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© Photo Éditions du Carmel Couverture du “n° 0” de Carmel. Il s’agit en fait d’une brochure sur le Tiers Ordre du Carmel écrite par le P. Marie-Joseph. Elle se conclut par : « on pourrait ajouter d’autres considérations sur l’esprit propre qui anime (le Tiers Ordre du Carmel) (…): peut-être le ferons nous dans la suite, suivant l’accueil qu’aura reçu ce premier numéro, et si le désir en est manifesté. » Effectivement, un mois plus tard sortait le premier numéro de Le Carmel et son Tiers Ordre. 88

Carmel. Il s’agit en fait d’une brochure sur le Tiers …...Cent ans de la revue Carmel 1911-2011 1. Cet article est le texte de la conférence retraçant l’histoire de la revue

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Couverture du “n° 0” de Carmel. Il s’agit en fait d’une brochure sur le Tiers Ordre du Carmel écrite par le P. Marie-Joseph. Elle se conclut par : « on pourrait ajouter d’autres considérations sur l’esprit propre qui anime (le Tiers Ordre du Carmel) (…): peut-être

le ferons nous dans la suite, suivant l’accueil qu’aura reçu ce premier numéro, et si le désir en est manifesté. » Effectivement, un mois plus tard sortait le premier numéro de

Le Carmel et son Tiers Ordre.88

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Cent ans de la revue Carmel1911-2011

1. Cet article est le texte de la conférence retraçant l’histoire de la revue Carmel prononcée par le P. Louis-Marie de Jésus au colloque du centenaire de notre revue, qui s’est tenu à l’Université Catholique de Lyon les 18 et 19 mars 2011.

On trouve toujours dans le cœur des oamis du Carmel un double amour : opour la science divine qui touche les

profondeurs de l’âme et pour la simplicité des petits enfants peu portés vers les calculs du monde adulte.

Le centenaire dont nous faisons mémoire 1 est en fait un double centenaire puisqu’il concerne non pas une mais deux revues : Les Études Carmélitaines et Le Carmel. Une revue très sérieuse : Les Études Carmélitaines, interrompue en 1962 avec la mort de son directeur le Père Bruno de Jésus-Marie (†16-X-1962) et une revue beaucoup plus populaire intitulée d’abord Le Carmel et son Tiers-Ordre puis Le Carmel tout court. Les deux revues reflètent

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2. Se reporter à notre étude « Les Carmes Déchaux en France : un peu d’histoire » in Carmel n°100 (juin 2001), p. 9-35.

3. Col. 1789 dudit dictionnaire (Letouzey et Ané, Paris, 1910). Voici le texte complet du para-graphe sur les revues : « revues – Ce genre de publi-cations n’a jamais eu beaucoup de vogue parmi les carmes, la plupart de leur revues n’ayant eu qu’une existence éphémère. Les Annales du Carmel, sous la direction du P. Abel, carme déchaussé, furent publiées à Paris depuis le mois de janvier 1879 jusqu’en novembre 1884 ; les principaux objets rentrant dans le cadre étroit qu’on s’était tracé, étaient l’exécution des décrets de 1880 et le cente-naire de sainte Thérèse. Elles sont continuées depuis le mois de mai 1889 sous le titre de Chroniques du Carmel, par les Pères de la province du Brabant. Les Stimmen vom Berge Karmel, inaugurées à Graz au mois d’octobre 1891 et plus tard transférées à

Vienne en Autriche, cessèrent en 1902 d’appartenir à l’ordre et changèrent de titre en 1904. Le centenaire de sainte Thérèse en 1882 occasionna la publication de l’Estrella de Alba (1881-1883) ; celui de saint Jean de la Croix donna naissance à la revue San Juan de la Cruz (Ségovie, 1890-1896), à laquelle succéda en 1900 : El Monte Carmelo (Santander et Burgos). Une autre revue du même nom : il Carmelo se publie en italien à Milan depuis 1902. La même année a vu naître à Ypres les Missions du Carmel, qui paraissent à la fois en français et en flamand. Parmi les revues éteintes citons aussi Saint Joseph’s Magazine (Dublin, 1891-1893), et l’Echo de N.-D. de Laghet (1898-1900) publié à propos du couronnement de la statue mira-culeuse de ce lieu de pèlerinage. Les carmes chaussés publient la revue espagnole : El Escapulario. Ils avaient de plus la revue américaine : The Carmelite Review (Niagara, 1893-1904), avec une édition allemande : Rundschau vom Berge Karmel (Niagara, 1897-1899). »

bien la double propension de l’âme carmélitaine souvent partagée entre les exigences de la science mystique et l’attrait irrésistible pour la candeur des Évangiles.

L’évolution de ces deux revues suit de très près l’histoire des Carmes Déchaux de France au xxe siècle 2. Pour mieux maîtriser cette grande fresque historique, nous allons limiter notre sujet à la seule revue Le Carmel et son Tiers-Ordre, car il faudrait non pas un deuxième, mais deux, voire trois autres colloques pour retracer l’épo-pée des Études Carmélitaines.

Premières revues carmélitaines

Avant de nous plonger dans l’évolution chronologique de Carmel par tranches successives, jetons un rapide coup d’œil sur le monde quasi-secret des périodiques carmélitains.

Dans son article sur l’Ordre des Carmes dans le Dictionnaire de Théologie Catholique le Père Benedict Zimmerman pouvait dire en 1910 que les revues étaient un genre de publications peu cultivé au Carmel : « Ce genre de publications n’a jamais eu beaucoup de vogue parmi les Carmes, la plupart de leurs revues n’ayant eu qu’une exis-tence éphémère 3. »

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4. Par le chanoine tertiaire Leopoldo Bufalini.5. Bon nombre de revues savantes ecclésias-

tiques furent fondées entre 1890 et 1914. Il s’agissait souvent de bulletins spécialisés dans les questions dogmatiques, bibliques, historiques, canoniques ou liturgiques mais rarement dans les sciences de la vie spirituelle proprement dite. Il faudra attendre la fin de la Première Guerre mondiale pour qu’arrivent

les premières livraisons de deux revues spirituelles promises à un grand rayonnement : La vie spirituelle, lancée par les Dominicains en 1919 et la Revue d’ascé-tique et de mystique qui pourrait presque donner l’im-pression d’être la « réponse » des Jésuites, un an plus tard, en 1920. Pour une fois, les Carmes précédaient les fils de saint Dominique et ceux de saint Ignace.

Lorsque la revue Carmel est fondée, en 1911, l’Ordre des Carmes Déchaux dispose de très peu de périodiques. Il y a les Annales du Carmel, fondées à Paris en 1879, interrompues en 1884 puis conti-nuées à partir de 1889 sous le titre de Chroniques du Carmel, par les Pères de la Province du Brabant jusqu’à leur extinction vers 1968. Les Voix du Mont-Carmel (Stimmen vom Berge Karmel), inaugurées à Graz en 1891 et transférées à Venise cessèrent en 1902 d’apparte-nir à l’Ordre et changèrent de titre en 1904. Le centenaire de sainte Thérèse en 1882 occasionna la publication de l’Estrella de Alba (1881-1883) ; celui de saint Jean de la Croix donna naissance à la revue San Juan de la Cruz (Ségovie, 1890-1896), à laquelle succéda en 1900 El Monte Carmelo, revue fondée à Madrid, transférée à Burgos en 1905 et toujours en activité. La Revista Carmelitana fondée en 1876 et publiée à Barcelone a tenu peu de temps. C’est l’Italie qui remporte la palme de longévité en matière de revue, avec l’Étoile du Carmel (Stella del Carmelo) fondée par les carmes de Sienne en 1874 4 et toujours bien vivante en 2010, quoique la plus ancienne revue carmélitaine du monde.

Lorsqu’elle paraît en 1911, la revue Carmel est la quatrième revue carmélitaine en activité. Ses trois sœurs aînées sont :

– Stella del Carmelo (fondée en 1874)– Les Chroniques du Carmel (fondées en 1879)– El Monte Carmelo (fondé en 1900)Cent ans plus tard, outre Carmel, subsistent Stella del Carmelo et

Monte Carmelo, ce qui fait de Carmel, la plus ancienne revue carméli-taine francophone et, probablement, l’une des plus anciennes revues de spiritualité francophones toujours en activité 5, juste avant La vie spirituelle, fondée par les dominicains en 1919 et la revue d’acétique et de mystique fondée par les jésuites en 1820.

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6. Carmel 1964-IV, p. 241.

Naissance de la revue. Le Père Marie-Joseph du Sacré-Cœur

Dans un éditorial daté de 1964, le Père Marie-Eugène, alors direc-teur de Carmel et surtout des Éditions du Carmel, écrivait :

Le Carmel fut fondé en 1911, en pleine période d’exil en même temps que les Études carmélitaines, par le R.P. Marie-Joseph qu’un long séjour à Bagdad et à Caïffa avait aguerri et qui était rentré en France. Quinze ans durant le vénéré Père que nous appelions familièrement le « Père éter-nel », tellement sa longue barbe blanche et son ton solennel évoquaient une paternelle transcendance, défendit en ces deux Revues les traditions carmélitaines et sa pensée avec une plume d’acier.

Fin 1924, sur la demande du Père Provincial de l’époque, le vaillant lutteur nous confia Carmel en attendant que, quelques années plus tard, il remette au regretté Père Bruno les Études Carmélitaines 6.

Qui était ce « Père éternel », ce « vaillant lutteur à la plume d’acier » ?

C’est un de ses frères carmes de la Province de Paris, le Père Élisée de la Nativité qui va nous répondre au moyen de la notice du Dictionnaire de Spiritualité consacrée au Père Marie-Joseph dont il est l’auteur :

Gustave-Eugène Houssoit, né en 1847 à Colombey-les-Belles, près de Toul, fit ses études secondaires au collège Turgot à Paris et ses études supérieures à l’École centrale. Entré au noviciat des carmes déchaux, il fit profession à Montélimar en 1873. Les expulsions de religieux en 1880 l’amenèrent en Terre sainte où il fut ordonné prêtre à Jérusalem en 1881. Revenu en France, il enseigna les sciences naturelles dans son ordre. Envoyé en 1896 en Irak, il devint professeur puis directeur au

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7. Art. « Marie-Joseph du Sacré-Cœur », Dictionnaire de Spiritualité, T. X, Beauchesne, Paris, 1978, col. 557-558

collège secondaire de Bagdad. Dès 1902, il est affecté au couvent du Mont-Carmel […]. En 1907, il assure l’aumônerie des carmélites de Fontainebleau exilées à Corioule, au diocèse de Namur. […]

En 1911, il fonde le périodique Le Carmel et les Études carmélitaines, qu’il dirigera jusqu’en 1932. En 1920, il est envoyé au couvent du Petit-Castelet ; près de Tarascon. En 1932, il rejoint Avon, près de Fontai-nebleau, où il meurt le 27 octobre 1932, après avoir donné l’exemple d’un travail acharné et d’un attachement aux traditions, même les moins historiquement fondées, de son ordre.

Son zèle mal éclairé pour la sauvegarde des traditions carmélitaines lui valut de la part de Louis Saltet l’épithète de « génie de l’inexactitude 7 ».

Le Père Marie-Joseph était un « fils d’Élie » comme l’Ordre du Carmel savait en produire jusqu’au xxe siècle : un homme passionné,

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8. Cf. Carmel. 15-XII-1932 p. 66-72.9. Cf. Études Carmélitaines n°1, février 1911, p.23.

tout d’un bloc et profondément pénétré des traditions plus « orien-tales » que « légendaires » de sa famille religieuse. Un homme qui ne pouvait pas laisser indifférent, à commencer par le Père Élisée de la Nativité dont nous venons d’entendre la notice écrite pour le Dictionnaire de Spiritualité et qui cherche visiblement à se faire pardonner une autre notice – totalement dithyrambique cette fois – qu’il avait rédigée pour la revue Carmel en 1932 lors de la mort du vénérable lutteur avec qui il avait vécu 8.

La création de la revue Le Carmel et son Tiers-Ordre tient essentiel-lement à deux raisons : établir un lien entre les carmes de France exilés et leurs amis – souvent laïcs – restés dans la Mère Patrie ; puis, assurer la défense de certaines traditions carmélitaines antiques battues en brèche par les tenants, ecclésiastiques, de la science critique moderne alors en plein essor.

Le Père Marie-Joseph avait adopté une méthode simple.Il avait tout simplement partagé sa revue en deux bulletins distincts

qui vont vite constituer deux revues placées sous sa direction dyna-mique, efficace et implacable :

– le premier bulletin, de style populaire, s’intitulait Le Carmel et son Tiers-Ordre : il devait faire le lien entre les amis des carmes.

– le second, beaucoup plus austère par son contenu, adoptait un nom suffisamment sérieux et modeste pour inspirer confiance aux esprits éclairés : les Études Carmélitaines.

Ce sont ces fameuses Études Carmélitaines, reprises en 1931 par le Père Bruno de Jésus-Marie, qui vont assurer le renom des carmes de la Province de Paris et s’imposer dans le monde feutré des études modernes de psychologie religieuse.

Tous les moyens étaient bons, derrière un léger vernis scientifique pour venger l’honneur de la Vierge 9 et de son Ordre carmélitain.

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Et de fait, jusqu’à sa mort, le cher Père ne cessera de puiser dans son étrange arsenal des arguments de toutes sortes pour confondre l’hydre moderniste. Le Père Marie-Joseph, nous l’avons bien compris, était peu porté aux concessions. Comme il ne manquait ni d’intel-ligence ni d’à-propos, il savait recourir aux bons procédés et resta invariablement, scientifiquement anti-scientifique.

Plus heureuse fut sa contribution déterminante dans la rédaction de la revue Le Carmel et son Tiers-Ordre. De 1911 à 1925, mis à part l’interruption des années 1914 à 1919, il en fut presque le seul auteur.

De 1911 à 1925

Le premier article de la revue est une biographie du Père Hermann Cohen, en religion le Père Augustin-Marie du très Saint Sacrement (1820-1871).

Au départ, les fascicules comptent une quinzaine de pages. À partir de 1912 jusqu’en 1925, ils passent à une vingtaine de pages, s’épaississent pour se fixer à trente-deux de 1928 à novembre 1952. Il s’agit d’une revue mensuelle qui le restera jusqu’en 1940.

Les chroniques sont nombreuses. On trouve de tout dans la revue Le Carmel et son Tiers Ordre ! Des articles d’histoire et de spiritualité, de liturgie et de droit canonique, de mystique et d’ascétique, de littéra-ture et des nouvelles officielles de l’Ordre. Tout est traité avec clarté, dans un but pédagogique et pastoral. Le Père Marie-Joseph semble à l’aise avec la pensée de sainte Thérèse qui fait l’objet de multiples commentaires.

La note est prise et, jusqu’à la Seconde Guerre Mondiale, la revue s’y tiendra : c’est de la bonne vulgarisation destinée aux tertiaires. À cette époque, le tertiaire type est plutôt une tertiaire, d’âge mûr :

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10. Voir 1923-VII p.145-153 ; 1923-IV p.108 ; 1922-XI p.18.

11. Surtout à partir de 1920, où ses chroniques tendent à s’allonger démesurément tout en présen-tant un intérêt relatif : « Conseil ami pour faciliter l’ascension du Mont-Carmel », « Le Carmel, école

de politesse et de sereine affabilité », « La vocation carmélitaine », « Humble conseil fraternel aux prêtres correcteurs d’un centre de nos tiers-ordre », « Conseils généraux pour la direction des âmes », « Ascension de l’âme vers Dieu », « La direction carmélitaine ».

quelqu’un qui a besoin d’aller à l’essentiel, sans fioritures. D’autres chroniques régulières offrent un grand intérêt, comme des recensions d’ouvrages, des études consacrées à un point de la vie spirituelle, des petites exhortations, une rubrique liturgico-canonique, des notices nécrologiques, des monographies ou des informations relatives à l’or-dinaire des carmes exilés, des poèmes.

Certes, la spiritualité mise à l’honneur manque un peu de souffle. La vie mystique donnée en exemple peut nous sembler un peu défraîchie et volontariste. Comme on peut s’en douter, la revue privilégie la contemplation « acquise », au détriment de la contemplation infuse 10. On est loin du renouveau spirituel qui fera des Études Carmélitaines un modèle du genre, quelques années plus tard. L’oraison décrite est très méthodique. Plus impressionnante est la forte imprégnation mission-naire qui traverse les pages de Carmel d’un bout à l’autre des fascicules. Les nouvelles des missions de Mésopotamie, d’Inde, du Mont-Carmel et de Syrie sont très régulières et réellement originales.

Tout cela est positif mais, avouons-le, ne mène pas très loin et les années de direction du Père Marie-Joseph sont des années un peu ternes 11, à peine troublées par quelques cris d’indignation du vieux lutteur blessé. Le 20 octobre 1919, les actes du Définitoire Provincial des carmes de France précisent qu’il a été décidé de donner un colla-borateur au Père Marie-Joseph affecté de « graves infirmités ».

Le vieux guerrier du Carmel peut arrêter son char et passer ses armes à un autre. C’est ainsi qu’en 1925 le Père Marie-Eugène va faire son entrée dans l’histoire de la revue Carmel.

1925-1955 : Trente années de développement continu

Après la direction du Père Marie-Joseph, la revue s’engage dans une voie nouvelle, ample et féconde. Elle a été fondée dans une

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12. Éditorial du P. Marie-Eugène dans Carmel 1926-X, p.2.

perspective de réaction et de combat. Désormais, son horizon sera pacifique. Jusqu’en 1925, elle s’est identifiée à un personnage. À partir de 1925 – et indépendamment de ses directeurs successifs, tous remar-quables – elle va s’en tenir à une ligne éditoriale nette et précise, située au-delà des questions des clivages personnels ; car on ne peut pas se contenter d’expliquer une revue par son directeur, si compétent soit-il.

Nous allons maintenant nous pencher sur une grosse tranche de la revue Carmel. Elle commence en 1925 et s’achève en 1955. Ces trente années, avec cinq directeurs différents, correspondent à une phase assez homogène de l’histoire de Carmel. Il s’agit d’une phase de développement continu et progressif, vers toujours plus de qualité. Qualité dans le choix des collaborateurs, qualité dans la présenta-tion et qualité dans le propos général que nous définirions comme une véritable mission ecclésiale : pour le rayonnement de la doctrine carmélitaine et la formation particulière des laïcs tertiaires.

La tranche d’histoire de la revue Carmel que nous nous proposons d’étudier maintenant est la plus longue. Elle couvre trente années et constitue une entité homogène sous la houlette de cinq directeurs différents :

– Le Père Marie-Eugène de l’Enfant-Jésus (1925-1928)– Le Père Jean-Marie de l’Enfant-Jésus (1928-1930)– Le Père Théodore de Jésus (1930-1942)– Le Père Bernard de Saint-Joseph (1942-1948)– Le Père Dominique de Saint-Joseph (1948-1955)

La direction du Père Marie-Eugène (1925-1928)

Après les années fondatrices et pittoresques du Père Marie-Joseph, il faut attendre l’arrivée du Père Marie-Eugène pour que la revue sorte un peu la tête de l’eau. On ne présente plus le Père Marie-Eugène

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13. L’ordination sacerdotale de deux d’entre eux, le 6 juin 1925, est annoncée dans le numéro de 1925-V p.166.

(1894-1967), universellement connu. Il nous suffit de rappeler qu’en 1925, il a 31 ans et il est prêtre depuis trois ans, religieux profès depuis à peine deux ans (11 mars 1923). Il lui faudra attendre encore un peu plus de deux ans avant d’être officiellement nommé Directeur de Carmel le 18 octobre 1927. Et pourtant, malgré son jeune âge, il a l’ex-périence et la sagesse d’un vieillard.

Dix-huit mois après son entrée en fonction, la revue pouvait afficher sa satisfaction : elle avait multiplié par quatre le nombre de ses abonnés.

Le Carmel dit aussi toute sa reconnaissance à Dieu, pour la croissance qu’il lui a accordée au cours de cette année. Le chiffre de ses abonnés est exactement celui que notre confiance en nos Saints Protecteurs leur avait fixé. Ce chiffre a quadruplé depuis dix-huit mois. Ce nous est un motif pour grandir notre confiance et fournir un nouvel effort d’amé-lioration et de propagande 12.

Rigueur, sobriété, fidélité à l’essentiel caractérisent l’administra-tion du Père Marie-Eugène qui présente des articles parfaitement conformes au charisme du Carmel. Il fait surtout appel à de nouveaux collaborateurs parmi lesquels figurent en bonne position les « Trois Romains 13 » voués à un grand succès futur (les Pères Louis de la Trinité 1889-1964, Bruno de Jésus-Marie 1892-1962 et Jean de Jésus-Hostie 1892-1965) ainsi que les Pères Joachim de l’Assomption (missionnaire), Élisée de la Nativité (1900-1983) et Théodore de Jésus (1883-1971). Lui-même rédige huit contributions entre 1925 et 1928.

La direction du Père Jean-Marie de l’Enfant-Jésus (1928-1930)

Le 11 mai 1927, le Définitoire Provincial des carmes de France avait décidé de désigner un religieux comme directeur du Carmel et

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14. La nomination de censeurs se maintiendra par la suite jusqu’au Concile.

de constituer, sur le choix du Père Provincial, un comité de rédaction de trois religieux flanqués de censeurs 14. La revue, momentanément confiée au jeune Père Marie-Eugène, avait grand besoin d’être reprise en main par la Province après tant d’années d’identification au Père Marie-Joseph. Cinq mois plus tard (18-X-1927), la direction reve-nait pour de bon au Père Marie-Eugène mais pour peu de temps. En août 1928, sa désignation comme supérieur du collège du Petit-Castelet laissait à nouveau vacante la charge de Directeur de Carmel. Le 12 août 1928, il était remplacé par le Père Jean-Marie de l’enfant-Jésus, Henri Lecoq, né en 1891 à Lagrigonnais (44), profès en 1912 puis ordonné prêtre en 1922.

Du Père Jean-Marie nous savons peu de choses si ce n’est qu’il avait une très bonne plume. Il a rédigé douze articles pour la revue entre 1926 et 1932. Puis il disparaît. Il sort de l’Ordre.

Sous sa direction, les articles prennent une tonalité plus dogma-tique. Les grandes vérités de la foi catholique s’harmonisent avec la vie spirituelle. Le Père Jean-Marie ouvre les colonnes de Carmel aux relations historiques. C’est un homme précis, très à l’aise avec les subtilités du droit canonique.

La direction du Père Théodore de Jésus (1930-1942)

Autant le passage du Père Jean-Marie fut bref, autant les douze années de direction du Père Théodore vont s’avérer marquantes. Elles correspondent en grande partie aux années les plus fécondes de la revue. Le Père Théodore n’était ni un meneur d’hommes ni un écri-vain génial, et pourtant, il a réussi à donner à la revue Carmel un souffle nouveau et à l’inscrire dans la durée. Il était avant tout consciencieux et persévérant comme les laboureurs de sa Lozère natale occupés à creuser leurs sillons en profondeur. Émile Delranc était né en 1883

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près de La Canourgue. À 18 ans, on le trouve instituteur libre à Paris puis il part à Malte pour devenir frère des Écoles Chrétiennes. En 1909, il bifurque et entre au Carmel. Il est ordonné prêtre en 1918, deux ans avant d’aller restaurer « le petit noviciat » transféré dans le couvent du Petit-Castelet lors du retour d’exil. Il assume alors la charge de supérieur. 1924 : le Père Théodore est envoyé au couvent de Lille comme professeur auprès des jeunes frères étudiants. Et c’est là qu’il dirige Carmel de 1930 à 1932, puis au couvent d’Agen de 1932 à 1942. Il cumule alors les charges de Directeur de Carmel, Maître des novices et sous-prieur d’Agen (1932-1936) puis prieur d’Agen (1936-1939) et de Montpellier (1942-1945) où il meurt en 1971.

Comme le laisse supposer cette brève présentation biographique, le Père Théodore est un religieux souple et efficace, apte à toutes les charges ou presque. Sa discrétion lui fait préférer le service aux

Le Père Marie-Eugène (à gauche) et le P. Théodore (à droite) à Agen en

octobre 1933

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Cent ans de la revue Carmel

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15. Le P. Théodore finira sa vie au couvent de Montpellier et mourra en 1971, renversé par une voiture.

16. Un «supplément» au numéro d’octobre 1930 émet un souhait qui ne se réalisera pas : « Le Carmel tire à 1.500. Il faut doubler ce nombre. Les soucis d’ordre financier en seront allégés et notre rayonne-ment apostolique en sera multiplié. » (feuille volante bleue de type «prospectus»).

17. La province d’Avignon-Aquitaine étant héri-tière des deux provinces d’Ancien Régime restau-rées au xixe siècle tandis que celle de Paris était une restauration de celle qui, supprimée en 1792, n’avait jamais refait surface. Cf. notre étude « Les Carmes Déchaux en France » in Carmel n°100.

prestations brillantes. Il est partout où l’on a besoin de lui et sait se retirer sans faire parler de lui, en bon religieux. On fera encore appel à lui en 1947 pour diriger le couvent du Broussey au moment où celui-ci devient maison de noviciat à la suite du couvent d’Agen 15.

Lorsque le Père Théodore prend en main la revue, celle-ci compte 1.500 abonnés et s’en tiendra à peu près à ce chiffre pendant douze ans, avec un petit pic de 1.700 abonnements au début de l’année 1932 16.

Les caractéristiques de la direction du Père Théodore sont au nombre de 4 :

– le soin dans le choix des articles de spiritualité.– la dimension familiale des multiples services proposés par la

revue pendant une douzaine d’années– la mise en valeur du Tiers-Ordre et la prise en charge partielle de

la revue par le Tiers-Ordre– l’importance des rubriques liturgico-canoniques.Ces quatre points d’attention vont faire de Carmel un bulletin

éminemment pratique mais toujours fidèle à sa note carmélitaine revendiquée dès les origines : Carmel est avant toute chose une revue « mystique et missionnaire » comme prétendait l’être sa sœur jumelle les Études Carmélitaines.

Mystique :

Le Père Théodore va faire travailler bon nombre de carmes promis à un rayonnement spirituel remarquable que l’on pourrait nommer les « grands collaborateurs ». Il s’agit, la plupart du temps, de frères entrés dans l’Ordre dans les années vingt. Beaucoup d’entre eux choisiront d’aller dans le territoire de la Province de Paris lorsque l’unique province des carmes de France se divisera en deux provinces le 11 février 1932 (Province de Paris et d’Avignon-Aquitaine) 17.

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18. À partir de 1936 il publia son étude monu-mentale en sept volumes imprimés à Toulouse, Le Carmel en France, fruit de ses recherches dans les archives départementales de France et commencées en 1911.

19. La mission mésopotamienne des carmes fran-çais est une des plus anciennes de l’Ordre du Carmel. Elle remonte à 1721, avec la fondation du couvent de Bagdad.

Ainsi, le Père Élisée de la Nativité (1900-1983), spécialisé dans les études d’histoire de l’Ordre (13 articles entre 1930 et 1942) ; le Père Lucien-Marie de Saint-Joseph (1906-1981), grand connais-seur et éditeur de saint Jean de la Croix (6 articles entre 1930 et 1942), le Père Louis de la Trinité (1889-1964), l’Amiral d’Argenlieu, (2 articles), pour ne citer que les plus célèbres. Pour la Province du Midi, nous pouvons ajouter 13 articles du Père Théodore lui-même, 7 du Père Marie-Eugène, 6 du Père Antoine-Marie de la Présentation (1868-1940), éminent historien du Carmel 18 et ancien Définiteur Général, 4 du Père Henri de l’Immaculée Conception (1889-1945) et 3 du Père Louis de Sainte-Thérèse (1902-1992). Tous ces articles ont été publiés entre 1930 et 1942. Beaucoup, très longs, ont dû être tronçonnés et répartis dans deux, trois, voire quatre numéros.

Presque tous ces auteurs, jeunes à l’époque, se sont fait la main en écrivant pour Carmel des articles souvent inédits et de grande valeur. Ils nous livrent ici les prémices de leur future activité apostolique et littéraire. S’ajouteront à eux, quelques années plus tard, les Pères François de Sainte-Marie (1910-1961), célèbre éditeur des Manuscrits Autobiographiques de sainte Thérèse de Lisieux, Bruno de Jésus-Marie après des années de silence, et j’en passe !

Soixante-dix ans plus tard on reste impressionné par la qualité littéraire et spirituelle de ces pages qui nous livrent le meilleur de la mystique chrétienne revisitée par la grande tradition du Carmel.

Travailleur inlassable, le Père Théodore crée de nouvelles rubriques pour mettre le patrimoine mystique du Carmel à la portée des lecteurs.

Missionnaire :

Fort de l’exemple du prophète Élie, le Carmel sait bien qu’on ne peut opposer mystique et mission. Ce sont les deux versants d’une même réalité, d’un même charisme.

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Cent ans de la revue Carmel

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20. Elle réside 61 rue Scheffer, presqu’en voisine du Père Bruno de Jésus-Marie qui loge au siège de la revue des Études Carmélitaines, dans la résidence du 51 rue Scheffer.

21. Voir 1934-III p. 195-196.

Le souci missionnaire du Père Théodore apparaît bien sûr dans l’écho qu’il donne à l’actualité missionnaire de l’Église en général et du Carmel en particulier. Un grand nombre de pages de Carmel sont consacrées à la mission de la Mésopotamie 19, traditionnellement carmélitaine et française.

Pour la revue Carmel, le laïcat est un de ces nouveaux espaces missionnaires. Là où les déserts spirituels abondent, le Tiers-Ordre carmélitain offre une alternative intéressante pour rappeler que la mystique n’est pas réservée à une élite. Elle s’adresse à tout le monde. Bref ! Le lecteur de Carmel, s’il a beaucoup reçu dans la prière, doit devenir un vrai missionnaire.

Sous la direction du Père Théodore, l’attention portée aux tertiaires redouble et se concrétise par la qualité des rubriques qui leur sont consacrées. La formation doctrinale fait l’objet d’un soin particulier, surtout la connaissance des Saintes Écritures. Un prêtre tertiaire professeur d’Écritures Saintes a rédigé huit longs articles consacrés à diverses questions bibliques entre 1938 et 1942. Ces études sont tout à fait remarquables et se répartissent dans vingt-sept numéros. Elles portent toutes la signature « Frère Jean de la Trinité TOCD ».

Des rubriques spéciales sont prioritairement destinées aux tertiaires pour les aider à se connaître entre eux, donner sens à ce qu’ils vivent ou bien soutenir leur élan missionnaire.

C’est l’époque glorieuse où sous la conduite avertie de Mesdames Lesage et de Céligny 20, la florissante fraternité de Paris ne compte pas moins de trois cent membres actifs 21. Le Carmel est mystique et missionnaire. Promouvoir la « mystique pour tous » en s’adressant à des laïcs tertiaires puis en s’appuyant sur l’apostolat des tertiaires auprès d’autres laïcs participe pleinement de l’idéal missionnaire carmélitain.

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22. Dans le numéro de juin-juillet 1944, p.142.

De 1930 à 1942, le Père Théodore va multiplier les rubriques en tous genres : théologie mystique, études dogmatiques et liturgiques, histoire du Carmel, actualité religieuse, chronique de guerre – passion-nantes, de 1939 à 1945 –, « billets du mois » à forte résonance sociale.

La direction du Père Bernard de Saint-Joseph (1942-1948)

Après les douze années de direction intense du Père Théodore, celles du Père Bernard font presque illusion et donnent l’impression qu’il n’y a pas eu de changement car elles s’inscrivent dans une parfaite continuité. On note d’ailleurs le même phénomène avec son succes-seur, le Père Dominique, lorsque celui-ci prend les rênes de la revue au printemps de 1948. Les transitions, les raccords sont quasi invi-sibles, signe que Carmel est désormais une mécanique bien huilée.

En six ans de direction, le Père Bernard n’a rédigé aucun article, ce qui est déjà une prouesse ! Son nom, associé à sa qualité de directeur, n’apparaît qu’une seule fois à notre connaissance 22 mais nous avons pu être négligent et laisser passer d’autres occurrences. Quoi qu’il en soit, le Père Bernard, pour les lecteurs de Carmel, c’est le « R.P. Directeur » que l’on contacte pour le courrier et les abonnements. C’est tout. Ce qui ne l’empêche pas de faire son travail correctement et de s’inscrire dans la lancée du Père Théodore.

La direction du Père Dominique de Saint-Joseph (1948-1955)

Ce que le Père Théodore avait élaboré, et le Père Bernard légère-ment allégé, le Père Dominique va le respecter pour le porter à un haut niveau esthétique et culturel. Avec le Père Dominique, la revue Carmel va atteindre un grand équilibre : autant par le fond que par la forme.

Le Père Dominique, comme le Père Théodore, fut instituteur libre avant de se faire religieux. Il appartenait au monde des blouses grises,

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Cent ans de la revue Carmel

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de l’orthographe ciselée et de la rigueur quasi scrupuleuse. « Il avait une fibre d’enseignant né. Ses conférences et ses homélies témoignent de son zèle studieux et de son art oratoire » (homélie de sa sépulture).

Il est né en 1912, à Agen et a travaillé comme laïc au service des frères de Saint Jean-Baptiste de la Salle avant d’être ordonné prêtre (1943) et de frapper à la porte du noviciat des carmes d’Agen en 1945. Deux ans à peine après sa profession religieuse, on lui confie la direc-tion de Carmel, poste qu’il occupera de 1948 à 1955, au couvent du Petit-Castelet, en même temps qu’il exercera les fonctions de profes-seur auprès des frères étudiants puis de prieur (1951-1954). En 1955, commence pour lui la grande aventure de la fondation de Nicolet, au Québec, jusqu’en 1971. Puis, il réside aux couvents de La Plesse, près d’Angers (1971-1983), le Broussey (1983-1992) et enfin de Montpellier où il meurt en 2004.

On peut dire que sous la direction du Père Dominique, la revue va atteindre un sommet ; non pas dans le domaine doctrinal – ce sera réservé au Père Albert –, peut-être dans celui de la spiritualité, mais à coup sûr dans l’équilibre entre des articles de grande qualité et une présentation extrêmement soignée, comme nous l’avons déjà souligné.

C’est à partir du premier numéro de l’année 1950 que les choses changent. On adopte une nouvelle mise en page avec de nouveaux caractères plus esthétiques et, surtout, une présentation plus recherchée, beaucoup plus artistique. Le secret de ce toilettage spec-taculaire ? C’est un typographe de génie bien connu dans le monde feutré des bibliophiles. Il s’appelle Louis Jou. À titre personnel, nous avons souvent été témoin de l’admiration du Père Dominique pour Louis Jou mais, hélas, nous ignorons comment la rencontre a eu lieu. Le Père Dominique avait une capacité étonnante à lier amitié avec des personnes parfois inattendues. Louis Jou est né en 1881 à

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23. En 1949, Carmel est expédié à 1.350 adresses mais 485 abonnés seulement paient leur abonne-ment si l’on en croit les archives des Editions du Carmel conservées aux archives provinciales des Carmes Déchaux d’Avignon-Aquitaine. Les actes du Définitoire Provincial d’Avignon-Aquitaine nous citent un chiffre un peu différent puisqu’en la séance

du 8 avril 1953 il est spécifié que « Carmel est passé de 400 [abonnés] en 1949 à 1.800 en 1952 ».

24. Problème assez classique dans le monde des éditions qui ont fait le choix de n’être pas trop impitoyables…

25. 1953-V p. 161-163.

Gracia, près de Barcelone. C’est un artiste accompli : peintre, graveur et typographe. Après avoir quitté l’Espagne, il fréquente Guillaume Apollinaire, Picasso et Cocteau. Depuis son arrivée en France (1906) et son établissement à Paris, il reçoit beaucoup de monde dans son atelier. Il est naturalisé français en 1927 puis quitte Paris (1939) pour les Baux-de-Provence où il restaure le splendide hôtel Renaissance de Jean de Brion (acquis en 1921) pour en faire son atelier. Louis Jou dessine, fond ses propres caractères typographiques et actionne sa presse manuelle. Il orne, illustre et enlumine des ouvrages de luxe avec son style, sa touche propre que l’on finit par identifier avec un peu d’habitude. Il meurt le 2 janvier 1968 et repose dans le petit cimetière des Baux en attendant la résurrection.

C’est cet homme qui, pendant neuf années (de 1950 à 1958) va transformer Carmel en y introduisant ses culs-de-lampe caractéris-tiques, ses bandeaux légers, ses paragraphes dégressifs et, surtout, ses nombreux points de fin de lignes remplacés par des croix ou des étoiles à tel point que chaque page hisse la revue au firmament de la science typographique. Avec toutes ces petites étoiles, Carmel prend des airs de constellation.

Sous la direction du Père Dominique, Carmel connaît une reprise particulièrement impressionnante. De 1939 à 1945, elle et tombée de 1.600 abonnés à 1.000 puis, nouvel effondrement pendant les dures années d’après-guerre, elle passe de 1.000 abonnés (fin 1945) à 485 en 1949 23. Dès 1952 Carmel est remonté à 1.800 abonnés. On en compte un peu plus de 2.000 en 1953 mais 1.800 « seulement » paient leur abonnement 24.

Ce succès, on le doit en partie aux splendides compositions de Louis Jou qui fait l’objet de deux hommages appuyés : en 1953 où le Père Dominique écrit : « Il est notre ami. Il est notre bienfaiteur 25. »

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Cent ans de la revue Carmel

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Le mérite du Maître typographe ne doit cependant pas éclip-ser celui du directeur de la revue ! À partir de la troisième livraison de 1950 ; la revue ne se contente pas de faire peau neuve. Elle offre d’excellents articles et des recensions plus développées. Le Père Dominique était un homme pétri de culture classique. Sous sa direc-tion, la dimension culturelle de la revue se développe et s’amplifie. On assiste à un élargissement impressionnant des collaborateurs. Une petite comparaison va nous éclairer. Entre 1925 et 1948, c’est-à-dire à partir de la reprise de Carmel par le Père Marie-Eugène jusqu’au Père Bernard – soit vingt-trois années –, l’énorme masse de la revue a mobilisé quarante-sept collaborateurs connus (c’est-à-dire ayant signé) pour un total de deux cent trois articles dont certains, très longs, sont répartis sur plusieurs numéros. Quarante-sept auteurs pour une aussi longue période, c’est en fait assez peu. Trente-six d’entre eux étaient de frères carmes ou des tertiaires. Les onze autres des auteurs « isolés » ayant chacun très peu écrit.

Sous la direction du Père Dominique (1948-1955), c’est-à-dire en l’espace de huit années – soit le tiers de la période précédente –, la revue a fait appel à quarante et un collaborateurs (seulement six de moins que la première période) qui ont signé quatre-vingt-douze articles.

Avant le Père Dominique, aucun religieux non carmélitain n’est mis à contribution. Le Père Dominique, lui, fait appel à quatre dominicains (les RR.PP. Spicq, Marie-Joseph Nicolas, Calmel et Oechslin), deux sulpiciens prestigieux (Messieurs Feuillet et Tamisier) et un évêque futur cardinal (Mgr. Garonne) qui produiront dix-neuf articles impor-tants à eux sept. Les tertiaires, en revanche, interviennent moins : sept articles contre vingt-sept pour la période précédente.

La culture, pour le Père Dominique, c’est aussi la poésie. Et l’on trouve régulièrement des petits poèmes enchâssés dans la masse écrite.

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La revue Carmel ne cesse de s’embellir pour en arriver à la nouvelle présentation de 1955 qui marque probablement un sommet dans son évolution esthétique.

Dans l’éditorial du premier cahier de 1955, de manière délicate, le Père Dominique fait allusion à la création, en 1953, d’un nouveau bulletin, Scapulaire, destiné à fournir aux amis du Carmel « des nouvelles de famille, d’intérêt forcément plus limité ». En d’autres termes, la revue Carmel se déleste de toutes les informations relatives au Tiers-Ordre pour les confier à un nouveau petit bulletin promis à un avenir durable et brillant. Scapulaire ne se contente pas de donner des nouvelles du Tiers-Ordre français. C’est un merveilleux petit instrument de prière qui, dès le départ, propose des articles brefs et pratiques pour aider à prier. Le bulletin, très apprécié, change de format et de titre en 1960. Désormais il sera connu sous le nom de Vives Flammes. Grâce à sa petite taille, il peut se glisser dans une poche et être lu n’importe où. Plus de cinquante ans ont passé (bientôt soixante) et la formule plaît toujours autant.

Voilà pourquoi, dès 1953, Carmel « devint exclusivement revue de spiritualité ».

On passe alors de six numéros par an à quatre. Les cahiers trimes-triels gagnent en épaisseur. De 1928 à 1952, ils comptaient trente-deux pages puis passent à une quarantaine jusqu’à la sixième livraison de 1954. À partir de 1955, chaque numéro est constitué de quatre-vingt pages et il en sera ainsi (même rythme trimestriel, même nombre de pages) jusqu’à la fin de l’année 1969. La pagination et le format s’élar-gissent. Les gravures, enluminures et culs-de-lampe se simplifient dans le sens où ils seront moins nombreux. On peut trouver l’appa-rence générale moins élégante que la nouvelle série inaugurée au début de l’année 1950. On peut aussi penser que la revue redouble de beauté à cause précisément de cette plus grande simplicité.

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Cent ans de la revue Carmel

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Dans Carmel, de 1925 à 1955 on trouve de tout… et tout le Carmel !

On trouve de tout

De 1911 à 1947, la revue publie les avis nécrologiques des « trois ordres » (carmes, carmélites et tertiaires de France) avec indica-tions d’âge et le nombre d’années de profession. Certains défunts privilégiés font même l’objet d’une notice complète. C’est le cas de cinquante-six carmes, français pour la plupart, morts entre 1912 et 1949. Quelques tertiaires ont aussi droit à une notice destinée à édifier les lecteurs. Faute de place, la revue cesse de publier les avis nécrologiques en 1947. (1947-III p. 59). En complément, bon nombre d’éléments majeurs sont relatés : centenaires de couvents ou de carmels, jubilés de profession. Les indications liturgiques sont très nombreuses. Elles tiennent compte de l’« Ordo » édité par la Province des Carmes de France, puis celle d’Avignon-Aquitaine. Un frère est spécialement chargé de cet « ordo ». C’est le frère calenda-riste, nommé par le Définitoire Provincial.

De 1911 à 1914, puis de décembre 1925 à avril 1940, chaque numéro contient le « calendrier liturgique ».

Jusqu’à sa nouvelle formule de 1955, Carmel offre une masse d’in-formations impressionnantes indifféremment intitulées : La vie de l’ordre, Nouvelles de l’ordre, Échos des missions, Variétés, Billet du mois, Nouvelles générales de l’Église. Toute l’actualité carmélitaine et ecclésiale défile sous un éclairage contemplatif.

Même profusion pour les compte-rendus bibliographiques et les recensions. Ces dernières s’étoffent à partir des remaniements du premier numéro de 1950.

De 1924 à 1942, Carmel publie les échos du Petit Noviciat, c’est-à-dire la chronique au jour le jour du Petit Noviciat du Petit Castelet. C’est

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26. 1929-I p. 117.27. 1932-II p. 133.28. 1931-I p. 2.29. 1935-VII p. 400.30. 1935-VII p. 401.

31. Cf. liste et prix des images entre les pages 188 et 189 de février-mars 1936 et 96 et 97 de février-avril 1942.

32. 1932-III p. 217-218.33. 1012-X, 3ème de couverture.

amusant, c’est encore plus émouvant. Il y a un côté bon enfant dans ces pages qui peut faire beaucoup de bien au lecteur trop adulte.

Bien avant la création officielle des Éditions du Carmel, la revue Carmel fait même office de « procure » carmélitaine. Elle met à la disposition des lecteurs un certain nombre de livres et manuels qu’ils peuvent commander par simple courrier. On trouve parfois certains petits avis comme ceux-ci :

N.B. Nous croyons utile d’avertir les Monastères [de carmélites] qui comptent parmi nos abonnés, que la direction du Carmel est seule chargée, à l’exclusion de tout intermédiaire français ou étranger, de l’édi-tion et de la mise en vente du Cérémonial officiel de l’Ordre destiné aux Carmels français 26.

La direction de la revue fournit certains documents canoniques difficiles à trouver 27.

Elle n’hésite pas à réquisitionner jusqu’au Père Provincial qui, dans une lettre spéciale invite les lecteurs à recourir à l’Administra-tion de Carmel pour se procurer les bréviaires de l’Ordre 28. Car la revue possède des stocks. Elle imprime des cantiques 29 et des images pieuses 30 dont elle assure la publicité 31. Elle vante même les mérites de certains produits inattendus, comme le vin du Broussey !

Notre R.P. Antoine demande l’hospitalité de notre revue pour faire savoir que l’on peut l’aider à la restauration du Monastère en achetant le vin de la propriété, excellent vin blanc sec, clos du Broussey, 2.600 francs la barrique de 220 litres 32.

Le vin blanc, absolument pur et vendu après trois années de soin, peut être employé pour la Messe en toute sécurité 33.

Prenons l’année 1935, page 37 du numéro d’octobre. Il y est ques-tion d’un ustensile original et fait sur mesure : la « tasse carmélitaine ».

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Cent ans de la revue Carmel

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34. 1938-VII p. 381.

Carmel en propose aux carmes et aux carmélites car leurs réfectoires ne sauraient s’en passer. L’annonce s’intitule « Tasses Carmélitaines » :

Les tasses que le R.P. Ernest-Marie, provincial (…), fit fabriquer il y a quelque temps, suivant le modèle traditionnel dans l’ordre, en porcelaine blanche avec deux anses et les armoiries du carmel ne sont pas complètement épuisées. On peut s’en procurer à l’adresse ci-dessus pour le prix de 6 francs l’unité, port en sus.

Poursuivons notre inventaire à la Prévert en empruntant un registre plus scabreux : celui des têtes de mort, autre ustensile indis-pensable des réfectoires carmélitains (car l’usage veut qu’une tête de mort trône sur la table du prieur) :

Adresse utile : on nous a souvent demandé des renseignements pour se procurer la tête de mort en usage au réfectoire (Cérémonial, n° 615). Nous sommes à même de donner une adresse utile à cet effet. La Maison Lorenzi, 19 rue Racine, Paris (6ème), peut fournir des têtes moulées grandeur naturelle, pour le prix de 100 francs franco de port et d’emballage 34.

La revue, qui fait trait d’union, donne bien sûr des nouvelles des couvents des frères.

Carmel, finalement, est un peu l’organe officiel du Carmel français.Il s’en dégage un esprit familial et les lecteurs, en passant d’une

rubrique à l’autre, sont comme invités à participer à la vie de la Province des carmes. La juxtaposition, dans une sainte promiscuité, des grandes vérités de vie mystique et des réalités plus prosaïques donne à la revue un cachet d’authenticité et de simplicité. Rien n’est laissé au hasard et l’attention portée aux choses célestes s’accommode très bien d’un réalisme tout thérésien qui ne néglige aucun détail de la terre.

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35. p. 249-250.36. 1929-I p.125

Même si la revue fonctionne avec un budget plutôt serré, cela n’empêche pas ses directeurs successifs de consacrer une part d’abon-nements gratuits pour les personnes défavorisées.

Peu de temps après l’événement important qu’a constitué la réunification des Constitutions des carmélites (en 1926), Carmel se pose comme instrument de promotion des relations entre carmes et carmélites de France. Le numéro de mai 1928 publie la liste des carmes ayant prêché des triduums en l’honneur de Saint Jean de la Croix dans les carmels de France. La liste fournit des détails très inté-ressants. Le Père Marie-Eugène a prêché douze triduums, le Père Jean-Marie huit, le Père Louis quatorze. Cinquante-huit monastères de carmélites (sur un total de cent trente-deux à l’époque) ont invité des carmes. Ces monastères sont visiblement les plus zélés dans cette œuvre de rapprochement.

L’année suivante, deux d’entre eux – les carmels de Lisieux et de Pau – font passer un communiqué pour démentir la rumeur selon laquelle ils n’auraient pas adopté les nouvelles constitutions de 1926 36.

Dans Carmel, on trouve tout le Carmel

Mais là, vous comprendrez aisément que ne puisse pas entrer dans le détail du contenu des articles. Toute la dimension mystique du Carmel est prise en compte, dans des centaines d’articles toujours bien écrits : la spiritualité du Carmel, ses saints, son histoire, ses contro-verses, ses traditions élianique et mariale etc.

(À suivre…)

Frère Louis-Marie de Jésus, o.c.d.Saint Désert Notre-Dame de Pitié

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Une double mesure... du temps

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* La première partie de cet article a été publiée dans le numéro 141 de Carmel (septembre 2011), p. 90-111.

100 ans de la revue Carmel1911-2011 (Fin)*

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Dans Carmel, de 1925 à 1955 on trouve de tout… et tout le Carmel !

On trouve de tout

D e 1911 à 1947, la revue publie les avis onécrologiques des « trois ordres » o(carmes, carmélites et tertiaires de

France) avec les indications de l’âge et du nombre d’années de profession. Certains défunts privi-légiés font même l’objet d’une notice complète. C’est le cas de cinquante-six carmes, français pour la plupart, morts entre 1912 et 1949. Quelques tertiaires ont aussi droit à une notice destinée à édifier les lecteurs. Faute de place, la revue cesse

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ActuAlité(s) du cArmel

de publier les avis nécrologiques en 1947 1. En complément, bon nombre d’éléments majeurs sont relatés : centenaires de couvents ou de carmels, jubilés de profession. Les indications liturgiques sont très nombreuses. Elles tiennent compte de l’« Ordo » édité par la Province des Carmes de France, puis par celle d’Avignon-Aquitaine. Un frère est spécialement chargé de cet « ordo ». C’est le frère calen-dariste, nommé par le Définitoire Provincial.

De 1911 à 1914, puis de décembre 1925 à avril 1940, chaque numéro contient le « calendrier liturgique ».

Jusqu’à sa nouvelle formule de 1955, Carmel offre une masse d’informations impressionnante indifféremment intitulées : La vie de l’ordre, Nouvelles de l’ordre, Échos des missions, Variétés, Billet du mois, Nouvelles générales de l’Église. Toute l’actualité carmélitaine et ecclé-siale défile sous un éclairage contemplatif. Même profusion pour les comptes-rendus bibliographiques et les recensions. Ces dernières s’étoffent à partir des remaniements du premier numéro de 1950.

De 1924 à 1942, Carmel publie Les échos du Petit Noviciat, c’est-à-dire la chronique au jour le jour du Petit Noviciat du Petit-Castelet. C’est amusant, et encore plus émouvant. Il y a un côté bon enfant dans ces pages qui peut faire beaucoup de bien au lecteur trop adulte.

Bien avant la création officielle des Éditions du Carmel, la revue Carmel fait même office de « procure » carmélitaine. Elle met à la disposition des lecteurs un certain nombre de livres et manuels qu’ils peuvent commander par simple courrier. On trouve parfois certains petits avis comme ceux-ci :

N.B. Nous croyons utile d’avertir les Monastères [de carmélites] qui comptent parmi nos abonnés, que la direction du Carmel est seule chargée, à l’exclusion de tout intermédiaire français ou étranger, de

1. 1947-III p. 59.

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2. 1929-I p. 117. 3. 1932-II p. 133.4. 1931-I p. 2.5. 1935-VII p. 400.6. 1935-VII p. 401.

7. Cf. liste et prix des images entre les pages 188 et 189 de février-mars 1936 et 96 et 97 de février-avril 1942.

8.1932-III p. 217-218.9. 1912-X 3e de couverture.

100 Ans de lA revue cArmel

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l’édition et de la mise en vente du Cérémonial officiel de l’Ordre destiné aux Carmels français 2.

La direction de la revue fournit certains documents canoniques difficiles à trouver 3.

Elle n’hésite pas à réquisitionner jusqu’au Père Provincial qui, dans une lettre spéciale, invite les lecteurs à recourir à l’administra-tion de Carmel pour se procurer les bréviaires de l’Ordre 4. Car la revue possède des stocks. Elle imprime des cantiques 5 et des images pieuses 6 dont elle assure la publicité 7. Elle vante même les mérites de certains produits inattendus, comme le vin du Broussey !

Notre R.P. Antoine demande l’hospitalité de notre revue pour faire savoir que l’on peut l’aider à la restauration du Monastère en achetant le vin de la propriété, excellent vin blanc sec, clos du Broussey, 2 600 francs la barrique de 220 litres 8.

Le vin blanc, absolument pur et vendu après trois années de soin, peut être employé pour la Messe en toute sécurité 9.

Prenons l’année 1935, page 37 du numéro d’octobre. Il y est question d’un ustensile original et fait sur mesure : la « tasse carmé-litaine ». Carmel en propose aux carmes et aux carmélites car leurs réfectoires ne sauraient s’en passer. L’annonce s’intitule « Tasses Carmélitaines » :

Les tasses que le R.P. Ernest-Marie, provincial (…), fit fabriquer il y a quelque temps, suivant le modèle traditionnel dans l’ordre, en porcelaine blanche avec deux anses et les armoiries du Carmel ne sont pas complètement épuisées. On peut s’en procurer à l’adresse ci-dessus pour le prix de 6 francs l’unité, port en sus.

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10. 1938-VII p. 381.11. p. 249-250.

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Poursuivons notre inventaire à la Prévert en empruntant un registre plus scabreux : celui des têtes de mort, autre ustensile indis-pensable des réfectoires carmélitains (car l’usage veut qu’une tête de mort trône sur la table du prieur) :

Adresse utile : on nous a souvent demandé des renseignements pour se procurer la tête de mort en usage au réfectoire (Cérémonial, n° 615). Nous sommes à même de donner une adresse utile à cet effet. La Maison Lorenzi, 19 rue Racine, Paris (6e), peut fournir des têtes moulées gran-deur naturelle, pour le prix de 100 francs franco de port et d’emballage 10.

La revue, qui fait trait d’union, donne bien sûr des nouvelles des couvents des frères.

Carmel, finalement, est un peu l’organe officiel du Carmel français.Il s’en dégage un esprit familial et les lecteurs, en passant d’une

rubrique à l’autre, sont comme invités à participer à la vie de la Province des carmes. La juxtaposition, dans une sainte promiscuité, des grandes vérités de vie mystique et des réalités plus prosaïques donne à la revue un cachet d’authenticité et de simplicité. Rien n’est laissé au hasard et l’attention portée aux choses célestes s’accommode très bien d’un réalisme tout thérésien qui ne néglige aucun détail de la terre.

Même si la revue fonctionne avec un budget plutôt serré, cela n’empêche pas ses directeurs successifs de consacrer une part d’abon-nements gratuits pour les personnes défavorisées.

Peu de temps après l’événement important qu’a constitué la réunification des Constitutions des carmélites (en 1926), Carmel se pose comme instrument de promotion des relations entre carmes et carmélites de France. Le numéro de mai 1928 11 publie la liste des carmes ayant prêché des triduums en l’honneur de Saint Jean de

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12. 1929-I p.125.13. Actes du Définitoire Provincial, session du

26 septembre 1955.

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la Croix dans les carmels de France. La liste fournit des détails très intéressants. Le Père Marie-Eugène a prêché douze triduums, le Père Jean-Marie huit, le Père Louis quatorze. Cinquante-huit monastères de carmélites (sur un total de cent trente-deux à l’époque) ont invité des carmes. Ces monastères sont visiblement les plus zélés dans cette œuvre de rapprochement.

L’année suivante, deux d’entre eux – les carmels de Lisieux et de Pau – font passer un communiqué pour démentir la rumeur selon laquelle ils n’auraient pas adopté les nouvelles constitutions de 1926 12.

Dans Carmel, on trouve tout le Carmel

Mais là, vous comprendrez aisément que je ne puisse pas entrer dans le détail du contenu des articles. Toute la dimension mystique du Carmel est prise en compte, dans des centaines d’articles toujours bien écrits : la spiritualité du Carmel, ses saints, son histoire, ses controverses, ses traditions élianique et mariale, etc.

1955-1969 : Maturité paisible

Trente ans après en avoir assuré la direction une première fois en 1925, le Père Marie-Eugène reprend en main la destinée de la revue Carmel au moment où le Père Dominique est désigné comme fonda-teur d’un nouveau couvent au Québec 13. C’est le début d’une période où l’activité éditoriale de Carmel redouble.

Pendant quatorze années, jusqu’en 1969, Carmel va fonctionner à plein régime et livrer de cahiers de grande qualité. C’est le temps de la maturité paisible, qui correspond aux directions des Pères Marie-Eugène et Albert de l’Annonciation.

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ActuAlité(s) du cArmel

La direction du Père Marie-Eugène de l’Enfant-Jésus (1955-1960)

Comme pour celle du Père Bernard de Saint-Joseph (1942-1948) il n’y a finalement pas grand-chose à dire. C’est une direction de transition qui fonctionne sur la lancée des années précédentes et qui bénéficie des modifications introduites deux ans plus tôt. En 1953, Carmel s’est délesté de tout ce qui avait directement trait au Tiers-Ordre pour fonder un nouveau bulletin : Scapulaire.

Désormais, la revue apparaît plus simple dans sa présentation et plus aérée. Elle a gagné en souplesse et paraît quatre fois par an au lieu de six. Ce nouveau rythme permet d’approfondir certains thèmes, avec des cahiers plus épais : quatre fois quatre-vingt pages au lieu de six fois trente-deux.

Lorsqu’il reprend en main Carmel, le P. Marie-Eugène a soixante-et-un ans et croule sous une activité surabondante. Il est en pleine possession de ses moyens. Son expérience est avant tout celle de la maturité. Carmel est une affaire qui tourne, avec quarante-cinq ans d’expérience c’est une revue qui entre dans une phase de maturité paisible avec un dynamisme propre. Ses deux directeurs, de 1955 à 1969, n’auront plus besoin de s’investir dans la recherche d’un nouveau style. La formule inaugurée en 1953 plaît. Elle a fait ses preuves. Il suffira aux Pères Marie-Eugène et Albert d’y ajouter leur touche personnelle, comme nous allons le voir mais sans nous étendre aussi longuement que pour la période des années « 1925-1955 ».

Quelques statistiques, présentées sous le mode de la comparaison, en disent long. De 1925 à 1955, Carmel a totalisé soixante-dix-neuf collaborateurs et deux cent quatre-vingt-quinze articles. De 1956 à 1969, pour une période de quatorze années (c’est-à-dire deux fois

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plus courte que la précédente) ; Carmel totalise cent quinze collabora-teurs et deux cent vingt-cinq articles. Signalons, dès à présent, que les articles ont tendance à être plus longs avant 1955.

Si l’on considère le nombre de collaborateurs, nous constatons que le phénomène d’élargissement, accentué dès 1948, se poursuit et s’am-plifie considérablement. On fait de plus en plus appel à des auteurs étrangers à l’Ordre. La sensibilité ecclésiale de la revue s’universalise. Voyons d’abord la proportion de carmes mis à contribution : jusqu’en 1955, ils sont trente-sept à signer des articles (douze pour la Province de Paris, douze pour la Province d’Avignon-Aquitaine et treize appartenant à d’autres territoires). De 1955 à 1969, ils sont sensible-ment moins nombreux (trente-trois en tout) mais plus concentrés puisque dix-sept appartiennent à la Province d’Avignon-Aquitaine et neuf seulement à celle de Paris (et 7 à d’autres territoires). La revue conserve donc son soubassement carmélitain tout en accentuant son enracinement provincial franco-méridional. De 1925 à 1955, sept carmélites (ou carmels) signent huit articles et onze tertiaires trente-deux articles. De 1956 à 1969, (pour une période deux fois plus courte, rappelons-le) sept carmélites signent douze articles et un seul tertiaire un seul article. C’est tout à fait normal puisque depuis 1953, les tertiaires bénéficient de leur propre revue (Scapulaire, rebaptisée Vives Flammes en 1960).

Comme nous l’avons dit, c’est du côté de l’élargissement aux auteurs non carmélitains que l’évolution de la revue apparaît specta-culaire. Entre 1925 et 1955, ils ne sont que vingt-quatre auteurs (pour quarante-cinq articles) alors que les trente-sept carmes signent deux cent dix articles. Sur ces vingt-quatre collaborateurs, on compte dix religieux étrangers à l’Ordre du Carmel, sept ecclésiastiques séculiers et sept laïcs. La proportion explose pour la période « 1956-1969 ».

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14. Ces critères sont : un attachement farouche au Successeur de Pierre ; respect du principe thérésien « tout ce que demande l’Église et rien d’autre » ; fidélité à l’esprit mystique et missionnaire du charisme carmélitain ; primat du salut des âmes ; esprit d’oraison.

15. Les causes de cette crise sont les conséquences de la « division » douloureuse de 1932 et la raréfaction des vocations en un temps où les organismes fragiles des jeunes frères s’adaptent mal aux exigences d’une observance assez stricte. Le malaise provincial se focalise alors sur la question des couvents, jugés trop nombreux et lourds à administrer.

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Si trente-trois carmes rédigent cent deux articles, soixante-treize auteurs étrangers à l’Ordre signent cent neuf articles. On peut donc parler d’un équilibre relativement correct entre la part carmélitaine des contributions et son pendant non carmélitain. Sur ces soixante-treize auteurs non carmélitains, on compte trente-trois religieux divers, une vingtaine d’ecclésiastiques séculiers (dont trois cardinaux et cinq autres prélats) et une vingtaine de laïcs. L’élargissement des collaborateurs étrangers à l’Ordre carmélitain doit probablement autant à l’air du temps qu’à la personnalité ouverte des deux direc-teurs de Carmel entre 1955 et 1969. Les années cinquante sont riches et ont probablement bien contribué (en France au moins) à préparer le Concile Vatican II.

Au sein de ce bouillonnement créatif, la revue Carmel adopte une attitude d’ouverture bienveillante tout en appliquant fermement les critères de discernements ecclésiaux traditionnels à l’Ordre du Carmel 14. Les personnalités des Pères Marie-Eugène et Albert ont beaucoup compté dans l’adoption et le maintien de cette ligne géné-rale inspirée d’une grande connaissance de l’univers ecclésial.

Les cinq années de direction du Père Marie-Eugène correspondent à une période de transition et de relative disponibilité personnelle. En ce début des années soixante, les carmes d’Avignon-Aquitaine sont relativement peu nombreux. Ils sortent d’une période difficile, à la suite d’une crise interne qui a éclaté en 1953 15 mais l’un d’entre eux est tout à fait apte à reprendre le flambeau. C’est un jeune reli-gieux qui va sur ses soixante ans. Cet homme providentiel s’appelle le Père Albert de l’Annonciation. Sous sa vigilance, Carmel va connaître neuf années particulièrement fécondes puis trois de déclin et de douloureuse instabilité.

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16. Semaine religieuse du diocèse d’Angers, 1980, p. 139.

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La direction du Père Albert de l’Annonciation (1960-1972)

L’itinéraire de cet ancien sulpicien n’est pas vraiment banal. Lucien Chéron est né à Rouen en 1901 et a été ordonné prêtre en 1926. Il est nommé directeur au Grand Séminaire d’Angers l’année suivante (1 927) et y restera jusqu’en 1956. C’est un homme de vaste culture et de grand savoir, curieux des sciences humaines et pourvu d’une bonne dose d’originalité. Une notice rédigée à se mort souligne que « tout au long de sa vie, avec beaucoup d’humour et une nette indifférence aux biens de ce monde, Monsieur Chéron s’efforça de faire entrer sa longue silhouette dans la petite voie d’en-fance thérésienne (…) La crise traversée par l’Église et par certains de ses anciens élèves ne pouvait pas ne pas angoisser cet homme de cœur. (…) Il avait su heureusement garder son humour, refusant, comme il l’écrivait lui-même, de jouer saint Épiphane, évêque de Salamine, que Monseigneur Duchesne représentait juché sur un rocher et fouillant l’horizon avec une longue-vue anachronique, pour voir si quelque navire n’allait pas ramener un hérétique 16 ».

Le Père Albert est un homme pétri de références patristiques. C’est un théologien admirateur de Newman et un liturgiste averti très attaché au patrimoine grégorien. Dès son entrée dans la vie religieuse, ses supérieurs vont faire appel à ses compétences et c’est le plus naturellement du monde qu’il se voit confier la direction de Carmel en juillet 1960. Il va briller dans cette charge et profiter d’un réseau impressionnant d’amitiés ecclésiastiques pour continuer l’œuvre entreprise par le Père Marie-Eugène et élargir le groupe des collaborateurs de Carmel.

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17. Le Père Albert considérait celle-ci comme une véritable consécration virginale.

18. Actes du Définitoire provincial, p. 103.19. Actes p. 106.

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De 1960 à 1969, le Père Albert va développer la dimension doctri-nale de la revue dans une perspective résolument ecclésiale sans cesse accordée aux exigences du renouveau conciliaire. Ce renouveau, le Père Albert y a travaillé de toutes ses forces dans un esprit profon-dément traditionnel et, disons-le, dans une certaine marginalité douloureuse. Bon nombre de prélats et de théologiens célèbres – à commencer par le Père de Lubac – l’ont soutenu et sans cesse encou-ragé, soulignant le bien-fondé de ses intuitions découlant d’une haute conception de la dignité sacerdotale 17. Élu prieur de Montpellier en 1966, il exerça un grand rayonnement dans ce couvent jusqu’à sa mort survenue le 22 février 1980. Beaucoup de fidèles, désemparés par la crise de l’Église, ont reçu ses consolations et encouragements puisés à la source d’une authentique vie mystique.

1969-1975 : Rupture

Le 11 mai 1969, lors du chapitre provincial d’Avignon- Aquitaine, le Père Albert est reconduit dans sa fonction de directeur de la revue Carmel. On lui adjoint aussi l’aide d’un comité de rédac-tion, le premier de l’histoire de la revue. Ce comité est constitué des Pères Joseph (Baudry) pour la partie historique, Alain-Christian (Delaye) pour la partie biblique, Jean-Pierre (Galay) pour la liturgie, Raymond (Lamboley) et Jacques-Marie (Petit) pour la partie « spiri-tualité et monde moderne ». En fait, le Père Albert n’a plus la haute main sur la revue. Son influence va aller décroissant.

Les Éditions du Carmel, en parallèle, ont entrepris un gros travail de refonte. Le Père Louis-Marie de Saint-Joseph, successeur du Père Marie-Eugène, a donné « sa démission de P.D.G. des Éditions du Carmel » le 4 février 1968 18. Après un statu quo, le Père Jacques-Marie lui succède en 1969 19 puis cède la place au Père Alain à partir

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20. Actes p. 140. 21. N°1, mars 1970, p. 3-6.

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du 16 février 1972. Beaucoup de choses changent. Une nouvelle génération de jeunes frères prend les choses en main. Les méthodes et les lignes éditoriales n’ont plus grand-chose à voir avec celles qui ont prévalu jusqu’alors. Le 22 avril 1972, lors du chapitre provin-cial, le Père Alain Delaye devient directeur de Carmel à la place du Père Albert qui se retire officiellement mais qui avait déjà quitté la scène depuis longtemps 20.

Dès le mois de février 1970, un projet de révision de Carmel avait été adopté. Il portait sur l’élargissement de la collaboration (en faisant appel à des frères de la Province de Paris comme le confirme le défini-toire provincial du 27 septembre 1972, page 147). On décide aussi de renouveler la présentation de Carmel et de restructurer son adminis-tration. La place manque pour décrire tous les changements survenus. Au mois de mars 1970, une nouvelle série – thématique – est inaugu-rée. Le premier éditorial donne le ton en citant un extrait du journal Le Monde où Roger Garaudy nous invite à « élargir une brèche » à la suite de Jean de la Croix, Karl Marx et Van Gogh 21…

Il est délicat d’émettre un jugement sur cette période de l’histoire de la revue, mais autant le dire avec franchise : elle perd de son inté-rêt et se dilue dans les problématiques séculières et psychanalytiques. Entre 1965 et 1970, Carmel a perdu cinq cents abonnés et va en perdre quatre cents autres en l’espace de cinq ans. C’est la chute libre. Heureusement, quelques auteurs sauvent l’honneur : les Pères Guy Gaucher, Joseph Baudry, Jean Lévêque et Jean-Philippe Houdret. Le Père Albert n’a signé qu’un seul article en mars 1970, puis s’efface digne-ment pour s’engager dans d’autres combats, au service notamment de la maison Téqui qui lui offre sa tribune en 1977 pour la rédaction d’un petit ouvrage d’espérance intitulé Vivre avec ce sous-titre évocateur : dans le dédale, vers la lumière. À partir du numéro 9 (premier trimestre 1972), la revue éclate littéralement. Son directeur, par un dévouement

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22. Conseil Provincial du 9 septembre 1975.

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pathétique, va la porter à bout de bras jusqu’en septembre 1975. Il est l’auteur, à lui seul, d’un bon tiers de la revue. Le numéro vingt-quatre du quatrième trimestre 1975 est le dernier de la série. Il s’intitule « J’ai eu faim ». C’est le numéro de la fin qui laisse le lecteur sur sa faim. Avec une réelle honnêteté, le comité de rédaction de Carmel va prendre acte des reproches de lecteurs. La revue s’est trop dispersée dans des problé-matiques abstraites et pas assez spirituelles. Elle a surtout négligé son identité carmélitaine.

Le 9 septembre 1975, le Père Pierre-Marie Salingardes est nommé directeur de Carmel. Il est assisté d’un comité de rédaction constitué de six membres : trois de la Province d’Avignon-Aquitaine (les Pères Joseph Baudry, Jean-Philippe Houdret, Dominique Fabe) et trois de la Province de Paris (les Pères Guy Gaucher, Jean-Pierre Thibault et Jean-Christian Lévêque) 22. Assisté d’une nouvelle équipe, le Père Pierre-Marie s’engageait dans une voie exceptionnelle qui allait lui permettre, outre ses multiples charges, de donner toute sa mesure spirituelle dans un apostolat éditorial de qualité. Pendant vingt-et-un an, de 1975 à 1996, il allait assumer la fonction de directeur de la revue Carmel et, presque en parallèle, des Éditions du Carmel transfé-rées du couvent de La Plesse à Venasque.

1975 à nos jours : nouvel essor

Pendant de nombreuses années, Carmel a été la revue « du Carmel de France et de son Tiers-Ordre », à l’heure de la rupture, elle a été une revue de « recherche spirituelle ». Désormais, avec le Père Pierre-Marie, elle va renouer avec son soubassement carmélitain sans pour autant négliger l’apport des expériences passées.

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23. Documents relatifs aux Éditions du Carmel conservées aux Archives provinciales d’Avignon-Aquitaine.

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La direction du Père Pierre-Marie de la Croix (1975-1996)

Le nouveau directeur de Carmel n’est pas un novice. Il connaît bien le monde des revues carmélitaines et ce n’est pas la première fois qu’il travaille aux Éditions du Carmel. Le Père Pierre-Marie est né en 1922 à Montfermeil (93). Il entre au noviciat des Carmes en 1946 puis, au retour de ses études romaines, est ordonné prêtre en 1955 et assigné au couvent du Petit-Castelet. Dès 1957, le Père Marie-Eugène fait appel à lui pour le seconder à la direction des Éditions du Carmel. Puis, l’année suivante (25 juillet 1958), il se voit confier la rédaction de la revue Scapulaire (fondée en 1953) et la présentation typographique de Carmel pour soulager le Père Marie-Eugène qui était en même temps provincial. De 1958 à 1978, le Père Pierre-Marie assumera sans interruption la direction et la rédaction de la revue Scapulaire rebaptisée Vives Flammes en 1960. À la même époque, c’est-à-dire au début des années soixante, il continue à super-viser la présentation typographique de Carmel dirigé alors par le Père Albert. Reconnaissant, celui-ci écrit dans une note manuscrite datée probablement de 1961 :

Pour le matériel de la revue (Carmel) ; je ne pourrais rien. Le Père Pierre-Marie fait tout, parfaitement. Je le paie en petite prose pour Vives Flammes. Nous sommes je crois d’accord sur toute la ligne 23.

Toute sa vie, le Père Pierre-Marie croulera sous les charges. Prieur, économe provincial, prédicateur de retraites. De 1963 à 1990, il est conventuel du Broussey, puis est nommé au couvent de Toulouse en 1990. En 1999, il rejoint celui de Montpellier où il meurt en 2004. Mais pour l’instant, en cette fin d’année 1975,

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ActuAlité(s) du cArmel

la tâche du Père Pierre-Marie est lourde. Il lui faut refondre tota-lement la revue et la présenter sous une forme plus sobre et allégée par souci d’économie. Chaque cahier sera thématique et constitué d’environ quatre-vingt pages. On conservera le rythme trimestriel qui a fait ses preuves depuis 1955. Dès le premier numéro de 1976 l’on revient à un travail plus classique. Le nouveau comité de rédaction est constitué pour une bonne part de frères expérimentés et rompus à un travail d’équipe. Désormais, Carmel va s’attacher à décrire l’esprit du Carmel en interrogeant ses traditions, sa spiritualité, ses saints et les modalités de son rayonnement dans notre société contemporaine : un versant mystique et un versant missionnaire… et nous revenons aux grandes intuitions des Études Carmélitaines et de Carmel dans les années vingt. La boucle est bouclée.

Le grand mérite du Père Pierre-Marie consistera, pendant vingt ans, à honorer deux perspectives (mystique et pastorale) en les recen-trant constamment sur des thèmes ecclésiaux et sous l’éclairage du renouveau conciliaire. Sous sa direction vigilante et compétente, les nombreux collaborateurs de Carmel vont s’atteler à la grande tâche initiées par le Père Albert une quinzaine d’années plus tôt. Celle-ci peut se résumer en quelques mots : se réapproprier le patrimoine spirituel chrétien à la lumière de la spiritualité carmélitaine. C’est comme si, après une parenthèse de six années, on avait pu reprendre le train en marche ; et le miracle, c’est précisément qu’on ait pu le reprendre… avec autant d’humilité que d’ambition pour un service d’Église. La consultation des deux Tables générales de Carmel (couvrant les périodes de 1976 à 1988 et de 1950 à 2010) atteste la fécondité du travail du Père Pierre-Marie sur vingt-et-un ans de publications, c’est-à-dire environ quatre-vingts numéros et six cents articles.

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100 Ans de lA revue Carmel

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S’il existe une « recette » pour tenter d’expliquer cette réussite dans le maintien d’une ligne éditoriale continue, régulière et persé-vérante, ce pourrait être la convergence d’éléments aussi divers que :

_ La création, dès les années cinquante d’un embryon d’équipe éditoriale transformée en comité de rédaction en 1969 (la revue, à partir de 1928 n’a jamais été l’œuvre d’une seule personne).

_ La communauté de destin de la revue Carmel avec la Province des Carmes Déchaux d’Avignon-Aquitaine, au point de puiser dans un même esprit familial, dans des épreuves communes et des dyna-mismes communs.

_ La physionomie typique des principaux directeurs de Carmel qui ne furent jamais confinés à leur seule tâche éditoriale mais qui croulaient souvent sous une multitude d’autres responsabilités. Cette polyvalence leur a permis de garder un véritable sens pastoral, un rapport sain face aux réalités concrètes de la vie et une certaine humi-lité dans le déploiement des moyens mis en œuvre.

La direction de Carmel depuis 1996

Il est toujours difficile, dans un travail à coloration historique, de parler de la période contemporaine. Les directeurs actuellement vivants de Carmel voudront bien me pardonner si je ne m’étends pas sur leurs réalisations, mais c’est peut-être parce qu’ils sont ou furent de dignes fils et successeurs du Père Pierre-Marie qui a su leur transmettre un esprit d’équipe dans le respect du travail de leurs zélés collaborateurs. Il s’agit du Père Jean-Gabriel de l’Enfant-Jésus (1996-2000), du Père Philippe de Jésus-Marie (2000-2008) et du Père Marie-Laurent de la Résurrection (depuis 2008). Nous ne

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24. Rappelons que cet article est le fruit des recherches menées par le P. Louis-Marie pour sa contribution au Colloque des 100 ans de notre revue, les 18 et 19 mars 2011.

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ActuAlités du cArmel

saurions oublier leurs collaboratrices directes et indispensables qui assurent les travaux de secrétariat, de relecture, de composition, de comptabilité et d’expédition.

Aujourd’hui la revue compte un petit millier d’abonnés. Depuis une quinzaine d’années, ses directeurs travaillent beaucoup à étendre sa diffusion par le biais, notamment, de librairies religieuses. Elle continue à publier quatre numéros par an autour d’un dossier solide-ment charpenté dans un réel souci de pédagogie.

Conclusion

Il faut conclure. Quelques remarques, seulement.Notre colloque 24 pose la question captivante et essentielle de « La

vie mystique pour tous ? ». Au cours de sa longue histoire, la revue Carmel n’a jamais directement posé la question en ces termes précis mais l’évolution de son objectif, de plus en plus englobant, atteste qu’elle a relevé le défi et apporté une réponse positive sans aucune ambiguïté. Carmel, au départ, est le « bulletin mensuel du Carmel de France et de son Tiers-Ordre » puis devient le bulletin de spiritualité carmélitaine qui s’ouvre aux grandes questions dogmatiques, cultu-relles et ecclésiales. Enfin, dans un troisième temps – et après la crise des années soixante-dix –, elle bascule dans une autre perspective. Au lieu de partir du mystère du Carmel et de l’ouvrir aux réalités de la vie ecclésiale, elle opère la démarche inverse pour se définir en tant que revue de « spiritualité chrétienne » qui se réapproprie tout le patri-moine ecclésial à la lumière de la spiritualité carmélitaine.

Carmel a toujours su rester une revue spirituelle de bonne vulga-risation. Elle n’a jamais prétendu être une revue scientifique. Elle touche à tout, parfois en profondeur ; mais surtout elle touche à tout

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ce qui oriente vers les profondeurs de l’âme. C’est une revue de fond. Cette absence de prétention scientifique, loin d’être une forme d’anti-intellectualisme, est un service que la revue a rendu aux âmes simples dont elle ne s’est jamais coupée.

Comme toutes les grandes œuvres d’Église à leur origine, on ne peut qu’être surpris par la disproportion des moyens déployés au regard des résultats obtenus. Les directeurs de Carmel ont presque toujours été des brasseurs d’affaires qui dirigeaient et composaient la revue à partir de bases modestes tout en s’adonnant à d’autres acti-vités exigeantes. Carmel n’est pas une revue fabriquée en chambre ou en serre chaude. C’est un fruit de l’action apostolique qui n’a jamais dissocié ses dimensions mystique et missionnaire.

Les directeurs de Carmel n’ont jamais travaillé en solitaire. Jusqu’en 1969, ils ont toujours su faire fonctionner des réseaux d’amis, d’ecclé-siastiques divers ou de frères en religion. À partir de 1969, cet esprit de collaboration s’est poursuivi en équipe, avec surtout les comités de rédaction. La revue doit beaucoup à son enracinement carméli-tain. Elle est comme le reflet de l’histoire des Carmes en France au xxe siècle (et particulièrement de la Province d’Avignon-Aquitaine) mais elle a toujours su se ménager des ouvertures. De fait, le mystère du Carmel n’est pas la propriété exclusive de l’ordre carmélitain. Il a une dimension universelle. Il favorise le dialogue des cultures.

Frère Louis-Marie de Jésus, o.c.d. Archiviste provincial