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N°17 3’:HIKROA=WUW]U^:?a@k@l@h@g"; M 07402 - 17S - F: 2,80 E Athènes Naples Le Caire Istanbul Barcelone Tanger La Mosquée bleue Province d’Istanbul, Turquie 1609 - 1616 Tokapi Palace Museum Grand Bazar d’Istanbul Pont de Galata PROCHAINE ESCALE NAPLES chaque semaine, une question d’actualité, plusieurs regards mercredi 30 juillet 2014 - France 2,80 € Belgique/Luxembourg/Portugal : 2,90 € – Suisse : 4,2 CHF – Canada : 4,99 CAD – USA : 4,99 USD – Maroc : 30 MAD – Royaume-Uni : 2,60 GBP – Tunisie : 3,90 TND – DOM : 2,90 € – TOM : 400 XPF ISTANBUL L’AMANTE FAROUCHE PROVERBE « D’abord voir, après savoir » JURON COURANT « Köpek ! » (chien !) SIGNE DISTINCTIF Densité de 68 000 habitants au km 2 , soit trois fois plus qu’à Paris LIRE ET RELIRE Correspondance (1850) de Gustave Flaubert Au terme de son voyage en Orient, malgré son épuisement, l’auteur de Salammbô est ébloui par Constantinople Un Long été à Istanbul de Nedim Gürsel VOIR ET REVOIR Crossing the Bridge – The Sound of Istanbul de Fatih Akin Uzak de Nuri Bilge Ceylan LA VISION D’ELIF SHAFAK La romancière turque la plus lue dans son pays raconte sa relation passionnelle avec une ville qui lui a tant de fois brisé le cœur et le lui a toujours réparé JUSQU’AU 27 AOûT LE 1 VOUS ENTRAîNE AU CœUR DE 6 VILLES DE LA MéDITERRANéE. D’ATHèNES AU CAIRE, EN PASSANT PAR ISTANBUL, NAPLES, BARCELONE ET TANGER. IL VOUS PROPOSE PLUSIEURS NOUVELLES INéDITES DES éCRIVAINS ORHAN PAMUK, ERRI DE LUCA, VASSILIS ALEXAKIS, SERGI PàMIES, GAMAL GHITANY ET TAHAR BEN JELLOUN. VOUS DéCOUVRIREZ LES MYTHES DE CES PRESTIGIEUSES CITéS REVISITéS PAR LA PHILOSOPHE CATHERINE CLéMENT. UN VOYAGE Où LE PRéSENT DIALOGUE AVEC LE PASSé. FRANçOIS SIMON CRITIQUE GASTRONOMIQUE Une vision étourdissante du Bosphore depuis la cafétéria du musée d’Art moderne CATHERINE CLéMENT PHILOSOPHE ET ROMANCIèRE L’auteur du Dictionnaire amoureux des Dieux et des Déesses raconte le destin d’une Cendrillon qui épousa Soliman le Magnifique Le succès des séries télé turques dans le monde arabe page 3 poster PIERRE LOTI PHOTOGRAPHE pages 5-6 2 TEXTES & 2 DESSINS INEDITS d’ORHAN PAMUK

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Turquie1609 - 1616

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ISTANBUL L’AMANTE FAROUCHE

PROvERBE« D’abord voir, après savoir »jURON courant

« Köpek ! » (chien !)

SIGNE distinctifdensité de 68 000 habitants au km2, soit trois fois plus qu’à paris

LIRE et relireCorrespondance (1850) de Gustave Flaubert

au terme de son voyage en orient, malgré son épuisement, l’auteur de salammbô est ébloui par constantinople

Un Long été à Istanbul de Nedim Gürsel

vOIR et revoirCrossing the Bridge – The Sound of

Istanbul de Fatih Akin Uzak de Nuri Bilge Ceylan

La vision d’ELIf ShafakLa romancière turque la plus lue dans son pays raconte sa relation passionnelle avec une ville qui lui a tant de fois brisé le cœur et le lui a toujours réparé

jUSqU’AU 27 AOûT le 1 vous entraîne au cœur

de 6 villes de la méditerranée. d’athènes au caire, en passant par istanbul, naples, barcelone et tanger. il vous propose plusieurs nouvelles inédites des écrivains orhan pamuk, erri de luca, vassilis alexakis, sergi pàmies, gamal ghitany et tahar ben jelloun. vous découvrirez les mythes de ces prestigieuses cités revisités par la philosophe catherine clément. un voyage où le présent dialogue avec le passé.

FRANçOIS SIMONcritique gastronomique

une vision étourdissante du bosphore depuis la cafétéria du musée d’art moderne

CATHERINE CLéMENTphilosophe et romancière

l’auteur du Dictionnaire amoureux des Dieux et des Déesses raconte le destin d’une cendrillon qui épousa soliman le magnifique

Le succès des séries télé turques dans le monde arabe

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LA vOIX DU POÈTE

—plus les bienvenues. leur départ a laissé un grand vide dans la mémoire de la ville, dans sa conscience aussi. puis dans les années 1970, une nouvelle strate culturelle est venue habiter le quartier – les minorités sexuelles. homosexuels, travestis, transsexuels… nombre d’entre eux étaient des parias. de chacun de ces groupes de résidents, seuls quelques-uns étaient demeurés dans le quartier. c’est pourquoi parmi mes chers voisins on comptait une veuve américaine, une vieille dame juive, un travesti d’âge mûr… tous parlaient du passé, même s’il était douloureux ; ils me montrèrent des photographies jaunies. j’écoutais, je buvais chacune de leurs paroles. j’ai toujours aimé écouter les histoires d’istanbul. je suis tombée amoureuse d’istanbul. je suis tombée amoureuse à istanbul. amoureuse de la solitude et de l’amitié, de la compassion et de la cruauté. j’en ai trouvé en abondance. c’est ici que je suis parvenue à passer du

statut d’apprenti-écrivain à celui d’auteure recon-nue. istanbul m’a brisé le cœur et me l’a réparé à

chaque fois. istanbul m’a faite telle que je suis aujourd’hui. livre après livre, roman après roman, j’ai écrit sur istanbul. pas comme une toile de fond immuable mais comme une

créature dotée d’une personnalité propre. j’étais à istanbul quand le tremblement de

terre a eu lieu, causant plus de 15 000 morts. j’ai vu la ville en temps de crise comme en temps de paix. j’ai visité ses nombreux quartiers, retrans-crit des centaines de graffitis car rien ne reflète mieux l’humour noir de cette ville. mes deux enfants sont nés à istanbul. mon mari, mes amis les plus proches, mes souve-nirs, mes lecteurs, la moitié de mon cœur sont à istanbul. pour-

tant je ne peux être avec elle tout le temps parce qu’elle est exigeante, suffocante, possessive. le grand mystique rumi parle de la vie comme d’un compas. je lui emprunte cette métaphore. l’une des branches du compas est statique, plantée dans un certain endroit. l’autre trace un cercle autour de la première ; elle tournoie, cherche, explore sans relâche. j’aime à considé-rer ma fiction comme un compas. une branche est ancrée à istanbul, elle est stambouliote tandis que l’autre branche s’en tient à l’écart, mondiale dans l’âme. 

Traduit de l’anglais par CharloTTe Garsonillustration stéphane trapier

Un amoUr contrarié

Elif ShafakCouronnée de nombreux prix,

cette écrivaine turque née en

1971 à Strasbourg est aujourd’hui la roman-

cière la plus lue dans son pays. Féministe engagée, elle mêle les traditions romanesques oc-cidentale et orientale. Son livre La Bâtarde d’Istanbul (Phébus, 2007) lui vaut d’être poursuivie en justice par le pouvoir. Le procès se conclut par un non-lieu. Le soufisme joue aussi un rôle central dans son écriture.

istanbul est une amante difficile. vous pouvez en tomber fou amoureux, mais impossible de lui faire entièrement confiance. même si vous vivez avec elle pendant des années, chaque jour sera différent du précé-dent. vous ne pourrez ni la contrôler, ni la posséder.  istanbul est une ville-femme. Quand vous arrivez, vous voyez sans doute plus d’hommes que de femmes dans ses rues, mais cela ne change rien au fait que l’âme de cette ville est féminine. « la vierge qui a survécu à mille maris », disaient les poètes ottomans… les amoureux d’istanbul (dont je suis) se répartissent en deux catégories : ceux qui y sont nés, et ceux qui arrivent ici plus tard dans leur vie, pour une raison ou pour une autre. en d’autres termes, les locaux et les étrangers. les locaux considèrent istanbul comme allant de soi. ils pensent la connaître si bien qu’ils ne font plus attention à ses complexités, à ses nouveautés. mais istanbul est pleine de surprises. ville aux multiples couleurs et aux multiples conflits, elle n’est jamais tranquille, jamais stable. si bien que parfois, il faut un étranger pour la voir véritablement. les étrangers remarquent les détails (les odeurs, les sons, les images) igno-rés des locaux. c’est pourquoi quand je rencontre un étranger qui vient d’arriver à istanbul, je lui dis toujours : « si vous restez ici suffisamment longtemps, vous saisirez sans doute mieux et plus rapidement l’esprit de cette ville que des millions de stambouliotes ».il fut un temps où j’étais moi-même une étran-gère. je ne suis pas née ici. en fait, j’avais plus de vingt ans quand j’ai décidé de m’y installer. mes raisons ? il n’y en avait aucune. je pensais, non, je croyais de tout mon cœur qu’istanbul m’appelait, m’invitait dans mes rêves. je ne connaissais pas âme qui vive à istanbul. je n’avais ni maison, ni travail, aucune base, aucun passé ici. et pourtant j’étais convaincue que la ville m’appelait de loin. j’ai donc tout quitté pour émigrer à istanbul avec la foi aveugle des fous ou des amants, voire des deux. je suis arrivée ici le premier jour de septembre. les res-taurants de poisson de la ville commençaient tout juste à servir la bonite – c’était sa meilleure saison – ; l’air sentait le sel, les algues et les gaz d’échappement. je trouvai un petit appartement. il était si exigu qu’après une douche même brève, la buée recouvrait non seulement le mi-roir mais tout l’appartement. la cuisine était tout aussi minuscule. mon salon donnait sur une rue très escarpée, la rue des chaudronniers. en se tordant le cou, par temps clair, on arrivait à apercevoir le bosphore, au loin. c’était un appartement avec vue, comme me l’avait précisé l’agent immobilier. l’histoire de cette rue était riche mais perturbante. ce quartier était jadis peuplé de minorités – principalement des arméniens et des juifs. au fur et à mesure, nombre de ces familles ont dû partir, elles ne s’y sentaient plus à l’aise,

ce pays qui ressemble à la tête d’une jumentvenue au grand galop de l’asie lointainepour se tremper dans la méditerranée, ce pays est le nôtre.

poignets en sang, dents serrées, pieds nus,une terre semblable à un tapis de soie, cet enfer, ce paradis est le nôtre.

Que les portes se ferment qui sont celles des autres,Qu’elles se ferment à jamais,Que les hommes cessent d’être les esclaves des hommes, cet appel est le nôtre.

vivre comme un arbre, seul et libre,vivre en frères comme les arbres d’une forêt, cette attente est la nôtre.

Ce pays est le nôtreNâzim HikmEt

poète turc (1901-1963)

Extrait du recueil Il neige dans la nuit et autres poèmes Traduit du turc par Munevver Andac et Guzine Dino© éditions Gallimard, 1999, pour la traduction française

Poème proposé par loUIs CheVaIllIer et illustré par hÉlÈne loUssIer

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www.le1hebdo.fr

FGH INVEST - 8 rue Lamennais, 75008 Paris - Fondateurs : éric fottorino, laurent greilsamer, natalie thiriez et henry hermand Directeur de la publication : éric fottorino - Directeur de la rédaction  : laurent greilsamer - Contact rédaction : 01 45 61 44 51 ou [email protected]

Service abonnement : 01 44 70 72 34 ou [email protected] - Abonnement France métropolitaine : 9 € par mois, 89 € par an - Réassort : à juste titres, 04 88 15 12 42 Conception graphique : be-pôles, antoine ricardou - Impression : groupe maury imprimeur, 45330 malesherbes - dépôt légal avril 2014 - issn 2272-9690/cppap 0516c92307

ISTANBUL EST UNE vILLE-vOLCAN (et la répé-tition des troubles récents, après tout, manifeste une vitalité démocratique, et laïque, hors du commun), l’une des mégapoles qui montre une inlassable force dans l’action et dans sa vie quotidienne. je l’ai fréquentée par tous les temps, et dans toutes ses humeurs. L’énergie de la cité (plus encore que sa sublime beauté) m’a tou-jours sauté à la figure. Embarcadères des ferries. Départs et arrivées, à tout instant. Coups de trompes, fumées, remous, musiciens aveugles. Poésie cosmique, carnaval de passions et d’aventures. Les gens courent, font un saut en Asie, reviennent. Rupture du jeûne dans le quartier d’Eyup, les soirs de rama-dan ; etc. Partout la ville explose, travaille (combien de Turcs ont deux métiers), fait la fête. Le Bosphore est l’axe de la vitalité ; le mot

Bosphore vient d’un mot turc qui signifie l’aorte. Cette énergie semble nous manquer, à nous Français. Elle est pourtant consubs-tantielle à notre identité. Mais nous l’utilisons contre nous-mêmes (querelles, divisions absurdes) ou nous la laissons en jachères (Mormeck, le boxeur, pense avec raison que la banlieue contient des nappes inexploitées d’énergie). Manuel valls parle d’un pays « entravé et tétanisé ». Libérons-nous de nous-mêmes, des sectaires et des donneurs de leçon ! Un peu d’unité nationale, une vision, un cap ferme, trancheraient les entraves d’une énergie que l’on nous envia partout, y compris sur les bords du Bosphore.  

le motde Daniel Rondeau

—[énergie]

Pour 10 personnes 

L’Aşure

LA RECETTE d’Elif Shafak

—“ Si je n’avais qu’un seul regard à poser sur le monde, ce serait sur Istanbul ”Alphonse de Lamartine

écrivain (1790-1869)

La carte postale

Réfugiés au sommet du mont Ararat en Turquie, les occupants de l’arche de Noé décident de célébrer la fin de 40 jours de déluge autour d’un entremet copieux. Chacun apporte ses dernières réserves au festin : riz, haricots blancs, figues... Cette recette peut comporter 40 ingrédients, symbolisant les 40 jours de pluie.

faire tremper séparément le blé, les pois chiches et les haricots blancs pendant toute la nuit. egoutter soigneuse-ment. jeter le blé et le riz dans une marmite contenant une grande quantité d’eau bouillante. baisser le feu et laisser cuire pendant 4 heures, en surveillant régulièrement. une heure avant la fin de la cuisson, plonger pois chiches et haricots dans une casserole à part ; recouvrir d’eau, porter à ébullition et verser l’ensemble dans la marmite. faire tremper les raisins secs dans de l’eau bouillante pendant environ 30 minutes. cuire le reste encore 1 heure à feu doux. râper le zeste d’orange, concasser la moitié des noix, couper en petits morceaux 3/4 des figues et des abricots secs. intégrer le tout à la préparation et mélanger. ajouter le sucre et faire cuire 5 minutes. glisser les grains de grenade. décorer avec les pistaches et les cerneaux de noix, des figues et des abricots secs. saupoudrer de cannelle. servir ce plat tiède ou à température ambiantecompter 24 h pour la préparation et 4 h pour la cuisson. 

250 g de blé concassé60 g de pois chiches60 g de haricots blancs secs60 g de rizraisins secspignonscannelle en poudre

1 zeste d’orange non traitée50 g de cerneaux de noix6 figues sèches1 kg de sucre en poudre1 grenade abricots secs50 g de pistaches

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Conception et documentation Manon PaUlIC

REPÈRESsur l’histoire d’istanbul

Jochen Gerner

les superlatifs : celui du plus grand aéro-port au monde qui devrait voir le jour en 2018. un équipement qui manifeste la vo-lonté d’erdogan de faire figurer la turquie parmi les dix plus grandes puissances économiques mondiales. une échéance qu’il s’est fixée pour... 2023, année du centenaire de la république turque. située au sommet de la colline de camlica, la mosquée occupera un terrain de 15 000 m2. « il s’agit d’une façon d’imposer un nouvel ordre moral : autour d’une mosquée, il est interdit de vendre de l’alcool, affirme nora seni, chercheuse à l’institut français de géopolitique. c’est une manière de mailler le territoire ». et ainsi d’opposer deux catégories de popu-lation. nora seni parle de polarisation : « l’espace urbain sert de scène à une lutte autour du mode de vie. erdogan joue sur la dualité entre le “nous”, qui concerne les musulmans conservateurs dont la vie est prétendument très austère, et le “eux”, qui

recep tayyip erdogan, le premier ministre turc aurait-il la folie des grandeurs ? les projets pha-raoniques lancés par son gouvernement semblent attester cette hypothèse. mais au-delà d’un vertige des apparences, ces équipements témoignent de la complexité d’une société en pleine expansion.istanbul change d’aspect. la ville se dote d’une gigantesque mosquée, redessinant la silhouette de la rive asiatique du bosphore. avec son immense minaret (plus de 100 m), elle deviendra un nouveau repère, visible en tout point d’istanbul. c’est sous le règne du sultan ahmet ier que vit le jour la célèbre mosquée bleue, à l’ouest de la ville. erdogan voudrait-il se mesurer au monarque ottoman ? les symboles ne lui font pas peur. les travaux du 3e pont du bosphore – l’un des plus longs ponts suspendus au monde – ont été lancés le jour du 560e anniversaire de la prise de constantinople. un autre chantier appelle

la métamorphose D’ISTANBUL

LES SéRIES TéLévI-SéES sont-elles devenues le nouveau soft power d’Ankara ? D’Afrique du Nord au Moyen-Orient, en passant par les Balkans, ces feuilletons populaires battent des records d’au-dience qui rapporteraient environ 100 millions de dollars par an à la Turquie. fatmagul, Les mille et Une nuits, ou encore Le Siècle magnifique… des séries qui s’attaquent aux tabous d’une société sur laquelle pèsent de lourdes tradi-tions. Elles plaisent parti-culièrement aux femmes, dont certaines leur vouent un réel culte, au point de favoriser le développement du tourisme à Istanbul. Ces dernières n’hésitent d’ailleurs pas à voyager pour se rendre sur les décors de leurs feuilletons préférés, comme celui de la villa de nour (95 millions de téléspectateurs) sur les rives du Bosphore. Ce succès, ces séries le doivent notamment à des

récits réalistes faisant écho à la vie quotidienne de la population turque. Les scénaristes abordent des sujets sensibles tels que le viol, la nudité, le mariage forcé ou encore la pression religieuse. Dans son documentaire kismet (2013), Nina Maria Paschalidou démontre que ces nouvelles formes de fictions proposent aux télé spectatrices un idéal de la femme moderne. Selon Beren Saat, l’interprète de Fatmagul, les femmes du Moyen-Orient s’identifient facilement à son person-nage. « Les pressions religieuses dépeintes dans la série sont très similaires à celles qu’elles subissent, explique l’actrice turque. Elles savent que nous sommes un pays musul-man. Elles voient des femmes arborant des vête-ments qu’elles voudraient porter. Le personnage de Fatmagul est maître de ses décisions, cela donne de l’espoir aux télé-

spectatrices ». Certaines victimes d’agressions sexuelles, encouragées par l’assurance de per-sonnages comme Nour et Fatmagul, se sont décidées à porter plainte.D’autres voient cet en-gouement d’un mauvais œil. Hanadi Al jabar, sociologue aux émirats arabes unis, regrette que ces feuilletons incitent les téléspectatrices à s’éman-ciper.  « Les femmes commencent à demander le divorce. Elles ne com-prennent pas pourquoi leur mari ne les aime pas de la même manière que les hommes aiment le personnage de Nour dans la série », dit-elle drapée dans son tchador. qu’elles soient défendues ou blâmées, ces fictions suscitent de vives réactions dans le monde arabe. Une occasion pour la Turquie d’exporter son influence culturelle hors de ses frontières.

Manon PaUlIC

les séries télé turquesrévèLEnT LES fEmmES

désigne les intellectuels, artistes, la classe citoyenne laïque et très occidentalisée ». au-delà de ces enjeux de société, la mos-quée géante peut symboliser le leadership visé par la turquie sur le monde musul-man. le gouvernement « affiche sa volonté d’établir une république islamique », affir-mait en mars 2013 mehmet ali ediboglu, membre du parti d’opposition républicain dans le quotidien arabe publié aux émirats arabes unis The National. pour autant, le premier ministre n’hésite pas à se montrer complice d’une société plus occidentalisée. il a participé en 2004 à l’inauguration du nouveau musée d’art contemporain. « la réussite de ce gouvernement repose sur la gestion des contradictions. il joue double jeu », observe nora seni.autre projet controversé, le 3e pont sur le bosphore. première source de tensions : erdogan souhaite le baptiser du nom de selim ier, un sultan responsable du mas-sacre des alévis (musulmans libéraux) au xvie siècle. les alévis représentent à istanbul plus de 15 % de la population... rappelons qu’en 35 ans, la superficie d’istanbul a triplé et que la population est passée en 40 ans de 2 à 15 millions d’habi-tants. le pont (58 m de large, 1408 m de long) supportera une autoroute à dix voies. situé au nord d’istanbul, à l’embou-chure du bosphore sur la mer noire, il ouvre la voie à l’urbanisation d’un « poumon vert ». au pro-gramme, tours à foison et forêt éventrée. « le succès économique d’istanbul est basé sur la rente foncière », souligne nora seni, évoquant l’influence des lobbys de la construction. les popu-lations qui vivaient dans des habitations considérées comme vétustes sont relogées dans des tours. le traumatisme du séisme de 1999 et de ses 15 000 morts est encore bien présent. « le prétexte du risque sismique joue à plein dans l’argumentaire déployé par le gouvernement turc pour détruire et reconstruire des millions d’immeubles », observe yoann morvan, coresponsable de l’observatoire urbain

quelle importance le gouvernement accorde-t-il au patrimoine archéologique d’Istanbul ?istanbul est une métropole de 15 millions d’habitants environ dont la forte crois-sance économique repose sur les opéra-tions immobilières. les intérêts écono-miques et archéologiques s’opposent. la population est sensible à son patrimoine comme en témoignent les protestations de 2013 : les stambouliotes souhaitent préserver le parc gezi qui devait dispa-raître au profit d’un centre commercial. le gouvernement a toutefois conscience que la sauvegarde du patrimoine est vitale pour le tourisme. cette situation contra-dictoire génère beaucoup de tensions.

quelles strates historiques cohabitent à Istanbul ? cela va de la préhistoire à la période ottomane. sur la corne d’or, la péninsule historique, dès que vous creusez 50 cm vous tombez sur des vestiges ! mais il n’y a pas de place pour fouiller car il existe très peu de terrain libre.

quelles sont les fouilles les plus importantes à Istanbul ?des fouilles de grande ampleur ont été conduites récemment dans le cadre du projet marmaray, un rer intercontinen-tal qui unit l’asie et l’europe et qui passe sous le bosphore. outre le vestige du port de théodose – 37 épaves ont été exhu-mées – les archéologues ont trouvé, sous

Des villes sous la villeles fonds marins de l’époque byzantine, un niveau néolithique avec des tombes, des sépultures, des figurines en bois et des outils en os datant du vie siècle avant jésus-christ !

Finalement, les impératifs économiques et archéologiques peuvent se rejoindre...pour la première fois, des fouilles pré-ventives de cette envergure ont été mises en place dans le cadre d’un grand projet public. nous espérons que cela donnera l’exemple pour la suite. l’archéologie pré-ventive est une notion assez nouvelle : il s’agit de faire des études préliminaires et d’intégrer la durée des fouilles dans le ca-lendrier général des travaux. mais le plus souvent, nous travaillons dans le cadre de fouilles d’urgence.

Comment l’archéologie peut-elle survivre dans une ville qui ne cesse de s’étendre ?il y a partout des chantiers d’immeubles en construction. dans la ville historique, vous apercevez des tours entre les mina-rets des mosquées ! les structures exis-tantes de l’archéologie urbaine ne sont pas adaptées à ce développement. toutes les fouilles d’urgence doivent être conduites par des membres du musée archéologique. or, ils sont en sous-effectif par rapport à une ville de cette superficie ! à istanbul, l’histoire compte moins que le présent : il faut avancer, construire parfois au mépris du passé. au début du projet marmaray, le premier ministre avait déploré le retard des travaux, ironisant sur ces archéolo-gues qui ne s’intéressaient qu’à des « bre-loques ». à la fin du chantier, il était très fier de s’associer aux découvertes specta-culaires, annoncées dans tous les médias internationaux.

Propos recueillis par e. D.

A k S E L T I B E TarchéologueIl a dirigé plusieurs campagnes de fouilles archéologiques en Turquie et a actuellement en charge les publications de l’Institut français des Études anatoliennes.

d’istanbul (Hérodote, n° 148). mais cette transformation urbaine pose des pro-blèmes sur le plan environnemental. la construction du plus grand aéroport au monde, un équipement de deux fois la taille de roissy, supposé accueillir 150 millions de passagers, va causer des dégâts considérables : 2,5 millions d’arbres vont être abattus, a évalué le ministère des transports. l’injonction

d’arrêter les travaux a été ordonnée par un tribunal administratif d’istanbul. sans succès. à cela s’ajoute les soupçons de corruption qui pèsent sur l’attribution du marché à des entreprises turques proches du pouvoir. « tous les gouvernements veulent laisser une trace, mais, malheureusement,

le nôtre restera dans l’histoire comme celui qui a vicié l’air, arrêté les pluies et enlevé des couleurs à istanbul, l’une des plus belles villes du monde », se désole l’économiste caglar yurtseven, dans un article paru dans Radikal, quotidien turc de gauche. la population va-t-elle soutenir ces projets coûteux ? résultat dans les urnes le 24 août. erdogan, qui peut se prévaloir d’avoir amélioré la situation économique du pays, est donné largement favori pour l’élection présidentielle.

elsa DesbaresDes

MYTHOMANIA

— catherine clément,philosophe et écrivain, revisite chaque semaine un mythe en lien avec l’histoire de la ville choisie par le 1.

À ROHATYN, vILLE AUjOURD’HUI située à l’ouest de l’Ukraine, sa statue se dresse au centre d’une place, hissée sur un pilier. Sur ses innombrables portraits imaginaires presque tous inspirés d’un maître vénitien, elle porte un étrange hennin à double corne orné de grosses perles et d’un bijou de front, une robe manteau de velours cramoisi ; sa bouche cerise est minuscule et ses yeux, sévères. Elle ne porte d’autre voile que celui, léger, qui s’accroche au hennin, personne ne sait à quoi elle ressemblait et pourtant, lorsque je songe « Turquie », elle se rappelle à moi. C’est mon mythe stam-bouliote, une femme qui y aura vécu toute sa vie d’adulte et sans jamais sortir, une pauvre Cendrillon d’Ukraine qui finit en princesse, et l’héroïne qui m’inspira mon premier roman quelque trente ans avant la fin du xxe siècle.Fille de pope, Alexandra ou Nastia Lisovska naquit en Galicie au xvie siècle et fut razziée par les Tatars de Crimée qui la vendirent comme esclave en 1524 pour le harem du Padichah, Ombre de Dieu sur la terre, le sultan Soliman le Magnifique. Le temps de la convertir et de l’éduquer, et elle fut repérée par son maître et seigneur grâce à ses cheveux roux, d’où son nom, Roxelane, la Rousse, à moins que son origine ruthénienne ait été, en Occident, à l’origine de son beau nom. En Occident seulement. Car Soliman lui donna son vrai nom turc, Hürrem, la Rieuse. Pour qui connaît le harem du sérail de Topkapi, il est aisé de comprendre que rire, en ces lieux infiniment austères, est un immense atout. Grâce à ses éclats de rire, la Rieuse devint favorite du sultan. C’était déjà beaucoup, mais la Rieuse, dite Hürrem

Sultan, réalisa un véritable prodige. Elle devint l’épouse légitime du sultan Soliman.Et alors ? Alors parce qu’une des aïeules avait été enlevée et violée par un ennemi, les sultans qui régnaient sur l’Empire ottoman avaient l’interdiction formelle d’épouser qui que ce fût, une épouse risquant toujours de déshonorer l’empire si elle était violée. Favorite, une, deux, dix, passe. Mais le mariage, non ! Depuis la prise de Constantinople, aucune favorite n’était devenue épouse. Comment Hürrem procéda-t-elle ? Elle se fit affranchir et une fois libre, elle aurait fait la grève du sexe le temps que Soliman se décide à la prendre pour épouse, contrairement à la tradition. La même tradition exigeait que tout nouveau sultan mît à mort tous ses frères pour éviter les guerres de succes-sion, et Soliman, toujours excessif, fit encore davantage, il fit étrangler sous ses yeux Mustafa, son fils adoré. Bien entendu, la doxa attribua ce meurtre à la Rieuse. Déjà, lorsque Soliman avait fait étrangler son favori préféré, Ibrahim Pacha, lui aussi razzié, lui aussi orthodoxe, né en épire, la Rieuse avait endossé ce crime d’amitié. On lui attribua tout, les échanges de lettres avec les souverains d’Europe (il y en eut), les lacets des muets étrangleurs… N’empêche ! Ma fille m’a rapporté d’Istanbul un coussin qu’on vend aujourd’hui à Topkapi, suprême consécra-tion. En médaillon noir, voici ma Rieuse entourée d’un slogan en latin : rossa Solymanni Uxor, la Rousse épouse de Soliman. Elle mourut en 1558 et nul ne put l’accuser plus tard du meurtre de Bajazet, autre fils de Soliman qui paya le chah d’Iran pour le faire étrangler. Née fille d’un pauvre pope en Ukraine de l’Ouest et épouse officielle de l’Ombre de Dieu sur la terre ! Il suffisait de rire, c’est très simple, on vous dit.

comment se faire éPOUSER PAR UN SULTAN

LE CAFé

— il y a mille

cafés à istanbul, le long du fleuve à l’heure du couchant, le bosphore dans toute sa magnifi-cence. c’est ici que le monde peut vous sauter à la gorge, vous extirper de vos rêveries et vous catapulter dans l’ailleurs. ainsi, je me suis retrouvé en asie en une étourderie, le taxi enjamba le pont en un tour de main et l’affaire était entendue. mille cafés possibles, dont le café pierre loti, mais celui qui me reste en mémoire est celui du musée d’art moderne, non loin du pont galata, dans les anciens docks réhabilités. sans doute parce qu’il n’y avait pas un chat ce jour-là.

juste le temps maussade, la pluie rageuse. la longue baie vitrée de la cafétéria donnait sur le bosphore et ce fut un enchantement de boire un café chaud réconfortant. la neige était de la partie, la ville ne savait plus où donner de la tête. parfois, sur le sol verglacé, des voitures partaient lentement en toupie, se frottaient à des carrosseries, puis s’immobilisaient comme stupéfaites. istanbul peut être ainsi, prise à revers, désarmée et enfantine. ce café pris ainsi dans la so-litude et l’horizon avait du

coup comme une profon-deur inattendue. il parlait presque, disait à sa façon ce que l’on peut faire d’une ville, de sa vie. un café ne saurait être ce point noir piégé dans une tasse, il fonctionne comme une ponctuation, une poulie. et ce jour-là, dans le musée d’art moderne, sous la neige de janvier, le gardien ferma les yeux sur l’appa-reil photo. aujourd’hui, à l’été, le café doit avoir une autre saveur. mais je suis certain qu’il a mille choses à vous dire. saurez-vous l’écouter ?

Istanbul Modern, avenue Meclis-i Mebusan, Liman Isletmeleri Sahası Antrepo, quartier de Karakoy

La fascination du BosphoreF R A N ç O I S

S I M O Ncritique

gastronomique

parmi les grands projets d’erdogan : un troisième pont sur le Bosphore. © ictas astaldi

Notre gouvernement

restera dans l’Histoire comme

celui qui a vicié l’air et arrêté

les pluies

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Page 5: chaque semaine, une question d’actualité, plusieurs ... · dans le monde arabe page 3 poster PIERRE LOTI photoGraphe pages 5-6 2 TEXTES & 2 DESSINS INEDITS d’ORHAN AMUk. 3

L E P O S T E R D U 1M E R C R E D I 3 0 j u I l l E t 2 0 1 4

c h a q u e s e m a i n e , u n e q u e s t i o n d ’a c t u a l i t é , p l u s i e u r s r e g a r d s

le ventre d’ISTanBUL

comme beaucoup de romanciers qui écrivent à la main, au stylo plume, je griffonne parfois des dessins sur un coin de page. (parmi ces écrivains dessinateurs, l’exemple le plus frappant est celui de dostoïevski, avec le brouillon des Démons notamment). griffonner, c’est laisser aller sa main à sa guise, sans intention de représenter quoi que ce soit, sans souci du dessin, de la belle image. l’écrivain butte sur un point du roman, sur une phrase. et tant qu’il n’arrive pas à résoudre ce problème d’écriture, sa main impatiente s’agace et veut se mouvoir. voyant que l’écrivain n’arrive toujours pas à écrire sa phrase, la main impatiente se met d’elle-même à dessiner quelque chose. un simple triangle, un rectangle, un cube, une tasse, un arbre, une allumette, un verre, etc. si je parviens à continuer l’écriture du roman, ces formes triangulaires, ces petites tasses, ces drôles de choses et ces images bizarres restent sur la page qui m’a donné du fil à re-tordre et finissent par être oubliées. mais parfois, sans savoir pourquoi, j’accorde de l’importance à certains griffonnages. j’y reviens encore et encore – comme ici dans cette image – et je transforme en dessin quelque chose que ma main empressée et obsessionnelle a tracé spontanément. ce qui a commencé comme un gribouillis acquiert un ordre, un agencement, une signification, une intentionnalité (ce que les occidentaux appellent la composition).le verso des couvertures des cahiers à spirales de production locale en papier épais rappelant du papier de boucherie sont très propices à ce genre de dessin. celui que j’ai fait en 1989 sur le verso de la couverture d’un cahier où j’écrivais Le Livre noir reflète bien, d’après moi, l’esprit de ce roman étrange, plein de rues et de galeries. ce croquis, je me souviens comment je l’ai réalisé : 1. j’ai commencé par la maison à encorbellement, en bas à gauche. 2. derrière et à côté, j’ai dessiné des carrés que

j’ai cochés d’un x comme dans une bataille navale. 3. à divers endroits du papier boucherie, ma main plaçait d’elle-même d’autres de ces maisons à encorbellement si typiques d’istanbul et dont je parle dans le roman. 4. désormais, je voyais poindre entre elles les rues sinueuses de la ville. je les ai dessinées également. 5. ces traits avaient maintenant l’apparence d’une ville aux rues sinueuses, aux trottoirs étroits, aux maisons à encorbellement, cela ressem-blait à istanbul. dans ces rues, j’ai ajouté des gens, des arbres. 6. dans l’image, j’ai ajouté uskudar, la tour de léandre, les îles des princes, la tour de galata. 7. alors que j’écrivais le roman, les vagues du bosphore s’apparentèrent aux cheveux d’un homme. 8. tel jonas avalé puis recraché par la baleine, toute la ville sortait de la bouche sombre et du ventre de l’homme gigantesque apparu dans l’image. 9. j’y ai encore ajouté le légendaire oiseau simurgh, des nuages, des vagues et des mots. alors, j’ai senti qu’il y avait un aspect propre au conte et à la légende dans mon roman. ce que j’avais commencé comme un griffonnage s’était à présent mué en une image mystérieuse évocatrice de la texture et de l’histoire du Livre noir.

o.P.

dans un coin de ce dessin griffonné à la hâte alors que je travaillais au Livre noir, j’ai ajouté une petite image de moi. afin de me dérouiller l’esprit, de me mettre en train pour écrire, je laissais ma main zigzaguer sur le papier, tracer des lignes en forme de z, de n, de m et beaucoup de galeries tournant sur elles-mêmes dans un endroit du cahier. maintenant, des années plus tard, je trouve que cela est en parfaite harmonie avec l’univers de ce roman-labyrinthe peuplé d’étroites petites rues stambou-

liotes. il existe dans Le Livre noir une grande influence des jeux illustrés pré-sents dans les pages devinettes et rébus des magazines pour enfants tels Dogan Kardes ou Cocuk Haftasi que je lisais étant petit. « indiquez à l’écrivain orhan le chemin qu’il doit prendre pour sortir du dédale du Livre noir. » à l’instar de galip, le personnage principal du roman, le lecteur aussi est invité à s’enfoncer dans cette forêt urbaine de mots et de signes. dans ce dessin parti d’un simple gribouillage puis devenu image, l’écri-

vain orhan semble gravir les marches avec optimisme. c’est avec le même optimisme que j’y ai inscrit les mots « moi, orhan », « roman », « entrée », « sortie » – comme un enfant écrivant « bateau » sur le bateau qu’il vient de dessiner, ou comme ces jeux de parcours labyrinthiques qui se jouent avec un dé et pourvus d’une entrée et d’une sortie. 

orhan PaMUkTraduit du turc par ValÉrIe Gay-aksoy

« Je laissais ma main zigzaguer sur le papier »

Les mystères du Livre noirPublié en 1990 en Turquie et traduit en 1995 chez Gallimard, Le Livre noir est le second roman d’orhan Pamuk. Comme la majeure partie de l’œuvre de l’écrivain, il a pour toile de fond Istanbul.

Galip, un jeune avocat stambouliote se lance à la recherche de sa femme Ruya, disparue mystérieu-sement. Son beau-frère, le journaliste Djelal, est lui aussi introuvable. Durant une semaine, jour et nuit, Galip parcourt Istanbul de long en large, à l’affût du moindre signe de leur passage. Ce faisant, il relit les chroniques de Djelal, se prend au jeu du journaliste- détective et s’engouffre dans le ventre d’une ville grouillante et énigmatique. Alternant le récit de Galip et les chroniques de Djelal, le roman offre différents niveaux de lectures et un jeu de miroirs déconcertant. On croirait lire un conte oriental palpitant au rythme d’un polar. Et bien qu’imprégné de littérature soufie, l’édifice complet rappelle les grands romans initiatiques de la littérature européenne. Car c’est bien là l’enjeu de ce livre : l’incertitude identitaire, en écho à la complexité d’une ville qui a changé trois fois de nom – Byzance, Constantinople, Istanbul. À travers le parcours de Galip, mi-filature mi-déambulation, Pamuk restitue l’univers des bas-fonds d’une Istanbul labyrinthique. quête amou-reuse et quête de soi, variations sur une ville et son peuple, Le Livre noir est tout cela à la fois. La force de l’imaginaire y règne sans partage, renouvelant les mystères de la Sublime Porte. 

JosePh boJU

Comme j’aime, ces matins-là, m’adosser à un arbre et rêvasser en attendant un

tramway imaginaire pour nulle part. Ou bien me balader, les jambes engourdies, la tête vide, en humant l’air tiède et disons doux, tendre, voluptueux, me laisser gagner par des pensées vagues et inconnues en regardant sans voir les gens assoupis dans leur magasin, les passants au pas lourd et fatigué, les vitrines pleines d’objets inutiles, peut-être même les superbes mannequins des grands magasins plongés dans leurs songes impénétrables.Soudain, les petits marchands de journaux sur-giront par les ruelles, tout rouges et en sueur. Ils s’élanceront sur leurs petites jambes agiles, comme si des clients attendaient impatiem-ment les dernières nouvelles ou qu’ils allaient leur donner un billet de mille pour un exem-plaire… Les tramways fileront à toute allure… Les jeunes modistes aux jambes nues, bron-zées et fuselées courront en plaquant contre elles leurs jupes soulevées par le vent. quand les cochers, cireurs, limonadiers et portefaix viendront les taquiner, elles leur diront en grec d’Istanbul d’aller se faire voir. Maintenant que la brume se dissipe sur Beyoglu, la ville est en passe de se dévoiler. Il aura fallu des heures. Avant, je l’ai déjà dit, un air lourd nous écrasait, nous oppressait tous. Nous avions si soif que nous étions prêts à payer de notre vie un verre de limonade. je suis passé par les quartiers juifs. Eux qui sont d’habitude vivants, très vivants, sales, aussi sales que joyeux, tantôt grands ouverts, tantôt secrets, les voici d’un calme absolu à ces heures-là. Même leur antique jargon espagnol a la légèreté de la langue mystérieuse dont doit user le rajah quand il joue avec les singes. 

extrait de « Baromètre », Le Café du coin (Mahalle Kahvesi), traduction du turc rosie Pinhas-

Delpuech, bleu autour, 2013

la place taksim irradie sous le soleil. je suis assommé par une chaleur torride. je demande à nurhettin l’heure du dernier passage du 59a, il me répond que c’était un peu avant le troisième appel à la prière, avant de préciser « 45 minutes ». nurhettin est un ami de famille, un laze de mer noire, un rude gaillard d’une soixantaine d’années, qui vend des smits (viennoiseries) sur la place depuis le deuxième coup d’état, en 1974. de condition modeste, l’ex-militant communiste a perdu un œil et gagné une jambe boîteuse lors du troisième coup d’état. il est resté fidèle à sa place avec sa petite carriole et son autorisation municipale. avec fierté, il répète souvent qu’en vendant un condensé de farine, de sucre et d’eau, il a élevé trois filles, devenues médecins.les bus défilent, et je me demande ce que fiche le 59a. le chauffeur est sûrement à tophane en train de siroter un narguilé avec keyif (plaisir). dans les années 2000, les arrêts de bus ne mentionnaient pas les horaires. comme d’habitude, le temps s’étire, ce qui, en cette période de ramadan, fait les affaires de nurhettin puisqu’à la nuit tombée, nombre de malheureux ratent le iftar (la rupture du jeûne) et vont se colmater l’estomac d’un smit et d’une tasse de thé. le bus, peinture rouge écaillée, ralentit dans une sym-phonie mécanique, suivie par une chorale de klaxons. on monte toujours par l’avant, on pointe son passe élec-tronique sur un appareil qui vous décompte des unités, système très moderne pour des bus qui ont la mémoire de la guerre froide. le soir, ils sont bondés et il faut monter par l’arrière. c’est l’un de mes moments préférés. le chauffeur refuse d’avancer tant que tous les passagers n’ont pas pointé. une chaîne humaine s’organise pour que les cartes de ceux montés par l’arrière transitent de main en main jusqu’à la borne magnétique. alors le chauffeur enfonce la pédale, le moteur rugit, et le bus avance comme une tortue.le 59a remonte vers sisli. sur la droite, le très huppé quartier de nisantasi, où l’on trouve les enseignes armani, gucci, vuitton, et les « bonjour madame » prononcés avec un rrr bien local. à nisantasi, comme ailleurs, il y a les aiguiseurs de couteaux qui crient «  Buçakçiiii », les vendeurs de fruits et légumes ambulants qui scandent « Meyvee, Sebzeee, Meyveeeeee ! », les très jeunes cireurs de chaussures, les brocanteurs qui aux sons de « Eski-ciiii » construisent des fortunes avec les babioles de mon-sieur herkez (monsieur tout-le-monde). les créateurs de mode, les stars, la jet-set s’y côtoient, dépensant une année de salaire du stambouliote moyen en un quart de seconde pour quelques miettes d’un occident rêvé.mon téléphone sonne, je décroche. les passagers scanda-

lisés me toisent, avant qu’on ne me désigne une affichette sur la vitre « interdiction de téléphoner ». à istanbul, on ne plaisante pas avec les règles du bus. je raccroche, m’excuse, mais ne peut devenir plus rouge écarlate, la chaleur m’ayant déjà accordé cette faveur.le bus a maintenant quitté la constantinople historique et ses 500 000 âmes pour avancer dans istanbul et ses 17 millions d’habitants. nous dépassons sisli en saluant l’hôpital lape (la paix) fondé par les sœurs de saint-vincent-de-paul en 1858. puis le mythique stade ali sami yen, qui se dresse juste sous le virage de l’autoroute entre deux tours en construction sur le terrain d’une ancienne école. lui aussi va bientôt y passer. ici, on ne rénove pas, on casse, on déplace et on fait autre chose. au croisement du cimetière de zincirlikuyu et du bou-levard barbaros, le bus ralentit dans le bouchon qui se forme tous les soirs. avec son fichu sur la tête, une femme d’âge mûr commence à s’énerver. on comprend son stress quand le iftar approche, que son estomac la titille et que la tortue fait des siennes. elle consulte sans arrêt sa montre. tapote du pied. puis lance du milieu du bus au chauffeur : « tu peux pas mettre la sirène, je vais mourir de faim, Gayri ! ». la dame est égéenne et s’est trahie par le « Gayri (mon vieux) ». de son accent kurde, le chauffeur répond : « si tu veux, je m’arrête là ». puis considérant son physique, il reprend : « tu ne mourras pas de faim, tu as des réserves jusqu’à la fin de tes jours ; rentre à pied pour rendre grâce au mec d’en haut, et fait autorité face à ton appétit ». un barbu crie au scandale, la situation se tend, et le chauffeur menace de faire descendre tout le monde si le calme ne revient pas. le barbu prend congé de la dame au fichu par un « Allahaismarladik », un au revoir religieux.la petite étiquette disk collée à son pare-brise n’a pas menti. les chauffeurs de la compagnie de la mairie sont salariés et souvent syndiqués au disk, très à gauche, et en turquie donc, « très laïque ». l’équilibre tient tout de même entre ceux qui croient au ciel et ceux qui n’y croient pas, et de temps à autre, une petite pique vient passion-ner les langues et les avis. à etiler, le bus se vide devant l’akmerkez, centre commercial flambant neuf, entouré d’immeubles très hauts, très chics, dont les parkings sont emplis de porsche et autres allemandes. ici, on se flatte par un distingué « merci » en français, starbucks dans la main et talons aiguilles aux pieds.cinq minutes après, je descends au terminus à karanfilkoy. il n’y a que des maisons construites sans autorisation, à la hâte en quelques jours, et les avis de démolition se serrent les coudes. on les appelle les Gecekondu (posées la nuit). dans les jardins, on trouve des poules, parfois une brebis, des oliviers, des figuiers. les vieilles ont des patiks de paysanne aux pieds et on respire la campagne, avec des graines de tournesols à croquer plein les poches.ah istanbul ! la cosmopolite aux 7 collines (l’antique, la moderne, la dynamique, la paradoxale, la bordélique, la fatigante, l’envoûtante) qui trône seule au monde sur deux continents. 

l’épopée du busM A H I R G U v E NmemBre de l’équipe du 1Adolescent, il a passé ses étés à Istanbul, ville d’origine de ses parents. De 2008 à 2009, il a pris chaque jour le bus dans le chaos de la circulation stambouliote.

canicule ESTIvaLE

EXTRAITS

Le sacre d’Abd-ul-Hamid

Rêveries sur les hauteurs de Stamboul

le quartier bruyant du taxim, sur la hauteur de péra, les

équipages européens, les toilettes européennes heurtant les équipages et les costumes d’orient ; une grande chaleur, un grand soleil ; un vent tiède soulevant la poussière et les feuilles jaunies d’août ; l’odeur des myrtes ; le tapage des marchands de fruits, les rues encombrées de raisins et de pastèques... les premiers moments de mon séjour à constantinople ont gravé ces images dans mon souvenir. je passais des après-midi au bord de cette route du taxim, assis au vent sous les arbres, étranger à tous. en rêvant de ce temps qui venait de finir, je suivais d’un regard distrait ce défilé cosmopo-lite ; je songeais beaucoup à elle, étonné de la trouver si bien assise tout au fond de ma pensée.je fis dans ce quartier la connaissance du prêtre arménien qui me donna les

premières notions de la langue turque. je n’aimais pas encore ce pays comme je l’ai aimé plus tard ; je l’observais en touriste ; et stamboul, dont les chrétiens avaient peur, m’était à peu près inconnu.pendant trois mois, je demeurai à péra, songeant aux moyens d’exécuter ce projet impossible, aller habiter avec elle sur l’autre rive de la corne d’or, vivre de la vie musulmane qui était sa vie, la pos-séder des jours entiers, comprendre et pénétrer ses pensées, lire au fond de son cœur des choses fraîches et sauvages à peine soupçonnées dans nos nuits de salonique, – et l’avoir à moi tout entière.ma maison était située en un point re-tiré de péra, dominant de haut la corne d’or et le panorama lointain de la ville turque ; la splendeur de l’été donnait du charme à cette habitation. en travail-lant la langue de l’islam devant ma grande fenêtre ouverte, je planais sur le

vieux stamboul baigné de soleil. tout au fond, dans un bois de cyprès, appa-raissait eyoub, où il eût été doux d’aller avec elle cacher son existence, – point mystérieux et ignoré où notre vie eût trouvé un cadre étrange et charmant.autour de ma maison s’étendaient de vastes terrains dominant stamboul, plantés de cyprès et de tombes, –  terrains vagues où j’ai passé plus d’une nuit à errer, poursuivant quelque aven - ture imprudente arménienne, ou grecque.tout au fond de mon cœur, j’étais resté fidèle à aziyadé ; mais les jours pas-saient et elle ne venait pas... […] 

extrait d’aziyadé, 1879

aujourd’hui, 7 septembre, a lieu la grande repré-sentation du sacre d’un sultan.

abd-ul-hamid, à ce qu’il semble, est pressé de s’en-tourer du prestige des khalifes ; il se pourrait que son avènement ouvrît à l’islam une ère nouvelle, et qu’il apportât à la turquie un peu de gloire encore et un dernier éclat.dans la mosquée sainte d’eyoub, abd-ul-hamid est allé ceindre en grande pompe le sabre d’othman.après quoi, suivi d’un long et magnifique cortège, le sultan a traversé stamboul dans toute sa longueur pour se rendre au palais du vieux sérail, faisant une pause et disant une prière, comme il est d’usage, dans les mosquées et les kiosques funéraires qui se trouvaient sur son chemin. des hallebardiers ouvraient la marche, coiffés de plumets verts de deux mètres de haut, vêtus d’habits écarlates tout chamarrés d’or.abd-ul-hamid s’avançait au milieu d’eux, monté sur un cheval blanc monumental, à l’allure lente et majes-tueuse, caparaçonné d’or et de pierreries.le cheik-ul-islam en manteau vert, les émirs en turban de cachemire, les ulémas en turban blanc à bandelettes d’or, les grands pachas, les grands dignitaires, suivaient

sur des chevaux étincelants de dorures, – grave et in-terminable cortège où défilaient de singulières physio-nomies ! – des ulémas octogénaires soutenus par des laquais sur leurs montures tranquilles montraient au peuple des barbes blanches et de sombres regards em-preints de fanatisme et d’obscurité. une foule innom-brable se pressait sur tout ce parcours, une de ces foules turques auprès desquelles les plus luxueuses foules d’occident paraîtraient laides et tristes. des estrades disposées sur une étendue de plusieurs kilomètres pliaient sous le poids des curieux, et tous les costumes d’europe et d’asie s’y trouvaient mêlés.sur les hauteurs d’eyoub s’étalait la masse mouvante des dames turques. tous ces corps de femmes, envelop-pés chacun jusqu’aux pieds de pièces de soie de cou-leurs éclatantes, toutes ces têtes blanches cachées sous les plis des yachmaks d’où sortaient des yeux noirs, se confondaient sous les cyprès avec les pierres peintes et historiées des tombes. cela était si coloré et si bizarre, qu’on eût dit moins une réalité qu’une composition fantastique de quelque orientaliste halluciné. 

extrait d’aziyadé, 1879

P I E R R E L O T I écrivain et officier de marine français (1850-1923)Personnalité hors du commun, le romancier est aussi peintre, dessinateur et reporter-photographe. Son œuvre témoigne de ses nombreux voyages. En 1876-1877, il séjourne à Constantinople. Fasciné par la sensualité de l’Orient, il tombe amoureux d’une femme de harem, qu’il immortalisera dans son livre Aziyadé, publié en 1879. Son roman le plus connu, Pêcheur d’Islande (1886), puise ses sources dans les terres de Bretagne.S A I T FA I k

A B A S I YA N I kécrivain turc (1906-1954)

Principalement auteur de nouvelles, il a révolutionné la littérature turque

grâce à la sobriété de sa prose. Habitué des bars et des bordels de Beyoglu, c’est un éternel flâneur, amoureux de la rive

européenne d’Istanbul.

côte à côte, ils contemplèrent en silence istanbul plongée dans l’obscurité, les rares lumières de la

ville et la neige qui tombait.Quand galip remarqua que les ténèbres s’éclaircissaient peu à peu, la ville semblait encore demeurer pour long-temps plongée dans la nuit, pareille à la face obscure d’une étoile lointaine. ensuite, grelottant de froid, il se

dit que la lumière qui touchait les murs des mosquées, les fumées des cheminées, les amas de béton ne venaient pas de l’extérieur, mais semblait surgir de l’intérieur de la ville. tout comme la surface d’une planète, encore en train de compléter sa révolution, on aurait dit que les différents fragments de cette ville, tout en pentes, couverte de béton, de pierre, de briques, de bois de charpente, de coupoles et de plexiglas, allaient s’en-trouvrir lentement pour laisser passer la lueur rougeâtre d’un sous-sol plein de mystères. mais cette imprécision ne dura guère. les lettres géantes de publicité pour banques ou pour cigarettes apparaissaient peu à peu, les unes après les autres, entre les murs, les cheminées et les toits, et ils entendirent la voix de l’imam récitant la prière du matin, qui surgissait des haut-parleurs tout près d’eux. 

extrait du Livre noir © orhan pamuk/can Yayinlari ltd. sti, 1990

© éditions Gallimard, 1995, pour la traduction française de munevver andac

EXTRAIT

TEXTES ET DESSINS INéDITS

arrivé à constantinople le 1er août 1876, pierre loti exerce son œil de photographe. dans le vieux stamboul, des maisons traditionnelles en bois à un étage avec encorbellement.

O R H A N PA M U kécrivain turcNé à Istanbul en 1952 dans une famille aisée et francophile, il grandit face au Bosphore, dans le quartier très occidentalisé de Nisantasi. Après des études de peinture, d’architecture et de journalisme, il décide de consacrer sa vie à l’écriture. Il mettra huit ans à publier son premier livre, Cevdet Bey et ses fils (Gallimard, 2014). Diffusées dans plus de quarante langues, ses fresques aux mondes bigarrés – parmi lesquelles Le Livre noir (Gallimard, 1995) ou Mon nom est rouge (Gallimard, 2002) – reflètent son talent de conteur. Jugé contestataire par certains dans son pays, il reçoit en 2006 le prix Nobel de littérature.

L’avènement du jour

au cŒur du laByrinthe

une photo prise par pierre loti à la même période. devant la mosquée du sultan mehmet le conquérant (fatih mehmet camii).

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