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CARACTERISER LE « MODELE FRANÇAIS DE PRESCRIPTION » UNE EVALUATION CRITIQUE DES INDICATEURS UTILISÉS ETUDE REALISEE POUR LE LEEM FRANCK AMALRIC ET JOSEPHINE LOOCK IMS HEALTH 18 SEPTEMBRE 2008

CARACTERISER LE « MODELE FRANÇAIS DE ...©sumé exécutif La consommation de médicaments reste plus élevée en France que dans les autres pays européens malgré la convergence

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CARACTERISER LE « MODELE FRANÇAIS DE PRESCRIPTION »

UNE EVALUATION CRITIQUE DES INDICATEURS UTILISÉS

ETUDE REALISEE POUR LE LEEM

FRANCK AMALRIC ET JOSEPHINE LOOCK

IMS HEALTH

18 SEPTEMBRE 2008

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Table des matières

Résumé exécutif .........................................................................................................3

Introduction...............................................................................................................5

1. Les données illustrant la forte propension des médecins français à prescrire .................8

1.1. Le rapport MECSS ......................................................................................8

1.2. Présentation et discussion de l’étude IPSOS ...................................................8

1.3. Autres sources de données sur la prescription .............................................. 11

1.4. Synthèse ................................................................................................ 12

2. Discussion théorique sur les indicateurs employés pour caractériser le “modèle de prescription français” ................................................................................................ 14

2.1. Le ratio prescription médicamenteuse/ consultations n’est pas un bon indicateur de la propension des médecins à prescrire des médicaments ..................... 14

2.2. Le nombre de lignes par ordonnance n’est pas un bon indicateur de la propension des médecins à prescrire des médicaments............................................ 16

3. Trois spécificités institutionnelles concourent à augmenter la valeur du ratio prescription médicamenteuse/ consultations en France .................................................. 18

3.1. Prescription et motif de recours au médecin ................................................. 18

3.2. L’organisation de la prévention................................................................... 20

3.3. Le suivi des maladies chroniques ................................................................ 21

3.4. L’accès au remboursement des médicaments à prescription médicale facultative (PMF)................................................................................................ 22

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Résumé exécutif

La consommation de médicaments reste plus élevée en France que dans les autres pays européens malgré la convergence importante opérée ces dernières années. Diverses instances publiques comme le Haut Conseil de l’Avenir de l’Assurance Maladie (HCAAM) ou la MECSS ont trouvé une explication à ce constat : les médecins français auraient tendance à prescrire plus de médicaments que leurs homologues européens. Cette forte propension à prescrire serait même constitutive d’un « modèle français de prescription », selon l’expression du HCAAM. Preuves à l’appui : le ratio rapportant le nombre de consultations se finissant par une prescription médicamenteuse au nombre total de consultations, et le nombre de lignes de prescription par ordonnance seraient plus élevés en France que dans les autres pays européens. Ces deux indicateurs sont très en vogue. Ils sont repris par plusieurs études influentes sur la prescription, et sont par ailleurs utilisés pour orienter l’action politique visant à contenir la consommation médicamenteuse. Mais ces indicateurs sont-ils vraiment appropriés pour rendre compte de la propension à prescrire des médecins ? Nous ne le pensons pas, pour deux raisons. D’abord parce que la mesure de ces indicateurs est trop sensible ou trop difficile à réaliser. Ainsi les études réalisées avancent des chiffres différents selon les méthodes retenues. Toutefois, une confrontation de ces études suggère qu’environ 3 consultations sur 4 se concluent par la prescription d’un médicament. Ensuite, et plus fondamental, car de par leur conception ces deux indicateurs ne permettent pas de fournir une indication fiable sur la propension des médecins à prescrire des médicaments. Ainsi le ratio nombre de lignes de prescription par ordonnance n’est pas adéquat pour rendre compte de la tendance des médecins à prescrire, du fait de sa construction même. De plus, ce ratio ne suit pas au fil du temps l’augmentation de la consommation de médicaments : alors que le nombre total de médicaments prescrits par personne augmente quasiment du simple au double ces 20 dernières années, le ratio nombre de médicaments par ordonnance reste stable. Le ratio prescription médicamenteuse/ consultations est quant à lui insatisfaisant pour expliquer la propension des médecins à prescrire car sa valeur évolue également selon l’organisation des soins du pays. En France, trois spécificités institutionnelles et organisationnelles concourent à augmenter, mécaniquement, le ratio prescription médicamenteuse/ consultations.

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Le médecin généraliste a un faible rôle en matière de prévention, à la différence par exemple des médecins britanniques qui sont fortement incités à participer à des actions de prévention. Le médecin français est donc moins souvent dans la situation d’une consultation au cours de laquelle aucune action curative – donc nécessitant une prescription médicamenteuse - n’est requise. Ensuite le médecin français continue à jouer un rôle majeur dans le suivi des maladies chroniques. Les patients français ont par exemple la nécessité ou l’habitude de consulter leur médecin pour renouveler une ordonnance. Dans un pays comme la Grande Bretagne, le médecin a la possibilité de passer un accord avec le pharmacien pour qu’un patient se rende directement à l’officine chercher des médicaments, sans qu’une consultation ne soit nécessaire. Quand le renouvellement d’ordonnance est conditionné à une consultation chez le médecin généraliste comme cela est le cas en France, cela contribue de fait à augmenter le ratio prescription médicamenteuse/ consultations. Enfin, en France la très grande majorité des médicaments de prescription médicale facultative sont remboursables lorsque prescrits par un médecin alors qu’en Allemagne et aux Pays Bas le remboursement de ces médicaments est exceptionnel. A la différence d’autres pays, la prescription reste en France le mode d’accès privilégié au médicament, ce qui explique qu’une consultation en France se termine souvent par une prescription. L’analyse critique développée ici reste un exercice essentiel pour analyser la réalité de la prescription et mettre en place des politiques publiques efficaces. Elle remet en doute l’existence d’un « modèle français de prescription » et au-delà, ce qui n’est pas rien, la pertinence de l’approche suivie par les pouvoirs publics pour contenir la consommation de médicaments en France.

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Introduction

Plusieurs publications récentes ont mis en évidence le fait que la consommation de médicaments était plus élevée en France que dans les autres pays européens malgré la convergence importante opérée ces dernières années1. Ce résultat est obtenu quelque soit la mesure retenue pour mesurer cette consommation : par les dépenses de médicaments, par le volume de médicaments prescrits, ou encore par le nombre de médicaments prescrits (rapportés au nombre d’habitants). Pour certaines classes thérapeutiques les écarts entre la France et les autres pays s’inversent, mais dans la globalité l’hexagone reste encore le premier consommateur de médicaments par habitant2. Plusieurs études émanant d’instances publiques avancent la proposition selon laquelle ce niveau élevé de la consommation proviendrait d’une propension à prescrire des médicaments plus forte chez les médecins français que chez leurs homologues européens. Il existerait ainsi un « modèle français de prescription », selon l’expression du Haut Conseil de l’Avenir de l’Assurance Maladie dans un rapport de 2006. Dernier exemple en date, le rapport d’information sur « la prescription, la consommation et la fiscalité des médicaments » de la Mission d’Évaluation et de Contrôle des Lois de Financement de la Sécurité Sociale (MECSS) soutient la proposition selon laquelle « les médecins de ville français sont de gros prescripteurs de médicaments ». Cette proposition est inférée des valeurs prises par deux indicateurs sensés mesurer la propension des médecins à prescrire des médicaments : le ratio rapportant le nombre de consultations se finissant par une prescription médicamenteuse au nombre total de consultations (ratio prescription médicamenteuse/ nombre de consultations) ; et le nombre de lignes de prescription par ordonnance. Ces indicateurs sont utilisés pour décrire et caractériser la situation à un moment donné, et suivre l’impact de l’action politique visant à contenir la consommation de médicaments en diminuant la propension des médecins à prescrire des médicaments. Ainsi, les objectifs immédiats déclarés du ministre de la santé, repris dans l’évaluation de son action par le premier ministre en

1 C.Le Pen, H.Lemasson et C.Roullière-Lelidec, « La consommation médicamenteuse dans 5 pays européens : une réévaluation », LEEM, avril 2007. 2 Haut Conseil pour l’Avenir de l’Assurance Maladie, « Actualisation de la note sur le médicament, adoptée le 29 juin 2006 par le HCAAM », 10 juillet 2008 ; G.Viens, K.Levesque, P.Chahwakilian, A.El Hasnaoui, A.Gaudillat, G.Nicol et C.Crouzier, « Evolution comparée de la consommation de médicaments dans 5 pays européens entre 2000 et 2004 : analyse de 7 classes pharmaco-thérapeutiques » Essec, février 2007 ; C.Sabban et J.Courtois, « Comparaisons européennes sur huit classes de médicaments », CNAMTS, Points de repère n°12, décembre 2007.

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septembre 2008, incluaient la « réduction du nombre de médicaments par ordonnance »3. Si ces deux indicateurs sont souvent cités dans le débat public, ils n’en demeurent pas moins très contestables. Premier constat : la mesure de ces indicateurs, et notamment du ratio prescription médicamenteuse/ consultations, est fragile. Nous y revenons dans la première section de cette note. Deuxième constat, plus grave car plus fondamental, ces deux indicateurs ne peuvent pas remplir la fonction qui leur est impartie, à savoir fournir une indication sur la propension des médecins à prescrire des médicaments. Les arguments principaux que nous développons dans cette note sont les suivants :

1. De manière générale, il n’existe pas de relation simple entre le ratio

prescription médicamenteuse/ consultations et la propension des médecins à prescrire des médicaments. La raison est que cette propension ne peut pas être évaluée sur l’ensemble des consultations, mais seulement sur celles au cours desquelles le médecin a véritablement le choix de prescrire ou non des médicaments. Un facteur à prendre en compte pour expliquer la valeur du ratio prescription médicamenteuse/ consultations est donc la proportion de consultations au cours desquelles les médecins ont véritablement un choix.

2. La proportion de consultations au cours desquelles les médecins ont

véritablement un choix est dépendante de facteurs organisationnels et institutionnels. Ceux-ci ont donc une influence directe sur le ratio prescription médicamenteuse/ consultations.

3. Trois spécificités institutionnelles et organisationnelles françaises – faible rôle

du médecin généraliste en matière de prévention, nécessité d’une prescription pour le renouvellement d’ordonnance dans le cas de suivi de maladies chroniques, et possibilité de présenter au remboursement les médicaments de prescription médicale facultative quand ils sont prescrits par un médecin – concourent à augmenter, mécaniquement, le ratio prescription médicamenteuse/ consultations.

4. Le nombre de médicaments par consultation est également insatisfaisant pour

rendre compte de la propension des médecins à prescrire des médicaments dans la perspective d’expliquer la consommation élevée de médicaments en France. Car l’augmentation de cette consommation au cours des dernières décennies n’a pas eu lieu au travers d’une augmentation du nombre de lignes, mais au travers du nombre de consultations.

3 « Seize ministres au rapport chez François Fillon », Le Monde du 4 septembre 2008.

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Ce deuxième constat, que les indicateurs « ratio prescription médicamenteuse/ nombre de consultations » et « nombre de lignes par ordonnance » ne sont pas de bons indicateurs de la propension des médecins à prescrire des médicaments, ne nous renseigne en rien sur les déterminants de la consommation de médicaments en France. Il remet seulement en doute l’existence d’un « modèle français de prescription » et au-delà, ce qui n’est pas rien, la pertinence de l’approche suivie par les pouvoirs publics pour contenir la consommation de médicaments en France. Au risque de simplifier, on peut, à ce sujet, distinguer deux grandes approches : la première consiste à contenir la consommation de médicaments de manière générale sans faire de distinction entre personnes ; la deuxième consiste à essayer de réduire, prioritairement, la consommation parmi les très gros consommateurs de médicaments, à savoir notamment les personnes en affection de longue durée (ALD). L’intérêt économique et médical de chacune de ces deux approches mériterait plus ample discussion. Notons seulement ici que le choix d’indicateurs pour suivre l’impact des politiques publiques n’est pas neutre dans cette discussion. En suggérant que les médecins français ont une plus grande propension à prescrire des médicaments que leurs homologues européens, les deux indicateurs actuellement en vogue nous invitent, implicitement, à privilégier la première approche. Montrer que l’analyse qui sous-tend cette approche est sans fondement devrait, de manière indirecte, renforcer l’attrait de la deuxième approche.

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1. Les données illustrant la forte propension des médecins français à prescrire

1.1. Le rapport MECSS Le rapport de la Commission des Affaires Culturelles, Familiales et Sociales sur « La prescription, la consommation et la fiscalité des médicaments » soutient que « les médecins français prescrivent beaucoup », c’est-à-dire plus que leurs collègues européens. La démonstration reprend deux arguments :

- les médecins concluent quasi systématiquement leur consultation par une prescription,

- les médecins prescrivent un grand nombre de médicaments par consultation. Le rapport est réalisé sur la base de trois études ou rapports :

- l’étude IPSOS de 2005 réalisée pour la CNAMTS - le rapport sur le médicament du Haut Conseil pour l’Avenir de l’Assurance

Maladie de juin 2006 - l’enquête DREES réalisée en 20024.

De ces trois sources, le rapport conclut : « cette habitude de conclure presque systématiquement (dans au moins trois cas sur quatre) une consultation par une prescription n’est pas le seul fait d’une minorité de prescripteurs, mais constitue une pratique courante et quasi généralisée. C’est bien le trait le plus marquant de ce que le Haut Conseil pour l’Avenir de l’Assurance Maladie dans son avis sur le médicament, de juin 2006, appelle le « modèle français de prescription » ». Y a-t-il véritablement une convergence de données sur ce sujet ? Notons tout d’abord que l’étude DREES, qui met en avant des ratios plus bas que ceux mis en évidence dans l’étude IPSOS, ne fait pas de comparaison internationale. Le rapport du HCAAM cite lui-même deux études : l’étude IPSOS, et une étude sociologique qualitative comparant les pratiques de prescription en France et aux Pays-Bas. La conclusion de la MECSS est donc basée sur une seule étude : l’étude IPSOS, étude semi-quantitative comparative.

1.2. Présentation et discussion de l’étude IPSOS L’étude « Le rapport des Français et des Européens à l’ordonnance et aux médicaments » réalisée par l’IPSOS croise les regards de patients et médecins dans

4 Amar E., Pereira C. (2005) « Les prescriptions des médecins généralistes et leurs déterminants », DREES : Études et Résultats n°440.

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quatre pays : Allemagne, Espagne, Pays Bas et France. L’étude est de type déclaratif, basée sur des entretiens téléphoniques réalisés auprès d’un échantillon représentatif d’environ 1000 patients et 250 médecins généralistes dans chacun des pays. L’analyse révèle d’une part qu’en France le nombre de médicaments prescrits suite à une consultation est plus élevé que dans les autres pays européens. Les patients déclarent qu’à la suite d’une consultation environ 1,6 médicaments leur sont prescrits, contre 1,2 en Allemagne et Espagne puis 0,9 aux Pays Bas. D’autre part selon les médecins interrogés, le ratio prescription médicamenteuse par consultations, soit le nombre de consultations se soldant par une ordonnance de médicaments est plus important en France qu’ailleurs puisque 90% des consultations se concluent par une ordonnance de médicaments, contre 83,1% en Espagne, 72,3% en Allemagne et 43,2% aux Pays-Bas. C’est sur la base de ces chiffres que l’étude conclut qu’il existe « une forme de réflexe peut être plus ancré en France que parmi nos voisins, traduit en une équation simple : consultation = ordonnance=médicaments. » Notons que ces résultats ne sont pas issus de données quantitatives mais d’un recueil d’informations déclaratives auprès de médecins. Elles correspondent donc au ressenti général des personnes interrogées et non à un recueil d’informations sur des éléments précis. L’énoncé des questions ne rapportent pas le médecin à une situation précise, à un certain type de consultation ou ne lui demandent pas un retour d’informations sur un certain nombre de consultations (par exemple les questions auraient pu être formulées : « Lors de vos 10 dernières consultations… » ou « Lors de consultation pour une affection chronique… »). L’étude cherche ensuite à expliquer les facteurs de la prescription ou non prescription lors d’une consultation, en interrogeant patients et médecins sur les attentes des patients en consultation. Les résultats révèlent une fois encore une particularité française dans le fait que les perceptions des médecins et des patients sont étrangement éloignées. Les médecins ressentent pour beaucoup (46 % d’entre eux) une pression à la prescription de la part des patients. Cette pression est davantage ressentie chez les médecins français alors que « c’est le cas de 36 % des médecins en Allemagne et en Espagne et de seulement 20% aux Pays-Bas. Cette pression se traduit par des prescriptions que les médecins reconnaissent effectuer contre leur gré : dans 10,2% des cas en France, contre 7,7% en Allemagne, 6,2% en Espagne, et près de la moitié moins aux Pays-Bas avec 5,6%. » Pour autant cet avis ne semble pas partagé par les patients qui se déclarent plutôt favorables à des prescriptions médicamenteuses plus faibles. « 8 personnes sur 10 sont tout à fait ou plutôt d’accord avec l’idée selon laquelle « une consultation ne doit

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pas forcément se terminer par une ordonnance de médicaments », soit à peine moins que leurs voisins européens. » Les patients et médecins français rejoignent leurs voisins européens en ce qui concerne leur avis sur la prévention et l’évolution de comportements en termes d’hygiène de vie. Les patients sont très majoritairement favorables à l’idée de faire évoluer leurs comportements plutôt que de prendre un médicament quand cela est possible (de 75 % des patients en Espagne, à 87 % aux Pays-Bas, en passant par 83 % en France). De même, 85% des médecins français considèrent leurs patients « réceptifs aux mesures hygiéno-diététiques, lorsqu’ils jugent préférable de différer une prescription en proposant d’abord un changement de comportement ». Les médecins se situent ainsi dans la moyenne des médecins européens. L’étude conclut donc que les patients et les médecins sont prêts à faire évoluer ce qu’elle appelle « le modèle français de prescription ». Mais pourquoi cette évolution n’a-t-elle pas encore eu lien ? Quels sont les freins à a sa réalisation ? L’hypothèse avancée par l’étude est qu’il existerait un quiproquo entre patients et médecins. L’étude IPSOS suggère que des écarts de perception entre patients et médecins sur la nature des attentes réelles en consultation en termes de prescription médicamenteuse contribueraient à asseoir l’habitude selon laquelle une consultation doit déboucher sur une prescription médicamenteuse. L’enquête IPSOS révèle en effet l’existence de tels écarts : « Par exemple, 58% des médecins français ressentent une attente de prescription pour un rhume, alors qu’une prescription n’est estimée nécessaire que par 24% des patients seulement. De même 92% des médecins indiquent une attente de prescription dans la situation de troubles du sommeil alors que les patients sont 27% à juger la prescription nécessaire ». Ces regards croisés sont toutefois moins incohérents qu’ils ne semblent a priori. La question posées aux médecins était : «Pouvez-vous me dire si vous ressentez une attente de prescription sur chacun des items ? Excès de cholestérol ; le mal de dos ; les insomnies ; les rhumes. » Or la question est ambiguë. Elle peut avoir plusieurs significations :

a- Pouvez-vous me dire si vous ressentez une attente de prescription, de la part d’au moins un de vos patients, sur chacun des items ?

b- Pouvez-vous me dire si vous ressentez une attente de prescription, en moyenne parmi vos patients, sur chacun des items ?

c- Pour chacun des items suivants, quel est le pourcentage de vos patients qui en sont affectés qui expriment une attente de prescription ?

Il existerait bien un écart de perception entre patients et médecins que si ces derniers avaient compris la question qui leur était posée dans le sens de c). Or la formulation de la question était beaucoup plus proche de a) ou de b). En supposant que ce soit b),

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on peut imaginer qu’un médecin qui ressentirait une pression de la part de 25% de ces malades serait tenté de répondre positivement. De même, la question posée aux patients est déconnectée de la notion de consultation. Il est demandé aux patients « Chacun des items cités vous évoque-t-il la nécessité d’un médicament : Excès de cholestérol ; le mal de dos ; les insomnies ; les rhumes ? » Or on peut imaginer que dans l’absolu un problème de dos, de sommeil ou un rhume ne nécessite pas forcément de médicament, surtout si les maux sont bénins ou à un stade peu avancé. Mais dès lors qu’un patient consulte un médecin en raison de ces maux, il le fera à un stade plus avancé de la maladie et sera plus en attente d’un traitement. La question, si elle avait précisé « Si vous consultez un médecin pour l’un de ces items, attendez vous une prescription de médicament ? » aurait peut-être recueilli davantage de réponses positives. En résumé :

- Les données IPSOS sont de type déclaratif donc peu fiables - Les patients et médecins français ne se distinguent pas de leurs homologues

européens en termes de perception de la place du médicament dans les stratégies de santé

- L’hypothèse avancée par IPSOS pour expliquer la divergence entre pratiques de prescriptions et perceptions des médecins et des patients sur le rôle du médicament – hypothèse d’existence d’un malentendu – n’est pas fondée. Il paraît plus plausible que cette divergence soit le résultat du manque de clarté des questions posées.

1.3. Autres sources de données sur la prescription A notre connaissance, l’étude IPSOS est la seule à comparer les ratios prescription médicamenteuse/ consultations entre différents pays Européens dont la France. Il existe par contre d’autres sources de données sur ce ratio en France. D’après ces autres sources ce ratio ne serait pas de l’ordre de 90% comme le suggère l’étude IPSOS, mais plutôt aux alentours de 78%. BKL Thalès a réalisé une enquête pour la DREES auprès de 922 médecins généralistes. L’étude, qui porte sur 44 000 consultations et 6000 visites à domicile, montre que 78% des consultations donnent lieu à une prescription de médicaments5. En moyenne les médecins prescrivent 2,9 médicaments, un chiffre qui varie selon le diagnostic établi. Les prescriptions les plus élevées sont liées à un diagnostic de maladie cardio-vasculaire ou de pathologie chronique.

5 Amar E., Pereira C. (2005) « Les prescriptions des médecins généralistes et leurs déterminants », DREES : Études et Résultats n°440.

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Ces résultats sont comparables à ceux obtenus en 2003 par la Société Française de Médecine Générale suite à une analyse de 3 479 séances. L’étude évaluait à 83% les consultations suivies d’une prescription médicamenteuse6. Les données d’IMS Health se situent dans le même ordre d’idée. En observant les données longitudinales (Disease Analyzer), qui suivent les patients dans leur parcours de soins, il est possible d’étudier environ 6,2 millions de consultations chez le médecin généraliste7. En 2007 un quart des consultations (25,4%) n’a pas donné lieu à une prescription de médicaments. Ce chiffre est relativement stable depuis 2004. Ces données sont collectées selon un mode de saisie équivalent en Allemagne. La base Disease Analyser permet de collecter, dans ce pays, les données relatives à plus de 6,8 millions de consultations (pour l’année 2007). En 2007 plus d’un tiers des consultations (36,6%) n’a pas donné lieu à une prescription de médicaments.

Proportion de consultations chez le médecin généraliste sans prescription médicamenteuse

Année % de séances sans prescription

médicamenteuse en FRANCE

% de séances sans prescription

médicamenteuse en ALLEMAGNE

2004 26,5 % 36,5%

2005 25,8 % 36,6%

2006 26 % 37,0%

2007 25,4 % 36,6% Source : IMS Health – Disease Analyzer

Ces données font part d’un différentiel entre la France et l’Allemagne : il y a un nombre de consultations sans prescription de médicament moins important en France qu’en Allemagne (écart de 11,2 points). Notons que cet écart est moins important que dans les données rapportées dans l’étude IPSOS (écart de 17,7 points).

1.4. Synthèse Les données de l’enquête IPSOS (les médecins interrogés déclarent que 90% de leurs consultations donnent lieu à une prescription médicamenteuse) semblent particulièrement élevées au regard des autres publications. Rappelons que ces données se basent sur des éléments déclaratifs auprès des médecins, alors que les autres données sont issues d’enquêtes qui analysent directement des consultations,

6 SFMG (2004) « Existe-t-il une typologie des actes effectués en médecine générale ? », La revue du Praticien, tome 18, n°656/657. 7 Ces données sont saisies par les médecins qui font partie d’un panel.

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soit en interrogeant le médecin, soit en recueillant des données quantitatives. La réalité quant à la prescription médicale est qu’un peu plus de 3 consultations sur 4 se concluent par la prescription d’un médicament, soit 75 à 80% des consultations.

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2. Discussion théorique sur les indicateurs employés pour caractériser le “modèle de prescription français”

2.1. Le ratio prescription médicamenteuse/ consultations n’est pas un bon indicateur de la propension des médecins à prescrire des médicaments Comme nous l’avons vu ci-dessus le ratio prescription médicale/ consultations – nous noterons « R » ce ratio par la suite – est souvent utilisé comme un indicateur de la propension des médecins à prescrire des médicaments. Cela suppose qu’il existe une relation (ou fonction) simple, c'est-à-dire homogène (i.e. croissante ou décroissante), qui relie l’indicateur à la réalité que l’on souhaite mesurer (la propension des médecins à prescrire). Or cela n’est pas le cas. Par conséquence il est incorrect, d’un point de vue logique, de déduire du ratio R des enseignements sur la propension des médecins à prescrire des médicaments sans prendre en compte les autres facteurs pouvant influer sur ce ratio. En effet, une différence des ratios R entre différents pays peut s’expliquer autrement que par l’existence de différents modèles de prescriptions. Pour le montrer, commençons par préciser ce que l’on entend par propension des médecins à prescrire. Lors d’une consultation, le médecin fait face à trois situations possibles :

- Situation A : la personne est malade, le diagnostic est clair, et la meilleure solution thérapeutique est une prise en charge médicamenteuse. En d’autres termes, la prescription médicamenteuse s’impose dans l’intérêt du malade.

- Situation B : il existe une alternative non-médicamenteuse médicalement au moins aussi bonne pour répondre aux besoins de la personne venue en consultation

- Situation C : le motif de recours à la consultation n’appelle pas une prescription médicamenteuse

Si modèle de prescription il y a, c’est en situation B qu’il s’exprime. En situations A et C, tous les médecins doivent agir de même et prescrire des médicaments. Sur l’ensemble des consultations correspondant à une situation A, R=1 ; sur celles correspondant à une situation C, R=0. Par contre, les situations B ouvrent une possibilité de choix aux médecins (R=β). C’est donc en comparant les pratiques de différents médecins en situation B que l’on peut mettre à jour l’existence de modèles particuliers de prescription. L’hypothèse sous-jacente mais non explicite des comparaisons des ratios R entre différents pays est qu’en moyenne les médecins des différents pays font face au même nombre de situations A et B. Si ce n’est pas le cas, la simple comparaison des

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R ne donne aucun renseignement sur la réelle propension des médecins à prescrire ou non des médicaments en situation B. L’exemple chiffré ci-dessous illustre cette difficulté :

Pays 1 Pays 2

Consultations 80 40 Situations A

Prescriptions médicamenteuses

80 40

Consultations 20 60 Situations B

Prescriptions médicamenteuses

0 30

Consultations 100 100 Prescriptions médicamenteuses

80 70 Total

R 80% 70%

La propension à prescrire des médecins du pays 2 en situation B est plus élevée que celle de leurs collègues dans le pays 1. Pourtant, comme ceux-ci se retrouvent plus fréquemment en situation A, le ratio global prescription médicamenteuse/ consultations est plus élevé dans le pays 1 (80%) que dans le pays 2 (70%). Les enseignements que l’on pourrait tirer de la comparaison des R entre les deux pays seraient donc erronés. Plus formellement, on écrit: R = (A + β.B)/(A + B + C), où A, B et C représentent le nombre de consultations correspondant respectivement aux situations A, B et C. A β constant, indépendamment donc de la propension des médecins à prescrire, une hausse de A ou une baisse de C entraineront une augmentation de R. C’est pour cette raison que R n’est pas un bon indicateur de β – la propension des médecins à prescrire des médicaments. Un R relativement plus élevé dans un pays donné, par exemple la France, peut donc s’expliquer de plusieurs manières :

- Hypothèse 1 : une propension plus forte des médecins à prescrire des médicaments dans des situations où cela ne s’impose pas (situations B)

- Hypothèse 2 : les médecins se retrouvent plus fréquemment que leurs homologues Européens en situation de prescription obligée (situation A) ou moins fréquemment en situation de non prescription (situation C)

- Hypothèse 3 : une combinaison de 1 et 2. On ne peut pas conclure que l’hypothèse 1 est la bonne sans avoir préalablement testée l’hypothèse 2 – ce qui n’est pas fait dans les publications mettant en avant l’existence d’un « modèle français de prescription ». Or, comme nous allons le voir plus bas, un certain nombre d’éléments concourent à soutenir l’hypothèse 2.

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2.2. Le nombre de lignes par ordonnance n’est pas un bon indicateur de la propension des médecins à prescrire des médicaments Le deuxième indicateur mentionné dans les différents rapports évoquant le lien entre consommation médicamenteuse et prescription est le nombre de lignes de prescription par ordonnance – que nous appellerons N. Ainsi les différents rapports concluent que la France se distingue des autres pays européens en cela qu’un plus grand nombre de médicaments est prescrit lors d’une consultation. Cet état de fait concourt, selon la MECSS ou la DREES dans les études citées auparavant, à rendre spécifique le « modèle de prescription » français. Mais cet indicateur est complexe à utiliser et à interpréter du fait même de sa structure. Comme pour l’indicateur prescription médicamenteuse/ consultations, il n’existe pas de relation simple entre propension à prescrire et nombre de lignes par ordonnance. Il est ainsi facile de construire une situation dans laquelle une baisse de la propension du médecin à prescrire va en fait augmenter le nombre de lignes moyen par ordonnance. Considérons un médecin qui auparavant prescrivait 1 ligne de médicament dans une situation B donnée et qui maintenant prescrit 0 ligne de médicament dans cette même situation. Ses ordonnances qui comportaient 1 ligne ne sont plus comptabilisées dans le calcul de l’indicateur N, ce qui augmente mathématiquement la valeur de N. Autrement dit, si les médecins français qui prescrivaient une ligne de prescription revoient leur pratique pour certains cas et ne prescrivent plus de médicament, cela concourra à augmenter la moyenne nationale de l’indicateur nombre de lignes par ordonnance, actuellement égal à 2,9 lignes. L’augmentation de l’indicateur N n’est donc pas systématiquement révélatrice d’une propension élevée des médecins à prescrire. Il n’est donc pas l’indicateur le plus adéquat pour illustrer un « modèle de prescription ». Un deuxième élément vient fragiliser la pertinence de l’indicateur N dans la perspective de contenir la consommation de médicaments en France. Lorsque l’on compare (tableau ci-dessous) l’évolution dans le temps du nombre de prescriptions par consultation, à l’évolution du nombre de consultations par personne il est possible de faire un constat très simple : selon les chiffres de l’OCDE 2008, l’augmentation de la consommation de médicaments résulte plutôt de l’augmentation du nombre de consultations par personne (de 4,3 à 7 consultations entre 1980 et 2002) tandis que le nombre de prescriptions par consultation reste stable (de 6,7 à 6,5 unités entre 1980 et 2002). Cela signifie que les médecins n’ont pas modifié les quantités de médicaments prescrites, ils ont en revanche vu leurs patients au cours d’un plus grand nombre de consultations.

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Evolution du nombre d’unités de médicaments et de consultations par assuré du régime général entre 1980 et 2002

1980 2002 Taux de

croissance annuel

Nb. Unités (en millions) 1 275 2 234 2,6% Unités par personne protégée du régime général

28,7 45,3 2,1%

Consultations et visites médicales par personne protégée du régime général

4,3 7,0 2,2%

Nb. d’unités par consultation et visite

6,7 6,5 -0,1%

Source : EcoSanté 2008 - OCDE

Nous ne contestons pas le fait que le nombre d’unités de médicaments prescrites par personne a augmenté en 20 ans. Il est passé de 28,7 à 45,3 unités entre 1980 et 2002. En revanche nous signalons que l’indicateur nombre d’unités prescrites par consultation, pris seul, ne permet pas d’illustrer l’augmentation du nombre de prescriptions.

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3. Trois spécificités institutionnelles concourent à augmenter la valeur du ratio prescription médicamenteuse/ consultations en France

Nous nous proposons d’explorer ici l’hypothèse que les médecins français se retrouvent plus fréquemment en situation de prescription obligée (situation A) ou moins fréquemment en situation de non prescription (situation C) que leurs homologues Européens pour des raisons liées à l’organisation du système de santé. Si nous ne pouvons pas mesurer la contribution de ces facteurs à la détermination de la valeur du ratio prescription médicamenteuse/ consultations, nous montrons néanmoins qu’il n’y a aucune raison de négliger, a priori, cette contribution. Pour mettre à jour ces relations, il est utile de commencer par distinguer différents motifs de recours à la consultation.

3.1. Prescription et motif de recours au médecin Le recours à un médecin (disons, pour simplifier, généraliste en ville) peut avoir différentes motivations. Exploitant l’enquête DREES auprès des médecins généralistes libéraux de 2002, Géraldine Labarthe a proposé la typologie suivante :

- Recours pour raison autre qu’une prise en charge thérapeutique (administratif, geste de prévention, certificat, conseil…)

- Contrôle et suivi d’une affection chronique stable - Affection aigüe - Déstabilisation d’une affection chronique - Consultations pour affection en cours d’exploration - Premier diagnostic d’une affection chronique8

Selon la même enquête la répartition des séances selon la nature du recours est comme suit :

Répartition des séances selon la nature du recours Motifs de recours % des

séances

Raison autres que prise en charge thérapeutique 9%

Contrôle et suivi d’une affection chronique stable 42%

Affection aigüe 36%

Déstabilisation affection chronique 7%

Consultation pour affection en cours d’exploration 3%

Premier diagnostic d’une affection chronique 2%

Source : DREES 2004

8 Labarthe, G. (2004) « Les consultations et visites des médecins généralistes, un essai de typologie », DREES : Études et Résultats n°315.

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Les publications tirées de l’enquête DREES montrent également que le nombre de médicaments prescrits par consultation varie sensiblement avec le motif du recours.

Nombres de médicaments moyens prescrits par type de recours Motifs de recours Nombre de

médicaments moyens prescrits

Raisons autres que prise en charge thérapeutique 1

Contrôle et suivi d’une affection chronique stable 3,8

Affection aigüe 2,5

Déstabilisation affection chronique 2,7

Consultation pour affection en cours d’exploration 1,6

Premier diagnostic d’une affection chronique 2,2

Source : DREES 2005

En fait on peut supposer que le ratio R varie de manière importante avec le motif de recours – même si les publications ne renseignent pas ce point particulier. En effet, si le motif du recours n’est pas une prise en charge thérapeutique, mais une démarche administrative ou encore la réalisation d’un acte de prévention (situation C), il n’y a pas de raison que la consultation débouche sur une prescription médicamenteuse. La raison sous-jacente pour laquelle le ratio R varie d’un type de recours à l’autre est que les parts des situations A et B varient, et peuvent varier, fortement d’un type de recours à l’autre selon l’organisation du système de santé. Trois aspects de cette organisation jouent a priori un rôle important. Tout d’abord, le rôle du médecin généraliste dans l’organisation de la prévention primaire. Plus celui-ci sera important, plus la part des consultations pour motif autre qu’une prise en charge thérapeutique sera importante, et donc plus fréquemment le médecin se trouvera en situation C. Mécaniquement cela entraîne une baisse du R total. Ensuite, le mode de renouvellement des ordonnances pour les malades atteints de maladie chronique. La nécessité ou l’habitude de revoir son médecin pour se faire renouveler une ordonnance, comme c’est le cas en France, fait croître mécaniquement la proportion de consultations qui se terminent automatiquement par une ordonnance médicamenteuse – i.e. la fréquence de situations A. Enfin, l’accès au remboursement des médicaments à prescription médicale facultative (PMF). Dans le cas d’une affection aiguë bénigne, si l’accès au remboursement est possible grâce à une prescription, et donc une consultation, l’automédication sera faible et le nombre de situations A plus élevées, entraînant mécaniquement une augmentation de R. Ces trois facteurs organisationnels peuvent donc peser sur la valeur du ratio prescription médicamenteuse/ consultations. En France, on peut penser que ces trois

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facteurs influent de manière importante sur le ratio prescription médicamenteuse/ consultations.

3.2. L’organisation de la prévention En France, le recours au médecin généraliste pour des raisons autres que thérapeutiques représente 9% des consultations. Qu’en est-il dans d’autres pays européens ? En Grande Bretagne, il existe une distinction claire entre les soins dits « primaires » et les soins dits « secondaires », les premiers renvoyant aux soins de premier recours tandis que les seconds renvoient aux soins hospitaliers et de spécialités. Les médecins généralistes (les « GPs ») sont les principaux acteurs des soins primaires et sont regroupés dans les « Primary Care Groups ». Chaque Britannique est inscrit sur la liste d’un GP. Ces professionnels assurent des tâches de santé publique dans le cadre de leur contrat avec le système de santé, le National Health Service (NHS) : ils ont un rôle majeur dans les actions de prévention et promotion de la santé. Le rapport de l’IGAS de 2003 sur la prévention note que dans ce pays « les médecins généralistes ont été incités à participer à des actions de prévention avec des systèmes de primes : ils bénéficient d’une rémunération mixte qui combine un paiement à la capitation, des remboursements de frais administratifs et des forfaits pour les actions de santé publique telles que la vaccination, la promotion de la santé ou la gestion des maladies chroniques (diabète, asthme). La quasi totalité des médecins est engagée dans ce type d’actions »9. En ce qui concerne la vaccination, ce sont les GP qui proposent à leurs patients de se faire vacciner et l’injection est souvent faite par des infirmiers, salariés dans le PCG. Prenons ensuite l’exemple du suivi et de la prévention en gynécologie. En France, le médecin généraliste français a un rôle très limité dans ce domaine. Il est un des acteurs dans la prise en charge gynécologique mais c’est bien le médecin spécialiste en gynécologie qui est le principal interlocuteur des femmes. Le gynécologue est en « accès direct », sans besoin de passer par le médecin traitant. Dans d’autres pays européens, il n'y a pas de gynécologues médicaux ; c'est le médecin généraliste qui assure le suivi gynécologique « de base » des femmes et qui adresse dans un second temps au gynéco-obstétricien les femmes qui lui posent un problème. Ainsi aux Pays-Bas, la gynécologie est une spécialité hospitalière. C’est le médecin généraliste qui assure une part importante des actes gynécologiques. « Il prend en charge la contraception et la surveillance de la ménopause. Il est par ailleurs un « passage obligé » et son intervention conditionne le remboursement des

9 Jourdain-Menninger D., Lignot-Leloup M. (2003), « Comparaison internationale sur la prévention sanitaire » IGAS.

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consultations spécialisées par l'assurance maladie hollandaise. »10. On peut donc supposer que les actes entrant dans le champ de la prévention et induisant moins de prescription sont réalisés avant tout par le médecin généraliste, tandis que le médecin spécialiste intervient pour les affections sévères. Selon l’organisation des soins qui prévaut dans un pays, le rôle du médecin généraliste en matière de prévention diffère. Dans certains pays européens autres que la France, le médecin a un rôle central dans la prévention et son recours n’est pas réduit à une prise en charge thérapeutique. Dans ces pays où le rôle de prévention du médecin généraliste est développé, le ratio OM/C sera plus bas, toutes choses égales par ailleurs. Il semble donc important de tenir compte de ces différences organisationnelles pour comparer les habitudes de prescription entre pays.

3.3. Le suivi des maladies chroniques En France, le médecin généraliste a un rôle majeur dans la prise en charge des maladies chroniques. Près de la moitié des motifs de recours au médecin généraliste (42%) sont le contrôle des affections chroniques stables. Aux Pays Bas cette activité du médecin généraliste est moins importante. Les professionnels paramédicaux ont un rôle plus important qu’en France dans le suivi des maladies chroniques. Ce sont souvent eux qui effectuent directement le suivi de ces patients atteints de pathologie chronique mais aussi de pathologies courantes. Selon l’analyse sociologique reprise par le Haut Conseil pour l’Avenir de l’Assurance Maladie et réalisée par Sophia Rosman sur la pratique de la prescription en médecine générale en France et aux Pays-Bas, le système néerlandais est ainsi caractérisé par « le phénomène de « gradation » ; des responsabilités relevant auparavant du médecin généraliste, voire même du spécialiste, sont aujourd’hui de plus en plus déléguées aux professionnels paramédicaux exerçant dans les cabinets de médecine générale »11. Comme le conclut la sociologue « ce double système « d’accès contrôlé au médecin » et de « délégation de tâches » contribue à limiter les prescriptions ». Dans la prise en charge des pathologies chroniques le renouvellement des ordonnances est fréquent. Les consultations pour renouvellement d’ordonnance sont-elles plus fréquentes en France que dans d’autres pays ? En France le médecin est autorisé à faire une prescription renouvelable par période maximale d'un mois, ou de trois mois (si le conditionnement est supérieur à un mois) 10 Collège National des Gynécologues et Obstétriciens Français, (2000), « Gynécologie & santé des femmes - Quel avenir en France ? Panorama et perspectives de la spécialité sur la période 2000-2020 ». 11 Cité par l’URCAM Centre dans son « Programme Médicaments – Antibiotiques 2005-2007 », octobre 2005.

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dans la limite de douze mois de traitement12. Aussi, pour les pathologies de longue durée, le patient doit nécessairement se rendre chez le médecin pour que celui-ci lui fasse une nouvelle ordonnance. Conscients de cet état de fait, les autorités ont cherché à améliorer la situation. Pour réduire le nombre de consultations médicales qui n’ont pour seul objet que le renouvellement d’une ordonnance, un décret (paru au Journal officiel du 5 février 2008) autorise les pharmaciens à délivrer des médicaments nécessaires à la poursuite d’un traitement, même lorsque la durée de validité d’une ordonnance renouvelable est expirée. Mais cette mesure a pour vocation le simple « dépannage » du patient avec la quantité de médicaments la plus petite possible, dans l’attente qu’il retourne chez son médecin pour avoir une nouvelle ordonnance. Dans un pays comme la Grande Bretagne, le renouvellement des ordonnances ne nécessite pas forcément de consultation chez le médecin. En effet ce dernier peut contracter un accord avec le pharmacien afin que les patients se rendent directement à l’officine pour se voir dispenser leur traitement. Soit le patient téléphone au GP qui fait suivre sa prescription au pharmacien, soit l’accord est déjà passé avec le pharmacien et le patient peut directement se rendre à l’officine. Dans la pratique, ce système appelé « repeat prescription » ne vaut pas uniquement pour les maladies chroniques mais peut être étendu à d’autres affections. Cela dépend en fait de la décision du médecin qui peut autoriser le pharmacien à délivrer des médicaments à ses patients, sans qu’une consultation ne soit nécessaire. Le GP doit contrôler ces prescriptions de manière annuelle mais dans la pratique ce dispositif n’est pas très encadré. Quand le renouvellement d’ordonnance n’est pas conditionné à une consultation chez le médecin généraliste, de fait le ratio PM/C diminue.

3.4. L’accès au remboursement des médicaments à prescription médicale facultative (PMF) Le rapport Coulomb – Baumelou de 2007 a souligné à quel point l’automédication est sous développée en France par rapport à ses voisins européens13. La part de l’automédication dans le marché total des médicaments était de 6% en France en 2005, contre 11% aux Pays Bas et 14% en Allemagne. La raison principale de ce sous-développement de l’automédication tiendrait au fait que les médicaments à prescription médicale facultative (PMF) sont ouverts au remboursement en France, à condition qu’ils soient prescrits, contrairement à la 12 Article R.5123-2 du code de la Santé Publique 13 Coulomb A., Baumelou A., « Situation de l’automédication en France et perspectives d’évolution. Marché, comportements, positions des acteurs », janvier 2007.

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situation qui prévaut ailleurs. En Allemagne comme aux Pays Bas « le remboursement des PMF constitue une dérogation à la règle », même s’il est tout de même assuré lorsque les traitements concernent des maladies sévères ou chroniques. En France, par contre, «l’immense majorité des produits de prescription médicale facultative est remboursable (80% en unités et 75% en valeur) alors que de nombreux pays assimilent totalement ou largement prescription médicale facultative et médicaments non remboursables. » Cette différence institutionnelle a un impact direct sur la manière dont les personnes ont accès aux médicaments PMF. Aux Pays bas, 89% du CAHT (chiffre d’affaire hors taxes) des médicaments PMF sont réalisés par demande directe du patient au pharmacien ; ce taux atteint 80% en Allemagne. En France, il n’est que de 27%, ce qui illustre bien le constat de la MECSS qu’en France « la prescription est le mode privilégié d’accès au médicament. » Cette nécessité de passer par le médecin pour avoir accès au médicament peut également expliquer pourquoi, selon l’étude IPSOS, les médecins ressentent pour beaucoup (46%) une pression à la prescription de la part des patients, pouvant aller jusqu’à une prescription contre leur gré (dans 10,2% des cas). Dans les autres pays cette pression est ressentie chez moins de médecins (36% des médecins en Allemagne ou Espagne ; 20% aux Pays Bas). De même les prescriptions effectuées contre leur gré sont moins nombreuses en Allemagne (7,7%), en Espagne (6,2%) et aux Pays-Bas (5,6%). Si « la prescription est le mode privilégié d’accès au médicament » il est normal que le ratio prescription médicamenteuse/ consultations soit élevé. Ce facteur institutionnel, comme les deux autres évoqués plus haut, doit donc être pris dûment en considération pour essayer de comprendre ce qui détermine la valeur de ce ratio – bien avant de conclure trop hâtivement que les médecins français ont tendance à prescrire plus de médicaments que leurs homologues européens.

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