lui-même, elle engage sa responsabilité

même si elle n'a manqué que par négligence à son devoir de renseigner (Engel, op. cit., pp.

185ss; Piotet, op. cit., p. 127; ATF 105 II 75, précité; ATF 92 II 328, précité; ATF 90 II 449,

précité).

III. En résumé, pour que la responsabilité de l'une des parties soit engagée au

titre de la culpa in contrahendo, il faut qu'elle ait agi de manière contraire aux règles de la

bonne foi, que l'autre partie ait subi un dommage et qu'il existe un lieu de causalité entre ce

dommage et le comportement incriminé (comparer de manière générale Engel, op. cit. pp.

185-189 et pp. 754-755).

a) S'agissant en premier lieu de la violation des règles de la bonne foi, il

s'agit de déterminer, au vu des circonstances particulières, notamment de la nature du

contrat, du déroulement des pourparlers, de ce que voulaient et savaient les intéressés, si la

confiance que les demandeurs ont fondé dans l'avancement des pourparlers était légitime et

-21-

23980

si cette confiance a été trompée de manière contraire aux règles de la bonne foi par le

défendeur.

En l'espèce, il faut relever que le contrat envisagé par les parties devait

revêtir la forme authentique. Or, lorsque le contrat en vue est soumis à une forme légale,

une culpa in contrahendo pour rupture des pourparlers sera admise d'autant moins

facilement que les prescriptions de forme ont précisément pour but de préserver les parties

d'un engagement irréfléchi. Demeure réservée l'hypothèse d'un refus injustifié de dernière

minute. Il est en effet contraire aux règles de la bonne foi de donner sans réserve son

accord de principe à la conclusion d'un contrat formel et de refuser in extremis, sans raison,

de le traduire dans la forme requise (SJ 2002 I p. 168). Le Tribunal fédéral a ainsi admis

qu'une banque engageait sa responsabilité précontractuelle pour avoir laissé une succursale

négocier un contrat jusqu'au texte définitif pendant des mois comme si ladite entité était

compétente pour conclure, - ce qui n'était pas le cas -, la convention n'étant finalement pas

signée sur refus du siège principal (ATF 105 II 75). Dans les cas de ce genre, le

comportement contraire aux règles de la bonne foi ne consiste pas tant à avoir rompu les

pourparlers qu'à avoir maintenu l'autre partie dans l'idée que le contrat sera certainement

conclu ou à n'avoir pas dissipé cette illusion à temps.

Dans la présente cause, les pourparlers menés entre les parties ont été

interrompus à un stade très avancé, puisque la date de la passation de l'acte authentique

avait été arrêtée d'entente entre les parties. Cette circonstance démontre que le défendeur

avait donné son accord de principe sur la conclusion formelle du contrat. Il ressort

notamment du courrier électronique du 16 juin 2004 de Patrice Rochat au notaire Antoine

Rochat que les parties s'étaient entendues sur un prix de vente de fr. 2'750'000.-, auquel

devaient être ajoutés fr. 55'000.- correspondant à la dédite due à la BCV par le défendeur.

Certes, après avoir constaté que le montant effectif de cette dédite n'était finalement pas de

fr. 55'000.-, mais de fr. 25'000.-, le notaire Antoine Rochat, mandaté par les demandeurs, a

fait part de son intention de modifier le projet d'acte en conséquence. Il l'a cependant fait

sous réserve expresse du consentement du défendeur. De son côté, ce dernier n'a pas

réagi à la communication du notaire. Quant à Patrice Rochat, mandataire du défendeur, il a

simplement répondu: "Parfait- Merci".

Dans ces conditions, les demandeurs ne devaient pas s'attendre à une

acceptation expresse de la modification proposée. Au contraire, la réponse lapidaire donnée

par le mandataire du défendeur peut de bonne foi être interprétée comme une acceptation

de la proposition du mandataire des demandeurs. De la sorte, une renonciation expresse de

-22-

23980

la part du défendeur aurait été de mise. Les demandeurs étaient dès lors toujours fondés à

placer leur confiance en l'aboutissement de la vente, le défendeur ne leur ayant aucunement

fait part de son revirement suite à la modification proposée du montant correspondant à la

dédite. Quand bien même les demandeurs devaient savoir que des négociations parallèles

étaient en cours, il faut relever que le défendeur a convenu d'une date à court terme pour la

conclusion formelle de la vente. De même, il a transmis tous les renseignements

nécessaires à l'établissement de l'acte de vente, sur lequel il n'a jamais manifesté son

désaccord. Une tel comportement est de nature à éveiller chez tout partenaire une confiance

légitime en ce que la vente se conclura à la date convenue, quelle que soit l'avancée des

négociations parallèles. A bien considérer les circonstances d'espèce, il apparaît même que

le défendeur n'a pas, à proprement parler, rompu de pourparlers. En effet, du point de vue

des demandeurs, le projet de vente ne comportait plus de point de discussion après que

Patrice Rochat ait manifesté son accord quant à l'intention du notaire de réduire le montant

indiqué dans la clause correspondant à la dédite. Plus particulièrement, l'instruction n'a pas

établi que le défendeur ait averti les demandeurs de son intention de ne pas se présenter

chez le notaire le lundi matin 21 juin 2004, comme les parties l'avaient convenu. Le

défendeur s'est contenté au dernier moment, soit vendredi soir 18 juin 2004, de prier son

propre mandataire, Patrice Rochat, d'annuler la réunion.

Il ressort en outre du témoignage du notaire Rochat ainsi que de la

correspondance du 20 juin 2004 de Patrice Rochat au défendeur que les demandeurs

étaient prêts à assumer les frais relatifs à la dédite, quel qu'en ait été le montant. La

réduction litigieuse n'a nullement été imposée, comme le soutient le défendeur, mais a été

au contraire proposée sur la base d'un décompte fourni par le défendeur lui-même. Ce

document pouvait naturellement laisser penser au notaire qu'il devait adapter le projet d'acte

de vente en conséquence, ce qu'il a pris la précaution de faire sous réserve du

consentement du défendeur. Le défendeur pouvait dès lors en inférer que les demandeurs,

par l'intermédiaire de leur mandataire, n'avaient pas l'intention de remettre en jeu les

discussions relatives au montant de la dédite, mais simplement d'adapter l'acte formel aux

précisions fournies par le défendeur. Ainsi, quand bien même ce dernier aurait manifesté

son désaccord quant à la réduction de cet élément du prix de vente, cela n'aurait pu suffire à

écarter la confiance des demandeurs en l'aboutissement de la vente.

Il apparaît ainsi que le comportement du défendeur a trompé d'une

manière contraire à la bonne foi les attentes légitimes qu'avaient fondé les demandeurs en

la conclusion formelle du contrat de vente. Il n'est cependant pas reproché au défendeur

d'avoir mené des pourparlers parallèles et d'avoir vendu son immeuble à un tiers peu avant

-23-

23980

la vente prévue avec les demandeurs. Le comportement du défendeur apparaissant

contraire aux règles de la bonne foi consiste en ce qu'il a conforté les demandeurs dans leur

confiance en l'aboutissement de la vente puis a refusé in extremis de venir passer l'acte

authentique. Partant la première condition nécessaire à l'admission d'une responsabilité au

titre de la culpa in contrahendo est réalisée.

b) A titre de dommage, les demandeurs font valoir les frais de l'acte notarié

qui n'a pas abouti, pour un montant de fr. 3'535.80, ainsi que les intérêts hypothécaires

ayant couru du 21 juin au 19 août 2004, pour une somme totale de fr. 12'000.-. Le premier

montant se fonde sur un décompte détaillé fourni par le notaire Antoine Rochat. Quant au

second, il ressort d'une lettre adressée par le Crédit suisse aux demandeurs, qui précise que

le montant du crédit hypothécaire n'a été effectivement versé qu'en date du 19 août 2004.

Dans la mesure où le crédit en question était lié à l'acquisition d'un immeuble déterminé, les

demandeurs n'ont pas été en mesure d'amortir les d'intérêts courant jusqu'alors par l'emploi

de la somme prêtée.

La violation fautive des devoirs précontractuels de diligence - culpa in

contrahendo -, que sont les devoirs de loyauté dans la préparation et la passation d'actes

juridiques ou analogues, et notamment dans les pourparlers en vue d'un contrat, permet

uniquement d'obtenir la réparation du dommage, soit la diminution involontaire du

patrimoine, que la personne lésée n'aurait pas subi en l'absence de faute

(Gauch/Schluep/Tercier, Partie générale du droit des obligations, tome I, 2ème éd., p. 129,

n. 684; Tercier, op. cit., n. 1100, p. 219; Engel, op. cit., p. 754).

C'est le lieu de rappeler qu'en vertu du principe selon lequel des

négociations contractuelles peuvent être librement interrompues à tout moment, chaque

partie doit s'attendre à devoir supporter elle-même ses propres frais relatifs à des

investissements ou autres actes de disposition qui s'avèrent vains en raison de l'échec des

pourparlers. Cela vaut même si l'autre partie avait de bonne foi déclaré ou fait comprendre

qu'elle avait réellement l'intention de conclure le contrat. Il n'en va différemment que dans

l'hypothèse où une partie poursuit les négociations et renforce l'autre partie dans la

confiance en leur aboutissement, alors qu'elle sait que les négociations n'aboutiront pas ou

couve des doutes sérieux à ce sujet (E. A. Kramer, Commentaire bernois ad art. 22 CO N

13-14, avec réf.).

S'agissant en premier lieu du paiement des intérêts hypothécaires ayant

couru du 21 juin au 19 août 2004, il faut relever que la conclusion du contrat en question

-24-

23980

entre les demandeurs et le Crédit suisse a précédé le moment où le défendeur a pu donner

son accord de principe quant à l'aboutissement du contrat de vente. En effet, dans son

courrier du 25 mai 2004 à Patrice Rochat, le défendeur a expressément réservé l'accord sur

certains points essentiels nécessaires à "l'offre complète" qu'il a alors évoquée. C'est ainsi

une fois seulement que le crédit hypothécaire a été effectivement ouvert en faveur des

demandeurs et que ces derniers ont confirmé qu'ils supporteraient la dédite due par le

défendeur, que Patrice Rochat a pu, le 8 juin 2004, communiquer ces éléments au

défendeur et lui annoncer qu'il commandait un acte de vente auprès du notaire Rochat. Il en

résulte qu'au moment de la conclusion du crédit hypothécaire entre les demandeurs et le

Crédit suisse, le défendeur n'avait pas encore exprimé son accord de principe quant à la

conclusion de la vente. Par ailleurs, aucun élément ne permet de penser qu'il avait à ce

moment là l'intention de rompre les pourparlers. Le désistement fautif reproché au

défendeur n'a pu intervenir que postérieurement au moment de la conclusion du prêt

hypothécaire sur lequel les demandeurs fondent une partie de leur prétention. Il apparaît

ainsi qu'il n'y a pas de lien de causalité entre la violation des devoirs de bonne foi par le

défendeur et le dommage des demandeurs quant aux intérêts hypothécaires.

En revanche, les frais de notaire échus pour l'acte authentique qui n'a

finalement pas été instrumenté ont directement été causés par le fait que le défendeur a

maintenu jusqu'au dernier moment les demandeurs dans l'assurance erronée que la

conclusion formelle du contrat de vente aurait lieu. En l'absence de faute, à savoir si le

défendeur n'avait pas donné son accord sur l'établissement d'un acte de vente et la fixation

d'une date d'instrumentation alors qu'il n'avait pas l'intention de s'y tenir, les frais en question

auraient aisément pu être évités. De même, si le défendeur a effectivement, comme il le

soutient, décidé d'abandonner les négociations avec les demandeurs à la suite de la

proposition du 17 juin 2004 de réduire de fr. 30'000.- le prix figurant dans l'acte, il aurait dû

immédiatement en faire part aux demandeurs, afin d'éviter les frais liés à la séance

d'instrumentation. La dernière condition posée à une responsabilité précontractuelle est ainsi

réalisée en ce qui concerne les frais de notaire assumés par les demandeurs. Le défendeur

est dès lors tenu d'indemniser les demandeurs à concurrence de fr. 3'535.80.

IV. La demanderesse réclame l’intérêt moratoire dès le 21 juin 2004, au taux

de 5% l’an, conformément à sa conclusion du 1er mars 2005.

a) Aux termes de l’article 104 alinéa 1er CO, le débiteur qui est en demeure

pour le paiement d’une somme d’argent doit l’intérêt moratoire à 5 pour cent, même si un

-25-

23980

taux inférieur avait été fixé pour l’intérêt conventionnel.

La question de savoir à partir de quel moment l'auteur d'une culpa in

contrahendo est en demeure dépend du rattachement délictuel ou contractuel de ce chef de

responsabilité. En effet, alors que l’article 102 alinéa 1er CO dispose que le débiteur d’une

obligation exigible est mis en demeure par l’interpellation du créancier, l'intérêt résultant d'un

acte illicite est dû à compter du jour de la commission de l'acte (Engel, op. cit., p. 689, avec

réf.).

Il est généralement admis que les articles 97 et suivants CO s'appliquent

par analogie à la responsabilité fondée sur la confiance, car la relation personnelle étroite

des parties est plus proche d'un rapport contractuel que de la rencontre de pur hasard visée

par l'article 41 CO (voir A. Morin, Les caractéristiques de la responsabilité fondée sur la

confiance. Note à propos des ATF 128 III 324 et 130 III 345, in: JT 2005 I, pp. 58ss, avec

réf.)

b) En l’occurrence, la première interpellation, c'est-à-dire la sommation de

payer la somme réclamée, résulte de la demande du 23 juillet 2004, reçue selon le cours

normal des choses le 2 août 2004 par le défendeur, de sorte que les intérêts moratoires sont

dus dès cette date.

V. Obtenant partiellement gain de cause, les demandeurs ont droit à des

dépens réduits (art. 92 al. 2 CPC), qu'il convient d'arrêter comme suit:

- fr. 2'210.- en remboursement de ses frais de justice;

- fr. 1'700.- à titre de participation aux honoraires de son conseil;

- fr. 300.- pour les débours de son conseil.

-26-

23980

Par ces motifs,

le Président

I.- ADMET partiellement l'action formée le 23 juillet 2004 par les demandeurs

Richard Canton, Raymonde Canton, Rolande Therin-Canton et Régine Muheim-Canton

contre le défendeur Marc-Etienne Rouge;

II.- DIT que Marc-Etienne Rouge est le débiteur des demandeurs d'une somme de

fr. 3'535.80 (trois mille cinq cent trente-cinq francs et huitante centimes), avec intérêts à 5%

l'an dès le 2 août 2004;

III.- ARRÊTE les frais de procédure à fr. 2'210.- (deux mille deux cent dix francs)

pour les demandeurs, solidairement entre eux, et à fr. 2'000.- (deux mille francs) pour Marc-

Etienne Rouge;

IV.- DIT que Marc-Etienne Rouge est le débiteur des demandeurs d'un montant de

fr. 4'210.- (quatre mille deux cent dix francs) à titre de dépens réduits;

V.- REJETTE toutes autres ou plus amples conclusions.

Le Président : Le greffier :

P. Bruttin G. Vionnet, sbt

Du

Les motifs du jugement rendu le 11 janvier 2006 sont notifiés aux conseils des

parties.

-27-

23980

Les parties peuvent recourir auprès du tribunal Cantonal dans les dix jours

dès la notification de la présente motivation en déposant au greffe du tribunal

d'arrondissement un acte de recours désignant le jugement attaqué et contenant leurs

conclusions, ou à ce défaut, indiquant sur quels points le jugement est attaqué et quelles

sont les modifications demandées.

Si vous avez déjà recouru dans le délai de demande de motivation sans

prendre de conclusions conformes aux exigences susmentionnées, votre recours pourra

être déclaré irrecevable, à moins que vous ne formuliez des conclusions régulières dans le

délai fixé ci-dessus.

Le greffier : G. Vionnet, sbt.