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hamanisme crédit photo : Jean-Marc Lefèvre C Entre ciel et terre

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14 Génération Tao n° 26 - automne 2002

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Dossier

Génération Tao n° 26 - automne 2002 15

Des emmes et des ommes

de connaissanceLao zi ou Tchouang zi étaient-ils des chamans ? Pour

répondre à cela, il faudrait pouvoir définir l’identitédes chamans. Savoir qui sont ces hommes et ces

femmes. Des magiciens aux pouvoirs extraordinaires,humains ou surnaturels ? Des êtres bienfaisants ou malfai-sants, capables de créer ou de détruire selon leurs envies,selon qui les sollicitent ? Des sorciers et des sorcières, desdruides, des messagers, des mystiques ayant accès aux Mys-tères, les gardiens d’une mémoire archaïque ? Des guéris-seurs, des sages, des maîtres, des guides ?Et où vivent-ils ? En Sibérie, dans la jungle amazonienne, lapampa mexicaine, les campagnes indonésiennes, la forêt deBrocéliande, un studio new-yorkais ou un loft parisien ?Et comment les reconnaît-on ? Ils peuvent parler avec lesanimaux, ils savent voler, entrent en transe, connaissentl’extase. Ils dialoguent, combattent, créent des alliancesavec les esprits, communiquent avec les ancêtres, ils utili-sent les forces primordiales, dirigent les éléments, l’eau, lefeu, ils maîtrisent des techniques alchimiques de transmuta-tion des énergies, pénètrent le monde des rêves, créent desponts vers d’autres réalités. Du visible à l’invisible, ils sontvisionnaires, médiums, dressés entre Terre et Ciel. Désignéspar les dieux, initiés, ils ont traversé plusieurs fois un pro-cessus de mort et de renaissance symboliques. Hommes etfemmes de pouvoir, garants de l’ordre du monde, ils jouentde la musique, chantent, dansent, absorbent des drogues etaccèdent à des états modifiés de conscience. Guidés etguides, ils sont investis par les forces primordiales, l’espritdes Anciens, des dieux, ils sont arbre, montagne, aigle, outigre. Ils sont solitaires, rassemblés, marginalisés, sollicités,ou fuis.Et pourquoi sont-ils là ? Pour guider nos âmes, les guérir, lesapaiser ? Tenir un rôle de médiateur, réguler la relationentre la Terre et le Ciel, équilibrer les “forces obscures et lesforces de lumière” ? Etre un agent de cohésion de la socié-té, un rappel aux mystères de la Création, là pour enseignerl’humanité ? Qui sont les chamans d’hier — les Taoïstes enétaient-ils ?— et qui sont les chamans d’aujourd’hui ?

Il serait difficile de répondre à toutes ces interrogations —justifiées d’ailleurs— sans glisser dans un discours uni-versitaire qui n’est pas le sujet de ce dossier. De très bons

ouvrages existent à cet usage. Disons seulement que cha-man est un mot dérivé de la langue Toungouse —peuple deSibérie— et employé pour la première fois par un ethno-logue occidental pour désigner un homme en transe quitape sur un tambour au cœur de la Sibérie. De là, tout ce quiressemble de près ou de loin à cet homme au tambourdeviendra un chaman, souvent au mépris de ceux que ceterme est censé désigner. Ca, c’est une première réalité. Iln’en demeure pas moins qu’aujourd’hui chamanisme, voirenéo-chamanisme, sont devenus des mots communs. A cela,nous préférerons les noms d’hommes et de femmes deConnaissance qu’utilisait déjà Carlos Castaneda. Car c’estbien de cela dont il s’agit ici. On reconnaît ces hommes etces femmes de connaissance à l’étincelle de vérité qui brilledans leurs yeux, à leur façon de vous découvrir tel que vousêtes, à leur niveau de vibration, à leur simplicité, leur souri-re, et cette espèce d’humour décalé à l’égard de la vie, cequ’on pourrait appelé le génie de l’absurde. Bien sûr, certains auront le pouvoir sans la sagesse etl’amour, d’autres la sagesse et l’amour sans le pouvoir. Ilsreprésentent finalement le retour à des forces archaïques.Leur qualité entre en résonance avec notre cerveau repti-lien, survivance de notre passé primordial. A ce titre, ilspeuvent susciter la fascination ou la peur panique. Pourtantleur connaissance n’est ni exclusive, ni inaccessible puisquebeaucoup d’entre eux se rendent disponibles et se montrentprêts à nous guider.

Quant à savoir si Lao zi ou Tchouang zi étaient des cha-mans, qui pourrait douter qu’ils aient été des hommes deConnaissance ? Quant à imaginer que la pensée chinoise, leyi jing ou le taoïsme soient d’inspiration chamanique, com-ment considérer le lien intime qui unissait les anciensmaîtres de qi gong à la nature, les anciens maîtres de xing yiquan aux animaux ? Quel regard porter sur le développe-ment de toutes ces techniques de souffle alchimique ? Com-ment ne pas voir dans ces hommes et ces femmes deConnaissance des êtres profondément incarnés, globale-ment reliés au monde et à leurs semblables dans la pulsa-tion vibrante de leur âme, l’esprit animé par le rythme del’univers ? Tout le reste n’est peut-être qu’affaire d’ententesur les codes et le langage à employer.

FH

Avant Propos

DLH

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Cette phrase typique des réunions médium-niques du siècle passé en dit plus long qu'onne le pense généralement. On appelait alors

les gens qui pouvaient communiquer avec les espritsdes défunts des spirites. On appelait aussi les entitésavec lesquelles ils communiquaient des esprits.

Les esprits en question n'étaient pas du tout desanges de Dieu, car il y a une différence notable entreun dieu d'une nature transcendantalement différen-te, et un souffle évanescent qui naguère était unhumain vivant, et avec qui parfois il est encore pos-sible de rentrer en communication. Cette différence,qui pour nous est naturelle, pour les Chinois est diffi-cile. Il y a une raison simple à cela, la notion de“dieu” leur est assez étrangère, ils n'ont même pas demot pour la désigner. Cela paraît inconcevable, maisc'est ainsi. Les premiers à s'en apercevoir furent lesmissionnaires Jésuites envoyés en Chine par les sou-verains européens très chrétiens. Le problème n'étaitpas mince car si on retire le mot “Dieu”, de laBible ou de l'Évangile, il ne reste plus grand-chose. Ils s'en tirèrent avec l'élégance quileur est proverbiale en employant uneexpression en deux caractères signifiant àla fois : “au-dessus de l'empereur”, et :“l'empereur d'en haut”. Mais alors qu'enest-il des esprits?

Il ne faut pas pratiquer longtemps un quel-conque art physique chinois pour s'apercevoir del'importance vitale qu'y tient le qi, cette énergie sub-tile que nous avons bien raison de traduire par“souffle”(1). Car dans le souffle est l'esprit des spirites.Les trois mots de cette phrase sortent chacun de lamême racine indo-européenne : spirare. Et danscette origine commune se retrouve une vieille réalitédu très vieux chamanisme qui prévalait jadis sur toutle continent eurasien, la religion d'avant les dieux(masculins). Mais les Chinois ne confondent pas lessouffles et les esprits, car ils ont su depuis longtempsfaire la différence entre ce qui anime toute chosevivante et la manifestation de cette animation par unfluide vital invisible et en même temps perceptible,qu'ils nomment le qi. L'idée abstraite qui se manifes-te par le qi, ce souffle spirituel que le monde indo-européen a décrété laïque, ils lui ont donné un autrenom, ils l'appellent shen(2). Dans cet idéogramme, il ya deux parties : celle de gauche est le signe généralcommun à tout ce qui a trait aux “affaires cultuelles”.On y distingue la forme d'un “T” qui est la vue deface d'une table d'autel posée sur un pied central quesurmonte un trait unique représentant les offrandes

que l'on brûle avec de chaque côté deux traits repré-sentant les libations liquides que l'on répand. La par-tie droite, qui se prononce également shen, est actuel-lement un caractère signifiant quelque chose quis'étend sans limite. Mais sa forme ancienne est pluscurieuse. Elle a été représentée à une époque par unschéma montrant deux mains opposées le long d'unecorde, ce qui signifiait alors l'expansion alternante dedeux forces opposées et complémentaires!

Mais le plus intéressant est que la forme la plusancienne de ce caractère est une des formes parmi lesplus répandues de l'art chinois antique, un motif quenous appelons : “frise de spirale”, mais que les Chi-nois nomment plus justement : “motif de tonnerre”(lei wen) pour rappeler l'importance de ce motif dansl'ancienne religion néolithique des spirites d'avant lesdieux, quand le principal travail des intercesseursentre les mondes — que les Chinois nomment wu etque nous appelons “chamans” — était de faire tom-

ber la pluie. Ce travail essentiel dévolu aux cha-mans, l'écriture chinoise ne l'a pas oublié.

Elle le montre sans ambages dans un idéo-gramme qui signifie aussi bien“magique”(3) que spirituel à tous les sensde ce terme et qui est composé du signede la “pluie”(4) et de celui des “cha-

mans”(5) entre lesquels est dessiné untriple carré évocateur d'un côté (du haut

vers le bas), de la pluie que les chamans fonttomber, et de l'autre côté, du bas vers le haut, des

cris et des chants par lesquels ils provoquent cetteondée régénérante.

Enfin, la Chine elle-même n'oublie pas cet enracine-ment dans le plus profond de la spiritualité magiquequi avait cours au néolithique. Un éloquent exempleen fut donné lorsqu'en 1998 le premier vaisseau spa-tial chinois fut lancé à la conquête du ciel moderne. Ilfut appelé Shen Zhou, ce qui était un jeu de motredoutable dans la mesure où les caractères corres-pondants signifient indiscutablement : “le vaisseaudes esprits”, mais le caractère zhou(7) utilisé ici a étéchoisi aussi, car rien à l'oreille ne permet de le distin-guer d'un autre qui signifie “continent”(8) et qui faitpartie du plus ancien nom de la Chine. Chine, qui,bien avant de s'appeler thong guo, le “pays dumilieu” se nommait : le “continent des esprits”! LesChinois s'élancent donc à la conquête de la moderni-té avec une fusée qui porte le nom de leur plus pro-fonde tradition spirituelle, celle qui leur vient du cha-manisme qui avait cours au néolithique sur lecontinent eurasien.

2. Esprit

4. Pluie

5. Sorcier, chaman

3. Magique

1. Souffle

7. Zhou : Vaisseau

8. Zhou : Continent

spr i t es-tu là ?

Les Chinois n’ont pas de mot

pour désignerla notion de

Dieu.

par Cyrille J.-D. Javary

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Dossier Chamanisme

Le Taoïsme, philosophie mise enplace par Lao Zi (Lao Tseu), le“vieux maître”, grâce au Dao-

dejing, Le Livre de la Voie et de laVertu, était tout prédisposé à digérerle chamanisme. Lao Zi était uncontemporain de Confucius (5e–6esiècle avant JC), mais le texte qu’ilrécita avant de se fondre à jamais dansla Nature, vers l’Ouest, remonterait àla charnière du 4e–3e siècle avant J.-C.

Le sens caché du TaoïsmeLe Taoïsme était avant tout, à cetteépoque, une philosophie, au sens où ily est question de principes que nouspourrions appeler d’intellectuels.L’Ecole du Tao, axée sur l’idée devide, de laisser-aller en accord avecl’univers, était née. Pourtant Lao Zifait déjà allusion à des pratiques phy-siques où le souffle et les pratiquessexuelles sont mis en exergue. On yrecherche la recette de l’élixir d’im-mortalité. Il semble aussi qu’il y ait eudès ce moment des pratiques incanta-toires. Ce Daodejing-là est un ouvrageésotérique dont le sens est caché, dontla compréhension ne se fait que deMaître à disciple, et qui n’est déco-dable qu’à la lecture de commentairestel celui réalisé par Heshang Gong (2esiècle avant JC ?). Les Taoïstes accen-tuent ce mysticisme avec Zhuang zi

(4e siècle avant JC).A la même époque, dans le sud de laChine, au Royaume de Chu, naît uneforme de poésie rassemblée sous lenom de Chuci, les Elégies du Royaumede Chu. Ces poèmes sont empreintsnettement d’allusions mystiques etl’on y narre des randonnées extatiquesréalisées par une sorte de prêtre-cha-man (wu). De grandes allusions à l’im-mortalité, à la fusion cosmique, etc., ysont aussi présentes.

Quand la magie rejoint la philosophieEt, pour finir, on notera également laprésence des fangshi, ces magiciensqui pratiquaient toutes sortes de tech-niques ésotériques : divination, méde-cine, numérologie ou géomancie, etc.Ces hommes que le Premier Empe-reur (qui unifia la Chine en 221 avantJC) écouta avec tant d’attention aupoint qu’il finit par se perdre lui-même, manipulé par des influencespolitiques venant d’hommes peu scru-puleux qui abusèrent de sa demandede quête de l’immortalité, et notam-ment du lieu précis où se trouveraientdes îles où vivraient de bienheureuximmortels.Sous la dynastie Han, les fangshi ren-contrent un immense succès et l’onfrôle la sorcellerie et l’exorcisme : on

travaille sur le corps avec des régimesalimentaires, des pratiques visant àréguler la circulation du sperme, destechniques sexuelles. On n’hésite pasnon plus à élaborer des rituels desti-nés à chasser les démons, responsables

aoïsme

par Eulalie Steens

De la philosophie à la magieTEn Chine, si le chamanisme est particulièrement lié au Taoïsme, c’est qu’il puise à

l’ancien fond commun à toutes les civilisations : ces croyances qui en appellent au

ciel, à la terre, au vent, à la pluie, etc.

Autoportrait peint parMario Mercier : Le poète

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: D.R

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des maladies. Avec le temps, il n’estplus possible de dissocier ces tech-niques : elles forment un tout. L’Ecoledu Tao, axée sur l’idée de vide, de lais-ser-aller en accord avec l’univers,mêlée de pratiques ésotériquessecrètes était mise en place.Puis vint Li Shaojun, qui vécut autemps de l’Empereur Wu (140 – 87avant JC) de la dynastie des HanAntérieurs. Ce fangshi connaissaitl’art de se passer de nourriture, invo-quait les esprits et aurait connu larecette de la transformation ducinabre en or ; l’or merveilleux dontl’absorption était un gage d’immorta-lité. Li Shaojun avait l’oreille attentivedu souverain et en 133 avant JC, il l’in-cita à transmuter du cinabre en or eninvoquant le Dieu du Fourneau (Zao-jun). Il meurt la même année : sondécès est considéré comme une “déli-vrance du cadavre”.

Vers une sacralisation de Lao ZiLe terrain était donc acquis pour unTaoïsme dit “religieux”, mêlé de pra-tiques ésotériques secrètes, en rapportavec la cosmologie, les théories du yinet du yang ou l’application de la théo-rie des Cinq Eléments. Il existaitd’ailleurs une Ecole dite de “HuangLao” (Huangdi, l’Empereur Jaune,célèbre personnage de la mythologie ;associé à Lao Zi), dont les adeptesappliquaient la doctrine. Ceux qui, dugouvernement, se targuaient d’appar-tenir à l’Ecole du Huang-Lao prônaientl’art de gouverner par le non-agir.Leur carrière officielle était alors miseen veilleuse… volontaire ou forcée.Le personnage de Lao Zi, quantà lui, prend une tournureexceptionnelle, en particu-lier au temps de la dynas-tie des Han Orientaux(25–220). Il devient unedivinité vénérée à quil’on attribue une excep-tionnelle longévité. Ilest même associé auxplanètes, à l’Univers,comme un lien éternel entrele ciel et la terre. Il est lui-mêmele Tao.

Une Eglise pour les pauvresC’est au 2e siècle après JC que leTaoïsme s’organise en une véritableEglise. Le plus célèbre mouvementémanant de cette tendance, est celledénommée Taiping dao (Voie de laGrande Paix), connue aussi sous lenom de “Secte des Turbans Jaunes”.

Elle avait été fondée par Zhang Jue etses frères Zhang Bao et Zhang Liang.Ils proposèrent aux démunis qui deve-naient leurs fidèles d’établir la grandepaix, taiping. En s’appuyant sur lasymbolique des Cinq Eléments, ilsproclamèrent que le jaune devait suc-céder au rouge, couleur emblématiquede la dynastie Han. Le port d’une coif-fure jaune, signe de ralliement, devaitannoncer ce grandiose événement.Leur organisation très stricte permitd’ébranler le pouvoir impérial. Lesadorateurs de Huang-Lao se massè-rent par milliers autour de leur chef.Leur organisation rigoureuse leur per-mit ce tour de force. Ils se répartis-saient en effet en trente-six circons-criptions, chacune commandée par unchef, sorte de général qui portait letitre de fang. Et qui lui-même com-mandait des qushai, grands chefs. Lesadeptes étaient encadrés militaire-ment et administrativement, exaltéspar des fêtes religieuses à base d’exor-cisme, des orgies destinées à célébrerl’union du yin et du yang. La rébellionéclata en 184 et provoqua une terribleguerre civile, réprimée dans le sangdeux ans plus tard.

Le Maître devient un MaîtreCélesteLa secte des Turbans Jaunes futanéantie, cependant celle des “CinqBoisseaux de Riz” (Wu dou mi dao)perdura. Celle-ci fondée par ZhangDaoling utilisait les mêmes principesmystiques que celle des TurbansJaunes. Elle pratiquait l’alchimie etdisait savoir fabriquer la pilule d’im-

mortalité. Le Daodejing était labase de son enseignement.

D’ailleurs Zhang Dao-ling ne vieillit jamais etl’on raconte qu’il quit-ta ce monde en s’en-volant dans le ciel. Ils’était attribué le titrede Maître Céleste

tianshi et c’est ce titreque reprit son petit-fils

Zhang Lu pour lui aussipartir en guerre contre le pou-

voir impérial. Zhang Lu créa mêmeun Etat indépendant. Il fut battu parun général rebelle, Cao Cao, qui levainquit en 215. Zhang Lu s’en tiraavec les honneurs et quitta à l’amiablela scène politique. Mais ses succes-seurs continuèrent sa mission deMaître Céleste. C’est cette traditionqui perdura à travers les siècles avecplus ou moins d’influence. Compte

tenu des vicissitudes historiques du20e siècle, c’est à Taiwan qu’a pu sur-vivre la tradition religieuse desMaîtres Célestes du Taoïsme où lerituel est conservé au sein du temple.

Vers l’alchimie intérieureOn notera toutefois, que le Taoïsmereligieux s’exprime en diversesbranches. La plus connue est dite celledu Quanzhen dao “Voie de la Totale(Perfection) de la Vérité”, dit égale-ment “Fleur d’Or”. Ce mouvementaurait été fondé par Wang Chongyangau 12e siècle (dynastie Song). Sonenseignement lui vint d’un ermite et ilfonda un monastère en 1167. CetteEcole préféra se tourner vers ce quel’on appelle l’alchimie intérieure (nei-dan, “cinabre intérieur”) en abandon-nant les pratiques chamanistes etoccultistes (waidan, “cinabre exté-rieur”). Ce Taoïsme religieux se trou-va principalement en butte auxinfluences du Bouddhisme, il périclitamais reprit vigueur sous la dynastieQing. Le plus célèbre temple qui sur-vécut est celui du fameux “Temple desNuages Blancs” (Baiyun guan) sis àPékin. Il y abrite une communauté demoines qui résident dans un des plusbeaux temples taoïstes de la Chine.

Témoignage sur le chamanisme taoïste

On trouve un excel-lent aperçu desrites taoïstes cha-maniques dansl’ouvrage de JohnBlofeld, le Taoïs-me vivant* (Ed.Albin Michel).Ne se posantaucunement entant que spécia-

liste, Blofeld est le témoinoculaire de la Chine d’avant lesrévolutions, nous offrant par làmême un regard complet sur letaoïsme séculaire. De ce livre, onretient la magie du verbe, qui per-met de toucher du doigt le mystèredes arts taoïstes dans toute leurrichesse et diversité : philosophie,religion, pratiques corporelles, cha-manisme…Un livre essentiel, qui soutient lamotivation, et donne envie — mêmeaprès plusieurs lectures — de goûterà l’esprit du Tao.

J.-M. C.

Fangshi, ces magiciens

qui pratiquaienttoutes sortes de

techniques ésotériques.

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Dossier Chamanisme

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Dossier Chamanisme

Don Marcelino, vous préférez vousdire "homme de connaissance"plutôt que "chaman", pourquoi ?Quand je suis arrivé en Europe(1), j’aivu que notre tradition amérindienneétait appelée "chamanisme", et queles gens qui le pratiquaient s’appe-laient "chamans". J’ai commencé à voir d’où venait ce mot : d’une tribusibérienne. Bon, qu’a à voir le Sibérieavec le Pérou ? J’ai continué mesrecherches, et j’ai vu qu’un anthropo-logue occidental vénéré par tout le monde avait inventé ce mot pourdésigner toutes les traditions de guérisseurs. Mais ça ne nous appartient pas. Alors, je dis : "Non, jene suis pas un chaman". En plus,beaucoup de blancs, des Occidentaux,partent en Amérique pour revenir en Europe et faire leur fonds de commerce avec le chamanisme. C’est ce que j’appelle la "chama-ânerie". Alors, je dis : "Non, ça suffit !". Nous sommes des guides,des hommes de connaissance, et cequ’on pratique, c’est la médecineamérindienne. Il y a la médecine africaine, hindoue, tibétaine, etc. Tout ça, ce sont des médecinessacrées, ce ne sont pas des choses

chamaniques. Et ça, c’est le regardd’un Amérindien, de l’autre côté.

Et un "homme de connaissance",vous le définissez comment?

On peut dire que c’est un guide, quel-qu’un qui a vécu une initiation, unemort psychologique… Et pas pour lepouvoir. Il s’agit d’être serviteur desautres et de s’effacer devant lesautres. Il faut dire qu’à partir de1492(2), aucun Occidental n’est initié.L’initiation se fait dans la clandestini-té et entre amérindiens.

Il existe d’autres initiations, etpas seulement amérindiennes.

Bien sûr. Il y a l’initiation tibétaine,ou africaine. C’est différent, mais tou-jours, c’est une mort psychologique.

Je suis étonnée que vous parliezde psychologie.

J’utilise le terme qu’un Occidentalcomprend. Par exemple, au Pérou,dans les campagnes, on voyage pourramener une âme perdue. En langageoccidental, on travaille pour que la

personne récupère son énergie.

Et le terme d’"inconscient"qu’utilisent les Occidentaux, est-ce qu’il vous parle?

Oui. Mais pour nous, ce n’est pasnouveau. Freud est l’inventeur del’inconscient qu’il définit comme lapartie où se cachent les choses qu’ona réprimées, mais je ne suis pas d’ac-cord avec lui quand il dit que dansl’inconscient se trouve le pire quel’on peut trouver, et qu’il faut sortirtout ça. Pour nous, dans le fond del’inconscient se trouve la lumière.C’est la différence entre Freud et lesguides amérindiens. Il faut que ceslumières sortent pour que la person-ne change. On peut avoir dix ans depsychanalyse et la personne ne chan-ge pas. Elle connaît tous les méca-nismes de sa souffrance, mais que va-t-elle faire avec ça ?

Quel est donc le chemin de l’in-conscient dans l’initiation amérin-dienne?

Il faut faire une expérience de mortpour pouvoir après regarder les

propos recueillis par Delphine L’huillier

Don Marcelino, amérindien

d’origine péruvienne, est

venu en France pour aider

les Occidentaux à réveiller la

mémoire cellulaire de leurs anciennes

traditions. Il nous partage sa tradition, et nous offre le regard d’un homme

de connaissance amérindien sur la “chama-ânerie”.

onD M“L’homme de connaissance est un guide qui a vécu une mort psychologique…”

arcelino

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Dossier

choses et ta vie d’uneautre manière. S’attacher

à la vie, et en même temps,se détacher. (long silence)

Dans votre livre, Le voyage sacréamérindien, vous incitez les Occi-dentaux à recontacter l’énergie deleurs anciennes traditions.

Il y a une ancienne prophétie cheznous qui s’appelle la prophétie del’arc-en-ciel : un jour, toutes les tradi-tions se rencontreront, c’est-à-dire latradition orientale avec son intériori-té, sa méditation, la tradition africai-ne avec ses chants, ses danses, et latradition amérindienne avec sonamour de la nature, mais il manque latradition occidentale que vous avezoubliée. C’est la tradition des druides,des Celtes, des "jolies sorcières" quiest encore dans votre mémoire cellu-laire. Et on attend que vous la récu-périez — c’est à ça que je travaille —pour que cette prophétie se réalise.Vous n’êtes ni Hindou, ni Chinois, niTibétain. Vous êtes des Européensavec une tradition très grande quevous avez simplement oubliée.

Et vous sauriez pourquoi ?

Je crois que c’est le type de sociétédans laquelle vous vivez, basée sur ledogme de la logique et le rationalis-me, ce qui est normal et anormal. Lepetit enfant par exemple, quand il a4-6 ans, est ouvert pour parler avecles arbres, les oiseaux, mais si l’enfantcontinue jusqu’à l’âge de dix ans, lapsychologue scolaire intervient. C’estune société qui s’est coupée dumonde invisible.

Qu’apporte la connaissance de cemonde?

Si vous avez l’expérience que tout est vivant, que les plantes peuventcommuniquer avec vous, vous nepouvez pas détruire. Comme dit ce proverbe amérindien : Seulementaprès que le dernier arbre ait étécoupé, seulement après que la dernièrerivière ait été polluée, seulement aprèsque le dernier poisson ait été pris,

alors seulement vous vous rendrezcompte que l’argent ne peut pas êtremangé.

Je vais être un peu provocatrice…Les plantes ici sont enferméesdans des pots. Quelle relationpouvez-vous avoir avec elles ?

Les plantes ne sont pas comme nous.Certaines ne doivent pas être directement mises en contact avecl’eau ou le soleil. C’est leur manièred’être. Et il faut les protéger…Comme nous, il y a des gens qui nesupportent pas le froid de l’hiver,d’autres qui aiment les Tropiques. Et puis, elles sont contentes de l’énergie dans cette pièce. Parce queles plantes se nourrissent d’énergie.Observez quand vous allez à l’hôpitalvisiter quelqu’un et que vous luiapportez des fleurs. Si vous repassezplus tard, les fleurs sont mortes parcequ’elles ont absorbé la souffrance du lieu.

Elles souffrent déjà quand on lescoupe…

Non, ça, c’est autre chose. Il y a par-fois besoin de les couper pourqu’elles refleurissent. Il faut savoiraussi qu’elles n’ont pas les mêmessensations que nous, sinon, on com-met une erreur. Les plantes ont unevie totalement différente de nous.Vous les coupez, elles ne le sententpas, elles ne souffrent pas de douleur.Par contre, le feu, oui, parce que c’estun élément, et ça leur fait peur et çales fait souffrir. Mais les couper pourqu’elles refleurissent, non.

Je change de sujet, mais pourquoiavoir choisi de venir en France?

Au début, jamais je n’aurais penséêtre en Europe, parce que c’est loindu Pérou, mais je devais réaliser unemission, prendre le chemin inversedes Conquistadors, réaliser l’histoired’un Amérindien en Europe pourréveiller le meilleur de vous, et j’aiété guidé pour ça. Et je n’étais pas

prêt pour aller en Espagne. Parcequ’il y avait la colère, l’humiliation.Maintenant, je crois que je suis prêtpour parler avec les Espagnols, sanscolère, simplement, comme je parleavec les Français. Mais il faut savoirque les ancêtres vivent en chacun denous. Il faut que mes ancêtres se calment, s’apaisent, et là, je pourraileur parler calmement.

Comment vos ancêtres peuvent-ils s’apaiser ?

Je crois que la première chose, c’estun travail sur soi pour purifier toutecette peur, toutes les humiliations, etque cela ne se transmette pas à lagénération qui vient.

On a aussi la sensation, à traversla lecture de votre livre, d’un sen-timent d’incompréhension?

Je ne comprends pas comment l’êtrehumain peut tuer des enfants, humilier les gens, et d’un autre côté,je comprends que l’être humain avecun grand H n’est pas là. Ce que l’onappelle des êtres humains sont desmutants. Parce qu’un Humain estplein de compassion pour les autres.Mais le mutant fait la guerre, il tue,lance des avions et des bombes surune population, sur des enfants, desvieillards, tranquillement. C’est uncriminel. Je pense que c’est le travailde maintenant d’enseigner à la géné-ration qui vient qu’il faut arriver àêtre Homme ou Femme. Et à cemoment-là, l’humanité changera,mais ce sera d’ici à dix mille ans. Il ya d’un côté les mutants qui font du mal,et de l’autre, les mutants qui cher-chent à devenir Homme ou Femme.

Tout ce temps, est-ce une phasenécessaire?

Je ne sais pas si c’est nécessaire, maisle cerveau de l’être humain doit s’ou-vrir doucement, sinon, il devient tota-lement déséquilibré. Quand on dit,"homme de connaissance", ça veutdire qu’on sait beaucoup de choses,mais pas pour ce temps-là, pour lestemps à venir. C’est une connaissanceadaptée que l’on donnera petit àpetit.

Qu’avez-vous à nous léguercomme "connaissances"?

La connaissance que je peux donner

Aimer son corps,c’est aimer la terre.Détruire son corps,

c’est détruire la terre.

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Dossier Chamanisme

maintenant est de dire que la grandemajorité des Occidentaux a oubliéson corps. Ils ne l’aiment pas. Et lapremière chose à faire est d’aimerson corps éperdument. Par exemple,j’ai été à une réunion d’écologistes, etles gens parlaient contre la pollutionde la terre… et tout le monde fumait.J’ai dit : "Comment vous pouvez parler de pollution si vous polluezvotre corps ? si vous n’aimez pasvotre corps ?". Silence. Personne n’arien compris. Aimer son corps, c’estaimer la terre. Détruire son corps,c’est détruire la terre. C’est simple.Et ça, c’est une connaissance. On nepeut pas aimer le corps de l’autre sion n’aime pas son corps.

C’est là toute la dimension sacréede la tradition amérindienne.

Tout est sacré pour nous. Le corps estsacré. C’est un temple où habitenotre esprit. Rendre son corps beau,c’est rendre la terre belle. Un jour,les gens comprendront ça.

A la fin de votre ouvrage, il estdit que l’esprit descend dans lamatière. Est-ce que vous pourriezdévelopper?

Je crois que quand un Amérindienécoute les gens parler de recherchespirituelle, ça sonne comme une

maladie mentale. Parce que pour lesAmérindiens, nous sommes déjà desEsprits qui se sont incarnés dans uncorps pour réaliser une expériencehumaine. Alors pourquoi unerecherche spirituelle si on est déjà unEsprit ? Les gens qui font unerecherche spirituelle se désincarnent.Ils n’aiment pas leur corps. Notremission sur cette planète est d’être deplus en plus Humain, d’expérimenterla vie ici : qu’est-ce que veut dire toucher ? aimer ? regarder ?procréer ? C’est pour ça que notrecorps est précieux, parce qu’il nouspermet d’expérimenter les choses.Toucher par exemple, un Esprit nepeut pas toucher, parce qu’il n’a pasde mains.

Qu’est-ce qui fait que l’on devientmutant?

Pour la tradition de la connaissanceamérindienne, nous sommes desEsprits, ou des énergies si vous vou-lez, qui ont choisi cette planète pourréaliser une expérience. L’Esprit s’estincarné dans une famille, et sa mis-sion est de purifier cet arbre généalo-gique. Mais, quelque fois, il sait qu’ilva perdre toutes ses connaissancesdans l’incarnation parce qu’il entredans une énergie très lourde, et qu’ilperd la mémoire de ce qu’il étaitavant.

Don Marcelino, vous ne souhaitezpas être photographié, pourquoi ?

Naturellement. Moi, je ne suis pas laphoto. Le visage que j’ai, c’est unepartie de mon corps, mais mon êtreprofond, ce n’est pas ce visage. Alors,je préfère qu’on représente le condorqui me représente.

Et pour finir, qu’avez-vous à diresur Carlos Castaneda?

D’abord, Castaneda a l’ambitiond’écrire ce que Don Juan dit. Nous lesIndiens, on est très reconnaissants quepour la première fois un professeurd’université ait été enseigné par unIndien. Ca a été un scandale pour tousles professeurs, les enseignants d’uni-versité, un scandale parce que c’est euxqui pouvaient enseigner. Par contre,quand on lit ses écrits, pour un Amé-rindien, il délire. Comme il ne peutpas traduire des choses simples, il faitdes choses compliquées parce qu’il estcompliqué dans sa tête. Mais ce quedit Don Juan est totalement simple.

(1) Don Marcelino est arrivé en Franceil y a seulement trois ans. La retranscrip-tion fait écho au charme de son accent.(2) 1492 signifie l’arrivée des “premiersblancs” et de Christophe Colomb auxAmériques.

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LL'œuvre de Carlos Castaneda asuscité un intérêt considérable,peut-être surtout parce qu'elle

évoque un Souvenir non temporel, laReconnaissance de notre “Réalité”,de notre “Soi impersonnel”.

Brujo et BrujeriaC'est par sa rencontre avec un mysté-rieux Yaqui, “Don Juan”, que Casta-neda est mis sur la Voie des Nagual,en rejetant, contre son gré, sonancienne vie ; c'est-à-dire, en triom-phant des défenses individuelles, men-tales, qui font que nous restons collésà un monde, auquel nous nous identi-fions. Cette voie nagualiste, son men-tor l'appelle brujeria, sorcellerie ; maisil ne s'agit pas d'obtenir de petits“pouvoirs” pour faire du mal (ou dubien) aux gens.Le brujo, dans cette hiérarchie qui estappelée “toltèque”, est supérieurmême à l'Homme de Connaissance,l'équivalent du jñânin de la traditionadvaitine. Il est ainsi semblable auSiddha, le Réalisé, l'Homme de Pou-voir, qui est parvenu à réaliser divyadeha, le corps divin, ou siddha deha, lecorps de réalisation.Avant cela, l'apprenti devient Guer-rier, l'équivalent du vîra tantrique, quirejette le monde de ses semblables, la“vérité conventionnelle” (vyavaharasatya), la dictature du mental,triomphe des défenses que le mental,solidaire de l'ego, oppose à l'originel-le Vacuité, à ce Pouvoir que noussommes réellement, pour faire perdu-rer le monde mesquin et surimposé, etcontinuer d'emprisonner l'Esprit dans

la forme humaine.Cependant, il est dit qu'il n'y a pasd'apprentissage, ni de voie. Il n'y arien à acquérir. Il faut seulement sedébarrasser de son encombranteimage, de son identification erronée.C'est exactement ce que dit Lao Zi :La recherche de la connaissance estune accumulation quotidienne, la pra-tique du Tao est une perte quotidienne.Perdre encore et toujours, c'est ainsiqu'on atteint au Non-Agir, wu wei(Tao Te King, 48). Et le Non-Agir, leNe-Pas-Faire, est la clef de la “non-pratique” de la voie dont l'anthropo-logue Castaneda, est devenu, retour-né, l'un des participants.

Le Tonal et le NagualPour les Nahua (Toltèques etAztèques) et les Maya, l'esprit a deuxaspects — tonal, tonalli etnagual, nahualli. Selon leCodex Florentin, le nagualest “inhumain”. Et“nagual” désigne aussi lebrujo, le sorcier qui aaccès à l'esprit — quipeut se transformer, nonseulement en un animal,voire en “phénomènemétéorologique”, mais aussien l'esprit même. Le tonal, outonalli, est la force vitale, solaire, quinous permet de “fonctionner” dans cemonde. Le monde du tonal est ainsi,selon Castaneda, l'attention première,celle qui fait ce monde, ou qui estaccrochée à ce monde diurne de la rai-son, le premier anneau de pouvoir.C'est le monde des “choses”, de la

structure, de la vérité conventionnelle(samvrtti satya), interrelationnel, le“côté droit”. Le côté gauche est lenagual, l'esprit “sauvage”, non rela-tionnel, non structuré. Dans le nagual,il n'y a pas de “choses”, juste le vent,le feu de l'esprit. Le tonal est certes unpouvoir, mais qui est devenu aliénant.Il nous soumet à la représentation des“sorciers noirs”, à la conventionhumaine.Il s'agira, pour le guerrier toltèque, dedécrocher son premier anneau depouvoir, pour accrocher le second, lenagual. Il devra ainsi désapprendre lesfaçons de ses semblables, pour rejeterle monde de la réité et de la structure.Il cessera de “regarder”, pour voir. Laclef de tout cet enseignement estnégative — c'est ne-pas-faire, prendre

le contre-pied du monde du faire —comme les heyoka sioux. La

tâche du benefactor neconsiste qu'à faire perdresa “suffisance” à l'ap-prenti, à briser le rap-port qu'il entretientavec son encombranteimage, à le “vider” de

son ego illusoire. Le Tol-tèque n'a rien à “faire” car

c'est le “faire”, identique àl'ego, qui tisse son monde illusoi-

re et conformiste. En “arrêtant” lemonde, en retirant son énergie dumonde de l'image, de la “personne”,le guerrier toltèque éveille en lui laforce du silence, allume le feu inté-rieur, le feu de la gnose. Cette ignitionest la consomption de l'attention aucorps physique.

Dossier

Génération Tao n° 26 - automne 2002 23

astanedaarlos

La voie Nagualiste

CC

Le Non-Agir, le Ne-Pas-Faire,est la clef de la “non-pratique”.

Pour celui qui suit la voie nagualiste empruntée par Carlos

Castaneda, le brujo est plus qu’un homme de connaissance,

il est l’homme réalisé. créd

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par Bernard Dubant

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Dossier Chamanisme

Le plus difficile, c'est de faire taire son“dialogue intérieur”, pour “stopper lemonde”. Pour cela, il n'y aucunmoyen, puisque les moyens n'ont pourfonction que d'entretenir le bruit. Lesilence, c'est la disparition du mental,la séparation de la connaissance et dulangage. Cette “connaissance silen-cieuse” est celle de l'Esprit ; elle est“abstraite”, au sens sorcier, c'est-à-dire qu'elle n'a pas de parallèle dansla condition humaine, dont le sorciers'évade. Un sorcier ne s'intéresse plusactivement au monde de ses semblablesdit Don Juan à Castaneda.

La règle de l’aigleLa “Règle de l'Aigle” (in Eagle'sGift) tient en trois points : “Je nem'accroche à rien pour n'avoir rien àdéfendre” ; “je n'ai pas de pensées,pour pouvoir voir” ; “je n'ai peur derien, pour pouvoir me souvenir demoi”.Le guerrier se débarrasse de son iden-tification erronée pour que son éner-gie innée soit disponible au monde del'esprit. L'homme de connaissance nepense pas, ne reflète plus le monde

humain ; ainsi, il peut voir, c'est-à-direpercevoir le sans forme, le Soi imper-sonnel. Enfin, le sorcier n'a aucunepeur — il ne vit pas dans un universduel, fabriqué par le mental —. Il peut“se souvenir” intégralement de sonmoi impersonnel, et disparaître ainsi,en tant que “personne”, dans le feuintérieur. C'est ce “souvenir intégral”qui est la consommation de la voie dusorcier. Il se souvient, non pas desmodifications insignifiantes de sa vie“consciente”, mais de son “AutreMoi”, qui se “manifeste” parfoiscomme son Double (nagual, ka desEgyptiens). Pour les Nahua, l'exem-plaire est Omeyocan, le “lieu deux”.Les Nagual sont “fils de la nuit”, et letonal est la chaleur du soleil (tona-tiuh). Selon Castaneda, c'est le ventre— ce deuxième cerveau, d'aprèsl'énergétique moderne — qui est le“lieu” du nagual, et selon la traditionNahua, la tête est le lieu par où entrele tonalli. Le “souvenir” du nagualn'est pas la disparition du tonal, de laforce vitale, seulement d'une fixation,d'un “garde devenu gardien”, d'unabus de pouvoir. Le “souvenir du

Soi”, qui n'est pas mental, pas verbal,se fait avec le corps d'énergie — c'estainsi que le corps immortel se consti-tue —. Le passage dans l'autre Moi“n'a rien à voir avec la raison”.

Le guerrier mène son propre combat :il ne maquereaute pas pour des incon-nus comme l'homme ordinaire ; il éli-mine la forme humaine, collante,qu'on lui a imposée, et qui a oblitéréle souvenir de Soi-même. L'homme deconnaissance est un connaissant del'abstrait, de l'esprit ; ayant éliminéson moi personnel, il récupère sonpouvoir, son “héritage magique” ;indisponible au monde humain, il estdisponible à l'esprit. Quant au sorcier,il est celui qui sait manier l'intention,c'est-à-dire le lien avec l'esprit. Il estl'homme ancien, l'homme “sans pitié”(mais sans cruauté), dont la “person-ne” n'est plus qu'un masque.Ainsi, l'Aigle qui a émis les filamentsénergétiques tissant les mondes, et serepaît des consciences, le “laisserapasser à la liberté”, au-delà de toutesles limites concevables.

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La chaman peinte par Mario Mercier.

(…)Le chamanisme donne à l’homme la possibilité de pénétrer dans cesespaces (sortes de frontières spirituelles vibratoires), d’en explorer ladimension pour en extraire un enrichissement spirituel. Spécialiste de la“rupture des niveaux”, le chaman supprime les frontières apparemmentfermées des apparences. Par sa fonction d’intermédiaire sacré entre le Cielet la Terre, il nous apprend l’art du déplacement et de la métamorphose.L’extase est son meilleur moteur.

Que m’apprend-il en cet instant cet arbre dont l’un des frères permit àBouddha d’atteindre l’illumination ? Que la vie est un ruissellement deforces et qu’il faut se placer dans le sens exact de ce ruissellement si l’onveut recueillir et exprimer toutes ses potentialités.

L’homme a oublié qu’il est le véhicule de ce qui l’environne et de ce qui esten lui. Il a oublié qu’il est le dépositaire de la Mémoire du Monde, étantune cellule spirituelle de la terre mise en liberté. Et c’est ainsi qu’il a perdula notion d’être pour se réfugier dans la notion d’exister. Il a réduit savision d’âme à une vision fragmentaire du monde et de lui-même.

Le chamanisme tend à réaliser l’Homme-Total, l’Homme-Univers. Ilredonne à l’homme la liberté de son essence et favorise ce don d’ubiquitéqui lui permet de se déplacer dans différentes dimensions, qui ne sont pourlui que les facettes successives d’un même ensemble. On pourrait considé-rer le chaman comme une œuvre d’art à part entière, sorte d’accent per-sonnalisé du monde de l’Esprit, et comme un serviteur dévoué aux causesles plus hautes et aux tâches les plus obscures. Il a le pouvoir de se pro-longer au-delà de lui-même par l’extase, cette ivresse lucide que produitl’émotion de l’âme.

INSTANTS CHAMANIQUES par Mario Mercier

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Génération Tao n° 26 - automne 2002 25

Pour Pol Charoy et

Imanou Risselard,

l’expérience chamanique

passe aujourd’hui par

une réharmonisation de

l’être humain avec les

forces primordiales,

minérales, végétales et

animales. Une prise de

conscience nécessaire

pour aborder vraiment la

pratique des anciens.

Dossier

Gtao : Quel regard portez-vousaujourd’hui sur le chamanisme?

Pol : Imaginez qu’il n’y ait jamais eude chaman, jamais eu d’expériencechamanique. A quoi ressemblerait lepremier chamane des villes ? Quelserait son témoignage, sa rencontre ?Voilà, et bien, c’est cela que l’on doitrecréer à chaque instant. La traditiondoit être revivifiée à chaque époque !L’expérience chamanique n’est pasune expérience exotique, ancienne,qui ne peut se vivre qu’en Sibérie, surla banquise, avec les phoques ou dansla forêt amazonienne ! Elle corres-pond à un mode de vie. Quand je suisà Paris, à Rome, ou je ne sais où,comment fais-je !? Ma relation cha-manique avec les forces primordialesn’est pas la même qu’en Sibérie ! Qui,ici et aujourd’hui, entend dans sesrêves le chant des phoques ? Person-ne. Par contre, si j’organise des stagesde chamanisme exotique pour cesnouveaux “rurbains” qui vivent enville at aiment la campagne, çamarche bien !

Comment expliqueriez-vous cela?

Pol : La fuite, l’exotisme ! C’est ducinéma ! Tu vois un bon film !

Imanou : Les personnes pensentqu’elles vont régler leurs problèmesgrâce à une tradition exotique quin’est même pas la leur. C’est unmoyen de ne pas rentrer vraimentdans leur propre expérience chama-nique.

Pol : Ce n’est pas forcement mauvais,tu peux aller au cinéma et passer unebonne soirée !

Imanou : Et tu peux passer tout unepartie de ta vie à aller au cinéma ette faire du cinéma.

Il ne faut pas y croire?

Imanou : Et bien non ! Cela endeviendrait tellement naturel que lemystère tomberait et ça marcheraitbeaucoup moins, puisque l’expérienceserait accessible à tous. L’expériencechamanique se doit d’être une expérien-ce authentique, mais contemporaine, etpas exotique.

Dans votre travail énergétique et corporel, vous avez intégré unedimension que l’on pourrait qualifier de chamanique dans sarelation au minéral, au végétal et à l’animal… Que pouvez-vousnous en dire ?

Pol : On peut vivre le mouvement demanière chamanique et contemporai-ne, car il y a dans le geste et le mou-vement des réalités objectives quim’animent. Ce sont les éléments quime font bouger, et lorsque j’animema propre force pour me déplacer, jetraverse des façons énergétiques deme mouvoir. Ce sont pour nous desfaçons chamaniques de vivre le mou-vement. Ainsi, au premier stade, lemouvement est minéral, qui estimmobilité vivante ; une pulsation,une vitesse lente et très épaisse. Audeuxième stade, le mouvement végétalest plus fluide : mon corps peut sentirles mouvements de l’air, sentir quequelque chose s’anime autour de moiet me fait bouger, à l’image du végétalqui ne peut s’animer de lui-même etqui ne vit que par le mouvement deséléments et du rythme des saisons,auxquels il répond toujours. Au troi-

Pol

&

Dossier

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propos recueillis par Delphine L’huillier et Dominique Radisson,retranscription par Sandrine Toutard

“Nous devonsrendre notrerelation à l’animal plus actuelle…”

haroymanou

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sième stade, il y a la vie animale avecl’apparition du rythme cardiaque, de lacirculation sanguine, et du déplace-ment. Je peux alors m’animer,répondre à mes pulsions animales :chercher à manger, chasser, cueillir, mereproduire, etc. Je peux donc agir, etc’est une des caractéristiques de cegroupe, de cette force. Enfin, il y a lestade humain : mes mouvements sontimprégnés de sentiments. C’est lanaissance du geste, nous y retrouvonsles mouvements primordiaux —c’est -à-dire des mouvements qui existentdepuis l’aube de l’humanité— deprière, de méditation, d’extase, decompassion, d’amour, de célébration,de force, de tendresse, etc. Et certainsanimaux se trouvent à la frontière de la tendresse, et peut-être même de tout cela ! Mais l’humain est unanimal particulier : il a le sentiment,la pensée et l’intention qui vontimprégner son mouvement. L’expérience chamanique peut doncêtre vécue dans le mouvement, dansune vitesse minérale, végétale, animale…et humaine, comme nous le vivons enWutao. Le geste n’est pas seulementbio-mécanique mais aussi bio-sentiment.

Ces expériences nécessitent-ellesun état particulier amené par destechniques particulières?

Imanou : Non, ça ne demande abso-lument rien, c’est déjà là. Par contre,il faut passer par des techniques pourvoir, apercevoir, entrevoir…

Pol : Ces mouvements sont déjà là,tout comme on ne se préoccupe pasdes mouvements de notre digestion,comme du rythme des saisons. Toutcela se passe en nous. Les techniquesne sont là que pour nous aider àprendre conscience, à sortir de notreinconscience pour que nous puissionsobserver, et accompagner ces mouve-ments. Et là, les approfondir. Et là,aller encore plus loin. Mais quelqu’un qui n’a pas fait un certain travail initiatique ne va pas oser vivre cesexpériences. Parce qu’il a peur de lui-même, peur que son animal intérieurse venge et se retourne contre luipour le dévorer à son tour. Il vafuir,parce que son inconscient, l’être,l’âme sait. Son âme “sait”. Au fondde nous, nous savons tous quelorsque nous mangeons de la viandesans qu’il existe un rapport sacré, unremerciement de l’être, si rien n’estredonné à l’animal, même pas une

petite intention de recueillement,cela va se traduire inévitablement pardes cauchemars, voire se manifesterau niveau social par des comporte-ments d’exploitation de l’humain parl’humain. Car on peut comparer l’ex-ploitation de l’animal et de l’humain;nous nous comportons beaucoupavec nous-même comme nous nouscomportons avec les animaux.

Comment vivre aujourd’hui larelation à l’animalité en qi gong,ou en tout cas dans un travailénergétique comme celui-là ?

Pol : Il faut sortir de l’exotisme pourrendre actuelle la relation à l’animal.La rencontre avec une force primor-diale animale dans une pratique de qigong se traduit dans des sensations etdans des mouvements, je reçois alorsles bénéfices des qualités de cet ani-mal et vis une alchimie puisque je memets en relation avec cet animal, etson espèce. Les effets sont d’ailleursparfois très bénéfiques et très surpre-nants : renforcement de l’agilité, desperceptions, une acuité visuelle, auditi-ve accrue, etc…

Mais aujourd’hui, cette relationparraît difficile, tant noussommes coupés de la nature ?

Pol : J’imagine que dans les tempsanciens, ces pratiques étaient relative-ment plus faciles puisque l’hommeétait déjà dans une relation de mesure,de respect avec la nature et les ani-maux, chacun étant respecté dans sesespaces. Mais comment aujourd’hui unmaître de qi gong qui habiterait enville et aurait mangé pendant dix, vingtans de la viande industrialisée vivrait-ilsa relation avec les nimaux? C’est làoù nous devons rendre notre relation àl’animal plus actuelle, puisque notrerapport à l’animal se transforme; il estdevenu exploitation et assouvissement…

Nous sommes aujourd’hui obligés defaire tout ce “chemin de guérison”avec la vie animale parce quel’époque a changé, parce qu’il n’y aplus de respect mutuel. L’harmonieentre humains et animaux a disparu :c’est devenu une exploitation pure etsimple. Et pour rétablir l’harmonie, ilfaut oser entendre la douleur, voir ceque l’on fait et en prendre la respon-sabilité. Et c’est douloureux d’enprendre la responsabilité, accepterd’avoir des visions cauchemardesques,oser voir. Peut-être même oser acter,se rendre dans des exploitationsd’élevages puis des abattoirs pourvoir comment on tue les animaux quel’on va manger. Oser y assister. Et nepas fermer les yeux, ni les oreilles, niles sens, ni son cœur, et puis rentrerchez soi avec tout cela pour une petiteméditation chamanique et… pfffff…

Imanou : Il est important de savoirque quand on mange un steak, ouquoi que ce soit d’autres aujourd’hui,il y a eu auparavant toute cette chaîneindustrialisée. Nous en sommes encoreà un stade pré-humain, mais on n’apas développé notre stade d’humanité.Réellement. Etre Humain, ce n’est pasquelque chose qui est établi, c’est uneexpérience à vraiment ressentir, àacquérir, et ça, même si cela a déjàété dit, il est tellement important de le répéter. Comme il est importantd’aller voir la chaîne d’un abattoir, etde manger après, en pleine conscience,pour savoir ce que l’on fait. Cetteexpérience va développer notre manièrede réagir : à cœur ouvert, à corpsouvert. C’est grâce à cette faille quesurgit notre humanité. Pendant lescours par exemple, après tout un processus d’exploration corporelle, ilarrive quelque chose de tout à faitparticulier lorsque les élèves rencon-trent dans leur intimité leur profondehumanité. C’est une belle rencontre,et d’un seul coup, on se dit : “MonDieu! Pourquoi je ne la montre pas !Pourquoi je ne la vis pas tous lesjours ? Pourquoi ce n’est pas elle quiest là dans mes relations ? Qui animemes pensées et mes actions? Pourquoiune planète, un pays ne peut-il pas êtrerégi par l’être humain qui est en nous?

Pol : Ce n’est pas le cas. Nous sommesdans une société qui mange de plusen plus de viande et ce, dans unerelation inconsciente. Et paradoxale-ment, nous possèdons énormémentd’animaux de compagnie…(suite p. 28)

Entrer dans ce rapport sacré

qui est que pourcontinuer à vivre,

d’autres me donnent leur vie.

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Gtaoo : Vous avez souvent relatédans vos livres votre expériencedu chamanisme?

Alexandro Jodorowsky : J'ai eu l'ex-périence du chamanisme jusqu'à uncertain point, parce que j'étais encontact avec des guérisseuses, desguérisseurs, des “charlatans” desvilles. Un chaman, c'est quelqu'un quivit dans une ambiance primitive, etqui guérit sur place avec les élémentsque la nature lui donne, en ayantrecours à un matériel hallucinogène.Le chaman des villes va importer enville des techniques qui sont forcé-ment liées à d'autres endroits. Or lechaman est, encore une fois, en rap-port intime avec le lieu dans lequel ilexerce. Son action s'adresse même àdes personnes qui sont nées sur lemême terrain. Un chaman de Sibérie

ne va pas guérir comme un chamand’Amazonie. C'est pourquoi, pourmoi, le chamanisme des villes est unemonstruosité. En ce qui me concerne,j'ai donc fait des expériences avec desguérisseurs des villes. Ce n’étaientpas précisément des actes chama-niques, c'étaient des opérations pourrendre la santé aux gens.

Vous avez pourtant fondé unetechnique de psychothérapie quevous appelez psychochamanisme?

C'est différent. Je ne prétends pasimporter des techniques chamaniquestraditionnelles. Partant du constatqu'on ne pouvait importer dans lesvilles les techniques chamaniques tra-ditionnelles, je me suis posé la ques-tion de savoir quelles techniques on

Alexandroodorowsky

“Si le chaman utilise un corbeau, jepeux utiliser un téléphone portablepour guérir…”Sur un ton qui lui est propre, Alexandro Jodorowsky,

l’inventeur entre autres du psychochamanisme, nous

partage son expérience auprès d’une guérisseuse,

Pachita, ainsi que son regard sur l’émergence d’un nou-

veau chamanisme.

J

(suite de la page 26)

Imanou : Il faut arrêter de croireque tu peux avoir une attitude parti-culière pour un animal qui estproche de toi et que tu peux en man-ger d’autres!

Pol : C’est très provocateur tout ce quel’on dit là! Je comprends, bien sûr,qu’on puisse avoir un animal decompagnie pour se rapprocher unpeu de cette vie animale, de cettespontanéité, de cette pulsation, decette nature. Mais je demanderais àtous ceux qui ont des animaux decompagnie de conscientiser et deregarder leur rapport avec la nourritureet de s’imaginer d’un seul coup que cequ’ils mangent, c’est leur chat, ouleur chien, ou leur cheval. Qu’ils semettent dans cette situation. Que sepasserait-il?… Et bien voilà, ça, c’estune expérience chamanique, c’est çaqu’il est nécessaire de retrouver. Nepas forcément s’arrêter de mangerde la viande, mais conscientiser larelation, ritualiser le repas, entrer dansce rapport sacré qui est que pourcontinuer à vivre, d’autres me don-nent leur vie.

Imanou : C’est surtout une questionde vie. Je peux vivre grâce à d’autresvies. Si on pouvait prendre simple-ment cela en compte.

Pol : Je mange parce que la terre medonne! Alors, merci la terre! Et qu’aumoins une fois par an se vive unegrande prière, une grande manifestation.

Imanou : C’est revenir à des chosessimples! Oui, en fait c’est très simple!

Pol : C’est vraiment ça l’essence, etseulement après, dans le cadre denotre pratique, on peut organiser etstyliser tel ou tel mouvement animal,qui a tel ou tel effet. Réfléchissons ànotre relation à la nature au quoti-dien. Si je ne suis pas vraiment entréen relation, quels effets tous cesmouvements peuvent-ils avoir ?

Imanou : Les choses deviennentsèches !

Pol : C’est de la pantomime ! Je nesuis pas dans l’état ! Je passe à côté !

Imanou : L’état, c’est du ressenti. Eton ne peut ressentir qu’en étant enrelation.

propos recueillis par Delphine L’huillier et Dominique Radisson, portrait : Jean-Marc Lefèvre

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pouvait utiliser en ville. Et je me suisdit que si le chaman utilise un cor-beau, ou un champignon, je peux uti-liser un téléphone portable pour gué-rir, une banane achetée au supermar-ché, ou même un big-mac ! On nepeut pas transporter le chaman, ni leséléments qu'il utilise. On ne peut quefaire des techniques similaires, ous'inspirer de ces techniques. C'est ceque j'ai essayé de faire avec le psy-chochamanisme.

Vous pensez qu'on ne peut pasêtre en même temps occidental,dans le sens de “civilisé”, et cha-man?

On peut essayer, c'est une très belleintention, mais jusqu'à un certainpoint. Il faut être conscient de seslimites, ne pas se tromper soi-même,en pensant qu'on est un chaman.Dans une ville, hors d'un contextenaturel précis, et en présence d'indi-vidus d'une autre origine, on ne l'estpas. Si on a affaire à des gens naïfs,on peut avoir recours à des tricheriessacrées. Ainsi, l'autre jour, unefemme est venue me voir, absolu-ment persuadée qu'on lui avait misquelque chose dans le cerveau. J'aiappliqué un truc : je lui ai cassé unœuf sur le crâne ; une substance noirenauséabonde en est sortie: le malétait extirpé, elle était guérie. En fait,c'était un morceau de charbon quej'avais caché à sa vue, mais le résultatétait là : cette femme était guérie !C'est une tricherie sacrée déjà utili-sée par Plotin ! Une femme follevient le voir, persuadée qu'elle a unevipère vivant à l'intérieur d'elle. Plo-tin la fait vomir, et lâche alors un ser-pent qu'il avait dissimulé. Il lui décla-re : “Voilà, je te l'ai enlevé”, et lafemme en est persuadée. Une autrefois, un homme vient le voir, quipense qu'il n'a pas de tête. Plotin luifait alors porter un casque de plomb,et l'homme retrouve alors la sensa-tion de sa tête. Le chaman utilisebeaucoup ces tricheries, avec desgens qui sont réceptifs, mais c'est unà-côté. C'est une imitation utile pourles gens naïfs ou primitifs. Les mara-bouts utilisent aussi ces techniques.Mais une personne qui est passée parl'université, qui a été élevée dansnotre culture, pas vraiment supersti-tieuse ou religieuse, un être des villes,

tu ne peux pas le guérir avec cesméthodes-là, parce qu'il ne va pas lescroire. Il faut implanter ses méthodes,bien expliquer ce qu'on fait, ne pass'adresser à la foi de la personne, ni àla superstition. Il faut la traitercomme un médecin traite un patient.C'est différent.

Votre statut d'Occidental doit ras-surer les personnes qui viennentvous trouver…

Bien sûr. Moi, le meilleur gourou queje connais en France, c'est ArnaudDesjardin! Parce qu'il a un physiquede préfet de police, ou de recteurd'université. Si ton père te manque etque tu es Français, seul un Françaispourra remplir ce manque.

Au cours de vos voyages, vousavez rencontré cette guérisseuse,Pachita…

Oui, et j'ai été trois ans son assistant.

Vous êtes parti du principe quevous ne croyiez pas à la nature dece qu’elle accomplissait?

Oui, en ne sachant pas si c'était vraiou pas. Je me suis positionné commeun non-croyant, parce que j'ai vu despersonnes croyantes qui étaient dansla divinisation de la personne. J'aipréféré ne pas me positionner sur lacroyance, mais sur l'utilité. Est-ceutile pour guérir ou pas ? Et si çaguérit, comment et pourquoi ? SiPachita est un être divin, je ne pour-rai jamais faire ce qu'elle fait ! Sonmiracle s'en ira avec elle. Mais si elleutilise des techniques utiles, je peuxapprendre ces techniques et les appli-quer dans un autre contexte.

Pour qu'il y ait action chama-nique, il faut donc que le sujetsoit persuadé de la nature divinedu chaman?

Oui, mais c'est vrai pour les peuplesprimitifs croyants. Mais moi qui necrois pas aux dieux, qu'est-ce que jefais ? Qu'est-ce que je fais quand unefemme violée à onze ans par son pèrevient me voir ? Ou quand ce garçon aété abusé sexuellement par sonfrère ? Qu'est-ce que je fais si je nesuis pas divin ? Je ne peux pas lesenvoyer à Dieu, alors qu'est-ce que jefais ? Le Tao, ce n'est pas Dieu !

Qu'avez-vous fait, alors ?

J'ai compris que l'inconscient, c'estde la métaphore, que les mots de lamétaphore, c'est le langage de l'in-conscient. J'ai compris qu'on peuttraiter la réalité comme un rêve,qu'on peut rester lucide dans se rêves,et donc pourquoi ne pas employer salucidité pour agir sur la réalité ? J'aicompris que tout est langage, quetout parle. Si tu te tords un ligament,c'est que tu as un problème de cassu-re avec ta famille, ou avec un êtreaimé. Si, à l'instant où je parle, mafille renverse son verre, c'est qu'il y aquelque chose qui l'a touchée dans ceque je dis. La coupe, c'est le symboledu cœur…Tout a une répercussionémotionnelle, intellectuelle, tout agiten même temps. Les maladies sont unlangage. On apprend que l'âme c'estun langage du corps, qu'on estmomentané, éphémère, individuelle-ment momentané et éternellementcollectif. On arrête de faire la têtedevant la vieillesse, la maladie et lamort. On pense qu'on va se réincar-ner sans cesse, ne pas s'échapper dece monde, que ce monde n'est pas lasouffrance, sinon il ne serait pas la vie!On agit dans le monde, pas comme sic'était un enfer, mais comme si c'étaitun paradis. Tout est bien !

Pourquoi avez-vous eu envie deguérir les gens?

Parce que j'ai été terriblement malade.

Malade de l'âme?

Malade de l'âme, mais malade ducorps aussi ! J'ai eu des hémorroïdesépouvantables ! J'ai été malade del'âme et malade de l'anus aussi !Quand j'ai connu la souffrance et quej'ai compris que les autres faisaientpartie de mon corps et de mon âme,

Mais moi qui necrois pas aux dieux,

qu'est-ce que jefais ?

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Dossier Chamanisme

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je me suis dit que ce que j'allais fairepour moi, j'allais le faire pour lesautres. Je ne peux pas changer lemonde, il est trop grand, mais je peuxcommencer à le changer. Je suis unpoint de vie dans les millions de pointsde vie de ce monde, donc mon pointde vie peut commencer à agir, et àappliquer sur les autres ce que j'aiappliqué sur moi. Parce que j'ai eu debons résultats sur moi, je vais partagerces bons résultats. Quand on fait sontravail et qu'on vide son cœur de larancune, de l'anxiété et du désir d'êtrevalorisé par les autres, d'avoir consé-cration et célébrité ; quand on videson cœur, on connaît des sentimentssublimes. Et un des sentiments sublimesqu'on découvre, c'est l'amour de l'humanité. On aime avec une passion de fou les êtres humains. Endehors de leur nationalité, de leursidées et de leurs folies. Tu les aimes!Et tout à coup, tu trouves un sentimentpaternel et maternel vis-à-vis de l'hu-manité ! Tu es soleil et lune en mêmetemps. Et de l'autre côté, tu n'es rien,tu es zéro. Mais c'est quand mêmedans ton rien qu'il y a la possibilitéd'aider les autres. Et on s'assoit dansson coin du monde, et on se met àaider. Et à mesure qu'on aide, ons'aide. Voilà, ce n’est pas plus compli-

qué que ça. Et on développe unepatience immense, on n'est pas pressé,on fait ce qu'on a à faire et c'est tout.

Revenons à Pachita… Quel étaitle sens qu'elle vous acceptecomme assistant?

Mystère ! Dès que je l'ai rencontrée,elle m'a accepté ! Mais j'ai une espècede séduction pour les vieilles femmes(rires). Quand je suis allé voir lesMapuches(1), il y avait deux mille per-sonnes à la sainte chapelle de Machi-tu, fête magique où les sorcièreschantent autour d'une guérisseuse.Comme je n'avais ni caméra, ni appa-reil photo, un gars m'a demandé ceque je faisais là, et j'ai dit : “Rien, jene fais rien, je veux savoir commentcette dame guérit”. Il a été surpris, et

m'a répondu : “c'est ma mère”. Il m'amis devant elle, et elle m'a tout desuite parlé. Elle m'a dit : “Reste avecmoi comme invité”, et j'ai été l'invitécentral de deux mille Mapuches !Peut-être est-ce par mes cheveuxblancs, peut-être parce que je suisarrivé à la bonté, qu'est-ce que j'ensais !? Et avec Pachita, ce fut lamême chose. Dès qu'elle m'a vu, ellem'a demandé de lui chanter despoèmes et m'a accepté. Mais jen'étais pas tout seul, il y avait son fils,le propriétaire de la maison, cinq ousix adeptes…

Mais eux étaient dans la divinisa-tion de Pachita?

Moi pas.

Est-ce que ce n'est pas un peuvotre loi personnelle d'être à part ?

Non, j'étais là, pleinement ! Je mesuis fait opérer par elle, c'était unechose à vivre ! Il faut avoir lecourage ! On ne peut pas dire que jen'étais pas là !

N'y a-t-il pas en ce momentun risque de “mode chaman”, une sorte de néochamanisme un peu new age?

(Vivement) Si, si, tout à fait, et c'estpourquoi je ne veux, en aucunefaçon, qu'on interprète ma positioncomme celle-là. Les opportunistes, jem'en fiche !

Est-ce que cela comporte des dangers?

Moins que la cigarette. La mode duchamanisme n'est pas grave. Il y a eula mode Schtroumpf, celle de Batman,aujourd'hui celle de Spiderman…

Et celle du “cha-man”?

Oui, celle du “cha-man” (rires). Unamusement sans danger qui varéjouir quelques fous et quelques tri-cheurs, c'est tout. De toute façon,dans un pays comme le Mexique, parexemple, tu ne peux plus vivre tonexpérience tranquille. Toute l'image-rie mexicaine des Mayas été récupé-rée par l'église. Le culte à la ViergeMarie a remplacé l’ayahuasca(2). Ettous les hippies de 68 se sont grefféslà également.

Quelle est la spécificité de l'approche chamanique par rapport à d'autres, comme la psychologie?

Jung l'a bien compris, quand il a com-mencé à étudier la synchronicité. Le chaman établit des liens entre lesobjets du monde, et le monde de l'inconscient — ce qu'on appelle lemonde de Dieu, le monde souterrain,tout ça qui, pour moi, est dans notreinconscient — et c'est une penséeréelle, très puissante. C'est le dépas-sement de la prison rationnelle. Maisoù je diffère, c'est que pour moi, le rationnel n'est pas une prison.Lorsqu'il est mal employé, il devientprison, mais quand dans le chamanismeil manque le travail sur le rationnel,ça devient du primitivisme, et c'estmauvais. Les chamans doivent arriverà nous, et nous, on doit les retrouver.Eux, ils doivent parvenir à l'éclosionde la pensée rationnelle que nous avonsapportée au monde, et nous, on doitretrouver cette sagesse qu'on a perdue.

Et le psychochamanisme, c'estcela : un métissage de rationnelet de sagesse perdue?

Oui, c'est une façon de guérir que jepeux apprendre à des médecins, despsychologues, des psychanalystes. Carla psychanalyse ne se propose pas deguérir. Elle te propose des prises deconscience afin que tu vives mieux,mais tu ne guériras pas. Le guéris-seur, lui, se propose de guérir, c'estcela qui est intéressant. Le chamanis-me va t'ouvrir vers la notion de pos-session. Tu es possédé : en toi, il y ades dieux, des forces qui ne se voientpas. On ne se rend pas compte, maisnous vivons constamment possédés. Ily a des psychismes intérieurs qui par-lent à travers nous, différents ego, dif-férentes choses.

Vous prescrivez toujours des actespsychomagiques(3), est-il néces-saire qu’ils soient spectaculaires?

Le spectaculaire ne te surprendjamais à l'intérieur des rêves. Lesactes psychomagiques vont changer laréalité commune, et vont donner,comme dans le rêve, la part à l'in-conscient métaphorique. L'acte psy-chomagique échappe à la réalité nor-male, sinon à quoi bon ? Ca casse laconception du réel, et d'une certainefaçon, l'inconscient prend la réalité

Dans l'inconscient, il y a toute une

série de mondes :tous les rêves de l'hu-

manité sont là !

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ONT PARTICIPÉ A CE DOSSIER•Chamanisme taoïste, par Eulalie Steens, sinologue etauteur du Dictionnaire de la civilisation chinoise, éd. duRocher.•Don Marcelino, homme de connaissance péruvien etauteur du Voyage sacré amérindien, éd. Charles Anto-ni L’Originel.•Carlos Castaneda, la voie nagualiste, par BernardDubant, auteur de nombreux ouvrages dont Castaneda,le retour à l’esprit, Chamanisme Nahua et Maya, et encollaboration avec M. Marguerie, Castaneda, la voiedu guerrier (tous ces ouvrages ont été publiés chez GuyTrédaniel éditeur).•Instants chamaniques, par Mario Mercier, poète, écri-vain, peintre. (1) Ces deux citations sont extraites deL’esprit de la forêt paru aux éditions Accarias L’Originelet (2) le Manifeste du nouveau chamanisme paru auxéd. Atlantis.•Pol Charoy et Imanou, fondateurs du magazine Géné-ration Tao, créateurs du Wutao.•Alexandro Jodorowsky, cinéaste, metteur en scène,auteur de bande dessinées et auteur de nombreuxouvrages dont La danse de la réalité paru chez AlbinMichel.Ce dossier a été illustré par les photographies de Jean-Marc Lefèvre, Michel Demling et les peintures de MarioMercier : notamment Le poète et La chaman.

pour cet acte-là. J'ai toujours dit que l'acte psy-chomagique doit être positif. Par exemple, quandon enterre quelque chose, on plante un végétal.On ne finit jamais dans le négatif, mais la violen-ce n'est pas la condition sine qua non. EnEspagne, j'ai eu une femme qui n'a pas commu-niqué avec son père, décédé. Je lui ai demandéde mettre du rouge à lèvres très gras, et d'em-brasser littéralement la plaque tombale de sonpère, jusqu'à ce qu'elle soit entièrement recou-verte de la trace de ses baisers. Comme cela, elleallait totalement exprimer à son père l'amourqu'elle avait pour lui. Ca c'est un acte doux, poé-tique, non violent, mais qui demande cependantune attention constante, cela équivaut à une profonde méditation. Je donne beaucoupd'actes non violents, et d'autres très violents, çadépend de la personne et de son problème.

Pour vous, les forces dont s'occupe le cha-man sont en nous, dans notre inconscient?

Je le crois fermement, en pensant que l'incons-cient, c'est un inconscient collectif. C'est en faitun inconscient individuel, et familial, et collectif,et historique, tout cela, plus le mouvement desétoiles, qui ont une influence en nous.Chaque individu que tu vois est à l'intérieur deton cerveau. Tout ce que tu vois est à l'intérieurde toi. Je te parle dans ton intérieur, et vous êtesdans mon intérieur. J'ai une représentation devous. Le chaman va utiliser une drogue, ou untambour. Cela va ouvrir les portes de l'imaginai-re, du rêve, d'accord, mais le rêve fait partie denous. D'une certaine façon, nous rêvons cette réali-té. Je montre une carte du tarot, et demande auxgens ce qu'ils y voient. Chacun a une interprétationdifférente. La réalité est pareille ! Chacun va nom-mer une représentation de cette même réalité, etchacun de nous vit un autre monde, mais équivalentet possible. Et dans l'inconscient, il y a toute unesérie de mondes, et pas seulement le nôtre : tous lesrêves de l'humanité sont là ! Je vais te dire unechose : nous avons le futur en nous, parce que notrecerveau nous dépasse. Nous ne l'utilisons pas danstoute sa puissance, notre cerveau est déjà le futur, ilest destiné à l'homme qui viendra.

Ainsi, nous serions des «pré-humains»?

L'homme existe jusqu'à un certain point, et l'hom-me idéal n'existe pas. Mais l'homme idéal existedans le cerveau, nous l'avons en nous. Et quand tuprends une drogue, ce cerveau du futur commenceà fonctionner, tu le vois. Et c'est une découverte.

(1) : Les Mapuche sont une ethnie qui vit dans le suddu Chili et de l'Argentine.(2) : L’ayahuasca est un mélange de plantes aux effetshalllucinogènes utilisé par certaines tribus d’Amazonie.(3) : L’acte psychomagique est utilisé par AlexandroJodorowsky comme acte symbolique et transformateurde la guérison.

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