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N° 295 \2 e trimestre 2012 56 BRUNO CINOTTI 1 1 Directeur général adjoint de l’Agence de l’eau Adour–Garonne. Des agents des Eaux & Forêts aux inspecteurs de l’environnement Chasse & droit © P. Massit/ONCFS > Chasse & droit Une nouvelle appellation : « inspecteur de l’environnement » (L.172-1 I et II) Le Code de l’environnement connaissait la dénomination d’inspecteur 3 des installa- tions classées, appellation qui ne désigne pas un corps, mais un ensemble d’agents, détenteurs des mêmes pouvoirs de police administrative et judiciaire relatifs aux instal- lations classées pour la protection de l’envi- ronnement. Les nouvelles dispositions renomment ces personnels « inspecteurs de l’environnement » et élargissent cette appellation aux agents de l’ONCFS, de l’ONEMA, des parcs nationaux et de l’Agence des aires marines protégées, et leurs attribu- tions à l’eau et à la nature 4 , domaine dans lesquels ces agents reçoivent une compé- tence générale. Un commissionnement par spécialités (L.172-1 II et III) Contrairement à certaines dispositions antérieures du Code de l’environnement, qui prévoyaient des commissionnements « à cet effet », l’article L.177-2 prévoit un com- missionnement en tant qu’inspecteur de l’en- vironnement relevant soit de la spécialité installations classées pour la protection de l’environnement, soit de la spécialité eau et nature. Cette simplification réduit le risque de contentieux « de forme » lié à la procédure administrative de commissionnement. Une compétence territoriale élargie et claire (L.172-2) Elle dépend du service d’accueil et non plus de l’enregistrement de la commission Comme l’appartenance à un service est aisée à démontrer, ce changement est une simplification appréciable, pour autant que les agents soient bien formés et informés des pouvoirs et compétences spécifiques à leur affectation. Le territoire de compétence des agents coïncide désormais avec celui d’exercice de leurs missions, ce qui évitera la « fastidieuse tournée des tribunaux de grande instance », au cours de laquelle les agents devaient faire enregistrer leur commission pour y avoir compétence. Ils peuvent même recevoir une compétence territoriale temporaire dans un service où ils interviendraient en renfort. Belle simplification là aussi car la compé- tence territoriale liée à l’enregistrement de la commission rendait la procédure d’enre- gistrement particulièrement importante ; et le défaut d’enregistrement de la commis- sion, négligence fréquente du fait qu’il existe encore dans de nombreux départements plusieurs tribunaux de grande instance, pou- vait provoquer la nullité des actes de procé- dure effectués par l’agent. Une ordonnance du 11 janvier dernier 2 va faire évoluer de façon notable les dispositions de procédure pénale du Code de l’environnement à partir du 1 er juillet 2013. Nous présentons ici les principales caractéristiques du nouveau dispositif et montrons comment il s’intègre dans l’histoire, déjà longue, des pouvoirs de police judiciaire dévolus aux personnels de la filière « police » de l’Office national de la chasse et de la faune sauvage. Deux décrets d’application préciseront les dispositions relatives au commissionnement des agents et à la transaction pénale, mesure désormais applicable à l’ensemble du contentieux environnemental. 1 Bruno Cinotti est l’auteur de l’ouvrage Eaux & Forêts : des pouvoirs de police judiciaire au service de la nature. Il inter- vient en droit pénal dans diverses formations. 2 Ordonnance 2012-34 portant simplification, réforme et harmonisation des dispositions de police administrative et de police judiciaire du Code de l’environnement. 3 L’appellation d’inspecteur qui, historiquement, désignait des corps de la catégorie A de la Fonction publique, a perdu depuis longtemps cette signification. 4 Eau et milieux aquatiques et marins, espaces naturels, patri- moine naturel, prévention des risques naturels, protection du cadre de vie ordures déchets, matériaux et autres objets.

Chasse & droit Des agents des Eaux & Forêts aux ... · administrative et judiciaire relatifs aux instal-lations classées pour la protection de l’envi- ... les textes peuvent prévoir

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N° 295 2e trimestre 2012

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BRUNO CINOTTI11 Directeur général adjoint de l’Agence de l’eau Adour–Garonne.

Des agents des Eaux & Forêts aux inspecteurs de l’environnement

Chasse & droit

© P. Massit/ONCFS

> Chasse & droit

Une nouvelle appellation : « inspecteur de l’environnement » (L.172-1 I et II)

Le Code de l’environnement connaissait la dénomination d’inspecteur3 des installa-tions classées, appellation qui ne désigne pas un corps, mais un ensemble d’agents, détenteurs des mêmes pouvoirs de police administrative et judiciaire relatifs aux instal-lations classées pour la protection de l’envi-ronnement. Les nouvelles dispositions renomment ces personnels « inspecteurs de l’environnement » et élargissent cette appellation aux agents de l’ONCFS, de l’ONEMA, des parcs nationaux et de l’Agence des aires marines protégées, et leurs attribu-tions à l’eau et à la nature4, domaine dans lesquels ces agents reçoivent une compé-tence générale.

Un commissionnement par spécialités (L.172-1 II et III)

Contrairement à certaines dispositions antérieures du Code de l’environnement, qui prévoyaient des commissionnements « à cet effet », l’article L.177-2 prévoit un com-missionnement en tant qu’inspecteur de l’en-vironnement relevant soit de la spécialité installations classées pour la protection de l’environnement, soit de la spécialité eau et nature. Cette simplification réduit le risque de contentieux « de forme » lié à la procédure administrative de commissionnement.

Une compétence territoriale élargie et claire (L.172-2)

Elle dépend du service d’accueil et non plus de l’enregistrement de la commission

Comme l’appartenance à un service est aisée à démontrer, ce changement est une simplification appréciable, pour autant que les agents soient bien formés et informés des pouvoirs et compétences spécifiques à leur affectation.

Le territoire de compétence des agents coïncide désormais avec celui d’exercice de leurs missions, ce qui évitera la « fastidieuse tournée des tribunaux de grande instance »,

au cours de laquelle les agents devaient faire enregistrer leur commission pour y avoir compétence. Ils peuvent même recevoir une compétence territoriale temporaire dans un service où ils interviendraient en renfort.

Belle simplification là aussi car la compé-tence territoriale liée à l’enregistrement de la commission rendait la procédure d’enre-gistrement particulièrement importante ; et le défaut d’enregistrement de la commis-sion, négligence fréquente du fait qu’il existe encore dans de nombreux départements plusieurs tribunaux de grande instance, pou-vait provoquer la nullité des actes de procé-dure effectués par l’agent.

Une ordonnance du 11 janvier dernier2 va faire évoluer de façon notable les dispositions de procédure pénale du Code de l’environnement à partir du 1er juillet 2013. Nous présentons ici les principales caractéristiques du nouveau dispositif et montrons comment il s’intègre dans l’histoire, déjà longue, des pouvoirs de police judiciaire dévolus aux personnels de la filière « police » de l’Office national de la chasse et de la faune sauvage. Deux décrets d’application préciseront les dispositions relatives au commissionnement des agents et à la transaction pénale, mesure désormais applicable à l’ensemble du contentieux environnemental.

1 Bruno Cinotti est l’auteur de l’ouvrage Eaux & Forêts : des pouvoirs de police judiciaire au service de la nature. Il inter-vient en droit pénal dans diverses formations.2 Ordonnance 2012-34 portant simplification, réforme et harmonisation des dispositions de police administrative et de police judiciaire du Code de l’environnement. 3 L’appellation d’inspecteur qui, historiquement, désignait des corps de la catégorie A de la Fonction publique, a perdu depuis longtemps cette signification. 4 Eau et milieux aquatiques et marins, espaces naturels, patri-moine naturel, prévention des risques naturels, protection du cadre de vie ordures déchets, matériaux et autres objets.

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Les agents gardent le « droit de poursuite »

Une disposition introduite par l’alinéa 3 du même article permet aux agents de « se transporter dans les ressorts des tribunaux de grande instance limitrophes de la région […] à l’effet d’y poursuivre les opérations de recherche ou de constatation initiées dans leur ressort de compétence ».

Cette prérogative, consécration de la pra-tique et de la jurisprudence, suppose néan-moins d’informer sans délai le procureur de la République.

Procès-verbaux (L.172-16)

Force probante maintenue

L’article L.172-16 dispose que les « procès-verbaux […] font foi jusqu’à preuve du contraire ». Et le dernier article du Code de l’environnement, qui conservait encore la force probante « jusqu’à inscription de faux » en matière de pêche en eau douce (Envir. L.437-4), est donc abrogé. Avec cet article disparaît une disposition très ancienne qui donnait, depuis le Code forestier de 1827, une force probante extraordinaire aux pro-cès-verbaux dressés par deux agents des Eaux & Forêts.

Délai de transmission sous cinq jours généralisé

Le même article L.172-16 généralise le délai de transmission des procès-verbaux « dans les cinq jours qui suivent leur clôture », ce qui est plus favorable que la règle qui impose aux OPJ et APJ une trans-mission dès la clôture des opérations.

Le respect de ce délai est important car le non-respect des délais légaux de trans-mission des pièces est généralement consi-déré par la jurisprudence comme un non-respect des droits de la défense, donc un motif d’annulation de la procédure.

La transmission des PV n’est plus hiérarchique

Les règles applicables aux inspecteurs de l’environnement ne renvoyant pas aux articles Proc. pén. 22 et suiv., l’article 26 de ce code, qui prescrit que « Les chefs de dis-trict et agents techniques des eaux et forêts remettent à leur chef hiérarchique les pro-cès-verbaux… », ne leur est plus applicable.

« Les procès-verbaux sont adressés au pro-cureur de la République ». Outre l’envoi d’une copie à l’autorité administrative com-pétente, les textes peuvent prévoir l’envoi de copies à d’autres destinataires.

Des pouvoirs de police judiciaire confirmés ou étendus

Pouvoir de perquisition des établis-sements et des domiciles (L.172-5)

L’article L.172-5 donne aux inspecteurs de l’environnement un pouvoir de perquisition :

- des « établissements, locaux profession-nels et installations », « entre 6 heures et 21 heures » ou, « en dehors de ces heures lorsque les locaux sont ouverts au public ou lorsqu’une activité est en cours » ;

- des « véhicules, navires, bateaux, embar-cations et aéronefs professionnels », sans limi-tation horaire.

Ce pouvoir est soumis à une information préalable du procureur de la République qui peut s’y opposer. On notera aussi que, dès qu’ils comportent des parties à usage de domicile, les locaux professionnels béné-ficient de la protection domiciliaire et sont soumis à des règles particulières.

Le dernier alinéa du même article L.172-5 impose, en outre, pour la visite des « domi-ciles et locaux comportant des parties à usage d’habitation », « l’assentiment de l’oc-cupant […], ou, à défaut, [la] présence d’un officier de police judiciaire. »

Droit de suite (L.172-6)

Le nouvel article L.172-6 confirme pour les inspecteurs de l’environnement une dis-position ancienne qu’ils avaient en applica-tion de l’article Proc. pén. 23 : « Ils recherchent les objets enlevés par les auteurs d’infraction

jusque dans les lieux où ils ont été transportés… ».

Ces perquisitions sur droit de suite sont soumises, par le Code de procédure pénale, à des règles strictes : « avec l’assentiment de l’occupant […], ou, à défaut, avec l’autorisa-tion du juge des libertés. ». Contrairement à la situation antérieure, la présence d’un OPJ n’est plus requise.

La clarification des compétences en matière de relevé d’identité (L. 172-7)

Le relevé d’identité (Proc. pén. 78-6) est une procédure récente créée par la loi n 99-291 du 15 avril 1999 relative aux polices municipales ; il permet aux agents de police judiciaire adjoints, qui, n’étant ni OPJ ni APJ, n’ont pas le pouvoir de procéder à des contrôles (Proc. pén. 78-2) ou à des vérifica-tions d’identité (Proc. pén. 78-3), de relever l’identité des contrevenants pour dresser leurs procès-verbaux.

L’article L. 172-7 donne aux inspecteurs de l’environnement ce même pouvoir. Il leur permet aussi, face à un auteur d’infraction qui refuse ou se trouve dans l’impossibilité de justifier son identité, de faire vérifier celle-ci par un OPJ.

Arrestation sur flagrant délit et obstacle au contrôle

En application de l’article Proc. pén. 73 : « Dans les cas de crime flagrant ou de délit flagrant puni d’une peine d’emprisonnement, toute personne a qualité pour en

Résultat spectaculaire des perquisitions opérées simultanément aux domiciles de plusieurs braconniers qui opéraient en équipe dans un massif de montagne en Haute-Savoie. © SD 74/ONCFS

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appréhender l’auteur et le conduire devant l’officier de police judiciaire le plus proche. »

Cette disposition générale ne concernant que les délits punis d’une peine d’empri-sonnement, des dispositions complémen-taires seraient nécessaires pour les autres délits. Les inspecteurs de l’environnement ne pourront donc pas appréhender les auteurs de délits non punis d’une peine d’emprisonnement… Sauf si le délinquant fait obstacle au contrôle ou à la constata-tion de l’infraction, ce qui constitue un délit réprimé par l’article L.173-4 et puni d’une peine d’emprisonnement de six mois.

Cet article vient ainsi mettre un terme à une situation juridiquement cocasse où ces personnels avaient le pouvoir de conduire tout auteur de délit puni d’une peine d’em-prisonnement devant un OPJ, mais pas la possibilité d’exiger un justificatif d’identité ni de retenir l’auteur de l’infraction en cas de contravention ou de délit non puni d’une peine d’emprisonnement.

Le pouvoir d’appréhender l’auteur d’un délit flagrant non puni d’une peine d’empri-sonnement demeure réservé aux OPJ, APJ, personnels forestiers, gardes champêtres et agents de police municipale.

Pouvoir de recueillir des déclarations (L.172-8)

L’article L.172-8 donne pouvoir aux ins-pecteurs de l’environnement de recueillir des déclarations et d’en dresser procès- verbal. Cette disposition vient officialiser une pratique déjà ancienne.

Pouvoir de demander communication et d’échanger entre eux informations ou documents (L.172-9 & 11)

Les articles L.172-9 & 11 donnent pouvoir aux inspecteurs de l’environnement « de se communiquer informations et documents », mais surtout de « demander communica-tion, prendre copie et procéder à la saisie des documents relatifs à l’objet du contrôle, et nécessaires à l’accomplissement de leur mission ».

Faculté de réquisition réciproque avec les agents de la force publique (L.172-10)

L’article L.172-10 confirme le pouvoir qu’ont les inspecteurs de l’environnement de réquisition directe de la force publique et, réciproquement, qu’ils sont susceptibles d’être « requis par le procureur de la République, le juge d’instruction et les offi-ciers de police judiciaire. »

Pouvoir de saisie, destruction, prélèvement (L.172-12 à 14)

Si les articles L.172-12 et 13 leur donnent le pouvoir de saisir l’objet de l’infraction, les véhicules utilisés par les auteurs de l’infrac-tion, de détruire les végétaux et animaux morts ou non viables saisis, les inspecteurs de l’environnement n’ont pas le pouvoir, qu’ont gardé les agents des Eaux & Forêts, de mettre les biens saisis sous séquestre. Les inspecteurs de l’environnement ne peuvent donc plus organiser le devenir des objets saisis, qui relève désormais de la seule com-pétence des magistrats.

L’article L.172-14 leur donne le pouvoir de prélever ou faire prélever des échantillons en vue d’analyses ou d’essais.

Conclusion

Jusqu’au 1er juillet 2013, les fonctionnaires et agents publics affectés à l’Office national de la chasse et de la faune sauvage (ou à l’Office national de l’eau et des milieux aqua-tiques) demeurent, comme les ingénieurs, techniciens et agents de l’État chargés des forêts, et les agents assermentés de l’Office national des forêts, régis par les articles 22 à 26 du Code de procédure pénale.

La rédaction actuelle de ces cinq articles, rassemblés (avec un article 27 qui ne concerne que les gardes champêtres) en un « Paragraphe 1er : Des ingénieurs, chefs de district et agents techniques des eaux et forêts et des gardes champêtres », est direc-tement issue du Code des délits et des peines du 3 brumaire an IV (25 octobre 1795) contenant les lois relatives à l’instruc-tion des affaires criminelles, devenu, en 1808, Code d’instruction criminelle, puis, en 1958, Code de procédure pénale.

Pour ceux des inspecteurs de l’environ-nement qui étaient commissionnés au titre des Eaux & Forêts, et dont ces articles consti-tuaient le corpus juridique de base de leurs pouvoirs de police judiciaire, c’est une page qui se tourne de leur histoire et de celle de la procédure pénale.

Il leur faudra être attentif aux évolutions même minimes de leurs pouvoirs pour continuer à les exercer avec efficacité en minimisant le risque, toujours important, de contentieux pour vice de forme.

Remerciements

Merci à Philippe Landelle (ONCFS, Direction de la Police) pour sa relecture du manuscrit et les précisions qu’il y a apportées.

Saluons le pertinent travail d’analyse opéré par Bruno Cinotti, qui a su poin-ter du doigt les changements notables qui impacteront le travail de police judiciaire des inspecteurs de l’environ-nement en général et des agents de l’ONCFS en particulier.

Dans les mois à venir, la Direction de la Police va refondre l’instruction rela-tive à la rédaction des procédures judi-ciaires de 2009, actuellement en vigueur à l’ONCFS. Ce travail s’accom-pagnera d’une information des agents et d’instructions précises quant aux modalités d’exercice de ces nouvelles prérogatives.

Hubert GéantONCFS, Directeur de la Police

Suivant l’article 23 du Code de procédure pénale dont les principes sont repris à l’article 172-6 du Code de l’environnement issu de l’Ordonnance, les inspecteurs de l’environnement peuvent « suivre la chose enlevée ». Sur cette base, les agents peuvent vérifier le contenu des coffres des véhicules où « la chose enlevée » a pu être dissimulée. © ONCFS