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Chapitre 1 : Le double sens de « Outsider · PDF fileRouméas Rémi Fiche de lecture : Sociologie Howard S. Becker, Outsiders Editions A.-M. Métailié, 1985, 1963 « Des fois, je

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Rouméas Rémi Fiche de lecture : Sociologie

Howard S. Becker, Outsiders Editions A.-M. Métailié, 1985, 1963

« Des fois, je ne sais pas trop si on a le droit de dire qu’un homme est fou ou non. Des fois, je crois qu’il n’y a personne de complètement fou et personne de complètement sain tant que la majorité n’a pas décidé dans un sens ou dans l’autre. C’est pas tant la façon dont un homme agit que la façon dont la majorité le juge quand il agit ainsi » W. Faulkner, Tandis que j’agonise

Chapitre 1 : Le double sens de « Outsider »

Becker introduit son ouvrage par une définition des normes institutionnalisées au sein des groupes sociaux, les normes impliquent un mode de comportement approprié qui doit être respecté sous peine que les membres du groupe rejettent l’individu qui a transgressé la norme. Ce dernier est alors un étranger (outsider). Cependant le rejeté peut lui-même percevoir ces accusateurs comme étranger à son univers. Becker s’intéresse au processus qui mène au respect des normes et au contraire à une transgression. Les normes peuvent être inscrites dans la loi, la tâche de faire respecter sera alors attribuer à la police par exemple, mais elles peuvent également relever de la tradition, dans ce cas des sanctions informelles peuvent être mises en place par les membres du groupe concerné. Becker prend un intérêt particulier pour les normes en usage et dont les transgressions ne peuvent pas être tolérées. 1) Définitions de la déviance

Des études scientifiques ont été réalisées sur les déviants pour répondre à la question que tout le monde se posent : pourquoi font-ils cela ? Pourquoi transgressent-t-ils les normes ? De ce fait les chercheurs adoptent le sens commun selon lequel ces actes sont « substantiellement déviants » et leurs réalisations découlent des caractéristiques de son auteur. Or tous les groupes sociaux ne qualifient pas de la même manière ce qu’est une action déviante. Les études scientifiques manquent dans ce cas une variable importante : « les phénomènes de déviance lient étroitement la personne qui émet le jugement et la situation dans laquelle il est produit »1. Becker entend définir la déviance et doit pour cela montré en quoi les définitions actuelles sont erronées. La première définition qu’il commente est d’ordre statistique : est déviant ce qui s’écarte par trop de la moyenne, ainsi les gauchers et les roux seraient déviants. Cette définition est trop simpliste et trop éloignée de l’idée de transgression. Une définition plus répandue montre la déviance comme le produit d’un « mal » dans le transgresseur mais cette notion d’ordre pathologique ne peut être caractérisée d’un commun accord comme s’il s’agissait d’un organisme en mauvaise santé. Certains voient dans la déviance le produit d’une maladie mentale, cependant comme l’indique Thomas Szasz dans The Myth of Mental Illness, au fil du temps les médecins ont attribué la notion de « maladie », comme disfonctionnement d’un organe, à un disfonctionnement par rapport à une norme. Cette métaphore médicale limite la compréhension de la même manière que les statistiques car elle cherche le déviant à l’intérieur de l’individu « ce qui empêche de voir le jugement lui-même comme une composante du phénomène »2. Enfin des sociologues définissent la déviance comme le fait d’être « dysfonctionnel », de rompre la stabilité et donc de limiter la survie d’une société où la majorité des individus sont « fonctionnels ». D’autres pensent la déviance à travers le degré d’obéissance aux normes, mais ce n’est toujours pas suffisant car les normes sont différentes d’un groupe à l’autre, cette définition ne permet donc pas de traiter toutes les situations de transgressions.

2) La déviance et la réaction des autres

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Selon Becker, la déviance est créée par la société, c’est-à-dire « les groupes sociaux créent la déviance en instituant des normes dont la transgression constitue la déviance »3. On ne peut trouver des facteurs communs dans la personnalité ou les conditions d’existence des individus qui expliqueraient leur caractère déviant. Ainsi l’intérêt de Becker se porte sur le processus par lequel des individus sont considéré comme étranger à un groupe et de leurs réactions à ce jugement, et non pas sur les caractéristiques personnelles et sociales des individus. Il utilise alors l’étude de Malinowski, Crime and Custom in Savage Society, pour illustrer son propos. En effet, ce dernier raconte les faits qu’il a observés dans les îles Trobiand : un jeune homme qui avait eu des relations incestueuses avec sa cousine, acte formellement interdit dans ces îles, entre en conflit avec l’amoureux de sa cousine qui désire se venger. Ce dernier l’ayant insulté en public, le jeune homme n’a plus d’autre choix que le suicide. Ainsi Becker veut montrer à l’aide de cet exemple que cette norme transgressée ne produit en général que de simples commérages, et cela n’est pas rare, mais dès que l’affaire devient un scandale, tous les habitants s’érigent contre le jeune homme en l’insultant et le poussant au suicide. Par conséquent le caractère déviant d’un acte dépend bien de la manière dont les autres réagissent. Ensuite Becker prend appui sur des études afin donner plusieurs exemples de transgression dont le caractère déviant peut varier selon la situation dans laquelle elle est réalisée : un garçon de classe moyenne pris par la police a moins de chance d’être condamné qu’un enfant de quartier misérable, un Noir qui attaque une femme blanche sera plus sévèrement punit qu’un Blanc, un rapport sexuel illicite entrainera une réaction sévère de la collectivité uniquement si la jeune fille se trouve enceinte. La déviance n’est pas une propriété simple, et son caractère « dépend en partie de la nature de l’acte et en partie de ce que les autres en font »4. 3) Qui impose les normes ?

La définition des normes dans les sociétés modernes ne résulte pas d’un accord unanime et diffèrent selon les groupes sociaux et la pluralité de ces groupes rend compte de la pluralité de ces normes : « Les immigrés italiens qui continuaient à faire du vin pour eux-mêmes pendant la prohibition agissaient conformément aux normes des immigrés italiens, mais ils enfreignaient la loi de leur nouveaux pays »5. Becker distingue deux cas dans une situation ou un groupe impose des normes à ses individus : dans le premier seul les membres du groupe sont intéressés au respect de ces normes, c’est le cas d’un juif orthodoxe qui ne suit pas le régime casher, dans le second cas, les membres d’un groupe veulent que ceux d’un autre groupe respectent certaines normes, c’est par exemple le fait que des gens veulent que les médecins respectent des normes précises et c’est pourquoi les professions de santé sont délivrées par l’Etat. Il se demande ensuite quels sont les moyens utilisés pour faire respecter les normes, certains utilisent la force, par exemple la relation entre adulte et enfant, homme et femme, Blanc et Noir, classes moyennes et classes populaires. La capacité d’établir des normes provient par conséquent du pouvoir, qu’il soit légal ou extra-légal.

Chapitre 2 : Types de déviance : un modèle séquentiel

Types de comportements déviants

Obéissant à la norme Transgressant la norme

Perçu comme déviant Accusé à tort Pleinement déviant

Non perçu comme déviant Conforme Secrètement déviant

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1) Modèles synchroniques et modèles séquentiels de la déviance

Becker montre tout d’abord les différences notables entre un modèle séquentiel et un modèle synchronique d’analyse de la formation des comportements de l’individu. Il s’agit de trouver une méthode permettant de comprendre les causes d’un comportement déviant. Il est question en premier lieu d’une analyse multivariée, il s’agit alors d’admettre que tous les facteurs agissent en même temps et de trouver la variable qui prédit le mieux le comportement. Par exemple dans l’étude de la délinquance juvénile, les sociologues s’intéresseront à la cause première dans une liste de facteurs envisageables, le quartier de provenance, une famille désunie… Mais en réalité, les facteurs n’agissent pas de manière simultanée, il s’agit donc de trouver un modèle qui retranscrive les modes de comportement selon une séquence ordonnée. Pour construire de tels modes séquentiels, Becker utilise le concept de carrière, qu’il faut utiliser non seulement pour ceux qui adoptent un comportement déviant mais également pour ceux qui connaissent un aller et retour entre situation de déviance et conventionnelle. 2) Les carrières déviantes

La première étape d’une carrière déviante et la transgression d’une norme. De même que la première fois qu’une personne commet un acte déviant est la plupart du temps non intentionnelle, elle est cause de l’ignorance de l’existence de la norme ou de l’ignorance de son application sur tel ou tel cas. Becker prend un exemple d’un individu qui ferait l’usage d’un mot correct pour sa culture mais incorrect pour celle d’un autre. Becker rompt avec les théories psychologiques et sociologiques qui avancent que seuls ceux qui commettent un acte déviant sont portés à agir ainsi. En effet pour lui, tout le monde connaît fréquemment des tentations déviantes. Pourquoi alors certains ne passent pas à l’acte tout en ayant des tentations déviantes ? Becker répond ainsi : « quand un individu « normal » découvre en lui-même la tentation déviante, il est capable de la réprimer en pensant aux multiples conséquences qui s’ensuivraient s’il y cédait »6. Mais l’intérêt de Becker se porte surtout pour les personnes qui sont continuellement dans la déviance. En effet, après que l’individu se soit accommodé à une pratique déviante par le contact social avec d’autres déviants, une phase importante est le fait d’être désigné comme déviant par les individus qui agissent de manière conforme aux normes. De plus Becker insiste sur le fait que des individus peuvent être désignés comme déviants alors qu’ils n’ont commis qu’une seule infraction, c’est-à-dire qu’on les suppose capable d’en faire d’autre, d’ailleurs c’est par ce même postulat que les forces de l’ordre effectuent, quand il s’agit de trouver un coupable, des recherches chez les individus qui ont déjà un casier judiciaire. A cela Becker ajoute que « traiter une personne qui est déviante sous un rapport comme si elle l’était sous tous les rapports, c’est énoncer une prophétie qui contribue à a propre réalisation »7 Pour illustrer cette idée, il donne l’exemple d’un toxicomane qui est conduit en quelques sorte au vol puisqu’on lui refuse des emplois qui lui permettraient de subvenir à ces besoins légalement. Enfin, la dernière phase de la carrière déviante est l’entrée dans un groupe déviant organisé, « l’appartenance à un tel groupe cristallise une identité déviante. »8 C’est dans ce type de groupe que se développe une idéologie qui sert à une justification de la déviance. Ainsi une fois ce groupe intégré, l’individu à beaucoup plus de chance de continuer dans cette voie.

Chapitre 3 : Comment devient-on un fumeur de marijuana

Aux Etats-Unis, un nombre inconnue mais probablement élevé d’individus pratique cette déviance. Pour Becker, c’est le comportement déviant qui produit la motivation à la déviance et non l’inverse. En premier lieu, il souligne le fait que la marijuana ne provoque pas de dépendance comme l’alcool ou autres drogues dans le sens où un arrêt de la consommation ne sera pas synonyme d’un manque, de signes physiques et mentaux. Pour comprendre la genèse de l’utilisation de la marijuana, il utilise la méthode de l’induction analytique, il a réalisé cinquante entretient auprès de fumeurs et assure avoir employé le langage des interviewés à chaque fois que cela était possible et que cela semblait naturel.

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1) L’apprentissage de la technique, de la perception des effets, du goût pour les effets

La première étape nécessaire pour devenir un fumeur de marijuana est l’apprentissage de la technique requise pour produire les effets potentiels de cette drogue, pour « planer ». Le dosage nécessaire, selon les témoignages qu’a reçu Becker, s’apprend au sein de groupes d’utilisateurs. Becker montre qu’il est possible de « planer » sans se rendre compte de cet effet. Il est donc nécessaire pour le fumeur débutant d’apprendre à être conscient de ces effets. Dès que le novice est capable de « planer », il peut alors prendre du plaisir à fumer. Pour un fumeur débutant, les effets de la marijuana ne sont pas forcément agréables, en effet certains éprouvent des peurs aigues, d’autres font des crises d’angoisses, enfin l’appétit soudain que cela provoque n’est pas toujours agréable pour les débutants. Souvent, les habitués aident les novices à apprécier les effets en les rassurant sur la peur qu’ils éprouvent les premières fois. Chapitre 4 : Utilisation de la marijuana et contrôle social

Il ne suffit pas d’aimer les effets de la marijuana pour adopter un mode de consommation régulier, il faut aussi « maîtriser les puissants contrôles sociaux qui font apparaître son usage comme immoral ou imprudent »9.Les facteurs qui limitent la consommation de marijuana sont multiples selon Becker, en effet cet usage peut entrainer des peines sévères, comme l’emprisonnement, ce qui explique la difficulté que les individus ont de s’en procurer. De plus sur le plan familial, la découverte d’une telle pratique peut provoquer un rejet de l’individu concerné, caractérisé par un retrait d’affection par ses proches, ce qui l’encourage à l’ostracisme. Enfin d’un point de vue moral, la consommation de marijuana est souvent synonyme dans le sens commun d’une perte de contrôle de soi, et d’une forme d’esclavagisme à la drogue en question. Becker ajoute qu’il y a trois phases dans lesquelles le fumeur peut se trouver : le fumeur débutant, occasionnel et régulier. 1) L’approvisionnement

Il est certain que les lois qui interdisent la consommation de drogues en limitent leur usage, du fait qu’elle implique une distribution restreinte non accessible à tous et réservée aux habitués. C’est alors la participation à un groupe déviant qui peut aider le débutant à accéder à ces drogues. Dans le cas présent, Becker donne l’exemple d’un des interviewés qui lui a révélé que sa consommation de marijuana se déroule uniquement lorsqu’il est en contact avec ses amis musiciens, qui ont l’habitude de fumer régulièrement. De plus les contacts avec des revendeurs de marijuana en rebutent plus d’un, en raison des risques encourus. En effet, ce contact nécessite une implication de la part de l’acheteur qui est alors à même de craindre une sanction. Cependant, il semble qu’une première fois, un premier échange, suffit à rassurer le consommateur. 2) Le secret

Le fait de garder le secret d’une telle déviance s’explique par la crainte de l’individu d’une rupture affective avec ses proches. Mais, de nouveau, la fréquentation d’un milieu de fumeurs renforce la conviction selon laquelle il est possible de continuer à fumer de la marijuana sans pour autant être découvert par ses proches. En effet, bien que cette peur d’être découvert limite le fumeur à une consommation occasionnelle, la fréquentation de groupes permettra à l’individu de se détacher de ses relations sociales, et ce processus seul permet de garder le secret. Dans une société urbaine, étant donné les nombreux contacts avec les non-fumeurs, les fumeurs sont contraints de s’intégrer à leur sous-groupe. Toutefois Becker explique que certains individus tentent de concilier leurs deux identités par un contrôle permanent de soi au sein des groupes de non déviants.

3) La moralité

La moralité est selon Becker un autre facteur qui peut limiter la consommation de marijuana, ce sont par exemple les impératifs de santé ou d’équilibres. Il fait une liste des différents stéréotypes qui accompagne la consommation, la perte d’inhibition, la violence, la perte de volonté, le fait de devenir esclave de la drogue…                                                                                                                          9  Page  83  

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Il est fréquent que les fumeurs, afin de ne pas être en opposition avec cette moralité, trouvent des justifications à leurs pratiques, ils condamnent alors par exemple la consommation d’alcool pour montrer qu’ils ne sont pas les seuls à s’adonner à de telles pratiques et que, comme l’alcool, l’usage de la marijuana ne doit pas forcément être considéré comme une pratique déviante. Une autre rationalisation envisagée est de voir certains effets de la drogue comme bénéfiques, en témoigne l’appétit que provoque cette pratique, selon certains fumeurs, qui serait alors positive pour des individus ayant besoin de prendre du poids. Pour se convaincre que cette déviance n’a pas d’effets nocifs et qu’elle ne réduit pas son consommateur à l’esclavage, certains tentent d’arrêter pendant une semaine ou deux leur consommation, et ne ressentant la plupart du temps aucun manque, ils sont alors à même de continuer. L’auto-justification réside également pour l’individu d’une prise de conscience que son psychisme est névrosé, ce qui peut le réduire à une consommation occasionnelle. Chapitre 5 : La culture d’un groupe déviant : Les musiciens de danse

Tous les comportements déviants ne sont pas punit par la loi, certains sont seulement étranges au point que les membres du groupe conforme aux normes les qualifient de marginaux. Becker prend alors l’exemple des musiciens de dance car ils adoptent ce type de comportement déviant. Il développe ensuite la notion de culture, la définition anthropologique convient selon lui aux sociétés homogènes comme les sociétés primitives, mais on peut également penser en terme de sous culture, sans péjorations. La sous culture développe des interactions avec la culture dominante, c’est le cas par exemple des musiciens de jazz qui, afin de s’intégrer et de plaire aux autres membres de la société, sont contraints à jouer ce qui plaît à la majorité, c’est-à-dire à devenir commerciaux. Cette adaptation aux normes de la majorité est alors perçue comme une forme d’abaissement par les autres musiciens de jazz, ce qui implique une perte de l’estime pour celui qui se conforme aux désirs de la majorité. 1) Méthode de recherche

Dans ce domaine de recherche, Becker annonce qu’il a utilisé la méthode de l’observation participante, il a en effet partagé l’expérience, le travail et les loisirs, des musiciens, étant lui-même un ancien joueur de jazz.

2) Musiciens et « caves »

Le terme « cave » désigne les non musiciens : « il vise les manières de penser, de sentir et de se conduire qui sont à l’opposé de celles qu’apprécient les musiciens »10. Il découle de cette différenciation un processus d’éloignement entre les musiciens et les caves. Le musicien pense être à l’abri de leurs contrôles, puisqu’il se considère comme un artiste possesseur d’un don inné, ce qui implique un refus total de toutes formes de critiques. « Etre musicien c’est formidable. Je ne le regretterais jamais. Je comprends les choses que les caves ne comprendront jamais »11 nous révèle un des interviewés. De plus, cette haute estime de soi-même explique le fait que les musiciens ne sentent aucunement contraint d’adopter les comportements conformistes des caves.

3) Les réactions au conflit avec le public

Même si, en général, tous les musiciens de jazz méprisent ces caves, certains reconnaissent le contrôle que ces derniers ont sur eux, ce sont en effet eux qui payent les places nous fait remarqué un des interviewés, et sont alors à même de devenir des commerciaux, dans le sens où ils vont chercher en premier lieu à plaire au public. Alors que certains y voient une forme de contrainte, il n’est cependant pas exclu que d’autres éprouvent du plaisir à plaire aux auditeurs, et pensent leur emploi comme un devoir d’apporter du plaisir aux caves, il n’est donc point question de rabaissement en ce cas.

4) Isolement et auto-ségrégation

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Il découle de la stigmatisation des caves une forme d’isolement de la part des musiciens de jazz, isolement qui est bien représenté par l’estrade sur scène, ce dernier permet en effet d’échapper au contact des caves. Par ailleurs, le processus d’auto-ségrégation est perceptible à travers le rejet de la culture des caves, c’est-à-dire de la culture américaine. Un processus de différenciation se met alors en place par rapport aux caves, par l’utilisation d’un langage spécifique à la culture musical, une manière de vivre différente… Ces caractéristiques sont révélées dans le témoignage suivant : « Pourtant je suis bien content de quitter le métier. J’en ai assez d’être avec des musiciens. Il y a un tel bazar de rites et de cérémonies idiotes. Il faut parler un langage spécial, s’habiller différemment, porter des lunettes différentes. Et tout cela veut dire seulement : « nous sommes différents » »12.

Chapitre 6 : Les carrières dans un groupe professionnel déviant : Les musiciens de danse

Becker développe de nouveau dans ce chapitre le concept de carrière pour les musiciens de dance. Voici la définition de la carrière pour Hugues : « dans sa dimension objective, une carrière se compose d’une série de statuts et d’emplois clairement définis (…) dans sa dimension subjective, une carrière est faite de changement dans la perspective selon laquelle la personne perçoit son existence comme une totalité et interprète la signification de ses diverses caractéristiques et actions, ainsi que tout ce qui lui arrive. »13

1) Les coteries et la réussite professionnelle, et les parents et épouses

Il s’agit ici de comprendre quelles sont les conséquences pour la carrière professionnelle d’un individu quand celle-ci se déroule dans un groupe professionnel déviant. Le musicien s’attend à changer de travail souvent. Il mesure sa réussite en comparant les emplois qu’il occupe sur une hiérarchie informelle prenant en compte le revenu, le prestige musical et les horaires de travail. L’assurance d’obtenir du travail est fonction des relations que l’individu a nouées dans le milieu. Mais l’appartenance à ce milieu suppose que les relations de l’individu avec sa famille n’interfèrent pas trop avec ses engagements professionnels. Le mariage, par exemple, fait courir le risque d’une lutte continuelle à ce sujet, ce qui peut conduite à l’arrêt de la carrière dans le milieu déviant.

Chapitre 7 : L’imposition des normes

Becker envisage de montrer dans ce chapitre l’autre terme de la relation entre les membres conformes et les déviants, c’est-à-dire le processus par lequel les gens élaborent et font respecter des normes. On ne peut pas dire que la société est atteinte par chaque infraction, et qu’elle agit pour rétablir l’ordre. Le fait de faire respecter les normes est un processus qui nécessite un élément déclencheur. Il faut tout d’abord que quelqu’un prenne l’initiative de punir le coupable, il faut qu’il rende l’infraction publique. Becker souligne que le fait de faire respecter les normes est une initiative qui provient d’un intérêt personnel. Dans les sociétés urbaines, la population est divisée entre ceux qui expriment de la réserve face à une transgression et ceux qui, comme dans une petite ville, vont tout considérer comme leur propre affaire. Lorsque deux groupes distincts se disputent le pouvoir, il peut arriver que l’un et l’autre ferme les yeux sur certaines transgression. Par exemple, un chef d’entreprise ne punira pas forcément, du moins ne rendra pas publique le fait qu’un de ses employés vole des biens de l’entreprise. Il peut fermer les yeux car cela est perçu comme une compensation des apports de l’employé non rémunéré, c’est d’ailleurs pour cette raison que l’employé s’adonne à cette déviance. Par conséquent, si aucun des deux groupes ne prend d’initiative rien ne se produira, mais entre plus de deux groupes, l’issu dépend du pouvoir respectif des groupes impliqués. 1) Les étapes de l’imposition des normes

Les normes peuvent exister à l’intérieur des lois, ou à l’état de simples coutumes ou traditions, ne provoquant ainsi que des sanctions informelles. Cependant les règles inscrites dans la légalité sont plus précises et leurs sanctions en cas de non-respect ne sont pas informelles.

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Becker explique que, bien que les normes prennent forme en passant du général au particulier, il n’y a rien d’automatique dans ce processus. Il est donc nécessaire de centrer l’analyse sur l’entrepreneur qui est la cause de cette évolution et de l’application de la loi : « nous allons donc nous intéresser à celui que j’appellerais « l’entrepreneur de morale » »14

2) Un exemple : la législation sur la marijuana

Dans ce chapitre, Becker établit l’ensemble des lois en rapport avec l’usage de la marijuana. Les valeurs qui sont entrées en conflit avec cet usage aux Etats-Unis sont multiples, la première est en rapport avec l’éthique protestante : chacun doit rester maître de soi, ensuite le fait que des individus recherchent l'exaltation pour elle-même est en opposition avec le pragmatisme américain.

Chapitre 8 : Les entrepreneurs de morale

1) Ceux qui créent des normes, ceux qui les font appliquer : la déviance et les initiatives d’autrui

La plupart du temps, le créateur de norme est un individu insatisfait des lois, car un certain type de comportements qu’il juge anormal n’est pas condamné par les lois. Il entreprend alors une croisade pour réformer les mœurs dans le but d’obtenir une modification de la législation. La croisade peut réussir et aboutir à la création d’une nouvelle loi, ou échouer et aboutir à la dissolution du groupe ou à sa reconversion. Mais une fois la nouvelle loi édictée encore faut-il que celle-ci soit appliquée. Ceux qui font appliquer les lois -la police par exemple- ne s’intéressent pas au contenu des lois mais uniquement à l’exécution de toutes les lois quelles qu’elles soient. Pour les exécuteurs de la loi, le classement des individus dans la catégorie de déviant dépend d’un ensemble de facteur qui est le produit d’une évaluation assez personnelle de ce qu’est un individu déviant. De plus, celui qui fait appliquer les lois peut entrer en conflit avec le créateur de normes s’il est trop tolérant dans sa manière de faire appliquer le texte. Donc la déviance est toujours le résultat d’initiatives d’autrui, c’est-à-dire qu’aucun acte de déviance ne pourrait exister si quelqu’un n’avait pas créé au préalable exister une norme. Mais la déviance est aussi le produit d’initiatives à un second niveau. Pour qu’elle existe, il faut qu’existent des individus spécialisés dans l’imposition de la norme c’est-à-dire dans l’application des normes sociales. La déviance est donc le résultat d’un conflit entre deux groupes d’individus qui poursuivent chacun leur intérêt, les uns en faisant édicter une norme, les autres en la transgressant.

Chapitre 9 : L’étude de la déviance : Problèmes et sympathies

Dans ce chapitre, Becker insiste en premier lieu sur la méthode empiriste : « C’est un truisme d’affirmer qu’une théorie qui n’est pas étroitement reliée à une profusion de faits en rapports avec le sujet risque d’être peu utile »15. Des données insuffisantes conduiront forcément à des théories défectueuses. Pour illustrer ce fait il fait une comparaison avec les sciences de la nature : « avant de pouvoir commencer à élaborer des théories et à faire des expériences sur le fonctionnement physiologique et biochimique des animaux, il est nécessaire de disposer de descriptions anatomiques précises »16. Toutefois le chercheur peut rencontrer des difficultés, notamment du fait que pour des causes morales, la déviance est souvent cachée. Il est difficile de trouver les personnes auxquelles on s’intéresse et il peut également être difficile de les convaincre qu’ils peuvent sans craintes parler de leur déviance. Enfin, pour rencontrer ce type d’individu, le chercheur est contraint à travailler à des horaires inhabituels et dans des conditions parfois difficiles, qui caractérisent les milieux de déviance.

Chapitre 10 : La théorie de l’étiquetage : Une vue rétrospective (1973)

Dans ce chapitre, Becker entend faire un bilan des travaux que lui-même et d’autres auteurs ont réalisé sur la déviance. Il répond aux critiques qui lui sont faites et expose son insatisfaction concernant l’expression « théorie de l’étiquetage » : « Je n’ai jamais considéré que mes premiers exposés ni ceux que je viens de citer méritaient d’être

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dénommés "théories", du moins au sens de théories complètement systématiques, ce qu’on leur reproche maintenant de ne pas être »17. Becker développe alors trois sujets, la conception de la déviance comme action collective, il perçoit en effet la société sous le faisceau de l’action collective, c’est-à-dire sur le fait que les individus cherchent à ajuster mutuellement leurs actions sur celles des autres ou sur ce qu’ils attendent de celles des autres. Ainsi la déviance peut être considérée comme une action collective. Ensuite il s’intéresse à une démystification de la déviance, pour enfin mettre en évidence les problèmes moraux que peuvent entrainer la théorie de la déviance. « Je considère que mes remarques sur chacun de ces sujets s’appliquent à la recherche et à l’analyse sociologique en général ; en disant cela je réaffirme ma conviction que le domaine de la déviance n’a rien de particulier, mais constitue seulement un type d’activité humaine parmi d’autres, qu’il faut étudier et comprendre »18. Ces théories sont également critiquées pour plusieurs raisons, d’une part elles seraient en quelques sortes une défense de la déviance du fait qu’elles adoptent sur elle le point de vue des déviants, et d’autre part elles ne s’opposent pas suffisamment à la notion de déviance. En effet elles ne travaillent que sur des objets constitués socialement comme déviant, alors que beaucoup d’autres sont tout aussi choquants mais pas ne sont pas constitués comme tel. Cependant le travail du sociologue est indépendant de ces valeurs. Ainsi, le sociologue en tant que professionnel et le sociologue en tant que citoyen ne se laisse pas aussi facilement distinguer dans la pratique. En effet, le travail du sociologue soulève constamment des questions éthiques, les choix d’objet sont alors fonction des valeurs et ces mêmes valeurs sont constamment nourries du travail sociologique.

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