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LES CAISSES DE LA FRANCE SONT VIDES… SOUS LA RÉVOLUTION TOULON, 1942 : LA MARINE SE SABORDE ALL 6,90 €/BEL 6,30 €/CAN 9,50 $CAN/DOM 6,50 €/ESP 6,50 €/GR 6,50€/ITA 6,50 €/PORT-CONT 6,50 €/LUX 6,50 €/MAR 58,00 DH/MAY 7,90 €/CH 11 FS/TOM AVION 1550,00 XPF/TOM SURFACE 880 XPF/TUN 6,50 TND FÉVRIER 2011 - N° 770 L’ itinéraire étonnant du père des trois religions du Livre T 05067 - 770 - F: 5,50 E

Celui par qui tout est arrivé

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Il est le patriarche fondateur des trois monothéismes : juifs, chrétiens et musulmans le reconnaissent. Certaines recherches archéologiques permettent désormais de mieux situer ce personnage tutélaire.

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Page 1: Celui par qui tout est arrivé

LES CAISSES DE LA FRANCE SONT VIDES… SOUS LA RÉVOLUTION

TOULON, 1942 :LA MARINE SE SABORDE

ALL 6,90 €/BEL 6,30 €/CAN 9,50 $CAN/DOM 6,50 €/ESP 6,50 €/GR 6,50€/ITA 6,50 €/PORT-CONT 6,50 €/LUX 6,50 €/MAR 58,00 DH/MAY 7,90 €/CH 11 FS/TOM AVION 1550,00 XPF/TOM SURFACE 880 XPF/TUN 6,50 TND

FÉVRIER 2011 - N° 770

L’itinéraire étonnant du père des trois religions du Livre

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Professeur émérite de droit et de sciences politiques à Aix- en-Provence. Auteur d’ouvrages de référence, il prépare Totem et Thora (Hermann) à paraître en 2011.

Écrivain, essayiste, spécialisé en sciences des religions à l’École pratique des hautes études, il a signé La Circoncision. Enquête sur un rite fondateur (In Folio, 2009).

Docteur en civilisation anglo-américaine et théologienne. Elle a publié Les Tudors (Flammarion, 2010) et prépare un essai sur le puritanisme pour les éditions Olivétan.

Professeur de Bible hébraïque à l’Université de Lausanne et au Collège de France. Auteur des Cornes de Moïse. Faire entrer la Bible dans l’Histoire (Coll. de France/Fayard, 2009).

Février 2011

Les personnalités s’engagentNous poursuivons la publication des contributions des

historiens qui ont rejoint notre combat. Voici celles de

Richard Lebeau, Jean Sévillia, Franz-Olivier Giesbert,

Éric Roussel et Frédéric Guelton.

Abraham, le père des trois religionsJuifs, chrétiens, musulmans le reconnaissent comme

fondateur des religions du Livre. Les recherches archéo-

logiques permettent de situer le personnage.

Un musée contre le vandalismeEn 1794, Alexandre Lenoir sauve des trésors du patri-

moine de la vindicte des sans-culottes.

52 Révolution : le ministre de la failliteSous le Directoire, Ramel-Nogaret doit restaurer les fi-

nances publiques dans le rouge. Ses tours de passe-passe

ne vont pas lui attirer que des amitiés.

56 Béhanzin et ses amazones défient la FranceAu XIXe siècle, le dernier roi du Dahomey et ses guerriè-

res tiennent le corps expéditionnaire français en échec.

58 La flotte française se suicide à ToulonLe 27 novembre 1942, pour que leurs navires ne tombent

pas entre les mains des Allemands, les officiers de la

Royale sabordent la quasi-totalité de leurs bâtiments.

Saumur, l’Angevine que tous courtisentDes comtes de la région aux, rois de France et d’Angleter-

re, sans oublier les protestants, tous veulent conquérir

cette paisible cité des bords de Loire.

Des expositions, des DVD, du cinéma, du théâtre.

Henri Testelin, un peintre très académique

Adèle, généreuse avec les Templiers

Les Templiers sont morts excommuniés

Guillaume

Pathé

Le sens de l’Histoire

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Spécial ville : Saumur, p. 62L’Angevine que tous courtisent

Dossier : Abraham, p. 19Le père des trois religions

Résistant à 15 ans, il suit une carrière militaire puis entre dans de grands groupes industriels. Il vient de faire paraître Le Suicide de la flotte française (Pygmalion, 2010).

Écrivain, il a publié, aux éditions L’Harmattan, deux romans historiques : Les Folles de la plaza de Mayo (2007) et Hypathia, arpenteur d’absolu (2005).

Directeur délégué du magazine économique Challenges, il est coauteur de Ces 200 familles qui possèdent la France (Hachette Documents, 2004).

Professeur honoraire à l’Université de Lausanne, spécialiste des origines du christianisme. Dernier livre : Qui a fondé le christianisme ? (Bayard/Labor et Fides, 2010).

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S’il est une ville dont la réputation est à jamais entachée, c’est bien Sodome ! Aujourd’hui encore, son nom reste attaché à une pratique que la morale a souvent sévèrement réprouvée et qui est encore punie de mort dans certains pays. Le récit de la destruction de deux cités proches de la mer Morte, Sodome et Gomorrhe, figure dans la

Genèse. On y apprend que le péché – lequel n’est pas précisé, sinon qu’il est vraiment très grave – y règne, et que Dieu descend le constater en vue de le punir. Le constat est amer et les deux villes doivent être anéanties. Abraham, connaissant Ses desseins, s’émeut d’une telle destruction annoncée et intercède auprès de

Dieu afin qu’il épargne les cités, ne serait-ce que pour préserver la vie des justes qui peuvent s’y trouver. Peine perdue : Dieu fait pleuvoir un déluge de soufre et de feu. D’aucuns ont cherché à localiser les cités détruites, hésitant entre les rives nord et sud de la mer Morte. Un indice est peut-être donné par le nom arabe du djebel

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Karkemish Harran

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BersabéeAvaris

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Itinéraire d’Abraham

Zones de parcours dessemi-nomades moutonniers

100 km Échelle horizontale

Pays et frontières actuels

Royaumes à leur apogéePays de CanaanÉGYPTE SINAÏ

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Le périple

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Usdum, une colline de sel sur la rive sud-ouest. De toute façon, détruites de fond en comble et recouvertes de sel, il ne subsiste des deux cités nulle trace, nul vestige. Certains ont cependant été tentés d’en retrouver. L’historien juif contemporain de Jésus, Flavius Josèphe, précise que « dans son voisinage est la région

de Sodome, territoire jadis prospère grâce à ses productions et à la richesse de ses villes, maintenant tout entier desséché par le feu. On dit, en effet, que l’impiété des habitants attira sur eux la foudre qui l’embrasa ; il subsiste encore des traces du feu divin, et l’on peut voir les vestiges presque effacés de

cinq villes ». Josèphe ajoute qu’on trouve là « des fruits remplis d’une cendre renaissante, revêtus d’une couleur semblable à celle des fruits comestibles, et qui, dès qu’on y porte la main pour les cueillir, se dissolvent en vapeur et en cendre ». C’est le fruit du fameux pommier de Sodome. Jacques-Noël Pérès

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LagashNippur

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d’Abraham

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Longtemps, j’ai vu Abraham le Patriarche sous les traits de mon grand-père. Lui aussi s’appelait Abraham et travaillait avant la guerre comme

imprimeur à Varsovie pour un journal yiddish. Juif religieux, longue barbe, papillotes, et une kippa noire sur la tête, il m’apporta pour mon quatrième anniversaire un petit livre, Les Contes bibliques pour enfants, que j’ai dévoré. En arrivant à Paris, je découvris au Louvre des statuettes sumériennes de l’époque abrahamique. Elles ressemblaient, telles deux olives, aux juifs de mon enfance : tout comme eux, ces hommes de Sumer portaient la barbe et les papillotes. Abraham était le fils d’un fabricant d’idoles dans la banlieue d’Ur. Il regardait son père modeler la terre glaise, la couvrir de couleurs, la faire cuire au four. Puis il le vit négocier les figurines avec les acheteurs venus de la ville. Parfois, les clients demandaient des conseils aux fabricants d’idoles : quel serait le dieu le plus efficace pour guérir un enfant terrassé par la fièvre ou sauver un champ de blé attaqué par des sauterelles ? Parfois le visiteur n’avait pas assez d’argent pour payer le prix de l’idole et s’en allait bredouille. C’est injuste, pensait Abraham. Il se mit à rêver un Dieu qui serait le même pour tous, accessible à tous, un Dieu qu’on ne pourrait ni représenter, ni fabriquer, ni vendre, ni acheter. Il fallait donc que ce Dieu fût invisible, donc abstrait. Cela lui vint telle une évidence. Mais comment l’exprimer ? À cette époque eut lieu une révolution qui changea la condition de l’homme et fonda la civilisation : l’invention de l’écriture cunéiforme, premier alphabet abstrait sans lequel l’Histoire ne connaîtrait pas le monothéisme. L’invention de l’écriture et celle d’un

Dieu unique vont de pair. Obéissant à l’ordre du Dieu-Un, Abraham avec les siens prend la route du pays de Canaan. Ils atteignent les portes de Salem, aujourd’hui Jérusalem. Le roi Melchisédech vient à leur rencontre avec du pain et du vin. Il bénit Abraham au nom du Dieu très haut. D’où le roi connaît-il ce Dieu-Un, lui qui vient à peine de rencontrer l’homme qui l’a pensé pour la première fois ? Avec ces tablettes de terre cuite gravées que des messagers transportent dans toute la région, les nouvelles circulent vite. De nombreuses peuplades habitent le pays de Canaan. Contrairement aux mœurs violentes de l’époque, Abraham ne tente pas de les chasser pour prendre leur place. Il s’arrête dans la vallée de Mamré, près de Hébron, et négocie avec le Hittite Ephrôn l’acquisition d’un terrain et d’une grotte qui deviendra le caveau familial, le tombeau des Patriarches. Plus tard dans le Néguev, territoire alors fertile et peuplé, il signe un pacte de non-agression avec le Philistin Abimelech. Il introduit dans l’histoire humaine non seulement l’idée de la justice mais aussi celle de l’égalité en proclamant que face au Dieu-Un nous sommes tous les mêmes, tous à son image, et enfin, en signant un pacte avec Lui, grâce à la circoncision. Aussi, contrairement à ce que pensent les musulmans qui considèrent Ibrahim comme le premier muslim, « soumis », Abraham est croyant mais nullement soumis. Le Dieu-Un est là pour rappeler à Ses créatures les valeurs auxquelles ils ont souscrit, mais c’est à l’homme, Son associé, de les Lui rappeler de temps en temps. C’est pourquoi Abraham reste si moderne. Écrivain, auteur de La Mémoire d’Abraham (Robert Laffont,

1983) et Histoires du peuple juif (Arthaud, 2010).

Marek Halter« Contrairement à ce que pensent les musulmans, qui considèrent Ibrahim comme le premier muslim, Abraham n’est nullement soumis. »

Peut-il être symbole Si les trois religions du Livre s’accordent sur l’essentiel,

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Le personnage d’Abraham est complexe et paradoxal. Abraham n’arrive pas à être le géniteur de sa descendance. Sarah est stérile et ne peut

lui donner le fils tant attendu. Or, sa vocation n’est pas d’être le père d’une progéniture unique, la sienne, mais précisément celle d’être le Père des Nations selon l’une des étymologies attestées de son nom. C’est avec l’une de ses servantes, d’origine noire, dit-on, ou du moins égyptienne, dont le nom est Agar (Hajar en arabe), qu’il a son premier enfant qui porte le nom d’Ismaël (Ishmaïl pour les juifs), le fils d’une femme asservie et non point libre. Le voilà père d’une descendance à moitié illégitime, à partir d’une souche impure, tout en demeurant inapte à féconder Sarah, la femme libre qui, elle, jouit pleinement d’un statut d’épouse légitime. Jusqu’au jour où Sarah tombe enceinte et met au monde Isaac (Ishâq pour les Arabes). Père de deux garçons nés de deux femmes différentes, jouissant de deux statuts différents dès lors qu’elles relèvent de deux couches sociales différentes, voilà bien le destin complexe d’Abraham et de ses fils, premiers monothéistes de l’Histoire.La joie d’Abraham est de courte durée. Lorsque Sarah devient mère, elle ne peut plus supporter sous son toit la présence d’Agar et de son fils Ismaël. Elle décide de s’en séparer, ouvrant ainsi la voie à une filiation unique. La branche d’Ismaël se trouve éloignée de la maison du Patriarche. On ne sait pas grand-chose sur l’état d’âme d’Abraham à ce moment précis de sa longue vie. Mais selon la tradition arabe, puis musulmane, Abraham et Ismaël se dirigent vers le sud, quittant ainsi (momentanément ?) la terre de Canaan, en Palestine. Dans la tradition de l’islam, Abraham, appelé Ibrahim

al-Khalil, « l’Ami de Dieu », aurait construit de ses propres mains un oratoire qui serait l’ancêtre de la Kaaba d’aujourd’hui. Il s’agit d’un lieu ouvert à l’appel de la prophétie et purifié comme tel, un épisode que le Coran relate dans la deuxième sourate, dite Al-Baqara (versets 125-127). Le Coran l’atteste de nouveau en rappelant qu’« Abraham n’est ni juif ni chrétien », mais « un croyant sincère, monothéiste, soumis à Dieu ». L’islam va plus loin : étant donné qu’Abraham est le hanif, celui qui a l’intuition du monothéisme avant même l’instauration de celui-ci, ainsi que la prescience de la volonté de Dieu, il a préparé l’arrivée d’un Messager de Dieu qui adorera Allah. Il fut un temps où les musulmans établissaient des généalogies précises faisant remonter le clan des Hachim, celui du prophète Mohammed, directement à Abraham. On voit bien que cette figure de réconciliation – si réconciliation il y a – a toujours fonctionné à partir de son double : d’un côté, juif et chrétien, biblique tout au moins, un Abraham qui prêche l’universalité du Dieu-Un et qui s’engage dans un dialogue avec Lui ; de l’autre un Abraham musulman, coranique précisément, puisqu’il est cité plus de cent fois dans le texte sacré, mais dont la caractéristique est surtout d’être un père aimant sa progéniture, un Patriarche bâtisseur qui vénère le Créateur en lui vouant un culte sincère. De tout cela, Abraham dégage une bonté particulière qu’il rend à sa communauté et se dit entièrement soumis à Dieu au point de se déclarer prêt à lui immoler son fils chéri (Ismaël pour les musulmans, Isaac pour les juifs). L’imposition de la circoncision comme un signe d’alliance avec Yahvé montre que le symbole n’est pas figé ou désuet. Auteur de la Nouvelle Traduction du Coran (Fayard, 2009).

Malek Chebel« Le Coran l’atteste en rappelant qu’Abraham n’est ni juif ni chrétien, mais un croyant sincère, monothéiste, soumis à Dieu. »

de réconciliation?elles divergent sur le fait que le Patriarche soit ou non « soumis ».

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par Élisabeth Couturier

Jusqu’au 27 février, l’exposition Sciences et Curiosités à la cour de Versailles, qui se tient au château, offre l’occasion de découvrir cet artiste. Et cette toile célébrant Louis XIV entouré des savants du temps.

Henri Testelin Un peintre très académique

Henri Testelin ne figure peut-être pas sur la liste des génies de l’histoire de l’art mais il joue un rôle déterminant dans l’image qu’il donne de Louis XIV en tant que protecteur des arts et des sciences grâce à son tableau, réalisé en 1667, intitulé Présentation des membres de l’Aca-démie des sciences par Colbert à Louis XIV. Ancien élève de Vouet, frère du peintre Louis Testelin, proche de Le Brun, cet artiste est, en 1648, un des membres fondateurs de l’Aca-démie royale de peinture et de sculpture, dont il assure les charges de professeur et de secrétaire jusqu’en 1681. Protestant, il devra s’exiler aux Pays-Bas et vivra à La Haye jusqu’à sa mort en 1695.

Parfait produit de son époque, Henri Testelin appli-que à la lettre les règles esthétiques que, sous l’influence de Le Brun, il a lui-même contribué à édifier. De lui il nous res-te, en particulier, cette célèbre toile sur laquelle figurent, autour du Roi Soleil, les savants de l’Académie des sciences, tout juste créée un an auparavant. Le contrat passé entre les scientifiques et l’institution est clair : en contrepartie de leur sécurité financière, ces brillants cerveaux peuvent poursuivre leurs travaux personnels ; mais leur mission première est de mettre leurs connaissances au service du royaume. L’Académie devient, en quelque sorte, l’instru-ment de la science officielle. Et les domaines privilégiés répondent, bien évidemment, aux objectifs du pouvoir. Sont mis en avant l’astronomie au service de la navigation, la géométrie et la chimie pour l’artillerie, la géodésie et la cartographie à des fins cadastrales, fiscales et coloniales, la médecine et l’apothicairerie pour la santé, la botanique et l’agronomie pour lutter contre les famines ou encore la physique pour les innovations techniques. Or, dès 1666, l’édification du château de Versailles va s’avérer un extra-ordinaire terrain d’expérimentations donnant l’occasion

à ces sommités de se surpasser. Ce pharaonique chantier sera un véritable laboratoire à ciel ouvert. Par exemple, pour acheminer les eaux du Grand Bassin, il faut aller les chercher si loin que de nouveaux instruments et des calculs prenant en compte la rotondité de la terre sont mis au point par une équipe d’académiciens autour de l’astronome l’abbé Jean Picard. Tout un ensemble de pompes, d’aqueducs, de réservoirs et d’étangs artificiels est alors créé avec, pour point d’orgue, la fameuse machine de Marly.

La Ménagerie fournit aux savants les cadavres de ses animaux. Claude Perrault et Joseph-Guichard Du Verney pratiquent, parfois, des dissections en présence du roi, comme celle, en janvier 1681, de l’éléphant du Congo offert par le roi de Portugal ! Dans cette même ménagerie, sous Louis XV, puis sous Louis XVI sera testée l’acclima-tation de races étrangères d’animaux domestiques. Créé pour fournir la table royale, le jardin fruitier et potager sera aussi un lieu d’expérimentations sous La Quintinie. Y seront construites les premières serres chaudes à doubles vitrages, abritant la plus grande collection d’Europe de plantes, avec quatre mille variétés. Autres sujets de re-cherches, la médecine et la pharmacopée, dont les avancées intéressaient, en priorité, les souverains et leurs familles. L’intérieur ou l’extérieur du château seront le théâtre d’ex-périences mémorables, telle a présentation à Louis XIV, en 1669, par François Villette, artificier du roi, de son miroir ardent, ancêtre des fours solaires. Ou, le 13 juin 1746, lorsque l’abbé Nollet forme, dans la galerie des Glaces, une chaîne humaine de cent quarante personnes partageant l’expé-rience de la secousse électrique, ou encore le 19 septembre 1783, quand les frères Montgolfier lâchent le premier ballon à air chaud au-dessus du parc. Frivole la Cour ? Pas tant que cela. Comme en témoigne Henri Testelin.

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Louis XIV. Le roi, assis, écoute

Colbert lui présenter les personnalités composant l’assemblée. Cette toile qui célèbre la fondation de l’Académie en 1666 et la création en 1667 de l’Observatoire (que l’on voit en arrière-plan), est une représentation imaginaire : l’unique venue du souverain à l’Aca dé mie eut lieu le 5 décembre 1681. En fait, en début d’année, les académiciens tenaient une séance publique et se rendaient à Versailles pour y présenter leurs publications. Les réunions entre membres se tenaient à la bibliothèque du Roi, rue Vivienne, à Paris.

Les proches du roi. Derrière

le souverain, sur sa gauche se trouvent son frère, et, à côté, le Dauphin. À sa droite, on a pu reconnaître le duc de Rochechouart, premier gentilhomme de la chambre, juste derrière Jean-Baptiste Colbert, contrôleur des Finances et surintendant des Bâtiments du roi, ici en train de présenter les académiciens au souverain. En robe bleue, l’abbé Jean-Baptiste Du Hamel, secrétaire de l’Académie, philosophe, théologien, anatomiste et aumônier royal.

Les académiciens. Parmi les scientifi-

ques qui ont pu être identifiés : de droite à gauche, Charles Perrault, premier commis des Bâtiments du roi ; Pierre de Carcavi, mathématicien, géomè-tre, bibliothé caire du roi ; Christiaan Huygens, mathématicien, physicien et astronome néerlandais.

Les globes, les sphères,

les squelettes. Tous ces éléments symbolisent les sciences. En bas, a gauche, le globe terrestre et, à droite, le globe céleste. Suspendue au plafond, la sphère armillaire (du latin armilla, bracelet, cercle), reproduit le mouvement apparent des étoiles autour de la Terre et du Soleil. Sur l’estrade, les squelettes d’animaux font allusion aux dissections pratiquées à Versailles.

L’immense carte déployée. Elle

représente le tracé du canal du Midi, conçu et créé à partir de 1662 par Paul Riquet, fermier de la gabelle et intendant des armées de Louis XIV. Une carte de la Lune, probablement due à l’astronome Jean Dominique Cassini, et une petite balance de précision sont posées sur la table.

. Henri Testelin, 1667, huile sur toile.

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Portrait d’un(e) inconnu(e) célèbre dont la postérité a retenu le nom…sans vraiment savoir de qui il s’agissait ! Ce mois-ci :

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Après avoir laissé l’industrie phonographique à l’un de ses frères, Charles se lance dans le cinéma. Et y fait fortune en quelques années…

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Charles Pathé est né en 1863 en Sei-ne - et-Mar ne, de parents alsaciens. En 1899, il part en Amérique du Sud pour y faire fortu-

ne. Deux ans plus tard, il est de retour, toujours aussi pauvre. Fasciné par le phonographe Edison, il en acquiert un qu’il trimballe de foire en foire avant d’ouvrir boutique puis d’enre-gistrer lui-même des cylindres. En 1896, les quatre frères Pathé fondent une société de vente de gramophones : Pathé Frères. Deux abandonnent ra-pidement. Restent Charles et Émile qui vont se partager deux branches. À Émile, la vente et, très vite, la fa-brication de phonographes. Sur les premiers d’entre eux, un coq rutilant à la queue bleu blanc rouge déclare à un coq beaucoup plus petit que lui : « J’ai toujours CHANTÉ CLAIR, car je suis le coq PATHÉ ». Le logo est né.

À Charles échoit ce qui pour-rait paraître au départ la plus mau-vaise part : la vente et la fabrication de projecteurs d’un cinéma encore balbutiant – surtout après que l’un d’eux, tentant de gagner un public plus huppé que celui des foires et des cafés-concerts, eut causé en 1897 l’incendie du Bazar de la Charité. En décembre de cette même année, la société Pathé Frères n’en devient pas moins la Com-pagnie générale de cinématographes, phonographes et pellicules. Dès le dé-but des années 1900, Charles devient un redoutable chef d’entreprise. Il améliore la qualité de ses appareils de projection mais aussi, à l’exemple de

son grand concurrent Léon Gaumont, pratique la « concentration horizonta-le » : fabrication des appareils de tour-nage et de projection, des pellicules, construction de studios, production et distribution de films.

Le Pathé Journal est créé en 1908 tandis qu’une grande salle, l’Om-nia Pathé, ouvre boulevard Montmar-tre. Alors que le coût de réalisation des films monte en f lèche, Pathé a une idée qui va lui rapporter gros : « Une des idées les plus fécondes qui me soient jamais venues, dira-t-il, fut de renoncer à la vente des films pour la remplacer par la location. » Sans cesse, il s’emploie à diminuer les coûts. Au début des années 1900, il fait rapatrier les copies usagées pour grat-ter les images et « remettre à neuf » les pellicules – c’est hélas toute une partie de l’histoire du cinéma qui va dispa-raître ainsi.

Avec un chiffre d’affaires qui passe de 7 millions de francs en 1904 à 58 millions en 1912, Pathé devient un trust mondial qui développe ses suc-cursales à travers l’Europe et les États-Unis. Sa production de films bondit de 70 en 1901 à 500 en 1903, avec une qualité technique qui l’emporte sur celle des Lumière, Méliès, Gaumont. Charles Pathé découvre en 1905 Max Linder, le père du burlesque, qu’on prend souvent à tort pour un acteur américain. Il a su aussi s’adjoindre les services de Ferdinand Zecca, acteur, scénariste, réalisateur, producteur. Le premier film sonorisé pour Pathé (Le Muet mélomane, 1899), c’est lui. À partir de 1900, Zecca devient le direc-teur artistique de Pathé. Il réalise une

centaine de films dont en 1902 le pre-mier long métrage (muet) de l’histoire du cinéma : Quo Vadis.

Le cinéma français (Pathé, Gaumont) régnait sur le marché mon-dial quand survient la Grande Guer-re. Les États-Unis en profitent pour relever la tête – et ceci d’autant plus facilement que le nombre de salles y est infiniment supérieur. C’est aussi une question de puissance financière : le coût d’un film est passé de 1 000 à… 1 million de francs ! Techniquement, le cinéma américain réussit mieux aussi le passage au parlant. Dès les années 1920, 80 % des films projetés en France sont américains.

Certes, Pathé continue à inno-ver. À partir de 1926, la société partage le monopole des pellicules vierges avec Kodak (mais Kodak est améri-cain). En 1930, Charles Pathé se re-tire des affaires tandis que Pathé tout court continue. Charles Pathé décède le 15 décembre 1957, à Monte-Carlo. Claude Quétel, historien, ancien directeur de recherches au CNRS