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Marion Chombart de Lauwe CARNET DE BORD 2011 - 2016

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Carnet de

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2011 - 2016

:::Dernières heures des bâtiments

Ce document a pour objet de présen-ter le projet et ses fondements. C'est un carnet de bord qui rend compte des temps forts de ma démarche autour du territoire, de la métamorphose et de la mémoire. Il est actualisé au fur et à mesure de l'évolution du projet, per-mettant une vision d'ensemble : son développement, son actualité et ses perspectives…

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Dernières heures des bâtiments

Présentation de projet

Dessiner les dernières heures des bâtiments en suivant leur processus de démolition et inscrire la trace de ces lieux sur ce qu’il reste d’eux. Actualiser le devenir d’un espace muté, dans la perspective d’une pensée de la disparition, de la mémoire et de la transformation.

La réalisation de ce projet implique plusieurs étapes. En premier lieu, il y la nécessité d'un cheminement autour de ces espaces

en mouvement. Ma présence répétée sur les lieux, sert à la fois à la réalisation des dessins provenant d'une captation directe ; à la collecte d'éléments (prise de sons, interviews, pho-tos, vidéos…) et elle permet surtout de choi-sir l’angle narratif, le jalonnement des «instants remarquables1». Une prise de contact avec les acteurs du chantier se met en place, ce qui faci-lite une approche de terrain approfondie et une meilleure compréhension du processus de démolition. C'est alors que débute le travail de collecte. Il est question de récupérer des éléments issus du chantier afin d’imprimer la mémoire de cette disparition sur les matériaux des bâtiments eux-mêmes. L'étape de gravure des dessins se réalise en FabLab ou en atelier de fabrication à l'aide d'une découpe laser. À l’issue de ce processus de création, les dessins originaux ainsi que les gravures deviennent des échantillons témoins d’un espace disparu et de l’histoire d’un lieu qui a cédé la place.

Dessin-réflexion sur la démolition en vérinage Le haut du bâtiment est mis en mouvement par des vérins, son centre de gravité étant déplacé du point d’appui, il sert de « bélier » en écrasant sa partie inférieure, s’effondrant ainsi sur lui-même.

1 L'Image mouvement, Gilles Deleuze.

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C'est lors d'une exposition d'architecture à Montréal que ce projet a émergé. Je me suis arrêtée un long moment devant des

vidéos de démolition à l’explosif. Images répé-titives et obsédantes, les bâtiments avaient tous une façon propre de tomber et de disparaître, ils semblaient changer un instant de nature, leur chute était singulière. La déformation faisait ap-paraître une ultime signature et la marque d’une métamorphose définitive qui semblait exprimer une part importante de leur essence.

Un bâtiment en brique semblait devenir liquide, angles et perspectives s'effondrant en cascade. Le Kingdome de Seattle, quant à lui, dévoilait tout à coup ses points d’appui sous le signal des explosifs, minutieusement orchestrés, avant de s’effondrer sur lui-même à la rupture de ses articulations. Ces mouvements de masses gigantesques m'évoquaient l'ampleur de grands mythes comme la chute des titans, s'effaçant du paysage en un temps bref et insaisissable.

Comment rendre compte de cet instant fra-gile entre deux moments stables, deux espaces délimités ? Comment représenter le jeu de ces instants aux bords des choses ?

Dessins-réflexion pour projet en état d’incertitude Les explosifs sont placés à des points précis qui caractérisent les points de forces de la structure. Déclenchés dans un ordre particulier, ils permettent l’orientation de sa chute. Il y a dans ce mouvement une essence tragique, mythologique, universelle.

Idée de départ

Les paysages en œuvresLes lieux se creusent, ils émettent un signal et disparaissent. Être sur la brèche, dans un instant donné, un entre deux qui ne peut être reproduit.

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médiatique ou ère de transition ? Nous sommes en tout cas dans une dialectique d’apocalypse qui, si elle appartient pour une part à nos imaginaires, n’en est pas moins vivante et animée.

Le 11 septembre 2001 a aspiré tous les regards du monde, créant un phénomène d’images obsédantes, galvanisant les fan-tasmes et les peurs. Les guerres sont souvent inscrites dans les murs, je l’ai vu à Mostar, à Sarajevo… quand personne ne veut en parler, les rues et les lignes de front s’expriment par leur ter-ribles morsures.

L' attrait pour les ruines et la marque du chaos n'est pas sim-plement le lieu d'un fantasme macabre et de destruction, c'est également un principe de renouvellement et de formulation du devenir. Une curiosité et un besoin de comprendre et de per-cevoir nos limites. Révéler des points de force revient quelque part aussi à penser nos faiblesses. La vulnérabilité n’est pas une fatalité, c’est un contact avec les limites de l’être, dans l’espace et dans le temps. L’histoire de l’extinction des dinosaures est aussi l’histoire de notre développement, de l'émergence d'autres espèces… ferions-nous aujourd’hui place à d’autres ?

Dans ce projet, il y a le désir de rendre visible l’invisible, être témoin d’une transformation. Saisir cet espace en devenir qui a donné le signal de son départ ou de sa métamorphose pour faire place. Observer une disparition et la graver quelque part en elle-même et en nous. Faire un hommage de mémoire comme un rite de passage qui marquerait le corps du paysage.

Pochoir à la bombe sur un mur d’une image répétée : la chute d'une ville

Dessiner les dernières heures des bâtiments. C’est presque une formule ironique, une sorte d’anthropomorphisme de l’hommage au soldat inconnu, appliquée aux bâtiments.

Il existe une filiation avec l’image de la guerre à travers la mémoire, les médias, les murs des villes (Mostar, Hiroshima, Nagasaki, Dresde, Bagdad, le World Trade Center…) —images répétées, images actualisées— nous avons parfois le senti-ment, l'illusion ou le fantasme d’être témoin des dernières heures, témoins du désastre. Extinc-tion d’espèces, dégradation de l’environnement, catastrophes climatiques et nucléaires. Outrance

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Le processus de démolition avait débu-té depuis plusieurs mois déjà lorsque j’ai commencé à suivre ce chantier en sep-

tembre 2011. Je l'ai accompagné du regard et dessiné jusqu’en janvier 2012, moment de la disparition complète du bâtiment.

Premier chantier et expérimentation

Usine de chauffage urbainL’usine construite par CPCU dans les années 60 au bord du canal de l’Ourq à Paris dans le quartier de La Villette sera déconstruite au cours des années 2011-2012.

Schéma de captation, repères d'espace et de tempsUne méthode : je cherche des points qui vont donner l’angle par lequel je saisis, puis je m'enroule avec les mouvements du chantier, les contraintes du moment, la lumière… C’est à la fois structuré par le cadrage et une sorte de linéarité temporelle, mais aussi chaotique et spontanée.

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Dessins au trait # Série 1 : Usine de Chauffage urbain de la Villette

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Plaque-mémoire1. Impression sur plaque d'acier issue de l'usine. 2. Exposition lors du Factory Market au QG à Paris 11e. 3. Phase de recherche sur plaques récupérées.

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Pendant la réalisation des dessins de l'usine, et avec l'aide des ouvriers

qui travaillaient sur le chan-tier, j'ai récupéré des plaques de métal provenant du bâti-ment pour y imprimer les des-sins de la démolition. C'est au fablab Artilect à Toulouse que j'ai commencé ce travail d'im-pression à la découpe laser.

Le processus de disparition est imprimé sur des matériaux récupérés et si possible issus du chantier.

Gravure sur métal

Impression de la mémoire des lieux

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Les travaux de réhabilitation du bâti-ment ont durés 2 ans. La structure est préservée mais subit de nombreuses

transformations. Je parcours les espaces et suis les métamorphoses des lieux qui se creusent et laissent entrer la lumière.

Une nouvelle peau

Magasins générauxLe bâtiment qui abritait les anciens entrepôts de la chambre de commerce et d'industrie de Paris à Pantin viennent d'être réhabiliter. J'ai eu la chance de suivre l'évolution de ce chantier.

Schéma du bâtiment

Plan et dates de moments choisis

pour la réalisation des dessins au trait.

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Dessins au trait # Série 2 : Magasins généraux à Pantin

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Instant #18Les dessins originaux sont exécutés au rapidographe, à l'encre sur papier. Dimensions : 21 x 29,7 cm.

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Instant #10Dimensions : 21 x 29,7 cm.

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Instant #20Dimensions : 21 x 29,7 cm.

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Instant #21Dimensions : 21 x 29,7 cm.

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InstantS #0 et #24 / 25Dimensions : 21 x 29,7 cm.

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La taille-douce utilise la plaque —sou-vent en métal— comme matrice pour l'impression des gravures sur papier,

c'est elle qui sert de passerelle entre le travail de création et l'œuvre transcrite à l'encre sur papier. Ici, contrairement à cette technique très riche des arts appli-qués, c'est le papier via les outils numé-riques, qui devient un médium entre le moment saisie et la plaque finalisée.

Dans ce processus d'impression sur matériau issu des bâtiment —ici de l'acier— le dessin devient la matrice et la plaque de métal le support final.

Le dessin comme moyen d'impression Work in progress

Le papier et l'encre comme matrice

Plaques-mémoire d'un rite de passage

Plaque-mémoire 1 instant #6Première plaque d'acier issue du bâtiments d'environ 2 kilos, pour 32 cm de large et 15 de hauteur.

Pour marquer ce moment de transition où les magasins généraux se pré-parent à une nouvelle vie, des élé-

ments de leur essence passée, révèlent leur potentiel physique et plastique. Les ma-tériaux choisis présentent des contraintes et induisent des techniques particulières pour leur donner corps. L'étape d'impres-sion à la découpe laser suffit parfois à faire vivre la rencontre entre le dessin et les élé-ments du bâtiments mais elle pousse sou-vent à aller plus loin dans l'expérimenta-tion. Certaines plaques sont travaillées un peu comme des bas relief —sous une forme adaptée aux outils et techniques contemporaines— puisqu'il est pos-sible de sculpter à travers les différentes couches de revêtement.

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Plaque-mémoire 18 instant #0Plaque d'acier issue des gardes-corps du bâtiments. Environ 2 kilos, 15 cm sur 32.

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Étape de travail d'une plaquePlaque 6 instant #10 : 15 x 32 cm.

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Plaque-mémoire 24 instant #18Assemblage de 3 plinthes d'acier de 67 cm x 45 soit 10 kg environ.

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Work in progress Expérimentations sur plinthes en acier issue du chantier

Variations sur un ensemble de paramètres : le traitement du revêtement, l'ajout et l'extraction de matière, le travail à l'eau-forte, l'oxydation et ses évolutions, la patine, les formats, les apprêts, les coupes…

Détails de plaquesZoom sur la rencontre entre matériau, dessin et traduction numérique au laser.

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Notes générales autour du paysage et du territoire

Un territoire Accessible/inaccessible // Opacité/apparition //

La démolition brouille les frontière du visible, lève les obstacles au regard, créée des percées… // Rythme subtile entre espaces ouverts et espaces fermés autrefois intimes, proches ou lointains // Curiosité qui stimule l’imaginaire // Effets corro-sifs de l’action humaine // Le ré-agencement de la matière // Des bâtiments comme des trophées de chasse ? // Actualisation et attachement sym-bolique // Variations physiques et symboliques du paysage // La continuité des images comme repro-duction d’espaces perdus ou rêvés…

Quelques pistes de lecture d’un siteC’est par l’art de la mémoire —Ars memorativa,

inventé par les Grecs et actualisé entre autre par Sébastien Marot dans l’art de la mémoire— le terri-toire et l’architecture, que j’alimente ma démarche, pour matérialiser la dimension spatiale et tem-porelle d’une mémoire collective au sein d’un paysage. La mémoire et l’image mentale servant d’outils d’actualisation.

Un aspect du territoire qui offre des mutations représentablesDans les paysages, des milliers de mémoires

se sont accumulées, se sont laissées transfor-mer et inventer. Il s’agit de mettre à disposition des regards, « des images qui impressionnent la mémoire ». Ce qui était d’une importance capi-tale avant l’imprimerie reste le fondement de la pensée humaine.

Correspondances et bibliographieClaude Régy, « Espaces perdus » et « L'état d'incertitude »

Jean-Claude Ameisen, « La sculpture du vivant »

Rem Koolhaas, « New York délire »

Sébastien Marot

Gordon Matta-Clark

Peter Brook, « L’espace vide »

Barbara Glowczewski

Le pli d’une civilisation: la crise. (France culture 16/12 les nouveaux chemins…)

Deleuze, « L'image mouvement »

Bernd et Hilla Becher

Walter Benjamin

Mark Z. Danielewski, « La maison des feuilles »

Georges Pérec, « Espèces d'espaces »

Nicolas Moulin

Rodin et Claudel

John Brinckerhoff Jackson « De la nécessité des ruines et autres sujets »

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Perspectives et devenirPartout… le monde

Les perspectives de ce projet se déploient à mesure qu'il se développe. Un processus d'accumulation de matériau (plastiques, visuels, sonores…) enrichissent considérable-ment les possibilités de l'exposer, de le lire, de l'éprouver. Les lieux sont racontés et remémorés offrant éventuelle-ment une rencontre surnaturelle avec un espace-temps disparu que l'on pourrait un peu toucher, sentir…

Il se développera dans différents contextes et environnements, là où le travail de mémoire se fait témoin de changements radicaux et

définitifs : d'anciens lavoirs à charbon classés et condamnés en Bourgogne ? Les vestiges des sites industriels de l'ère Ceausescu en Rou-manie ? Pays émergents ? Vieilles villes qui font peau neuve ? Paris, Pantin, Berlin, Moncteau-les-Mines, Rio, Montréal, Johannesburg…

Garder une trace —plaques imprimées, publi-cations, création sonore, interviews— mais éga-lement, aménager des moments uniques et éphémères… comme un rite de passage qui marque une rupture dans ces paysages par une célébration —exposition, scénographie dyna-mique, installation, performance, parcours de la mémoire…

Tout autour de paysages anodins ou remar-quables, j'espère faire vivre ce travail en faisant hommage à la poésie des espaces, à l'imagi-naire des lieux que l'on quitte, à l'espérance des espaces qu'ils libèrent…

Captation vidéo : extraitsRépercutions sonores et vibratoires du bâtiment transmises par l'eau, lu par les lignes du filet de protection.

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Marion chombart de Lauwe

Démarche artistique

Formée au théâtre à partir de 1999 à la faculté de Toulouse parallèlement à des études d'anthropologie, je me consacre pleinement aux arts de la scène en suivant la formation pro-

fessionnelle d'acteur du Théâtre 2 l'Acte, Vers un acteur plu-riel, en 2002. Mon travail artistique s'est donc épanoui au sein des arts vivants durant une dizaines d'années, développant une écriture plastique, poétique, expérimentale au travers de ren-contres et de projets foisonnants.

Ma pratique continue du dessin me conduit également à réaliser les objets de communication visuelle des projets dans lesquels je suis engagée. C'est ainsi que je découvre ce qui deviendra par la suite une part importante de ma vie professionnelle : le design graphique. Après une formation qualifiante, en 2010, je décide de l'intégrer à ma pratique artistique, sans cloisonnement. Atouts artistiques, culturels et techniques sont alors des outils d'écri-ture au service d'idées et de signes propres à stimuler la pensée et le regard actif, établissant une correspondance entre diffu-seur et acteur (usagers, citoyens, consommateurs, passants…).

Contrairement à l'attention du graphisme portée à la commu-nication d'un message, ma démarche plastique se veut libre et personnelle.

J'y développe un sens de l'exploration et de l'occupation des lieux. Lorsqu'une piste me semble pertinente, je cherche l'occur-rence, observe le contexte choisi —inspirée des méthodes eth-nographiques— et développe alors une relation et une approche de terrain où le dessin au trait trouve une place prépondérante comme mode d'écriture et de prélèvement.

Mon parcours artistique s’est développé et épanoui dans un contexte d’interdisciplinarité et de mariage entre les arts vivants et les arts visuels. Cela caractérise mon tra-vail et l’enrichit d’un regard croisé.

Ce processus organise et développe mon travail, trace une topographie qui s'actualise dans l'action et la présence sur les lieux. Cette notion d'espace est une caractéristique importante de ma démarche. Je me positionne volontiers comme plasti-cienne de terrain, ressentant le besoin d'habiter temporairement et symboliquement les sujets qui m'occupent pour dégager un dessein susceptible de se donner à voir et donc à penser.

Je travaille en premier lieu à partir du dessin car il permet un rapport simple et immédiat ; il autorise une grande mobilité et souplesse d'action. C'est par la synthèse de l'approche sur les lieux et des résultats obtenus que le récit s'organise. Le sujet mêlé à l'expérience vécue trouve un mode de transposition et se traduit par une forme qui l'expose.

En ethnologie, j'ai appris à aborder la notion de terrain par différents modes de prélèvements et d'occupation puis par la prise de distance nécessaire au positionnement théorique ; au sein des arts vivants j'ai développé une relation à l'espace à tra-vers l'engagement du corps, notamment par le biais de l'ins-tallation et la performance, enfin par le design graphique c'est les objets créés en amont qui occupent des espaces donnés. Dans mon travail plastique —nourrit de toutes ces expériences et réflexions— le rapport de l'espace à l'objet et à sa représen-tation, est permanent. Cette relation s'exprime par un aller-re-tour continuel entre le travail d'atelier et une présence directe du corps en création, enrichi par le contact avec les occupants ou usagers des lieux. La finalisation des œuvres peut s'opérer en FabLab (atelier de fabrication) ou dans toutes autres structures mettant à disposition des artistes, les moyens d'une recherche et concrétisation de projet.

Mon travail s'inscrit donc dans une démarche artistique pluri-disciplinaire et s'efforce de prendre la température de ce monde à travers l'espace et sa représentation, gérant si possible avec humour et sincérité les paradoxes et complexités d'une société qui questionne continuellement les lieux qu'elle occupe.

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De novembre 2010 à janvier 2012, la démolition de la chaufferie de la Villette (également appelée usine CPCU), construite dans les années 1960, a suscité un véritable intérêt des riverains, des ouvriers et d’artistes divers (photographes, vidéastes, dessinateurs). Marion Chombart de Lauwe, graphiste et illustratrice, s’est emparée du sujet. Entre septembre 2011 et janvier 2012, elle revient régulièrement sur le site pour en faire une série de dessins au trait, que l’on peut feuilleter par ordre chronologique dans un Moleskine accordéon, s’intégrant ainsi dans la « communauté autour de l’usine », qui suit, étape après étape, le démontage de la chaufferie. Cette série n’est pas encore terminée : « Il est difficile de s’arrêter, parce qu’après la démolition, il y a la ville en creux. » Peut-être continuera-t-elle à dessiner le site « jusqu’au retour au plat ».

Travail de décortication, digne de planches d’entomologie, Marion se dit également influencée par ses lectures de Jean-Claude Ameisen, chercheur en biologie et immunologie, notamment par La Sculpture du vivant, où il affirme : « Il y a une raison essentielle à cette absence de cadavre : le monde vivant élimine les morts. Le monde vivant se nourrit des morts. » Ce qu'elle a transposé sur la ville. Bien que fascinée par la mise en scène d’une disparition, ce n’est pas le morbide qui la retient, mais bien ce que la ville a de vivant, dans son renouvellement, dans l’énergie de son chaos, dans la faiblesse de ses anciens « points de force ».

Rigueur et influence scientifiques donc, pour cette ancienne étudiante en anthropologie, mais, pourtant, pas de rigueur de point de vue. La dessinatrice s’adapte au meilleur angle en fonction du temps de la démolition. Il s’agit bien de « prendre quelque chose par plusieurs bouts », accompagnant la mise à nu du bâtiment, le creux, le plat, jusqu’au devenir du site, certainement des logements et des jardins.

L’exposition Exaggerated realities présentera ces dessins, parmi d’autres, du 28 août au 9 septembre 2012 au Signal Arts Centre de Bray, en Irlande (comté de Dublin).

http://chombart.net/

From November 2010 to January 2012, the demolition of La Villette’s boiler room (also called CPCU factory), built in the 1960s, stirred up real interest among the residents, workers and various artists (photographers, video-makers, illustrators). Marion Chombart de Lauwe, a graphic designer and illustrator, took possession of the subject. From September 2011 to January 2012,

she returned regularly to the site to create a series of line drawings, which you can leaf through by chronological order in a Moleskine accordion sketchbook, therefore, becoming a part of the “community around the factory”, following the dismantling of the boiler room, step by step. This series is not yet complete: “It is difficult to stop, because after the demolition, there is a hollow in the city.” Perhaps she will continue to draw the site “until it becomes level again”.

A work of dissection, worthy of entomology plates, Marion says she is also influenced by her reading of Jean-Claude Ameisen, a biology and immunology researcher, and particularly La sculpture du vivant (The Living Sculpture), in which he asserts: “There is an important reason for this absence of a corpse. The living world gets rid of the dead. The living word

feeds on the dead.” She transposed this to the city. Although fascinated by the portrayal of loss, she is not held back by the morbid, but by what is alive in the city, its renewal, the energy of its chaos, the weakness of its former “points of strength”.

Therefore, there is precision and scientific influence for this former anthropology student, but, nonetheless, no strict point of view. The artist adapts to the best angle depending on the demolition time. It is really a question of “taking something bit by bit”, following the baring of the building, the hollow, the level, up to the future of the site, most probably apartments and gardens.

The Exaggerated Realities exhibition will show these drawings, among others, from 28 August to 9 September 2012 at the Signal Arts Centre in Bray, Ireland (Dublin county).

Fanny LégLise

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Publication dans 'A'A'L'Architecture d'Aujourd'hui, mars 2012, n°388, p.102-105.

Travail de décortication, digne de planches d’entomologie, Marion se dit également influencée par ses lectures de Jean-Claude Ameisen, chercheur en biologie et immunologie, notamment par La Sculpture du vivant, où il affirme : « Il y a une raison essentielle à cette absence de cadavre : le monde vivant élimine les morts. Le monde vivant se nourrit des morts. » Ce qu’elle a transposé sur la ville. Bien que fascinée par la mise en scène d’une disparition, ce n’est pas le morbide qui la retient, mais bien ce que la ville a de vivant, dans son renouvellement, dans l’énergie de son chaos, dans la faiblesse de ses anciens « points de force ».

Rigueur et influence scientifiques donc, pour cette ancienne étudiante en anthropologie, mais, pourtant, pas de rigueur de point de vue. La dessinatrice s’adapte au meilleur angle en fonction du temps de la démolition. Il s’agit bien de « prendre quelque chose par plusieurs bouts », accompagnant la mise à nu du bâtiment, le creux, le plat, jusqu’au devenir du site, certainement des logements et des jardins.

L’exposition Exaggerated realities présentera ces dessins, parmi d’autres, du 28 août au 9 septembre 2012 au Signal Arts Centre de Bray, en Irlande (comté de Dublin).

Article écrit par Fanny Léglise.

Article bilingue dans la revue « L’ Architecture d’Aujourd’hui » n°388, pages 102-105 du mois de mars 2012.Rubrique Inspiration. Dessins de Marion Chombart de Lauwe sur la démolition de l’usine CPCU.

De novembre 2010 à janvier 2012, la démolition de la chaufferie de la Villette (également appelée usine CPCU), construite dans les années 1960, a suscité un véritable intérêt des riverains, des ouvriers et d’artistes divers

(photographes, vidéastes, dessinateurs). Marion Chombart de Lauwe, graphiste et illustratrice, s’est emparée du sujet. Entre septembre 2011 et janvier 2012, elle revient régulièrement sur le site pour en faire une série de dessins au trait, que l’on peut feuilleter par ordre chronologique dans un Moleskine accordéon, s’intégrant ainsi dans la « communauté autour de l’usine », qui suit, étape après étape, le démontage de la chaufferie. Cette série n’est pas encore terminée : « Il est difficile de s’arrêter, parce qu’après la démolition, il y a la ville en creux. » Peut-être continuera-t-elle à dessiner le site « jusqu’au retour au plat ».

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nenni. « Je ne pleure pas sur la disparition de quelque chose. Je veux me promener sur la crête des choses, là où ça bascule, entre le “tiens, c’est là” et le “tiens, ce n’est plus là”. C’est cet entre-deux qui m’intéresse. » « L’art est un engagement du corps, pour-suit-elle. Sur le terrain, au bord du canal, on sent l’humidité, le vent, le froid, les doigts s’engourdissent. » Le poids de l’acier, transporté dans un sac à dos et à coups de pédaliers entre la rive de l’Ourcq, le WoMa (pour l’imprimante laser) et Paris ateliers (pour la taille douce), meurtrit le corps et use le vélo. « Les contraintes sont réelles », s’amuse Marion Chombart de Lauwe, qui espère voir aboutir des partenariats avec des acteurs concernés par l’aventure (BETC, Nexity, entreprises, collectivités). « C’est la première fois de ma vie que la diversité de mes formations – théâtre, eth-

« Y’avait une ville. Et y’a plus rien »Les vers de Claude Nougaro résonnent dans la démarche artistique. Avant les maga-sins généraux, l’artiste avait accompagné la déconstruction de l’usine de chauffage urbain à La Villette (Paris 19e). Le projet, développé dans un FabLab de Toulouse, avait donné lieu à la création de gravures numériques réalisées sur des plaques en métal récupérées sur le chantier.Une fascination pour la pierre et les paysages urbains qu’un voyage en Bosnie aurait éveil-lée : « Je suis arrivée en Bosnie cinq ans après la guerre civile. Personne ne parvenait à en parler. Seuls les bâtiments de la ville, les murs cassés, défoncés, brisaient le silence. Ce sont eux qui racontaient l’histoire que les humains ne pouvaient pas dire. »Un attrait pour la démolition et le chaos dénué de toute morbidité : « Ce ne sont pas les ruines et la destruction qui m’interpellent, mais la transformation de la matière. Les vidéos d’implosion de bâtiments m’obsèdent ; ce moment où le solide semble se liquéfier, juste avant de s’effondrer. »

« Je veux me promener sur la crête des choses »On pourrait croire l’artiste nostalgique d’un passé qui s’évanouit, mélancolique, aspirant à immortaliser la fugacité des instants que l’on sait évanescents. Que

Sur des matériaux glanés au cours du chantier de rénovation des magasins généraux, Marion Chombart de Lauwe imprime, au laser, des dessins qu’elle a croqués en arpentant les lieux. Le geste artistique se faufile dans la brèche que constitue la transformation du bâtiment industriel pour saisir transition et mouvement. Souvenir de la bâtisse converti en gravure de la mutation : l’œuvre témoigne de métamorphoses et les engendre, tisse la mémoire de l’avenir.

Depuis près d’un an désormais, Marion Chombart de Lauwe arpente le chantier de reconversion des bâtiments des douanes qui accueilleront, en 2016, l’agence de commu-nication BETC. « Je me familiarise avec le lieu, je discute avec les ouvriers, je repère des matériaux que je pourrais réutiliser. Je choi-sis des angles, je fais des photos. Et surtout, je dessine. »Les dessins réalisés sur le terrain sont par la suite encrés – « plus je dessine, plus je vois des choses, plus je comprends la structure du bâtiment » – et numérisés, avant qu’un logiciel les transforme en informations sus-ceptibles d’être comprises à leur tour par le faisceau laser qui les imprimera sur des plaques en acier.

Gravure numérique et pas seulementLes pièces en acier sont les anciennes plinthes des garde-corps longeant les cour-sives qui ceignent le bâtiment principal. « Le chef de chantier me les met de côté. Une cen-taine de morceaux d’1,70 m qui ont échappé au ferrailleur grâce au don d’AMTP démo-lition et l’aide de ses employés! Je demande également aux ouvriers de m’en découper quelques bouts, en tailles plus petites, au chalumeau. »À la sortie de l’imprimante, les plaques – d’une trentaine de centimètres de largeur, une vingtaine de hauteur – laissent deviner les traces de leur vie passée, « c’est à chaque fois, une surprise ! ». Les couches successives

de peintures et revêtements, façonnées par la rouille, les intempéries, l’usure du temps se déclinent en blancs, rouges et bleus.« Les pièces ne sont pas toutes exploitables en l’état, juge Marion Chombart de Lauwe. Je retravaille la plupart des imprimés avec les techniques de la taille douce classique pour obtenir davantage de contrastes, de textures, de grains, de perspectives. Je suis toujours en phase expérimentale. »

Projet artistique

Réminiscences à venir

nologie, arts visuels – et de mes expériences de travail convergent, s’enthousiasme l’artiste. C’est un horizon de perspectives professionnelles qui s’ouvre. C’est très sti-mulant. » Patricia de Aquino

l Marion Chombart de Lauwe52, rue d’Aubervilliers 75019 Paris& 06 82 75 78 71 et 01 77 12 24 [email protected] www.mcdl.net

WoMa et Paris ateliers : des espaces ouverts à tous

l WoMa pour « working » et « making ». Un espace de 180 m2, bien équipé (scie circulaire, à onglet radiale, fraiseuse numérique, découpe et imprimante laser 3D), animé par une équipe aux compétences diverses (architectes, designers, sociologues, communicants), ayant vocation à impulser des pratiques collaboratives. Plusieurs offres de services, formations. Tarifs de 10 € HT/heure à 700 € HT/an. w WoMa 15bis, rue Léon-Giraud, Paris 19e & 01 40 18 59 21 [email protected] l Paris-Ateliers est une association subventionnée par la ville de Paris qui propose la pratique d’une centaine d’activités dans les domaines des métiers d’art, des arts plastiques, numériques, et du texte. 160 artistes, 580 cours, 30 sites. Les tarifs varient suivant les moyens mis à disposition des usagers, les ressources de l’inscrit (quotient familial calculé à partir de l’avis d’imposition), l’âge, et la situation sociale (bénéficiaire du RSA). Auxquels s’ajoutent les frais d’inscription : 17 €.w Paris Ateliers & 01 44 61 87 91 www.paris-ateliers.org

À la sortie de l’imprimante laser, l’artiste rince la plaque en acier pour la « dépoussiérer ».

Matière première des œuvres : des plinthes récupérées sur le chantier.

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Publication dans CanalCanal Pantin, avril 2015, p. 28-29.

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L E M AG A Z I N E D E R O M A I N V I L L E - AV R I L 2016 n 31

Ils font la ville

30 n L E M AG A Z I N E D E R O M A I N V I L L E - AV R I L 2016

Marion Chombart deL a u w e a e n t e n d u parler du château de Romainville pour la

première fois alors qu'elle travail-lait sur les Magasins généraux dePantin, dans le cadre d'un projetartistique baptisé « Les dernièresheures des bâtiments ». Intéresséepar tout édifice promis à la démo-lition, la jeune femme a été particulièrement séduite par la de-meure des Ségur. « Jusque-là,j'avais dessiné des bâtiments plusrécents. L'âge du château me plaîtcar il implique des couches et dessous-couches de mémoire ; lescouches de papier-peint superpo-sées sont autant d'époques etd'histoires. Et puis il a une dimen-sion romantique du fait qu’il est enruines, ça ne gâche rien. »L’artiste a donc réalisé ses premiersdessins du château il y a un an. LesRomainvillois l’ont peut-être déjàaperçue, crayons à la main ; ils

vont la croiser souventces prochaines se-maines puisque les tra-vaux de démolitionvont commencer (lirepage 19) et qu’elle vaen saisir les différentesétapes. « Ce que jedessine, c’est le mo-ment très bref et trèssubjectif de la transfor-mation, de la dispari-

tion. Je fige un instant fragile entredeux moments stables. »

Comme pour l’usine CPCU situéeau bord du canal de l’Ourcq àParis, et comme pour les Magasinsgénéraux de Pantin (photo), l’ob-jectif de Marion Chombart deLauwe est d’imprimer ses dessinssur des matériaux récupérés sur lechantier de démolition, à l’aided’une découpeuse laser. Pour cela,elle va collaborer avec les entre-prises et les ouvriers qui serontchargés de ce chantier. « Je ne saispas encore ce que je vais pouvoirutiliser. Peut-être du métal, de latomette, ou du bois. Pour moic’est une étape importante car ellepermet la rencontre entre le dessinet le bâtiment. »Elle assure que son regard sur lesédifices qu’elle dessine n’a rien denostalgique. Ce qui l’intéresse,c’est le moment vivant que consti-tue une démolition. « Les transi-tions font toujours réagir : certainsne peuvent admettre le vide, d’autres apprécient l’inconnu

de l’avenir. Je respecte tous les ac-teurs des territoires sur lesquels jetravaille, tous les points de vue. Jene suis ni dans le le passé ni dansle futur, je suis dans le présent. »

Figer l’instant fragiled’une disparition

L'âge du château me plaît car il impliquedes couches et des sous-couches de mémoire.

Marion Chombart de Lauwe travaille actuellement sur un projet artistique autour de la démolition du château de Romainville. Elle va saisir les différentesétapes de sa disparition et les imprimer sur des fragments du bâtiment.

PORT

RAIT

Découvrir le travail de Marion Chombart de Lauwe

Marion Chombart de Lauwe

organise « Cercle extra-po-

laire », une exposition et un

événement autour de son pro-

jet « Les dernière heures des

bâtiments », le samedi 23 avril

à partir de 15h à l'Ourcq blanc

(29, rue de l'Ourcq à Paris) ;

entrée libre.

Plus de renseignements sur www.mcdl.net

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Lauw

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Publication dans le Mag' RomainvilleJournal de Romainville, avril 2016, n°63, p. 30-31.

Coordonnées52 rue d'Aubervilliers 75019 Paris + 33 (0)6 82 75 78 71 + 33 (0)1 77 12 24 37 contact(at)mcdl.net

Site internetwww.mcdl.net merci

Aux ouvriers et employés des Ateliers de Pantin (Didier, Christophe, Marc, Franc Le Cesne, Éric Grillot, Ludovic, Marc Béague, Laurent Caillet…), aux ateliers Moret, à Adel, Guillaume Attal, Malika Archambeaud, Géraud Bec, Bellastock, Simon Benita, au CDT 93, à Axelle Chombart de Lauwe, Pascal Chombart de Lauwe, Karol Claverie, Valérie Coppet, Laurent Cusey, Goliath Dyèvre, Vincent Coyette, Dataproduction, Nicolas des Jamonières, Pia des Jamonières, Léopold Fradin, Antoine Johanet, Charlotte Desrousseaux, Claire Deniau, Romaric Duriez, Clément Duroselle, Adrian Gandour, Julien Garrido, Alexandre Gardon, Erwann Guennec, Éric Hadacek, Kinkin Huerta, Gwénaël Jézéquel, Pierre Jobard, Michaël Jouet, Frédéric Jung, Klépierre, LAP (Lycée auto-géré de Paris), Malek Ladjouze, Léa Lambert, Fanny Léglise, Martine Legrand, Anne-Laïs Lemarchand, Lilly Lulay, Madjid, Minh Man, Caroline Martin, Audrey Martin, Marguerite Marquet, Christina Maximoff, Cyril Mercier, Guillaume Merzi, Geneviève Michel, Nexity, Aurélien Nicolas, Aurélien Nicolas, Céline Olaso, Daniel Orantin, Nico Pêche, Rui Peixoto, François et Sally Picard, Olivier Pons, Corentin Quicke, Samuel Remy, Marc Ribis, Jean-Pierre Richard, Anne Ridard, Anne Roland, Stéphane Rouxel, Ximena Rodriguez, Karim Sanac, Olek Sander, Arnaud Schelstraete, Nicolas Sochos, Annabelle Tambour, Paul Teyssier, Boris Tissot, Patrick Tymen, Déborah Tournier, Val des Jardins d'Alice, Antoine Vincens de Tapol, Edgar Viseur, Julien Vouilloux, Franck Yoman, WoMa…

© Marion Chombart de Lauwe