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Charles Commeaux est né en 1922 aux Alouettes, ha- meau de Châtenay-le-Royal, localité de l'agglomération chalonnaise. Après des études à l'institution secondaire de Rimont (Saône-et-Loire) il obtint ses grades supérieurs tant à Dijon qu'à Lyon, dont il est docteur de l'Université.

Enseignant de profession, il a réalisé une thèse sur la civilisation chinoise des Ts'ing. C'est à ce titre qu'il a écrit divers ouvrages sur l'histoire et la civilisation chinoises, en particulier une Vie quotidienne sous les em- pereurs mandchous puis sur Les Mongols de la conquête.

Mais c'est bien entendu son terroir bourguignon qui a ses préférences. D'où ses travaux du présent ouvrage, qui font eux-mêmes suite à une Vie quotidienne au temps des ducs Valois et au pre- mier tome de cette Histoire des Bourguignons, des ori- gines à 1477, date de la mort de Charles le Téméraire

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HISTOIRE DES

BOURGUIGNONS

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CHARLES COMMEAUX

HISTOIRE DES

BOURGUIGNONS

DOSSIERS DE L'HISTOIRE FERNAND NATHAN

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Toute reproduction, même partielle, de cet ouvrage est interdite. Une copie ou reproduction par quelque procédé que ce soit, photographie, photocopie, micro- film, bande magnétique, disque ou autre, constitue une contrefaçon passible des peines prévues par la loi du 11 mars 1957 sur la protection des droits d'auteur.

Éditions Fernand Nathan, 1980. Les Dossiers de l'Histoire

Éditions de l'Université et de l'Enseignement moderne, 25, rue Saint-Sulpice, paris-6

Noyers. Porte de la vieille ville

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Chalon-sur-Saône.

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LUMIÈRES D U C O U C H A N T

La bataille de Nancy, ce 5 janvier 1477, ne marque pas seulement la fin d'un fief, fût-il reconnu pour l'un des plus importants du royaume. Les ducs Valois avaient crée un grand- duché, une principauté à laquelle n 'a manqué la couronne que par des hasards chronologiques.

C 'est l 'un des états les plus brillants du siècle qui va tomber d 'un seul coup. Non seulement une prospérité matérielle d 'excep- tion dans une France convalescente de la guerre de Cent Ans, mais encore les fastes d'une civilisation, d'une culture qui évoque Byzance et qui annonce Versailles.

Avant d'organiser l'occupation, Louis XI ne peut certes s 'empêcher de revenir aux années de Genappe, lorsque, Dauphin fugitif, il vivait des largesses de son bon oncle Philippe. Il n 'a certes pas oublié l 'éclat des fêtes, le charme des lettres et des arts, la lumière éclatante que la principauté menacée, aux temps troubles de Charles le Hardi, répandait sur l'Europe. C'est tout un héritage, précaire mais déjà fixé dans la mémoire des peuples, qu 'il peut ainsi inventorier.

du maître. En quelques années, le partage des domaines va dissocier les terres françaises et les acquisitions d 'Empire. Ni d'un côté, ni de l 'autre l 'originalité du temps ducal ne résistera aux influences d 'ailleurs.

Saluons donc, à cette heure décisive, les derniers fastes de la chevalerie, une courtoisie galante déjà proche de l'hôtel de Rambouillet, la « mécanique » d'une Cour qui a ses Versailles et ses Trianons, ses chroniqueurs et ses petits poètes, ses Le Brun et ses Lulli...

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L A D E R N I E R E C H E V A L E R I E

La société bourguignonne est régie par le principe énoncé dans l'œuvre de Chastellain : au-dessus des ruraux, voués à la glèbe, et du monde urbain, appliqué à l 'artisanat ou au négoce, se dressent les deux classes dirigeantes, celle qui prie et celle qui combat. Nulle part ailleurs, la conscience nobiliaire n'est plus affirmée, malgré la guerre de Cent Ans qui met fin à la priorité du cavalier armé et bat en brèche l'idéal chevaleresque. C'est même par une sorte de nostalgie des temps révolus que la noblesse bourguignonne organisera sa propre célébration, avec le consentement du petit peuple qui ne croit pouvoir mieux honorer ses saints familiers qu'en les promouvant chevaliers : Georges, Michel, Ursus, Joseph d'Arimathie, le centurion de Capharnaüm, etc.

Cela n'implique pas absolument que les moeurs suivent l'idéologie. Violences, rapts, cruautés, tyrannie, ruses perfides ne manquent pas. On verra même Philippe le Bon, parangon des vertus courtoises, accepter, au combat, d'échanger son armure avec un de ses hommes pour duper l'ennemi...

Mais tout ce beau monde de la guerre et des joutes célèbre les impératifs traditionnels, la bravoure, la piété, la fidélité au seigneur et à la dame. Il s'est constitué un panthéon de héros inspirateurs, David et Judas Macchabée, empruntés à la Bible,

Serre-Perthuis. Ce site féodal domine la Cure.

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Hector, César et Alexandre, sortis des fastes antiques, Arthur, Charlemagne et Godefroy de Bouillon, plus proches et plus familiers. Sans compter saint André, patron militaire du duché, dont on voit partout la croix en X.

Les « vœux », vains jusqu'à la folie (parfois le duc doit en relever un imprudent) se multiplient à la moindre occasion : Mar- tigny restera armé jusqu'à ce qu'il rencontre le Turc et Chevalart, à l'inverse, se décoiffera quatre jours avant la rencontre. Philippe le Bon est pourtant l'auteur du plus falla- cieux de ces engagements, lorsqu'il jure, à Lille, devant les dames et le Faisan, de se croiser contre Mehmet II et de le défier en combat singulier.

Même excentricité romanesque des vœux à la femmes. La dame, qui n'est jamais l'épouse, vouée à la direction de la famille mais susceptible de recevoir la foi d'un tiers, est adorée chaste- ment, jusqu'aux limites incertaines de flirts qui basculent parfois dans l'adultère scandaleux. Bavures qui n'entament pas la foi au code galant. Les dames elles-mêmes n'en sont pas toujours les plus fidèles gardiennes, comme le manifeste la vie orageuse de Jacqueline de Hollande. Quant à Philippe le Bon, sa polygamie aus- si officielle que celle de Louis XIV (bien que sans impact politique) ne l'empêche pas de se délecter aux gentillesses de ses chevaliers comme à la polémique naguère conduite entre Jean de Meung, contempteur des femmes, et leur avocate, Christine de Pisan. On s'impose des épreuves, la réclusion (au moins théorique) de Jean de Chassa, qui n'était pas un enfant de cœur, pour gagner le droit de porter le voile, la manche, la bague de l'élue et accéder au dialogue éthéré des soupirs et des vertus.

Le fin mot de cet héroïsme à bout de bras, c'est le principe : « On doit pour mort, pour vie, pour chevance ne autrement faire chose contre l 'honneur, »

Coqs empanachés et faisans dorés sur tranche, les gentils- hommes bourguignons célèbrent le rituel de leur caste au cours de mémorables Pas d'armes que patronnent les ducs. En 1443, Charny organise, à Marsannay, celui de /' Arbre Charlemagne où, assisté de treize seigneurs, il affronte, à pied et à cheval, de brillants compétiteurs pendant six semaines. Jean de Saint-Pol, en 1449, réitère, à la gloire d'une Belle Pélerine, près de la ville de Saint-Omer. Puis, profitant des mouvements du jubilé de 1450, le

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modèle de la chevalerie, Jacques de Lalaing, organise à Saint- Laurent, aux portes de Chalon, le plus alambiqué de tous, celui de la Fontaine des Pleurs. Le mariage du Téméraire avec Marguerite d'York offre au Grand Bâtard Antoine le prétexte du Pas de l'Arbre d'Or, dédié à la souveraine de l'Ile Celée, qui sera tenu à Bruges (1468). Vaudrey, deux ans plus tard, réitère, à Gand, en l'honneur d'une Dame Sauvage pour laquelle il déploie les artifices de la préciosité la plus lyrique.

Belles occasions d'arborer des tenues théâtrales, changées à chaque combat, dont Olivier de la Marche nous a laissé la des- cription minutieuse. Belles occasions de montrer, à la lance, à l'épée, à la hache, sa valeur, son mépris des coups et sa générosité.

UN RITUEL SOUVERAIN

Soleil de ces constellations nobiliaires, le duc ne cesse de monter au ciel de la gloire. Premier pair et quasi régent, au début, il devient presque roi et grand-duc du Ponant à la fin de la dynastie. Le formaliste O. de La Marche s'est complu (Saint- Simon d'un autre temps) à démonter la « mécanique » de l'étiquette ducale. Inspirée de Constantinople, de la Cour de France et de celle d'Avignon, elle résume et amplifie leurs rites. La Chambre, la Table, l'Ecurie, etc, constituent autant de services hiérarchisés, où les fonctions unissent le service public et l'adulation personnelle. Vêtements, objets, égards soulignent la majesté quasi solaire de Monseigneur et des astres mineurs de la famille. Sous Charles le Téméraire, le hiératisme engendre déjà l'ennui, la solennité se guinde.

Chaque jour comporte ses célébrations régulières ou excep- tionnelles : le lever, la messe, le conseil, les repas, les audiences se répètent au long de l'année ; les grands banquets, les entrées dans les bonnes villes, les réceptions et les visites de têtes couronnées, les chapitres de la Toison d'Or ajoutent des pages rutilantes. Le banquet au cours duquel Philippe le Bon jurera la Croisade se déroule à Lille (1454) dans une apothéose d'« entre- mets » fixes ou scéniques, d'allégories où l'Eglise en deuil vient supplier le duc d'intervenir contre les Turcs :

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« O toy, O toy, noble duc de Bourgoigne, Filz de l' eglise et frère à ses enffans,

Entemps à moy et pense à ma besoingne... » L'acte inaugural de chaque règne est la prestation de

serments à saint Bénigne. Le nouveau duc fait dans sa capitale une entrée rehaussée d'inscriptions et de sketches allégoriques puis, arrivé à l'abbaye, jure les franchises de la ville et, seulement alors, reçoit les engagements des divers corps. Charles profitera du banquet consécutif pour affirmer ses ambitions souveraines.

Dès le début de la dynastie, Monseigneur traite familière- ment avec les souverains, que Philippe le Hardi accueille à Diion son neveu Charles VI, que Philippe le Bon ou Charles rencontrent l'empereur germanique dont ils espèrent, en vain, l'investiture royale.

Même les funérailles tournent à l'apothéose. On se rappelle le long voyage de la dépouille de Philippe le Hardi, revenant du Nord vers le nouveau Saint-Denis de la famille, la chartreuse de Champmol, fondée, ornée, enrichie dans ce but unique. Voyage macabre et fantastique, dans un décor de milliers de cierges et de kilomètres de tissus noirs. Voyage que Charles réitéra pour les corps de son père et de sa mère, et dont son échec le privera lui- même.

Le faste de cette Cour, accepté par l'époque, heurte nos sensibilités, dans la misère du XV siècle, même si la prospérité bourguignonne allège les maux des petites gens et si, comme le dit Commynes, les ducs « taillent peu » leurs sujets. Interminables listes des cadeaux de nouvel ans, fermails orfévrés, vaisselle précieuse, robes aux fourrures de luxe, dont la moindre pièce vaut plus que le budget annuel d'un artisan...

Certes, les contestataires ne manquent pas (les procès de l'époque font état de remarques sans aménité, de rebellion contre le collecteur), mais l'ostentation fait partie des moyens de gouver- nement. Un souverain parcimonieux fait figure de pauvre sire et on le voit bien quand Louis XI, nouveau roi, arrive à Paris, éclipsé par son bon oncle que la foule ne se lasse d'admirer : « Bienvenue à vous, noble duc !... »

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LES RAFFINEMENTS DE L'ESPRIT

Inspirateur et mécène, le duc suscite un beau mouvement des lettres et des arts. Certes, nul Corneille, nul Molière, car le Moyen Age s'épuise et la Renaissance ne fait que poindre dans les préoccupations du Téméraire. Comme autour de Louis XIV, foisonnent des poètes et des chroniqueurs de Cour. Aubert canoniserait volontiers Philippe le Bon et Chastellain le proclame « un soleil d'homme ». Ce n'est pourtant pas un compilateur insignifiant que ce Georges Chastellain (1404-1475) dont la Grande Chronique raconte et commente philosophiquement les gloires de la dynastie. Complétée, car l'auteur est mort trop tôt, par un autre historiographe, ce Molinet qui moulinoit doulx mots en molinet, un peu trop bel esprit, un peu poète de ruelle, mais non sans élégance.

Plus simple, Dangeau autant que Saint-Simon, O. de La Marche, un vrai Bourguignon de Bresse (1426-1502), laisse sur Charles le Téméraire un témoignage irremplaçable. Il admirait son maître comme un des grands hommes de l'histoire et, après l'effondrement, on le retrouvera aux côtés de Madame Marie, la fragile duchesse qui passe à l'Autriche par son mariage. Ses Mémoires n'ont pas la portée humaine de l'œuvre de Chasteilain, mais il voit tout, en ordre et en couleurs, et il est sans détours, avec des pointes de charmante mélancolie.

Le Pastoralet, d'auteur inconnu, offre, en 9 000 vers, un tableau flatteur du rôle de Jean sans Peur dans les luttes contre le duc d'Orléans. Presque parodique, cette interminable épopée à clé montre les soucis du berger Florentin (Charles VI), en butte aux intrigues combinées de son épouse Belligère (Isabeau) et de l'amant Tristifer (Louis d'Orléans) dont triomphera le bon Léonet (Jean), sauveur de son maître.

Autour des historiographes, foisonnent traducteurs, copistes, illustrateurs qui enrichissent la bibliothèque ducale, une des plus belles du monde à l'époque.Mais l'âge d'or du théâtre est encore loin. On joue des œuvres religieuses, comme ces Passions d'Autun (1470) et de Semur (1488). A la Cour, on préfère des saynètes mythologiques, farcies de mime et de musique, spectacles un peu naïfs exigeant une mise en scène qui frappe

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l'oeil. Tel cet intermède de Jason, pour le vœu du Faisan, et surtout le Mystère d'Hercule, représenté pour le mariage du Téméraire. Il est si long qu'il faudra trois séances pour en épuiser la matière. On y voit le héros dans les diverses aventures de sa légende où tout est prétexte à combats mimés et à moralités.

Quant à l'éloquence, elle cultive tous les poncifs de la scolas- tique. Il nous en reste un triste exemple, la Justification de Jean Petit, plaidant pour Jean sans Peur après le massacre de Louis d'Orléans. Syllogismes bien conduits, références historiques, anecdotes atroces donnent à cette pièce interminable (quatre heures d'horloge !) le ton des « tousseux » de Rabelais. Mais aussi, hélas, trop de ressemblance avec tels venimeux réquisitoires du procès de Jeanne d'Arc.

Faut-il ajouter les vers de mirliton dont la musique tire prétexte et où s'alimentent galanterie et flagornerie ?

Ne soyons point trop sévères pour cette littérature où fleuris- sent les artifices de la rhétorique comme les méandres de l'allégorie. Elle n'est ni meilleure, ni pire que dans les autres Etats. Plus riche d'ailleurs, surtout si l'on pense que, transfuge de la Cour bourguignonne, Philippe de Commynes y puisera une part importante de son inspiration. En tout cas, par le mécénat, par l'inspiration courtoise, par le culte du maître, les lettres de l'Etat bourguignon assurent une digne célébration de sa grandeur.

SPLENDEUR DES ARTS

Plus que la littérature, les arts expriment la magnificence bourguignonne. Alors que les malheurs de la guerre limitent, ailleurs, et orientent l'inspiration vers le tragique, le macabre, les états ducaux, moins touchés, témoignent d'une santé plus robuste, de goûts plus cossus, de sentiments plus éthérés, bien qu'on suive les mêmes filières. D'ailleurs c'est la période où s'épanouit le style flamboyant, si apte à exprimer en même temps le tourment, la tantaisie et l'allégorie. Longues palmes des ogives, directement issues du tronc des piliers, dentelles des fenêtrages, foisonnement d'une végétation de pierre crochue et frémissante, voilà encore le gothique, mais c'en est le baroque. Dijon. La tour de Bar (XVe s.) est un vestige du Palais des Ducs.

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Les résidences ducales naissent ou se transforment, imitées par d'autres constructeurs. Aux structures défensives s'allient harmonieusement, prélude aux châteaux de la Loire, les soucis décoratifs : fenêtres plus nombreuses, poivrières et échauguettes, hautes toitures ouvertes de pavillons, gables et pinacles coiffant tours et murailles. Admirez, campé sur sa butte, le fier manoir de Châteauneuf-d'Auxois, ou la tour de la Terrasse qui couronne la restauration de l'Hôtel ducal à Dijon.

Les villes grandissent, s'améliorent ; Philippe le Hardi s'acharne à paver sa capitale. On y voit pousser de beaux hôtels de pierre ou des maisons à colombages, coiffés de tuiles vernies. A Dijon, bien sûr, mais aussi à Semur, à Auxerre, à Chalon, à Flavigny, à Beaune surtout. C'est là que le chancelier Rolin, en froid avec les chanoines de Chalon, édifiera l'une des merveilles du temps, son Hôtel-Dieu aux belles toitures. Il ne s'oublie pas et son hôtel de famille, à Autun, témoigne de sa fortune et de son goût.

Tout comme la flèche de la cathédrale, dans la même ville, voulue par le cardinal, son fils. Le joyau de l'architecture religieuse, c'est la chartreuse de Champmol, édifiée par Philippe le Hardi, aux portes de Dijon. Merveille dont il ne nous reste que descriptions enthousiastes, gravures anciennes et fragments méconnaissables. L'église conventuelle surtout laisse des regrets, car on y avait réuni tout ce qui, autour des tombeaux, pouvait exprimer la grandeur de la dynastie.

Seule, la statuaire subsiste en partie, due principalement au ciseau du maître d'œuvre, Claus Sluter, ce Hollandais qui devait inspirer la Bourgogne avec le réalisme charnu de son pays. Intact, le piédestal du calvaire, au puits du grand cloître, avec ses six prophètes drapés. Le plus beau de tous a donné son nom à l'œuvre, le Puits de Moïse. Voici encore le tombeau de Philippe le Hardi, où la main du maître est visible dans les figurines deuillantes. Sauvés aussi, les monuments de Jean sans Peur et de sa femme, pastiches bien venus de Jean de la Huerta. Avec le tombeau de Philippe Pot, au Louvre, c'est l'essentiel des vestiges de la grande sculpture slutérienne.

Mais, à travers le duché, d'autres œuvres plus locales prennent le relais, au temps de Philippe le Bon : des Vierges à l'Enfant (Autun, Auxonne), des Mises au Tombeau, assez

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théatrales (Tonnerre, Dijon, Semur), de nombreuses Piétas et de savoureuses statues hagiographiques, dont l'ange au sourire de Fla vigny.

La peinture explose en feu d'artifice, mais dans les posses- sions du Nord. Elle n'échappe pas tout à fait à l'inventaire car elle décore et inspire en Bourgogne propre. Beaumetz, Maelweel, Broederlam, Bellechose ont travaillé à Champmol et le Jugement Dernier de R. Van der Weyden est à l'Hôtel-Dieu de Beaune. Tandis que Nicolas Rolin se faisait portraiturer en donateur devant la Vierge par les Van Eyck.

La Cour, en tout cas, connaît et fait travailler les deux frères, Memling, Marmion, Van des Goes, etc. Pour l'Europe, ce sont vraiment des peintres bourguignons.

D'ailleurs, dans le duché, des maîtres moins prestigieux continuent à s'inspirer de la statuaire slutérienne : simplicité de mouvement, ampleur des drapés, ambiance sévère. Tableaux et peinture murale cultivent les sujets traditionnels : Christ en croix (musée de Dijon), grandes scènes (rétable d'Ambierle), Jugement Dernier (Blanot), Danse Macabre (Dijon, La Ferté-Loupière, Brianny). Sans oublier les tapisseries, qui se multiplient dans leur décor « mille fleurs » et qui, parfois, comme à Beaune, figurent ambitieusement des séries complètes : Vie de la Vierge en 17 panneaux.

Autre art florissant dans les états de Bourgogne, la musique. Charles le Téméraire choie ses 24 choristes et cultive même la musique instrumentale. Dans ce domaine, la période est favorable : c'est le moment où se développe la polyphonie et les instru- ments présentent une incroyable variété, tant pour les cordes que pour les bois. Messes, motets, chansons galantes, rondeaux et ballades attestent la même variété. Et les grands maîtres du temps sont sujets de Bourgogne : Binchois (1400-1460) est flamand, tandis que, luna totius musicae atque lumen cantorum, le grand Guillaume Dufay (1400-1474) vient de Cambrai. A la seconde génération, deux Néerlandais s'illustrent : Ockeghem (1430- 1495) et Obrecht (1430-1505).

Telles sont les richesses de l'héritage bourguignon, prêtes à tomber dans le patrimoine de qui confisquera la succession du Téméraire. Louis XI le sait, bien qu'il n'ait pas le culte de la splendeur. Maximilien aussi, qui lorgne vers la princesse Marie, mieux dotée que toute autre princesse...

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Tombeau de Charles le Téméraire à Bruges. Au-dessous apparaît le domaine bourguignon au XV siècle, sous le règne du « Grand duc d'Occident ». La Bourgogne proprement dite s 'étendait du Jura à la Loire moyenne. La Lorraine et la Champagne separèrent toujours les deux parties du domaine ducal.

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DE L'ANNEXION

A LA MONARCHIE

ABSOLUE

( X V siècles)

Au petit matin (9 janvier 1477), le seigneur de Lude, confisquant au messager la lettre de Mgr de Craon, s'en vint avertir Louis XI de la mort du Téméraire. Il en espérait bonne récompense. Le roi fut « tant surpris de la joye qu 'il eust de cette nouvelle, que grant peine sceüt-il quelle contenance tenir. » (Commynes dixit). Puis, le bon sens prenant le dessus, il s'interroge sur l'exactitude de l'information. Peut-être le duc n'était-il que prisonnier des Allemands. Auquel cas, il était fort capable de leur payer une rançon princière et de se retrouver à Bruxelles ou à Dijon. A tout hasard, le roi penchait pour une intervention en Bourgogne, ne serait-ce que pour y prévenir la mainmise des Impériaux. Il déclarait vouloir rendre au duc ses biens s'il avait échappé, mais Commynes ne nous précise pas à quelles conditions, peut-être contre les fiançailles du Dauphin et de l'héritière de Bourgogne.

Une brève enquête de Commynes et du bâtard de Bourbon confirme la nouvelle et le roi s'abandonne à la joie de se veoir au dessus de tous ceulx qu 'il hayoit et de ses ennemys ». La succession de Bourgogne s'ouvre, comme après la mort de Philippe de Rouvres, plus simplement même, puisque le défunt Charles laisse une fille, Marie, de sa deuxième femme, Isabelle de Bourbon. On la disait « la plus grande héritière de la chrétienté ».

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C'était vrai, car elle pouvait prétendre à des domaines presque royaux que les deux derniers ducs avaient bien cru pouvoir couvrir d'une couronne.

Mais, pour lors, la situation n'est pas brillante. La duchesse n'a que 20 ans et pas d'époux, malgré les projets formés du vivant de son père. D'autre part, les guerres des dernières années, toutes perdues, laissent le duché sans armes et sans argent. Louis XI voit aussitôt le parti à tirer de la situation. Commynes le blâme d'avoir brûlé les étapes et pris de force ce qu'une union de famille lui aurait offert. C'est que le roi est une « araigne ».

Au lieu de choisir, il adopte les deux solutions : le projet de mariage et l'occupation hâtive. Il est vrai, prétend-il, que c'est pour défendre les droits de sa « fillole ». Mais il ajoute que le duché proprement dit, apanage intransmissible aux femmes, doit faire retour à la couronne. C'est la prétention de Jean le Bon, mais soutenue par une politique infiniment plus subtile et cohérente.

Quoi qu'il en soit, Louis XI met la main sur Arras et Cambrai. En même temps, il envoie 6000 hommes en Bourgogne, sous le commandement de trois seigneurs de confiance, le prince d'Orange (Jean de Chalon), le sire de Craon (Georges de la Tremoille) et le gouverneur de Champagne (Charles d'Amboise). Une lettre aux Dijonnais les invite à n'accepter d'autre tutelle que la sienne, qui garantit les droits de la jeune duchesse (9 janvier 1477).

QUE PENSENT LES BOURGUIGNONS ?

Quelle est la situation dans le duché ? Existe-t-il un patrio- tisme bourguignon anti-français ? En fait, plusieurs tendances se manifestent. Un sentiment d'originalité existe bien, mais il n'est pas anti-français. Pour d'autres, les plus politiques, le déséquilibre des forces joue en faveur du roi, contre la jeune et lointaine Marie. Aussi l'opération militaire est-elle d'abord facile ; Auxerre se rend, le 14 janvier et, le 29, les Etats de Bourgogne, réunis à Dijon, acceptent la tutelle royale, moyennant le respect des franchises. C'est-à-dire qu'ils imaginent la permanence du duché

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sous le roi. Le 1er février, les troupes royales entrent dans Dijon, sans rencontrer ni résistance, ni enthousiasme... ralliement trouve d'ailleurs son excuse dans l'autre face de la politique royale. Louis poursuit le projet de mariage de Marie avec le Dauphin Charles. Les possessions de la jeune duchesse revien- draient ainsi à leur futur fils. Malheureusement, le projet est par trop rocambolesque, Charles n'ayant que 7 ans. Pour Louis XI, l'idée de mariage n'est guère qu'un artifice pour gagner du temps et mettre la main sur le duché sans coup férir.

La manœuvre semble d'abord réussir. Les têtes sages se rallient : le président Jouard, la mairie et le conseil de Dijon, le gouverneur du Mâconnais, Jean de Damas. D'ailleurs, La Tremoille, véritable chef de l'expédition royale, allie habilement l'emprise militaire et l'achat des consciences. Le duché passe au roi en moins de soixante jours ! Pas de réaction populaire.

C'est trop beau pour durer. Les chefs des forces royales ne semblent pas assez mesurer leur chance. Par leurs intrigues, leurs accaparements, leur brutalité, ils soulèvent vite le petit peuple. Le mouvement part de la Comté (fin février), terre infiniment moins française que le duché et vassale théorique de l'Empire. Toutes les terres d'outre-Rhône sont en effervescence. Le Charolais suit bientôt. Enfin, dès le 26 juin, c'est Dijon même qui se soulève. Les révoltés s'emparent de la tour Saint-Nicolas, abattent la bannière rorale et mettent à mort Jouard, qui tente de s'inter- poser. On acclame la duchesse Marie.

La révolte gagne tout le duché : Seurre, Beaune, Verdun, Châtillon, Semur s'en prennent aux garnisons royales, mais il est déjà trop tard pour un soulèvement cohérent.

Charles d'Amboise, le nouveau gouverneur, réprime le mouvement et les villes paient cher leur révolte. Les forteresses sont confisquées ou démantelées. Beaune perdra ses remparts (mesure qui, paradoxalement, en a sauvé les vestiges). Exécutions, expulsions, confiscations se multiplient, révélant aux Bourguignons ce que signifie la mainmise royale. Désormais, il n'est plus question d'une gérance des droits de Marie, mais d'un rattache- ment pur et simple.

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LOUIS XI A DIJON

Avant même que la guerre ait pris fin en Comté, le roi vient à Dijon, en juillet 1479. Séjour hâtif et précautionneux, qui révèle le peu de confiance réciproque. A Saint-Bénigne, Louis XI jure les « franchises », puis il s'enferme dans la forteresse de Talant.

Le sud des possessions est donc perdu pour l'héritière. Dès 1477, elle réplique au projet matrimonial du roi en se fiançant avec Maximilien d'Autriche, un de ses anciens prétendants, celui qu'elle juge le plus sûr rempart contre les ambitions de son parrain. Ainsi l'héritage bourguignon s'oriente-t-il vers l'Empire et l'on comprend les réticences de Commynes devant les initia- tives brouillonnes de son roi. Le 18 août 1477, la jeune duchesse épouse le prince autrichien !

Mariage de courte durée, car Marie trépasse, dès 1481, d'une chute de cheval. L'année suivante, Louis XI traite avec le veuf. L'accord d'Arras consacre la victoire du roi de France. Il se fait reconnaître le duché et promettre la Comté et le Charolais pour le mariage du Dauphin Charles avec la fille de son ancienne promise, la jeune Marguerite d'Autriche. Maladroitement, les fiançailles seront rompues au profit du projet breton. Du même coup, Charles VIII doit renoncer à la dot promise.

Les Autrichiens ne se résignent d'ailleurs pas au partage de la succession bourguignonne. En 1505, les fiançailles de Charles Quint avec Claude de France prévoient le retour du duché, comme dot de la fiancée. Charles, qu'on voit d'ordinaire sous les couleurs de l'Espagne et de l'Empire, s'affirme l'héritier des ducs et exprime le désir de reposer à Champmol. Il s'entoure de conseillers « bourguignons », son héraut se nomme Bourgogne et même sa lippe révèle l'héritage des Valois ! Après la victoire de Pavie, il arrache à François, par le traité de Madrid, la promesse de restituer la Bourgogne. Les Etats, habilement mis en condition, s'y opposent et, en 1529, le traité de Cambrai annule la promesse. Celui de Crépy en 1544, renouvelle la renonciation impériale.

Désormais se retrouve la partition antérieure. La Comté reste d'Empire et la Duché royale. Non sans paradoxes : la Cham-

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bre des Comptes de Dijon ne contrôle plus la Comté, mais garde les titres permettant l'exploitation du domaine maintenant autri- chien. Les Duchois prétendent faire venir leur sel de Salins, comme au temps des ducs. Des conflits éclatent et Dijon est menacé, en 1513, par une armée suisse. Le traité de Saint-de- Losne (1522) consacre la situation particulière des deux provinces, qui sont autorisées à continuer leur négoce, même en temps de guerre entre France et Empire.

L'opinion, dans le duché, reflète ces querelles. Après l'at- tentisme des premiers mois, les sentiments se précisent. La noblesse reste plutôt fidèle à la mémoire des ducs. Une légende se forme : elle annonce de retour de Charles le Hardi, qui ne serait pas mort. Les seigneurs du Lac et de Vandenesse, en Charolais, optent pour l'Empire. Ces ralliés y seront accueillis à bras ouverts. La bourgeoisie manifeste moins d'indépendance, car la soumission lui ménage les offices de robe. Dans le peuple, un esprit frondeur, quoique prudent, se maintient, tout à fait dans la norme bourguignonne. Des pamphlets courent, après Pavie, et les partisans de l'indépendance célèbrent sans retenue la victoire de Charles-Quint.

François 1er viendra plusieurs fois en pacificateur. On abandonne vite le projet de soumettre la Bourgogne au Parlement de Paris. Conscientes de leur originalité (mais non étrangères à la civilisation française) les diverses couches de la société bourgui- gnonne sont sensibles à ces ménagements.

On peut donc penser, avec Commynes, que la hâte de Louis XI était quelque peu fâcheuse. La lutte contre la Maison d'Autriche, qui a empoisonné deux siècles, n'était-elle pas pire que la temporisation, quels qu'en fussent les aléas ? De toute manière, le duché et même la Comté devaient, par leur situation et leur culture, faire retour, plus ou moins tôt, au royaume de France.

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PORTRAIT D'UN DUCHÉ ESCAMOTÉ

Le quasi-royaume du Téméraire est maintenant divisé. Tout le nord, qui a joué un si grand rôle, suit un destin austro-espagnol. La Comté, tardivement réunie, est redevenue terre d'Empire. On se retrouve donc entre vrais Bourguignons. A quoi ressemble alors la future province de Bourgogne ?

Le morcellement, la diversité, si visibles encore de nos jours, frappent l'esprit et l'unité ducale ne doit pas faire illusion. Les particularismes locaux, inspirés par une géographie complexe, apparaissent clairement.

ENTRE MONTAGNE ET SAONE

Plateaux calcaires, coupés de dépressions et de failles, c'est la Montagne : Le Châtillonnais cultive le seigle, élève des moutons et continue à travailler le fer comme aux temps gaulois, tandis que la Montagne dijonnaise apparaît plus riche et plus amène.

Très différent, le Morvan granitique passe pour « infertile et mal profitable, montagneux, sablonneux et peu plaisant ». Les landes à fougères et genêts alternent avec de pauvres champs d'avoine, de seigle ou de blé noir. Mais surtout, la forêt sombre couvre les croupes et fournit bois et glandée. Les habitants, qui Paysage de Saint-Père-les-Vézelay.

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ont mauvaise réputation alentour, vivent de peu et ne participent guère à la vie régionale.

Dans les dépressions périphériques : l'Auxois, l'Avallonnais, la Terre-Plaine, le bassin d'Autun, la vallée de la Dheune, le Charolais, les sols sont divers ; on récolte alors plus de céréales que l'on ne pratique d'élevage, à la différence d'aujourd'hui. En Auxois de robustes forteresses gardent le nord-ouest : Flavigny, Montbard, Thil, Châteauneuf, Semur.

Le cœur de la Bourgogne, c'est le rebord oriental de la Montagne, Côte et Arrière-Côte, adonnées aux vignobles qui donnent « les meilleurs vins de Gaule ». Le Pinot, largement encouragé et contrôlé par les ducs, couvre les versants ensoleillés, tandis que les plateaux se couvrent de taillis. La route court en- bas, jalonnée de bourgs vineux (Gevrey, Nuits, Chagny) et reliant les deux cités de la région, Beaune et Dijon, la capitale.

Cette côte nord-sud borde la plaine de Saône, à l'époque plus boisée et marécageuse que maintenant. C'est le pays des prés et des champs fertiles, où se dressent les « bourgs d'eau », étapes et forteresses le long de la rivière frontalière : Seurre, Auxonne, Chalon surtout, qui étouffe dans ses remparts.

Au-delà s'étend la Bresse louhannaise, bocage, étangs et gras terroirs, semés d'une poussière de hameaux. C'est une autre marche bourguignonne que double son homologue méridionale, la Bresse de Bourg, celle-là savoyarde.

De véritables excroissances prolongent le Bourgogne en tous sens : au nord-ouest, l'Auxerrois et son vignoble ; au nord, les deux terres barroises, également vinicoles ; au sud, le Mâconnais, méridional même par son dialecte, et dont les vins annoncent le Beaujolais ; au sud-ouest, enfin, le Brionnais, adossé à la Loire, transition entre Charolais et Bourbonnais, pâtures, bois, étangs ou guérets...

Ainsi s'étirait à l'époque la Bourgogne, dans la quadruple attraction de Paris, de la Lorraine, de Lyon et des pays de Loire, Côte et val de Saône constituant la « colonne vertébrale » du duché.

Cette géographie explique le réseau routier, antérieur même à l'occupation romaine et qui, en cette fin du Moyen Age, gardait à peu près la même structure :

— Vers la Lorraine : Dijon - Langres - Toul. — Vers Lyon : Paris - Dijon - Chalon - Mâcon.

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Paris - Sens - Auxerre - Avallon - Saulieu - Autun - Mâcon, (itinéraire moins fréquenté que le premier).

Paris - Montargis - Nevers - Moulins - Roanne, « le droit chemin », tout à fait marginal pour la Bourgogne.

— Itinéraire transversaux : Lorraine-Loire par Chaumont, Langres, Châtillon, Tonnerre,

Auxerre (ancienne route des pélerins de Vézelay). Comté-Paris : Auxonne, Dijon, Châtillon, Bar, Troyes, ou

Auxonne, Dijon, St-Seine, Vitteaux, Semur, St-Florentin, Sens. Comté-Loire : par Chalon, les vallées de la Dheune et de la

Bourbince, (ou par Mâcon et Charolles). Ces routes, désormais parcourues par la poste, restent peu

sûres. De moins en moins, au XVIè siècle, à cause des guerres de religion. Le « goulet d'Angustine », près de Bar-s-Seine, est un coupe-gorge traditionnel.

Aussi les chemins d'eau ne sont-ils pas négligés, principale- ment l'Yonne, qui achemine le ravitaillement de la capitale, la Saône, voie royale du commerce entre l'est et le Midi, la Loire, plus capricieuse, mais qui assure un transport périphérique.

Ainsi se trouve confirmée la vocation de carrefour de la Bourgogne. Elle entretient les itinéraires des grands foires de Chalon et de Lyon, elle regarde vers l'Italie des guerres et de la Renaissance.

UN DAMIER BIEN COMPLEXE

Il confirme ce que suggère la géographie physique. Les frontières sont tout à fait capricieuses. Du côté de la Champagne, elles laissent en dehors du territoire des enclaves dont les plus importantes sont celles d'Arc-en-Barrois et de Bar-sur-Seine. L'Auxerrois forme une protubérance, mal rattachée à l'Aval- lonnais. Au sud, la frontière suit presque exactement les limites de l'actuel département de Saône-et-Loire : le Brionnais déborde la Loire, la Bresse louhannaise et le territoire d'Auxonne la Saône. Des terres de « surséance » se multiplient à la frontière comtoise, enclaves en suspens d'attribution : Foucherans,

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Chaussin, Fouvent, Achey, Delain, Mantoche, Chaume, Fontaine- Française.

Même incertitude sur les délimitations diocésaines : Pontailler, Auxonne, Seurre et une soixantaine de paroisses appartiennent à l'archidiocèse de Besançon, en terre d'empire. Par contre, le diocèse français de Langres administre une soixantaine de villages comtois ! Ajoutons que le comté d'Auxonne n'est pas vraiment incorporé au duché et conserve une administration particulière.

Les villes de Saône, redevenues postes-frontière, devront restaurer les remparts saccagés par Louis XI. C'est ainsi que Chalon et Mâcon se doteront des perfectionnements nouveaux, redents et bastions. Une première ligne borde la Saône : Mâcon, Chalon, Verdun, Seurre, Saint-Jean-de-Losne, Auxonne. Par derrière, seconde ligne : Beaune, Talant, Is-s-Tille, Langres. Encore ces défenses ne suffisent-elles pas à arrêter les reîtres allemands de la Comté, ni les Suisses de 1513.

« Bouteilles à l'encre » que l'administration ! Les rois de France maintiennent celle des ducs, sans même réduire les anomalies féodales. C'est ainsi que subsistent les anciennes « élec- tions » de Bar-s-Seine, de l'Auxerrois et du Mâconnais.

La Chambre des Comptes de Dijon est maintenue, avec des attributions diminuées par l'amputation du territoire et l'aliénation d'une bonne part du domaine ducal. Bientôt sera créée une Généralité de Bourgogne, dirigé par un Bureau des Finances dont le ressort (identique à celui de la Chambre des Comptes) englobe les « élections ».

Les Coutumes générales du pays et duché de Bourgogne s'insèrent dans le coutumier français codifié. Au point de vue judiciaire, le Conseil de Dijon, les Grands Jours de Beaune et Saint-Laurent, la Cour d'Appeaux sont remplacés par un Parlement, à Dijon. La ville s'en trouve renforcée dans son rôle de capitale. Au début fonctionne une unique Chambre, mais bientôt siège un corps complexe, fortement hiérarchisé : 6 présidents, 35 conseillers, un procureur-général, deux avocats- généraux, un conseiller-né (l'abbé de Cîteaux), deux chevaliers d'honneur, etc. Ce personnel est réparti entre la Grand'Chambre, la Tournelle, la Chambre des Vacations, que complètent des annexes, la Chambre des Requêtes, la Chancellerie, la Table de Marbre (Eaux et Forêts). Le Parlement, premier des

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corps bourguignons, juge les appels des tribunaux inférieurs sur lesquels il exerce un véritable contrôle. D'autre part, investi de droits administratifs et politiques, cet organisme enregistre, non sans retards et tergiversations, les ordonnances royales. Ce droit de « remontrances » partagé avec la Cour des Comptes, lui donne une importance comparable à celle du Parlement de Paris. C'est vraiment le Sénat, en robes rouges, de la nouvelle Bourgogne.

Il est vrai que son ressort connaît des limitations capri- cieuses : les trois élections, bien que dépendant des Etats de Bourgogne, relèvent du Parlement de Paris. Par contre, Bresse du sud, Bugey, Dombes et pays de Gex sont rattachés au Parlement de Dijon, bien que n'appartenant pas à la Bourgogne des Etats !

Ces Etats, (institution limitant le pouvoir du roi) sont pourtant maintenus, voire dotés d'attributions plus larges. Ils se réunissent, tous les trois ans, à Dijon, pour voter le « don gratuit » au fisc royal et autoriser toutes les levées de subsides. Entre les sessions, la Chambre des Elus (6 membres) veille à la perception des impôts et aux dépenses militaires, routières etc. D'autres délégués des Etats, les « alcades » contrôlent les modalités de perception. Les Etats comprennent trois Chambres : celle de l'Eglise, celle de la Noblesse, celle du Tiers Etat, composée de maires et d'échevins.

Ce qui complique tout, c'est la permanence des Etats parti- culiers d'Auxerre, Mâcon, Auxonne, Bar et Charolles. Ils règlent la perception de leur quote-part votée à Dijon, non sans réticences des intérêts particuliers. Ils votent aussi les impôts locaux nécessaires à l'administration de leur ressort.

L'ancien Hôtel des Ducs est devenu le Logis du roi. Il abrite le Gouverneur à poste fixe, toujours choisi parmi les fidèles du souverain, voire parmi les princes du sang. Ses fonctions restent militaires et représentatives. On voit se succéder, au début, Charles d'Amboise, Engelbert de Clèves, Louis de la Tremoille, réplique de Bayard par sa bravoure, sa loyauté et son sens de la grandeur. Puis vient le grand-amiral, Philippe Chabot, et, succes- sivement, trois Guise, le duc Claude, le duc d'Aumale, le duc de Mayenne, que l'on retrouvera, au chapitre des luttes religieuses, en pleine rébellion contre le pouvoir royal.

Le gouverneur est doublé, pour le temps de ses absences, par un Lieutenant-général directement soumis au roi et pas du tout à

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son supérieur immédiat. Si le gouverneur inspire de la méfiance au pouvoir, le rôle du lieutenant-général devient capital. Certains ont laissé un nom. Deux familles, les Saulx et les Chabot, alterne- ront à ce poste.

En cas d'absence simultanée du gouverneur et du lieutenant- général, le roi désigne un « lieutenant en l'absence », choisi dans la noblesse locale.

Les bailliages n'ont pas changé. A leur tête seront placés des gentilshommes du cru, Bauffrement à Chalon, Tavanes à Dijon, Ragny en Auxois, Lantage à la Montagne, Saint Sernin à Mâcon. De nombreux officiers du roi les entourent, limitant ainsi les attributions des pouvoirs provinciaux.

Quant aux villes, protégées par des franchises particulières, elles sont administrées par les échevinages. Ces assemblées apparaissent peu homogênes : 20 échevins, plus un procureur- syndic et 5 ecclésiastiques à Dijon, 4 échevins seulement à Chalon, parfois moins. Au-dessus d'eux trônent les maires, là du moins où ils existent ( à Chalon, il faut attendre 1565). Partout. en tout cas, les oligarchies bourgeoises se cramponnent aux fonctions municipales. A des degrés divers, les droits des municipalités comportent les points suivants :

— droit de justice, acquis depuis longtemps et farouchement défendu contre toutes les restrictions des édits de Moulins (1566) et d'Amboise (1572) ;

— contrôle du négoce : poids et mesures, prix, marchés ; — contrôle du ravitaillement local ; — contrôle des professions artisanales ; — garde et milice de la ville ; — santé publique ; — gestion du patrimoine et perception des octrois. Théo-

riquement limité par des contrôles de l'Etat ou des citoyens, ce droit est, en fait, pleinement exercé.

La plus marquante des municipalités est celle de Dijon. Le maire, en particulier, élu par le peuple, est anobli de droit et « président-né » du Tiers-Etat. Il dispose d'un force armée de d'un millier de personnes.

Rattachée tardivement à la couronne, la Bourgogne conserve la plupart des institutions ducales et ses franchises séculaires. N'est-ce pas ce qui compte le plus pour elle ? Frondeuse, parfois

Nevers. La tour Saint-Eloi.

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anti-française et sympathique à l'Empire, l'opinion se résigne pourtant assez facilement. Philippe Pot, sénéchal de Bourgogne, et Jean de Cirey, abbé de Cîteaux, défendent par exemple les thèses unitaires du roi aux Etats Généraux de Tours en 1484.

Il n'en subsiste pas moins des nostalgies que traduit la durée d'une légende sur le retour de Charles le Hardi.

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UNE SOCIÉTÉ EN MOUVEMENT

Le XVI siècle, en Bourgogne, comme dans le reste du royaume et dans les autres pays européens, tire les conséquences des grandes découvertes. L'afflux d'or américain va provoquer par exemple un vaste déplacement des fortunes.

Phénomène trop visible, les denrées enchérissent. Cette montée va se poursuivre pendant plusieurs décennies, car l'afflux du métal entraîne sa dépréciation. Pour la Bourgogne, les témoins notent l'apparition des monnaies étrangères, qui bénéficient d'un cours excessif. Malgré les restrictions de l'Edit des Monnaies, le mal est grave. La Bourgogne, avec sa fausse frontière comtoise, constitue l'un des points d'entrée de ces espèces vulgaires. Dévaluation, hausse des prix, produisent les mêmes effets au XVI siècle que de nos jours. C'est ce que l'ambassadeur vénitien Lippomano note, aux trois quarts du siècle : « J'ai trouvé que les vivres étaient plus chers dans ce pays que dans les autres de France. »

Les pouvoirs locaux, suivant les intentions des ordonnances royales, pensent surtout à réfréner la spéculation. En effet, conséquence plus que cause, certains négociants stockent les denrées en pleine hausse. Parlement, Etat et communes inter- disent les ententes, réglementent les marchés, créent des greniers pour régulariser les prix et parer à la disette, prohibent l'exportation vers la Comté au risque d'entraîner des représailles. La production s'en trouve ralentie, ce qui aggrave les choses, en attendant que les troubles religieux ravagent campagnes et villes...

DES GENTILSHOMMES AUX ABOIS

Les premières fortunes touchées sont celles de la noblesse. Pauvre noblesse bourguignonne, déchirée par le partage !... Beaucoup de familles étaient parties vers l'Empire. Certaines étaient écartelées entre les deux obédiences. La noblesse d'épée, vivant de ses terres, des titres de Cour ou des postes de gouver- neurs de forteresses, commence à végéter. Tels de ses membres,

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Ce second volume de l' Histoire des Bourguignons pourrait aussi s'intituler la « Bourgogne française ». La mort de Charles le Téméraire constitue en effet une date capitale dans l'histoire de la région. Celle-ci vient d'atteindre son summum de développement économique, culturel et artistique avec le règne du « dernier prince d'Occident », qui mène l'existence d'un véritable roi.

Royale est également la Bourgogne, qui brille du- rant des décennies d'une incomparable lueur. Elle se perpétuera, dans le domaine des arts, des lettres, des sciences par d'aussi illustres personnages que Bouchardon, Greuze, Buffon, Carnot, Daubenton, Crébillon, Restif de la Bretonne, Mme de Genlis, auxquels succèdent Lamartine, le Bressan Edgar Quinet, Niepce, Paul Bert, Cabet, Colette entre autres. Un remarquable palmarès qui montre, si besoin est, combien cette terre bour- guignonne est aussi celle de l'esprit.

Aimant la vie, le joyeux parler, les Bourguignons sont gens de bon goût. « C'est, dira l'auteur, l'étonne- ment des gens graves que de découvrir, en ce pays où la truculence induit à la facilité, des exemples de beauté pure. La verve s'arrondit en l'éloquence de Bénigne Bossuet, s'effile en la fantaisie de La Monnoye ou vibre comme bronze au lyrisme de notre Alphonse de Lamartine. La sensualité soutient la poésie dans les paysages intimes de Colette et la force rustique se sublime dans la vi- goureuse splendeur de Cluny. »

« Contradiction ? Pas autant qu 'on ne le croirait. Car en Bourgogne, répétons-le, la rubiconde enveloppe, protège et nourrit le bel équilibre des sens, de l'esprit et du cœur. Il suffit d'une grâce pour que tant de forces cachées apparaissent au soleil de l'histoire .

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