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Sous la direction d'Alice Gandin et de Julie Romain Musée de Normandie – Ville de Caen Association des Amis du Musée de Normandie Dentelles quand la mode ne tient qu’à un fil

Catalogue - exposition dentelles

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quand la mode ne tient qu'à un fil

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Sous la direction d'Alice Gandin et de Julie Romain

Musée de Normandie – Ville de Caen Association des Amis du Musée de Normandie

Dentelles quand lamode

ne tient qu’à un f il

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12 / Petite histoire de la dentelleSophie Henwood-Nivet

24 / Dentelles de NormandieAlice Gandin et Julie Romain

42 / Politique et dentelle. Mythes et réalités

Jean-Pierre Lethuillier

54 / Ouvrières. « L’oisiveté coupable et le labeur forcé »Pierre Coftier

66 / Du triomphe au désamour. Les dentelles normandes et la mode du XIXe siècle

Alexandra Bosc

78 / Eugénie impératrice. La politique de la dentelle au Second Empire

Alison McQueen

88 / Gravures de mode et périodiques anciens. Leur rôle pour les dentellesAnnemarie Kleinert

100 / Aux expositions nationales et universelles. Les fabricants de dentelle normands

à l’épreuve de la modernité

Julie Romain

110 / Un nom, une famille. Les Lefébure, industriels et artistes de la dentelle (1829-1932)Alice Gandin

120 / La dentelle moderne. Félix Aubert et la polychrome de Courseulles

Rossella Froissart Pezone

130 / Imitation et réinterprétation du point d’Alençon à Saint-GallUrsula Karbacher

142 / La patrimonialisation de la dentelle. Inscription du point d’Alençon au patrimoine culturel immatériel de l’Unesco

Aude Pessey-Lux et Pierre Schmit

150 / La dentelle, une belle hypocrite ?Catherine Örmen

166 / Répertoire des œuvres et objets exposés

172 / Bibliographie

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Du triomphe au désamour / 67

Sous le Second Empire, le point d’Alençon fait figure de

« reine des dentelles » (F. Aubry, Rapport du XIXe jury à

l’Exposition universelle de 1851). Ce n’est d’ailleurs pas

un hasard si la comtesse de Boves, un des personnages

du Bonheur des dames de Zola, ne peut s’empêcher de

cacher dans sa manche pour le voler un long volant de

cette dentelle. Produit de grand luxe, « l’Alençon véri-

table » constitue une tentation trop forte pour ce person-

nage qui « ne se content[e] pas des petites garnitures à

trois cents francs le mètre, [mais] exig[e] les hauts volants à

mille ». D’ailleurs, comment blâmer cette bourgeoise prise

de « la rage du chiffon » ? En effet, depuis les années 1840,

les dentelles, et en particulier les dentelles à la main, font

partie de la garde-robe des élégantes, au même titre que

les fourrures et les bijoux. La Sylphide n’écrit-elle pas le

10 mai 1860 : « Que la grande dame dépense largement.

À elle, les étoffes splendides, les cachemires, la vraie den-

telle et les vrais diamants. »

La crise de la dentelle

Pourtant, au début du siècle, l’industrie de la dentelle

avait été à Alençon « dans un état voisin de son anéan-

tissement », comme le notifiait au préfet le conseil muni-

cipal en 1809 (rapport du baron Mercier). C’est que la

mode de la dentelle avait décliné en France depuis le

milieu des années 1770. Le goût était alors au naturel et

à la simplicité, et la reine Marie-Antoinette, en dehors

de ses tenues officielles portées à la Cour, favorisait les

robes en mousseline de coton. En 1780, un notable

d’Alençon, Olivier de Saint-Vaast, s’était d’ailleurs plaint

auprès du directeur général des Manufactures, espérant

que l’on engagerait la reine à porter des dentelles à l’ai-

guille au moins une fois par semaine. Mais on n’influe

pas si facilement sur les modes, et la Révolution précipita

la chute des dentelles, associées dans les esprits aux

privilèges de l’ancienne noblesse. Par la suite, la crise

économique et l’isolement de la France au sein des monar-

chies européennes réduisirent drastiquement le nombre

des commandes.

Pour des raisons tant économiques qu’idéologiques

– maintenir le prestige de la France –, Napoléon a mené

une politique de soutien aux industries nationales du

luxe. Ainsi le rétablissement de l’étiquette imposait le

costume de Cour à toute personne qui prenait part à une

réception officielle. Cette politique a profité à la Fabrique

lyonnaise ainsi qu’aux manufactures de dentelles du

territoire français, en particulier alençon, Chantilly, mais

aussi Bruxelles. On a souvent écrit que Napoléon avait

porté lors du sacre une cravate et un col en alençon.

Pourtant, le Livre du sacre comme les comptes impériaux

publiés par Maze-Sencier restent flous sur ce sujet, parlant

pour le premier de « cravate en dentelle » et pour le

second d’une cravate, de manchettes et d’un col « en

point de réseau superfin et à dents de loup ». Or, la

cravate conservée au Musée national du château de

Du triomphe au désamourLes dentelles normandes et la mode du XIXe siècle

Alexandra Bosc, conservateur du patrimoine, responsable du département XIXe siècle, Galliera – musée de la Mode de la Ville de Paris

Robe de mariée et son étole, blonde, vers 1830 Musée de Normandie, Caen. Cat. 59

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« Robe de satin broché garnie en blonde »,Costume parisien (extrait du Journal

des dames et des modes), planche no 1878, 1820 Galliera – musée de la Mode

de la Ville de Paris

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Du triomphe au désamour / 69

Fontainebleau, qui aurait été portée par Napoléon lors

du sacre, s’avère être en application d’Angleterre (c’est-

à-dire du bruxelles), ce qui est probable, puisque la

Belgique faisait alors partie de l’Empire. De plus, le

bruxelles présente l’avantage d’être moins onéreux et

plus rapide à confectionner que l’alençon, ce qui justifiera

également son choix pour les aubes et rochets des clercs

officiants lors du sacre de Charles X à Reims en 1825. De

la même manière, le trousseau de la nouvelle impératrice,

Marie-Louise d’Autriche, comporte de nombreuses pièces

en Angleterre, dont des robes d’ailleurs, mais un seul

châle en alençon.

Pourquoi ce désamour ? D’une part, les robes en mous-

seline de coton étaient ornées de broderies blanches,

réalisées par les lingères, et ne comportaient que rarement

des dentelles, toujours de petites dimensions. D’autre

part, de nouveaux textiles attirent la convoitise des élé-

gantes : à partir de 1786, ce fut la gaze produite en

Angleterre, et surtout depuis 1809 environ, c’est le tulle

mécanique de coton qui concurrence directement les

dentelles françaises. Sa souplesse est appréciée, et il rap-

pelle la dentelle par sa maille hexagonale, tout en étant

beaucoup moins cher que cette dernière. Le Journal des

dames et des modes (25 Fructidor, an XIII) écrit ainsi :

« Quand on porte de la dentelle, il faut qu’elle soit très

haute ; aussi en voit-on fort peu : pareille garniture, avec

la mode actuelle, seroit trop dispendieuse. » Les gravures

de mode témoignent du grand succès des robes de tulle

à cette époque. Ces dernières sont d’ailleurs omni-

présentes dans le trousseau de Marie-Louise, et ce dans

toutes les catégories, des robes les plus simples aux

robes de Cour.

Face à ce raz-de-marée du tulle, seule la blonde, dont

les plus belles sont produites dans la région de Caen,

résiste. En effet, cette dentelle, qui était déjà à la mode

depuis 1760, connaît un regain d’intérêt grâce à sa bril-

lance, particulièrement appréciée. Dans un premier temps,

les tulles ne peuvent réussir à en produire des imitations

satisfaisantes. Dès lors, les blondes garnissent chapeaux

et colifichets (pèlerines, canezous, cols…) qui couvrent

le buste des robes de mousseline ; elles figurent égale-

ment dans le costume de Cour féminin. En effet, on sait

que Joséphine, tout comme les princesses admises à la

cérémonie du sacre, portait « une chérus[qu]e [c’est-à-

dire une collerette] de blonde chenillée » (Maze-Sencier,

1893). La blonde faisait donc partie du costume de Cour, à

titre de garnitures comme pour la chérusque ou les barbes,

mais on la retrouve aussi parfois pour des « habits »

(traîne et robe de Cour), comme dans le trousseau de

Robe de mariée de la princesse d’Essling,satin blanc couvert de blonde, 1815-1830Galliera – musée de la Mode de la Ville de Paris.

Cat. 57

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70 / Dentelles. Quand la mode ne tient qu’à un fil

Marie-Louise qui mentionne « un grand habit de blonde,

chenille et argent, 6,000 fr » (voir cat. 58). La vogue de

la blonde perdurera tout au long des années 1820 et

1830, avec même des imitations faites en gaze, la mode

historicisante du milieu des années 1830 suggérant par

exemple des berthes en blonde pour les « robe[s] à la

Louis XIV » (gravure 54 du Journal des dames et des modes,

30 septembre 1836).

Au début du siècle, les fabricants bruxellois avaient eu

l’intelligence d’intégrer le nouveau tulle mécanique à leur

production, ce dernier remplaçant le réseau drochel dans

« Robe de satin ornée de velours etde blonde noire », Costumes parisiens

(extrait du Journal des dames et des

modes), planche no 3403, 1836Galliera – musée de la Mode

de la Ville de Paris. Cat. 77

les « applications d’Angleterre » ; les dentellières alençon-

naises, en revanche, subissant de plein fouet la concurrence

du nouveau tissu, se résignèrent à changer de métier, pour

devenir de simples brodeuses sur tulle. Pourtant, au milieu

des années 1830, ces robes et colifichets brodés semblent

passer de mode et l’on commence à leur préférer à nouveau

la dentelle de fil. En effet, le Journal des dames et des

modes (20 mars 1836) remarque qu’« on garnit [les pèle-

rines] d’Angleterre ou de valenciennes, à défaut de ces

belles dentelles, on met du tulle brodé […] ».

« Mantelet Lamballe de Mme Ferrière-Penona,Dentelles de Violard », Petit Courrier des

dames, planche no 2209, 5 septembre 1846Galliera – musée de la Mode de la Ville de Paris

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Les dentelles reviennent à la mode

À partir de 1840 environ, sans doute sous l’influence des

modes historicisantes romantiques qui se tournent vers le

XVIIe siècle et, timidement encore, vers le XVIIIe siècle, les den-

telles à l’aiguille, et en particulier l’alençon, reviennent à la

mode. La Sylphide proclame ainsi le 13 juin 1840, à propos

des dentelles de la maison Violard, un marchand-fabricant

normand : « […] les dentelles reviennent plus que jamais

en vogue, jupons, robes, peignoirs, tout se garnit aujourd’hui

en dentelles ». La production de dentelle d’Alençon s’étant

considérablement ralentie pendant les quarante années

précédentes, il n’était pas aisé de se procurer ces dentelles

à nouveau si recherchées. La maison de Mme Ferrières-

Penona, fabricante alençonnaise ayant un magasin à Paris,

se vante ainsi d’avoir l’exclusivité de ces dentelles, puisque

l’on trouve chez elle « des points d’Argentan et d’Alençon,

qu’on demanderait vainement autre part, la maison

Ferrières-Penona en ayant reçu le dépôt, et étant seule en

possession de les livrer à notre admiration et à notre coquet-

terie » (La Sylphide, 3 décembre 1842).

« Deux mises de spectacle ou de bal », Le Conseiller des dames et des demoiselles,

gravure de décembre 1852 Galliera – musée de la Mode

de la Ville de Paris

« Toilettes et Étoffes pour robes de la Mon Gagelin, Dentelles de G. Violard » , Le Moniteur de la mode,

planche no 676, juillet 1862Galliera – musée de la Mode de la Ville de Paris. Cat. 97

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