54
Bangalore clusters financement projets développement entreprises technologie initiatives innovation réseau innovation recherche scientifiques université Inde politique structure privé acteurs énergie France stratégique publique financement université France financement excellence Mysore excellence pays Développement ppement privé technologies europ pays technologies politique recherche changement Mysore réseau privé pays initiatives entreprises politique Allemagne trans fi supérieur excellence reche clusters avenir politiq avenir financement université initiatives Bangalore recherche France entreprises allemagne développement supérieur entre scientifiques cluste structure politique développement Inde innovation France énergie université supérieur technologies publique publique supérieur universi Inde recherche émergence stratégique Inde entreprises entreprises recherche acteurs avenir innova projets acteurs innovati France structure Supérieur politique innovation dév entreprises Mysore clusters avenir blique hnologies énergie ncement nt he clusters politique France européenne supérieur pol s excellence Inde Pays clusters privé recherche érieur technologies Bangalore initiatives innovation européenne ansferts innovation entreprises réseau transferts scientifiques structure stratégique financement aven acteurs France européenne privé fina excellen avenir universit recherche scientifique rech Inno uni In clusters énergie excellence structure t réseau financement straté initiatives européenne CARNET DU VOYAGE D’ÉTUDES EN INDE, BANGALORE ET MYSORE C Y C L E N A T I O N A L 2 0 1 2 - 2 0 1 3 Promotion Léonard de Vinci

CarnET du voyagE d’éTudES En IndE, BangaLorE ET · PDF fileMinistère de l’Enseignement supérieur et de la Recherche ... 20 Nozha BEN HAJEL BOUJEMAA, Philippe ROSIER, Pascale

  • Upload
    vutram

  • View
    217

  • Download
    0

Embed Size (px)

Citation preview

Bangalore

clusters

financement

projets

déve

lopp

emen

ten

trepr

ises

techn

ologie

initiatives

innova

tion

réseau

innovation recherche

scie

ntifi

ques

université

Inde

politique

stru

ctur

e

privéacteurs

énergie

Fra

nce

stra

tégi

que

publique

financement

université France

finan

cem

ent

excellence

Mysoreexcellence

pays

Développement

déve

lopp

emen

t

privé

technologies

européenne

pays

technologies

politique

rech

erch

e

changement

Mysore réseauprivé pays

initiatives

entreprises

politique

Alle

mag

ne

transferts

financement

supérieur

excellence

recherche

clusters

aven

ir

politique

avenir

financement

univ

ersi

réseau

initiatives

Bangalore

recherche

Fran

ce

entreprises

alle

mag

ne

développement

supé

rieur

entreprises

scientifiques clusters

structure

politique

développement

Inde

innovation

France

énergie

université

supérieur

tech

nolo

gies

publ

ique

scientifiques

publique

supé

rieur

université

Inde

excellence

pays

recherche

émergence

stratégique

Inde

entreprises

entreprises

recherche

clusters

acteurs

avenir

innovation

projets

acte

urs

innovation

Fran

ce

structure

Supérieur

politique

inno

vatio

n

développement

entreprises

Mysore

clusters

avenir

publique

initiatives

publ

ique

tech

nolo

gies

éner

gie

entr

epri

ses

fina

ncem

ent

déve

lopp

emen

t

rech

erch

e

clusters politique

France

entrepriseseuropéenne réseau

supérieur politique

structure

scientifiques

excellence

Inde

projets

Paysclusters

énergie

technologies

stratégique

privé

recherche

supé

rieu

r

technologies

Banga

loreinitia

tives

innovation

euro

péen

ne

trans

ferts

innov

ation

entreprises

rése

au

tran

sfer

ts

scientifiques

structure

stratégique

fina

ncem

ent

aven

ir

acte

urs

Fran

ce

euro

péen

ne

priv

é

européenne

Initiatives

supérieur

financement

Inde

pays

privé

transferts

excellence

avenir

université

recherche

scientifiques

recherche

Innovation

Mys

ore

université Innovation

Inde

structure financem

ent inno

vati

on

clus

ters

énergie

excellence

structure

transferts réseau financem

ent

stratégique

initi

ativ

es

européenne

IHESTMinistère de l’Enseignement supérieur et de la Recherche 1, rue Descartes - 75231 Paris cedex 05 Tél. : 33 (0)1 55 55 89 67 - Fax : 33 (0)1 55 55 88 32 [email protected] - www.ihest.fr

L’IHEST est un établissement public à caractère administratif, prestataire de formation enregistré sous le n° 11 75 42988 75. Cet enregistrement ne vaut pas agrément de l’État. Siret n° 130 003 825 00010.

Age

nce

LIN

ÉA

L : 0

3 20

41

40 7

6

CarnET du voyagE d’éTudES

En IndE,BangaLorEET MySorE

C y C L E N A T I o N A L 2 0 1 2 - 2 0 1 3

Promotion Léonard de Vinci

- 1 -

Carnet du voyage d’études en Inde, Bangalore et Mysore Cycle national 2012-2013

Sommaire

1. L’éducation pour le développement : initiatives et acteurs 4Fred JEAN-CHARLES, Dominique JEGO, Isabelle MARTIN, Armelle REGNAULT-THERY

2. Ingénieurs, chercheurs et cadres, les spécificités de leur formation en Inde 8Karim BEN SLIMANE, Alberto PACE, Véronique ROUYER, Laurence SARTON,

3. ONG et fondations : quelle place dans le développement technologique et social ? 12Neli Aparecida DE MELLO THERY, Yann DOUTRELEAU, Nasser MANSOURI-GUILANI,

Claire PLANCHE

4. L’Inde : de nouveaux modèles de transfert technologique et d’innovation ? 16Luc ARDELLIER, Christian CREMONA, Frédérique PAIN, Bernard PIKEROEN, Stéphane RIOT

5. Comment les entreprises françaises appréhendent-elles les spécificités de l’innovation et de la propriété intellectuelle en Inde ? 20Nozha BEN HAJEL BOUJEMAA, Philippe ROSIER, Pascale ULTRE-GUERARD, Isabelle ZABLIT

6. Urbanisation massive : quels enjeux pour la mobilité et l’environnement ? 32Françoise LAVARDE, Stéphanie MARTIN-HUGUET, Laurent MONNET, Françoise TOUBOUL

7. Des biotechs à la santé pour tous : entre stratégies et engagement 36Michel IDA, Nadia KHELEF, Boubakar LIKIBY, Patrick TOURON

8. Politiques et domaines d’excellence de la recherche indienne : quelles lignes de force ? 40Christine CHARLOT, Mathieu HAZOUARD, Emmanuel LEDINOT, Hélène NAFTALSKI

9. Bangalore, capitale mondiale des technologies de l’information et de la communication ? 44Marc BOUSQUET, Denis EHRSAM, Philippe HERNANDEZ, Nathalie MERCIER-PERRIN

10. La coopération scientifique entre la France et l’Inde 49Patrick CARON, Michèle GUIDETTI, Arnaud ROUJOU de BOUBEE, Frédéric SAUDUBRAY

- 2 -

Voyage d’études en Inde

Orientation générale

Le voyage d’études en Inde de la promotion 2012-2013 des

auditeurs de l’Institut des hautes études pour la science et

la technologie s’inscrit dans le cadre de son cycle natio-

nal dont le thème porte sur « Sciences et Progrès : réalités,

paradoxes et utopies ». Contribuer à l’insertion sociale des

sciences et des technologies de demain, tel est l’objectif

de l’IHEST. Afin de permettre aux auditeurs d’appréhender

la complexité des relations entre les sciences et la société

et leurs évolutions, le cycle traite durant l’année de grandes

questions autours de l’innovation, l’économie, l’éducation,

la culture.... L’appréhension des relations entre science et

société et de leur évolution nécessite de découvrir d’autres

cultures et modes d’organisation. Quel pays mieux que

l’Inde pouvait permettre d’approfondir leur réflexion sur le

Progrès lié aux sciences et aux techniques ?

L’histoire et l’actualité de l’Inde sont empreintes d’une

grande tradition de recherche fondée sur l’excellence et

nombreux sont les scientifiques indiens qui ont marqué

l’occident depuis des siècles dans le domaine des mathé-

matiques, de la physique ou de la biologie. Le monde de la

science ne cesse d’évoluer et il en est de même pour celui

de l’innovation. Ainsi l’Inde est-elle porteuse de nouvelles

conceptions de l’innovation telle la jugaad innovation. Les

politiques industrielles et d’innovation, liées à des champs

très concurrentiels et mondialisés tels que les technologies

de l’information et de la communication, les biotechnolo-

gies ou encore l’énergie, ne cessent d’évoluer et s’inscrivent

dans un contexte de développement rapide, répondant aux

exigences du marché intérieur.

Le voyage d’étude a permis aux auditeurs de l’IHEST de dé-

couvrir de façon concrète et objective – par des rencontres

et discussions avec des personnalités indiennes – la place

que l’Inde donne aux sciences et technologies dans sa stra-

tégie et sa politique de croissance.

L’objectif était de prendre la mesure de l’effort scientifique

engagé par l’Inde, de comprendre les politiques en ma-

tière d’éducation, d’enseignement supérieur, de recherche

comme d’innovation. Il vise aussi à appréhender les grandes

politiques industrielles et économiques et de saisir leurs

conséquences pour le développement du pays au regard

de ses caractéristiques culturelles et sociales.

Au travers de leurs visites et rencontres, les auditeurs ont

tenté de saisir comment ce développement se traduit ainsi

que les objectifs et initiatives qui le soutiennent. Une atten-

tion particulière a été portée au contexte culturel indien dont

l’étude est nécessaire à la bonne compréhension des spé-

cificités de la société et du territoire indiens.

Plus spécifiquement, l’IHEST est intéressé à étudier com-

ment les politiques indiennes de la recherche entrent en

résonance avec l’activité économique, les politiques édu-

catives, les politiques sociales et de santé publique, l’amé-

nagement du territoire, la mise en valeur des ressources

naturelles et énergétiques, la protection de l’environnement

et les politiques agricoles et agroalimentaires.

Ce voyage s’inscrit également dans le cadre de la coopéra-

tion entre l’Inde et la France. Il vise à renforcer les liens entre

les deux pays et leurs collaborations. Le choix de la desti-

nation du voyage d’études à Bangalore et Mysore, les choix

de visites dans un temps très, trop, limité, ne sauraient don-

ner à l’IHEST et ses auditeurs une vision exhaustive de la

science et de l’innovation en Inde. Toutefois, ces rencontres

leur permettront de découvrir le potentiel de l’Inde dans ces

domaines, ses lignes de force et les amèneront certaine-

ment à y revenir pour développer des relations à plus long

terme.

Marie-Françoise CHEVALLIER-LE GUYADER

directrice de l’IHEST

Carnet du voyage d’études en Inde, Bangalore et Mysore Cycle national 2012-2013

- 3 -

Remerciements

Ce programme a mobilisé de nombreuses personnalités, institutions et entreprises en France et en Inde, auxquelles

l’IHEST et ses auditeurs tiennent à exprimer leur reconnaissance et leurs remerciements respectueux :

François Richier, Ambassadeur de France en Inde, pour son soutien dans l’organisation de ce voyage et la disponibilité de

ses équipes.

Eric Lavertu, Consul général de France à Bangalore, pour ses conseils, son accueil et son aide dans l’organisation de

rencontres avec des représentants d’entreprises en Inde.

L’IHEST remercie les agents du Service pour la science et la technologie de l’Ambassade de France en Inde en particulier

Véronique Briquet-Laugier, Conseillère pour la Science et la Technologie, Jenifer Clark, Attachée scientifique à Bangalore,

ainsi que Marine Ridoux, chargée de mission et Radhika Viswanathan, coordinatrice scientifique.

Merci à CNR Rao d’avoir accepté de rencontrer les auditeurs et de leur faire bénéficier de sa grande expérience et de ses

connaissances.

Nous tenons également à remercier Narayana N. R. Murthy, co-fondateur d’Infosys, pour sa contribution à l’organisation

des visites des auditeurs sur les campus d’Infosys à Electronic City et Mysore.

L’IHEST remercie Jean-Joseph Boillot pour sa participation active à la préparation du voyage et à l’élaboration du pro-

gramme par le biais de ses nombreux contacts en Inde.

Nos remerciements vont aux institutions, entreprises et organismes indiens qui nous ont ouvert leurs portes et ont accepté

de rencontrer les auditeurs :

• Indian Institute of Management Bangalore

• Indian Institute of Science

• Infosys

• National Center for Biological Sciences

• National Institute of Advances Studies

• Nayarana Hrudayalaya Hospitals

• Selco

• Bangalore Metro rail Corporation Limited

• Jawarharlal Nehru Centre for Advanced Scientific

Research

• National Law School of India University

L’IHEST remercie les institutions et organismes dont les représentants sont venus à la rencontre des auditeurs :

• Agastya International Foundation

• Alliance for Indian Waste-Pickers

• Azim Premji University

• Euro-India Economic & Business Group

• Ikos India

• Indo-Korea Science and Technology Center

• Janaagraha

• MAYA Organic

• Mailhem Engineers Pvt. Ltd

• SKG Sangha

• Waste Wise Trust

Enfin que soient également remerciées les personnalités qui sont intervenus devant les auditeurs afin de les préparer à leur

découverte de l’Inde: Mira Kamdar, chercheur au World Policy Institute et Kirone Mallick, chercheur au CEA.

Carnet du voyage d’études en Inde, Bangalore et Mysore Cycle national 2012-2013

- 4 -

1. L’éducation pour le développement : initiatives et acteurs

Fred Jean-Charles, Dominique Jégo, Isabelle Martin, Armelle Régnault-Théry

L’éducation est une force libératrice, et aujourd’hui elle est aussi une force de démocratisation, faisant tomber les barrières de castes et de classes, lissant les inégalités imposées

par la naissance et les circonstances de la vie Indira Gandhi (1917-1984)

L’Inde est un pays très jeune. D’ici à 2030, la population

de l’Inde dépassera celle de la Chine et sera l’une des plus

jeunes de la planète, avec la moitié de sa population âgée

de moins de 25 ans.

L’éducation en Inde ne peut se percevoir que dans une

évolution historique en prenant en compte plusieurs fac-

teurs importants notamment les castes, les religions, les

traditions et la spécificité de chaque territoire.

Indépendante depuis 1947, l’Inde doit s’appuyer sur son

héritage britannique pour inventer une nouvelle école ca-

pable de relever les défis de la modernisation du pays :

scientifiques, technologiques, économiques, sociaux,

mais aussi ceux qui relèvent des infrastructures comme du

développement durable (en particulier l’eau et l’énergie).

Il y a encore six ans, sur les 200 millions d’enfants entre 6

et 14 ans que comptait l’Inde, 60 millions n’étaient pas ins-

crits à l’école. Aujourd’hui, 97% des 220 millions d’enfants

sont inscrits dans l’une des 1 million d’écoles. Même si,

en réalité, ce sont plutôt autour de 80% des enfants dans

les villes et de 60% dans les zones rurales qui sont scola-

risés, un grand pas a été franchi vers l’accès à l’éducation

pour tous. Cela cache toutefois sans doute des réalités

plus contrastées.

L’Inde cherche à mobiliser ses forces pour résoudre les

problèmes d’assiduité des élèves et de la qualité des

études. Au-delà des chiffres, le chemin est encore long

pour offrir à tous les jeunes indiens un enseignement éga-

litaire, varié et de qualité.

Une volonté fédérale sans réels moyens

L’éducation est une responsabilité constitutionnelle de

l’Etat. Le 1er avril 2010, le Parlement indien a en effet rendu

l’école obligatoire de six à quatorze ans.

L’augmentation du nombre d’enfants scolarisés repose sur

un maillage du territoire permettant de créer une école à un

kilomètre de chaque foyer. Un engagement majeur qui doit

s’articuler avec une formation des enseignants de meil-

leure qualité et des pratiques pédagogiques rompant avec

le seul modèle existant : mémorisation et répétition (un

constat également fait par les enseignants eux-mêmes).

Si la volonté de l’Etat apparaît bien, il reste des écarts

importants entre le niveau fédéral et celui des Etats, qui

ne permet pas, à l’heure actuelle, de construire une école

forte reposant sur des valeurs partagées par tous.

Carnet du voyage d’études en Inde, Bangalore et Mysore Cycle national 2012-2013

- 5 -

Comme les structures et la volonté publiques ne suffisent

pas, des fondations et des organisations non gouverne-

mentales sont présentes aux côtés de l’Etat pour l’accom-

pagner et mettre en place un processus d’alphabétisation

plus marqué et sans doute plus lisible.

Une école marquée par les traditions et la diversité des langues

L’Inde est un pays à forte composante agricole. Mais tous

les agriculteurs ne sont pas propriétaires terriens. Ainsi,

il existe une population agricole migrant au gré des sai-

sons, qui, en l’absence de travail durant l’hiver, investit les

villes. La scolarisation des enfants de ces populations est

quasi impossible du fait de la diversité des langues dans le

pays et d’une région à l’autre (22 langues officielles, plus

l’anglais) d’une part, et d’une difficulté d’assiduité liée aux

déplacements de ces familles d’autre part. Au regard des

migrations internes dans le pays et des changements de

langue dans les territoires, les connaissances des élèves

peuvent être fragilisées, déstabilisées par un référentiel lan-

gagier changeant au gré des parcours. Les aides néces-

saires, les dispositifs d’accompagnement voire de tutorat

restent déficitaires par rapport aux besoins. Sans doute, là

aussi, s’agit-il d’un enjeu important pour le pays à l’aune

de ses demandes et des nécessités du marché.

Poursuivant la logique de l’époque britannique, l’école

est rigoureuse, les élèves, filles comme garçons portent

l’uniforme. La capacité à apprendre et à maîtriser l’anglais

est déterminante, car elle conditionne la compréhension

mutuelle entre toutes les régions de l’Inde, mais aussi la

poursuite des études et l’accès à l’emploi.

La rupture de l’enseignement entraîne des sorties pré-

coces du système scolaire. Le taux de sortie du système

éducatif est important : sept enfants sur dix quittent le sys-

tème éducatif avant même d’entrer au collège.

La place particulière des filles dans la société et l’éducation

Si les écoles ont bien évolué du point de vue des bâti-

ments, elles restent, en l’absence de toilettes dédiées, dif-

ficiles d’accès aux filles. Elles ont en effet été construites

par des hommes, pour des garçons. Les filles sont les

grandes oubliées du dispositif. Selon l’Unesco, il y aurait

en Inde huit millions d’enfants de 6 à 14 ans qui ne seraient

pas scolarisés et la majorité d’entre eux serait des filles.

Aujourd’hui encore, en Inde, compte tenu de la place ac-

cordée aux filles au sein de la famille, le déficit de femmes

est évalué entre 40 et 60 millions, mais il varie selon les

Etats. Au Kérala, par exemple, qui bénéficie aussi d’un

meilleur niveau d’éducation de sa population, ce déficit

n’existe pas. Un adage indien dit même : « Une fille est un

fardeau. Un fils est un cadeau ». D’un strict point de vue

financier, la famille doit économiser pour préparer la dot

de chaque fille, ce qui l’a fait apparaitre essentiellement

comme un poids financier pour la famille.

L’évolution des slogans du planning familial illustre cet

enjeu du rééquilibrage des sexes. Lorsqu’il y a quarante

ans, la famille-type était composée de trois enfants, l’idéal

était présenté comme une famille avec deux garçons et

une fille. Vingt ans plus tard, l’idéal était passé de trois à

deux enfants, c’était alors la parité garçons–filles qui était

affichée comme optimale. Enfin, tout récemment, c’est la

promotion de l’enfant unique qui est faite par l’Etat, l’enfant

unique idéal est cette fois présenté par les affiches publi-

citaires du planning familial comme étant une fille. L’Inde

vient de mettre en place un soutien financier pour les fa-

milles défavorisées incluant une allocation de mille euros

distribuée en tant que dot à chaque jeune femme qui se

marie, ceci afin de favoriser la naissance de filles dans les

familles.

Les statistiques montrent que les filles réussissent mieux

que les garçons à l’école, ce qui incite le gouvernement

à encourager leur scolarisation. Néanmoins, la place des

filles reste difficile à affirmer au regard des traditions qui

transcendent les lois et la volonté politique.

Carnet du voyage d’études en Inde, Bangalore et Mysore Cycle national 2012-2013

- 6 -

En effet, en Inde, manger est un acte social et familial qui,

à terme, forge ou fixe les relations entre les filles, mères,

épouses et belles-mères. Ces traditions, us ou coutumes,

imposent aux filles de préparer le repas du midi pour la

famille. Dans ces conditions, elles ne peuvent suivre

qu’une scolarité en pointillés. Ceci explique, le faible taux

d’assiduité des filles à l’école. Un des moyens utilisés pour

favoriser la scolarisation des filles mais plus encore, leur

maintien et la poursuite des études sur la durée est la dis-

tribution de repas aux jeunes filles. Deux repas leur sont

distribués, un pour elles et un second pour les grands-

mères de leur famille.

Socialement, les jeunes n’ont pas beaucoup de temps

pour décider du cursus scolaire qu’ils vont suivre. Les

parents considèrent que leurs enfants doivent travailler et

ramener de l’argent à la famille. Ce qui est vrai pour les

garçons est amplifié pour les filles. Elles ne représentent

qu’un coût dans la mesure où elles vont quitter le domi-

cile familial et aller vivre dans la famille de leur époux. Les

mariages arrangés sont encore la règle et les filles sont

mariées très tôt dans les zones rurales bien que l’âge légal

du mariage ait été fixé à 18 ans et souvent les engage-

ments sont pris par les familles bien avant la date légale.

En 1999, 69% des garçons étaient allés au bout de leur

scolarité primaire contre 44% des filles. Depuis, l’Inde s’est

engagée dans des modifications structurelles et sociales

pour garder les filles dans le système scolaire. Ces modi-

fications sont essentielles et urgentes pour que le pays

puisse s’engager efficacement dans une scolarisation de

masse répondant à ses besoins et à son évolution démo-

graphique.

L’accompagnement des élèves par des professeurs mieux formés

Il est difficile au gouvernement indien de mettre en oeuvre

une politique de formation des professeurs à l’école pri-

maire recrutés actuellement sur titre universitaire.

Des fondations et des ONG prennent en charge l’accom-

pagnement et la formation des élèves, mais également des

enseignants, faisant qu’une meilleure formation des pro-

fesseurs est la garantie de pédagogies plus dynamiques,

plus participatives et surtout plus centrées sur les com-

pétences. L’un des objectifs de ces structures est de sor-

tir du modèle actuel basé sur la mémorisation et la répé-

tition, pour passer à un système qui prenne en compte

les connaissances, la compréhension, la réflexion et les

attitudes nécessaires à un bon apprentissage. Il s’agit, à

terme, de former des élèves sachant lire, compter, écrire

mais aussi en capacité de comprendre le monde et les

enjeux du développement du pays.

La difficulté du développement de l’éducation est liée pour

une grande part au fait que 60% de la population habite à la

campagne. Un enseignement diversifié nécessite un nou-

veau mode de formation, des outils variés pour les ensei-

gnants et les élèves, mais aussi de convaincre les familles

que l’école forge les individus et permettra de construire

l’Inde de demain. Les ONG tentent de convaincre les

mères de famille du bien-fondé de la scolarisation des

enfants, notamment des filles, car elles sont souvent plus

ouvertes et concernées par l’avenir de leurs enfants.

Les fondations et les ONG, dans cette logique, agissent

sur le terrain pour pallier les défaillances de l’éducation

publique. Trois exemples en témoignent :

• Agastya International Foundation se concentre sur la

diffusion des sciences et de la technologie et sur l’édu-

cation au développement durable grâce à des « mobile

Labs ». Elle est présente dans une dizaine d’Etats et as-

sure aussi la formation de démonstrateurs scientifiques

locaux parmi les enfants doués et l’accompagnement

des enseignants dans les écoles. Elle effectue aussi la

détection des enfants à haut potentiel, par la résolu-

tion de problèmes complexes, en vue de leur offrir des

bourses d’études supérieures.

• Azim Premji Foundation promeut le développement so-

cial pour l’éducation. Cette fondation travaille sur l’école

publique, conjointement avec le gouvernement. Elle vise

l’amélioration du système en travaillant avec les acteurs

concernés par la qualité de la formation dispensée. Elle

est présente dans trois Etats et a pour finalité de créer

une société juste et durable. Elle s’occupe de la forma-

tion des enseignants en créant une université dédiée,

Carnet du voyage d’études en Inde, Bangalore et Mysore Cycle national 2012-2013

- 7 -

et propose d’autres formes de programmes pédago-

giques.

• Le but de Business Intelligence est de restructurer l’ap-

prentissage en se démarquant de la formation classique

par le par cœur en anglais. La fondation veut favoriser

une formation de qualité pour permettre l’émergence de

futurs entrepreneurs. Les jeunes reçoivent des ensei-

gnements artistiques, culturels, sportifs et de R&D, en

sus de l’enseignement classique.

La formation continue des adultes défavorisés

Nous pouvons mentionner ici des initiatives qui visent à for-

mer des adultes n’ayant pas eu l’occasion d’aller à l’école.

Dans le domaine de la sauvegarde de l’environnement, le

traitement des déchets solides qui pose un énorme pro-

blème aux grandes villes comme Bangalore, a incité des

ONG à mettre en place un tri des déchets et à former des

adultes au tri et au recyclage des déchets. Même si ces

formations ne délivrent pas de diplômes, elles permettent

aux adultes concernés d’acquérir des connaissances ainsi

qu’une forme de reconnaissance sociale.

Un autre exemple concerne la formation juridique des

femmes et des enfants afin qu’ils apprennent à faire res-

pecter leurs droits. La National Law school of India Uni-

versity réalise ce type de diffusion des connaissances à

travers des groupes de travail.

Un système qui souffre de la corruption

Le marché de l’éducation, secteur en croissance

constante, est le premier marché de l’Inde. Des collèges,

établis sur le mode de l’héritage anglais, sont construits

régulièrement. Cette progression significative des établis-

sements privés répond à une forte demande des parents

qui ont bien compris l’importance de l’enjeu de l’éducation

de leurs enfants, et ce, quel que soit leur milieu d’origine.

Il apparaît dans l’éducation comme dans d’autres do-

maines, que la corruption est omniprésente, pervertissant

le système scolaire comme l’économie du pays. Dans les

établissements privés, l’admission est conditionnée à la

réussite d’une batterie de tests cognitifs, mais également

aux bakchichs (pot-de-vin) que peuvent donner les parents

aux dirigeants des établissements.

Si la volonté de l’Etat fédéral comme des Etats fédérés

est bien d’assumer l’accompagnement des écoles par

les fondations et les ONG, l’argent issu du système de

subventions publiques se perd facilement et cela ralentit

d’autant la transformation de l’enseignement, la mutation

des écoles pour la prise en charge de tous les enfants et

l’intégration de l’école publique dans le modèle culturel

indien. Les écoles privées se développent autour d’une

sélection à l’entrée sévère et offrent des conditions de tra-

vail souvent de grande qualité, ce qui n’est cependant pas

toujours le cas.

L’articulation entre l’école publique et les différentes écoles

privées est une forme de reproduction du système des

castes que le gouvernement avait souhaité faire disparaître

en installant un système de quotas pour les communautés

les plus défavorisées socialement et économiquement. La

répartition entre l’école publique et l’école privée est de

80/20%.

Pour autant, encore aujourd’hui, la massification de l’en-

seignement ne s’est pas encore opérée. Le pays est assez

loin de ses objectifs d’avoir une classe d’âge à un niveau

donné et une parité filles-garçons dans les écoles.

Le développement de l’Inde passe par le développement

de l’éducation sur l’ensemble du territoire. Malgré les freins

culturels, structurels et la progression exceptionnelle de sa

population, l’Inde a compris que seule une éducation de

masse et de qualité garantira le progrès et lui permettra

de rivaliser avec les plus grandes économies du monde.

Si le chemin est sans doute encore long, l’engagement

du pays est réel et la réactivité des gens l’un de ses plus

grands atouts.

Carnet du voyage d’études en Inde, Bangalore et Mysore Cycle national 2012-2013

- 8 -

2. Ingénieurs, chercheurs et cadres, les spécificités de leur formation en Inde

Karim Ben Slimane, Alberto Pace, Véronique Rouyer, Laurence Sarton

Le sous-continent indien dispose de peu de ressources

naturelles, relativement à sa population très importante,

il ne possède pas encore d’infrastructures performantes

notamment en matière de transport et de télécommuni-

cations, et ne peut offrir un accès à tous au marché de

l’énergie. Même l’accès à l’eau s’avère souvent très dif-

ficile, notamment en raison d’une pollution considérable.

La vraie ressource de l’inde est donc son peuple dont la

moyenne d’âge est prometteuse : d’ici à 2030, la popula-

tion de l’Inde dépassera celle de la Chine et sera l’une des

plus jeunes de la planète. Avec la moitié de la population

aujourd’hui âgée de moins de 25 ans, le nombre d’actifs

va augmenter de 30 % d’ici à 2020. Au cours des dix pro-

chaines années, un nouvel actif sur quatre dans le monde

sera indien, d’après les prévisions de l’Organisation inter-

nationale du travail (OIT).

L’enseignement supérieur indien est-il en mesure de trans-

former cet accroissement démographique en un atout

majeur pour le pays, alors qu’il est structurellement en dif-

ficulté ?

Un enjeu tout en gigantisme inscrit dans le plan de développement du pays

Le retard Indien en matière d’enseignement supérieur

s’explique notamment par la faible ambition des autorités

coloniales en la matière, au cours de l’occupation britan-

nique. Les rares universités créées à la fin du 19ème (Cal-

cutta, Bombay, Madras) avaient pour vocation la formation

de fonctionnaires destinés à administrer la colonie. Les

étudiants les plus doués et fortunés partaient en Angleterre

poursuivre leurs études supérieures et la recherche était

inexistante jusqu’à l’indépendance en 1947.

Un fort développement de l’éducation et de l’enseigne-

ment supérieur s’est produit au cours des deux dernières

décennies. S’agissant de la taille de la population scolari-

sée, l’Inde occupe la 3ème place mondiale avec 14,6 mil-

lions d’étudiants (5 millions en 1990). Cet accroissement

quantitatif n’a pas permis de combler le retard du pays,

puisque seuls 12% des jeunes indiens en âge de suivre

des études sont scolarisés (contre 22% en Chine soit 25

millions d’étudiants). 1

L’exactitude des données statistiques reste incertaine,

mais le manque de jeunes formés est confirmé par diffé-

rentes sources. « Seuls 5 % des jeunes âgés de 19 à 24

ans ont reçu une formation », s’est alarmé Subramaniam

Ramadorai, directeur de l’Organisme national de dévelop-

pement des compétences (NSDC) en décembre 2012.

Il semble néanmoins que l’Inde ait pris la mesure de l’im-

portance d’une vision beaucoup plus ambitieuse pour son

enseignement supérieur, notamment via son 11ème Plan

quinquennal abouti en fin 2011. Les chiffres parlent d’eux-

mêmes : en Inde, le budget de l’éducation a cru de 24%

en 2011-2012, et de 18% en 2012-13 (un budget qui, rap-

porté au PIB, est du même ordre de grandeur que celui de

la France). La part de l’enseignement supérieur a, quant à

elle, atteint 34% en 2011-2012.

1 OCDE, Le réveil des géants : Chine et Inde, 2011

Carnet du voyage d’études en Inde, Bangalore et Mysore Cycle national 2012-2013

- 9 -

Les spécificités de l’enseignement supérieur en Inde

L’enseignement supérieur indien a donc accompli des

avancées remarquables en soixante ans. Cependant, il de-

meure confronté à l’inadéquation quantitative et qualitative

de son offre de formation au regard des enjeux de son dé-

veloppement. Ses spécificités constituent pour certaines

des handicaps majeurs. En effet, les moyens mis en œuvre

seront-ils à la hauteur de la nécessaire création de richesse

que doit engendrer l’Inde pour satisfaire le niveau de bien-

être minimum d’une population en constante croissance ?

Un système d’enseignement supérieur parmi les plus vastes du monde confronté à de graves insuffisances

L’Inde forme chaque année davantage d’ingénieurs que

l’Europe et les Etats-Unis réunis (les chiffres variant entre

350 000 et 500 000 selon les sources et définitions). La

filière ingénierie est la plus importante mais son niveau est

jugé globalement insuffisant et les formations dispensées

peu pertinentes en termes d’employabilité (faible capacités

d’innovation, faible apprentissage relationnel, niveau des

connaissances parfois insuffisant, faible autonomie et une

adaptabilité au changement insuffisante). Elles sont plus

proches, pour ce qui concerne le contenu technique, des

BTS ou des IUT français que des écoles d’ingénieurs. De

plus, les universités ne sont pas épargnées par de graves

problèmes de qualité et de corruption.

Le défi démographique et l’insuffisance globale de l’offre

peuvent expliquer que les indiens, comme les chinois,

aient de plus en plus tendance à émigrer pour suivre des

formations dans les pays anglophones et qu’ils ne favo-

risent pas particulièrement l’accueil des étudiants étran-

gers. En effet, à part quelques accords bilatéraux pour des

échanges ponctuels, réservés à des étudiants d’origine

très précise, en nombre réduit et pour des périodes limi-

tées, l’Inde n’accepte pratiquement pas d’étudiants, ni de

professeurs, ou de chercheurs étrangers dans ses institu-

tions. Le défaut d’infrastructures, les problèmes réglemen-

taires, et le faible niveau du salaire des enseignants contri-

buent aussi à ce manque notoire d’attractivité du système

d’enseignement supérieur indien. Or le niveau d’ouverture

à l’international reste un indicateur significatif pour évaluer

la qualité d’un système de formation supérieure d’un pays.

Face à ce défi démographique l’Inde va-t-elle devenir un

immense marché d’exportation pour l’enseignement su-

périeur occidental ?

Compte tenu de ses insuffisances quantitatives et qualita-

tives, l’Inde pourrait devenir un pays « importateur » d’éta-

blissements d’enseignements supérieurs « privés » étran-

gers. Cette option a été débattue au parlement Indien, elle

permet de limiter les financements publics que ne sont

pas à la portée de l’Etat Indien, mais elle est pour l’instant

repoussée, l’Inde étant très attaché au principe de souve-

raineté nationale. Le débat devrait être ré-ouvert à l’issue

des prochaines élections.

Un système aussi élitiste permet-il de contribuer efficacement au développement global du pays ?

Le système est notoirement élitiste, et ce, notamment,

en raison de la faiblesse des taux d’accès à ses meilleurs

établissements publics qui forment l’élite du pays. Les 13

Indian Institutes of Technology (ITT), constituent le secteur

d’excellence de l’enseignement supérieur indien. Mais, ils

sont réservés à seulement 30 000 inscrits. Les futurs cher-

cheurs y effectuent leurs études de 3ème cycle. La sélec-

tion des candidats s’effectue, en général, par concours au

niveau national 2. Autre exemple, l’Inde a décidé d’inves-

tir massivement dans la science et l’éducation en créant

cinq Indian Institutes of Science Education and Research

(IISER). Les moyens qui ont été débloqués pour ces nou-

veaux instituts sont considérables : le programme dans

son ensemble coûte plus de 600 millions de dollars (452,1

millions d’euros) sur cinq ans, soit 4 % du budget annuel

de l’enseignement supérieur. Néanmoins, la majorité des

étudiants de l’enseignement supérieur effectuent leurs

études dans des établissements de l’enseignement privé

dont le coût est nettement supérieur à celui du système

public.

2 En ce qui concerne l’accès à des formations de doctorat dans les instituts les plus renommés, le taux d’acceptation des candidats est inférieur à 1 candidat accepté pour 50 postulants.

Carnet du voyage d’études en Inde, Bangalore et Mysore Cycle national 2012-2013

- 10 -

Le financement des études d’enseignement supérieur re-

pose principalement sur les familles, que ce soit dans les

établissements privés ou les établissements publics (l’an-

née de scolarité coûte en moyenne entre 20 000 et 30 000

dollars). Certes, il existe des systèmes de prêts et d’aides

publiques, mais ils sont notoirement insuffisants et l’accès

à l’enseignement supérieur est globalement réservé aux

catégories supérieures de la population.

A cette inégalité économique, il convient d’ajouter d’autres

spécificités : l’insuffisante scolarisation des enfants des

campagnes par rapport à ceux des villes alors que 70ù de

la population est rurale, des disparités entre les Etats, le

maintien d’un important taux d’illettrés, en particulier dans

les basses castes, et enfin, les difficultés d’accès à la sco-

larité pour les filles. Il est a souligné que la lutte contre ces

inégalités est clairement identifiée comme un des objectifs

du 12ème Plan quinquennal (2012-2017).

La langue de l’enseignement supérieur est exclusivement

l’anglais. Ce point, qui est un atout pour son développe-

ment à l’international ainsi que pour l’aptitude des entre-

prises indiennes à l’export, est un frein pour l’accès des

enfants des classes défavorisées aux instituts de prestige.

Pour mémoire, seul 5% 3 de la population indienne maitrise

la langue anglaise !

Ce système très élitiste et discriminatoire a clairement

l’avantage de garantir des étudiants de très haut niveau

et d’une grande motivation. Mais il ne forme qu’une trop

petite élite, et de facto, une grande partie de la population

n’a pas accès à l’enseignement supérieur. Ce manque de

personnes qualifiées et instruites à haut niveau handicape

fortement le développement national.

Des universités d’entreprise, des initiatives d’ONG, se sont mises en place pour combler les lacunes des universités

L’exemple le plus significatif est celui de l’entreprise Info-

sys qui a créé sa propre université d’entreprise pour for-

mer des étudiants indiens spécifiquement les métiers dont

elle a besoin. Ils sont recrutés sur la base d’un concours

extrêmement sélectif et bénéficient, après 23 semaines

de formation sur un campus aux infrastructures et à l’en-

cadrement de très grande qualité, d’une possibilité de

recrutement en tant qu’ingénieur informatique. Même si

l’objectif principal de cette initiative est de former les sala-

riés d’Infosys aux exigences de ses clients occidentaux

(identification rapide du besoin, communication dans les

standards anglo-saxons, hautes technicités…), elle contri-

bue néanmoins à faire accéder de nombreux jeunes in-

diens (près de 13 500 par session) et indiennes (50% des

promotions), issus de l’ensemble du pays et de toutes les

catégories sociales, à un haut niveau d’instruction et de

développement.

Sans intervenir directement dans le système de formation

des cadres, chercheurs et scientifiques, les ONG indiennes,

dont le champ de compétence est l’éducation, contribuent

aux objectifs que s’est donné l’Etat en matière d’ensei-

gnement supérieur. Par exemple, l’Azim Premji Foundation

et l’Agastya International Foundation permettent, par leur

action dans le monde rural et dans les couches défavori-

sées de la population, d’élargir la base des jeunes indiens

pouvant accéder à un enseignement supérieur. Ces ONG

interviennent sur le niveau scolaire et culturel de base de

ces jeunes indiens, mais leur font aussi découvrir l’exis-

tence des instituts supérieurs des zones urbaines. Elles

suscitent des vocations chez des populations pour les-

quelles l’idée d’intégrer ces établissements n’est pas évi-

dente, et qui ont même tendance à se l’interdire pour des

raisons culturelles. Ces organisations jouent également un

rôle important dans l’évolution de l’administration et des

acteurs politiques, grâce à la puissance de leurs réseaux,

en maintenant une pression sociale pour faire évoluer le

système d’enseignement supérieur indien, notamment

dans le domaine des sciences et de la recherche, vers une

meilleure qualité et plus d’équité.

Des opportunités et une stratégie

La stratégie indienne en matière d’enseignement supérieur

est clairement transcrite dans le 12ème Plan quinquennal 4,

les insuffisances du système actuel y sont nettement expli-

citées et des intentions et mesures concrètes développées

pour pallier les handicaps identifiés notamment en matière :

3 Assemblée Nationale, La place de la France en Inde, 20124 Vision, Goals and Objectives of Higher Education, in the 12th Five Year Plan (2012-2017)

Carnet du voyage d’études en Inde, Bangalore et Mysore Cycle national 2012-2013

- 11 -

• d’accès à l’enseignement ouvert à toutes les parties

de la société par la mise en place de quotas ;

• de réduction des disparités et discriminations de

toutes natures (inégalités régionales, hommes femmes,

disciplinaires) ;

• de qualité et d’excellence ;

• d’intégration des technologies au cœur de

l’enseignement ;

• d’autonomie des différentes structures ;

• de modèles de participation du secteur privé au

développement de l’éducation de haut niveau.

La nécessaire optimisation de l’utilisation des instituts

d’élite est une action également identifiée. Une observa-

tion issue de nos visites et entretiens, est en effet le faible

nombre d’étudiants et de chercheurs eu égard à la dimen-

sion de ces établissements (en termes d’infrastructures)

ainsi qu’aux moyens qu’ils monopolisent.

Toute cette dynamique, contrainte par des moyens qui

apparaissent de fait bien faibles par rapport à l’énormité

de l’effort à accomplir, semble néanmoins résulter de la

volonté de créer du neuf plutôt que de réformer l’existant.

L’Inde espère ainsi accroitre son attractivité et conserver

l’élite intellectuelle dont un pays majeur du XXIème siècle

ne peut se dispenser tout en faisant progresser une démo-

cratie sociale adaptée aux spécificités de l’organisation

de la société indienne. Reste à mesurer le temps qui sera

nécessaire pour mettre en place cette stratégie.

Carnet du voyage d’études en Inde, Bangalore et Mysore Cycle national 2012-2013

- 12 -

3. ONG et fondations : quelle place dans le développement technologique et social ?

Neli Aparecida de Mello Théry, Yann Doutreleau, Nasser Mansouri-Guilani, Claire Planche

Préambule

L’Inde est un continent riche en paradoxes dont certains

nous sont apparus de façon manifeste pendant ce voyage.

Il serait pour le moins hasardeux de prétendre vouloir tirer

des conclusions définitives à partir d’un voyage d’études

limité dans l’espace et le temps. Les observations ci-des-

sous sont dès lors à considérer avec toute la prudence

requise.

Par ailleurs, la frontière entre ONG, fondations d’entre-

prises et entreprises sociales est parfois très ténue et il est

difficile d’identifier les apports respectifs de chacun ainsi

que le positionnement de l’Etat. Enfin, les besoins sont

tellement immenses que parfois l’efficacité des politiques

nationales peut paraitre limitée.

Un pays de paradoxes

L’Inde fait partie d’une minorité de pays au monde ayant

connu une forte croissance économique, notamment au

cours de la décennie écoulée. Cette croissance écono-

mique ne rime pas nécessairement avec développement

social dans la mesure où ce dernier ne progresse pas au

même rythme que la croissance économique. Sur fond de

misère et d‘inégalités sociales criantes, des îlots de pros-

périté se sont développés et se multiplient sans toutefois

qu’ils ne produisent d’effets d’entraînement rapides.

C’est sans doute là une des explications à l’existence

d’une multitude d’ONG qui cherchent à remédier aux

défauts d’une croissance déséquilibrée et insuffisamment

inclusive. Une seconde explication tient probablement aux

changements d’orientation politique opérés en Inde dans

les années 1990. Malgré ce que disait l’un des fondateurs

du « mouvement des non-alignés », la stratégie géopoli-

tique de l’Inde était auparavant assez proche de celle des

pays du bloc de l’Est et de l’URSS en particulier. L’effon-

drement de ces régimes politiques a, par conséquent,

favorisé le développement d’orientations libérales. Parmi

celles promues notamment par le Fonds monétaire inter-

national et la Banque mondiale, on retrouve une stratégie

de prise de distance de l’Etat et de promotion des orga-

nisations non gouvernementale, mouvement dont l’Inde

n’est pas restée à l’écart.

Les difficultés du développement indien

En dépit d’une très longue histoire, l’Inde est un Etat qui,

sous sa forme actuelle, est très récent puisqu’il n’acquiert

son indépendance vis-à-vis de la couronne britannique

qu’en 1947. Sous la férule britannique, le pays n’a connu,

hormis un réseau ferroviaire connu pour son efficacité, que

très peu de développements des réseaux d’infrastructures

de base (routes, électricité, eau etc.).

De plus, le pays est resté à l’écart de la première révolution

industrielle du XIXème siècle et souffre donc aujourd’hui d’un

retard de son industrie manufacturière de base.

Au-delà cet état initial difficile, l’Inde doit également faire

face à des contraintes internes et à un contexte défavo-

rable pesant sur son développement.

Carnet du voyage d’études en Inde, Bangalore et Mysore Cycle national 2012-2013

- 13 -

Fragilité du gouvernement central

L’Inde est une fédération de 30 Etats, dotés d’une large

autonomie vis-à-vis de l’Etat fédéral. Ceci favorise les ini-

tiatives et la prise de décision locales, largement appuyées

par les institutions multilatérales, mais fragilise la conduite

d’une politique coordonnée du pays. Les décisions et

législations actées au plan national sont d’autant plus dif-

ficiles à appliquer que la corruption qui sévit dans de très

nombreux secteurs, en freine l’application.

Diversité des communautés ethniques et persistance, dans les faits, d’un système de castes pourtant prohibé

L’Inde est ainsi une mosaïque ethnique, culturelle, politique

et religieuse dont la complexité est un frein à la cohésion

nationale et sociale et au développement harmonieux de

toutes les composantes de la société. La coexistence

d’une centaine de langues n’en est qu’une des mani-

festations la plus visible. Tout individu voulant progresser

au sein de la société se doit de maîtriser au minimum 3

ou 4 des langues du pays, en plus de l’anglais qui est,

de fait, la langue la plus largement partagée. De plus, la

société indienne est parcourue de nombreuses tensions,

religieuses ou ethniques, et reste susceptible de voir s’af-

firmer le communautarisme et les affrontements de toute

nature. Le système des castes enferme les individus dans

des modes de pensée, dans leur condition, et nuit à la

progression sociale.

Une expansion démographique difficilement maîtrisée

Atout quand il s’agit de mobiliser rapidement des res-

sources humaines sur de grands projets, l’expansion

démographique de l’Inde, par son extraordinaire rapidité,

ajoute à la difficulté de son développement. En effet, la

croissance économique du PIB actuel de 5% par an n’est

pas suffisante pour espérer pouvoir répondre aux besoins

les plus élémentaires de 450 millions de personnes vivant

sous le seuil de pauvreté (moins de 1€ par jour). Comment

lutter efficacement contre la pauvreté, quand le nombre

d’enfants pauvres se multiplie aussi rapidement ? Com-

ment penser l’urbanisation d’une ville comme Bangalore,

quand sa population passe de 2 à 8 millions en quelques

années ?

Malgré toutes ces difficultés, l’Inde, a connu des succès

incontestables au cours des dernières années. On a ainsi

parlé du Shining India, qui s’est matérialisée notamment

par la réussite de quelques grands capitaines d’industrie,

par le développement d’une classe moyenne relativement

importante et par une maîtrise des capacités technolo-

giques, apanage des grandes puissances (notamment

dans les secteurs du nucléaire, du spatial ou encore de

l’automobile).

Ces succès sont probablement en grande partie le fruit

de la politique mise en place par le gouvernement cen-

tral qui définit sa stratégie dans des plans quinquennaux

concernant les grands enjeux du développement du pays

(santé, éducation, énergie, eau, agriculture, innovation). Il

nous semble qu’il y ait cependant un manque de dialogue

et de prise en compte de la vision des acteurs de terrain.

Les failles et carences de la société indienne sont criantes :

difficulté d’accès à des ressources élémentaires (eau, élec-

tricité), taux d’analphabétisme élevé, pauvreté et misère

d’une grande majorité de la population, pollution, mau-

vaise gestion des déchets, limite de la Révolution verte

qui questionne la capacité future de l’Inde à assurer son

autonomie alimentaire. Par ailleurs, la redistribution des

richesses n’est pas assez, loin s’en faut, effective.

Ces défaillances de l’Etat, au niveau fédéral ou des Etats,

entraînent la mobilisation et la montée en puissance

d’autres acteurs, issus de la société civile. Comme nous

avons pu le constater au travers des quelques cas qui

nous ont été présentés, les fondations et ONG prennent

de nombreuses initiatives localisées et pour pallier les si-

tuations d’urgence à des micros-échelles.

Carnet du voyage d’études en Inde, Bangalore et Mysore Cycle national 2012-2013

- 14 -

La fondation d’entreprise : une pratique courante au sein des entreprises indiennes qui réussissent

Les réussites industrielles et économiques indiennes sont

majoritairement le fait de grands capitaines d’industries et

de grandes familles (sur le modèle de la famille Tata). Ces

entreprises ont mis en œuvre une tradition de contribu-

tion au développement économique et social du pays. Les

explications sont diverses, allant d’une posture qui pourrait

être considérée comme cynique à des considérations plus

pragmatiques. Ainsi, on peut imaginer que certains indus-

triels opèrent par pur opportunisme afin de développer un

marché et une offre intérieure nécessaires à la croissance.

D’autres souhaitent accéder à une main d’œuvre suffisam-

ment qualifiée, adaptée à leur propre besoins et disponible,

compte-tenu d’un taux de turn-over national de 35%, véri-

table goulet d’étranglement pour les entreprises. D’autres,

enfin, développent une approche « gagnant-gagnant » per-

mettant de conjuguer progrès social (formation, couverture

sociale etc.), disponibilité et fidélité d’une main d’œuvre plus

qualifiée et responsabilité sociétale.

A titre d’illustration, il est probable que la création d’un cam-

pus ultra-moderne par l’entreprise Infosys n’ait pas unique-

ment comme objectif le bien-être et le développement per-

sonnel de ses employés. Au-delà des discours, l’entreprise

pallie cependant une défaillance réelle de la formation natio-

nale en améliorant l’adéquation des étudiants à ses besoins

et en assurant annuellement l’arrivée de salariés pour com-

penser un taux de turn-over de 15% au sein de la société.

D’autres initiatives ont une utilité sociale plus développée.

On pense ainsi aux différentes initiatives de la famille Tata,

qui a permis de financer la création d’instituts scientifiques

de très haut niveau (Indian Institute of Sciences à Bangalore,

Tata Institute of Fundamental Research à Mumbay etc.).

Même si, aujourd’hui, le financement de ces instituts a été

repris à son compte par l’Etat, l’initiative a permis la création

d’élites extrêmement utiles au pays, suite à l’obtention de

son indépendance.

Un autre exemple particulièrement éclairant est celui de

l’Azim Premji Foundation dont l’objectif est de contribuer

au développement social par l’éducation en focalisant

ses efforts sur l’éducation élémentaire et primaire. Créée

et financée depuis dix ans par M. Premji elle se consacre

à l’éducation primaire des enfants et a comme principal

objectif la lutte contre l’illettrisme. Son action est particu-

lièrement efficace puisqu’en quelques années, le taux de

présence des enfants à l’école est passé de 23 à 97%. Ce

qui caractérise l’action de cette fondation, c’est la mise

en place de solutions pragmatiques, basées sur l’obser-

vation des difficultés pratiques sur le terrain. L’action de

cette fondation nécessite une réflexion approfondie, une

grande persévérance ainsi qu’une forte concertation avec

la puissance publique. La fondation se positionne ainsi en

soutien de cette dernière.

Le Narayana Hrudayalaya Hospitals en fournit un autre

exemple instructif, typique de l’innovation frugale. Construit

par le secteur privé et bénéficiant de subventions, cet hôpi-

tal assure, à un coût unitaire extrêmement réduit grâce aux

effets d’échelle, le traitement des patients sur la base d’un

système de tarification qui tient compte, autant que faire

se peut, de leurs moyens financiers. Ainsi, afin de maintenir

un équilibre financier, la gestion du traitement des patients

est subordonnée à un suivi quotidien de l’Earnings before

Interest, Taxes, Depreciation, and Amortization (EBITDA) ou

résultat d’exploitation.

En dépit de ces ambivalences, l’implication des grandes

entreprises dans la lutte contre la situation difficile d’une

grande partie de la population, traduit une conscience

de la nécessité d’une grande solidarité, attitude que l’on

retrouve aussi au travers des dons effectués vers le pays

par les immigrants indiens résidant à l’étranger.

Les ONG et associations : des actions concrètes et efficaces sur le terrain mais dispersées

Les problèmes de développement de l’Inde sont nom-

breux tant dans les campagnes que dans les villes. Les

opportunités de mobilisation et les chantiers à mener sont

nombreux, pour qui veut s’en saisir.

Les différentes initiatives qui nous ont été présentées com-

Carnet du voyage d’études en Inde, Bangalore et Mysore Cycle national 2012-2013

- 15 -

portent de nombreux points communs : fort dynamisme

et motivation des acteurs, criticité des situations, actions

à petite échelle, mise en œuvre de l’innovation frugale (ju-

gaad innovation).

Ainsi l’ONF SKG Sangha apporte des solutions innovantes

en installant dans les villages des fours utilisant le biogaz,

ce qui limite l’impact environnemental de la cuisine dans les

foyers, le coût et les corvées inhérentes aux modes de cuis-

son traditionnel (bois, pétrole). La société Selco apporte,

par l’utilisation de panneaux solaires, des solutions pour

l’électrification des villages qui ne sont pas reliés au réseau

électrique. L’Agastya International Foundation se consacre

essentiellement à l’éducation aux sciences des enfants dé-

favorisées, sur la base de dispositifs expérimentaux, et avec

pour objectif un apprentissage par le jeu. Enfin, à Bangalore,

la Solid Waste Management Round Table (SWMRT) est une

association visant à peser sur les politiques publiques pour

organiser la collecte et le traitement des déchets pour que

Bangalore redevienne la « cité des jardins » (the City of Gar-

den) alors qu’elle est désormais considérée comme la « cité

des déchets » (the City of Garbage).

Toutes ces initiatives sont évidemment indispensables et

salutaires car elle viennent compléter voire parfois se subs-

tituer à une action publique parfois dépassée par l’ampleur

des difficultés ou encore contournée par le biais de la cor-

ruption.

On peut cependant estimer qu’elles apparaissent comme

isolées et non coordonnées avec des associations simi-

laires dans d’autres villes ou d’autres Etats. Le passage de

la micro-échelle à une dimension plus grande serait proba-

blement utile et nécessaire afin de donner à ces actions plus

de poids et de visibilité face aux pouvoirs publics ou à des

lobbies peu favorables.

Des interrogations sur la trajectoire du développement indien

L’action des entreprises, fondations et ONG paraît au-

jourd’hui fondamentale pour de nombreux aspects du dé-

veloppement social et économique, eu égard aux enjeux

et à la criticité de la situation d’une grande partie de la

population. Cette action semble cependant dispersée et

on peut se questionner sur le résultat de ce modèle à long

terme, compte tenu des prochaines évolutions auxquelles

l’Inde sera très bientôt confrontée : croissance continue de

la population, ralentissement de la croissance économique

liée à la crise mondiale, fossé entre les revenus les plus bas

et les plus hauts, épuisement des ressources (territoriales,

agricoles) et enjeux écologiques.

Une coordination de l’action publique et des initiatives

privées et locales, comme cela est le cas pour certains

exemples que nous avons vus, semble être une condition

impérieuse pour que l’Inde puisse surmonter les difficultés

de son développement.

Carnet du voyage d’études en Inde, Bangalore et Mysore Cycle national 2012-2013

- 16 -

4. L’Inde : de nouveaux modèles de transfert technologique et d’innovation ?

Luc Ardellier, Christian Cremona, Frédérique Pain, Bernard Pikeroen, Stéphane Riot

Contexte

En Inde, transfert technologique et innovation sont liés

mais non superposables, et sont conditionnés par le

contexte historique, politique, culturel, social.

Lors de notre visite au National Institute of Advanced Re-

search (NIAS) de Bangalore, son président, V.S. Rama-

murthy, a rappelé comment ce contexte a influencé la

politique de recherche et d’innovation en Inde : en 1958

la Science Policy Resolution a promu la culture et la re-

cherche scientifique, tout comme en 1983 le Technology

Policy Statement a eu pour objectif de donner une autono-

mie technologique. La Science and Technology Policy de

2003 renforçait la nécessité d’investissement en recherche

et développement. Sa dernière mouture, la Science, Tech-

nologies, & Innovation Policy de 2013 cherche à apporter

de nouvelles perspectives en matière d’innovation dans

un contexte spécifiquement indien de développement du-

rable de la société. Le Dr. Ramamurthy rappelle que l’Inde

a déclaré 2010-2020 « Décennie de l’innovation ».

L’enjeu est en effet de créer des conditions de vie accep-

tables pour 1.2 milliards d’habitants dont la moitié a moins

de 30 ans. Si cela représente un formidable dynamisme,

c’est aussi un défi en terme d’emploi et de niveau de vie

= pour une population qui compte encore plusieurs cen-

taines de millions de personnes cumulant des facteurs de

grande pauvreté : accès à l’alimentation, l’eau, la santé,

l’éducation…

La stratégie indienne prend ses racines dans une ambition

de rayonnement (devenir une puissance internationale) et

de souveraineté marquée par l’indépendance de 1947.

Bangalore en est l’exemple réussi, modèle incitant à la pru-

dence sur l’extrapolation qui peut en être tirée. Les inves-

tissements dans les secteurs de la défense et de l’aéros-

patiale ont créé le terreau éducatif et industriel qui a permis

l’essor récent et visible de l’industrie des STIC dans cette

région. Notre visite à l’Indian Institute of Science (IIS) sym-

bolise ce rôle de l’état indien : les technologies prennent

leur source dans les disciplines de la connaissance très

anciennes en Inde que sont, par exemple, les mathéma-

tiques et la physique. L’histoire de l’Institut – fondé par

JN.Tata, un des pères de l’industries indienne apparte-

ment à une famille de prêtres Parsi – nous ramène au style

d’entrepreneuriat très familial de l’Inde et au rôle incon-

tournable des castes dominantes (comme dans d’autres

secteurs de la société), en particulier celle des brahmanes

- pour ces intellectuels le développement de l’Inde passe

par une vision humaniste de la connaissance, la science et

la technologie - et des banias, ou marchands.

Objectifs, moteurs et fondements de l’innovation

Plus à l’écart de ces discours institutionnels, une obser-

vation au quotidien et des échanges libres avec quelques

scientifiques met en exergue un rôle de l’Etat plus faible

qu’il n’y paraît, mais surtout deux autres moteurs vitaux

de l’innovation.

Le premier moteur est le dynamisme des individus au

service d’une volonté de prospérité personnelle. Celle-ci

passe à la fois par un enrichissement et par une volonté

Carnet du voyage d’études en Inde, Bangalore et Mysore Cycle national 2012-2013

- 17 -

d’affirmation sociale dans un système très stratifié, attitude

profondément inscrite dans la culture. On trouve dans le

Ramayana, un des textes mythologiques écrit en sanscrit

(Vème siècle avant JC), le conseil suivant : « Acquerrez

de la richesse. Les racines du monde sont la richesse.

Il n’y a aucune différence entre un homme pauvre et un

homme mort ». Dans une conception large de l’innovation,

consistant à transformer créativité en valeur, il est facile

d’imaginer les indiens à l’aise avec cette idée de création

de valeur commerciale portée par la caste très dynamique

des banias.

Le second moteur de l’innovation, sensible à travers nos

rencontres avec des fondateurs d’ONG et la visite de Na-

rayana Hrudayala Hospitals, est une conception humaniste

du retour vers la société, de la redistribution des biens ac-

quis, qui semble contredire l’individualisme marchand pré-

cédent, mais qui, en réalité, coexiste avec lui (les contra-

dictions en Inde étant plutôt des cohabitations). Ainsi, dans

le modèle économique de cet hôpital, le souci de soigner

en masse les enfants des campagnes pauvres est financé,

entre autres, par des opérations sur des adultes solvables.

De nombreux indiens semblent innover avec le même

dynamisme pour des causes au profit des populations

pauvres, des campagnes, et des grandes causes sociales

telles que l’agriculture, l’alimentation ou l’assainissement.

Ces enjeux sont mal gérés par des politiques gouverne-

mentales intellectuellement séduisantes mais enrayées par

une corruption endémique au moment de leur application

sur le terrain. L’innovation frugale, ou Jugaad innovation,

est ainsi née dans les campagnes.

Modèles de transfert technologique

Dans le domaine technologique, l’Inde a mis en place des

modèles classiques d’innovation régulée : mécanismes

de soutien au transfert de la recherche vers l’économie,

renforcés dans le cadre du Plan quinquennal. Le National

Innovation Council pilote l’innovation à travers de nom-

breux outils parmi lesquels les State Innovation Councils,

les Industry Innovation Clusters, l’India Innovation Fund, ou

le National Knowledge Network. Ces institutions sont ados-

sées à un terreau de recherche probablement insuffisant :

1% du PIB (2,25 % en France). L’excellence, concen-

trée sur une élite, notamment dans les Indian Institute of

Technology (IIT) et les Indian Institute of Management (IIM),

récompense la sectorisation du modèle, comme dans le

secteur des biotechnologies. En témoigne notre visite au

National Center for Biological Science, l’un des meilleurs

bioclusters créés à l’initiative du Département de biotech-

nologies mais avec laquelle la visite de l’entreprise inno-

vante Biocon, dans le même secteur technique et géogra-

phique, ne montre ni lien ni cohérence. Un fort accent est

mis sur le développement des partenariats publics privés

(avec un objectif de 50 % de financement privé) et sur une

refonte de la propriété intellectuelle avec la mise en place

d’un office des brevets. De très (trop ?) nombreux dispo-

sitifs de financement soutiennent le transfert aux différents

stades de maturité des technologies. Ainsi, la fondation

Robert Boch essaie-t-elle de promouvoir, dans l’esprit du

Jugaad, des technologies bon marché mais de grande

qualité destinées au bien-être de la société indienne. De

nombreux parcs technologiques et incubateurs semblent

émailler l’Inde, s’appuyant en particulier sur les IITs et les

IIMs. L’IIM de Bangalore affiche un taux de succès éton-

nant lié à une sélection à l’entrée très rigoureuse, autre

trait marqué du modèle indien. En synthèse, ce paysage

contrasté ne convainc pas de l’efficacité de la politique

publique. En revanche, les initiatives privées souvent fa-

miliales semblent beaucoup plus efficaces, d’où l’impor-

tance sans cesse soulignée des partenariats public-privé.

A cet égard, le modèle de développement de l’informa-

tique à Bangalore force l’attention. Infosys en est l’illus-

tration : entreprise issue d’une initiative privée d’entrepre-

neurs de haut niveau social ayant pu étudier aux USA et

un goût inné pour les affaires, affichant une vision sociale

inscrite dans sa constitution et possédant un modèle éco-

nomique astucieux fondé sur l’exploitation du coût de la

main d’œuvre plutôt que sur la différentiation technolo-

gique. C’est ce kaléidoscope qui constitue sans doute la

réalité indienne, sans que l’on ne puisse la confiner à un

modèle.

5 Service pour la science et la technologie, Ambassade de France en Inde, L’innovation en Inde, 2013

Carnet du voyage d’études en Inde, Bangalore et Mysore Cycle national 2012-2013

- 18 -

Les différents types d’innovation

Les observations précédentes indiquent une innovation

polymorphe aux formes imbriquées.

L’innovation technologique à l’occidentale n’est pas celle

qui se porte le mieux : les systèmes aéronautiques ou spa-

tiaux indiens ne sont pas réputés pour leur qualité. Dans

le domaine de la défense, l’Inde importe ses équipements

de Russie (à 80 %), d’Israël et du Royaume-Uni – ainsi que

de façon plus marginale, d’autres pays à haute techno-

logie dont la France, et, plus récemment, les Etats-Unis

- les coopérations avec la France semblant se renforcer.

La visite du métro de Bangalore a révélé un système de

supervision créé par des industries allemande et française.

L’ingénierie de moins haute technologie est mieux déve-

loppée en Inde. Le secteur automobile en particulier est

assez florissant, et l’innovation réussit souvent, comme

avec la fameuse Tata Nano, automobile à 2000 Euros,

créée selon un modèle de réduction des coûts, plutôt que

sur les dernières avancées technologiques. Cette inno-

vation frugale cohabite avec des produits plus haut de

gamme, en lien avec la croissance économique, mais sui

sont encore souvent importés (exemples des automobiles

allemandes, japonaises ou françaises).

Plus généralement, l’adaptation aux usages, à l’inverse de

l’innovation de type techno push occidentale, semble une

force. L’entreprise Selco a ainsi distribué en masse des

systèmes de production et stockage d’énergie à bas coût

dans les zones rurales de l’Inde.

L’émergence réussie d’une innovation prend donc un vi-

sage plus social en Inde. La priorité donnée aux usages

conduit la société indienne à répondre d’abord à ses be-

soins vitaux et urgents pour lesquels la science et la tech-

nologie ne jouent qu’un rôle relatif. Citons l’Agastya Inter-

national Foundation dont le but est l’éducation locale des

enfants dans les villages, l’ONG SKG Sangha dont la voca-

tion est le ré-usage de la biomasse permettant entre autres

la production d’énergie ou la société Ikos pour la gestion

des déchets. Dans le Narayana Hrudayalaya Hospitals, une

initiative de télémédecine permet l’extension des soins aux

zones rurales par vidéoconférence.

Ces innovations résultent d’initiatives personnelles, et sont

souvent locales et rurales. Mélangées à des savoir-faire

technologiques, elles donnent lieu à une innovation dite

jugaad innovation (« système D » en français), ou frugale,

dont un exemple emblématique est le réfrigérateur Miti-

cool, fonctionnant par évaporation solaire sans électricité ;

elles sont souvent fondé sur un détournement technolo-

gique.

Etonnement

L’innovation en Inde ne suit pas un modèle donné – comme

notre vision occidentale du progrès nous y a habitués. Elle

résulte de l’influence de la société de castes, de l’histoire

coloniale et post-indépendance, d’une économie et d’une

société majoritairement pauvre, rurale, fragmentée. Evo-

luent ainsi en même temps plusieurs modèles d’innovation

top down (motivés par les dirigeants de grandes entre-

prises) ou bottom up (issues des initiatives individuelles ou

locales).

Le moindre coût : le récent effet médiatique de la jugaad

innovation, qui n’est jamais qu’un phénomène d’adapta-

tion – de même que, par exemple, la réussite spectaculaire

de Bangalore en informatique – permet de dire que l’Inde

est plus innovante sur le processus d’innovation lui-même,

que sur des axes de progrès particuliers, progrès techno-

logique en particulier.

L’innovation sociale : le modèle de l’innovation issue de

l’observation des usages (usage-driven) est un réel moteur

économique. On peut s’étonner des succès d’une véri-

table gestion rentabilisée de l’innovation sociale.

L’Inde a-t-elle intégrée les potentiels économiques que

l’innovation de type jugaad pourrait lui apporter ? Quelle

valorisation internationale pourra-t-elle faire de ce modèle

difficilement capitalisable du fait de la non brevetabilité de

ces innovations ? Questions que nous nous posons. En ef-

fet, les économies occidentales devraient plus s’inspirer de

ces modèles économiques circulaires crées en Inde dans

des secteurs comme la santé (problème de la désertifica-

tion médicale), le développement durable ou les énergies

renouvelables.

Carnet du voyage d’études en Inde, Bangalore et Mysore Cycle national 2012-2013

- 19 -

Bibliographie

• Bibliographie réalisée par l’IHEST pour le voyage

d’études en Inde

• VARMA Pavan K. Le défi indien. Pourquoi le XXIe siècle

sera le siècle de l’Inde, Actes Sud, Paris, 2005

• Ministry of Science and Technology, Government of

India, Science and Technology Policy 2013

Carnet du voyage d’études en Inde, Bangalore et Mysore Cycle national 2012-2013

- 20 -

Carnet du voyage d’études en Inde, Bangalore et Mysore Cycle national 2012-2013

5. Comment les entreprises françaises appréhendent-elles les spécificités de l’innovation et de la propriété intellectuelle en Inde ?

Nozha Ben Hajel Boujemaa, Philippe Rosier, Pascale Ultré-Guérard, Isabelle Zablit-Schmitz

Introduction

Avec un marché interne de 1,2 milliards d’habitants et la

perspective de l’ouverture vers les marchés asiatiques et

africains (ce dernier notamment via l’importante diaspora

indienne en Afrique), l’Inde représente une terre d’inves-

tissements éminemment fertile pour les entreprises fran-

çaises.

En premier lieu, les industriels français se sont cependant

installés en Inde pour accéder à une main d’œuvre bon

marché ayant de (très) bons niveaux de qualifications 6.

Capgemini, par exemple, utilise son entité indienne pour

faire la production industrielle et les services, à l’instar de

tous les acteurs de l’informatique qui ont fait de Bangalore

la nouvelle Silicon Valley. De fait, les questions de propriété

intellectuelle et d’innovation ne se posent pas vraiment de

la même façon.

On compte actuellement environ 750 entreprises fran-

çaises installées en Inde ; 350 en leur nom propre et 400

comme filiales d’entreprises indiennes. Cela représente un

total de 250000 employés indiens, le plus gros employeur

français en Inde étant justement Capgemini avec 40000

personnes. La plupart œuvrent dans le domaine de l’aéro-

nautique et de l’informatique. Ces domaines sont particu-

lièrement sensibles et les questions de la propriété intel-

lectuelle et de l’innovation sont abordées avec un mélange

d’enthousiasme et de circonspection par les entreprises

s’établissant sur le territoire, dès lors que des actifs intel-

lectuels y sont exposés.

Le contexte d’opération de l’innovation et le cadre juridique de la propriété intellectuelle en Inde

Deux éléments importants peuvent surprendre les entre-

preneurs français qui décident de s’installer en Inde :

En Inde, l’écrit a moins de valeur que dans les pays oc-

cidentaux. Les Indiens échangent beaucoup par oral,

en établissant une relation de confiance. Pour certains

types d’activités, cela reste pour eux plus important qu’un

contrat. L’approche culturelle est donc très différente, et

les impacts pour les enjeux d’innovation et de propriété

intellectuelle évidents.

D’autre part, un second élément dissuasif est qu’en cas de

litige, les procédures judiciaires en Inde peuvent durer des

années (parfois 10 ou 15 ans!).

Les questions de propriété intellectuelle sont gérées par

des organismes nationaux compétents (il n’y a pas d’orga-

nismes régionaux compétents) :

1. Contrôleur général des brevets, designs et marques

de commerce

2. Bureau des droits d’auteur6 IHEST, Carnets de voyage en Inde, Chapitre 2 : Ingénieurs, chercheurs et cadres, les spécificités de leur formation en Inde, 2013

- 21 -

Carnets du voyage d’études à Hambourg et Berlin Cycle national 2011-2012

3. Autorité de protection de la variété des plantes

et des droits des fermiers

4. Département des technologies de l’information

5. Organisme national de la Propriété intellectuelle (NIPO)

L’Inde a ratifié les accords internationaux suivants :

1. Membre de l’Organisation mondiale de la protection

intellectuelle (OMPI)

2. Signataire de la Convention de Paris sur la protection

de la propriété intellectuelle

3. Signataire des Aspects des droits de propriété

intellectuelle (ADPIC) qui touchent au commerce

Olivier Nicolle, spécialiste brevet chez Alcatel-Lucent Inde insiste

sur un point important :

Quand une invention est réalisée en Inde, elle doit

être brevetée dans le pays, c’est la loi. Ce, à moins d’avoir une autorisation expresse. Avant 2005, Alcatel-Lucent demandait systématiquement cette autorisation, aujourd’hui, la loi indienne ayant changé, les inventions des laboratoires de recherche d’Alcatel en Inde (5 sites, 3500 ingénieurs et 30 chercheurs) sont enregistrées dans le pays.7

TYPES DE DROITS ET TEXTES DE LOI

PÉRIODE DE LA VALIDITÉ DE LA PROTECTION

ACCORDS SIGNÉS

BrevetsLégislation sur les brevets (1970)

20 ansTraité de coopération en matière de brevets (PCT)

MarquesLégislation sur les marques de commerce (1999)

10 ans, renouvelable tous les 10 ans, avec un délai de grâce de 6 mois pour le renouvellement

Traité sur le droit des marques

DesignLégislation sur les designs (2000)

10 ans, renouvelable pour 5 ans

Droits de reproduction

Législation sur les droits d’auteur (1957)

60 ans, varie selon les œuvres.

Convention de Berne pour la protection des œuvres littéraires et artistiquesConvention pour la protection des producteurs de phonogrammes contre la reproduction non autorisée de leurs phonogrammesConvention de Rome pour la protection des artistes interprètes ou exécutants, des producteurs de phonogrammes et des organismes de radiodiffusionTraité de l’OMPI sur le droit d’auteurTraité de l’OMPI sur les interprétations et exécutions et les phonogrammes (WPPT)

Modèles industriels

Législation sur le plan et le design des circuits semi-conducteurs intégrés (2000)

10 ans, non-renouvelable

7 MINANO L. La propriété industrielle en Inde : un défi culturel, Classe export Magazine, Destination Inde, Novembre 2009

- 22 -

Les spécificités de la propriété intellectuelle en Inde

La Section 84 du Patents Act stipule que « toute personne

intéressée peut déposer une demande de licence obliga-

toire sur une invention brevetée dans chacune des condi-

tions suivantes : pour la satisfaction de besoins raisonnables

du public qui, avec le respect de l’invention brevetée, n’ont

pas pu l’être, la non disponibilité à un prix abordable pour

le public, du produit breveté ou l’indisponibilité du produit

breveté sur le territoire de l’Inde » 8.

C’est ainsi que Sam Pitroda, conseiller auprès du Premier

ministre Indien et président du National Innovation Council,

déclare que « L’Inde a besoin d’une innovation frugale, ac-

cessible à tous et à bas coût pour produire de s produits

et des services sans pour autant compromettre la qualité,

la sécurité et l’efficacité ». Dans ce contexte les initiatives

d’innovation ouverte qui repose sur le crowd-sourcing se

multiplient. 9

Cette spécificité a fait récemment trembler les géants de

l’industrie pharmaceutique qui voient ainsi leur patrimoine

intellectuel – et financier surtout – mis à mal par cette exi-

gence. En effet, la Cour suprême de l’Inde a rejeté, lundi

1er avril 2013, la demande de brevet déposée par le géant

suisse Novartis pour un traitement anticancéreux onéreux,

le Glivec, sa formule médicamenteuse ne remplissant pas

les critères de nouveauté, ou de créativité, requis par la loi.

La Cour suprême a justifié son refus en expliquant que

le Glivec, traitement onéreux, serait inaccessible pour la

majorité de ses 1,2 milliard d’habitants dont 40 % gagnent

moins de 1,25 dollar par jour. Les associations craignaient

qu’un feu vert de la justice ne prive les patients les plus

pauvres d’un générique bon marché, le Glivec étant vendu

à hauteur de 4 000 dollars par patient et par mois dans

les pays développés, alors qu’en Inde la version générique

est disponible à moins de 73 dollars. Dans cette affaire,

il semble que les accords internationaux, accords TRIPS,

n’aient pas été contournés par l’Inde puisque ces accords

permettent à chaque pays de conserver des critères na-

tionaux parmi les critères de brevetabilité. Les critères de

créativité et d ‘accessibilité du traitement ayant été jugés

irrecevables par la Cour, le brevet n’a pu être accepté. On

ne peut donc pas parler de détournement de brevet par

l’Inde mais plutôt d’une approche visant la protection des

consommateurs, notamment les plus pauvres, et incitant

les sociétés à une stratégie de brevet et de license pour

une commercialisation de masse, en particulier pour le

bas de la pyramide. Exemple à méditer pour l’accès au

marché indien et, au-delà, aux marchés des pays du tiers-

monde…

Le gouvernement a également pris les devants en ce qui

concerne certains métiers sensibles. Ainsi en témoigne le

Projet de loi autorisant l’approbation de l’accord entre le

Gouvernement de la République française et le Gouver-

nement de la République de l’Inde relatif à la répartition

des droits de propriété intellectuelle dans les accords de

développement des utilisations pacifiques de l’énergie

nucléaire, faisant suite à l’Accord France-Inde : propriété

intellectuelle et énergie nucléaire (texte adopté en première

lecture par le sénat le 17 avril 2013).

Une autre spécificité de la propriété intellectuelle en Inde

est la différence qui est faite entre la découverte et l’inno-

vation, seule l’innovation est brevetable.10 Ainsi la décou-

verte de phénomènes naturels ne rentre pas dans les

objets brevetables. Ainsi, le chemin est fastidieux pour l’in-

venteur de nouveaux produits car faire la preuve de cette

différence est une étape nécessaire avant de déposer un

brevet ou de réclamer les droits de propriété intellectuelle

sur un résultat. Ceci aura un impact en particulier sur les

industries pharmaceutiques ou cosmétiques (exemple du

cas de L’Oréal mentionné ci-après).

Avantages et inconvénients de l’innovation en Inde pour les entreprises françaises

L’Inde est un géant émergent de plus d’un milliard d’habi-

tants. Le besoin en produits de base bon marché conduit

les indiens à pratiquer le reverse engineering des inven-

8 Central Government Act, Section 84 Compulsory Licences, The Patents Act, 19709 Service pour la science et la technologie, Ambassade de France en Inde, L’innovation en Inde, 201310 PILA J. Some reflections on methods and policy in the crowded house of European patent law and their implications for India, National Law School of India (NLSI) Review, Vol. 24(1), 2012

Carnet du voyage d’études en Inde, Bangalore et Mysore Cycle national 2012-2013

- 23 -

tions étrangères pour les rendre accessibles au plus grand

nombre. Une autre pratique très répandue est l’amélio-

ration des procédés de fabrication de produits déjà exis-

tants. Cela est vrai surtout pour les secteurs de la pharma-

ceutique, de l’informatique et de l’automobile. 11

Quels sont les mesures prises par les entreprises dans ce

contexte ?

Dans un souci de protection du patrimoine intellectuel des

entreprises, la circonspection est de mise. Aussi, afin de

protéger leurs droits de propriété intellectuelle dans des

domaines fortement concurrentiels, certaines entreprises

ont pris le parti d’exporter une technologie de génération

précédente (n-1 ou n-2).

D’autres (voir exemples ci-dessous) limitent les tâches

opérées en local.

On observe aussi pour les grandes entreprises – celles qui

regardent surtout le marché indien potentiel – l’installation

de centres de R&D et la mise au point de nouvelles tech-

nologies adaptées aux spécificités du marché local. Ainsi,

l’entreprise Saint Gobain développe-t-elle des verres spé-

ciaux pour climats tropicaux, Danone des yaourts ‘lhassi’

et L’Oréal des produits cosmétiques répondant aux exi-

gences locales. Dans toutes ces démarches, la volonté de

dissocier la R&D effectuée en Inde des autres pôles de

R&D de ces groupes est bien sensible.

L’installation de L’Oréal en Inde est motivée par l’éten-

due du marché local mais également par la richesse des

connaissances ancestrales indiennes sur les plantes et les

médecines douces. L’innovation de l’entreprise se heurte

toutefois à la spécificité indienne mentionnée plus haut,

à savoir la non-brevetabilité de la découverte de phéno-

mènes naturels. Ainsi, l’entreprise doit s’adapter pour pou-

voir protéger les nouveaux produits créés en Inde.

D’une manière générale, nos interlocuteurs ont insisté sur

la nécessité de développer des stratégies de pénétration

du marché indien en se concentrant d’abord sur le volume

des ventes. Cette stratégie est d’ailleurs facilitée par l’éton-

nante créativité de l’innovation en Inde qui facilite le déve-

loppement de solutions de bonne qualité à moindre coût.

Cette innovation dite jugaad, ou « système D », est, en

soi, un savoir-faire que les entreprises françaises peuvent

opportunément utiliser afin de réduire les coûts de leurs

produits, processus et services et ainsi accéder à ces

marchés importants. C’est l’expérience qu’a faite L’Oréal,

par exemple, en commercialisant des dosettes de produit,

shampoings ou crèmes, à l’unité. Les clients accoutumés

ainsi à la marque et à ses produits pourront monter en

gamme au fur et à mesure du développement de leur pou-

voir d’achat. La recherche de volume et de taille critique

ainsi que l’accès à un savoir-faire de solutions high quality/

low cost qui s’est souvent perdu dans nos sociétés occi-

dentales, sont placés en priorité.

Retours d’expérience des entreprises françaises en Inde

FLUIDYN (Transoft international) a été créé en 1987 à

Paris puis a ouvert un autre centre à Bangalore en 1992.

La société produit des logiciels de dynamique des fluides

ainsi que le support aux utilisateurs de ses outils de modé-

lisation. Les deux centres français et indiens fonctionnent

comme deux sociétés différentes adressant l’une le mar-

ché français, l’autre le marché indien. Les développements

R&D sont partagés entre les deux sociétés pour leur com-

mercialisation, lorsque la maturité est suffisante pour abor-

der l’autre marché ce qui peut prendre plusieurs années.

Les droits de propriété intellectuelle sont définis dans les

copyrights des codes développés sous l’unique marque

FLUIDYN™, propriété de TRANSOFT International, so-

ciété française, mère des deux autres. Les fournitures de

licences sont sécurisées (clés physiques et clé soft) et il est

impossible que des clients indélicats puissent dupliquer,

revendre ou désassembler ces codes. Les informations

techniques (documentation/manuels) contiennent unique-

ment les descriptions de modèles physiques et non les

détails de leur implémentation ni les descriptifs des tech-

niques numériques solveurs, couplages etc. La propriété

intellectuelle est donc, dans ce cadre, plutôt protégée. In

fine, nos collègues indiens ont une politique pour le déve-11 Service pour la science et la technologie, Ambassade de France en Inde, L’innovation en Inde, 2013

Carnet du voyage d’études en Inde, Bangalore et Mysore Cycle national 2012-2013

- 24 -

loppement très stricte avec des séparations physiques

(dans les bureaux) entre développeurs et ingénieurs en

charge d’études et prestations. Le développement est

isolé en termes de réseau (pas d’internet) et une équipe

unique réduite gère la compilation sur des machines dé-

diées.

CAST est une entreprise informatique française fondée en

1990. Start-up au départ, CAST est aujourd’hui cotée sur

NYSE-Euronext (Euronext : CAS.PA). CAST est présente

en Europe, sur le continent américain, en Inde et en Asie-

Pacifique. L’entreprise est le pionnier et leader mondial de

l’analyse et de la mesure des applications, une approche

automatisée pour mesurer la qualité, la complexité et la

taille des applications logicielles pour mesurer la perfor-

mance et piloter efficacement les activités de développe-

ment, de maintenance et de sourcing. Avec près de 75

millions d’euros investis en R&D, CAST est partie inté-

grante des processus de livraison et de maintenance des

plus importantes sociétés de services en ingénierie infor-

matique mondiales telles que Atos, Capgemini, IBM ou

Steria. Le bureau de Bangalore, qui compte 45 personnes

et adresse le marché local, comprend une équipe Qualité

de la R&D (test des produits) ainsi que des consultants

en back office. L’entreprise avait d’abord travaillé avec un

sous-traitant avant de se lancer en propre.

La pérennité de cette entreprise dépend de la protection

de son patrimoine intellectuel. Aussi, son installation ré-

cente en Inde se fait-elle avec prudence. L’équipe locale a

ainsi pour directive de tester les produits et de les vendre

sans que le personnel local ne puisse accéder au cœur

du produit. Quant aux produits, ils sont fournis via des

licences avec une durée de vie limitée au contrat, ce qui

n’est, en soi, qu’une sécurité limitée.

Les risques pour CAST sont de deux types. Le premier

est que le cœur du produit soit analysé et copié en local,

ce qui demande une virtuosité mathématique et une agi-

lité commerciale, mais représente tout de même un risque

réel. Même un brevet ne pourra pas réellement protéger

l’entreprise de ce risque. Le deuxième risque est plus

classique : il est celui de la démultiplication illégale des

licences. Ce risque existe partout, mais l’échelle de l’Inde

est d’une ampleur inégalée.

SOLVAY, entreprise de chimie, se mobilise, elle aussi, pour

accéder au marché indien ainsi qu’au savoir-faire et à la

capacité de production de matières végétales du pays.

La stratégie de l’entreprise vise le développement d’une

chimie verte à vocation mondiale. On pourra par exempl,

citer le succès de toute la gamme de produits issue du

guar, sorte de haricot produit quasi exclusivement en Inde,

et qui sert d’épaississant naturel dans la nourriture et,

plus récemment, dans les liquides de fracturation hydrau-

lique pour l’exploitation des gaz et pétrole de schistes. De

manière à contrôler ses droits de propriété intellectuelle

dans ce type de pays, notamment du fait de la rotation

importante des salariés (attrition classique moyenne de 15

à 25% par an), la société a également mis en place un sys-

tème de partage du savoir-faire entre plusieurs employés.

Ceci afin d’éviter qu’un salarié n’ait connaissance de la

totalité du processus de fabrication et commercialisation.

Annexes documentaires

Inde : Cadre juridique

LE CONTRAT D’AFFAIRES

Observations générales : Un contrat pourra être oral ou

écrit. Cependant, pour certains contrats, il est nécessaire

qu’ils soient écrits et il peut même parfois s’avérer néces-

saire de les enregistrer.

Lois applicables : Contenues dans la législation indienne

sur les contrats de 1872. L’Inde n’a pas signé la Conven-

tion de Vienne pour les contrats internationaux.

Incoterms recommandés : choisissez CAF, FOB ou plus.

Evitez EXW si vous ne voulez pas avoir à vous occuper du

transport domestique en Inde.

La langue du contrat : Anglais ou hindi (les autres langues

officielles peuvent aussi parfois être utilisées).

LE FONCTIONNEMENT DE LA JUSTICE

L’équité de la justice et l’équité de traitement pour les

étrangers : bien que l’Inde soit un Etat de droit et que les

textes juridiques assurent un traitement de tous les cas

Carnet du voyage d’études en Inde, Bangalore et Mysore Cycle national 2012-2013

- 25 -

sans discrimination, dans la pratique, les ressortissants

étrangers ne peuvent pas toujours être certains de bénéfi-

cier d’un procès équitable de la part du système judiciaire

du pays.

La langue de la justice : Hindi. Il est facile d’avoir recours

à un interprète.

Les similarités du droit : la Constitution indienne de 1950.

Le pays a des codes séparés de droit personnel pour les

musulmans, les chrétiens et les hindous.

LES DIFFÉRENTS CODES JURIDIqUES

Les codes judiciaires indiens peuvent être catégorisés

comme suit :

1. Droit Constitutionnel

2. Droit Pénal

3. Droit Civil

4. Droit des Droits de l’Homme

5. Droit Commercial

6. Droit des Sociétés

7. Droit du Travail

8. Droit de la Santé

9. Droit de la Mine

10. Droit Fiscal

11. Droit Bancaire

12. Droit de la Communication et des Médias

13. Droit des Transports et transports maritimes

14. Droit de l’Environnement

15. Droit de la Propriété intellectuelle

16. Droit de l’arbitrage

17. Droit de l’Energie

18. Droit Agricole

19. Droit de l’e-commerce

Consultation des Lois on-line : Legislation India, Laws for

India, India Laws

Guides : Lexmundi, Informations légales sur l’Inde

LES DIFFÉRENTES JURIDICTIONS

Cour suprême

Elle est gardienne de la Constitution est c’est aussi la

plus haute cour d’appel. Sa juridiction originale exclusive

s’étend à tous les différends entre le Gouvernement indien

et un ou plusieurs autres Etats.

Hautes cours

Il y a 18 Hautes cours dans le pays, dont trois ont une juri-

diction sur plus d’un état, ce qui fait un total de 21. Seule

la ville de Delhi a une Haute cour pour elle toute seule. Les

six autres territoires de l’union tombent sous la juridiction

des Hautes cours de différents Etats.

Le travail des Hautes cours consiste surtout en des appels

de cours inférieures.

Cours de première instance

Les cours de première instance s’occupent de la justice au

niveau de la circonscription.

La plus haute cour de chaque circonscription est celle du

juge de circonscription et de session.

Cours inférieures

Niveau inférieur : La cour du juge civil (division junior) et la

cour du magistrat judiciaire.

Niveau moyen : La cour du juge civil (division senior) et la

cour du magistrat judiciaire en chef.

Niveau supérieur : Au niveau le plus élevé, il pourra y avoir

une ou plusieurs juges supplémentaires de circonscription

et de sessions avec le même pouvoir judiciaire que le juge

de circonscription et de sessions.

Tribunal

Il s’agit d’un terme générique pour tout organisme agis-

sant de façon judiciaire, qu’il s’agisse d’un tribunal en titre

ou pas. Par exemple, un avocat qui apparaît devant une

cour dans laquelle un juge unique siège pourra décrire ce

juge comme étant «le tribunal».

LA PROFESSION JURIDIqUE

Procureur général d’Inde : Il s’agit du conseiller juridique

en chef du gouvernement indien, il est le principal homme

de loi de la Cour suprême d’Inde. La personne qui occupe

cette position doit pouvoir devenir juge à la cour suprême

indienne.

Avocats : Une fois qu’il a terminé son Bachelor de droit en

Inde, un étudiant doit d’inscrire au Conseil du barreau de

l’Etat et devenir membre du barreau pour pouvoir exercer

Carnet du voyage d’études en Inde, Bangalore et Mysore Cycle national 2012-2013

- 26 -

dans les cours de première instance et les Hautes cours.

Cependant, la Cour suprême indienne insiste pour que ces

derniers passent un examen séparé qui a lieu après avoir

cumulé au moins 5 ans d’expérience au sein du barreau.

Procureur général : C’est l’équivalent du District Attor-

ney aux Etats-Unis. Le procureur général représente l’Etat

auprès de la cour.

LA RÉSOLUTION INTERNATIONALE DES CONFLITS

L’arbitrage : Reconnu par la législation indienne comme

étant un moyen légitime de régler des différends, utilisé à la

fois pour des transactions domestiques et internationales.

Cependant, les investisseurs étrangers se plaignent sou-

vent du manque de sacralité des contrats. Les critiques

disent que liquider une société en faillite en Inde peut

prendre jusqu’à 20 ans.

La loi d’arbitrage : Législation sur l’arbitrage et la concilia-

tion de 1996, basé sur la Commission des Nations Unies

pour le droit commercial international (CNUDCI), Loi mo-

dèle sur l’arbitrage en commerce international.

La conformité aux règles internationales d’arbitrage :

Membre de la Convention de New York pour la reconnais-

sance et l’exécution des sentences arbitrales étrangères.

Membre du Protocole de Genève relatif aux clauses d’arbi-

trage. Membre de la Convention de Genève pour l’exécu-

tion des sentences arbitrales étrangères.

La nomination des arbitres :

Le nombre d’arbitres dépend des cas.

1. Pour les cas dans lesquels le montant de la réclamation

ne dépasse pas les INR 10 millions, et que l’accord

d’arbitrage ne spécifie pas le nombre de trois arbitres,

la dispute est entendue et réglée par un arbitre unique.

2. Pour les cas dans lesquels le montant de la réclamation

dépasse les INR 10 millions, la dispute est entendue et

déterminée par trois arbitres, à moins que les parties du

différend n’acceptent d’en référer à un seul arbitre.

La procédure d’arbitrage : Après avoir entendu les deux

parties, l’arbitre devra rendre une sentence. Lorsqu’une

sentence est rendue, l’arbitre devra fournir une copie

conforme de la sentence à toutes les parties concernées,

par lettre recommandée. Pour éviter les délais et autres

contentieux, l’arbitre devra demander aux différentes par-

ties d’accepter que la sentence prise par le(s) arbitre(s) soit

finale et contraignante pour toutes les parties et qu’aucune

d’elle ne puisse la contester devant une cour.

LA COUR PERMANENTE D’ARBITRAGE

Centre international pour les résolutions alternatives

de différends (ICADR) : l’ICADR a été établit en tant

qu’organisme autonome sous le ministère de la Loi, de la

Justice et des Affaires concernant les sociétés pour pro-

mouvoir le règlement des différends domestiques et inter-

nationaux en passant par différents moyens alternatifs de

résolution de différends.

Conseil indien d’arbitrage (ICA) : de l’ICA est de propa-

ger et de populariser l’idée d’arbitrage dans les différends.

ACCORD FRANCE-INDE :

PROPRIÉTÉ INTELLECTUELLE

ET ÉNERGIE NUCLÉAIRE

17 avril 2013 : Accord France Inde : propriété intellectuelle

et énergie nucléaire (texte adopté par le sénat - première

lecture)

Carnet du voyage d’études en Inde, Bangalore et Mysore Cycle national 2012-2013

PROJET DE LOIADOPTÉ LE 17 AVRIL 2013N° 134 SÉNATSESSION ORDINAIRE DE 2012-2013

PROJET DE LOIautorisant l’approbation de l’accord entre le Gouverne-ment de la République française et le Gouvernement de la République de l’Inde relatif à la répartition des droits de propriété intellectuelle dans les accords de dévelop-pement des utilisations pacifiques de l’énergie nucléaire.

Le Sénat a adopté sans modification, en première lecture, le projet de loi, adopté par l’Assemblée nationale en pre-mière lecture, dont la teneur suit :

Voir les numéros :Assemblée nationale (13ème législ.) : 4021, 4191 et T.A. 852.Sénat : 354 (2011-2012), 466 et 467 (2012-2013).

- 27 -

Article unique

Est autorisée l’approbation de l’accord entre le Gouverne-

ment de la République française et le Gouvernement de

la République de l’Inde relatif à la répartition des droits de

propriété intellectuelle dans les accords de développement

des utilisations pacifiques de l’énergie nucléaire, signé à

New Delhi, le 6 décembre 2010, et dont le texte est an-

nexé à la présente loi*.

Délibéré en séance publique, à Paris, le 17 avril 2013.

Le Président, Signé : Jean-Pierre BEL

ACCèS AUX MÉDICAMENTS ET PROPRIÉTÉ

INTELLECTUELLE : L’INDE DONNE LA LEçON

Mercredi 10 Avril 2013 - 10:54

La Cour Suprême Indienne vient de donner un verdict défa-

vorable à la géante firme pharmaceutique Novartis. Ce juge-

ment était tant attendu par tous les acteurs avertis de la pro-

priété intellectuelle au niveau de l’ensemble de la planète.

C’est parce que le verdict va avoir un impact considérable

sur le système de propriété intellectuelle mis en place ainsi

que sur l’accès des malades de tous les pays pauvres aux

médicaments et aux connaissances nouvelles en la matière.

En somme, cette nouvelle sonne comme un tremblement

de terre et elle est salutaire pour nos pays et nos malades

! Un verdict contraire aurait fermé tout accès aux médica-

ments génériques ; fermeture que cherchent contre vents

et marées les grandes firmes et le Ministère américain du

commerce.

Le combat a commencé quand le Parlement indien appor-

ta, en Janvier 2005, à sa loi sur les brevets (India Patents

Act), des amendements appelés Section 3(d) qui autorise

les industriels à prendre des licences obligatoires (com-

pulsory License) de certains brevets de médicaments qui

permettent un meilleur accès aux médicaments concernés

et une meilleure prise en compte des problèmes de santé

publique.

La loi est restée en vigueur pendant plus de sept années.

Mais la firme Novartis l’a attaquée pour raisons de d’incons-

titutionnalité et de non-conformité à l’accord de l’Orga-

nisation Mondiale du Commerce (OMC) sur les Aspects

des Droits de Propriété Intellectuelle qui touche au Com-

merce (Accord sur les ADPIC). La plainte a été rejetée par

la Haute Cour à Madras en 2007. Aucune procédure en

appel ne fut alors entreprise. Cependant, Novartis a en-

gagé une procédure en appel contre le rejet par l’Office

Indien des Brevets (IPO) d’une demande d’enregistre-

ment d’un brevet protégeant un composant spécifique, la

forme beta crystalline de l’imatinib mesylate . Ce produit

est utilisé pour traiter la leucémie musculaire chronique et

est vendu sous le nom de commerce « Glivec » ou encore

« Gleevec ».

C’est le verdict rendu lors de ce procès en appel par la

Cour Suprême de l’Inde le 1er Avril 2013, qui a suscité un

espoir incommensurable dans le monde entier. La Cour a

décidé que le brevet sur le composant béta de l’Imatinib

mesylate n’est pas autorisé en Inde du fait des dispositions

de ladite Section 3 (d) de l’Indian Patent Act. Le Parlement

avait adopté dans les amendements de la Section 3(d), la

condition selon laquelle un brevet protégeant de nouvelles

formules de substances déjà connues ne peut être délivré

ou reconnu en Inde que s’il y a preuve d’une nouvelle effi-

cacité, significativement renforcée, comparativement à celle

antérieure. En outre, la Cour Suprême a trouvé que l’accord

sur les ADPIC donne suffisamment de flexibilités dans le

droit des brevets qui autorisent l’approche de la question

par l’amendement en question.

Donc, le géant suisse Novartis, a perdu son procès contre la

loi indienne des brevets.

Et cette jurisprudence a nécessité beaucoup de courage

de la part de ce pays et témoigne de l’option sans appel

de ses dirigeants pour les intérêts de leurs populations ainsi

que pour toutes les populations des pays en développe-

ment (PED). En fait, ces PED n’arrêtent pas de se battre à

l’Organisation Mondiale de la Propriété Intellectuelle (OMPI)

pour que les flexibilités aménagées dans le droit internatio-

nal de la propriété intellectuelle soient étendues ou fassent

l’objet de plus amples discussions. Un refus catégorique

leur est opposé systématiquement par les Etats-Unis et par

les autres pays industriel (organisés dans le Groupe B). Le

débat entre experts-pays atteint souvent des dimensions

assez déraisonnables.

Carnet du voyage d’études en Inde, Bangalore et Mysore Cycle national 2012-2013

* Nota : voir le document annexé au n° 4021 (AN, 13ème législ.).

- 28 -

Car l’accord sur les ADPIC de l’OMC n’a pas été conçu

en consultation avec les pays en développement ; on leur

a simplement laissé le seul choix de l’adopter ! Toutes les

personnes averties savent que cet accord imposé est

déjà trop draconien : par exemple, il universalise la pro-

priété sur les ressources génétiques de la planète contrai-

rement aux dispositions de la Convention sur la Diversité

Biologique (CDB) adoptée à Rio en 1992 et qui exige que

tout prélèvement dans le patrimoine biologique d’un pays

soit conditionné par le consentement préalable informé

en connaissance de cause du pays en question afin qu’il

puisse en tirer profit au bénéfice de ses communautés. Le

même accord sur les ADPIC exige la réforme de toutes les

lois nationales contraires à tel enseigne qu’il est devenu

le standard mondial obligatoire. Or, les Etats-Unis et leurs

partenaires jugent que cet accord est trop démocratique

car il aménage des flexibilités qui, selon eux, affaiblissent le

droit international des brevets ! Notons que ces flexibilités

ont trait à ce que l’on a appelé les exclusions (ce qui ne

peut pas être breveté comme le vivant, le génome humain,

les plantes, etc.), les exceptions et les limitations (comme

l’autorisation de copier une œuvre si l’usage qui en est fait

est strictement personnel ou est fait à des fins d’ensei-

gnement, l’autorisation donnée à un agriculteur de garder

des semences d’une variété protégée qu’il cultive sur son

champ si c’est à un usage non commercial). Le Ministère

américain du commerce considère que le droit arraché à

la première version de l’ADPIC par les pays en développe-

ment de passer avec les détenteurs de droits de propriété

intellectuelle (occidentaux) des licences obligatoires pour

urgence nationale ou pour cause de santé publique, est

une entrave au libre commerce, freine l’innovation et aboutit

à un défaut d’approvisionnement des marchés !

Dans un autre contexte, la firme allemande Bayer a disposé

d’un brevet sur le médicament de chimiothérapie dénommé :

sorafenib tosylate, vendu sous le nom de commerce

Nexavar. Le 9 Mars 2012, l’Organe Indien de Contrôle

des Brevets avait délivré à Natco Pharma, une compagnie

indienne, la première licence obligatoire du pays, pour fa-

briquer une version générique du même médicament qui

soit accessible aux pauvres. Ainsi Natco Pharma Ltd a pu

mettre sur le marché un produit dont la dose mensuelle

est vendue 160 Dollars US au lieu de 5.098 Dollars US.

Notez que cette baisse substantielle du prix est une source

d’accès que personne ne peut nier. Cela renseigne sur ce

qui risque de se produire si les PED acceptent de renoncer

à cette flexibilité que leur offre l’accord sur les ADPIC et

que l’Inde a osé exploiter. Naturellement Bayer avait inter-

jeté appel mais n’a eu droit qu’à des royalties, c’est-à-dire

à une confirmation de la licence accordée à Natco Pharma

Ltd.

Le mécanisme des licences obligatoires qui a engendré

une véritable levée de boucliers de la part des firmes telles

que Novartis, Pfizer, Bayer et consorts, est ancré dans la

Section 84 de la Loi indienne des brevets qui stipule que

« toute personne intéressée peut déposer une demande

de licence obligatoire sur une invention brevetée dans

chacune des conditions suivantes : pour satisfaction des

besoins raisonnables du public qui, avec le respect de l’in-

vention brevetée, n’ont pas pu l’être, la non disponibilité à

un prix abordable pour le public, du produit breveté ou l’in-

disponibilité du produit breveté sur le territoire de l’Inde ».

Ce sont ces dispositions, du reste fort raisonnables, de la

législation nationale indienne que d’ailleurs tout gouverne-

ment ou parlement de PED devrait promouvoir chez soi,

qui motivent les firmes à casser le droit indien des brevets

alors que celui-ci devrait être perçues comme une chance

pour nous tous, y compris même par les peuples d’occi-

dent.

La compréhension juste et équilibrée du droit actuel de la

propriété intellectuelle par la Cour Suprême indienne, à tra-

vers ce verdict, a d’ailleurs été conforté par l’opinion de Mr

Frederick Abbott, Professeur Emérite de droit international

au Collège de droit de l’Université d’Etat de Floride et qui

est souvent un paneliste pour le Centre d’Arbitrage et de

Médiation de l’OMPI quand il confie à IP Watch : « A partir

du strict point de vue du droit des brevets, il est plutôt dif-

ficile de voir ce pourquoi la décision de la Cour Suprême

choque la Chambre de Commerce des Etats-Unis, Pfizer

ou Novartis comme si c’était une grande menace pour

l’innovation ou la santé à long terme des malades. Certes,

cela réduira les profits de Pfizer ou de Novartis vu qu’elles

ne pourront plus étendre indéfiniment la vie de leurs brevets

grâce à des innovations mineures ajoutées aux anciennes

formules des médicaments. Cette prolongation arbitraire

engendre un coût plus élevé de la part des patients et des

systèmes de santé publique ».

La plupart des Etats membres de l’OMC sont opposés à

Carnet du voyage d’études en Inde, Bangalore et Mysore Cycle national 2012-2013

- 29 -

cette logique de construction d’un système de propriété in-

tellectuelle qui ne donne aucune chance au secteur public

dans l’élaboration de ses politiques de santé, d’innovation,

de transfert de technologie. Malgré cette orientation mer-

cantiliste sauvage, les pays industriels parviennent, quand

même, à mobiliser la diplomatie de nos pays pauvres

ainsi que nos organismes fédératifs ou communautaires,

pour entériner des dispositions juridiques anti populaires,

comme a voulu le faire la Commission de l’UA avec le pro-

jet final, inique, des statuts de l’Organisation Panafricaine

de la Propriété Intellectuelle (OPAPI) que l’on avait mis en

circulation et qui ne visait qu’à résoudre le problème de la

contrefaçon (Enforcement) et celui d’une croissance éco-

nomique (Economical growth) dont les bénéficiaires étaient

loin d’être les peuples du continent.

C’est ici le lieu de dire que les africains devraient rester vigi-

lants, car cette organisation panafricaine, malgré l’ajourne-

ment provisoire de son projet de statuts, donc encore sans

normes adoptées, participe déjà, à des rencontres comme

celle tenue récemment par l’ECOSOC et le CEA, en Tan-

zanie.

Dans la même veine que l’UA, la Communauté Economique

des Etats d’Afrique Centrale (SADC), vient également de

concevoir un projet de protection des variétés végétales

africaines ; projet qui ne donne aucun droit aux petits fer-

miers et qui est une autre copie de la Convention Internatio-

nale pour la Protection des Obtentions Végétales révisée en

1991 ; cette convention dont, signalons-le, un point focal

existe au Sénégal, susciterait à n’en pas douter, la révolte

des agriculteurs si d’aventure on les informait justement sur

sa teneur. D’ailleurs peu de pays l’ont ratifiée mais les pays

industriels veulent nous faire avaler tout ce que nos experts

s’emploient à rejeter à l’OMPI, par l’intermédiaire de nos

structures fédératives ou communautaires, souvent non ou-

tillés ou non informées des enjeux spécifiques du domaine

de la propriété intellectuelle. Le temps de se rendre compte,

il sera déjà trop tard et l’on reviendra encore nous dire que

« les africains se sont mis en marge de l’histoire » ! Que tous

sachent que les détenteurs des droits de PI sont surtout en

Occident et, malheureusement, certains de nos cadres en

complet déphasage avec les enjeux globaux actuels, pen-

sent que nous devons nous battre becs et ongles pour la «

croissance économique » et la « lutte contre la contrefaçon ».

Leur mot d’ordre est : « Pour le respect des DPI ! ». Soit !

Nous devons certes respecter les droits des tiers dans cette

économie globalisée mais nous ne pourrons nous dévelop-

per qui si, à une telle dynamique, nous lions clairement la

question du développement économique, social et culturel.

Faire autre chose, c’est investir les maigres ressources dis-

ponibles au service d’entités étrangères réalisant déjà des

surprofits de monopole, c’est à dire des rentes de goodwill.

Pourtant, le radicalisme de ces puissances industrielles est

à double vitesses : remarquez que les mêmes Etats-Unis

refusent d’exécuter la sentence prononcée contre eux par

l’Organe de règlement des différends de l’OMC (Dispute

Settlement Body-DSB). Ce tribunal arbitral des différends

commerciaux entre Etats membres avait enjoint les USA de

mettre un terme à l’utilisation contrefactrice de la marque

« Havana wiskhy » qui viole les droits d’une marque mon-

diale, possédée en copropriété par plusieurs entités étran-

gères. Cinq ans après la décision, la marque contrefactrice

continue toujours d’être exploitée par une firme américaine

comme si de rien n’était ; pendant que le même pays force

tous les autres pays à respecter ses droits de propriété in-

tellectuelle, y compris en visant à satisfaire coûte que coûte

les moindres prétentions commerciales de ses firmes.

Notre monde peine à trouver un leadership démocratique

mais au lieu que les Etats-Unis qui en sont présentement

les porteurs, s’évertuent à gouverner en donnant à tous les

peuples des chances de mieux être, ils s’engagent réso-

lument dans la diabolisation, la menace voire l’exécution

de tous ceux qui, mêmes libéraux, souhaitent aménager à

leurs concitoyens des conditions meilleures de vie.

La construction universelle du pouvoir des riches au mépris

de l’aspiration de chaque homme à une vie décente est loin

de s’inscrire dans la logique d’une paix mondiale durable.

Et avec cette leçon venue de l’Inde, nous devons mettre

en question l’idée consistant à confondre les intérêts des

Novartis, Pfizer et consorts, avec les intérêts des patients

au USA, au Kenya, en Europe, en Inde, en Afrique et ailleurs

! De même, que personne ne pense que les firmes vont se

retirer d’un marché parce que les flexibilités y sont exploi-

tées car, là où il y a du profit, les firmes y seront toujours

présentes même en bêlant !

DIOP I.

Spécialiste de la PI [email protected],

Pape Doudou Boye

Carnet du voyage d’études en Inde, Bangalore et Mysore Cycle national 2012-2013

- 30 -

LA PROPRIÉTÉ INDUSTRIELLE EN INDE :

UN DÉFI CULTUREL

Le cabinet UGCC et associés a donné une conférence sur

«la propriété industrielle en Inde», début septembre. L’oc-

casion pour les professionnels de ce marché et les juristes

de faire le point sur le véritable défi culturel qui attend les

entreprises occidentales.

« Il y a une aversion profonde pour la richesse au pays

de l’intellectualité». C’est ainsi que débute l’intervention de

Victor Vidon, associé du cabinet de conseil en propriété

intellectuelle Vidon Partners. « C’est un véritable problème

culturel car, pour les Indiens, il existe une opposition cultu-

relle et religieuse entre connaissance et profit ».

Ainsi, les brevets en matière de chimie, pharmacie et de

logiciels informatiques ne sont autorisés que depuis quatre

ans. « En Inde, le brevet reste un droit en devenir ». Ce

pays gigantesque en plein boom économique, fait donc

partie de la « deuxième série » des pays qui déposent le

plus de brevets au même titre que Taïwan, par exemple.

Loin derrière Le Japon (1e), les Etats-Unis (2e), la Chine

(3e) et la Corée du Sud (4e).

Pour autant, contrairement à la Chine, l’Inde ne compte

pas parmi les pays fournisseurs de contrefaçons. A une

exception près : l’Inde est le champion toutes catégories

des médicaments contrefaits. Ainsi, 50% de la contrefaçon

de médicaments mondiale provient de ce pays et même

99% de celle qui part vers les Etats-Unis.

A noter également, le faible nombre de contentieux en ma-

tière de brevets: seulement dix par décennie depuis 1911,

soit une centaine en tout dans la jurisprudence indienne.

A titre d’exemple, chaque année, les tribunaux français

doivent statuer sur 300 à 400 affaires de ce type.

Ainsi, Anan Desai du cabinet d’avocat indien DSK legal,

déconseille systématiquement à ses clients les procédures

juridiques en Inde qui peuvent prendre des années. « Je les

invite donc à porter plainte auprès de la police et à entamer

une procédure devant les juridictions criminelles pour que

les biens contrefaits soient saisis ».

Les mentalités n’ont pas encore changé

Olivier Nicolle, spécialiste brevet chez Alcatel-Lucent Inde

insiste sur un point important : « quand une invention est

réalisée en Inde, elle doit être brevetée dans le pays, c’est

la loi. Ce, à moins d’avoir une autorisation expresse ».

Avant 2005, Alcatel-Lucent demandait systématiquement

cette autorisation, aujourd’hui, la loi indienne ayant chan-

gé, les inventions des laboratoires de recherche d’Alcatel

en Inde (5 sites, 3500 ingénieurs et 30 chercheurs) sont

enregistrées dans le pays.

Toutefois, la procédure n’est pas aussi simple qu’en occi-

dent. Car en l’absence de rapport de recherche sur l’in-

vention proposée (un rapport des autorités publiques pour

déterminer si l’invention est brevetable ou non), les entre-

prises sont contraintes de déposer « à l’aveugle ». Et les

autorités indiennes peuvent requérir un examen pointu sur

la brevetabilité jusqu’à 48 mois après le dépôt.

En outre, malgré la modification de la loi pour se rappro-

cher des standards économiques et législatifs mondiaux,

les mentalités n’ont pas encore totalement évoluées. D’ail-

leurs, Olivier Nicolle affirme qu’il doit « littéralement éduquer

ses chercheurs à la propriété industrielle ». Il y a quelques

mois, un débat autour de la protection « des savoirs tradi-

tionnels indiens » a créé une véritable polémique dans la

société indienne. Résultat : une bibliothèque des sciences

et techniques va être édifiée pour éviter qu’aucun de ces

savoirs ne soit breveté !

Leila Minano

Carnet du voyage d’études en Inde, Bangalore et Mysore Cycle national 2012-2013

- 31 -

Bibliographie

• http://www.champagne-ardenne-export.com/fr/fiches-

pays/inde/cadre-legal

• http://www.leral.net/Acces-aux-medicaments-et-

Propriete-intellectuelle-l-Inde-donne-la-lecon_a79915.

html

• http://www.castsoftware.com/resources/resource/

press-releases/tcs-and-cast-take-software-quality-to-

the-next-level

• http://www.castsoftware.com/resources/resource/

press-releases/HCL-Allies-with-CAST

• http://www.castsoftware.com/resources/resource/

press-releases/mahindra-satyam-launches-stamp-an-

innovative-structural-quality-service-powered-by-cast

• http://www.globaltrade.net/

• http://www.ficci.com/

• http://indiacode.nic.in/

• http://supremecourtofindia.nic.in/

• http://indiancourts.nic.in/content.htm

Carnet du voyage d’études en Inde, Bangalore et Mysore Cycle national 2012-2013

- 32 -

Carnet du voyage d’études en Inde, Bangalore et Mysore Cycle national 2012-2013

6. Urbanisation massive : quels enjeux pour la mobilité et pour l’environnement

Françoise Lavarde, Stéphanie Martin-Huguet, Laurent Monnet, Françoise Touboul

Une urbanisation non durable

En 2005, à l’initiative de la France, l’ONU a rappelé que

l’accès de tous aux services publics de base (eau potable,

assainissement, transport, énergie, télécommunications)

était indissociable d’une urbanisation durable 12.

Entre 1991 et 2004, Bangalore est passée de 4,3 à 5,68

millions d’habitants, soit un taux de croissance de 38 %, le

plus fort d’Inde après Delhi. Aujourd’hui la ville en compte

8,5 millions. Sur la même période, le taux de croissance

de la population indienne n’était que d’environ 3,25 %.

L’étalement urbain de Bangalore est encore plus impres-

sionnant. En 2005, la ville avait une surface de 540 km² 13,

ce qui correspondait à un quasi doublement de sa surface

par rapport à 1990. La ville s’accroît de plus de 2000 ha

par an.

Garantir à l’ensemble de la population un accès à l’eau

potable, à l’assainissement, à l’énergie, aux transports,

aux technologies de l’information et de la communication

est un défi quotidien et la nécessité faisant loi, les solutions

retenues ont, en général, un impact environnemental fort.

Un accès aléatoire aux ressources de base : eau et énergie

Il est connu que l’accès à l’électricité est encore très limité

dans les zones rurales de l’Inde. Bien que cela soit moins

vrai dans les villes, Bangalore souffre de très fréquentes

coupures d’eau et d’électricité.

La fourniture d’électricité provient essentiellement de

centrales hydro-électriques, dont le fonctionnement est

dépendant du régime hydrique, irrégulier par nature. Par

ailleurs, la distribution de l’électricité souffre énormément

du manque d’infrastructures. La population a recours à

des générateurs autonomes, provoquant des pénuries de

diesel dans les stations-service de Bangalore. Pour s’éclai-

rer, la population utilise du kérosène ou des lampes à bat-

teries, sources d’énergie onéreuses et peu pratiques.

L’alimentation en eau potable de la ville est assurée par Le

Bangalore Water Supply and Sewerage Board (BWSSB).

On dénombre 8000 fontaines publiques et 360 000

connexions (autorisées ou frauduleuses) au réseau public

alimenté par un pompage de la Cauvery River, située à

100 km de Bangalore, qui est source de conflits avec l’Etat

voisin du Tamil Nadu. Toutefois, seuls 75 % de la popula-

tion ont accès à cette eau car le réseau se développe len-

tement, parfois anarchiquement : il arrive même que des

tuyaux installés ne soient pas raccordés et deviennent inu-

tilisables. Chaque jour 500 millions de litres sont directe-

ment pompés dans une nappe phréatique en voie d’épui-

sement. En outre l’alimentation en eau est intermittente 14

d’où la présence de citernes de stockage sur les toits.

12 Government Council of United Nations, Human settlement Programme, Access to human services for all with the context of sustainable human settlements, 200513 A titre de comparaison la ville de Paris occupe 105.4 km² pour une population de 2.2 millions d’habitants 14 Les services de la ville souhaitent pouvoir offrir aux ménages au moins trois heures d’eau dans les tuyaux tous les deux jours ! Dans la partie centrale de la ville où se trouvent les quartiers les plus denses, l’eau n’arrive que deux jours par semaine.

- 33 -

En matière d’assainissement, également géré par le

BWSSB, il reste beaucoup à faire. Les nouveaux pro-

grammes d’assainissement mis au point par les ONG

(exple : Grama Swaraj Samithi, Bangalore : A self-sufficient

toilet complex in a slum) dans les bidonvilles permettent, à

faible coût, un traitement des eaux usées permettant d’uti-

liser l’eau recyclée pour les jardins familiaux et le rinçage.

Les infrastructures de transports : un enjeu majeur dans une mégapole particulièrement étendue

Si la question du transport est à Bangalore, comme dans

les autres mégapoles indiennes en plein développement,

une question clé, elle est ici amplifiée par la dimension

particulièrement étendue de la ville. La traverser de part

en part, comme le font bon nombre d’Indiens chaque jour

pour aller travailler, ou comme nous avons eu l’occasion

de le faire au cours de notre voyage d’études, peut faci-

lement prendre plus de deux heures. Il faut d’ailleurs le

même temps pour rejoindre le centre-ville depuis le nouvel

aéroport international qui n’est relié à cette nouvelle capi-

tale des technologies de l’information que par la route.

Bus, généralement anciens, chars à bœufs, auto ricks-

haws et voitures, de plus en plus modernes et le plus sou-

vent japonaises ou coréennes, circulent avec difficultés sur

des voies de circulation chargées sur lesquelles les vaches

ont encore la liberté de déambuler…

Aussi, ces dernières années, pour échapper à cette as-

phyxie routière et limiter les pollutions, les principales villes

d’Inde redécouvrent les trottoirs, tentent de développer le

vélo de location et se sont surtout dotées de métros.

Namma Métro (« Notre Métro ») : une solution pour fluidifier le transport urbain

Depuis le 20 octobre 2011, le métro de Bangalore circule

sur un tronçon d’environ 7 km qui suit l’une des princi-

pales artères de la ville, l’avenue Mahatma Gandhi (MG

Road). Il s’agit d’un métro automatique, fonctionnant pour

le moment de 6 heures du matin à 22 heures le soir, mais

dont les horaires devraient être étendus avec l‘accroisse-

ment du trafic et du nombre d’usagers. Le prix du ticket

est d’environ 10 roupies, c’est-à-dire, à peu près 0,15 €.

Il peut être acheté à l’unité sous forme d’un jeton électro-

nique. Il existe aussi une carte sans contact qui permet

différentes modalités d’achats des titres de transport. Pour

accroître l’attractivité du métro, les usagers ont la possibi-

lité de coupler leur titre de transport du métro avec un titre

de transport de bus ou, service naissant et encore balbu-

tiant, de location de vélos à l’arrivée.

La construction du métro de Bangalore, qui a débuté en

2007, est placée sous la responsabilité de la Bangalore

Metro Rail Corporation Limited (BMRCL), une joint-venture

à parts égales du gouvernement indien et du gouverne-

ment de l’Etat du Karnataka.

Dans une première phase du projet, le réseau sera construit

d’abord en croix avec un axe est-ouest de 18 km et un axe

nord-sud de 24 km. En raison d’un sol particulièrement

difficile à creuser, constitué d’un granit très dur rendant le

forage long et couteux, seule la partie centrale du réseau

sera souterraine. Le reste des voies seront aériennes,

construites sur pylônes, le manque d’espace conduisant

parfois à faire passer le métro au milieu d’habitations par-

tiellement détruites.

Dans une deuxième phase du projet, les lignes existantes

seront prolongées, un second axe Nord-Sud sera construit

et enfin une extension du réseau vers Electonic city – parc

industriel situé à environ 20 km au sud-est de la ville, sera

réalisée. Ces développements permettront au réseau de

s’accroitre de 72 km soit 61 stations. Une extension vers le

nouvel aéroport international est aussi envisagée et devrait

plutôt prendre la forme d’un train rapide. Aucune date de

mise en service n’a cependant été annoncée à ce jour.

Carnet du voyage d’études en Inde, Bangalore et Mysore Cycle national 2012-2013

- 34 -

Carnet du voyage d’études en Inde, Bangalore et Mysore Cycle national 2012-2013

La gestion des déchets solides, problème clé de la vie citadine en Inde

D’après un sondage réalisé par le Times of India le 28 avril

2013, la question des déchets est la première source de

préoccupation des Indiens. Chaque jour, ce sont près de

3000 tonnes de déchets, à 80 % fermentescibles, qui sont

collectées sur la ville de Bangalore. Depuis les années

1960, la part des déchets solides secs, à base de matières

plastiques, est en croissance constante et pose de gros

problèmes de mise en décharge, les usines d’incinération

étant trop peu nombreuses. Depuis 2000, la Municipal

Solid Waste Rule impose de procéder à des traitements

spécifiques pour chaque type de déchets cependant force

est de constater que Bangalore n’est plus aujourd’hui la

City of Gardens mais bien la City of Garbage 15 et ce, alors

qu’il est désormais admis que les déchets peuvent être

une richesse.

En l’absence de services publics dédiés au traitement

des ordures ménagères, les ONG sont très présentes

dans le secteur. Elles sont là pour encourager les prises

de conscience individuelles et collectives de la population.

Ces ONG accompagnent l’Etat fédéral et les Etats dans la

mise en œuvre de solutions innovantes pour l’organisation

et la valorisation des déchets et des acteurs du domaine

tout au long de la chaine de ramassage et de traitement

des déchets. A Bangalore, la municipalité a désormais

pour obligation de travailler avec l’une d’elles : la Solid

Waste Management Team (SWMT), qui s’est spécialisée

dans la collecte des déchets secs. L’originalité du dispositif

réside dans l’implication des chiffonniers pour qui ce travail

constitue la base d’une insertion sociale (obtention d’un

salaire, d’une carte d’identité). La National coordination

of the Aslliance for indian waste-pickers (AIW), dirigée par

Nalini Shekar, s’est engagée à faire reconnaitre le travail

des chiffonniers comme une profession à part entière, l’ac-

créditation ne peut être délivrée qu’après avoir réussi un

programme de certification à l’issue duquel le chiffonnier

se voit délivrer un diplôme. Avant de faire avancer le statut

des ramasseurs de déchets à Bangalore (2012), c’est à

Pune que l’alliance a expérimenté le modèle d’intégration

des waste pickers dans le processus de traitement des

déchets en s’appuyant sur 3 000 personnes..

Les déchets fermentescibles sont destinés à la fabrication

de compost et d’énergie (biogaz). Deux concepts s’af-

frontent : celui des grosses décharges en zone rurale et

celle des petites unités à l’échelle du quartier. La société

Mailhem Engineer Ltd., pionnière dans le secteur en Inde,

s’est associée à l’entreprise française IKOS.

Toutefois, la bataille contre les déchets ne peut être gagnée

qu’avec une participation active de toute la population.

C’est l’objectif que s’est fixé le Waste Wise Trust avec son

concept de “zéro déchet dans la nature”. Il préconise une

sensibilisation active des individus et des groupes d’indivi-

dus (familles, bureaux, entreprise, administrations, écoles

etc.) pour que le tri soit basé sur la distinction et effectué

directement au niveau des individus : déchets humides,

secs, toxiques. WWT a aussi lancé une enquête pour

connaitre les raisons pour lesquelles les habitants trient ou

non leurs déchets. WWT accueille des bénévoles venant

de l’étranger (expert en communication par exemple).

Vers une nouvelle conception de la ville

Habitué à des lois urbanistiques précises 16 et à des ser-

vices publics efficaces, on ne peut qu’être perplexe devant

la situation indienne. Une chose est sûre, l’importation de

solutions éprouvées en occident est vouée à l’échec. En

effet, il est administrativement 17 et techniquement 18 im-

possible de développer des services publics nécessitant

des infrastructures de réseau, à une vitesse compatible

avec celle de l’extension urbaine. Ceci pour de multiples

raisons : la principale étant la difficulté à acquérir les ter-

rains nécessaires à la construction d’infrastructures, qui

tient à la fois à l’imprécision du cadastre et à la multiplicité

des acteurs concernés.

Par ailleurs, le manque de ressources a des conséquences

directes sur le mode d’urbanisation, l’habitat en hauteur,

qui nécessite des ascenseurs et l’assurance d’un accès à

l’eau même aux étages les plus élevés, est laissé de côté.

Toutefois, il existe de nombreuses raisons d’espérer. Les

indiens sont de plus en plus conscients des conséquences

environnementales de l’urbanisation galopante de leur

- 35 -

Carnet du voyage d’études en Inde, Bangalore et Mysore Cycle national 2012-2013

pays. Ils sont aussi de plus en plus éduqués et cham-

pions de la jugaad innovation, développement indigène

de solutions low cost/high capability. Le recyclage des

eaux de pluie sur tous les bâtiments (obligatoire à Delhi et

Chennai), les systèmes d’éclairage autonomes à partir de

cellules photovoltaïques performantes, les unités de com-

postage à l’échelle d’un îlot de maisons seront à la source

d’un nouveau système de gestion des services essentiels

dans la ville.

15 Située à 1000 mètres d’altitude, sur le plateau du Deccan, la ville jouit d’un climat agréable et était renommée autrefois pour la qualité de ses jardins. Aujourd’hui, ce sont les tas de déchets plastiques et de gravats qui fleurissent à tous les coins de rue16 L’urbanisme est une spécialité européenne : Bangalore a fait appel à un cabinet français pour établir son plan d’occupation des sols mais le projet, bien qu’adopté à l’unanimité par la municipalité par mécompréhension, se heurte à la population dans sa mise en œuvre car il n’intègre pas les spécificités locales.17 En Inde la gouvernance des services publics n’est pas la même qu’en France et la gestion transparente et « responsable » qu’appelle de ses vœux l’ONU reste à inventer18 Lors de la modernisation de Paris sous Napoléon III, toutes les infrastructures préexistantes incompatibles avec « le progrès » avaient été rasées

- 36 -

Carnet du voyage d’études en Inde, Bangalore et Mysore Cycle national 2012-2013

7. Des Biotechs19 à la santé pour tous : entre stratégies et engagement

Michel Ida, Nadia Khelef, Boubakar Likiby, Patrick Touron

« Bienvenue au Paradis »

L’Inde, peuplée de plus de 1.2 milliards d’habitants,

confrontée à de fortes contraintes géopolitiques locales et

à une population gigantesque toujours croissante, déve-

loppe une stratégie scientifique basée sur l’autonomie et

l’excellence dans les domaines de la défense, de l’aéros-

patiale, des technologies de l’information et de la santé.

D’autres projets de société, nécessitant de toute évidence

des investissements nationaux majeurs, restent moins

développés. Plusieurs projets privés émergent dans ces

secteurs de la société afin de compenser ces défaillances

et de répondre aux attentes des citoyens.

Ces inégalités sectorielles et les criantes différences de

niveau de vie, observées lors de notre voyage, paraissent

choquantes aux européens. Certains évoquent l’accepta-

tion de cette situation par la population en raison de l’exis-

tence historico-culturelle du système des castes, mais l’on

imagine facilement que la réalité des ressentis est forcément

plus complexe. Dans un récent reportage, un représentant

d’un mouvement de défense des droits des intouchables

indiquait les difficultés opérationnelles et intellectuelles liées

à leur statut et encore présentes dans l’Inde d’aujourd’hui 20.

A travers notre rapport, nous souhaitons éclairer ces aspects

en s’appuyant sur les visites effectuées lors de notre voyage

d’études à Bangalore : dans la société de biotechnologies

Biocon, l’hôpital privé Narayana Hrudayalaya et le Centre

Robert Bosch de l’Indian Institute of Science. Il s’essaiera

à mettre en perspective les stratégies de ces organisations

et leurs engagements avec ceux de la politique indienne en

matière de recherche, d’innovation et de santé.

Les politiques en sciences de la vie et en santé

L’Inde affiche la volonté de devenir un acteur mondial ma-

jeur dans le secteur des sciences de la vie, des biotech-

nologies en particulier 21, et elle s’en donne les moyens.

Elle dispose de centres de formations et d’universités de

haut niveau s’appuyant sur l’excellence d’une population

ambitieuse et dynamique.

Le constat de départ que l’on peut faire sur l’Inde repose

sur quatre chiffres clefs, indispensables pour comprendre

la stratégie gouvernementale mise en œuvre :

• une population de 1,2 milliard d’habitants et autant de

consommateurs potentiels ;

• 90% de la population qui ne dispose pas de couverture

maladie ;

• 450 millions de personnes en dessous du seuil de pau-

vreté ;

• seulement 0,1 % des brevets déposés donnant lieu à

une production.

19 L’OCDE définit les biotechnologies comme « l’application de la science et de la technologie aux organismes vivants à d’autres matériaux vivants ou non vivants, pour la production de savoir, biens et services.» Le terme Biotechs indique les entreprises qui dédient leurs activités à ce domaine20 Documentaire de Laurent JAOUI, Le destin de l’Inde, 201221 C.N.R.RAO & K.V. RAGHHAVAN, Science advisory Council to the Prime Minister, Challenges and opportunities in science and technology, p.53-56, 2012

- 37 -

Carnet du voyage d’études en Inde, Bangalore et Mysore Cycle national 2012-2013

Le Plan quinquennal 2013-2017 de l’Inde intègre la dimen-

sion « santé pour tous » comme axe stratégique et met

l’accent sur la nécessaire attention à porter aux femmes

et aux enfants.

Les conclusions du Conseil de recommandation au Pre-

mier Ministre indiquent quatre axes coordonnés de déve-

loppement en politique scientifique 22:

• l’excellence scientifique dans les sciences de la vie et

les biotechnologies, au travers de l’interdisciplinarité, la

société et l’industrie ;

• l’accès, via l’université et l’industrie, aux savoirs scienti-

fiques de pointe et aux technologies de rupture ;

• l’importance de la formation des scientifiques dans les

domaines émergents ;

• La création dynamique de liens entre énergie, environne-

ment, biotechnologies et industrie pharmaceutique.

Le gouvernement indien a mis en place des modèles pour

le soutien financier et logistique, et le développement de

parcs biotechnologiques, d’incubateurs et de projets de

formation dans l’Uttar Pradesh, le Punjab et le Kerala 23.

Au niveau mondial, l’Inde est déjà très présente dans le

domaine des médicaments et des vaccins (60% des médi-

caments mondiaux, dont 20% de génériques, sont ainsi

fabriqués en Inde 24).

Biocon, une Biotech œuvrant pour la santé pour tous

L’histoire de la société Biocon est emblématique du mo-

dèle indien en matière de création, de développement et

de réussite sur le marché de la santé.

L’entreprise a été créée en 1978 par Kiran Mazumdar-

Shaw, une femme de la caste des Bania (commerçants),

issue du monde très masculin de l’industrie de la bière.

Mme Shaw maitrisait la technologie des fermenteurs et a

organisé dans son garage le développement d’une nou-

velle technique de fermentation et d’amélioration des ren-

dements permettant la production d’insuline de grande

qualité et à bas coût. Mme Shaw et son entreprise, née de

ces expériences réussies, se sont progressivement inté-

ressées à d’autres produits (petites molécules et bio-simi-

laires). Biocon a aujourd’hui la volonté de devenir, à court

terme, le leader mondial sur quelques produits ou biomo-

lécules et projette de mettre sur le marché de nouvelles

molécules anti-cancer et anti-psoriasis.

Les axes stratégiques de Biocon qui valent engagement

sont de :

• répondre à l’immense marché indien (et même global)

par le biais d’une démarche de production innovante

de médicaments aux prix abordables dans le domaine

des maladies chroniques. La société exploite les

brevets tombés dans le domaine public, en optimise

les processus, et profite de l’effet d’échelle du marché

indien pour produire des médicaments de qualité à bas

coût (high quality-low cost). Ces produits à bas coûts

sont aussi destinés aux pays à faibles revenus bien que

les processus optimisés soient revendus à prix élevé aux

grandes entreprises du médicament ;

• développer un esprit d’entreprise et améliorer les

compétences de son personnel (qualifié et souvent

formé par l’Etat) tout en établissant des partenariats

stratégiques. Le contrat moral de Biocon avec ses

employés semble favoriser le partage des objectifs,

notamment ceux dirigés en faveur de la population

défavorisée indienne, mais aussi mondiale.

22 http://www.francemondeexpress.frvue-detail-defaut/n/ inde-biotechnologies.htm23 http://www.bulletins-electroniques.com/actualites/72638.htm24 http://www.Biocon.com/Biocon_uboutus.asp

- 38 -

Carnet du voyage d’études en Inde, Bangalore et Mysore Cycle national 2012-2013

L’hôpital privé Narayana Hrudayalaya du Dr Shetty

La vision des dirigeants de l’hôpital Nayarana Hrudayalaya,

parmi lesquels son fondateur, le Dr Shetty, est de proposer

des services de soin de qualité au plus grand nombre et en

particulier aux populations les plus défavorisées, y compris

à l’échelle globale. La visite effectuée au sein du service de

cardiologie pédiatrique durant notre voyage a été certaine-

ment l’une des plus émouvantes et impressionnantes du

point de vue technologique. Le service s’érige au milieu

d’un environnement modeste et accueille les patients et

leurs familles dans des conditions très confortables. Les

enfants traités sont de tous âges et de toutes les origines

sociales.

L’hôpital pratique une politique de coût des soins adapté

aux moyens des patients. Ainsi, un équilibre financier est-

il établi en faisant payer le prix fort à ceux qui le peuvent

payent et en prodiguant des soins gratuits aux plus dé-

munis. L’hôpital accueille aussi des patients de l’étran-

ger, notamment des pays les plus pauvres. L’équipement

médical et le personnel soignant sont nombreux dans

un environnement d’une extrême propreté et d’un calme

étonnant. Au moment de notre visite, chaque jeune patient

était entouré d’une ou plusieurs personnes soignantes.

Les médecins sont des spécialistes qui opèrent jusqu’à 3

patients par jour. Les équipements sont de haut niveau et

leur coût est rapidement amorti du fait de leur utilisation in-

tensive. L’engagement du personnel semble en cohérence

avec les missions affichées par l’hôpital de s’inscrire dans

un projet de société ayant, entre autres, pour objectif de

rendre accessible la santé pour tous.

Certains des praticiens mènent, en plus de leur activité

médicale, une recherche clinique de pointe (exemple de

l’utilisation des cellules souches dans le domaine de la

cardiologie) en partenariat avec les chercheurs du Natio-

nal Centre for Biological Sciences de Bangalore. 25 Cette

approche, comparable à celle pratiquée dans les pays in-

dustrialisés, permet aux médecins de progresser dans leur

activité et contribuent sans doute à leur épanouissement

et leur reconnaissance professionnelle.

En parallèle, l’hôpital est aussi impliqué dans un projet rela-

tivement simple mais apparemment très efficace de télémé-

decine (consultation cardiologique à distance). Le partena-

riat est établi avec 48 pays, notamment africains, et vise à

mettre en relation les médecins du Narayana Hrudayalaya

Hospitals avec des collègues ou leurs assistants d’autres

pays. Les documents médicaux sont envoyés par fax ou par

internet et les connections établies par vidéo-conférence.

Selon la gravité du cas, le patient pourra être diagnosti-

qué par ce biais ou devra être transporté sur un site mieux

équipé. Cette pratique palie ainsi, pour partie, le déficit en

médecins expérimentés dans certaines régions d’Inde ou

du monde et permet aux populations isolées de bénéficier

du diagnostic et de l’expérience d’experts de haut niveau.

Mais on ne peut que souhaiter qu’elle contribue à former de

meilleurs médecins qui pourront prolonger leur activité en

consultation directe avec le patient.

L’exemple du Centre Robert Bosch

Au Centre Robert Bosch, à l’Indian Institute of Science,

des scientifiques développent des outils à visée médicale,

accessibles à tous et adaptés aux besoins d’une popula-

tion dispersée, composée particulièrement de femmes et

d’enfants, ayant de faibles revenus et peu accès aux infras-

tructures médicales. Deux projets sont particulièrement

signifiants dans le contexte qui nous intéresse.

Le premier, développé avec des médecins de campagne,

est destiné à permettre de réaliser les auscultations (palpa-

tions) à distance. Essentielles au diagnostic médical, elles

sont difficiles à réaliser à cause des contraintes de temps

liées aux déplacements difficiles dans les zones rurales. Le

centre a développé un casque tactile, doté d’une proémi-

nence en forme de doigt et muni d’un émetteur récepteur, à

partir de produits existants dans le domaine des jeux vidéo.

Il s’agit du retour tactile sur manette, technologie disponible,

peu couteuse et adaptée au casque. Le médecin demande

à un aide qui se trouve auprès du patient de positionner le

doigt aux endroits souhaités et peut, depuis son bureau,

avoir le retour tactile de sa palpation.

Le second projet est celui du développement d’une chaus-

sette, dotée de capteurs et d’un système d’alerte lumineuse 25 http://www.narayanahospitals.com/about-us/overview/vision/

- 39 -

Carnet du voyage d’études en Inde, Bangalore et Mysore Cycle national 2012-2013

ou sonore, destinée aux enfants en bas âge et permettant

de surveiller certains paramètres de leur état de santé. Si

la température de l’enfant augmente, s’il se met sur le dos

ou si sa respiration ralentit, l’alerte se déclenche. L’objectif

affiché est de libérer la mère d’une surveillance continue et

éprouvante et de lui permettre de se consacrer à d’autres

tâches. Là encore, le système reprend des technologies

existantes, mais son coût a été adapté pour en permettre

une plus grande diffusion.

Ces exemples illustrent l’objectif du groupe Bosch d’assurer

une diffusion de l’assistance médicale à faible coût à la plus

grande partie de la population, notamment les femmes et

les enfants. En effet, ces derniers se déplacent peu à cause

des tâches qu’ils doivent accomplir quotidiennement, parti-

culièrement en milieu rural, bien qu’ils soient ceux qui aient

le plus besoin d’assistance médicale.

Quel engagement des sociétés versus quel business ?

Le domaine des biotechnologies en santé illustre le modèle

de développement indien, basé sur une exploitation des

brevets tombés dans le domaine public, des recherches ap-

pliquées immédiatement exploitables et une main d’œuvre

de qualité, relativement peu couteuse, et pour certaines

investies dans des missions valorisantes. Cette stratégie

basée sur un investissement principalement orienté vers la

production, mise aussi sur la rupture et la mise sur le mar-

ché de produits innovants respectant les normes qualité,

mais produits et à bas coût. Ces entreprises visent le lea-

dership Indien et une position respectable sur les marchés

internationaux.

Biocon, comme l’hôpital Nayarana Hrudayalaya, a un mo-

dèle social de développement coïncidant avec une volonté

d’offrir des traitements et des soins à bas coûts au plus

grand nombre, que ce soit en Inde ou dans d’autres pays

défavorisés. Ces actions contribuent à construire un sys-

tème de santé indien accessible à tous. 30% de la popula-

tion du pays, qui croit de près de 20 millions d’habitants par

an, vit en dessous du seuil de pauvreté. Cette partie de la

population accède difficilement aux soins, handicap qui se

cumule à des problèmes d’alimentation, d’environnement et

d’éducation. Les biotechnologies doivent permettre, dans

ces domaines, d’amoindrir la fracture sociale interne tout

en répondant aux besoins de cette population désireuse, à

moyen terme et compte tenu du modèle culturel inégalitaire,

d’accéder à une vie meilleure.

Conclusion

Après des efforts consentis dans les domaines stratégiques

de la défense, la sécurité et l’alimentation, les politiques gou-

vernementales indiennes ont été dirigées depuis quelques

années vers les technologies de rupture. Cette nouvelle vi-

sion permet à l’Inde de bénéficier rapidement de toutes les

avancées majeures et de favoriser des réponses adaptées

à la demande grandissante d’une population en expansion.

Les sciences et technologies sont donc au cœur de ce vi-

rage et les biotechnologies, au travers de leur impact dans

le domaine de la santé, en sont une excellente illustration.

Dans nos cas d’études, nous avons constaté que les entre-

prises ont basé leur développement sur une stratégie qui

s’appuyait sur le marché intérieur immense de l’Inde, faci-

lement exportable dans les marchés émergents. Cela leur

permet, par le biais des technologies de rupture, de four-

nir des produits de qualité à bas coût dont les retombées

immédiates au profit de la population rendaient le modèle

socialement acceptable.

Des entreprises telles que Biocon ont une gestion prudente

de leur croissance, préférant une croissance faible mais

régulière alliée à une maitrise d’un investissement à struc-

ture familiale, à une croissance rapide basée sur des fonds

qu’elle ne contrôlerait pas. Cette approche prudente est-elle

en mesure de résister à la mondialisation industrielle et aux

grands groupes à même de modifier les rapports de force

sur un marché ? A l’inverse, l’hôpital Nayarana Hrudaya-

laya semble avoir des ambitions plus grandes mais il devra

s’assurer que son modèle économique puisse permettre de

suivre son expansion.

Ces paris résisteront-ils à une fracture sociale criante d’in-

justice et dont la solidité forcée repose notamment sur l’in-

terdépendance générationnelle engendré par un système

qui n’assure quasi aucune aide à la dépendance ? On ne

peut que le souhaiter et espérer que ces initiatives se pro-

pageront favorablement.

- 40 -

Carnet du voyage d’études en Inde, Bangalore et Mysore Cycle national 2012-2013

8. Politiques et domaines d’excellence de la recherche indienne : quelles lignes de force ?

Christine Charlot, Mathieu Hazouard, Emmanuel Ledinot, Hélène Naftalski

Pour qui a toujours vécu en Occident et n’est jamais allé en

Inde auparavant, ce qui était le cas de la majorité d’entre

nous, la réponse – avant notre départ – à la question

« Qu’évoque l’Inde dans votre inconscient collectif ? » tour-

nait spontanément autour de la spiritualité, du raffinement

d’une civilisation complexe et ancienne, des castes et des

contrastes sociaux extrêmes, mais jamais autour de la

science et de la recherche scientifique.

Or c’est bien au sein même des quêtes de la spiritualité

brahmanique et védique qu’est née, bien avant l’ère chré-

tienne, l’élite scientifique indienne, en mathématiques et en

médecine d’abord, puis en physique fondamentale. C’est

elle qui, au XXème siècle, a conduit à la constitution d’une

communauté scientifique de niveau international, socle

de la politique actuelle de l’Inde en matière de science et

d’innovation et de la revendication d’une stature dans la

compétition scientifique mondiale.

Une longue tradition de recherche fondamentale de pointe … aux origines anciennes

En Inde comme en Chine, en Perse, en Mésopotamie et

dans nombre de civilisations premières, la recherche d’une

compréhension des cycles de la nature, du soleil, de la

lune et des astres a conduit à des développements arith-

métiques et géométriques d’une grande sophistication.

Ces calculs complexes répondaient aux exigences de

l’astrologie, puis, plus tard, à celles de l’astronomie, toutes

deux dépendantes du calcul des éphémérides.

Si l’on parle communément de chiffres «arabes», c’est en

fait à l’Inde que l’on doit la numération décimale et parti-

culièrement l’invention cruciale du zéro et de la valeur de

position des différents chiffres d’un nombre. La supériorité

de la numération indienne par rapport à toutes les autres,

en particulier sumérienne, romaine ou maya, en a fait la

numération universelle utilisée aujourd’hui sur tout le globe,

et même, en en modifiant simplement la base, dans tous

les ordinateurs 26. Pas étonnant par conséquent que l’Inde

ait vu surgir dès le XIXème siècle de grands mathématiciens.

S.A Ramanujan (1887-1920) en est une figure embléma-

tique. Reconnu et adoubé en Europe par le grand mathé-

maticien anglais G.H Hardy, certaines de ses formules en

théorie des nombres, qui lui furent révélées par une déesse

selon les dires même de leur auteur, font encore l’objet de

recherches aujourd’hui. Si S.A Ramanujan est une star des

mathématiques indiennes, d’autant plus célèbre qu’elle

est entourée de mystère, voire de mystique, il est moins

connu que, dans le modèle standard de la physique, trois

des quatre forces fondamentales découvertes à ce jour

(nucléaire forte, nucléaire faible, et électromagnétique)

procèdent d’échanges de particules qui furent appelées

bosons d’après l’éminent physicien indien Satyendra Nath

Bose (1894-1974). Pourtant, contrairement à son compa-

triote C.V Raman, qui le reçut en 1930, le prix Nobel ne lui

fut jamais remis. 27

Forte de ses mathématiciens et physiciens de premier

plan, l’Inde a pu s’engager dès 1944 dans un programme

visant à maîtriser l’énergie nucléaire, à des fins tant civiles

26 BAG A. K. Mathematics in ancient and medieval India, Varanasi: Chaukhambha Orientalia. (1st ed.), 197927 D.M. BOSE, A concise History of Science in India, Indian National Science Academy, New-Delhi, 1971 (réimpression 1989)

- 41 -

Carnet du voyage d’études en Inde, Bangalore et Mysore Cycle national 2012-2013

que militaires. Le pays est parvenu à le mener avec suc-

cès et de façon quasi autonome et le premier tir nucléaire

indien a eu lieu en 1974.

L’Inde compte cinq prix Nobel scientifiques à son actif, 1

de plus que la Chine et 31 de moins que la France, mais

pas de médaille Fields. Grand pays par sa surface et sa

population, son passé scientifique remarquable et son élite

scientifique de premier plan, elle occupe toutefois encore

une place modeste sur la scène scientifique internationale.

Excellence académique et impacts sociétaux

La recherche indienne d’aujourd’hui est le fruit de la ren-

contre entre cette tradition d’excellence en recherche fon-

damentale et la nécessité de répondre aux énormes défis

auxquels la société indienne est confrontée aujourd’hui.

Ainsi trouve-t-on en Inde des organismes de recherche

académiques tels que l’Indian Institute of Science ou le

Tata Institute of Fundamental Research, qui développent

une recherche d’excellence plutôt à caractère fondamen-

tal. Ces instituts mènent leurs recherches dans différents

domaines de base tels que les mathématiques, la phy-

sique, la chimie, les matériaux, la génétique, la biologie

(les recherches sur les cellules souches sont autorisées

en Inde), mais aussi la pharmacotoxicologie, l’ingénierie

(mécanique, électronique notamment), l’agro-alimentaire,

ou encore l’informatique. Le besoin de recherches inter-

disciplinaires, permettant aux sciences du vivant et aux

sciences humaines et sociales de se rencontrer autour de

grands enjeux, se fait ressentir de plus en plus fortement

et un organisme comme le National Institute of Advanced

Studies – créé en 1988 – vise à y répondre.

Ces domaines de recherche, et notamment les derniers

mentionnés, révèlent à eux seuls que la recherche indienne

est également guidée par les besoins sociétaux. L’Inde est

en effet consciente des grands défis qu’elle a à relever en

ce qui concernent les infrastructures, l’éducation, la nutri-

tion, la sécurité alimentaire, l’énergie, l’eau, la santé et l’ac-

cès aux soins pour tous et l’environnement pour répondre

aux besoins d’une population en constante croissante.

Depuis son indépendance, elle a misé sur les sciences et

les technologies pour le développement « durable et inclu-

sif » du peuple indien. Le Council of Scientific and Industrial

Research, par exemple, a ainsi pour devise de « servir la

nation », et de « fournir de la R&D scientifique et industrielle

maximisant les bénéfices économiques, environnemen-

taux et sociétaux pour le peuple indien ».

Un volontarisme affirmé pour devenir la 5ème puissance scientifique mondiale

Depuis son indépendance en 1947, l’Inde s’est ainsi mise

en ordre de marche pour devenir un acteur majeur dans

le monde de la science. Le pays se trouvait alors face à

plusieurs enjeux majeurs. Le premier ayant été de se doter

de priorités politiques à l’échelle du pays afin d’établir une

feuille de route pour atteindre ses objectifs, la finalité étant

de conduire l’Inde vers la prospérité. 65 ans plus tard, le

pays est parvenu à un stade où sa force scientifique et

technologique est en capacité d’apporter des solutions

aux grands défis qu’il doit relever.

En réalité, l’Inde a rapidement pris conscience qu’une des

conditions de son développement social et économique

passerait par sa capacité à prodiguer un enseignement

supérieur de qualité et à développer une recherche de

pointe, en particulier dans certains secteurs-cibles.

Depuis l’indépendance, quatre plans d’actions majeurs ont

traduit la volonté politique des différents acteurs publics :

• The Scientific Policy Resolution de 1958

• The Technology Policy Statement de 1983

• The Science and Technology Policy de 2003

• Et très récemment en 2013 The Indian Science,

Technology and Innovation

C’est Nehru, premier Premier ministre de l’Inde de 1947

à 1964, qui a ainsi impulsé une dynamique de dévelop-

pement de la recherche dans le pays. De nombreux dé-

partements universitaires et des laboratoires scientifiques

ont été mis en place à cette époque. Nehru avait l’intime

conviction que la science et la technologie seraient des

- 42 -

Carnet du voyage d’études en Inde, Bangalore et Mysore Cycle national 2012-2013

outils essentiels pour conduire à la justice sociale dans

le pays et contribuer à son développement économique.

Cette vision se reflète dans la résolution de la Politique

scientifique de 1958, dont le but était « d’encourager, de

promouvoir et de soutenir la culture des sciences et de la

recherche scientifique dans le pays et d’assurer aux per-

sonnes tous les avantages qui peuvent en découler. »

Les trois grandes résolutions suivantes ont jalonné le long

chemin du développement scientifique de l’Inde depuis

son indépendance, faisant de la science et de la techno-

logie un outil de développement national et de transfor-

mation sociale. L’idée que science, technologie et innova-

tion doivent faire l’objet d’une politique publique intégrée

a, depuis, fait son chemin, et les liens entre recherche et

monde socio-économique ont été renforcés. C’est ainsi

que l’Inde a déclaré la période 2010-2020 « Décennie de

l’innovation ».

Aujourd’hui, le budget de l’Inde pour la recherche est en

augmentation permanente (20 à 40% par an). En 2012-

2013, il s’est élevé à 7 milliards d’Euros ce qui situe l’Inde

au 8ème rang mondial. Dans son 12ème Plan quinquennal

(2012-2017), l’Inde s’est donné pour objectif de doubler

ce budget d’ici 2017. Le Plan pose également comme

ambition de porter la part de la recherche privée à 50%

en 2017 (30% en 2011), tout en doublant le nombre de

brevets (l’Inde est actuellement au 12ème rang mondial avec

34 287 brevets déposés en 2010).

Mais l’Inde fait face à deux autres enjeux : encourager le

retour de ses jeunes après qu’ils aient suivi des études aux

Etats-Unis ou en Europe et augmenter la masse critique de

scientifiques indiens à 250 000 en 2017 (154 000 en 2011).

Une organisation complexe du système de recherche, d’enseignement supérieur et d’innovation

Dans ce pays-continent, Etat fédéral, composé de 28 Etats

et de 7 territoires, l’organisation du système de recherche

et d’enseignement supérieur apparaît de prime abord rela-

tivement complexe et assez peu structuré. Du moins le

schéma général d’organisation, au niveau de l’Etat central,

fait-il apparaître une multitude d’organismes qui semblent

dispersés et relever de multiples tutelles 28.

Ainsi doit-on souligner en premier lieu que l’enseigne-

ment supérieur, la recherche et l’innovation font partie des

domaines relevant à la fois de la compétence de l’Union

indienne (Etat central) et de celle des Etats fédérés. C’est

toutefois l’Union qui a la responsabilité de déterminer les

normes de création des instituts d’enseignement supérieur

et de recherche comme des établissements scientifiques

ou techniques. De fait, la politique de R&D indienne reste

principalement pilotée au niveau national. La Commis-

sion de planification tout comme le Conseil scientifique,

placés sous l’autorité du Premier ministre, élaborent les

documents de référence de la stratégie gouvernementale

dont le Plan quinquennal (12ème plan 2012-2017), docu-

ment de vision et plan d’action. Chaque Etat fédéré est

doté d’un State Council of Science and Technology dont

le rôle se limite essentiellement à fournir un environnement

aussi favorable que possible pour l’accueil de centres de

recherche. Le projet est cependant de faire de ces conseils

des structures de coordination et de suivi des activités

scientifiques et techniques au niveau de chacun des Etats.

Au niveau central, le ministère de la Science et de la Tech-

nologie joue un rôle prépondérant à travers ses trois dé-

partements :

• le Department of Science and Technology qui élabore

la politique scientifique du gouvernement, assure

la coordination générale des programmes de R&D

nationaux et la tutelle directe d’une quinzaine d’instituts

de recherche;

• le Department of Scientific and Industrial Research,

organe de tutelle du Council of Scientific and Industrial

Research et donc de ses – environ 40 – centres de

recherche thématique dont les domaines correspondent

pour la plupart à différentes filières industrielles jugées

prioritaires par l’Etat au moment de leur création ; ces

centres conduisent des programmes de recherche

fondamentale et appliquée ; plus de 18 000 personnes y

sont employées par le CSIR;

28 http://euindiacoop.org/institutions_india_et.php

- 43 -

Carnet du voyage d’études en Inde, Bangalore et Mysore Cycle national 2012-2013

• le Department of Biotechnology, biotechnologies dont

le développement est considéré comme une priorité

nationale dans tous les domaines (santé, agriculture,

énergie, environnement). L’Inde est ainsi le seul

pays au monde doté d’un secrétariat d’Etat dédié

aux biotechnologies dont dépendent 7 instituts de

recherche.

Plusieurs départements ministériels techniques inves-

tissent par ailleurs également dans des activités de

recherche : soit parce que leur champ de compétence

correspond à un secteur stratégique historique de l’Inde

comme ceux de la défense, de l’espace ou de l’éner-

gie nucléaire (il est à noter que ce département assure

la tutelle sur le Tata Institute of Fundamental Research),

soit parce que leur périmètre recouvre des secteurs jugés

stratégiques plus récemment : TIC, santé (27 instituts

de recherche), environnement et forêt, agriculture (rôle

important en matière de recherche et d’enseignement

agricoles).

A cela il convient d’ajouter que des activités de R&D sont

également menées au niveau du système universitaire.

Cette R&D est menée principalement au sein des uni-

versités centrales, placées sous la tutelle du ministère

des Ressources humaines et du Développement et du

Department of Science and Technology pour le finan-

cement des activités de recherche, des universités des

Etats, mais aussi d’Instituts d’importance nationale dont

font partie les Indian Institutes of Technology ou encore

l’Indian Institute of Science.

Dans ce paysage foisonnant – plus en matière de types

de structures qu’en nombre, au regard de l’échelle du

pays – on doit encore souligner la création en 2010 du

National Innovation Council, agence de l’innovation dé-

pendant directement du Premier ministre. Cette agence

définit les politiques nationales en matière d’innovation

et de transfert de technologie, et apporte son aide à la

constitution d’organismes sectoriels et d’agences régio-

nales en la matière (ex : Industry Innovation Clusters).

Le maître-mot aujourd’hui est en effet d’augmenter la

part de recherche et d’innovation financée par le secteur

privé par une forte incitation au développement de parte-

nariats public-privé dans ces domaines.

Certaines initiatives organisationnelles, promouvant des

systèmes d’innovation ouverte et de recherche collabora-

tive, sont ainsi à souligner :

• l’Open Source Drug Discovery : plateforme de

recherche collaborative créée par le Council of

Scientific and Industrial Research, sur laquelle près de

6000 scientifiques partagent leurs découvertes sur la

tuberculose et le paludisme ;

• la création de 5 Biotech Parks dans le secteur des

biotechnologies, en vue de développer des partenariats

public-privé et de favoriser le transfert de technologie.

Exemple du Biocluster de Bangalore, dans le domaine

de la santé, qui regroupe le National Centre for Biological

Sciences, un des centres du Tata Institute, l’Institute

for Stem Cell Biology and Regenerative medicine

sur les cellules-souches, et le Centre for Cellular and

Molecular Platforms, à la fois plateforme technologique

et incubateur. Un autre de ces Park est la Genome Valley

d’Hyderabad qui inclut notamment un Agri Science Park

dans le domaine agricole et de nombreuses sociétés de

biotechnologies.

Aujourd’hui, le défi est ainsi non seulement d’augmenter la

masse critique des scientifiques indiens actifs dans le pays,

mais aussi de développer les synergies entre les différents

centres d’excellence qui existent, qu’ils dépendent de l’une

ou l’autre des agences (« councils ») ou départements mi-

nistériels, ou qu’ils soient universitaires. Le défi est égale-

ment d’accroître les liens entre recherche académique et

secteur socio-économique. C’est à ce prix que l’on peut

escompter, au sein du pays, un investissement plus signi-

ficatif du secteur privé dans les dépenses de R&D, mais

aussi une meilleure visibilité à l’échelle nationale et interna-

tionale, au-delà de la renommée individuelle de ses grands

chercheurs et érudits, des travaux qui sont conduits dans

les domaines de recherche dans lesquels l’Inde excelle.

A voir l’évolution de la recherche en Inde depuis près de

60 ans et à lire le Premier ministre indien Manmohan Singh,

qui, le 3 janvier 2013, lors de la 100ème session annuelle

de l’Indian Science Congress, a déclaré que « L’Inde sera

classée dans les 5 premiers pays scientifiques au monde

en 2020 », nous pouvons être convaincus que l’Inde a la

capacité de jouer très rapidement dans la cour des grands.

- 44 -

Carnet du voyage d’études en Inde, Bangalore et Mysore Cycle national 2012-2013

9. Bangalore, capitale mondiale des technologies de l’information et des télécommunications ?

Marc Bousquet, Denis Ehrsam, Philippe Hernandez, Nathalie Mercier-Perrin

Introduction

Bangalore, capitale du Karnataka, est régulièrement pré-

sentée comme une « IT city » et plus généralement comme

la rivale de la Silicon Valley. La concentration d’activités

dans le domaine des technologies de l’information et de

la communication (TIC) en a fait la ville la plus dynamique

de l’Inde tant au niveau économique, que démographique

ou urbain.

Selon une convention internationale fixée par l’OCDE, on

qualifie de secteurs des technologies de l’information et de

la communication les secteurs suivants :

• secteurs producteurs de TIC (fabrication d’ordinateurs,

de matériel informatique, de TV, radios, téléphone...) ;

• secteurs distributeurs de TIC (commerce de gros de

matériel informatique...) ;

• secteurs des services de TIC (télécommunications,

services informatiques et audiovisuels...).

En l’espace de trente ans, la capitale de cette « nouvelle

économie » indienne a connu un développement urbain

fulgurant qui se concrétise de manière très différente pour

les populations « TIC » (entreprises et force de travail) et

le reste de la population. Des îlots urbains modernes, aux

systèmes électrique et d’alimentation en eau autonomes,

se sont développés en périphérie de la ville pour accueillir

dans les meilleures conditions des multinationales telles

qu’Infosys, IBM ou Alcatel-Lucent Bell labs. Parallèlement,

les populations qui ont participé à la construction de ces

Electronic City et autres International Tech Park sont, elles,

demeurées à proximité des bidonvilles.

Ce développement économique extrêmement rapide a en-

gendré une explosion et une fracture urbaine sans que les

gestionnaires du territoire ne s’en inquiètent véritablement.

De très nombreuses entreprises technologiques du monde

entier ont installé dans cette ville des unités de recherche,

de services (centres d’appel) et de conception /production.

Bangalore a axé son développement sur les TIC mais plus

particulièrement sur la sous-traitance dans les domaines

des logiciels informatiques, de la biochimie (fabrication de

molécules pharmaceutiques) et de l’aérospatiale.

La ville est aujourd’hui une mégalopole de près de 9 mil-

lions d’habitants. Une fraction seulement de ces habitants

travaille dans les TIC. Ces îlots de richesse bénéficient tou-

tefois peu à peu au reste de la population et plus unique-

ment aux seuls employés des multinationales et, petit à

petit, des investissements publics (métro, routes) sculptent

la ville. Ces quelques éléments sont impressionnants et,

tout comme pour les autres lieux phares de l’innovation à

Bangalore et en Inde, leurs visites sont marquantes.

Dès lors, devant l’afflux de capitaux, personnels et tech-

nologies vers cette région de l’Inde, on peut s’interroger :

assiste-t-on à l’avènement -tranquille- d’une nouvelle capi-

tale mondiale des TIC ? La place acquise par Bangalore

est-elle le fruit d’une innovation « à l’indienne » ? La capi-

tale du Karnataka est-elle une déclinaison indienne de la

Silicon Valley ?

Ce carnet de voyage tente de présenter les conditions et

les limites de cette réussite.

- 45 -

Carnet du voyage d’études en Inde, Bangalore et Mysore Cycle national 2012-2013

L’Inde, un point de passage obligé pour les grands acteurs mondiaux

Malgré une évolution des salaires à la hausse de 10 à 20%

ces dernières années, une forte progression du turn over

des personnels et une congestion des grands centres

d’activité entraînant une inflation du foncier, l’Inde demeure

plus que jamais le grand champion des services offshore.

En effet, elle permet de combiner des prestations lointaines

à bas prix avec une offre d’expertise de plus en plus haut

niveau. Avec un départ plutôt modeste dans les années

1980, avec une offre de services assez simples, l’Inde a

su évoluer et propose aujourd’hui des offres informatiques

sophistiquées et des prestations d’externalisation de pro-

cessus métier.

Google, IBM, Microsoft, Dell, Airbus, EADS, pour ne citer

qu’eux, viennent en Inde pour sous-traiter leurs activités

de R&D, de développement de logiciels et délocaliser leurs

centres d’appels. On assiste également à l’essor d’entre-

prises locales telles que Infosys 29, Wipro 30, ou encore

Flipkart (leader du e-commerce indien) qui sont, pour la

plupart, installées dans des parcs informatiques, véritable

villes modernes disposant de piscines, restaurants, bars

etc., tout ce qui garantit le confort des employés.

Les nouvelles compétences des travailleurs indiens contribuent à redorer le blason de l’excellence de sa qualité de service

La Silicon Valley indienne est réputée pour la qualité de ses

ingénieurs, à la fois brillants et bon marché. 300 000 ingé-

nieurs en moyenne sont ainsi diplômés en Inde chaque an-

née. Ce nombre est dû à la forte population du pays mais

aussi au système éducatif, qui incite les jeunes indiens à

se diriger en priorité vers les secteurs de l’ingénierie ou du

médical. A Bangalore, les ingénieurs sont formés à l’Indian

Institute of Sciences, l’International Institute of Information

Technology, ou encore au Manipal Institute of Technology,

grandes écoles très réputées dans le pays.

Autre levier d’attraction permettant de soutenir l’essor des

activités offshore R&D en Inde : le retour au pays d’une

nouvelle génération de travailleurs expérimentés ayant fait

leurs preuves dans d’autres régions du globe et heureux

de retrouver leur pays natal.

Bangalore bénéficie de facteurs historiques et géographiques propices au développement d’une industrie des TIC

Bangalore, qui fut construite autour d’un fort en 1537,

accueillit de 1831 à 1881 le siège de l’administration bri-

tannique. Cette période de colonisation correspond à une

phase importante du développement de la ville durant

laquelle elle fut dotée d’infrastructures indispensables à

son bon fonctionnement (notamment électriques). Cette

période a facilité également l’adoption de l’anglais par

une partie de la population et a fait de Bangalore la ville

indienne la plus anglicisée 31.

La qualité de vie a également été un facteur déterminant

du développement de la ville. En effet, La ville jouit d’un

climat agréable, moins étouffant que dans la majorité des

villes indiennes en raison de son altitude assez élevée (920

mètres). L’effet Sun Belt 32 a ainsi beaucoup participé à

l’accroissement de la ville. Le climat local fut ainsi tour à

tour apprécié par les Anglais, les retraités indiens aisés et,

enfin, par les industriels tels que les fondateurs d’Infosys,

à l’origine basés à Mumbai et charmés par cette situation

autant que par l’excellence des ressources humaines qui

s’y trouvaient.

29 Infosys est une société indienne de prestation de services informatiques créée en 1981 par un groupe de sept hommes d’affaires indien ayant 250 dollars en poche. Elle génère aujourd’hui plus de 8 milliards de dollars de chiffre d’affaires, emploie environ 160 000 personnes de 66 nationalités et est présente partout dans le monde avec des bureaux dans 22 pays et des centres d’I&D en Inde, Chine, Australie, Royaume-Uni, Canada et Japon. Infosys est une des entreprises indiennes qui a la plus grande réputation internationale.30 Wipro Technologies est une société indienne de services en ingénierie informatique dont le siège est situé à Bangalore. Créée en 1980, elle emploie 120 000 salariés et offre des services informatiques et des conseils. C’est une des principales entreprises de services informatiques dans le monde.31 KHILNANI S. The Idea of India, Penguin, 200332 La Sun Belt (« ceinture du soleil ») désigne les États du sud et de l’ouest des États-Unis présentant un dynamisme économique, un cadre de vie et une zone ensoleillée agréable.

- 46 -

Carnet du voyage d’études en Inde, Bangalore et Mysore Cycle national 2012-2013

Infosys, n’est pas apparu dans la région subitement et par

hasard. Bangalore dispose en effet d’un Indian Institute of

Science 33 depuis 1909 et est devenue sous l’action de

l’Etat, après l’indépendance, une Gun Belt 34. C’est son

éloignement des frontières du nord qui en a fait le lieu d’im-

plantation de l’industrie militaire et aéronautique.

« L’Etat participa également au développement de la mé-

tropole grâce à différentes politiques visant à encourager

les TIC (353- Gupta A., 1986) : le Software Export Scheme

(1972), la Technology Policy Statement (1983), la New

Computer Policy (1984) furent parmi les plus importantes

mesures et furent accompagnées d’autres initiatives fortes

pour aider la formation de personnels qualifiés et encoura-

ger les exportations au bénéfice des TIC. En 1998, l’am-

bition affichée par le premier ministre A. Vajpayee est de

faire de l’Inde une « superpuissance des technologies de

l’information ». Il crée la National Information Technology

and Software Development Task Force qui oriente la poli-

tique de l’Etat indien en faveur des TIC et le Department

of Electronics (DOE) qui encourage le développement de

l’électronique.

Bangalore a enfin bénéficié de l’explosion des prix de l’im-

mobilier à Bombay faisant fuir dans les années 80 une par-

tie des activités TIC de Bombay vers Bangalore (Dossani

R., 2005) où les dirigeants d’entreprises TIC souhaitaient

bénéficier de prix avantageux, de la qualité du cadre de vie

et d’une certaine proximité avec les fournisseurs, les sous-

traitants et le milieu académique de Bangalore (Basant R.,

2006).

Les multinationales de la Silicon Valley profitèrent en sus

des complémentarités de fuseau horaire entre la Californie

et le Karnataka pour fonctionner 24h/24h.

L’ensemble de ces éléments ont permis à Bangalore

de devenir un cluster TIC parmi les plus dynamiques au

monde et composés de nombreux technopôles. » 35

Bangalore, La capitale de l’État du Karnataka, est la capitale indienne de la haute technologie

Le business des technologies de l’information au Kar-

nataka a contribué à environ 36% des exportations de

software de l’Inde. Les exportations de software et de Bu-

siness Process Outsourcing du Karnataka sont estimées

à environ 4 milliards USD. Sur le million d’informaticiens

indiens, un tiers travaille à Bangalore. La ville accueille les

multinationales attirées par le faible coût et la qualification

de la main-d’œuvre. Bangalore est reconnue comme étant

l’IT Capital of India et fait partie des 4 centres technolo-

giques mondiaux. L’Etat du Karnataka a été très proactif

pour attirer les Investissement Direct à l’Étranger(IDE) dans

divers secteurs et est actuellement le 4ème Etat accueillant

des IDE en Inde. Bangalore a attiré des investissements

externes à hauteur de 1.3 milliard USD dans l’industrie du

software. Le Karnataka dispose d’un grand nombre de

professionnels dans le domaine des technologies de l’in-

formation ainsi que des meilleurs centres de recherche et

universités en Inde. Pour cette raison, un grand nombre de

multinationales et d’entreprises indiennes y ont été implan-

tées et environ 100 organisations se trouvant dans la ville

ont des activités en rapport avec la R&D. L’Etat possède

en outre le plus grand nombre d’entreprises de biotech-

nologie avec 50% des entreprises indiennes du secteur

implantées à Bangalore.

Ce dynamisme dans le domaine des TIC a permis à l’Inde

de produire certaines des personnalités les plus influentes

du secteur comme Vinod Khosla, fondateur de Sun Micro-

systems, Khrishna Bharat, principal scientifique de Google,

Nandan Nilekani et Narayana Murthy, fondateur d’Infosys.

La crise, quelle crise ?

La crise actuelle a des répercussions sur les sociétés de

services en ingénierie informatique (SSII) indiennes. Selon

l’Association des chambres de commerce et d’industrie

d’Inde, les professionnels de l’externalisation des techno-

logies de l’information ont, sur le dernier semestre fiscal,

recruté 5,3% d’informaticiens de moins que l’année pré-

cédente.

33 L’Indian Institute of Science a été conçu comme un institut de recherches par Jamsetji Nusserwanji Tata à la fin du 19ème siècle. Une période de presque treize ans s’est écoulée entre sa conception initiale en 1896 et sa création le 27 mai 1909.34 La Gun Belt (« ceinture de pistolets ») désigne la moitié sud des Etats-Unis et la Nouvelle Angleterre qui bénéficient du premier marché mondial, à savoir la défense35 GRONDEAU A. Cluster TIC et dynamiques urbaines à Bangalore : des logiques antagonistes destructrices de compétitivité ? Networks and Communication Studies, NETCOM, vol. 23, n° 3-4 pp. 245-262, 2009

- 47 -

Carnet du voyage d’études en Inde, Bangalore et Mysore Cycle national 2012-2013

En cause, le ralentissement économique aux Etats-Unis

et en Europe qui, à eux seuls, génèrent 60% du chiffre

d’affaires des sociétés comme Wipro ou Infosys. Outre la

question des performances individuelles de chacune des

principales SSII indiennes, se pose celle d’une tendance

de fond. Malgré les différences et les décalages, la crois-

sance sur un an des quatre principales SSII semble suivre

la même évolution. Signe, peut-être, que ce retour de crise

serait moins grave que la chute observée quatre ans aupa-

ravant.

Une limite au modèle : la faiblesse de l’enseignement

L’Inde compte aujourd’hui près de 15 millions d’étudiants.

Il s’agit de la 3ème population étudiante mondiale, ap-

pelée à doubler d’ici 20 ans. Depuis l’indépendance, le

nombre d’universités a été multiplié par 20 et celui des

colleges par 50. Environ 13 à 14% d’une classe d’âge

accède aujourd’hui à l’enseignement supérieur, avec de

fortes disparités selon l’origine géographique, sociale et la

caste. L’Inde consacre 0.75 % de son PIB à l’enseigne-

ment supérieur, et 0.8 % à la R&D (1.5% et 2.2% pour

la France). Le gouvernement fait preuve de volontarisme

pour développer l’enseignement supérieur, mais n’est pas

en mesure de réguler le développement de ce secteur.

Ainsi, alors qu’une demande continue forte existe, l’ensei-

gnement supérieur privé est en plein boom, et accueille

50% des étudiants indiens. La qualité de ces formations

privées est très disparate, et l’Etat n’est pas en mesure

de la garantir. Un projet de loi visant une évaluation de la

qualité a été proposé en 2010 mais a dû être abandonné.

Cela explique une certaine méfiance de la part des em-

ployeurs, constatée lors de notre visite chez Infosys, qui

considère que tout nouvel employé, quelle que soit sa

formation, et bien que disposant du titre d’ingénieur, doit

suivre une formation interne de 6 mois, afin de disposer

d’une remise à niveau. C’est à cette fin que l’entreprise a

créé l’incroyable campus de Mysore.

Une autre limite : les infrastructures physiques

Nous l’avons constaté tout au long de nos visites à Banga-

lore et Mysore : l’Inde est bien capable de produire le pire

et le meilleur, à un jet de pierre de distance. Les campus

de multinationales indiennes d’un luxe et d’un ordre inouïs

côtoient les bidonvilles. Les embouteillages sont à l’image

de la ville : tentaculaires et imprévisibles.

L’image de capitale mondiale des TIC est mise à mal dès

l’arrivée à l’aéroport : les autoroutes de l’information ne

peuvent pas remplacer les vraies autoroutes ! Les inves-

tissements dans des infrastructures physiques sont indis-

pensables pour permettre à la ville de rester parmi les lea-

ders du marché. Le développement du métro va dans ce

sens, et peut être aura-t-il un effet positif et structurant sur

l’identité de la ville et les habitudes de ses habitants.

Un instrument de comparaison : le classement du Forum économique mondial

Le Forum économique mondial, fondation à but non lucra-

tif connu pour sa réunion annuelle à Davos, établit chaque

année un indice de l’usage et du bénéfice que peut tirer un

pays des TIC. Dans ce classement, en 2010, la première

place revenait à la Suède, les Etats-Unis se trouvant en

5ème place, la France en 3ème et l’Inde 43ème sur 133.

Cela s’explique par le fait que l’Inde reste un pays large-

ment agricole dont la mutation économique et technolo-

gique reste encore cantonnée à une fraction de sa popu-

lation.

- 48 -

Carnet du voyage d’études en Inde, Bangalore et Mysore Cycle national 2012-2013

Conclusion

A la question « Bangalore est-elle la capitale mondiale

des TIC ? » on pourrait répondre, tout empreints d’une

sagesse orientale : « Bombay est-elle la capitale mondiale

du cinéma ? ».

Plus sérieusement, il apparaît que Bangalore a bénéficié

d’un contexte unique en Inde pour que se développe une

industrie des TIC capable de fournir au monde entier des

services à moindre coût. Cette industrie s’est accompa-

gnée d’un réel investissement de l ‘Etat, dont on peut

aujourd’hui se demander s’il n’est pas épuisé. En effet, les

secteurs de la formation et de l’emploi sont aujourd’hui

largement dépendants du secteur privé sans que les pou-

voirs publics ne parviennent à suivre ou à accompagner

leur essor. Le mouvement amorcé est réel et l’innovation

indienne, dans ses différentes composantes, est impor-

tante bien qu’il soit néanmoins parfois difficile d’identifier

une cohérence dans le foisonnement d’initiatives exis-

tantes. Bangalore apparaît dans ce contexte comme une

plateforme mondiale des TIC et comme l’épicentre de l’in-

novation en Inde. Véritable back office des TIC du monde

entier, Bangalore ne semble cependant pas disposer des

capacités d’entrainement et d’innovation pour en être, sur

le long terme, la capitale.

- 49 -

Carnet du voyage d’études en Inde, Bangalore et Mysore Cycle national 2012-2013

10. La coopération scientifique entre la France et l’Inde

Patrick Caron, Michèle Guidetti, Arnaud Roujou de Boubée, Frédéric Saudubray

L’Inde est la 8ème puissance scientifique mondiale 36 et

ambitionne de se classer en 5ème position dès 2020. Elle

a accru ces dernières années ses dépenses de R&D de

20 à 40% par an et le volume de ses publications scien-

tifiques a augmenté de 80% par an au cours des dix

dernières années. Le Plan quinquennal 2012-2017 du

gouvernement indien met l’accent sur le développement

des partenariats public-privé ainsi que sur l’augmentation

des investissements privés en recherche et innovation

(50% envisagés en 2017 contre 30% en 2011). Même si

le nombre de chercheurs est encore faible et que quan-

tité d’entreprises indiennes se soient développées sur la

base d’un reverse brain drain revendiqué, la production

scientifique par chercheur est trois fois plus élevée qu’en

Chine. Par ailleurs, les objectifs affichés par le gouverne-

ment indien en termes de science et de technologie sont

de remplir un « contrat sociétal » prenant en compte le fait

que 65% de la population indienne soit rurale. De ce fait,

les priorités thématiques sont l’agriculture, l’eau, l’énergie,

l’environnement, l’espace, le nucléaire, la santé publique,

les sciences de la vie, les télécommunications – on as-

siste à une forte croissance du nombre d’utilisateurs de

téléphones portables, en 2ème position après la Chine – et

l’innovation, la décennie 2010-2020 ayant été déclarée

« décennie de l’innovation ».

La coopération scientifique avec l’Inde n’est pas nouvelle.

Elle a débuté en 1955 avec la création de l’Institut Français

de Pondichéry, actuellement unité mixte de recherche du

ministère des Affaires étrangères et du centre national de la

recherche scientifique (MAE/CNRS), puis s’est poursuivie

dans les années soixante dans des domaines stratégiques

comme le spatial, les mathématiques, la physique ou la

chimie. Elle s’est depuis amplifiée et diversifiée, en parti-

culier dans le domaine des sciences de la vie et la santé.

Le Centre franco-indien pour la promotion de la recherche

avancée (Cefipra), créé en 1985 par la volonté politique

des deux pays, est monté en puissance, bien que modes-

tement, et finance des projets de recherche et des sémi-

naires. Une autre unité mixte de recherche MAE/CNRS, le

Centre des sciences humaines de Delhi (CSH), a été créée

en 1990. Ce dispositif n’est toutefois pas à la mesure de la

capacité scientifique des deux pays et le partenariat stra-

tégique a été réaffirmé à l’occasion de la visite d’Etat du

Président de la république, Monsieur François Hollande,

en février 2013.

La coopération scientifique franco-indienne : quelques constats

La France est actuellement le 5ème partenaire scientifique

de l’Inde après les Etats-Unis, l’Allemagne, le Royaume-Uni

et le Japon. La coopération scientifique franco-indienne

est à l’image de l’Inde : très contrastée et prometteuse.

Encore faut-il que l’Inde réussisse sa mutation écono-

mique et sociale et que la coopération franco-indienne soit

en mesure de s’adapter. 36 Ou 9ème en fonction du critère retenu

- 50 -

Carnet du voyage d’études en Inde, Bangalore et Mysore Cycle national 2012-2013

Quatre constats peuvent être formulés :

1. Existence d’une coopération structurée sur deux parte-

nariats stratégiques : les domaines concernés (espace,

nucléaire) sont cruciaux pour l’Inde et correspondent à

des domaines d’excellence de la recherche française. La

double nature de la coopération, scientifique et indus-

trielle (ex. lancement du second satellite franco-indien en

2013), constitue également une spécificité.

2. Une coopération fragmentée, peu intensive et sans

réelle continuité : la coopération scientifique reste limitée

dans de nombreux domaines considérés comme priori-

taires par l’Inde tels que l’agriculture, les énergies renou-

velables ou la santé. Il existe bien sûr des collaborations

sous forme de projets de recherche mais, aussi surpre-

nant que cela puisse paraitre étant donné le potentiel de

développement de l’Inde, elles restent peu nombreuses

et sans effet structurant 37.

3. Une coopération asymétrique : la coopération scienti-

fique franco-indienne est fortement tournée vers l’Inde.

Même si l’Inde est mal classée en termes d’Indice de

développement humain, les scientifiques indiens souhai-

teraient que cette coopération soit également tournée

vers l’extérieur et donc vers l’Union européenne et la

France. Ceci est apparu lors de différentes communica-

tions et a clairement été mentionné lors d’une évaluation

de la coopération franco-indienne en sciences humaines

et sociales 38.

4. Une formation quasi inexistante des futurs scientifiques

indiens en France : le nombre de scientifiques indiens

ayant réalisé une partie de leur cursus en France est très

faible. Même si cela peut s’expliquer, au moins partielle-

ment, par la barrière de la langue, ceci constitue un frein

important à la coopération scientifique. Quant à l’accueil

de chercheurs français en Inde, il apparaît encore plus

faible.

Ces quelques constats, et les analyses produites dans le

cadre de la Stratégie nationale de recherche et d’innova-

tion 2012, donnent à penser qu’il existe un intérêt profond

pour les deux partenaires à développer de manière volon-

tariste une coopération plus structurée.

Quel intérêt peut avoir la France à développer une coopé-

ration scientifique avec l’Inde ?

Les intenses mutations de l’Inde et le foisonnement des

initiatives dans les champs scientifiques, mais également

sociaux et politiques, sont de nature à susciter l’intérêt des

institutions françaises et la mise en œuvre d’une politique

de renforcement des coopérations bilatérales. Il existe en

effet de multiples raisons d’être présent en Inde, à com-

mencer par l’émergence de communautés scientifiques

d’excellence, œuvrant dans des conditions sécurisées de

production scientifique.

L’une des motivations principales concerne l’établisse-

ment de partenariats scientifiques dans une perspective

d’innovation et de retombées économiques. Le principe

de symétrie doit alors prévaloir, au bénéfice des deux par-

ties. La question des droits de propriété des résultats de

recherche doit être systématiquement précisée. Elle peut

susciter de la prudence, à l’instar du domaine de la biologie

de synthèse, et même, en cas de désaccord, représenter

un frein à l’établissement de coopérations. Le principe de

non concurrence avec les intérêts français et européens

doit être vérifié.

Par ailleurs, la rapidité et l’intensité des transformations à

l’œuvre font de l’Inde un véritable laboratoire où s’expéri-

mentent et s’observent de multiples innovations. Il en va

ainsi de l’action publique, en réaction à des défaillances de

l’Etat laissant libre cours à l’expression d’actions collec-

tives et d’initiatives de la société civile. Nous avons certai-

nement à apprendre d’analyses conduites ensemble.

L’une des raisons de l’intérêt de partenariats avec les

institutions indiennes concerne le traitement et la résolu-

37 Cette affirmation doit être nuancée : les collaborations dans le domaine des sciences de la vie et de la santé se sont beaucoup développées ces dernières années (AAPs Inserm-ICMR ; nouveaux LIAs). Dans le secteur de l’eau, des efforts de structuration ont été entrepris. En effet, plusieurs entreprises françaises cherchent à développer leurs activités, alors que la gestion de l’eau constitue un des défis majeurs à relever par l’Inde. Il existe deux cellules franco-indiennes : le Centre Franco-Indien de recherche sur les eaux souterraines et le Laboratoire Mixte International Eau et environnement qui accueillent des chercheurs français permanents.38 VIDAL D., WAAST R. & NEMO J (dir.) La coopération franco-indienne en sciences humaines et sociales: évaluation rétrospective (1992-2004), MAE, 2006

- 51 -

Carnet du voyage d’études en Inde, Bangalore et Mysore Cycle national 2012-2013

tion de questions d’expression internationale ou globale

(échanges de matériels biologiques, santé et épidémiolo-

gie, organisation du commerce, thèmes environnemen-

taux comme le changement climatique etc.). Qu’il s’agisse

d’analyse comparative ou de connaissances génériques,

nous nous situons alors dans une dynamique de produc-

tion et de gestion de biens publics mondiaux, mobilisables

en retour dans le cadre de négociations et conventions in-

ternationales. La diplomatie est alors politique, tout autant

que scientifique.

Le partenariat avec les institutions indiennes peut enfin se

justifier par ses retombées envisagées dans les pays les

moins avancés, et en particulier en Afrique, compte tenu

des investissements en cours dans ce continent 39.

Des ambitions renouvelées et des directions identifiées mais des ressources limitées

L’intérêt de renforcer les collaborations scientifiques et

technologiques entre la France et l’Inde a été très nette-

ment exprimé dans les préconisations du rapport d’infor-

mation intitulé La place de la France en Inde déposé par la

Commission des affaires étrangères de l’Assemblée natio-

nale le 18 janvier 2012. En ce qui concerne la diplomatie

scientifique, le rapport recommande notamment :

• de promouvoir une approche intégrée de la coopération

scientifique et technologique des échanges universi-

taires et des relations économiques ;

• de renforcer la dotation du Cefipra qui permet un fort

effet de levier ;

• de veiller au dynamisme des deux Instituts français de

recherche à l’étranger (IFRE) en Inde, l’Institut Français

de Pondichéry et le Centre des recherches en sciences

humaines à Delhi, en leur conférant des moyens décents ;

• de créer un groupe de travail franco-indien sur l’innovation.

A l’occasion de la visite d’Etat de François Hollande en

Inde les 14 et 15 février 2013, la France et l’Inde ont réaf-

firmé l’importance de leur partenariat stratégique autour

du spatial, de la sécurité, de la défense, et de l’énergie,

notamment du nucléaire. Geneviève Fioraso, ministre de

l’Enseignement supérieur et de la Recherche, a présidé à

la signature de 17 accords de coopération couvrant l’en-

semble des champs de recherche, de la santé à l’environ-

nement, en passant par l’alimentation, les nanosciences,

les biotechnologies et le numérique. Plusieurs thèmes

spécifiques ont été identifiés pour lesquels la coopération

scientifique franco-indienne doit être renforcée ou initiée :

les maladies infectieuses, la chimie médicinale, les mala-

dies métaboliques, les neurosciences, les biotechnologies

vertes et blanches, les nanotechnologies, la dynamique de

l’atmosphère et de l’océan, les sciences de l’eau, l’éner-

gie, les STIC et les réseaux, les systèmes de production

durable et le développement de logiciels sûrs et sécurisés.

Des moyens limités, des ciblages nécessaires

Le budget du Cefipra, 3.1 millions d’euros, financé à parité

par les deux gouvernements est bien modeste au regard

des ambitions affichées. En conséquence, et sachant

qu’un certain nombre d’initiatives interinstitutionnelles

existent et se développent sans que ne soit nécessaire un

appui interétatique, les orientations à poursuivre dans un

cadre bilatéral pourraient être les suivantes :

• se concentrer sur les domaines pour lesquels des colla-

borations existent ou sont en cours de développement

et qui font l’objet d’une structuration spécifique, en

particulier les Laboratoires internationaux associés, les

réseaux en cours de structuration et les deux IFRE;

• repérer les thématiques émergentes par une action de

veille conduite par les acteurs ministériels et mobiliser le

Cefipra pour accompagner et structurer ces émergences ;

• symétriquement, faciliter l’accueil de chercheurs indiens

dans des centres de recherche français, qu’ils viennent

conduire des recherches ou identifier de possibles colla-

borations aux niveaux français et européen ; 39 BOILLOT J.J. & DEMBINSKI S. Chindiafrique. Paris, O. Jacob, Paris, 2013

- 52 -

Carnet du voyage d’études en Inde, Bangalore et Mysore Cycle national 2012-2013

• mobiliser les opérateurs de recherche dédiés – Cirad, IRD

et Institut Pasteur – pour faciliter et structurer de nouvelles

initiatives dans les domaines cités précédemment.

La présence de l’Europe, entre complémentarité et compétition interne

La coopération entre l’Union européenne (UE) et l’Inde

remonte à 2001. En 2012, la Déclaration commune en

recherche et innovation cherche à augmenter l’importance

des actions menées et à mettre l’accent sur les défis com-

muns. Aujourd’hui, le sentiment qui domine est toutefois

que les intérêts bilatéraux des Etats membres de l’UE pri-

ment sur les intérêts européens communs.

Les britanniques sont évidemment très présents pour des

raisons historiques et la coopération scientifique est parti-

culièrement dynamique avec l’Allemagne comme l’illustre

l’inauguration à New Delhi en octobre 2012 de la Maison

allemande de la science et de l’innovation 40. La nouvelle

Deutsches Wissenschafts- und Innovationshaus 41 s’inscrit

dans une stratégie internationale de promotion de l’Alle-

magne comme lieu de recherche.

Au regard de cette stratégie très offensive, la présence

de l’Union européenne paraît modeste même si la France

coordonne un projet (INDIA 6SI-HOUSE) qui vise à étu-

dier la faisabilité de créer une structure indo-européenne

sur le modèle du Cefipra. Des actions symboliques sont

conduites. Ainsi, Geneviève Fioraso a-t-elle participé à une

Table ronde indo-européenne sur les partenariats public-

privé dans la recherche et l’innovation. Par ailleurs, le ré-

seau indo-européen ERA-NET New Indigo organise des

appels à projets multilatéraux. Six projets de recherche

en réseau pour un montant global de 16 millions d’euros

ont été ou sont financés par l’UE. Enfin une plateforme

des organismes européens de recherche représentés

en Inde et des entreprises européennes ayant une acti-

vité de recherche en Inde a été lancée en janvier 2013.

Ces initiatives suscitent-elles pour nos partenaires indiens

un plus grand désir de collaborer avec l’Europe ? Avec

les membres de l’Union ? Seul l’avenir nous le dira. Le

programme Horizon 2020, qui devrait offrir davantage de

crédits de fonctionnement dans le cadre d’appels à pro-

jets, devrait permettre d’intensifier les collaborations. En

conséquence, pour la France, le canal indo-européen ne

garantit pas nécessairement une voie complémentaire et

alternative à la modestie des liens bilatéraux.

Conclusion

La coopération scientifique franco-indienne dispose d’une

marge de progrès relativement importante. Mais pour cela,

les efforts entrepris en termes de définition de stratégie et

d’allocation de moyens doivent être intensifiés. Dans le cas

contraire, ne subsisteront que belles intentions, discours

et initiatives fragmentées. Si les intérêts de la France sont

évidents du fait du potentiel de développement de l’Inde, il

conviendrait néanmoins d’analyser de manière plus appro-

fondie les intérêts de cette coopération pour les Indiens ou

plus précisément pour le gouvernement indien. En effet,

les indiens se montrent très ouverts à la coopération scien-

tifique, mais leurs intentions restent à préciser. Quel sens

souhaitent-ils vraiment donner à cette coopération : auto-

nomie, affirmation d’une puissance économique, dévelop-

pement interne, présence internationale ?

Bibliographie

• Service scientifique de l’Ambassade de France en Inde,

Visite d’Etat du président de la République – Dossier de

Madame la Ministre de l’Enseignement Supérieur et de

la Recherche, New Delhi, 14 février 2013

• BOILLOT J.J. & DEMBINSKI S. Chindiafrique. Paris, O.

Jacob, Paris, 2013

• CLARK J. La recherche en Inde et la recherche franco-

indienne, Bangalore, 22 avril 2013

• MAE, Forum sur la coopération scientifique française

avec l’Inde, 2012

• MAEE, Fiche Curie Inde, 2012 http://www.frenchscien-

cetoday.org/images/stories/Documents/curie2012.pdf

• SNRI, La coopération scientifique et technologique fran-

co-indienne : le point de vue français, MESR, 2012

40 Cette Maison est soutenue par les ministères allemands des Affaires étrangères, de l’Enseignement et de la Recherche. Elle réunit des organismes de recherche et de financement de la recherche ainsi que des industries allemandes ayant des activités de R&D41 Centre allemand pour la recherche et l’innovation

Bangalore

clusters

financement

projets

déve

lopp

emen

ten

trepr

ises

techn

ologie

initiatives

innova

tion

réseau

innovation recherche

scie

ntifi

ques

université

Inde

politique

stru

ctur

e

privéacteurs

énergie

Fra

nce

stra

tégi

que

publique

financement

université France

finan

cem

ent

excellence

Mysoreexcellence

pays

Développement

déve

lopp

emen

t

privé

technologies

européenne

pays

technologies

politique

rech

erch

e

changement

Mysore réseauprivé pays

initiatives

entreprises

politique

Alle

mag

ne

transferts

financement

supérieur

excellence

recherche

clusters

aven

ir

politique

avenir

financement

univ

ersi

réseau

initiatives

Bangalore

recherche

Fran

ce

entreprises

alle

mag

ne

développement

supé

rieur

entreprises

scientifiques clusters

structure

politique

développement

Inde

innovation

France

énergie

université

supérieur

tech

nolo

gies

publ

ique

scientifiques

publique

supé

rieur

université

Inde

excellence

pays

recherche

émergence

stratégique

Inde

entreprises

entreprises

recherche

clusters

acteurs

avenir

innovation

projets

acte

urs

innovation

Fran

ce

structure

Supérieur

politique

inno

vatio

n

développement

entreprises

Mysore

clusters

avenir

publique

initiatives

publ

ique

tech

nolo

gies

éner

gie

entr

epri

ses

fina

ncem

ent

déve

lopp

emen

t

rech

erch

e

clusters politique

France

entrepriseseuropéenne réseau

supérieur politique

structure

scientifiques

excellence

Inde

projets

Paysclusters

énergie

technologies

stratégique

privé

recherche

supé

rieu

r

technologies

Banga

loreinitia

tives

innovation

euro

péen

ne

trans

ferts

innov

ation

entreprises

rése

au

tran

sfer

ts

scientifiques

structure

stratégique

fina

ncem

ent

aven

ir

acte

urs

Fran

ce

euro

péen

ne

priv

é

européenne

Initiatives

supérieur

financement

Inde

pays

privé

transferts

excellence

avenir

université

recherche

scientifiques

recherche

Innovation

Mys

ore

université Innovation

Inde

structure financem

ent inno

vati

on

clus

ters

énergie

excellence

structure

transferts réseau financem

ent

stratégique

initi

ativ

es

européenne

IHESTMinistère de l’Enseignement supérieur et de la Recherche 1, rue Descartes - 75231 Paris cedex 05 Tél. : 33 (0)1 55 55 89 67 - Fax : 33 (0)1 55 55 88 32 [email protected] - www.ihest.fr

L’IHEST est un établissement public à caractère administratif, prestataire de formation enregistré sous le n° 11 75 42988 75. Cet enregistrement ne vaut pas agrément de l’État. Siret n° 130 003 825 00010.

Age

nce

LIN

ÉA

L : 0

3 20

41

40 7

6

CarnET du voyagE d’éTudES

En IndE,BangaLorEET MySorE

C y C L E N A T I o N A L 2 0 1 2 - 2 0 1 3

Promotion Léonard de Vinci