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Belgique • België P.P. Bruxelles X 1/2771 Bureau de dépôt: 1099 Bruxelles P509685 H EBDOMADAIRE Hebdomadaire du Parti du Travail de Belgique | PTB Numéro SPéCIAL CRISE Expéditeur & éditeur responsable: M.R. Eligius, bd M. Lemonnier 171, 1000 Bruxelles 1,50 euro 41 iéme année n° 35 [1847) 22 septembre 2011

C'est leur crise, faisons-les payer

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Numéro spécial crise réalisé par l'hebdomadaire Solidaire.

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Page 1: C'est leur crise, faisons-les payer

Belgique • BelgiëP.P.

Bruxelles X1/2771

Bureau de dépôt: 1099 Bruxelles

P509685

He b d o m a d a i r e

Hebdomadaire du Parti du Travail de Belgique | PTB

NuméroSPéCIA

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� 22 septembre 2011 | 35

RédactionBd M. Lemonnier 171, bte 2, 1000 Bruxelles +32(0)2 50 40 120 • fax +32(0)2 513 98 31 • [email protected] • RédacteuR en chef David Pestieau • aSSIStant Redac-teuR en chef [email protected] • WeBteaM [email protected] • www.solidaire.org • cOuRRIeR deS Lec-teuRS [email protected]

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BRuxeLLeS bd M. Lemonnier 171, bte 2, 1000 Bruxelles • 02 50 40 110 • fax 02 513 98 31 • chaRLeROI rue Zénobe Gramme 21, 6000 Charleroi • 071 32 45 65 • fax 071 32 14 81 • La LOuvIèRe rue de Bouvy 65, 7100 La Louvière • 0476 91 66 57 • LIèGe rue Mathieu Laensberg 20, 4000 Liège • 04 227 99 52 • fax 04 227 96 05 • na-MuR rue de Bricgniot 17, 5002 Saint-Ser-vais • 081 47 04 30

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4. Médecine Pour Le PeuPLeSchaeRBeek La Clé, chée de Haecht 276, 1030 Bruxelles • 02 245 98 50 • MOLen-Beek Le Renfort, rue Comte de Flandres 25, 1080 Bruxelles • 02 411 11 03 • chaRLeROI rue de la Vieille Place 67, 6001 Marcinelles • 071 47 64 96 • SeRaInG rue de Plainevaux 5, 4100 Liège • 04 385 02 42 • heRStaL av. Ferrer 26, 4040 Liège • 04 264 73 33 • La LOuvIèRe rue de Bouvy 65, 7100 La Lou-vière • 064 21 74 50

5. soLidaire en FLandreSolidaire (qui est également publié en néer-landais) est aussi vendu en Flandre. Vous pouvez le trouver notamment aux adres-ses suivantes : anvers Van Arteveldestraat 5, 2060 Anvers • Gand Halve Maanstraat 7a, 9040 Gand • Louvain C. Meunierstraat 43, 3000 Louvain. Plus d’adresses sur www.ptb.be (en néerlandais sur www.pvda.be)

Parti du Travail de BelgiqueSecRétaRIat natIOnaL bd M. Lemonnier 171, bte 2, 1000 Bruxelles • +32(0)2 50 40 110 • fax +32(0)2 513 98 31 • [email protected] • www.ptb.befonds de soutien • 001-1151486-75

COMAC (mouvement de jeunes du PTB)

SecRétaRIat natIOnaL bd M. Lemonnier 171, bte 2, 1000 Bruxelles • +32(0)2 50 40 142 • [email protected] • www.chen-getheworld.org

Abonnement+32(0)2 50 40 [email protected] tarif normal1 an 50 € 6 mois 25 € 3 mois 12,5 €Belgique tarif spécial*1 an 40 € 6 mois 20 € 3 mois 10 €Étranger tarif normal1 an 100 € 6 mois 50 € 3 mois 25 €Étranger tarif spécial*1 an 80 € 6 mois 40 € 3 mois 20 €Soutien1 an 100 € 6 mois 50 € 3 mois 25 €Sous enveloppe1 an +60 € 6 mois +30 € 3 mois +15 €Paiement par virement bancaire au compte IBAN : BE17 001-0728997-21 BIC : CEBA BEBB (pour l’étranger, IBAN : BE94 0001 6669 5914 ; BIC : BPOTBEB1). Par carte de crédit ou domiciliation, téléphonez au 02 50 40 124 pour recevoir les formulaires.* Étudiants, chômeurs, invalides, plus de 60 ans. Joindre copie carte d’étudiant, de chômeur, d’invalide ou pièce d’identité. Ne peut être combiné à une autre offre promotionnelle.

Nous pouvons y faire quelque chose« La crise profite aux actionnaires », titrait Le Soir ce lundi 19 septembre. La Banque Nationale venait de faire savoir qu’entre 2000 et 2009, les bénéfices des entreprises étaient passés de 47 milliards d’euros à 82 milliards, au moins. Soit 35 milliards de profit en plus, ou une hausse de 75 %. Moins d’un tiers de ces bénéfices a été investi. En revanche, les dividendes ont tout simplement été multipliés par trois. 26 milliards d’euros ont été versés aux actionnaires. La liste des nouveaux millionnaires s’allonge. Et pas que dans notre pays, mais aussi en Al-lemagne et ailleurs en Europe. Les gagnants. Et ce mot s’écrit avec au moins six zéros derrière. Les banques ont aussi encaissé de très gros bénéfices, et payé très peu d’impôts. Et elles sont de nouveau occupées à spé-culer. Rien n’a changé depuis 2008. Or les spéculateurs et les banques sont à la base de la crise actuelle. Pourtant, en guise de récompense, le gouvernement a repris les dettes de leur passion dévo-rante du jeu et nous sommes devant des montagnes de déficits budgétaires. Et, aujourd’hui, tous ces tra-queurs de rendement exigent que les gouvernements répercutent ces dettes sur les travailleurs. De Dublin à Athènes, en passant par Berlin : aucun emploi ou salaire n’est plus sûr, l’âge de la pension est repoussé à 67 ans. L’impôt le plus injuste qui soit, la TVA, augmente partout. L’enseignement et les soins de santé sont démantelés. Pour appliquer cette politique, il existe une unanimité assourdissante parmi tous les partis traditionnels. « Nous vivons dans un repaire de brigands. Et ni vous ni moi ne sommes les brigands », a écrit un chroniqueur célèbre du Nord du pays. Il a raison. Nous faisons face au plus grand hold-up de ce siècle. On dépouille les plus fragiles, on donne aux plus riches d’entre les riches. Ja-mais en Europe il n’y avait eu tant de millionnaires, mais jamais il n’y avait eu autant de soupes populaires. Sauver tout ce qui peut l’être avant que le bateau ne sombre ? Une chose est sûre, en s’en prenant au pouvoir d’achat des travailleurs, la crise ne peut que s’approfon-dir. « Les coupes drastiques actuelles dans les dépenses sont comme ces docteurs médiévaux qui soignaient les malades en les saignant : cela les rend encore plus ma-lades », écrit le prix Nobel d’Économie Paul Krugman.

Le hold-up est énorme, et il est d’une violence inouïe. Ses auteurs ? Une nouvelle « gouvernance économi-que », la Commission européenne et la Banque centrale européenne (BCE). Dorénavant, les pays qui ne se plient pas à la politique d’austérité imposée seront financière-ment sanctionnés par les marchés. Autrement dit, par les spéculateurs. Mais aussi par de nouvelles sanctions supplémentaires de l’Union européenne. La sortie de la crise qu’ils nous promettent ? Elle nous mène tout droit vers le précipice ! Bientôt, la tempête atteindra notre pays et on bricole

donc en toute hâte un nouveau gouverne-ment de bric et de broc. Pour faire quoi ? Le patron du CD&V, Wouter Beke, l’a déjà dit : « Un gouvernement de gauche ou de droite ? C’est un faux débat. Ce sera surtout un gouvernement européen. Ce sera un gouvernement qui appliquera ce que l’Europe nous imposera. » Dans sa note, le formateur Di Rupo a bien

montré qu’il se plierait à cette contrainte. Soins de santé, services publics, chômage, pensions, salaires sont dans le collimateur. La note Di Rupo a été rédigée à l’encre bleue de la Commission européenne. Rien d’étonnant que cette note ait suscité de sévères critiques du côté des syndicats... Cet automne, la nouvelle équipe de Di Rupo veut déjà se lancer dans la réforme des fins de carrière. En clair : veiller à ce que la fin de votre carrière soit systématique-ment repoussée, de sorte qu’il restera toute une armée de travailleurs de plus de 55 ans sur le marché de l’em-ploi, et ainsi accroître la concurrence sur le « marché du travail ». Mais pourquoi travailler plus longtemps alors que tant de jeunes ne trouvent pas d’emploi décent ? Pourquoi, alors que la super-productivité au travail fait que les travailleurs belges sont les plus stressés de toute l’Europe ? Et que quasiment toutes les études sur la santé prouvent que la majorité des travailleurs sont à bout à 55 ans et qu’une grande partie d’entre eux souffrent d’une ou de plusieurs affections chroniques ? « Dans ce pays, un député a déjà droit à la pension complète à 52 ans, après 20 années de Parlement. Les journalistes devraient refuser de laisser plus longtemps et le plus sé-rieusement du monde des hommes politiques s’exprimer sur ”la nécessité de travailler plus longtemps” », écrivait récemment un journaliste d’un grand magazine. Mais nous pouvons agir. Nous sommes nombreux, ils ne sont qu’un petit nombre. Nous faisons tourner les usines, et ils mettent les dividendes dans leurs poches. Nous sommes calmes, et ils font passer leur attaque pour la chose la plus naturelle qui soit. Combien de temps encore ? Qui dit que nous devons assister sans mot dire à ce hold-up ? C’est notre argent que l’on vole, ce sont nos soins de santé, ce sont nos pensions, ce sont nos services publics, c’est l’avenir de nos enfants. Pourquoi avalerions-nous cela ? Les gens de bon sens croient-ils vraiment que les voleurs nous prendront moins si nous restons passifs ? Aidez-nous à diffuser ce numéro spécial de Solidaire. Un journal qui ne dépend ni des importants groupes de presse ni de la Commission européenne. Un journal qui ne s’en tient pas à l’indignation, mais qui donne également la parole aux voix de la résistance, de Lisbonne à Athènes. Un journal qui ne se contente pas de dénoncer, mais qui dégage également des pistes vers le changement.

Santé, services publics, retraites, chômage : tout est remis en cause. Sauver tout ce qui peut l’être avant que le bateau ne sombre ? Une chose est sûre, en s’en prenant au pouvoir d’achat des travailleurs, la crise ne peut que s’approfondir. (Photo Solidaire, Vinciane)

Jamais en Europe, il n’y avait eu tant de millionnaires. Jamais, il n’y avait eu tant de soupes populaires.

Peter Mertens est président du PTB et auteur de l’ouvrage Comment osent-ils ? L’euro

et la crise du capitalisme, qui sortira en janvier aux éditions Aden.

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C’est la criseDepuis 2007, le mot « crise » est omniprésent. Mais que recouvre-t-il exactement ? Voici, pour y voir clair, l’essentiel de la question : les faits, les chiffres, les données. > 4-5

Pour les Belges, la facture sera saléeL’Union européenne est en train d’imposer d’importantes réformes sociales et économiques qui vont toucher l’ensemble des pays européens. En Belgique, avec la note Di Rupo, cette politique d’austérité a pour la première fois été couchée sur papier. Focus sur les plans étalés sur la table des négociations. > 6-8

Faux coupablesEn réaction à la N-VA et aux autres nationalistes flamands, une grande partie des politiciens francophones jouent le même jeu et prônent un affaiblissement de l’État au profit des Régions. Pourquoi ce n’est pas la solution. > 9 Contre la casse sociale, la résistanceFace aux dures attaques de l’Europe contre ses conditions de vie, la population descend dans la rue crier sa colère. Reportage photo au Portugal, en Espagne, en France, en Italie, en Grèce, en Islande, et en Belgique. > 10-11

 C’est leur crise, c’est à eux de la payerLa taxe des millionnaires, et 5 autres propositions du PTB qui ne coûtent pas un sou au travailleur. Tours de magie ? Non, des mesures qui marchent. > 12-13-14 

  Le mal est à la racineLa crise serait due « seulement à quelques spéculateurs irresponsables qui ont joué à la roulette avec notre épargne ». Un peu court… > 15

« Produire toujours plus » : le cercle infernalDepuis 1973, le système capitaliste est dans une crise de surproduction. Nous sommes face à une longue période d’« assainissement », avec une récession économique croissante, toujours plus de fermetures d’usines, d’augmentation du chômage et de la misère pour la population. > 16-17

Les (fausses) solutions de l’EuropePlus que jamais, l’Union européenne impose la marche à suivre : austérité, modèle allemand, Pacte Euro-Plus, limitation du chômage, des pensions et autres acquis sociaux. Ce qui appauvrira la population. Et, in fine, renforcera la crise. > 18-19

« Hors du marché, point de salut » Vraiment ?Voici des décennies que les défenseurs du marché chantent le même refrain : « Il n’y a pas d’alternative. » Pour la population non plus. Ce système a fait faillite, et il est urgent d’en construire un autre : au service des gens, et non du profit.> 16-19

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Évolution des salaires et des profits en Belgique depuis 1981

Été 2007 Début de la crise financière. Le

manque d’assurance quant au rem-boursement des crédits hypothécaires

aux États-Unis entraîne une dégringolade de la valeur des subprimes (crédits hypothécaires

à risque). Il s’avère également que la valeur d’un grand nombre de produits financiers com-plexes n’a aucun fondement solide, c’est ce qu’on appelle les « crédits toxiques ». Pour les établissements financiers, la dévalua-

tion est énorme et des centaines de milliards partent en fumée.

7 septem-bre 2008

Les établissements finan-ciers Fannie Mae et Freddie Mac

sont placés sous la surveillance des autorités américaines. Leur actif est

beaucoup trop faible. Fannie Mae était pourtant la deuxième plus grande banque

des États-Unis et, tout comme Freddie Mac, sa clientèle était principalement constituée d’autres établissements financiers, spécialisés dans l’émis-

sion d’emprunts hypothé-caires.

15 septembre 2008

La banque d’affaires Lehman Brothers fait faillite. Sa dette s’élève à

plus de 600 milliards de dollars. Ce qui équivaut à peu près au double du produit intérieur brut (PIB) de la Grèce. À son tour,

elle entraîne le secteur financier internatio-nal dans sa chute. De nombreux établisse-

ments financiers plongent, mais les too big to fail, autrement dit trop grands

pour tomber en faillite, sont sau-vés par les autorités.

30 septembre 2008 La Belgique, la France, le

Luxembourg et quelques autres actionnaires injectent 6,4 milliards

d’euros dans Dexia. Les autorités belges tant fédérales, régionales que locales vont

par la suite sortir leur portefeuille à plusieurs reprises encore. Au total, cela représente au moins 4 milliards d’euros. Malgré tout, Dexia

ne parvient pas à sortir du pétrin. Actuel-lement, ses actions ne valent plus qu’un

quart de la valeur qu’elles avaient en 2008, ce qui fait une perte de 3

milliards d’euros.

Octobre 2009

La Grèce annonce un im-portant déficit budgétaire. C’est le

début de la « crise de la dette ». À leur tour, l’Irlande, l’Espagne et le Portugal

sont noyés dans le rouge. La crainte que ces pays ne puissent plus rembourser leurs dettes s’accroît. Ce qui entraîne une hausse

du taux à payer sur leurs emprunts (les placements en obligations d’État étant

« moins attrayants »). Mais ce taux élevé ne fait qu’aggraver le dé-

ficit budgétaire.

Salaire par travailleur

Profit

Comme le montre le graphique, les profits ont beaucoup plus augmenté que les salaires ces trente dernières années. Entre 1981 et 2011, les profits ont été multipliés par 8 (inflation comprise). Le salaire moyen par travailleur a, lui, durant la même période, été multiplié par 3 (inflation comprise). À partir de 2005, les chiffres de l’évolution des salaires ne sont qu’une estimation (d’où la ligne en pointillés), mais l’augmentation des salaires n’est certainement pas supérieure à celle-ci.

Nous avons déjà donné…

2007

22 711 000 C’est le nombre de chômeurs que compte l’Union européenne.

1 sur 5 En Union européenne, le chômage des jeunes (jusqu’à 24 ans) se chiffre à 20,7 %.

313 000 C’est le nombre de personnes mises au chômage économique en Belgique en avril 2009, soit 130 000 personnes de plus par rapport à l’année précédente.

8,4 % C’est le pourcentage de working poors (travailleurs pauvres) dans l’Union euro-péenne.

1,6 million C’est le nombre de personnes vivant sous le seuil de pauvreté en Belgique.

11,3 % Taux de chômage en Belgique.

5,4 milliards d’euros Revenus perdus par l’État en 2012 à cause de la déduction des intérêts notionnels. Une réduction qui coûte à chaque Belge 500 euros par an.

0,9 % C’est le pourcentage de hausse du salaire horaire brut dans l’industrie entre octobre 2009 et octobre 2010.

900 En 1968, le grand directeur du constructeur automobile américain General Motors gagnait 66 fois plus que l’ouvrier moyen de son entreprise, aujourd’hui le directeur de la chaîne de magasins Wal-Mart gagne 900 fois plus.

1920En Grande-Bretagne, l’inégalité des reve-nus n’a jamais été aussi grande depuis les années 20.

26 septem-bre – 6 octobre 2008

Le cours de l’action Fortis s’ef-fondre le 26 septembre suite à l’incerti-

tude autour de la reprise de la banque ABN Amro. En quelques jours, la Belgique rachète

la banque Fortis à Fortis Holding pour la somme de 16,6 milliards d’euros, pour ensuite la revendre en partie (75 %) à BNP Paribas au prix de 8,25 mil-liards. Ce prix est payé sous forme d’actions de la banque BNP Paribas, évaluées à 68 euros l’action. Aujourd’hui, la valeur de ces actions est descen-

due à 39,80 euros (cours du 16 septembre 2011). Concrètement, la Belgique a jusqu’à

présent enregistré sur ses actions une perte de 4,829 milliards.

27 octobre 2008 L’État belge injecte 3,5

milliards dans la KBC, plus tard (le 22 janvier 2009) elle reçoit

des autorités flamandes 2 milliards supplémentaires. Il est ici question d’un prêt subordonné (emprunt qui ne sera

remboursé qu’après le rembourse-ment de tous les autres créanciers en cas de faillite de l’émetteur) et

non d’une participation au capital-actions.

14 janvier 2010 Proposition d’un pre-

mier plan d’austérité en Grè-ce : réduire de 10 % les dépenses

dans le secteur public. Le discours en faveur « d’un ajustement des finances publiques pour sécuriser les marchés

financiers » résonne de plus en plus fort. C’est bien le sauvetage des banques – acteurs sur les marchés financiers –, qui est à l’origine des difficultés

financières des États.

4 février 2010

Journée la plus noire en dix mois pour les bourses européen-

nes. En cause, la crainte d’une propa-gation au reste de l’Europe des déboires budgétaires de la Grèce. Les problèmes rencontrés par la Grèce constituent une menace pour l’euro. Partout, les gouver-nements annoncent de rigoureux pro-grammes d’austérité, entre autres pour

« rétablir la confiance dans l’euro ». C’est à présent aux citoyens de

payer la facture de la crise financière.

31 mars 2010 En Belgique, la dette publi-

que grimpe et atteint les 342,9 milliards, dépassant ainsi la limite

symbolique des 100 % du PIB, et effa-çant un tiers de la réduction de la dette

réalisée entre 1993 et 2007. Avant la crise, la Belgique payait sur les marchés financiers

des intérêts de l’ordre de 2,82 % sur sa dette, aujourd’hui ces intérêts s’élèvent

à plus de 4 %. Soit un coût supplé-mentaire de plus de 0,5 mil-

liard d’euros par an.

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19 mai 2010 Selon le Bureau du

Plan, la Belgique va de-voir économiser, en cinq

ans, 22 milliards d’euros si elle veut atteindre l’équi-

libre budgétaire d’ici 2015.

20 octobre 2010

Le gouvernement britanni-que annonce un plan d’écono-

mie de 86 milliards de livres pour 2015 (soit 99 milliards d’euros) avec en outre la suppression de 490 000 postes publics, le rehaussement de l’âge de la

pension à 66 ans et une augmenta-tion des droits d’inscription dans

les universités jusqu’à trois fois plus élevés.

27 octobre 2010 Réforme des pensions en France. Dès 2018, les

Français devront attendre d’avoir 62 ans pour pouvoir partir à la retraite. Pour avoir droit à une

pension complète, la carrière professionnelle passe de 40 à

41 ans et trois mois.

« La crise résulte d’une dette colossale du secteur privé, une dette reprise par les autorités pour éviter une nouvelle Grande

Dépression. » (Nouriel Roubini, économiste)

« Les coupes drastiques dans les dépenses publiques rappellent ces chirurgiens médiévaux qui pratiquaient la saignée pour soigner les malades, ce qui avait pour résultat d’aggraver l’état des patients. » (Paul Krugman, éco-nomiste)

« Cessons de nous préoccuper des soi-disant magiciens de la finance qui ont provoqué le gâchis actuel – et qui réclament à présent l’austérité et des réformes – au profit d’un peu de bon sens, enfin. S’il y a des coûts à endurer, leur poids doit être supporté par les responsables de la crise et

ceux qui ont profité le plus de la bulle qui l’a précédée. » (Joseph Stiglitz, prix Nobel d’économie)

« Selon un rapport confidentiel infor-mel de la Commission européenne, daté du 12 février 2007, il ressort que la part du salaire dans le revenu glo-bal a atteint dans les différents pays européens un niveau historiquement bas. Les travailleurs salariés sont spoliés de plusieurs milliards d’euros désormais distribués comme dividendes et bénéfices. » (Paul Goossens, ancien rédacteur en chef De Morgen)

« L’ironie de l’histoire, c’est que l’on se retrouve à présent au même point qu’il y a quinze ans : l’État a de nouveau une banque entre les mains, à la différence près que des milliards d’euros et joyaux nationaux ont été

bradés, entraînant un appauvrissement collectif. » (Rik Van Bever, ancien pré-sident CGSP de la CGER à propos de la reprise de Fortis)

« Il faut toujours rembourser les dettes. Et l’argent consacré au remboursement de la dette ne peut être affecté aux pensions, soins de santé ou à l’enseignement. » (José Barroso, président de la Commission européenne)

« Nous allons être confrontés à une baisse du niveau de vie. »(Luc Coene, Gouverneur de la Banque Nationale)

11 mars 2011 Les pays de la zone euro

signent le pacte Euro Plus qui prévoit pour l’Union davantage de

possibilités d’intervenir dans la politique des États membres et notamment en ce qui concerne le budget, les salaires, l’âge légal

de la pension, la sécurité sociale, le marché de l’emploi, etc. Les États membres seront désor-mais sanctionnés s’ils ne se conforment pas

aux « recommandations » de l’UE. C’est à présent Angela Merkel qui dicte la loi

pour toute la zone euro : économi-ser ou être sanctionné.

4 juillet 2011

Di Rupo propose dans sa note un plan

d’austérité de 22 milliards d’euros.

… eux pas

Ruben RamboeRRemerciements à Luc, Marco, David et Quentin pour les renseignements donnés.

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2011

L’Allemagne, pays modèle ?10 euros En Allemagne, une personne sur cinq gagne moins de 10 euros bruts de l’heure. 2,5 millions de travailleurs à temps plein vivent sous le seuil de pauvreté.

6,7 millionsC’est le nombre d’Allemands qui ont actuelle-ment un emploi précaire et gagnent moins de 400 euros par mois.

-10 % et +13 % Depuis 1990, les impôts en Allemagne ont baissé de 10 % pour les plus riches, tandis que la classe moyenne a vu ses impôts grimper de 13 %.

-0,9 % et + 36 % En vingt ans, les salaires réels ont chuté de 0,9 %, tandis que les salaires élevés, les bénéfices et les revenus du patrimoine ont grimpé de 36 %.

Fois six La fortune des dix familles belges les plus riches a été multipliée par six entre 2001 et 2011.

0,6 % C’est le pourcentage d’impôts que Warren Buffett, le deuxième homme le plus riche au monde, devrait payer s’il vivait en Belgique. Aux États-Unis, il doit tout de même payer 17,6 % d’impôts sur ses revenus.

500 milliards d’euros Les réserves d’argent cash dont disposent les mul-tinationales non financières d’Europe n’ont jamais été aussi importantes.

152 euros C’est l’impôt que les deux holdings du milliardaire Albert Frère ont payé en 2009 sur un bénéfice de 3,3 milliards d’euros.

0,57 % C’est le taux d’imposition payé par les 50 sociétés bénéficiant de fortes réductions fiscales et qui en 2009 ont enregistré un bénéfice total de 42,7 mil-liards d’euros. Officiellement, le taux d’imposition pour les entreprises est de 33,99 %.

5,4 milliards d’euros C’est la somme que perdra l’État belge en 2012 à cause de la déduction des intérêts notionnels.

Fois quatre et divisé par cinq En Belgique, les bénéfices des sociétés privées non financières de plus de 300 travailleurs (467 entre-prises) ont quadruplé entre 2001 et 2009. Le taux d’imposition sur leurs bénéfices est passé de 26,2 % en moyenne en 2001 à 5,1 % en 2009.

5,6 milliards d’euros Ce montant correspond aux dividendes distribués par les entreprises belges cotées en bourse en 2010.

3,29 millions d’euros C’est le salaire annuel brut moyen d’un PDG d’une société cotée en bourse dans le Benelux.

3 851 Rien qu’entre 2005 et 2010, 3 851 temps pleins ont été supprimés au ministère des Finances supposé combattre la fraude fiscale.

Été 2011« Crash salami » mondial :

recul par tranches successives. Il s’agit de l’un des krachs boursiers les plus sévères de l’histoire. En cause, la

crainte d’un nouveau recul économique après la très légère reprise de 2010 avec

aggravation des déficits budgétaires et de la dette publique. Débat sur le plafond de la dette aux États-Unis. À

Paris, les taux chutent de 25 % entre début juillet et mi-

août.

12 avril 2011

En Belgique, un arrêté royal fixe la norme salariale

dans l’Accord interprofessionnel (AIP). Les salaires ne pourront dé-passer l’indice santé de maximum 0 % en 2011 et de 0,3 % en 2012.

La FGTB et la CGSLB avaient pourtant rejeté l’AIP.

28 avril 2010 L’agence de notation

financière Standard & Poor’s dégrade la note des obligations

d’État grecques, ce qui entraîne un nouveau krach boursier. La Grèce n’a

pas les moyens d’emprunter sur le mar-ché financier. Les pays de la zone euro vont alors prêter 30 milliards d’euros à la Grèce, aidant ainsi les banques

qui possèdent des obligations d’État grecques dans leur

portefeuille.

21 novembre

2010 L’Union européenne

vient « en aide » à l’Irlande en lui versant 85 milliards

d’euros comme elle l’a fait pour la Grèce.

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Train européen de l’austérité : le premier wagon belge est annoncé

Effet de la note Di RupoTomber à 456 euros après 14 mois de chômage

Sylvie vit avec Jean et n’ont pas d’enfant. Elle a été licenciée après 6 années de travail. Avec la note Di Rupo, Sylvie tombera beaucoup plus vite à un forfait minimum. La conséquence sera très concrète : après 14 mois de chômage au lieu de 21 mois, elle perdra jusqu’à 344 euros par mois d’allocations de chômage. Et elle pourra voir, à terme, son allocation supprimée si elle ne fait pas la preuve d’une recherche active de travail.

Travailler toujours plus longtemps

A quelle sauce serons-nous mangés?

La Commission européenne pousse les États membres à réformer leur système de pension en obligeant les gens à travailler plus longtemps. Les États sont même priés de le faire « de toute urgence ». Le mot d’ordre est répété en chœur par tous les partis autour de la table des négociations : le vieillissement de la population crée des immenses trous dans le budget de l’État. Il faut donc fermer les vannes. La note Di Rupo reprend tous les ingrédients de la Commission européenne en les mettant à sa sauce : il sera encore plus difficile de bénéficier de la prépension. Si les mesures prévues par le Pacte de solidarité entre les généra-

tions de 2005 ne s’avèrent pas suffisantes pour dissuader les départs en prépension, le texte envisage une série de mesures « correctrices » (rallongement de la carrière nécessaire pour accéder à la prépension, relèvement de l’âge d’accès à la prépension). Également, une série de mesures sont prévues afin d’empêcher le dé-part en pension anticipée. A terme, on veut même rendre ce mécanisme impossible. L’âge minimum de la retraite anticipée, actuellement de 60 ans, sera en effet augmenté de 2 mois par an jusqu’à ce que l’âge de la pension anticipée coïncide avec l’âge légal de la pension, c’est-à-dire 65 ans. Par ailleurs, avoir droit à une

pension complète sera encore plus difficile. Par exemple, en touchant au nombre d’années de carrière prises en considération dans le calcul de la pension ou en diminuant la valorisation de certaines périodes de prépension ou d’interruption volontaire de travail. Le texte prévoit enfin de favoriser le deuxième pilier de pensions (assu-rance privée groupée par entreprise ou par secteur) au détriment de la pension légale. Bref, une batterie de mesures visant à rallonger notre carrière. Pourtant, il n’y a vraiment aucun sens à devoir travailler plus longtemps (voir ci-contre).

Chômeurs : un boulot à tout prixLa note Di Rupo propose de rendre l’octroi des allocations de chômage plus difficile. Ainsi, les jeunes ne pourront plus bénéficier d’alloca-tions d’attentes que s’ils font preuve d’une démarche active de recherche d’emploi. La dégressivité du chô-mage sera accrue pour arriver à un forfait minimum qui variera selon la situation familiale du chômeur. Cela signifie que le montant des allocations de chômage diminuera

plus rapidement dans le temps (voir notre exemple ci-contre). Enfin, la note Di Rupo prévoit qu’une procédure de contrôle de disponibilité plus rapide sera mise en place, amenant également un accompagnement plus rapide par les services régionaux compétents. Le contrôle de disponibilité active sera étendu aux plus de 50 ans, en passant à 55 ans dès 2013 et 58 ans en 2016. La notion d’emploi

convenable sera également adaptée, pour porter la distance minimale de recherche d’emploi de 25 km à 60 km, indépendamment de la durée des déplacements. Dans une situation où il n’y a pas assez d’emplois à offrir pour rencontrer les 600 000 demandeurs d’emplois actuels, ces mesures conduiront à des exclusions et à faire pression sur les conditions de travail et de salaire de tous les travailleurs.

La pression sur les salaires est maximaleLa note Di Rupo ne s’attaque certes pas directement aux salaires (ou à leur indexation), mais la réforme des pensions et la chasse aux chômeurs vont augmenter la concurrence entre travailleurs pour un même emploi. Sous peine de se voir exclus ou de voir leurs allocations réduites à leur minimum, les chômeurs seront en effet contraints de trouver un travail à n’importe quel prix. Des jobs mal payés et aux conditions de travail déplorables. Avec cette main d’œuvre de réserve prête à tout pour trouver un travail, les employeurs peuvent faire pression sur leurs salariés pour qu’eux aussi acceptent la modération salariale et des conditions de travail plus précaires. C’est ce système qui a été mis en œuvre en Allemagne, avec la conséquence qu’à côté de 4,1 millions de chômeurs, des millions de travailleurs gagnent si peu que leur salaire ne suffit plus pour vivre.

La réforme de l’Etat prévue par Di Rupo va accentuer cette tendance. Chaque Région va être incitée à taper plus dur sur « ses » chômeurs et à augmenter son taux d’emploi quelles que soient les conditions de travail ou de salaire proposées. Les Régions auront en effet un bonus ou un malus en fonction du taux d’activité de leurs résidents. Un bonus complémentaire sera octroyé aux Régions qui parviennent à faire remonter leur taux d’emploi au-dessus des prévisions du Bureau du Plan. Et puis, l’Europe, elle, veille et fait pression pour diminuer nos salaires et être plus compétitifs. Chaque pays reçoit donc un bulletin semestriel de la Commission européenne l’invitant à prendre telle ou telle mesure pour modérer les salaires. Cette logique s’est déjà traduite en Belgique par la limitation de 0,3 % d’augmenta-tion salariale que le gouvernement

(en affaires courantes) a imposé début 2011 pour les deux années à venir. Depuis lors, cette logique est poursuivie : alors que, dans certains secteurs ou entreprises en bonne santé, des conventions collectives de travail octroient des avantages salariaux dépassant cette limitation, le gouvernement considère que ces hausses sont illégales et sont donc refusées. Mais la Commission euro-péenne veut aller plus loin encore : elle vise notre système d’indexation automatique des salaires. Ce méca-nisme permet que, lorsque les prix montent, les salaires augmentent de manière (quasiment) similaire et automatiquement. Cela permet de sauvegarder notre pouvoir d’achat en le liant au coût de la vie. La résis-tance syndicale a, jusqu’à aujourd’hui, empêché la mise en place de cette réforme voulue par l’Europe. Mais la pression reste maximale.

Axel BernArd et Jo Cottenier<

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Travailler plus longtemps est mauvais pour la santé

La Belgique est dans le top 3 des pays ayant la plus grande productivité au travail. Cela signifie que le travailleur travaille dur, très dur en Belgique. Cette productivité est la cause d’un plus grand stress au travail et est à l’origine de nombreux problèmes physiques. En particulier pour les personnes ayant un plus faible niveau de qualification. L’espérance de vie en bonne santé varie en effet en fonction du diplôme. Et l’écart entre ceux qui ont des diplômes importants et ceux qui n’en ont pas ne fait qu’augmenter. En 1994, les femmes « hautement qualifiées » vivaient en bonne santé 11,5 ans de plus que celles qui n’avaient pas de diplôme. C’était en 1994. En 2004, l’écart montait à 18,2 ans. (étude TAHIB 2010).

Nos pensions sont-elles réellement impayables ?

L’Union européenne et les pays de la zone euro sont en train d’imposer d’importantes réformes sociales et économiques qui vont toucher l’ensemble de la population. En Bel-gique, c’est dans la note Di Rupo, base de la négociation du nouveau gouvernement, que cette politique d’austérité a pour la première fois été mise sur papier.Face à la crise, l’Union européenne met la pression sur tous les États. Elle les contraint à prendre une série de mesures qui vont toutes dans le même sens : obliger les gens à travailler plus longtemps, attaquer les salaires et les chômeurs, réduire les dépenses publiques, sabrer dans la sécurité sociale, privatiser

u les entreprises publiques... Chaque État national y va bien sûr de sa propre recette mais le menu, lui, est bien fixé par les instances européennes. De gré ou de force d’ailleurs. En Belgique, la soumission aux diktats de la gouvernance européenne est telle que le président du CD&V, Wouter Beke, déclarait en mai 2011 : « Un gouvernement de gauche ou de droite est un faux débat, ce sera surtout un gouvernement européen, un gouvernement qui exécutera ce que l’Europe nous dictera. » De fait, les principales orientations socio-écono-miques de l’Union européenne sont intégralement reprises par la N-VA et très largement par toutes les autres forces politiques du pays. Début juillet 2011, cela s’est traduit pour la première fois dans la note rédigée par Elio Di Rupo servant de base aux négociations actuelles d’un futur gouvernement. Le front commun syndical a directement réagi : « Un vent

d’austérité et de politiques antisociales souffle sur l’Europe, et la Belgique n’est pas épargnée. » FGTB, CSC et CGSLB refusent de soutenir « un document aussi déséquilibré où les mesures sont claires pour les travailleurs, pourtant victimes de la crise, mais beaucoup moins pour les responsables de celle-ci, dont certains employeurs, aux abonnés absents. » Revenir sur cette note en analysant en détail les attaques antisociales qui y sont contenues, c’est nous préparer aux enjeux sociaux à venir. La note Di Rupo est en effet un peu la facture minimale que nous devrons payer. Minimale car, d’une part, la crise s’est entre-temps encore approfondie ; d’autre part, aucun parti autour de la table des négociations ne propose de faire payer fermement les vrais responsables de la crise : les banques, les millionnaires et les grands actionnaires. Et quand on refuse de s’attaquer aux gros, ce sont les petits qui trinquent.

600 000 chômeurs, pourquoi travailler plus longtemps?

Le vieillissement de la population est un fait incontestable. La catégorie des plus de 65 ans ne fait qu’augmenter. Mais est-il si évident qu’il faille tra-vailler plus longtemps pour payer nos pensions ? Dans son rapport le plus récent, le Comité d’étude sur le vieillissement estime que nos pensions coûteront en 2030 environ 12 milliards de plus qu’aujourd’hui. Une augmentation de 3,6 % en part de PIB (produit intérieur brut, la valeur totale des biens et services produits dans un pays). Cela signifie que, d’ici 20 ans, nous devons trouver 600 millions par

an pour financer les pensions. Ce n’est pas rien, mais cela reste quand même bien moins catastrophique que ce que prétendent ceux qui veulent nous faire travailler plus longtemps. Il est parfaitement pos-sible, par exemple, de faire en sorte que la lutte contre la fraude fiscale ramène 600 millions de plus dans les caisses de l’État. De nombreuses études estiment que le montant annuel de la fraude fiscale se situe entre 15 et 20 milliards (5 à 6 % du PIB). Finalement, le seul problème, c’est l’absence de volonté politique.

La caisse des pensions vidée par... ceux qui nous demandent aujourd’hui

de travailler plus longtempsLes partis qui prétendent que les pensions seraient impayables oublient toujours de parler de la façon dont l’argent des pensions a été pillé. Le salaire indirect, c’est-à-dire les cotisa-tions sociales payées par l’employeur, est la principale source de revenus pour payer les pensions du privé. Ces dernières années, cette partie du salaire est présentée comme un impôt sur le travail. On crée ainsi l’idée qu’il s’agit d’un fardeau qui pèse sur les travailleurs. Alors que ces cotisations

sociales font intégralement partie du salaire. En d’autres termes, toute réduction de cotisations sociales est un vol dans les caisses de la sécurité sociale et, donc, des pensions. Or, ce vol a été réalisé par les gouvernements successifs, un peu comme fonctionne un ordre permanent. Année après année, les patrons ont bénéficié de réductions de cotisations sociales et ont vu leurs profits augmenter sans avoir de réels effets sur la création d’emploi. Le coût

annuel total de ces réductions est de plus de 7 milliards d’euros. Comparé avec ce montant, le surcoût annuel qu’on doit trouver pour payer les pen-sions (600 millions) apparaît ridicule. D’autant que, simultanément, toutes les formes de salaires sans cotisations de sécurité sociale ont été encoura-gées : chèques-repas, écochèques, contributions au deuxième pilier de pensions et autres cadeaux ou avantages qui ne contribuent pas au financement de la sécurité sociale.

Les jeunes vont-ils devoir payer pour les vieux ?A en croire les médias, il y a une plus grande tragédie que le vieillissement lui-même : le choc entre les généra-tions. Les jeunes ne voudront plus payer pour le tsunami de personnes âgées qui bénéficient de pensions dorées. Un nouveau pacte entre les générations serait alors nécessaire pour que les aînés renoncent à leurs droits et travaillent plus longtemps. On transforme ainsi un conflit entre des classes sociales (la classe possédante ne veut pas payer la hausse du coût des pensions) en un conflit ente les générations. Ce mythe a pris un fameux coup quand, l’année dernière, la jeunesse

scolarisée et les jeunes générations en France ont massivement participé au mouvement de protestation contre le plan de réforme des pensions élaboré par le ministre Woerth. La jeunesse a réalisé que cela allait aussi toucher son droit à la pension. Et que permettre aux plus âgés de partir à la retraite était la manière la plus directe de combattre le chômage des plus jeunes. « 600 000 chômeurs, pourquoi travailler plus longtemps », entendait-on déjà en Belgique lors de la lutte contre le pacte des générations de 2005. Aucun des prédicateurs du « travailleur plus longtemps » n’a réussi à réfuter cet

argument qui brise le mythe de la guerre des générations en créant l’unité des jeunes et des anciens autour de mêmes intérêts. Il y a un autre argument important pour ne pas opposer les générations l’une contre l’autre et obliger la classe possédante à mettre la main à la poche. Le moyen le plus sûr de faire face au vieillissement de la population est en effet de créer de nouveaux emplois : non pas des sous-statuts, mais bien des jobs à part entière qui donnent lieu au paiement entier de cotisations sociales. Et, pour financer ce type d’emplois, un impôt sur la fortune peut faire des miracles.

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Suite des pages 6 et 7

Barroso, président de la Commission européenne, et Angela Merkel, chancelière

allemande : les nouveaux souverains des Belges ? Pour être certaine que son agenda soit mis en œuvre, l’Union se dote d’un processus de

« gouvernance économique européenne ». La France et l’Allemagne mènent la danse, et

veulent s’assurer que, si les États ne mettent pas en œuvre les réformes proposées, ils soient

sanctionnés. (Photomontage Solidaire)

Effet de la note Di RupoDes soins de santé de moins en moins accessibles

Françoise a 72 ans. L’année passée, elle s’est fracturé la hanche suite à une chute. Elle a dû être hospitalisée deux fois. Vu qu’elle n’a pas d’assurance privée, elle a dû débourser deux fois 550 euros en moyenne de ticket modérateur. Elle n’a aujourd’hui plus les moyens de payer une telle somme et devra postposer une 3e hospitalisation nécessaire. En 2008, 14 % de la population belge était dans ce cas. Françoise avait espéré qu’avec les années, la somme à charge du patient allait diminuer. Avec le blocage de la norme de croissance des soins de santé à 2 %, elle ne pourra pas compter sur un allègement de sa facture.

Coups de canif dans les finances publiques22 milliards. C’est la somme que le formateur veut

trouver. Avec de nouvelles recettes, mais aussi et surtout, en sabrant dans les dépenses publiques. Outre quelques réformes symboliques (réduction de 5 % de la rémuné-ration des ministres, par exemple), la note Di Rupo com-mence immédiatement par deux mesures « massue » :

u le gel pendant deux ans du budget des administrations publiques et la réduction de plus de moitié de la norme de croissance du budget des soins de santé (de 4,5 % à 2 %). Justement les deux points avancés continuellement par la Fédération des entreprises de Belgique (FEB) pour « revenir à l’orthodoxie budgétaire ».

Gel du budget des services publicsAvec le gel des frais de personnel et de fonctionnement pendant deux ans, le service public devra se serrer la ceinture. Mais aussi « tous les organismes assurant des mis-sions pour le compte de l’État ou de la Sécurité sociale », comme les mutuelles, par exemple. Avec l’aug-mentation normale des traitements

et leur indexation, et sauf à se mettre tout le personnel de la fonction publique à dos, les économies ne pourront nécessairement se faire que par un non-remplacement de ceux qui quittent l’administration. Conséquences : détérioration de l’emploi et de la qualité du service offert au public.

500 millions en moins pour la santéDe plus en plus de patients s’en-dettent pour payer leurs frais mé-dicaux. Ou décident de souscrire une assurance privée par crainte d’avoir des ennuis de santé. En 1997, « seulement » 8 % des Bel-ges devaient reporter des soins par manque d’argent. En 2004, ils étaient 10 % et, en 2008, 14 %. Avec le vieillissement de la population, l’importance de la solidarité ne cesse de croître. 10 % de la po-pulation, principalement les plus

âgés, utilise en effet plus de 75 % du budget des soins de santé. Et les assurances privées ne sont pas intéressées par ces personnes. Toutes les études le prouvent : les pauvres sont malades plus vite et plus longtemps. L’augmentation du chômage, les difficultés financières sont donc également des facteurs qui font augmenter les dépenses en soins de santé, en plus du vieillissement de la population. On pourrait dès lors attendre d’un futur gouvernement

qu’il anticipe cette augmentation des dépenses en maintenant une norme de croissance conséquente du budget accordé aux soins de santé. D’autant que le PS en avait fait un slogan (de campagne ?) : pas touche à la norme de croissance. Le tabou est pourtant tombé. Elio Di Rupo propose de la réduire de 4,5 % à 2 %. Concrètement, cela signifie près d’un demi-milliard en moins pour le budget des soins de santé.

Le très discret coup d’État de l’Union européenne Le front commun syndical réagissait à la note Di Rupo en soulignant qu’elle « se fait le relais des individualismes et des replis sur soi qui donnent lieu au délitement des solidarités qui ont fait et continuent de faire la richesse de la Belgique ». Cette réaction est salutaire, d’autant que la note Di Rupo n’est que le premier wagon du train antisocial construit par l’Union européenne. D’ailleurs, pour être certaine que son agenda soit mis en œuvre, l’Union se dote d’un processus de « gouver-nance économique européenne ». Il s’agit d’un ensemble d’instruments permettant d’intervenir de manière contraignante dans les politiques sociales et économiques des États membres. Ces derniers pourront être sanctionnés s’ils ne mettent pas en œuvre les réformes proposées. Une manière de s’assurer une emprise bien plus forte sur la politique des États membres ou comment conférer aux institutions européennes les moyens de mieux diriger le démantèlement social.

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Nationalisme : faux coupables et fausses solutions

Le ministre-président de la Communauté française Rudy Demotte a appelé « à envisager toutes les hypothèses, dont celle de se prendre en mains toute seule sans la Flandre ». La voie de l’autonomie est pourtant suicidaire pour le monde du travail en Wallonie. (Photo Belga)

Certains politiciens francophones prétendent qu’il faut accepter le confé-déralisme, c’est-à-dire une Belgique où l’essentiel des compétences se trouvent dans les Régions. Une telle voie est-elle à suivre ? Ré-ponse en deux questions.

1. Face au nationalisme flamand, faut-il se replier sur l’espace

Wallonie-Bruxelles pour sortir de la crise ?

Le Ministre-président de la Com-munauté française Rudy Demotte a appelé « à envisager toutes les hypothèses, dont celle de se prendre en mains toute seule sans la Flandre ». Le formateur Di Rupo propose, dans sa note, d’aller dans ce sens. Les négociateurs veulent la scission de pans entiers de la sécurité sociale (allocations familiales, soins de santé, chasse aux chômeurs), de la Justice, de la circulation. Un transfert de com-pétences représentant 17,3 milliards d’euros ira aux Régions. Sa note prévoit aussi une régiona-

u lisation de la politique économique et industrielle, énergie, agriculture, urbanisme, logement et aménage-ment du territoire. Elle prévoit une autonomie fiscale pour les Régions de 11 milliards. Cela veut dire que des impôts différents seront perçus selon les Régions.

Trois pays en un ?Ces mesures vont créer deux ou trois pays différents au niveau social. Elles introduisent la concurrence fiscale entre les Régions qui pourront lever des impôts et accorder selon leur volonté les subsides au patronat sous le prétexte de créer de l’emploi. Cela poussera vers le bas les impôts sur le capital comme cela se passe avec la concurrence fiscale entre pays au niveau de l’Europe. Moins de rentrées mènera à ce qu’il y ait moins d’argent pour les budgets sociaux de l’État et des Ré-gions. Moins pour l’enseignement, la culture, l’aide à la jeunesse, la politique des handicapés... Mais régionaliser rime avec appauvrir : la Banque nationale es-time que chaque Wallon risquerait de perdre 1 783 euros par an. S’ils acceptaient un financement lié aux impôts payés par les Wallons (et non une répartition sur base des impôts

payés par tous les Belges), les Wallons perdraient entre 15 et 20 % de leur bien-être actuel. Cela conduirait à ce que 22 % des Wallons tombent sous le seuil de pauvreté, c’est-à-dire sous un revenu de 850 euros par mois. Conséquence : soit des cotisations sociales plus élevées pour les actifs, soit des remboursements et des allocations moins élevés pour les chômeurs, malades, enfants.

Solidarité, pas charitéAu lieu de rouler des mécaniques, de nombreuses forces sociales proposent de tabler sur la solidarité. Les transferts de la Flandre vers la Wallonie ne sont pas un cadeau. C’est de la solidarité. Les habitants de Wallonie ne sont pas responsables du démantèlement de l’industrie dans leur région et n’ont pas à avoir honte ni à se considérer comme des assistés. La désertifi-cation économique wallonne est une conséquence d’un système qui n’obéit qu’à une loi : le profit rapide et maximal pour les actionnaires. Les responsables sont les actionnaires de la Société Générale, de l’Union Minière, les barons Janssens, Boël, Lambert, les Davignon, Lippens. Ces mêmes groupes peuvent d’ailleurs également conduire la Flandre à sa perte. Ce qu’a vécu la Wallonie depuis

1950, la Flandre risque de le connaître aussi aujourd’hui avec la disparition de ses industries. La voie de l’autonomie est suicidaire pour le monde du travail en Wallonie. Une autonomie accrue augmentera la pression pour une régionalisation des syndicats, ce qui les affaiblirait considérablement. Les travailleurs seraient donc moins protégés, que ce soit au Sud ou au Nord du pays. La Wallonie ne restera pas à l’abri des mesures antisociales qui seraient imposées en Flandre. Au contraire, le résultat sera une concurrence effrénée entre les entreprises du Nord et du Sud qui se traduira par une spirale vers le bas des droits sociaux et des salaires.

2. Les Flamands veulent-ils se séparer ?

Les élections de juin 2010 ont révélé une avancée impressionnante du nationalisme au nord du pays. Mais il ne faut pas confondre l’attitude des partis flamands sur le communautaire et l’opinion publique en Flandre. Seulement 17 % des électeurs de la N-VA étaient pour la scission du pays. Les motivations des électeurs N-VA sont donc bien plus nuancées qu’un mandat clair pour une réforme confédéraliste de l’État menant à la

scission du pays. Il est important de ne plus apporter de l’eau au moulin des nationalistes flamands en parlant d’un front fran-cophone. Cela renforce l’idée d'un affrontement permanent entre deux blocs linguistiques. Il existe aussi des mouvements d’opinion et des organisations qui défendent le maintien d’une structure unitaire du pays, comme les mutuel-les ou les syndicats. Ceux-ci restent fermes sur leur refus de scinder la sécurité sociale, au nord du pays aussi. La FGTB flamande mène campagne contre le programme antisocial et séparatiste de la N-VA. Le président de la CSC, Luc Cortebeeck, a critiqué fermement le programme de De Wever qui se présente comme le défenseur du « Flamand qui travaille dur ». La plateforme « Pas en notre nom » a aussi montré l’implication du monde culturel et des jeunes contre la scission du pays. Il existe donc encore une base large, aussi en Flandre, pour inverser la tendance actuelle. Dans la perspective de mesures d’austérité draconiennes, il s’agit de préserver l’unité entre les travailleurs du Nord et du Sud.

Herwig Lerouge<

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La résistance paie

Contre la casse sociale, la lutte

Partout en Europe, les gouvernements mè-nent une politique de sévère austérité, aux con-séquences très dures pour la population. La Grèce a déjà connu deux trains de mesures de lourdes restrictions budgétaires. À chaque fois, les Grecs se sont insurgés. Durant l’année 2010, la France a également été le théâtre de manifestations et de grèves. Et, ces derniers mois, au Portugal, en Espagne et en Italie, les protestations n’ont cessé de se multiplier.

Malgré cette opposition, rien, jusqu’à présent, n’a pu arrêter ces mesures d’austérité. La résistance ne servirait-elle donc à rien ? « Re-gardez en France et en Grèce, entend-on parfois. Des mois de grève, et les mesures d’économies sont quand même appliquées... »

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Grèce« Peoples of Europe, Rise up ! (Peuples d’Europe, soulevez-vous !) » Si les mouvements de lutte de chaque pays européen se mettent ensemble, nous pouvons faire payer la crise aux vrais respon-sables. (Photo KKE)

Les comités mis sur pied durant la lutte restent actifs et engrangent déjà des résultats. Ils ont, par exemple, réussi à faire réengager dans leur entreprise des personnes licenciées, et à obtenir que l’électricité soit à nouveau fournie à des familles qui ne pouvaient plus payer leur facture. (Photo Odysseas Gp)

IslandeLa population islandaise refuse d’endosser les dettes des banques. La proposition du gouvernement et du FMI de faire payer chaque Islandais 100 euros par mois pendant 15 ans a été balayée. Photo: Les Islandais protestent devant la Banque centrale. (Photo Helgi Halldórsson)

FranceEn 2010, durant 8 mois, les jeunes Français se sont joints aux plus âgés pour lutter contre la réforme des pensions de Sarkozy. Cette solidarité entre générations est un trésor inestimable pour les luttes à venir. (Photo Didier Bonnel)

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Une chose est néanmoins certaine : celui qui ne résiste pas paiera d’office la facture. La résignation ne résout absolument rien, et la peur, encore moins. C’est ce que démontre l’exemple de l’Irlande. Entre 2008 et 2010, les Irlandais ont dû avaler trois vagues d’austérité successives. Le revenu familial moyen a baissé de 7%. Tout cela, sans la moindre résistance digne de ce nom. Le ministre irlandais des Finances s’en est d’ailleurs vanté : « Nos partenaires en Europe sont impressionnés par notre capacité à endurer la douleur. En France, vous auriez eu des émeutes. »

MobilisationLe président français porte en effet un regard envieux sur le comportement docile des Irlandais. Les Français sont moins soumis. Depuis 1993 déjà, les gouvernements français suc-cessifs se sont attelés à relever l’âge de la pension. D’abord, dans le secteur privé, le nombre d’années de carrière requises pour le droit à une pension complète a été augmenté à 40, ce qui n’a pas suscité de véritable rébellion. Ce manque de réaction a encouragé le gouvernement Juppé de l’époque, en 1995, à faire de même pour les services publics. Un énorme

mouvement national de grève a alors éclaté dans le secteur public. Le gouvernement français s’est ainsi vu obligé de retirer son plan. Ce n’est qu’en 2003 que le gouvernement a fait une nouvelle tentative pour imposer les 40 ans de carrière dans les services publics. Et, malgré une grande mobilisation, il a réussi à faire passer ce projet. C’est toutefois grâce à cette résistance que le gouver-nement a dû attendre encore sept ans avant de pouvoir, en 2010, repasser à l’attaque pour remonter encore la durée de la carrière, à 42 ans. Et c’est au forcing que ce plan est passé. Cependant, aujourd’hui, et même après la défaite de l’an passé, les Français ont toujours de meilleures conditions de pension qu’ailleurs en Europe. Conclusion : sans la lutte des travailleurs français et de leurs syndicats, la casse sociale aurait sans aucun doute fait beaucoup plus de ravages.

Non au fatalisme Peut-on mesurer le résultat des actions et des luttes ? Prenons l’exemple de la Grèce où, depuis deux ans, un large mouvement de lutte s’est organisé contre les mesures d’éco-nomies. Le Parti communiste grec (KKE) et le front syndical

militant PAME sont les moteurs de ce mouvement. Dès le début, l’accent a été porté sur la mise sur pied de comités dans les quartiers, entreprises, universités et écoles, et à l’intérieur des différents secteurs syndicaux. Jusqu’à présent, certes, leur lutte n’a pas pu empêcher les mesures d’austérité. Mais les comités créés durant la crise peuvent former la base de victoires et de changements de société à venir. Aujourd’hui déjà, ces comités enregistrent des résultats, mêmes s’ils sont modestes. Ils ont réussi, par exemple, à faire réintégrer certai-nes personnes licenciées, et à empêcher la suppression de la fourniture d’électricité chez des familles qui n’étaient plus en mesure de payer leur facture Non au fatalisme donc, oui à la résistance ! Celle-ci est hautement nécessaire si l’on veut faire payer de manière effec-tive la crise à ceux qui en sont à l’origine: les spéculateurs, les grands banquiers et les millionnaires. Parce que la résistance paie, ensemble, nous pouvons freiner la casse sociale. Et, à long terme, la lutte anticapitaliste est une bonne base pour des changements de société à venir. Renforcez cette lutte en travaillant avec les syndicats, et avec le PTB.

Joris Van Gorp<

EspagneAu mois de mai, des dizaines de milliers de jeunes Espagnols sont descendus dans la rue pour protester contre la politique antisociale du gouvernement Zapatero. En Espagne, le taux de chômage des jeunes est de 45 %. À Madrid, la place de la Puerta del Sol a été occupée pendant plusieurs jours, mais les jeunes ont également exprimé leur mécontentement dans des dizaines d’autres villes espagnoles (comme ici, à Barcelone). (Photo Julien Lagarde)

PortugalLe Portugal a « reçu » de l’Union européenne et du FMI une aide de 78 milliards d’euros, dont la plus grande partie est déjà réservée pour un fonds de garantie aux banques. En échange de cette aide, le Portugal doit mettre en œuvre un lourd train de mesures d’économies, ce que le Parti communiste portugais appelle « un pro-gramme de déclin économique et de débâcle sociale ». En mars et en mai, des dizaines de milliers de Portugais sont descendus dans la rue contre « cette attaque sans précédent contre la population ». (Photo Pedro Ribeiro Simões)

ItalieAu début du mois de septembre, en Italie, tout le secteur des transports était paralysé, ainsi qu’une partie des entreprises et des services publics. Les syndicats rejettent les mesures d’économies du gouvernement Berlusconi, et exigent que celui-ci fasse le maximum pour créer des emplois. (Photo Niccolò Caranti)

BelgiqueÀ l’automne 2005, une dizaine de milliers de travailleurs ont fait grève et ont manifesté contre le Pacte des générations pour limiter les prépensions. Malgré la lutte, celui-ci a été approuvé par le Parlement. Cependant, grâce à ce mouvement de lutte, c’est seulement en 2011, soit sept ans plus tard, que la question du démantèlement de la prépension est remise à l’agenda. (Photo Solidaire, Ilona Van Looy)

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Banquiers, spéculateurs, millionnaires : faisons-les payer

Si ce n’est pas nous qui devons payer, qui doit le faire ? Depuis trois ans, le PTB fait campagne pour une taxe des millionnaires, une idée qui a fait son chemin. Di Rupo reprend en partie l'idée dans sa note, le riche Étienne Davignon a aussi lancé un appel dans ce sens. Découvrez ici l'original, ainsi que les autres propositions du PTB.

DaviD Pestieau

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< 1. Taxe des millionnairesLes millionnaires

ont les moyens de passer à la caisse.

Cette taxe est un impôt de 1 % sur les fortunes au-dessus d’un million d’euros, de 2 % au-dessus de 2 millions et de 3 % au-dessus de 3 millions d’euros, avec déduction de la maison d’habitation (avec un maximum de 500 000 euros). Les revenus de cette taxe ont été estimés à 8 milliards d’euros.

Un petit impôt pour les uns, un grand pas vers l’emploi pour les autres

Comme le dit la Deutsche Bank, « la Belgique est un enfer fiscal pour le salarié, mais un paradis fiscal pour les grosses fortunes ». Et ces grosses fortunes ne seraient pas très touchées par un tel impôt de 1 à 3 %. Mais cela aiderait énormément la grande majorité de la population. Les rentrées de la taxe des millionnai-res (8 milliards d’euros) serviront :• à l’emploi (3 milliards), en premier lieu pour la création d’emplois publics dans le non-marchand, l’enseignement et les services publics ;• à la sécurité sociale (3 milliards), en particulier pour refinancer les pensions ;• à l’enseignement (2 milliards). Ces trois mesures créeront 100 000 emplois. L’investissement de 3 milliards d’euros pour de nouveaux emplois dans les services sociaux, la protection de l’environnement, la construction de logements et l’énergie alternative créera 80 000 emplois. De même, l’investissement dans l’enseignement et la recherche scientifique créera 20 000 nouveaux emplois.

La moitié des Belges partants

Un Belge sur deux estime qu’il faut instaurer un impôt sur la fortune, selon la dernière enquête Le Belge et son argent, réalisée par InSites Consulting pour les quotidiens L’Écho et De Tijd (jeudi 14 octobre 2010). D’autres ne trouvent pas que c’est une bonne idée, loin de là. Deux arguments reviennent souvent. Ils sont facilement réfutables.

« La taxe des millionnaires n’est pas réalisable » Elle est parfaitement réalisable en Belgique. C’est même la conclusion d’un rapport publié en 1996 par l’Administration générale des impôts (L’impôt sur la fortune est-il réalisable en Belgique ?).

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La taxe des millionnaires appliquée aux dix familles les plus riches de Belgique rapporterait 1 125 476 400 euros. De quoi augmenter de 90 euros

par mois la pension d’un million de pensionnés. (Photomontage Solidaire)

Toucher les plus riches symboliquement ou effectivement ?

Taxer les plus riches un peu, beaucoup, pas du tout ? C'est la question du jour. Sarkozy et Berlusconi ont « vendu » leur plan d'austérité en taxant symbo-liquement les riches. Et en Belgique ?

Aujourd’hui, certains super-riches demandent eux-mêmes à payer plus d’impôts. Après la 3e fortune mondiale, Warren Buffett, et quelques géants français du monde des affaires, c’était le tour récemment de « notre » Étienne Davignon. « Si vous cherchez de l’argent supplémentaire, vous devez le faire chez les gens qui peuvent y aller de leur contribution. (…) C’est pourquoi j’estime qu’un impôt temporaire sur les Belges les plus riches est certainement acceptable », a déclaré le vicomte et ancien vice-président de la Commission européenne. « Ce n’est pas un impôt plus élevé qui va changer mon style de vie quotidien » (sic). Mais Davignon ne s’est pas fait que des amis : d’autres grandes fortunes ont affirmé qu’il n’était pas question qu’ils déboursent encore un centime. « Que Davignon reprenne en partie notre idée est plutôt sympa. Il renforce ainsi notre campagne », a déclaré Jo Cottenier, du service d’étude du PTB, dans les colonnes du quotidien De Standaard. Elio Di Rupo s’est aussi montré favorable à une sorte d’impôt sur la fortune dans sa note : une taxe de 0,5 % sur les fortunes de 1,25 million d’euros et plus. Un pas dans le bon sens : cela montre que les circonstances actuelles ouvrent la voie à ce genre de mesures. Mais Davigon comme Di Rupo veulent une mesure temporaire limitée à deux ans. Et dans le scénario Di Rupo, la mesure ne rapporterait que maximum 1,5 milliard d’euros. La proposition du PTB va plus loin : une taxe de 1 à 3 % qui rapporterait plus de 8 milliards. Et qui serait couplé avec des mesures comme la levée du secret bancaire et l’instauration d’un cadastre des fortunes. Car l’enjeu est clair : aurons-nous une taxe symbolique ou effective ? Il y a ceux qui veulent faire avaler à la population un lourd sacrifice budgétaire en suscitant l’impression que les millionnaires y vont aussi de leur petite pierre. Paul Soete, patron des patrons de la métallurgie et des nouvelles technologies plaide ainsi pour « une mesure symbo-lique ». Tandis que Davignon explique : « Il ne faudrait pas que les gens estiment que les sacrifices sont inégalement répartis. » Le PTB voit les choses tout autrement : pas de facture de la crise pour les salariés, les chômeurs et les pensionnés. « Nous devons faire porter la charge de la crise par les gens qui ne connaissent pas des fins de mois difficiles. Pas de charité symbolique de la part des gros millionnaires, mais ils doivent payer des sommes qui vont réellement remplir les caisses de l’État. Ils ont profité de la crise, ils doivent payer », a déclaré à RTL Raoul Hedebouw, le porte-parole du PTB.

Vous voulez soutenir la taxe des millionnaires ? Surfez sur www.taxedesmillionnaires.be

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Rich City, population : 88 000Rich City est une ville de Belgique. 88 000 ménages y habitent. Ces 2 % les plus riches du pays ont une fortune de plus de 1,5 million d’euros. Si vous voulez y habiter, vous devriez mettre 500 euros par mois de côté pendant… 250 ans.En Belgique, 10 % de la population possède la moitié des richesses. À l’inverse, la moitié la moins riche de la population possède moins de 10 % de la fortune globale.

Les riches toujours plus riches. Les autres…Les dix familles les plus riches du pays ne connaissent pas la crise, au contraire. En dix ans, entre 2001 et 2011, leur fortune a été multipliée par 6. De 6 192 008 403 euros, leur richesse est passée à 37 535 880 000 euros (voir tableau). La taxe des millionnaires appliquée à ces dix familles rapporterait 1 125 476 400 euros. Ce qui permettrait, par exemple, d’augmenter la retraite d’un million de pensionnés de 90 euros par mois.La première fortune de Belgique, la famille de Spoelberch (InBev), détient 1,5 fois le budget annuel de l’ONEM (11,29 milliards d’euros). Avec son argent, l’ONEM a indemnisé, en 2009, 1,3 million de Belges (allocations de chômage, crédit-temps, pause-carrière) et est intervenu également pour les chèques services.

Ce rapport détaille les mesures à prendre pour instaurer une telle taxe :• créer un cadastre des fortunes (faire l’inventaire des biens de chaque Belge) ;• lever le secret bancaire ;• rendre les actions nominatives (action dont le nom du détenteur est enregistré, et donc, connu).Cette dernière mesure est déjà d’ap-plication. Les autres sont parfaitement réalisables. Elles permettraient, en plus, de combattre la grande fraude fiscale. Un impôt sur les grosses fortunes existe déjà dans plusieurs pays euro-péens : France, Finlande, Norvège, Suède, et même partiellement en Suisse. Les mesures reprises ci-dessus sont appliquées.

« La taxe des millionnaires va faire fuir les capitaux » En France, les adversaires de l’ISF (Impôt de solidarité sur la fortune)

affirment qu’il fait fuir les capitaux. Il est vrai que certains riches Français s’exilent pour échapper à l’ISF. La Belgique est d’ailleurs le premier pays d’accueil de ces SDF (sans difficultés financières). Mais, d’une part, ces exilés fiscaux sont peu nombreux : 1 % de ceux qui doivent payer l’ISF. Un cinquantième seulement du montant de ces grosses fortunes échappe à l’impôt. Un rapport du Sénat français relève : « L’argument qu’on entend souvent, selon lequel il s’agirait d’une perte de capitaux pour la France, est mal fondé, car les investissements (entreprises, Bourse) de ces contribuables ne sont pas liés à leur lieu de résidence. » Par exemple, des membres de la famille Mulliez, actionnaire des hypermarchés Auchan et première fortune de France, vivent en Belgique, mais leurs capitaux (la chaîne de magasins) restent en France.

www.taxedesmillionnaires.be

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2. Les grands banquiers peuvent banquerNous les avons aidé, elles ont fait 3,7 milliards d'euros de profit en 2010 et n'ont payé que 2,27 % d'impôts. BNP-Paribas Fortis Dexia, ING Belgique et KBC ont engrangé ensemble près de 3,7 mil-liards d’euros en 2010. Et pourtant, le service d’études du PTB a calculé qu’elles n’ont dû payer que 2,27 % d’impôts sur ces profits. Or, si elles devaient payer l’impôt nominal, elles

devraient payer 33,99 % d’impôts. Pourquoi reçoivent-elles des déductions fiscales alors que nous devons payer parce qu’elles ont dérapé en 2008 ? Si elles devaient payer l’impôt normal, cela rapporterait 1,17 milliard.

Bénéfice2010 Impôts2010 TauxFortis Banque 1 793 465 000 € -80 942 000 € -4,51 %ING Belgium 885 194 000 € 143 765 000 € 16,24 %Dexia Banque Belgique 418 680 000 € -24 693 000 € -5,90 %KBC Bank 613 226 000 € 46 224 000 € 7,54 %TOTAL 3 710 565 000 € 84 354 000 € 2,27 %

Taxées au taux nominal 3 710 565 000 € 1 261 221 044 € 33,99 % Manque à gagner 1 176 867 044 €

3. Suppression des intérêts notionnels 0 euro d'impôts sur bénéfices ? AB InBev, Sol-vay ou Belgacom l'ont fait. Les 500 entreprises ayant fait les plus gros bénéfices ne paient que 3,76 % d’impôt. Pourquoi ? Parce qu’elles bénéficient de

cadeaux fiscaux comme les intérêts notion-nels. Le montant de ses intérêts notionnels s’élève à 4,2 milliards d’euros en 2011. Pourtant ces mesures sont sans effet pour l’emploi. Pourquoi

récompenser ces entreprises et faire déraper le budget (initialement, cela devait coûter maximum 500 millions) ? La note du formateur Di Rupo avance qu’elle veut limiter ces cadeaux. Mais elles

garderaient encore pour 3,7 milliards d’euros de cadeaux. Le PTB appelle au contraire à supprimer ces cadeaux pour combler le déficit. Cela pourrait rapporter au moins 2 milliards d’euros.

4. Tolérance zéro pour la fraude fiscaleD’après une étude récente de l’ULB, relayée par la FGTB en mai 2010, les caisses de l’État peuvent faire une croix sur 20 milliards d’euros en raison de la fraude fiscale. Cette fraude coûte

150 euros par mois à chaque Belge. La suppression du secret bancaire, le contrôle public du secteur bancaire, avec des moyens pour les fonctionnaires des Finances, pourrait

permettre de commencer à réellement pour-suivre cette fraude à grande échelle. Chacun doit être puni s’il enfreint la loi. Cela pourrait rapporter au minimum 3 milliards

d’euros dès 2012 et bien davantage à terme.

5. Présentons la facture à Electrabel Nous avons les factures d'électri-cité parmi les plus élevées d'Europe. Pourtant, les factures pourraient être moins lourdes. Le coût des centrales nucléaires sont

déjà amortis, ce qui devrait diminuer les prix. Mais cela n’est pas le cas et Electrabel engrange un bénéfice d’1,3 milliard d’euros par an, selon les calculs de la CREG (Commission

de régulation de l’électricité et du gaz). Cet argent doit retourner vers les consommateurs. 800 millions d’euros sont suffisants pour faire passer la TVA

sur l’énergie de 21 à 6 %. Le reste de l’argent sera investi dans l’énergie verte et l’efficacité énergétique. Ceci créerait de l’emploi et géné-rerait à son tour de nouvelles recettes

pour les caisses de l’État. Cette taxe rapporterait au moins 1 milliard d’euros par an.

6. Pour que l’industrie pharma ne profite pas de notre santé Un Belge sur sept a dû reporter des soins pour raison financière. Il y a dix ans, c’était un sur douze. Or, le coût des médicaments et des appareils médicaux peut drastiquement baisser par l’application du modèle kiwi, ce qui permettrait d’injecter 2 milliards dans le budget des soins de santé.

L’application du modèle kiwi aux médica-ments, proposé par Dirk Van Duppen, président de Médecin pour le Peuple (une initiative du PTB), pourrait réduire de 1,5 milliard les inter-ventions de la sécurité sociale et faire baisser les prix des médicaments de 50 à 90 %. Cet argent ne peut pas être utilisé pour ré-

duire les dépenses en soins de santé, mais pour rendre accessibles à tous les soins médicaux et l’hospitalisation. Avec l’application du modèle kiwi sur le matériel médical (ouïe, orthopédie, prothèses), on peut encore faire des économies supplé-mentaires, à hauteur d’au moins 500 millions

d’euros, et les coûts pour les patients peuvent être considérablement diminués. Le Centre fédéral d’expertise des soins de santé (KCE) a calculé que le prix du matériel médical pourrait être divisé en deux si on fait appel aux marchés publics, comme c’est le cas dans les pays scandinaves.

17 milliards dès 2012

2 milliards d'eurosSuppression des intérêts notionnels

1 milliard d'euros Impôt réel sur les banques

3 milliards d'eurosLutte contre la grande fraude fiscale

8 milliards d'euros Taxe des millionnaires

2 milliards d'euros Modèle kiwi

1 milliard d'eurosImpôt exceptionnel sur les bénéfices d’Electrabel

= 17 milliards d'euros

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La crise est au cœur de ce système

À l’automne 2008, la banque américaine Lehman Brothers faisait faillite : c’était le début d’une crise bancaire et financière à l’échelle mondiale. En Belgique, notre gouvernement versait plus de 20 milliards d’euros de soutien pour éviter la faillite à Fortis, Dexia et KBC. (Photomontage Solidaire)

Echec des banques dans les stress testsDans une tentative de voir dans quelle mesure le système bancaire peut traverser des circonstances financières et économiques défavorables, l’Europe a introduit des stress tests pour les banques. Fin 2010, les banques ont été soumises à ces tests. A part quelques petites banques portugaises, toutes les banques les ont réussis. Mais, voici quelques mois, il s’est avéré que les banques irlandaises n’avaient pas les reins aussi solides que ça et le gouvernement irlandais a dû les nationaliser pour les sauver de la faillite. Pourtant, le gouvernement irlandais avait déjà injecté 50 milliards d’euros de l’argent des contribuables, dans ces mêmes banques. Cet exemple montre que l’on ne peut combattre la crise avec des stress tests. Des interventions plus fondamentales sont nécessaires.

Des mauvais banquiers et des bons capitalistes

industriels ?

Trois ans après la pre-mière crise bancaire, nous en sommes toujours au même point. Pourquoi ?À l’automne 2008, la banque améri-caine Lehman Brothers faisait faillite : c’était le début d’une crise bancaire et financière à l’échelle mondiale. Dans le monde entier, l’une après l’autre, les banques se retrouvaient en mauvaise posture. Dans tous les pays, les gouvernements prenaient des mesures pour sauver leurs banques. En Belgique, notre gouvernement versait plus de 20 milliards d’euros de soutien pour éviter la faillite à Fortis, Dexia et KBC. Les hommes politiques ont déclaré que c’étaient les spéculateurs et les gros investisseurs qui avaient provoqué la crise financière. Plus de régulation, plus de contrôle, ont-ils expliqué en 2008, doivent éviter de telles crises à l’avenir. Mais aujourd’hui, trois ans plus

u tard, nous sommes devant la menace de faillite de la Grèce. Et cela pourrait une fois de plus entraîner la chute de plusieurs banques européennes. Il se passe donc bien davantage qu’une crise financière, car le secteur financier a ses racines dans notre système capitaliste. La production, dont le profit constitue la motivation centrale, est le noyau de ce système. Un capitaliste produit pour le profit. Via des centaines de canaux, les banques sont liées à ce processus de production. Les salaires des tra-vailleurs sont payés via des comptes en banque. L’écrasante majorité de tous les achats, transactions com-merciales et paiements se font via les banques. Les banques collectent et gèrent les économies du peuple, les profits des entreprises et les fortunes des capitalistes. Ce faisant, elles gèrent d’énormes capitaux. Des capitaux que les banques à leur tour prêtent pour des achats à crédit et

de nouveaux investissements dans les entreprises. Les banques sont en permanence en quête du plus haut profit possible. De cette manière, les banques renforcent le processus de production capitaliste et tendent au profit le plus élevé possible. Il en résulte que l’on produit de plus en plus de marchandises. Mais ce flux croissant de marchan-dises parvient-il également à être vendu ? « La raison finale de toute crise réside toujours dans la misère et dans la consommation limitée des gens face au développement effréné de la production capitaliste », écrivait Marx dans Le Capital, voici 150 ans. Bref, la crise actuelle est liée au sys-tème capitaliste. Plus de contrôle et de régulation des banques et des spéculateurs ne résoudront rien. Il vaut mieux chercher des solutions en dehors de notre système de société.

Joris Van Gorp <

Parfois, on entend dire que c’est la spéculation qui a perverti notre système et que ces spéculateurs domi-nent les patrons. Pour ré-soudre la crise, il suffirait donc de couper les ailes à ces spéculateurs.

Mais est-ce le cas ? Existe-t-il, d’une part, de méchants capitalistes finan-ciers, coupables de tous les excès et responsables de la crise et, d’autre part, des capitalistes industriels sympas qui se montrent soucieux du développement harmonieux de la société ? Prenons Albert Frère, par exemple, le grand ami de Didier Reynders et de Baudouin Prot, PDG de la banque française BNP Paribas Fortis. Dans quelle catégorie le rangeriez-vous ? Comme patron de holdings et comme partenaire de PNB Paribas, vous pouvez ranger l’homme du côté des

u capitalistes financiers. Mais quand on voit les secteurs dans lesquels il investit grâce à ses holdings – l’énergie, le ciment, l’alimentation – on peut le cataloguer de capitaliste industriel. Toutes les multinationales sont en bourse et toutes spéculent parce qu’elles ont tellement de capital. Tous les millionnaires veulent investir leur argent dans un environnement financier dans lequel il peut encore rapporter plus. Dans notre système actuel, le capitalisme a autant besoin de la spéculation et des transactions financières qu’un être humain a besoin de respirer. C’est pourquoi cela n’a aucun sens d’espérer un changement du système ou une issue à la crise. À moins qu’on ne remette en question le système économique. Car ce système vit de la chasse au profit, de la concurrence à mort, de l’appropriation de la pro-priété par des mains privées et d’une exploitation poussée à l’extrême.

Marco Van Hees<

Page 16: C'est leur crise, faisons-les payer

16 22 septembre 2011 | 35

En 2008, une crise fi-nancière s’abattait sur nous. En fait, elle n’est que la conséquence d’une crise de surproduction qui dure depuis 1973. La nuance est importante.

La surproduction existe depuis des

u décennies, mais le capitalisme a pu, jusqu’il y a quelques années, pallier celle-ci en créant une demande artificielle, à travers l’augmentation du pouvoir d’achat par des prêts et des crédits. En d’autres termes : le capitalisme a vécu au-dessus de ses moyens. On peut comparer cela au dopage d’un coureur cycliste, qui lui permet, pendant quelques années, de grimper un col en 40 minutes

au lieu d’une heure. Cependant, à terme, cela ne sera plus possible ; sa santé se détériorera et il lui faudra à nouveau une heure pour grimper ce même col. Le capitalisme est un système économique qui se dope aux dettes, elles-mêmes fournies par les marchés financiers. En 2008, ce système s’est totalement effondré : les dettes ne pouvaient plus être remboursées. Le secteur financier s’est retrouvé au bord du précipice, et les États ont dû pren-dre en charge et sauver les grandes banques par des masses d’argent public. La crise de surproduction est ainsi devenue une crise financière des États, qui se sont lourdement endettés. Afin de rembourser cette dette, les gouvernements taillent dans les dépenses, les équipements sociaux et les services publics. C’est ce que nous avons connu ces trois dernières années. La crise est-elle pour autant

résolue ? Loin de là. Les réductions des dépenses et les économies rabo-tent encore plus le pouvoir d’achat et intensifient donc encore la crise de surproduction. Nous sommes donc dans une impasse. Comme le dit Roubini : « Jusque l’an dernier, c’était à tous les coups possible de faire sortir un lapin du chapeau. Des stimuli fiscaux, des taux d’intérêt quasi nuls… Tout a été essayé [pour gonfler le pouvoir d’achat]. Désormais, il n’y a plus de lapins. » (Capitalism doomed? Project Syndicate, 15/8/2011) La période de surproduction (et surcapacité) dure depuis les années 1970. Pour sortir de la crise, le système capitaliste doit faire concorder la capacité totale de production avec le pouvoir d’achat réel. Et ce n’est possi-ble que par la « destruction violente d’une masse de forces productives », pour reprendre les termes de Marx. Nous sommes face à une longue période d’« assainissement », avec

une récession économique croissante, toujours plus de fermetures d’usines, d’augmentation du chômage et de la misère pour la population.

Comme en 1930 ?La crise de surproduction précé-dente remonte à la fin des années 1920, lorsque les capitalistes avaient également tenté de maintenir la consommation de manière artificielle, ce qui a mené au krach boursier de 1929. Les années suivantes ont vu la récession frapper très durement, avec la fermeture d’innombrables usines, un chômage énorme et une grande misère pour la population. Cette période d’« assainissement » avec sa « destruction violente d’une masse de forces productives » s’est achevée par la Seconde Guerre mondiale…

Joris Van Gorp<

Un autre système est possible : un système basé sur les besoins des gens

Plus de doPage, Plus de laPins

Bien plus qu’une simple crise financière

Aujourd’hui, une multinationale ne décide de produire quelque chose que si cela permet de faire un profit maximum. C’est comme cela qu’on arrive à des crises de surproduction, comme nous l’avons vu. Les grosses entreprises ont donc comme priorité le profit, pas le besoin des gens. C’est le bénéfice qu’ils ont en tête quand ils fabriquent des voitures, de l’énergie, des téléphones... Mais aussi des produits de luxe, des gadgets. Et, si tout cela ne rapporte pas assez, elles décident de ne pas produire et d’investir en Bourse. Elles se lancent alors dans la spéculation, et jouent avec la valeur de l’immobilier, de l’alimentation, ou avec la dette des États. De même, des médicaments

utiles ne sont pas produits, car ils ne rapportent pas assez. On fabrique des objets qui s’usent rapidement pour qu’on soit obligé d’en racheter régulièrement. Au nom du profit, des multi-nationales continuent à utiliser des matériaux comme l’amiante, ou à commercialiser des médicaments dont on a démontré les effets secondaires mortels. Mais un autre système économique est possible : un système où l’on décide de produire en fonction des besoins réels des gens. Cette option permet de prendre des décisions qui ne mènent pas à une crise de surproduction. En effet, si l’on se base sur les besoins réels des gens, on fera en sorte d’adapter la pro-

duction. On ne fabriquera, par exemple, pas plus de voitures que nécessaire, on ne devra plus jeter d’énormes quantités de nourriture. On pourra aussi alors décider de produire les médicaments qui sont utiles pour soigner les gens, et d’utiliser des matériaux qui ne sont plus nocifs. On peut aussi éviter le déséquilibre du système où l’augmentation du profit d’un petit nombre va de pair avec une limitation du pouvoir d’achat d’un très grand nombre. C’est ça, l’idée d’un système qui met les besoins des gens avant le profit.

DaViD pestieau<

Capacité totale de production

Pouvoir d’achat Capacité totale de production

Pouvoir d’achat

Pouvoir d’achat artificiel

Situation actuelle Après « assainissement »

Comme le précise l’économiste Roubini : « Jusque l’an dernier, c’était à tous les coups possible de faire sortir un lapin du chapeau. Des stimuli fiscaux, des taux d’intérêt quasi nuls... Tout a été essayé. Désormais, il n’y a plus de lapins. »

Jusqu’en 2008, le volume de biens produits a été acheté grâce à un pouvoir d’achat dopé au crédit. Après 2008, ces crédits ont disparu et il ne restait rien d'autre que de faire concorder la capacité totale de production avec le pouvoir d’achat réel.

Les gens d'abord, pas le profit !

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Page 17: C'est leur crise, faisons-les payer

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Un autre système est possible : la planification démocratique

La crise de surproduction

La surproduction en image. Des milliers de véhicules invendus. Durant les premiers mois de la crise de 2008, des entreprises

comme Nissan ont continué à produire, mais les ventes se sont écroulées.(Photo αλέξ)

« Au bout du compte, la cause de chaque crise réside toujours dans la pauvreté et la limitation de la consommation des gens face à la production débridée du capitalisme. » (Marx, Le Capital)

Nouriel Roubini, l’économiste qui avait prédit la crise de 2008, écrit : « Marx avait raison. À certains égards, le capitalisme se détruit lui-même. On ne peut plus continuer à déplacer le revenu du travail vers le capital sans qu’il y ait surcapacité et manque de la demande. Or c’est ce qui se passe. Nous pensions que le marché, ça mar-chait. Mais ce n’est pas le cas. L’entreprise peut, afin de survivre, réduire toujours plus ses frais salariaux. Mais ceux-ci constituent les revenus et

la consommation de quelqu’un d’autre. Il s’agit donc d’un processus d’autodestruction. » (The Wall Street Journal, 12/8/2011)

« Comment la bourgeoisie surmonte-t-elle la crise ? D’un côté, en détruisant par la violence une masse de forces productives ; de l’autre, en conquérant de nouveaux marchés et en exploitant plus à fond les anciens. À qui cela aboutit-il ? À préparer des crises plus générales et plus formidables et à diminuer les moyens de les prévenir. »

(Marx et Engels, Le Ma-nifeste du Parti commu-niste)

Qu’est-ce qu’une crise de surproduction ?Chaque capitaliste veut faire du profit et, de préférence, chaque année davantage que la précédente. C’est pour cela qu’il augmente autant que possible sa production, pour vendre plus que ses concurrents, et leur prendre un maximum de parts de marché. Or, ce n’est possible que s’il produit à des coûts toujours moindres. Il doit donc constamment réduire les salaires, employer de moins en moins de main-d’œuvre et de plus en plus de machines… Toutes des mesures entraînant la baisse du pouvoir d’achat. Voici, en quelques mots, le paradoxe fatal qui pousse en permanence le capitalisme

vers la crise : l’opposition entre « toujours plus de production » et « toujours moins de pouvoir d’achat » au plan mondial. Durant les siècles précédents, la cause des famines était les pénuries ; avec le capitalisme, c’est le trop-plein qui engendre la misère. Ce système crée la surproduction (c’est-à-dire qu’il y a plus de produits fabriqués que vendus) et la surcapacité (cela signifie que les entreprises peuvent produire davantage que ce qu’elles font. Il reste donc une capacité inutilisée, par exemple avec du chômage temporaire).

Aujourd’hui, les entreprises décident elles-mêmes de ce qu’elles produisent et la concurrence entre elles est féroce. Elles n’hésitent pas à monter leurs travailleurs contre ceux des autres entreprises, car il faut que « la leur soit la meilleure ». Dans une société où tout tourne autour du profit et des intérêts d’une petite minorité, jamais on ne parviendra à faire ce qui est bon pour une société juste et démocratique. Lorsqu’une décision économique importante est prise, on ne tient absolument pas compte de la démocratie des citoyens, mais uniquement de la démocratie des actionnaires. Autrement dit, une action égale une voix. Trois millions et demi d’actions égalent trois millions et demi de voix. Ce qu’il faut, c’est une véritable démocratie participative. Et cette participation ne doit pas

se limiter à l’élection de représentants qui ne rendent pas toujours de comptes sur ce qu’ils font− et se contentent de belles promesses électorales. Participer, c’est pouvoir intervenir dans la définition des priorités et la répartition des richesses. C’est cela, la vraie démocratie. Avoir accès aux comptes des entreprises et les contrôler, pouvoir discuter l’objet de la production, élire les membres de la direction et, éventuellement, les démettre. Alors, on pourra réfléchir aux objectifs de la production. Alors, on pourra éviter les crises de surproduction et le gaspillage. Alors, on pourra aussi respecter et préserver l’environnement. Alors, on pourra mener le débat sur la transition vers une économie sobre en carbone en toute honnêteté, puisque ce ne seront plus les géants

de l’énergie, de la chimie et du pétrole qui en tiendront les ficelles. Les grands pollueurs ne pourront plus mettre la dégradation de l’environnement sur le dos des citoyens. Grâce à une base sociale, les familles pourront faire des efforts en matière d’économie d’énergie et d’isolation, sans devoir faire des sacrifices sur le plan des soins de santé, l’enseignement ou les pensions. (DP)

Maximalisation du profit

Plus de production

Surproduction

Moins de pouvoir d’achat

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Un autre système est possible : un système basé sur la propriété collective des secteurs stratégiques

Les fausses solutions de l’EuropeSous la direction du duo

Merkel-Sarkozy, l’Europe veut généraliser sa politique antisociale, notamment au moyen du Pacte Euro Plus. Elle exige aussi que les États membres réduisent drasti-quement leurs dettes. Une stratégie efficace ?

Le nouveau pacte de compétitivité

Le 8 juin, le Parlement européen a approuvé le Pacte Euro Plus, contrai-gnant pour les États membres. Son but : éliminer les déséquilibres entre les pays. À cet effet, chaque État se voit attribuer un tableau de bord reprenant ses prestations économiques dans différents domaines, mettant ainsi en évidence ses écarts par rapport à la moyenne. L’Europe peut dès lors facilement taper sur les doigts de — par exemple — la Belgique, le Luxembourg ou Chypre pour leur système d’indexation automatique. Le nombre de fonc-tionnaires est également un critère de « déséquilibre ». Bien sûr, réduire le nombre de fonctionnaires signifie aussi tailler dans les services publics, mais c’est le dernier des soucis des dirigeants européens. Le Pacte décrète que tous les pays doivent atteindre un système de pensions uniformisé. En d’autres mots : pas d’augmentation du mon-tant de celles-ci, découragement de la pension anticipée, relèvement de l’âge du droit à la pension, couplé à l’espérance de vie. Avec le Pacte, l’assouplissement du marché du travail peut aussi être imposé aux

u

plus mauvais élèves de la classe. L’Allemagne a montré l’exemple de la « bonne » approche de la question du chômage, avec les lois Hartz de Schröder (voir ci-contre). Devenir tous ensemble plus com-pétitifs ? Cela signifie que chaque État membre doit imposer les mesures les plus dures à sa population.

400 milliards d’économies pour rembourser les dettesLa Commission européenne veut éliminer les dettes. Partout, il faut se serrer la ceinture. Les pays européens doivent épargner ensemble plus de 400 milliards d’euros : l’Allemagne, 80

milliards, le Royaume-Uni, 100, la France, 80, la Belgique, 22, pour ne citer que ceux-là. 400 milliards, c’est plus que la richesse totale produite en un an en Belgique (350 milliards)... Ces économies vont-elles résoudre quelque chose ? Épargner 400 milliards aura une influence négative sur les dépenses des gens, sur leur pouvoir

d’achat et leur niveau de vie. Au lieu de résoudre quoi que ce soit, l’Union européenne ne fera que renforcer la crise de surproduction. Si l’on veut réellement endiguer la crise, il faut préserver le pouvoir d’achat de la population, et aller chercher l’argent auprès des spéculateurs, des grands banquiers et des millionnaires.

L’énergie, la santé, les transports, l’alimentation... Ce sont des besoins élémentaires. Pourtant, aujourd’hui, ce sont des multinationales aux mains de quelques grands actionnaires qui détiennent les leviers de ce secteur. Electrabel peut décider à quel prix et comment on produit de l’énergie. Les grandes entreprises pharmaceutiques ont le pouvoir de mettre un médicament ou pas sur le marché et de décider de son prix. Avions, voitures, et même certains transports en commun, sont dirigés par une poignée

de financiers qui en tirent du profit. Même l’alimentation est contrôlée par quelques groupes de l’agro-business. Ces secteurs de l’économie ne sont pour-tant pas du luxe. Personne ne peut arrêter de manger, de se déplacer, de se soigner, etc. Le but de ces secteurs ne doit donc pas être de générer du profit pour quelques particuliers, mais de satisfaire les besoins élémentaires de tous. C’est pourquoi ils doivent être dans les mains de l’État. Ainsi, ils seront gérés par et pour la collectivité.

Grâce à ce système où les secteurs clés de l’économie sont publics, les besoins de la majorité pourront réellement passer avant le profit d’une minorité. (DP)

Un autre système est possible : un premier pas vers cette autre société, le service bancaire public

Aujourd’hui, les banques privées n’hésitent pas à se lancer dans la spéculation, car elles savent qu’elles seront sauvées en cas de problème. Au lieu de laisser faire ça, l’État devrait en prendre le contrôle. Ainsi, on pourrait surveiller toutes les transactions financières importantes, combattre la spéculation, protéger l’épargne, dénicher la fraude, et garantir que l’argent soit investi dans des projets utiles à la société.

Un tel secteur bancaire public devrait être sous contrôle de la population, sans intervention du secteur privé. La prise en main des banques par l’État serait une première étape pour dé-gager la société du danger que représente le marché. En effet, nous voyons à l’heure actuelle que les spéculateurs et les grands actionnaires prennent des risques, et que, lorsqu’ils sont en difficulté, c’est la population qui paie.

Une banque publique serait donc un bon début de solution, dans la voie vers un autre système économique, capable de nous mettre à l’abri des crises et où les gens passent avant le profit. (DP)

Chaque sommet européen s’est clôturé, les dernières années, par des manifestations syndicales. Ici à Bruxelles, en septembre 2010. (Photo Solidaire, Vinciane)

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1922 septembre 2011 | 35

Certains politiciens – dont notre Bart national – chantent les louanges du nouveau système de chô-mage allemand. Mais qu’en est-il en pratique pour les travailleurs ?

Le 31 mai 2011, Bart De Wever déclarait dans De Tijd que « la Belgique a besoin de manière urgente de réformes telles que celles mises en œuvre en son temps par le chancelier allemand Gerhard Schröder ». Un mois plus tard, il remettait ça : « Gerhard Schröder mérite une immense reconnaissance. C’est un socialiste qui a eu le courage d’introduire les réformes nécessaires au rétablissement de l’Allemagne. » Voyons ce qu’il en est.

Hartz I-IV : réforme du service de chômage

Début 2002, Peter Hartz, directeur du personnel de Volkswagen, émettait une série de recommandations en vue de réformer le système de chômage. Entre 2003 et 2005, le gouvernement Schröder a, selon ces recommandations, réorganisé celui-ci selon 4 lois, nommées lois Hartz I à IV. En voici les mesures les plus importantes :• Hartz I : assouplissement du travail intérimaire (le principe « à travail égal, salaire égal » est aboli) ;• Hartz II : instauration de « mini-jobs » (de quelques heures par semaine, sur lesquels aucune cotisation sociale ne doit être payée, avec un revenu mensuel de moins de 400 euros) ;• Hartz III : réforme du service de chômage fédéral ;• Hartz IV : limitation des allocations de chômage à 12 mois (18 mois pour les plus de 55 ans) ; obligation pour les chômeurs d’accepter, dans certaines limites, n’importe quel emploi sous

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peine de suppression de l’allocation ; diminution des allocations de chô-mage après 12 mois à 359 euros (plus un certain montant locatif). Élément supplémentaire : quelqu’un qui possède des économies, un bien immobilier, ou dont le partenaire tra-vaille, n’est pas pris en considération pour cette allocation.

Pression à la baisse sur les salaires et les conditions de travail

Mustafa Coezmez, membre du conseil d’entreprise chez Ford Werke, constate que Hartz IV inquiète les travailleurs :

« Ceux-ci se font du souci pour l’avenir. Eux-mêmes ont encore un boulot fixe. Mais, dans leurs familles, il y a bien sûr un fils ou une fille qui est sans travail ou qui vit des minimes allocations Hartz. » Dans le même Vacature Magazine du 13/11/2010, le Pr Matthias Knuth, de l’université de Duisbourg, confirme que « l’angoisse de rester au chômage plus qu’un an a fortement augmenté. Les chômeurs sont disposés à travailler pour un salaire plus bas ou plus loin de chez eux. Ils font de sérieuses concessions et acceptent des emplois qu’ils n’auraient pas accepté auparavant ». En vingt ans, les salaires réels ont baissé de 0,9 %. Entre 1996 et 2010,

le nombre d’emplois à temps partiel est passé de 180 000 à presque 800 000. Un Allemand sur trois débute sur le marché du travail par un contrat à temps partiel. 6,7 millions d’Allemands n’ont pour l’instant qu’un « mini-job » avec un revenu mensuel de moins de 400 euros. Dans des secteurs comme l’horeca ou la distribution, les salaires de 1 à 4 euros de l’heure ne sont pas une exception. Même des entreprises comme Volkswagen, Deutsche

Telekom, Deutsche Bahn (société ferroviaire) et Deutsche Post ont créé des filiales pour reprendre de cette manière une partie des activités. Bientôt, un facteur allemand ne travaillera plus pour Deutsche Post pour 15 euros de l’heure, mais pour sa filiale First Mail, et pour seulement 9,80 euros de l’heure. (Ces données ont déjà fait l’objet d’un article dans le Solidaire n°19 du 12 mai 2011.)

Joris Van Gorp<

Un autre système est possible : des instances publiques, au service du public« Les banques avaient le monde politique dans leur sac. 40 % de tous les bénéfices aux États-Unis provenaient du secteur financier », affirme le professeur Willem Buiter, qui a enseigné à The London School of Economics. Il montre ensuite l’autre face : « Lorsque des géants de la finance n’arrivent pas à éviter des situa-tions dont il faut les sortir, quel argument peut-il encore être valable pour laisser ces entreprises privées continuer à mener de telles activités ? Le capitalisme financier moderne est-il tel que de grosses entreprises privées réalisent de gros gains privés lorsque tout va bien, mais doivent être sauvées par une reprise publique tem-poraire lorsque tout va mal ? Et, dans ce cas, que ce soit le contribuable qui en prenne tous les risques ? Si c’est ainsi, pourquoi ces activités ne sont-elles pas gérées de manière permanente par le

ressort public ? » La question est pertinente. Car il n’est pas possible que dans la gestion sociale il y ait des secteurs auxquels on dise : « Faites tranquillement des bénéfices, de gros bénéfices même. Si cela s’effondre, le contribuable prendra les pertes à son compte. » C’est encore plus vrai dans un secteur où l’on sait pertinemment qu’il ne peut pas faire faillite, car cela voudrait dire l’arrivée du chaos. Un tel secteur doit être dans des mains publiques. C’est la logique même. Ce qui permet d’emblée d’établir un réel contrôle public. Cela vaut pour les banques, mais aussi pour d’autres secteurs-clés. Les entreprises énergé-tiques, par exemple, sont également too big to fail, trop essentielles pour faire faillite. Elles ont le courant électrique des familles en mains. Et c’est pour cela que nous devrions – dans des périodes

de besoin – venir au secours de firmes comme Electrabel-Suez ? Des firmes qui, dans les périodes d’accalmie, réalisent des bénéfices exorbitants ? L’État est le majordome des mono-poles. Il leur apporte des bénéfices sur un plateau d’argent. Ensuite, il rentre penaud, avec des caisses en perte. Dans un ménage normal, personne n’accepterait cette situation. À l’échelle de la société capitaliste, c’est la règle. La solution socialiste – ramener les secteurs clés dans le giron public – est beaucoup plus logique, rationnelle et économique. Electrabel et compagnie n’ont plus de droits « naturels, inaliénables ». Elles deviennent des instances publiques, au service du public.

Extrait de Peter Mertens et Raoul Hedebouw, Priorité de gauche. Pistes rouges pour sortir de la crise, Aden, 2009, pp 213-214.

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Le modèle allemand, si cher à Bart De Wever

La chancelière Merkel en visite à l’usine Opel de Russelsheim. Les mesures Hartz IV ont généré une grande incertitude pour les travailleurs quant à leur avenir. (Photo The Detroit Bureau)

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20 22 septembre 2011 | 35

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