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SAO PAULO, SAO FRANCISCO DO SUL De notre correspondant . L e Brésil, plus vaste nation catholique au monde avec 140 millions de fidèles, est aussi, de facto, la terre du laïcat par excellence. Ils sont des millions à remplir une mission dans la société. Environ 20 % sont effectivement actifs et intervien- nent de manière soutenue soit à l’intérieur de l’Église, soit dans des mouvements de diverses obé- diences. Une forte présence qui a poussé la Conférence nationale des évêques du Brésil (CNBB) à mettre sur pied le Conseil national des laïcs. À ce titre, cette entité fait partie des organismes officiels de l’Église, et atteste du poids de la société civile auprès de l’épiscopat brésilien. « Sans cette voix des laïcs, l’Église n’aurait pu entrer dans l’ère post- moderne, affirme son président, Carlos Signorelli. Sans les laïcs, l’Église se serait détachée du monde réel et aurait perdu contact avec les défis auxquels doit faire face notre pays, comme la réforme agraire, la lutte contre la pauvreté, le combat contre l’ultralibéralisme, la défense des peuples indigènes. Les laïcs sont une manière d’être l’Église, ils sont indéniablement la raison de sa survie. » Les laïcs brésiliens n’ont pas attendu Vatican II pour « s’engager dans les affaires du monde en les orientant selon la volonté de Dieu ». Dès la fin des années 1950, le Brésil voit se développer des groupements de laïcs comme la Jeunesse étu- diante catholique ou encore la Jeu- nesse ouvrière catholique. De nom- breux prêtres qui officient dans la région pauvre du Nordeste se lient à ces organisations progressistes et épousent leurs revendications de plus grande justice sociale. « Un nouveau modèle d’engage- ment de l’Église brésilienne dans le monde va se fortifier de la fin des années 1950 jusqu’au coup d’État militaire de 1964, explique Wagner Lopes Sanchez, professeur au département de théologie et de sciences de la religion à l’université catholique de Sao Paulo (PUC-SP), et par ailleurs directeur adjoint de la faculté jésuite Sao Luis, dans la même ville. Cet engagement se caractérise alors par une solidarité de l’Église avec les secteurs les plus pauvres de la société. De nombreux prêtres partent vivre dans les favelas à la périphérie des grandes villes, se font visiteurs de prisons, engagent un dialogue avec les ouvriers via des pastorales créées par l’épiscopat, et au sein desquelles les laïcs sont ex- trêmement présents ». Après le coup d’État, de nombreux laïcs entrent dans la lutte politique via la création du groupe « Action populaire », un mouvement catholi- que ouvrier de tendance marxiste- léniniste, caractéristique à l’époque de la radicalisation politique de certains courants laïcs progres- sistes. La création dans le nord du pays des premières communautés ecclésiales de base (CEB), liées aux diocèses dans la lutte contre la pau- vreté et soutenues par Vatican II, donne du poids aux laïcs. L’Église est alors aux avant-postes de la lut- te contre la répression militaire et les injustices sociales. La théologie de la libération prendra plus tard racine sur ce modèle des CEB. Le retour à la démocratie en 1984 s’accompagne d’un repli de l’Église qui commence à déman- teler les CEB les plus vindicatives et à restreindre la prise de parole des laïcs. « L’Église brésilienne s’est à cette époque détachée des questions sociales en limitant le pouvoir d’in- tervention des laïcs, note Wagner Lopes Sanchez. La réaffirmation de l’autorité épiscopale a alors con- sidérablement réduit leur espace de participation. La figure du prêtre est à ce moment-là revalorisée, et les mouvements laïcs tolérés sont avant tout conservateurs et peu enclins à intervenir dans les prises de position de l’Église. » Aujourd’hui, les mouvements laïcs sont à nouveau présents. Certains sont conservateurs comme l’Opus Dei, Toca de Assis, Communion et Libération ou encore le Renouveau charismatique. D’autres sont plus progressistes, comme la Commis- sion pastorale de la terre (très liée au Mouvement des sans-terre, le MST) ou la Commission indigé- niste missionnaire. « Le mouve- ment du Renouveau charismatique est actuellement celui qui connaît la plus forte expansion, précise Jesus Hortal Sanchez, recteur de l’université catholique de Rio de Janeiro (PUC-Rio) et professeur en droit canonique. À l’intérieur même de ce mouvement, très présent dans les grands centres urbains brésiliens, on trouve de nombreux courants de pensée dont certains ont une pré- occupation sociale très grande. Les autres mouvements laïcs plutôt con- servateurs com- me l’Opus Dei ou Communion et Libération ont au final très peu d’emprise hors de la ville de Sao Paulo. » Le laïcat brési- lien est actuel- lement partagé entre d’un côté des courants né- oconservateurs qui valorisent principalement une spiritualité non critique et une reconnaissance de l’autorité de l’Église, et de l’autre côté des progressistes, dont une partie est très liée au Parti des travailleurs du président Lula. « Les premiers n’ont pas de préoccupation poli- tique particulière, note Wagner Lopes Sanchez ; les seconds, large- ment minoritaires, sont très engagés dans le milieu social. Écoutés par l’Église, ils sont parvenus à faire valoir et à maintenir une spiritua- lité en phase avec les défis de la so- ciété brésilienne. » Parallèlement, les communautés ecclésiales de base continuent de fonctionner, même si leur expression politique s’est amenuisée et malgré un nombre de cellules qui n’a guère augmenté depuis les années 1980. Quant aux pastorales, elles restent vivaces via celles de l’enfant, de la femme marginalisée, du peuple de la rue, des prisonniers, des Indiens, et font office de caisse de résonance auprès de l’Église de l’ensemble des blessures de la société brésilienne. STEVE CARPENTIER L’implication croissante des laïcs dans la vie de l’Église catholique a été l’une des plus pro- fondes mutations suscitées par Vatican II. À vrai dire, le mouvement avait commencé bien avant le Concile avec l’émergence de l’Action catholique. Mais il a pris encore plus d’am- pleur et, surtout, il s’est diversifié. Aux caté- gories « sociologiques » de l’Action catholique sont venues s’ajouter toutes les nuances des spiritualités des « nouvelles communautés », en particulier charismatiques, d’autant plus puissantes qu’elles ont souvent une implan- tation internationale. Les laïcs, cependant, n’agissent pas seulement au travers des mou- vements dans l’Église et au nom de l’Église. Ils sont actifs dans leurs paroisses pour assister les prêtres en matière de catéchèse, d’anima- tion liturgique ou d’accompagnement des familles en deuil. Cela ne va pas sans poser des difficultés dans la définition des rôles respectifs. Mais, pour annoncer l’Évangile, cela donne au catholicisme un visage aussi divers que l’humanité. Les laïcs brésiliens nourrissent les prises de parole de l’Eglise Au Brésil, les fidèles catholiques jouent un rôle puissant auprès de l’épiscopat. Ils représentent une courroie de transmission des grands problèmes de société Entraînement de football dans une favela de Rio de Janeiro. Au Brésil, les fidèles sont des millions à remplir une mis- sion dans la société, soit à l’intérieur de l’Église, soit dans des mouvements confessionnels, soit dans des associations. LORENZO MOSCIA/ARCHIVOLATINO/REA C Le Renouveau charismatique se veut l’arme de l’Église catholique brésilienne pour lutter contre l’influence grandissante des temples évangéliques et pentecôtistes. C Créé à la fin des années 1960 aux États- Unis, essaimant par la suite dans toute l’Amérique latine, dont le Brésil, ce mouvement s’organise autour de groupes de prière qui s’appuient principalement sur une lecture littérale de la Bible. Certaines de ses pratiques sont calquées sur les méthodes des milieux évangéliques, comme l’animation de messes conçues comme de véritables « shows ». C Animées par le prêtre chanteur Marcello Rossi, lequel a déjà vendu des millions de disques de ses homélies teintées d’accords de guitare électrique, les messes sont diffusées en direct sur les chaînes de télévision du Renouveau charismatique, les canaux Seculo 21 et Cançao Nova. La liturgie, chorégraphiée afin de provoquer une véritable transe des fidèles, est faite d’incantations contre le démon qui rappelle les rites exorcistes pratiqués par les églises évangéliques. C Porteur d’une vision plus mystique (notamment dans la dévotion à Marie) et moins politisée de la religion, le Renouveau charismatique est en bons termes avec la Confédération nationale des évêques brésiliens. Actuellement, 15 millions de catholiques brésiliens feraient partie de ce mouvement qui, en son temps, reçut des encouragements de la part du pape Jean- Paul II. Ce qui va mieux dans le monde Les laïcs, un nouveau visage d’Église Aujourd’hui, on assiste toutefois à une montée en puissance de mouvements plus mystiques, moins politisés et moins impliqués socialement. T CINQUIÈME SEMAINE : La spiritualité MERCREDI 15 NOVEMBRE 2006 REPÈRES LA POUSSÉE DU RENOUVEAU CHARISMATIQUE CATHOLIQUE AU BRÉSIL

Ce qui va mieux dans le monde

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Au Brésil, les fidèles catholiques jouent un rôle puissant auprès de l’épiscopat. Ils représentent une courroie de transmission des grands problèmes de société spiritualités des « nouvelles communautés », en particulier charismatiques, d’autant plus puissantes qu’elles ont souvent une implan- tation internationale. Les laïcs, cependant, n’agissent pas seulement au travers des mou-

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Page 1: Ce qui va mieux dans le monde

SAO PAULO, SAO FRANCISCO DO SULDe notre correspondant

.Le Brésil, plus vaste nation catholique au monde avec 140 millions de fidèles, est aussi, de facto, la terre du

laïcat par excellence. Ils sont des millions à remplir une mission dans la société. Environ 20 % sont effectivement actifs et intervien-nent de manière soutenue soit à l’intérieur de l’Église, soit dans des mouvements de diverses obé-diences. Une forte présence qui a poussé la Conférence nationale des évêques du Brésil (CNBB) à mettre sur pied le Conseil national des laïcs. À ce titre, cette entité fait partie des organismes officiels de l’Église, et atteste du poids de la société civile auprès de l’épiscopat brésilien.

« Sans cette voix des laïcs, l’Église n’aurait pu entrer dans l’ère post-moderne, affirme son président, Carlos Signorelli. Sans les laïcs, l’Église se serait détachée du monde réel et aurait perdu contact avec les défis auxquels doit faire face notre pays, comme la réforme agraire, la lutte contre la pauvreté, le combat contre l’ultralibéralisme, la défense des peuples indigènes. Les laïcs sont une manière d’être l’Église, ils sont indéniablement la raison de sa survie. »

Les laïcs brésiliens n’ont pas attendu Vatican II pour « s’engager dans les affaires du monde en les orientant selon la volonté de Dieu ». Dès la fin des années 1950, le Brésil voit se développer des groupements de laïcs comme la Jeunesse étu-diante catholique ou encore la Jeu-nesse ouvrière catholique. De nom-breux prêtres qui officient dans la région pauvre du Nordeste se lient à ces organisations progressistes et épousent leurs revendications de plus grande justice sociale.

« Un nouveau modèle d’engage-ment de l’Église brésilienne dans le monde va se fortifier de la fin des années 1950 jusqu’au coup d’État militaire de 1964, explique Wagner Lopes Sanchez, professeur au département de théologie et de sciences de la religion à l’université catholique de Sao Paulo (PUC-SP), et par ailleurs directeur adjoint de la faculté jésuite Sao Luis, dans la même ville. Cet engagement se caractérise alors par une solidarité de l’Église avec les secteurs les plus pauvres de la société. De nombreux prêtres partent vivre dans les favelas à la périphérie des grandes villes, se font visiteurs de prisons, engagent

un dialogue avec les ouvriers via des pastorales créées par l’épiscopat, et au sein desquelles les laïcs sont ex-trêmement présents ».

Après le coup d’État, de nombreux laïcs entrent dans la lutte politique via la création du groupe « Action populaire », un mouvement catholi-que ouvrier de tendance marxiste-léniniste, caractéristique à l’époque de la radicalisation politique de certains courants laïcs progres-sistes. La création dans le nord du pays des premières communautés

ecclésiales de base (CEB), liées aux diocèses dans la lutte contre la pau-vreté et soutenues par Vatican II, donne du poids aux laïcs. L’Église est alors aux avant-postes de la lut-te contre la répression militaire et les injustices sociales. La théologie de la libération prendra plus tard racine sur ce modèle des CEB.

Le retour à la démocratie en 1984 s’accompagne d’un repli de l’Église qui commence à déman-teler les CEB les plus vindicatives et à restreindre la prise de parole

des laïcs. « L’Église brésilienne s’est à cette époque détachée des questions sociales en limitant le pouvoir d’in-tervention des laïcs, note Wagner Lopes Sanchez. La réaffirmation de l’autorité épiscopale a alors con-sidérablement réduit leur espace de participation. La figure du prêtre est à ce moment-là revalorisée, et les mouvements laïcs tolérés sont avant tout conservateurs et peu enclins à intervenir dans les prises de position de l’Église. »

Aujourd’hui, les mouvements laïcs

sont à nouveau présents. Certains sont conservateurs comme l’Opus Dei, Toca de Assis, Communion et Libération ou encore le Renouveau charismatique. D’autres sont plus progressistes, comme la Commis-sion pastorale de la terre (très liée au Mouvement des sans-terre, le MST) ou la Commission indigé-niste missionnaire. « Le mouve-ment du Renouveau charismatique est actuellement celui qui connaît la plus forte expansion, précise Jesus Hortal Sanchez, recteur de l’université catholique de Rio de Janeiro (PUC-Rio) et professeur en droit canonique. À l’intérieur même de ce mouvement, très présent dans les grands centres urbains brésiliens, on trouve de nombreux courants de pensée dont certains ont une pré-occupation sociale très grande. Les autres mouvements laïcs plutôt con-

servateurs com-me l’Opus Dei ou Communion et Libération ont au final très peu d’emprise hors de la ville de Sao Paulo. »

Le laïcat brési-lien est actuel-lement partagé entre d’un côté des courants né-oconservateurs qui valorisent principalement

une spiritualité non critique et une reconnaissance de l’autorité de l’Église, et de l’autre côté des progressistes, dont une partie est très liée au Parti des travailleurs du président Lula. « Les premiers n’ont pas de préoccupation poli-tique particulière, note Wagner Lopes Sanchez ; les seconds, large-ment minoritaires, sont très engagés dans le milieu social. Écoutés par l’Église, ils sont parvenus à faire valoir et à maintenir une spiritua-lité en phase avec les défis de la so-ciété brésilienne. » Parallèlement, les communautés ecclésiales de base continuent de fonctionner, même si leur expression politique s’est amenuisée et malgré un nombre de cellules qui n’a guère augmenté depuis les années 1980. Quant aux pastorales, elles restent vivaces via celles de l’enfant, de la femme marginalisée, du peuple de la rue, des prisonniers, des Indiens, et font office de caisse de résonance auprès de l’Église de l’ensemble des blessures de la société brésilienne.

STEVE CARPENTIER

L’implication croissante des laïcs dans la vie de l’Église catholique a été l’une des plus pro-fondes mutations suscitées par Vatican II. À vrai dire, le mouvement avait commencé bien avant le Concile avec l’émergence de l’Action catholique. Mais il a pris encore plus d’am-pleur et, surtout, il s’est diversifié. Aux caté-gories « sociologiques » de l’Action catholique sont venues s’ajouter toutes les nuances des

spiritualités des « nouvelles communautés », en particulier charismatiques, d’autant plus puissantes qu’elles ont souvent une implan-tation internationale. Les laïcs, cependant, n’agissent pas seulement au travers des mou-

vements dans l’Église et au nom de l’Église. Ils sont actifs dans leurs paroisses pour assister les prêtres en matière de catéchèse, d’anima-tion liturgique ou d’accompagnement des familles en deuil. Cela ne va pas sans poser des difficultés dans la définition des rôles respectifs. Mais, pour annoncer l’Évangile, cela donne au catholicisme un visage aussi divers que l’humanité.

Les laïcs brésiliens nourrissent les prises de parole de l’Eglise

Au Brésil, les fidèles catholiques jouent un rôle puissant auprès de l’épiscopat.Ils représentent une courroie de transmission des grands problèmes de société

Entraînement de football dans une favela de Rio de Janeiro. Au Brésil, les fidèles sont des millions à remplir une mis-sion dans la société, soit à l’intérieur de l’Église, soit dans des mouvements confessionnels, soit dans des associations.

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C Le Renouveau charismatique se veut l’arme de l’Église catholique brésilienne pour lutter contre l’influence grandissante des temples évangéliques et pentecôtistes.C Créé à la fin des années 1960 aux États-Unis, essaimant par la suite dans toute l’Amérique latine, dont le Brésil, ce mouvement s’organise autour de groupes de prière qui s’appuient principalement sur une lecture littérale de la Bible. Certaines de ses pratiques sont calquées sur les méthodes des milieux évangéliques, comme l’animation de messes conçues comme de véritables « shows ».C Animées par le prêtre chanteur Marcello Rossi, lequel a déjà vendu des millions de disques de ses homélies teintées d’accords de guitare

électrique, les messes sont diffusées en direct sur les chaînes de télévision du Renouveau charismatique, les canaux Seculo 21 et Cançao Nova. La liturgie, chorégraphiée afin de provoquer une véritable transe des fidèles, est faite d’incantations contre le démon qui rappelle les rites exorcistes pratiqués par les églises évangéliques.C Porteur d’une vision plus mystique (notamment dans la dévotion à Marie) et moins politisée de la religion, le Renouveau charismatique est en bons termes avec la Confédération nationale des évêques brésiliens.Actuellement, 15 millions de catholiques brésiliens feraient partie de ce mouvement qui, en son temps, reçut des encouragements de la part du pape Jean-Paul II.

Ce qui va mieux dans le monde

Les laïcs, un nouveau visage d’Église

Aujourd’hui, on assiste toutefois à une montée en puissance de mouvements plus mystiques, moins politisés et moins impliqués socialement.

T CINQUIÈME SEMAINE :La spiritualité

MERCREDI 15 NOVEMBRE 2006

REPÈRESLA POUSSÉE DU RENOUVEAU CHARISMATIQUE CATHOLIQUE AU BRÉSIL