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 Bulletin du centre d’études médiévales d’Auxerre | BUCEMA Hors-série n°7 (2013) Les nouveaux horizons de l'ecclésiologie : du discours clérical à la science du social ................. ................. ................. ................ ................. ................ .................. ................. .................. ................. ................. ................ ................. ................ .................. ................. ......... Victoria Casamiquela Gerhold Hétérodoxie théologique, orthodoxie ecclésiologique. Les procès d’hérésie à Byzance et la définition de l’ecclésiologie comnénienne ................. ................. ................. ................ ................. ................ .................. ................. .................. ................. ................. ................ ................. ................ .................. ................. ......... Avertissement Le contenu de ce site relève de la législation française sur la propriété intellectuelle et est la propriété exclusive de l'éditeur. Les œuvres figurant sur ce site peuvent être consultées et reproduites sur un support papier ou numérique sous réserve qu'elles soient strictement réservées à un usage soit personnel, soit scientifique ou pédagogique excluant toute exploitation commerciale. La reproduction devra obligatoirement mentionner l'éditeur, le nom de la revue, l'auteur et la référence du document.  T oute autre reproduction est interdite sau f accord préalable de l'éditeur, en d ehors des cas prévus par la législation en vigueur en France. Revues.org est un portail de revues en sciences humaines et sociales développé par le Cléo, Centre pour l'édition électronique ouverte (CNRS, EHESS, UP, UAPV). ................. ................. ................. ................ ................. ................ .................. ................. .................. ................. ................. ................ ................. ................ .................. ................. ......... Référence électronique Victoria Casamiquela Gerhold, « Hétérodoxie théologique, orthodoxie ecclésiologique. Les procès d’hérésie à Byzance et la définition de l’ecclésiologie comnénienne »,Bulletin du centre d’études médiévales d’Auxerre | BUCEMA [En ligne], Hors-série n°7 | 2013, mis en ligne le 26 mars 2013, consulté le 19 juin 2015. URL : http:// cem.revues.org/12821 ; DOI : 10.4000/cem.12821 Éditeur : Centre d'études médiévales Saint-Germain d'Auxerre http://cem.revues.org http://www.revues.org Document accessible en ligne sur : http://cem.revues.org/12821 Document généré automatiquement le 19 juin 2015. La pagination ne correspond pas à la pagination de l'édition papier. © Tous droits réservés

Cem 12821 Hors Serie n 7 Heterodoxie Theologique Orthodoxie Ecclesiologique Les Proces d Heresie a Byzance Et La Definition de l Ecclesiologie Comnenienne

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  • Bulletin du centre dtudesmdivales dAuxerre |BUCEMAHors-srie n7 (2013)Les nouveaux horizons de l'ecclsiologie : du discours clrical la science du social

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    Victoria Casamiquela Gerhold

    Htrodoxie thologique, orthodoxieecclsiologique. Les procs dhrsie Byzance et la dfinition delecclsiologie comnnienne................................................................................................................................................................................................................................................................................................

    AvertissementLe contenu de ce site relve de la lgislation franaise sur la proprit intellectuelle et est la proprit exclusive del'diteur.Les uvres figurant sur ce site peuvent tre consultes et reproduites sur un support papier ou numrique sousrserve qu'elles soient strictement rserves un usage soit personnel, soit scientifique ou pdagogique excluanttoute exploitation commerciale. La reproduction devra obligatoirement mentionner l'diteur, le nom de la revue,l'auteur et la rfrence du document.Toute autre reproduction est interdite sauf accord pralable de l'diteur, en dehors des cas prvus par la lgislationen vigueur en France.

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    Rfrence lectroniqueVictoria Casamiquela Gerhold, Htrodoxie thologique, orthodoxie ecclsiologique. Les procs dhrsie Byzance et la dfinition de lecclsiologie comnnienne, Bulletin du centre dtudes mdivales dAuxerre |BUCEMA [En ligne], Hors-srie n7|2013, mis en ligne le 26 mars 2013, consult le 19 juin 2015. URL: http://cem.revues.org/12821; DOI: 10.4000/cem.12821

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    Victoria Casamiquela Gerhold

    Htrodoxie thologique, orthodoxieecclsiologique. Les procs dhrsie Byzance et la dfinition de lecclsiologiecomnnienne

    1 La succession de procs dhrsie dvelopps Constantinople entre la fin du XIesicle et ledbut du XIIesicle constitue un pisode trs significatif de lhistoire politique de lEmpiredOrient. Tout particulirement si lon considre, comme R.Browning et D.Smythe lontfait1, que cette perscution sinitia de manire soudaine aprs une longue priode de relativequitude en matire doctrinale quitude prvalant au moins depuis le patriarcat de Photios,et quelle concida avec la rorganisation ecclsiastique impulse sous le rgne dAlexisComnne.

    2 Nul besoin de sattarder sur les dtails des procs, dj bien connus, et dont il suffit de rappelerici les traits principaux. Dj, vers les annes 1070, certains postulats appartenant Jean Italosavaient t dnoncs comme hrtiques et condamns comme tant contraires aux Saintescritures, mais le nom du philosophe navait pas t mentionn en relation aux doctrinesproscrites, et le cas neut pas de consquences significatives. Une seconde accusation, audbut de 1082, se rvla cependant plus dangereuse. Le sbastokratr Isaac Comnne, chargdu dveloppement du cas, dcida quun comit ecclsiastique examint les enseignementssuspects du philosophe, et le Synode analysa en deux runions les articles condamns en1076-1077, ainsi que la profession de foi prsente par Italos pour cette occasion. Le procsne continua pas, pourtant, sous juridiction ecclsiastique, parce que le patriarche EustathiosGaridas tait suspect davoir plac le philosophe sous une surveillance protectrice, et le casfut donc transfr une nouvelle commission, intgre par des membres du clerg ainsi quedu Snat, et prside par lempereur lui-mme. Deux mois aprs le dbut des requtes, lacommission dcida danathmatiser les erreurs dItalos et de le renvoyer dans un monastre.Le verdict affirmait que le condamn tait victime de fautes doctrinales ainsi que dfenseurde doctrines hellniques2.

    3 Une anne plus tard, en 1083, lintrt dAlexis se centra sur les Pauliciens tablis dans lesBalkans. Il conut alors une russe pour les faire prisonniers, dans le but de convertir et baptiserceux qui le dsiraient, ainsi que didentifier et exiler leurs matres religieux. Une entreprisesans doute moins heureuse quAnne Comnne veut le faire croire, parce que lempereur dutreprendre linitiative de conversion quelques annes plus tard3.

    4 La priode suivante fut tmoin de diverses condamnations. Le 30 novembre 1085, Lon,vque de Chalcdoine, fut accus dinsubordination au pouvoir imprial, et son procs sevit compliqu par une accusation dhrsie, relative, dans son cas, une comprhensionincorrecte de la doctrine des images ; sa peine fut dcide par le synode, qui au dbutde 1086 dcida sa dposition 4. En 1087, le moine Neilos et ses disciples furent accussderreurs doctrinales concernant lunion hypostatique. Leur cas fut examin par un synodeecclsiastique, qui anathmatisa ses prceptes et requit une abjuration de ses affirmationsavant de le condamner sabstenir dsormais de toute activit thologique5. Pendant la mmeanne 1087 devait se produire aussi la condamnation dun autre moine, Thodore Blachernits,accus de diffuser parmi ses lves les doctrines des enthousiastes. Quoiquon ait conservpeu de renseignements sur le cas, on sait pourtant que le synode condamna Blachernits unanathme et la dposition de son poste de diacre6.

    5 Vers lanne 1097, et probablement jusqu la fin dusicle, se dveloppa la perscution contrele mouvement bogomile. Aprs lobtention de certaines rvlations grce un pige qui trompaBasile, le matre de la secte, un conseil comprenant des reprsentants du Snat, de larme etdu synode fut runi afin dexaminer lvidence. Le tribunal, prsid par le patriarche Nicolas

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    Grammatikos, procda lire les enseignements de Basile qui rvlaient une comprhensionincorrecte de lOrthodoxie, et attaquaient la liturgie ainsi que la hirarchie ecclsiastique, etexamina ensuite ses disciples. Aprs la condamnation, certains des accuss, se repentant deleurs erreurs, furent librs; dautres restrent en prison jusqu leur mort, et leur matre Basilefut condamn tre brl publiquement dans lhippodrome de Constantinople7.

    6 En 1114 lempereur reprit la tentative de conversion des Pauliciens. Stant rendu Philipoupolis en raison de la guerre contre les Comans, il profita de loccasion pour seconsacrer une mission apostolique, celle de dtourner les Manichens de leur religionaux principes amres avec laide Eustrate, vque de Nice, dont la rfutation thologiquesdes hrtiques allait tre utilise contre lui trois ans plus tard8. En 1117, en effet, eu lieu lecas trs significatif contre lvque nicen, accus davoir profr des opinions contraires lOrthodoxie en appliquant Christ les principes aristotliciens, la manire de son matre JeanItalos. Il dt abjurer de ses fautes auprs dun tribunal prsid par lempereur et le patriarcheJean Agapetos; une deuxime runion synodale le condamna, malgr les efforts des impriaux, une suspension vie9.

    7 Les questions poser sont nombreuses. Quelles furent, dabord, les raisons de ce soudainintrt par lOrthodoxie, aprs deux sicles de paix au sein de lglise ? Encore plus,lOrthodoxie, se trouvait-elle vritablement menace vers la fin du XIesicle? Il ny a pas,en fait, dindices suggrant que leshrsies trop intellectuelles dItalos, de Neilos ou deLon de Chalcdoine, ou mme celles plutt populaires des Pauliciens et des Bogomiles,aient constitues des vritables menaces la doctrine10. Bien au contraire, lclat des procs,la publicit donne aux condamnations, lappel lintrt du grand public voquent les traitsdune mise en scne dlibre, dune ralisation tout fait artificieuse11. Si ce fut le cas, quirpondait-elle? Non pas lglise, dont la participation dans les procs fut presque marginale.Non pas au monachisme, dont le soin thologique avait presque disparu aprs liconoclasme.En fait, les indices qui signalent le pouvoir imprial sont trop significatifs pour quon puissehsiter: il est vident que lintrt pour la perscution de lhtrodoxie sinitia depuis le dbutdu rgne dAlexis Comnne; il est clair aussi que le pouvoir imprial eut linitiative principaledans la dcouverte et la dnonciation des hrtiques; nul doute non plus quil joua unrle clef dans le jugement des accuss. Mais dans quel but? Si on admet que lOrthodoxientait pas rellement menace, que les procs dhrsie furent presque une fiction voulue delempereur, on se trouve donc face une construction officielle dune ralit qui ne pouvaitmoins qutre fonctionnelle quelque but politique. Quoiquon ignore encore des dtails etles circonstances, il nest pas difficile de remarquer quil sagissait du phnomne truqu deshrsies dtat.

    8 La logique est sans doute la mme du monarque captien Philippe le Bel voulant parvenir, parla construction de lhrsie des templiers, au double objectif de se dfaire de lordre troppuissant du Temple ainsi que dinvestir sa dynastie des fondements mystiques de la thocratiepontificale12. De la mme faon, AlexisIer russissait par la construction successive dhrsiesdoctrinales liminer la menace relle ou potentielle de Jean Italos, de Lon de Chalcdoine,de Neilos et de Blachernits proches aux Doukai ou dautres familles de la haute aristocratiecontestataire13, et sinvestir en mme temps des titres symboliques de Troisime Aptre,de gardien de lOrthodoxie, que la perscution des Pauliciens et des Bogomiles venaitraffirmer par leur clat ronflant et tragique. Pour Alexis comme pour Philippe le Bel, cedeuxime objectif tait capital. La disparition des adversaires ntait pas mineure, certes, maisle symbolisme de la protection de la foi constituait le sommet des ambitions au pouvoir: ilsagissait dinvestir la royaut du charisme sacr du sacerdoce.

    9 Consolidation dynastique, raffirmation du pouvoir imprial, contrle du territoire, beaucoupfurent les fonctions que lglise allait avoir sous les rgnes des empereurs Comnnes, maispour aboutir cela il avait fallu tout dabord rimposer le contrle imprial sur lglise. la diffrence de la France captienne, le modle ecclsiologique de la prtrise impriale taittraditionnel Byzance, et le pouvoir imprial navait nulle ncessit dune transfigurationlui revtant dune fonction christique quil possdait depuis le moment o la thologie

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    politique eusebienne fit de ConstantinIer limitateur du Christ. Mais, vers la fin du XIesicle,lglise orientale se trouvait encore sous linfluence des ecclsiologues contestataires Michel Crulaire surtout dont le souvenir guidait sans doute les revendications que Lon deChalcdoine et ses partisans osrent faire auprs du pouvoir imprial. Pour celui-ci, lintrttait ecclsiologique, mais comme dhabitude Byzance lecclsiologie ntait gure discuteen tant que telle : ctait en clef thologique que lempereur allait essayer de prouver sesdroits la prtrise, ses droits donc la suprmatie lgitime dans lglise. Aucune surprise,par consquent, face au soin artificieux dune Orthodoxie qui ntait pas un but en elle-mme,mais plutt un moyen pragmatique de dresser les affaires de ltat.

    10 Le concept dhrsie dtat dnote pourtant, au moins dans un contexte byzantin, uneambigit suggestive. Assez souvent, en effet, les empereurs staient mls en thologie, soitpar dsir daboutir une conciliation religieuse au sein de lEmpire comme les exemplesde Constantin Ier, de Marcien, de Znon, de Justinien, dHraclius, de Constantin IV endonnent tmoignage, soit pour dfendre une position thologique (et ecclsiologique) quilscroyaient correcte comme ce fut le cas de Constantius, de Valens, des Isauriens ou desAmoriens. Mais la thologie tait une affaire hasardeuse, et les contingences diverses dela politique avaient men plus dune fois la condamnation thologique des empereurshrsiarques. Larianisme, le monophysisme, le monthlisme, avaient t ainsi en quelquesorte des hrsies dtat en tant que lgitimes une fois par le pouvoir imprial, en outrede lexemple paradigmatique de liconoclasme lhrsie impriale par excellence, quinavait pas t adopte mais cre par loffice imprial. Hrsie commise par ltat donc, quitait la forme la plus frquente dhrsie dtat Byzance; une consquence frquentede ces revendications de lOrthodoxie impriale qui comportaient toujours un danger : lesannales byzantines registrent, aprs tout, plus dempereurs hrsiarques que dempereurschasseurs dhrsies.

    11 Mais le cas dAlexis Ier est assez diffrent. la manire des iconoclastes, sa thologietait fonctionnelle son ecclsiologie, mais il avait sans doute bien compris quil ne devaitnullement se risquer aux hasards de linnovation thologique. Sil y avait une manire sreque lhrsie ft construite et utilise par ltat dans son propre intrt, ce ntait quengardant la thologie consacre par la tradition. Ce modle existait dj son poque: BasileIer

    stait prsent, lui aussi, comme rpresseur de lhtrodoxie, et mme si sa mise en scne futbeaucoup plus circonscrite et moins systmatique que celle dAlexis, il anticipait dj le traitdistinctif de la scurit doctrinale. Il navait rien risqu en poursuivant les juifs, comme Alexisne risquait rien en revenant sur les hrsies classiques des Pauliciens, des Bogomiles,des iconoclastes . Il ne sagissait pas daboutir une construction entranantdes contingences non voulues, mais de faire un appel circonstanciel aux hrsies plutttraditionnelles et donc indiscutables, non pas afin de dfinir une Orthodoxie thologiquemais de raffirmer une Orthodoxie ecclsiologique.

    12 En partant dune telle base, lempereur pouvait bien rclamer le charisme piscopal du modleconstantinien. Lecclsiologie dAlexis Comnne, nullement dfinie en termes thoriquescomme avaient risqu de le faire auparavant les empereurs Isauriens14, ntait ainsi construiteque sur les fondements de la pratique. Mais lquilibre tait fragile, puisque le desseindpendait de lexistence dun monopole imprial sur la perscution de lhrsie, monopolequi se brisa dfinitivement vers la fin de son rgne. Ses opposants, comprenant sans douteles connotations ecclsiologiques de son prtendu soin par lOrthodoxie, avaient essay de luiopposer ses propres armes lorsquils insinurent liconoclasme des impriaux pendant laffairechalcdonienne15. Mais le vrai succs ne devait arriver quavec la condamnation dEustrate deNice: pour la premire fois dans la priode, un procs dhrsie tait initi par un accusateurautre que le pouvoir imprial et, ce qui est plus significatif, lempereur se comptait parmi ceuxqui soutenaient le condamn. Rien dtonnant alors si lhistoire de lecclsiologie du XIIesiclese trouva tout fait lie au besoin de compenser cette dissociation impriale du rle, aussiprofitable quartificieux, de gardien de lOrthodoxie.

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    13 Sous le rgne de Jean Comnne il y eut peu de procs dhrsie, et aucune interventionimpriale. Le patriarche Lon Stypps (1134-1143) prsida en 1140 le synode qui condamnales crits mystiques dun lac rcemment dcd, Constantin Chrysomallos, dnoncs commehrtiques par deux moines du couvent de St.-Nicolas dHiron, sans que lempereur ou sesofficiers sy soient vu involucrs 16. Il est difficile de dire si cette abstention fut le rsultatdune relative indiffrence envers les affaires de lglise ou dune prudence plutt tudie,mais lon pourrait bien supposer que le cas dEustrate de Nice avait mis lempereur en gardecontre les prils de linterventionnisme ecclsiastique. Les temps avaient certainement changlorsque la seconde succession de procs sinitia sous le rgne de Manuel Comnne, au pointque lempereur ntait devenu quun acteur de plus au sein du thtre de la chasse dhrsies17.

    14 Les cas sont aussi bien connus. Ils commencrent sous le patriarcat de Michel Kourkouas,qui dut faire lieu en 1143 une accusation de bogomilisme initie par le mtropolite deTyana contre deux de ses vques suffragants, qui furent condamns par cette charge. Unmoine du nom de Niphon, qui se permit de parler en leur dfense, fut galement condamnpar bogomilisme. Deux reprsentants civils, le grand drongaire Constantin Comnne et leprotoasekretis Lon Ikanatos furent prsents pendant les quatre sances du procs, mais lesynode autorisa ensuite le brlement de Bogomiles sans faire allusion lautorit sculaire18.

    15 Le patriarche suivant, Cosmas Aticus, se vit ml dans quelques querelles de la haute politiqueconstantinopolitaine, qui menrent lempereur suspecter de sa loyaut au trne. Peu aprs ilfut accus dtre en bons termes avec le moine Niphon, et un synode prsid par ManuelIer

    dcida sa dposition. Mme aprs celle-ci il y eut encore une dnonciation contre CosmasAticus, laccusant de partager les doctrines bogomiles de Niphon ainsi que davoir destendances iconoclastes19.

    16 La mort du patriarche Theodotos en 1154 dclencha une nouvelle accusation dhrsie 20.En effet, les clercs de la Grande glise, pousss par Sotrichos Panteugnos, refusrent decontribuer avec les dpenses funraires en allguant que Theodotos avait laiss entrevoirpendant sa maladie certains traits de bogomilisme, comme la couleur noire de ses mains. Enessayant de dfendre la mmoire du patriarche, lhypomnematographos de ladministrationpatriarcale Georges Torniks sattira lanimosit de Panteugnos, et devint lui aussi victimedune accusation de bogomilisme.

    17 Lanne suivante, le patriarcat de Constantin Chliarenos allait voir le dbut de la premiredispute christologique du rgne de Manuel Comnne. Elle commena avec laccusation queMichel, matre des Rhteurs, et Nicphore Basilakes, matre de lptre, lancrent contre lediacre Basile, en prtendant dcouvrir des traits de nestorianisme dans ses sermons. Selon eux,Basile aurait dit que Christ, outre que donner le sacrifice de lEucharistie, le recevait lui-mmeen tant que Dieu; doctrine que ses accusateurs rfutrent en argumentant que le sacrifice deChrist ntait offert quau Pre. Le synode fut runi par demande du mtropolite de Russie, quidclara quil croyait au sacrifice offert aux trois personnes de la trinit, croyance raffirmepar tous les prsentsclercs de Sainte-Sophie et officiers civils y compris le propre Michel,qui se rtracta de ses dnonciations. Nicphore Basilakes ne transigea pourtant pas, et il se vitrassur dans sa posture par le patriarche dAntioche, Sotrichos Panteugnos, qui demandade dfendre ses arguments auprs de lempereur. Le synode fut donc convoqu par ManuelIer

    dans le palais des Blachernes, o la sance Basilakes ayant renonc ses erreurs fut dominepar la discussion entre lempereur et le patriarche Panteugnos. Celui-ci fut convaincu de sesfautes et finalement dpos21.

    18 Il nest pas difficile de percevoir dans quelle mesure les procs dhrsie de la seconde moitidu XIIesicle furent hritiers du modle impos par AlexisIer. On constate, en premier lieu, lecaractre circonstanciel des accusations, peru dj comme tel par les contemporains. NictasChniats ne semble pas avoir eu des doutes sur la fausset de laccusation contre le patriarcheCosmas Atticus, quil reconnat comme une victime dennemis politiques dcids a lui fairetomber en disgrce auprs de lempereur 22. Jean Tzetzs rvle tre du mme esprit dansune lettre adresse lempereur pour protester contre la dposition du patriarche, lettre danslaquelle il identifie clairement les dtracteurs dAtticus avec un groupe de moines et de clercs

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    ambitieux et peu scrupuleux 23. Lartifice des accusations postrieures la dposition dupatriarche rsulta, en fait, tellement vident que le chef du groupe de clercs de la Grande-glise qui avait promu la diffamation fut identifi et puni24.

    19 Aucun doute non plus sur la fausset de laccusation de bogomilisme que SotrichosPanteugnos, encore diacre de Sainte-Sophie, trouva convenable pour dnoncer le patriarcheet lhypomnematographos Georges Torniks. Et ce ne fut pas par hasard que ce dernier,mtropolite dphse en 1156, recourt ses contacts pour combattre les doctrines dePanteugnos lorsque celui-ci se vit involucr dans la premire querelle christologique25.

    20 Une querelle qui est, en outre, bien atteste par Cinnamos comme le rsultat dune rivalitpersonnelle entre le diacre Basile et les matres Michel et Nicphore Basilakes, initie par lesattaques que Basile avait fait dans ses sermons contre ses adversaires26.

    21 Nulle conviction religieuse, nul souci pour une Orthodoxie dont lintrt ne dpassait guresa fonctionnalit politique. Nul dsir non plus, par consquent, daffronter les prils deloriginalit thologique, comme le rvle le retour permanent sur lhtrodoxie classique:le passe-partout de bogomilisme , iconoclasme , nestorianisme 27. Et pourtant,plusieurs aspects avaient chang depuis lpoque dAlexis Comnne. Lempereur, on ladit, avait perdu le monopole sur la perscution de lhrsie, qui passa donc aux particuliersdsireux de sen servir pour des intrts privs, en dchanant ainsi le phnomne dune vraiechasse aux sorcires. Plus encore: si les procs du rgne dAlexis Comnne avaient t, danslensemble, fonctionnels la raffirmation de lecclsiologie traditionnelle, les procs du rgnede ManuelIer constituaient en revanche au-del des querelles prives des moines, diacres etvques la raffirmation de lecclsiologie contestataire; lglise se revtait alors du rledaccusatrice, en dpouillant lempereur du fondement de son charisme.

    22 Mais est-il possible daffirmer que lglise tait la nouvelle gardienne de lOrthodoxie,depuis que le pouvoir imprial fut dpourvu du rle en raison du procs contre Eustratede Nice ? La rponse nest pas si vidente. P. Magdalino a identifi les gardiens delOrthodoxie au XIIesicle avec lensemble de lintellectualit de lEmpire, mais M.Angolda soulign quil est possible de faire, en suivant le point de vue de Jean Cinnamos, uneidentification plus troite avec les membres de lglise patriarcale 28. Des vques, despatriarches, des diacres, des officiers patriarcaux, les accusateurs semblent avoir t, en toutcas, toujours des membres de lglise. Et, lexception du moine Niphon et de lofficierLon Ikanatos, les victimes des accusations furent gnralement dautres ecclsiastiques. Maisnous ne devrions pas tre dus par cette monotonie apparente. Certes, la revendication dutitre vide de gardien de lOrthodoxie tait utilise bon profit par des acteurs divers,voulant se dfaire dennemis personnels grce au thtre de la chasse dhrsies, mais cetteappropriation circonstancielle pouvait devenir fonctionnelle lecclsiologie contestatairelorsquelle tait utilise contre lempereur: au moins une fois durant le XIIesicle, lglisese rclama gardienne de lOrthodoxie contre Manuel Comnne, lempereur que le clergcontestataire songea mme anathmatiser.

    23 Mais leur but, tait-il vritablement ecclsiologique? On ne saurait en douter. Alexis Ier, dansle cadre de son alliance avec le clerg de Sainte-Sophie, avait exalt linstitution ecclsiastique,dont il voulait faire lun des piliers de son rgne ; mais la contrepartie ecclsiale avaitimpliqu une raffirmation de lecclsiologie traditionnelle, celle de la soumission de lgliseau pouvoir imprial, dont le clerg avait pourtant appris se mfier depuis le patriarcat deCrulaire. On sait, en effet, quune partie de la hirarchie piscopale au moins celle quisoutint la contestation de Lon de Chalcdoine ne transigeait gure avec cet accord, et ilest vraisemblable quelle ait t la responsable du seul procs dhrsie du rgne dAlexisComnne qui ne rpondit pas au pouvoir imprial: celui dEustrate de Nice. La condamnationde lvque nicen, on la dit, aboutit soustraire lempereur de son rle de gardien delOrthodoxie , en rodant ainsi les fondements de lecclsiologie impriale. Lglise duXIIesicle, hritire avertie du triomphe obtenu par la condamnation de lvque de Nice,ne pouvait moins qutre prte tirer bon profit du nouveau rle dont elle stait investie;elle semble, en fait, avoir poursuivi lun des desseins les plus ambitieux de sa tradition

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    institutionnelle: une primaut politique et sociale non limite par les prrogatives de la prtriseimpriale.

    24 tant donn que la formule ecclsiologique utilise par AlexisIer ntait plus fonctionnelle loffice imprial, il est ncessaire de considrer quelle fut la procdure suivie par ManuelIer

    afin de compenser une telle perte, ainsi que pour faire face aux progressives revendicationsde lglise. Il est vrai que plusieurs interventions de Manuel Ier dans les procs dhrsiedvelopps sous son rgne ne furent quune rponse une demande des parties involucres,une situation qui rsultait logiquement du fait que le pouvoir imprial ntait plus le seul garantde lOrthodoxie. Et mme les interventions qui rsultrent de la propre initiative de lempereurne rpondirent parfois quau besoin de prvenir les conspirations aristocratiques: la manirede son grand-pre, Manuel craignait les hrtiques qui taient accueillis volontiers au seindes grandes familles 29. Cependant, lempereur ne pouvait tre ignorant ou indiffrent auxmanuvres de lglise et, mme si ses dfis politiques ntaient gure ceux de ses aeuls, ilapprciait sans doute limportance de raffirmer lecclsiologie traditionnelle.

    25 Dans ce cadre, il faut revenir encore sur le rle quil adopta pour justifier ses interventions danslglise: celui dempereur pistmonarque30. Comme il a t soulign, le terme, appliqu lempereur, ne reprenait pas son sens original, sens tir de lunivers monacal o le moinepistmonarque sappliquait faire obir les rgles disciplinaires du clotre31. Mais le termene reprenait pas non plus les traits distinctifs des formules ecclsiologiques traditionnelles,puisque lempereur pistmonarque ne saurait tre compltement assimil lempereur prtre , pas mme lempereur gardien de lOrthodoxie de la premire traditioncomnienne. Nul besoin, par ailleurs, de chercher dantcdents, parce que les connotationsdu titre matre scientifique sont propres de sonsicle. En fait, cest Anne Comnnequi applique la premire le titre son pre, pistmonarque de la royaut, matre de lartde gouverner qui est une science et une affaire de haute philosophie, () lart des arts etla science des sciences32, en voulant exprimer ainsi la manire excellente dans laquelle lebasileus avait su rorganiser la hirarchie de laristocratie impriale. Un titre qui dnotait djlide de techn, dpistme, de professionnalisme en somme, que Manuel allait appliquer aucontrle de lglise: l o son grand-pre stait voulu Troisime Aptre et gardien delOrthodoxie, il allait se dclarer technicien, pistemn, matre scientifique. Lebut tait le mme rien dautre, la fin, que la raffirmation dun modle ecclsiologique,mais les moyens employs sont rvlateurs de leur temps et de leurs circonstances.

    26 Les sources du XIIe sicle reviennent plusieurs reprises sur la comptence, la sagesse,lexpertise impriale, et lon gote dvoquer le modle de Salomon: consquences videntesde la professionnalisation ecclsiastique encourage sous le rgne dAlexis Ier, dontlempereur se voyait forc suivre les rgles. Il est illustratif que mme un vque assezconservateur comme Nicolas de Mthone ait utilis la notion doffice piscopal comme unescience professionnelle33: puisque le clerg changeait le charisme par lpistme, le souveraindevait suivre son jeu. Aucune surprise donc sil cherchait prouver sa sagesse prouve etpleine de ressources ( ) comme manire de se lgitimer la tte de lglise34.

    27 La transition est significative. Alexis Ier, lempereur chasseur dhrsies , ne staitrevendiqu nullement comme un empereur technicien en matire religieuse. Sa fille, eneffet, nappliqua lexpression quaux affaires de la hirarchie courtoise, et il est bien connuque le basileus lgitimait son ecclsiologie en voquant le charisme. Les procs dhrsiedvelopps sous son rgne pourraient tre facilement compris comme une ressource destine mettre fin au processus dillustration intellectuelle du XIesicle, ressource utilise parun empereur rpresseur qui se voulait champion de lOrthodoxie, mais on sait dj que cetteimage ntait quune fiction dlibre. Il est vident, en effet, quAlexisIer tait surtout unempereur pragmatique. La dfense de lOrthodoxie ne fut quune ralisation destine fairejouer lempereur un rle dtermin, et il nest pas sr donc quil ait t un ennemi dclar dela philosophie hellnisante de son temps. Jean Italos tait dangereux en tant qualli desDoukai, et sa condamnation servait bien au thton de lOrthodoxie, mais Alexis nhsita

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    pas promouvoir son disciple Eustrate de Nice lorsque celui-ci se rvla loyal au rgime.La construction de son scnographie celle du Troisime Aptre fut assez traditionnelle,puisque la tradition nentrainant aucun risque et assurait le succs, mais il ntait nullementune victime de sa propre fiction: il voulait un corps piscopal savant, duqu et comptant, quipt servir aux intrts de ltat; le modle de clerg quon peut bien identifier au XIIesicle.

    28 Il nest pas difficile de percevoir, en effet, que la mystique fut sous le rgne dAlexis Ier

    une victime aussi frquente que la philosophie. Gouillard a dmontr que la doctrine deBlachernits ainsi que celle de Constantin Chrysomallos, condamne sous Jean II avaitdes ressemblances notables avec celle de Symon le Nouveau Thologien35, un auteur djaccept comme orthodoxe vers la fin du XIesicle. Un renversement, sans aucun doute, pour ledveloppement de la pense mystique, qui ne trouvait pas de lieu dans lEmpire des Comnnes.Sous ManuelIer, la professionnalisation du clerg tait si puissante quelle russissait simposer lempereur. Si lglise se voulait gardienne de lOrthodoxie ctait par sonexpertise plutt que par son charisme, et le thtron se fondait sur les principesde la techn;le souverain pistmonarque ntait que la rponse ces nouveaux dfis.

    29 Lecclsiologie de ManuelIer ne finissait pourtant pas l. Pour affrofondir ses revendicationsil osa mme se livrer la spculation thologique et ouvrit ainsi, vers la dcade de 1160, ladeuxime dispute christologique de son rgne. Celle-ci concerna linterprtation de Jean14.28 le Pre est plus grand que moi, que lempereur choisit de comprendre la manireoccidentale: Christ tait la fois gal et infrieur au Pre, gal en tant que Dieu, inferieuren tant quhomme. Mais Dmtrius de Lampe, le diplomate qui avait apport la courlinterprtation latine, manifesta son dsaccord, et rallia aprs lui le soutien de plusieursvques et de certains membres de la Grande-glise. Lempereur ne cda pourtant pas.Il imposa son point de vue, et en 1170 il prsida mme sur deux synodes afin de punirlopposition: celui du 30janvier, destin valuer le cas de Constantin, mtropolite de Corfou,et celui du 18fvrier, consacr lexamen de Jean Eirneikos, higoumne du monastre deBatalas, dans la montagne de Boradion; les deux furent jugs coupables et dposs36.

    30 En agissant ainsi, il sloignait du modle suivi par Alexis Ier, celui du conservatismethologique, et introduisait au sein du jeu ecclsiologique la variable hasardeuse de ladfinition du dogme. Lexemple des prdcesseurs illustrait bien jusqu quel point ladfinition dune thologie impriale enfermait un danger, mais Manuel Comnne se voyaitpresque forc par les circonstances. la diffrence de son grand-pre, dont lecclsiologietait fonctionnelle la politique interne, ManuelIer devait rpondre aux dfis de la politiqueextrieure : notamment ceux de lOccident latin, cause premire de ses difficults aveclglise. Le fait que lopposition mso-byzantine entre lOccidental latin et lOrient byzantin,dont ManuelIer tait lhritier, ait t si troitement lie au schisme religieux, forait lempereur choisir entre les exigences de la politique extrieure et la volont dune conciliationecclsiastique interne ; le mme dilemme, en fait, qui allait arriver son znith au tempsdes Palologues. Dans ce sens, Manuel tait la premire victime des ruptures de Photios etde Crulaire, des ruptures qui se produisirent lorsque lecclsiologie byzantine laissa dtrefonctionnelle la revendication thologique et gagna une indpendance que le sige romainne pouvait accepter; les intrts allaient tre dsormais irrconciliables, au moins par la seulevariable de la go-ecclsiologie37.

    31 Il ntait plus question, en effet, de revenir sur lecclsiologie sans tenter les hasards de lathologie, comme lavaient fait BasilIer et AlexisIer. Pour eux, la raffirmation ecclsiologiqueavait t un but en lui-mme, un but essentiel au raffermissement de loffice imprialaprs les bouleversements de lIconoclasme, aprs les avancements de Crulaire, un butconcernant aussi lambition prive de la consolidation dynastique. Pour Manuel, la manireprotobyzantine, lecclsiologie tait une condition ncessaire pour une finalit qui tait pluttthologique: une diplomatie thologique, dont le dveloppement dpendait du contrleimprial de la doctrine. Et il est significatif que Manuel, vu dans le cadre gnral de la thologieimpriale byzantine, ait t capable dimposer sa volont sans susciter des brisements civilsirrparables.

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    32 Lopposition, on la dit, existait pourtant. Mais, dtail surprenant, on ne trouve nulle vocation la royaut des patriarches qui avait inspir Photios et Crulaire, pas mme la royautdes vques de Lon de Chalcdoine. Les rebelles, comme Jean Eirenikos, se contentaientde remettre en question la capacit impriale de rgler les affaires de lglise : Quoipourrait tre plus mchant ou insolent? Qui a-t-il pens quil tait, do a-t-il enseign etcrit ces choses, se nommant stupidement un matre ordonn par lui-mme?38. Presque lamme allusion aux prtentions impriales que Nictas Chniats faisait en signalant que lessouverains voulaient paratre sages (), pleins de sagesse divine comme Salomon, ainsi quedogmatistes inspirs par la divinit et plus canoniques que les canons39. Ctait sans doutelesprit dusicle, celui de lartifice intellectuel et de la sophistication conceptuelle, celui dessouvenirs hellniques et non plus judaques, au sein duquel lempereur avait de bonnes raisonspour se vouloir surtout pistmonarque.

    33 Mais, au-del des variations thoriques, lglise faisait de son nouveau rle de gardienne delOrthodoxie la base dune revendication ecclsiologique qui dut cder pourtant auprs de lavolont impriale. Et cette soumission eut, en fait, des rapports trs troits avec lorganisationecclsiastique dAlexis Comnne: le rle significatif octroy lglise tait une concessiondu souverain, et sa continuit dpendait du soutien imprial. Lorsque ManuelIer fut consoliddans le trne, lglise ne put que soumettre ses desseins: elle tait trop sujette au modleconstantinien, ou plutt eusebien, dintgration ecclsiastique la structure publique de ltat.Certes, Manuel bnficiait aussi dautres facteurs: dun dclin dans linfluence spirituelle dumonachisme la morale des clotres tant lun des motifs de critique ou satire les plus en vuede la littrature ecclsiastique et sculire dusicle, et de la nonchalance thologique desmoines; une combinaison de facteurs aussi favorable quphmre, mais suffisante fairetriompher la thologie impriale et, ce qui est encore plus important, la dfinition thoriquede lecclsiologie impriale.

    34 tant donn que les principes anciens de lecclsiologie ceux dEusbe et ceux deConstantin Ier taient accepts mais gnralement non exprims de manire explicite, ilest significatif que Manuel ait risqu une thorisation qui le dfinissait comme dpositairedu charisme et de la techn, en le dclarant, la manire dune synthse ecclsiologique,empereur pistmonarque et haut prtre . Et il nest pas moins significatif que cettethorisation soit venue dun officier de sa propre glise, un officier qui devait mme arriver la dignit de patriarche antiochien. Mais la pense de Thodore Balsamon40, par ailleurspleine de subtilit, refltait dj la tension occasionne par la combinaison peu heureusede diplomatie thologique, nationalisme religieux, ecclsiologie constantinienne, orthodoxiepolitique Balsamon se montra, certes, tout fait loyal lentente glise-pouvoir imprialhrite du XIesicle, et nhsita pas admettre la subordination ecclsiastique : ManuelIer

    tait une rfrence pour les patriarches, selon le modle dAlexis Ier dont le zle religieuxembarrassait mme les vques, et avait le droit de les juger si ceux-ci chouaient dans leursresponsabilits. Par ailleurs, lempereur avait le droit dignorer les canons41, une conceptionde la jurisprudence qui rappelle par contradiction celle que Photios avait rdig en essayantdtablir les fondements dune ecclsiologie contestataire42.

    35 Et pourtant, Balsamon ne transigeait gure avec la conciliation latine. Il opposaitlcumnicit aux prtentions de la suprmatie papale, et projetait sur Constantinople lesdroits revendiqus par la papaut. Lessence de cette opposition tait go-ecclsiologique,mais go-ecclsiologique, plutt que thologique, tait aussi lessence du schisme aveclOccident. Le canoniste se rvlait ainsi, paradoxalement, prt admettre en thorie lecharisme piscopal des empereurs, mais moins dispos reconnatre les consquences de sonapplication pratique. Il invalidait, en effet, quelque peu sa propre dfinition en insistant surla primatie constantinopolitaine, puisquune raffirmation de lecclsiologie constantiniennene comptait gure son poque si elle ne pouvait servir en premier lieu aux besoins de ladiplomatie thologique.

    36 Ainsi, mme les ecclsiastiques les plus loyaux au pouvoir imprial ntaient pas prts cder une diplomatie officielle qui compromt leur go-ecclsiologie. La papaut, investie

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    dun rle toujours provocateur, se rvla bien plus dangereuse pour ltat byzantin lorsquelledevint lennemie de lglise orthodoxe quelle ne lavait t lorsquelle encourageait, jusquauschisme de Photios, la contestation thologique au sein de lEmpire. De ce point de vue,Manuel Ier et ses successeurs furent les hritiers du modle anticip par Monomaque etCrulaire: celui de la volont conciliatrice de lempereur et de lintransigeance ecclsiastique,celui de la diplomatie thologique et du nationalisme religieux.

    Notes

    1 R.BROWNING, Enlightenment and Repression in Byzantium in the Eleventh and Twelfth Centuries,Past and Present 69 (1975), p.3-23, ici p.19; D.SMYTHE, Alexios I and the heretics: the accountof Anne Komnenes Alexiad, in Alexios I Komnenos, M.MULLET, D.SMYTHE (ds.), Belfast 1996,p.232-259, ici p.232-233.2 ANNE COMNNE, Alexiade, B.LEIB (d.), Paris 1937, V.VIII-IX ; J.GOUILLARD, Le synodikon delOrthodoxie. dition et commentaire, in TM2 (1967), p.56-61 et 188-202; id., Le procs officielde Jean lItalien: les actes et leurs sous-entendus, in TM9 (1985), p.133-169; NICTAS DHRACLEin J. DARROUZS (d.), Documents indits decclsiologie byzantine, Paris 1966, p. 304-305 ;B. SKOULATOS, Les Personnages Byzantins de lAlexiade. Analyse prosopographique et synthse,Louvain 1980, p.150-153; M.ANGOLD, Church and Society under the Comneni, 1081-1261, Cambridge2000 (1re dition 1995), p.50-54.3 Alexiade, VI.II.1-4 ; EUTHYME ZIGABNE, Panoplie dogmatique, PG 130, col. 1189-1244 ;N. GARSOAN, Byzantine Heresy. A reinterpretation , DOP 25 (1971), p. 87-113 ; P. LEMERLE,Lhistoire des Pauliciens dAsie Mineure daprs les sources grecques, in TM(1973), p.1-144; Pourune traduction des fragments des sources et commentaires cf. J.HAMILTON et B.HAMILTON, ChristianDualist Heresies in the Byzantine World (c. 650-1450), Manchester/New York 1998, notammentp.57-114, et 166-174. Pour les rapports entre politique religieuse et reconqute territoriale, cf. I.AUG, Convaincre ou contraindre : la politique religieuse des Comnnes lgard des armniens et dessyriaques jacobites, in REB60 (2002), p.133-150, notamment p.143-150.4 V. GRUMEL, Laffaire de Lon de Chalcdoine: le dcret ou semeioma dAlexis Ier Comnne(1086), in EO39 (1941-1942), p.333-341; ID., Laffaire de Lon de Chalcdoine: Le chrysobulledAlexisIer sur les objets sacrs, in tudes ByzantinesII (1944), p.126-133; id.,Les documents athonitesconcernant laffaire de Lon de Chalcdoine, in Miscellanea Giovanni Mercati, Vatican 1946, vol.III,p.116-135; P.STEPHANOU, Le procs de Lon de Chalcdoine, in OCP9 (1943), p.5-64; P.GAUTIER, Le synode des Blachernes (fin 1094) : tude prosopographique , RB 29 (1971), p. 213-284 ;J.THOMAS, Private Religious Foundations in the Byzantine Empire, DOSXXIV (1987), p.192-199;M.ANGOLD, Church and Society, op. cit., p.46-48.5 Alexiade, X.I.1-5 ; Synodikon de lOrthodoxie, op. cit., p. 60-61 et 202-206 ; NICTASDHRACLE, J.DARROUZS (d.), Documents indits decclsiologie byzantine, Paris 1966, p.304-305;THOPHYLAKTE DOHRID, Posies, P.GAUTIER (d.), Theophylacte dAchrida. Discours, Traits, Posies,CFHB, Thessalonique 1980, X.; SKOULATOS, Les Personnages, op. cit., p.258-259.6 Alexiade, X.I.6; NICTAS DHRACLE, DARROUZS (d.), p.304-305; GOUILLARD, Quatre procsde mystique Byzance (vers 960-1143). Inspiration et autorit, in REB36 (1978), p.5-81, ici p.19-28;SKOULATOS, Les Personnages, op. cit., p. 294.7 Alexiade, XV.VIII-X; Jean Znaras, Epitome Historiarum, L. DINDORF (d.), Leipzig 1868-1870,IV, p.243, lignes 17-32; Skoutariots, , d. C. SATHAS, , Paris 1894, VII, p.178-181; Panoplie Dogmatique/,col.1289-1332; HAMILTON et HAMILTON, Christian Dualist Heresies, p.165-166 et 175-210; Synodikonde lOrthodoxie, op. cit., p.60-69 et 228-237; D.GRESS-WHITE, Bogomilism in Constantinople, Byz.47 (1977), p.163-186; SKOULATOS, Les Personnages, op. cit., p.39-42.8 Alexiade XIV.VIII.9.9 CHNIATS, Trsor de lOrthodoxie, in PG140, col.136-137; Synodikon de lOrthodoxie, op. cit.,p.68-71 et 206-210; P.JOANNOU, Eustrate de Nice. Trois pices indites de son procs (1117),REB10 (1952), p.24-34; SKOULATOS, Les Personnages, op. cit., p.89-91.10 Alexios and the heretics, p.232-233 et 258-259. Pour les hrsies populaires cf. BROWNING,Enlightenment and Repression, op. cit., p.19.11 Il est bien connu que procs dItalos fut objet de lintrt publique, comme Anne Comnne le rvleen racontant que le peuple entier de Constantinople stait en foule port lglise, la recherchedItalos (V.IX.6), une manuvre que Gouillard considre vraisemblablement comme planifie parlempereur (Le procs, p. 161). Dans le cas de la contestation chalcdonienne, les pamphlets et lesrcits des miracles qui circulrent la capitale ainsi que le rcit dAnne Comnne signalant comment

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    on chuchotait contre lempereur dans les carrefours et au coin des rues (Alexiade, VI.III.1), rvlentgalement que le procs intressa au grand public. Il est probable que cette caractristique puisse trefaite extensive aux autres accusations dhrsie.12 J. THRY, Une hrsie dtat. Philippe le Bel, le procs des perfides templiers et lapontificalisation de la royaut franaise, in Mdivales 60 (printemps 2011), p.157-186, notammentp.172-177 et 179-183.13 Anne Comnne nous renseigne, en effet, que Neilos avait runi un groupe de disciples de conditiondistingue et pntrait lintrieur des grandes familles comme un matre (X.I.2), et que Blachernitssinsinuait dans les premires familles de la capitale (X.I.6). Pour le rapport de Lon de Chalcdoineavec le clan des Doukai, cf. SKOULATOS, Les Personnages, op. cit., p.173; GRUMEL, Documentsathonites, p.128; GAUTIER, Le synode des Blachernes, p.214.14 Cf., par exemple, J.GOUILLARD, Aux origines de liconoclasme: le tmoignage de Grgoire II?,in TM3 (1968), p.243-307, ici p.304-305: , , et lanalyse de G.DAGRON, Empereur et Prtre. tude sur le csaropapisme byzantin,Paris 1996, p.169-200; cf. aussi Ecloga, L.BURGMANN (d.), Frankfurt am Main 1983, Proemio, 21-24: , , , , (), daprs la phrase de Jsus Pierre, Paismes brebis (Jean 21:17), et lanalyse de E.BARKER, Social and Political Thought in Byzantium fromJustinian I to the last Paleologus : Passages from Byzantine Writers and Documents, Oxford 1957,p.84-85.15 STPHANOU, La Doctrine de Lon de Chalcdoine et de ses adversaires sur les images, in OCP12(1964), p.177-199, notamment p.177-178; THOMAS, Private Religious Foundations, p.198.16 GOUILLARD, Quatre procs, op. cit., p.29-39.17 Pour une analyse des procs dhrsie sous Manuel Comnne cf. P. MAGDALINO, The Empire ofManuel I Komnenos (1143-1180), Cambridge 1993, p.276-309, et ANGOLD, Church and Society, op.cit, p.77-101.18 GOUILLARD, Quatre procs, op. cit., p.39-43; N.CHNIATS, Historia, J. VAN DIETEN (d.),Berlin 1975, p.80-81; J.CINNAMOS, Epitome rerum, A.MEINEKE (d.), CSHB, Bonn 1836, p.64-66.19 CHNIATS, Historia, p.80-81; Cinnamos, p.64-66; J. DARROUZS, Une lettre du patriarche Cosmas(1147), in J.DUFFY et J.PERADOTTO (ds.) Gonimos. Neoplatonic and Byzantine studies presented toLeendert G. Westernik at 75, Buffalo/New York 1988, p.217-222.20 Entre le patriarcat de Cosmas Atticus et celui de Thodotos, Nicolas Mouzalon occupa le trne delglise constantinopolitaine. Il fut galement dpos par des raisons politiques, mais dans son cas il nesagit pas dune accusation dhrsie: il fut accus davoir auparavant renonc au charge darchevquede Chypre, ce que limpossibilit pour rassumer lavenir des fonctions piscopales. Cf. CINNAMOS,op. cit, p.83-84.21 CHNIATS, Historia, op. cit, p.210-211; Cinnamos, p.176-178; Synodikon de lOrthodoxie, op.cit., p.72-74 et 210-215.22 CHNIATS, Historia, op. cit, p.80-81.23 JEAN TZETZS, Epistulae, P. L. M. LEONE (d.), Leipzig 1972, pitre 46, p.65-67.24 ANGOLD, Church and Society, op. cit, p.79.25 MAGDALINO, Manuel I, p.282.26 CINNAMOS, Epitum op. cit, p.176-177.27 Au-del des dbats christologiques, qui illustrent bien par ailleurs les risques de loriginalitthologique: dans le premier cas, les matres de la Grande glise qui voulaient sen servir pour aboutir la condamnation dun adversaire, rsultrent eux-mmes condamns lorsque leur position thologiquefut juge incorrecte; dans le deuxime cas, le dbat conduit presqu un schisme au sein de lglise.28 MAGDALINO, Manuel I, p.316-412; ANGOLD, Church and Society, op. cit, p.98, n.113.29 Son neveu Alexis Kontostphanos et le beau-frre de ce dernier, Nicphore Bryennios, aurait soutenuDmtrios de Lampe. MAGDALINO signale aussi que la chute en disgrce dAlexis Axouch et dAndronicComnne pourrait avoir eu des rapporta avec cette querelle christologique (ManuelI, p.217-218 et 290).30 Titre dj analys par MAGDALINO, Manuel I, p.281-287; ANGOLD, Church and Society, op. cit,p.99-101, DAGRON, Empereur et Prtre, op. cit., notamment p.260-262 et 267.31 DAGRON, Empereur et Prtre, op. cit., p.260.32 Alexiade, III.IV.3.33 Bibliotheca ecclesiastica, A. DEMETRAKOPOULOS (d.), Leipzig 1866 (2me dition Hildesheim 1965),p.266-292.

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    34 , G.A.RALLES et A.POTLES (ds.), Athnes 1852-1859(2me dition 1966), V, p.307-3011.35 GOUILLARD, Quatre procs, op. cit., p.19-39.36 CHNIATS, Historia, op. cit, ,p.211-213; id., Trsor, PG 140, col. 201-281; CINNAMOS, op. cit,p.251-257; Synodikon de lOrthodoxie, op. cit., p.74-77, 80-81 et 216-226; L.PETIT, Documentsindits sur le concile de 1166 et ses derniers adversaires, VV11 (1904), p.479-493.37 ANGOLD, Church and Society, op. cit., p.85.38 S. N.SAKKOS, 1770, in . , , 6 Thessalonique1967, p.311-353, ici p.341-344, cit par MAGDALINO, Manuel I, p.289.39 Chniats, Historia, p.209.40 Pour la place de Balsamon dans lecclsiologie byzantine, cf. DAGRON, Empereur et Prtre, op. cit.,p.263-284.41 , canon 12, III, p.146-150.42 DAGRON, Empereur et Prtre, op. cit., p.236-242.

    Pour citer cet article

    Rfrence lectronique

    Victoria Casamiquela Gerhold, Htrodoxie thologique, orthodoxie ecclsiologique. Les procsdhrsie Byzance et la dfinition de lecclsiologie comnnienne, Bulletin du centre dtudesmdivales dAuxerre | BUCEMA [En ligne], Hors-srie n7|2013, mis en ligne le 26 mars 2013,consult le 19 juin 2015. URL: http://cem.revues.org/12821; DOI: 10.4000/cem.12821

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    Victoria Casamiquela GerholdUniversit de Buenos Aires, CONICET

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