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Cheikh Moussa Camara Face à l’appartenance confrérique Posté par Saliou le 12 août 2008 Si pour la plupart les wirds sécrètent les voies mystiques, être affilié à une confrérie ne signifie pas toujours que l’on assimile et pratique le wird qui la fonde. Le sens de l’affiliation confrérique dépend du mode par lequel on s’affilie[1] et de l’ambition spirituelle de l’aspirant lorsqu’il emprunte la voie mystique. A partir de ces réalités se dégagent les différentes catégories d’aspirants dont la classification ne répond pas toujours à l’idéal théorique pensé par les maîtres spirituels-éducateurs. Le cheikh part du principe de l’égalité[2] et des sources[3] pour soutenir que l’appartenance confrérique ne saurait constituer un critérium de supériorité valable en islam[4] . Ce point de vue, si fortement soutenu dans son ouvrage semble n’être qu’une redondance dans la logique islamique. En effet, le Coran dit : « Le plus noble d’entre vous, auprès d’Allah, est le plus pieux. »[5] . Aussi, le prophète interrogé à propos du plus noble des hommes livra – t – il la même réponse[6] . Cependant, dans la surenchère confrérique, l’évidence se transforme en nébuleuse en ce sens que les arguments avancés pour convaincre des bienfaits d’une voie en arrivent souvent à faire de la simple appartenance à celle-ci un critère de dépassement des autres. Et cela se lie bien à travers les propos de certains cheikhs soufis[7] . Si donc les confréries partagent, en principe, la même mission d’éduquer spirituellement le disciple, se garder du mépris ou de l’apologie d’une voie pour la simple raison de l’appartenance serait un comportement tout à fait indiqué. Par conséquent, la juste mesure que

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Cheikh Moussa Camara Face à l’appartenance confrérique

Posté par Saliou le 12 août 2008

Si pour la plupart les wirds sécrètent les voies mystiques, être affilié à une confrérie ne signifie pas toujours que l’on assimile et pratique le wird qui la fonde. Le sens de l’affiliation confrérique dépend du mode par lequel on s’affilie[1] et de l’ambition spirituelle de l’aspirant lorsqu’il emprunte la voie mystique. A partir de ces réalités se dégagent les différentes catégories d’aspirants dont la classification ne répond pas toujours à l’idéal théorique pensé par les maîtres spirituels-éducateurs.

Le cheikh part du principe de l’égalité[2] et des sources[3] pour soutenir que l’appartenance confrérique ne saurait constituer un critérium de supériorité valable en islam[4].

Ce point de vue, si fortement soutenu dans son ouvrage semble n’être qu’une redondance dans la logique islamique. En effet, le Coran dit : « Le plus noble d’entre vous, auprès d’Allah, est le plus pieux. »[5]. Aussi, le prophète interrogé à propos du plus noble des hommes livra – t – il la même réponse[6]. Cependant, dans la surenchère confrérique, l’évidence se transforme en nébuleuse en ce sens que les arguments avancés pour convaincre des bienfaits d’une voie en arrivent souvent à faire de la simple appartenance à celle-ci un critère de dépassement des autres. Et cela se lie bien à travers les propos de certains cheikhs soufis[7].

Si donc les confréries partagent, en principe, la même mission d’éduquer spirituellement le disciple, se garder du mépris ou de l’apologie d’une voie pour la simple raison de l’appartenance serait un comportement tout à fait indiqué. Par conséquent, la juste mesure que préconise le cheikh Moussa Kamara renferme une sagesse et témoigne que sa pensée exprime du respect envers les diverses voies.

En outre, l’auteur soutient au delà du principe de l’égalité,  qu’on peut non seulement opter pour la confrérie de son choix mais aussi qu’on peut en changer à volonté[8].

Et en posant cette question, il soulève un problème dont le règlement est fonction de la position que l’on prend sur les différentes thèses avancées sur le wird et sur la relation cheikh- disciple.

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Dans cette ordre d’idée, l’auteur trouve un solide appui chez l’imam As Sa`rânî quand il dit: « La voie soufie n’est réfutable que lorsqu’elle contredit les termes explicites du Coran, de la tradition ou du consensus. Sinon le meilleur que l’on puisse dire  à son propos est qu’elle ne s’agit que d’une forme de perception donnée à un homme. Par conséquent, chacun peut choisir de la pratiquer ou de l’abandonner »[9].

Ce qui s’oppose au principe de la tijâniyya interdisant de quitter la confrérie une fois qu’on y entre[10]. Et il ne peut en être autrement pour cette dernière considérant son fondement doctrinal basé sur la croyance que le sceau des saints est bien cheikh Ahmad Al Tijâni[11].           Tout compte fait, nombreux sont les cheikhs qui, dans l’histoire du soufisme, ont pratiqué qui l’alternance des wirds, qui l’alternance des voies. Parmi eux, le fondateur de la tijâniyya que l’auteur cite en exemple[12], l’imam As Sa`râni lui-même, le fondateur du mouridisme au Sénégal, etc. Aussi aucun argument dans les principes du soufisme n’interdit-il pas l’alternance en soi, sauf que les exigences de l’allégeance du disciple à son cheikh pourraient constituer un obstacle. Ce faisant, l’on peut conclure et avec l’auteur que s’il est possible de quitter une école juridique pour une autre[13] pourquoi ne le serait-il pas d’une confrérie à l’autre? Et d’autant plus que la confrérie est par essence une voie de purification, celle à choisir doit être logiquement la plus rassurante pour son auteur. Ainsi le cheikh As Sa`rânî dit: « Le prophète (PSL) a enseigné diverses wirds au croyant. Quiconque se lasse d’un wird peut choisir un autre. »[14]  

En tout état de cause, la pensée du cheikh sur l’appartenance confrérique se résume sur le libre choix d’affiliation et la possibilité d’alternance comme il en est avec les écoles juridiques.

Ainsi est-elle une antithèse d’une condition d’accès et d’existence dans la tijâniyya, en même temps qu’elle constitue une valorisation de la pratique des cheikhs qâdres d’initier à plusieurs voies; ce que les tijânes critiquaient sévèrement.

 

[1] Voir Saliou DRAME, Le musulman sénégalais face à l’appartenance confrérique, mémoire de maîtrise,

Dakar, UCAD, 1997, pages 95-105

[2]  Al haq al mubîn, page. 107.

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[3]  Ibid, page 281.

[4] Ibidem, page 274.

[5]  Sourate (49) Les appartements, Verset 13.

[6]  Rapporté par Abu Hurayra.

[7]  « Celui qui reçoit la grâce de Dieu de le faire entrer dans notre voie jouira le bonheur effectif dans les deux

mondes et se comptera de ceux qu’Il aime et accepte les œuvres en dépit de leur situation.  » Voir cheikh

Ibrahima NIASSE, op. cit., page 416.

« Les communs des affiliés à notre voie Ahmadiyya, Ibrahîmiyya, Hanafiyya, Tijàniyya sont meilleurs que les

autres ». Voir Cheikh El Hadj Omar TALL op. cit., tome 1, page 25.

[8]  Ibid, page 92.

[9] -Al Tabaqât al kubrâ, tome 1, page4

     -Al Anwâr al qudsiyya, Beyrouth, Al maktaba al `ilmiyya, tome1, page44   [10] Cheikh El Hage Omar TALL,

op cit, page220 

[11] Ibid, tome2, pages 12-13 [12] Al Haq al  mubîn, page95 

[13] Ibid, paeg92 [14] Al Anwâr al qudsiyya, tome1, Beyrouth, Al Maktaba al `ilmiyya, 1992, page 53 

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«   Al haqq al mubîn   » de Cheikh Moussa Kamara

Posté par Saliou le 7 juin 2008

Cheikh dans la qâdiriyya, savant de haute facture intellectuelle, historien et anthropologue[2] africain en langue arabe d’une rare pointure , le cheikh[3] Moussa Kamara fils de Ahmad et de Maryam Dadda naquit vers 1863 dans le village de Gouriki Samba Diom au Sud Est de Matam. Sa vaste production qui, de par sa teneur, est cruciale à l’étude de l’histoire, de la civilisation musulmane et de l’ethno-anthropologie ouest-africaine, demeure —tout comme son auteur d’ailleurs— dans les méandres de l’anonymat. A ce titre, la connaissance de l’homme et de son œuvre est d’un apport certain. Son ouvrage manuscrit « Al haq al mubîn » s’est vite révélé un élément essentiel dans la perspective de nos recherches sur l’islam sénégalais, ses confréries et ses hommes. En effet, il porte sur la mystique et les ordres religieux. L’auteur y mène une réflexion qui invite à défigurer l’arbitraire de

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l’inféodation aveugle aux confréries et garder la mesure qui autorise à créer, dans la diversité confrérique, une convergence vers l’unité et la fraternité islamiques.

L’étude de « Al haq  al mubin » par le moyen de l’analyse sociocritique nous a permis de situer la pensée confrérique de Cheikh Moussa Kamara dans l’histoire de la qâdiriyya et de la tijâniyya en Afrique de l’ouest et dans la société « Foutanké » qui en fut le théâtre.

L’époque d’écriture de cet ouvrage succède à une phase de transition qui vit la confrérie de cheikh Abd Al Qâdr Al Jilâni, jusqu’ici majoritaire dans la zone, battre en retraite au profit de celle cheikh Ahmad Al Tijâni. Il s’en suivit un bouleversement de l’ordre religieux en pleine recomposition qui ne fut pas sans engendrer de sérieuses conséquences au plan surtout des rapports entre adeptes de ces deux voies.

« Al Haq al mubin » reflète cette réalité qui l’a fortement déterminé. En effet, c’est en réaction aux arguments religieux qui ont pour beaucoup contribué à la minorisation de son ordre que cheikh Moussa Kamara a pris sa plume pour dénoncer leur caractère arbitraire et apporter le ton de la ‘’vérité’’. Ainsi l’ouvrage constitue un véritable choix d’engagement exprimé à travers la compilation comme forme d’écriture. Les idées de l’auteur ne sont donc pas nouvelles eu égard à l’héritage islamique mais elles ont le mérite d’avoir été soutenues dans un contexte et dans des conditions socio-historiques particuliers. Mieux, l’auteur a eu le mérite d’avoir soulevé, nuancé et critiqué la vision sacro-sainte de l’appartenance confrérique et d’avoir mis l’accent sur le caractère secondaire de la référence confrérique par rapport aux sources authentiques de l’islam. Cela, contrairement à la confusion consistant à n’appréhender l’appartenance à l’islam que sous le seul angle de l’affiliation à un ordre.

Ainsi l’auteur a pris prétexte d’un problème socio-religieux pour établir sa pensée confrérique. Une pensée qui tire au boulet rouge toute prétention de supériorité d’une voie mystique ou d’une autre. Elle considère tout wird basé sur les enseignements authentiques de l’islam comme un moyen qui permet d’avoir constamment Dieu dans son cœur. Par conséquent aucun wird n’est, en lui même, essentiel et indispensable. Ils sont tous égaux, conciliables et changeables comme il en est des ordres qu’ils sécrètent et qui n’ont d’autre mission que d’assurer l’éducation spirituelle du disciple. D’où suit que la responsabilité du cheikh est d’enseigner ces vérités à l’aspirant et de l’encadrer dans son ascension spirituelle. De même, le disciple doit considérer que tout homme est faillible et, partant, éviter de tomber dans le piège de la mythification de son cheikh.

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La pensée de l’auteur fustige les positions et conceptions sur les notions de fath (dévoilement ou ouverture spirituelle) et de wusûl  (accession à Dieu) qui ne signifie pas plus que la connaissance et le respect de la volonté de Dieu permettant au croyant d’exister toujours avec Dieu.

Exister avec Dieu  mais aussi savoir être avec ses croyants; c’est à dire, vivre avec eux dans un étroit sentiment de fraternité d’amour et d’égalité sans aucune prétention, ni comportement qui fragilise ‘’l’être-l’ensemble’’. Sa pensée est ainsi une opposition catégorique à toute rigueur sur un sujet qui ne fait pas le consensus des hommes de science.

La pensée de l’auteur est en toute évidence, et pour beaucoup, une réplique à certains principes et aux comportements des disciples de la tijâniyya, une tentative du savant de freiner la débâcle de son ordre. Il en résulte que les motivations qui la fondent ne sont pas exempte de subjectivisme. Cependant, elle est sous-tendue dans sa formulation , par une nette volonté d’objectivité et de quête de la vérité. Tout compte fait, cette pensée est essentiellement utile dans l’équilibrage des rapports entre musulmans en dépit de leurs sensibilités confrériques. Cependant, elle eut été sans grand impact dans son contexte de production. Cela à cause de la position sociale de son auteur et du mode de transmission par l’écriture qui ne la rendait accessible qu’à une frange minoritaire de la population en l’occurrence, les intellectuels de culture arabe. Ce qui fait que cette pensée très pertinente à plusieurs égards, est restée dans l’anonymat comme son auteur est publiquement très méconnu. Son accueil a été donc très réduit. Mais a-t- elle été et peut-elle toujours être d’un apport à sa postérité? En tout cas, son actualité est, sans conteste, indubitable. En effet, l’héritage confrérique est encore présent et fort. L’exclusivisme et le sentiment de supériorité qu’engendre un excessif sentiment d’appartenance ne cessent de menacer ou plutôt d’affecter l’unité de la communauté. Toute pensée qui prône l’ouverture et l’égalité est, à ce propos, d’une grande utilité à l’homogénéité de celle-ci. Et la pensée de Cheikh Moussa Kamara en est une. Cependant, pour qu’elle puisse être un déterminant actif dans sa postérité — ce qui n’est pas le cas— elle a besoin de sortir de son anonymat et  d’être accessible aussi bien aux chercheurs, aux hommes de culture qu’aux masses de façon générale. Et de sa genèse suite à une étape de transition dans l’histoire des ordres confrériques en Afrique de l’Ouest, son impact dans sa postérité impliquerait peut-être une dynamique renversant l’ordre existant au profit , non d’une confrérie spécifique , mais de l’islam.

Saliou Dramé

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[1] « Lettre du 30 Octobre 1938 de Shaykh Moussa KAMARA » Correspondances officielles relatives aux

manuscrits de Shaykh Muusa Kamara, Cahier n°19, Fonds Cheikh Moussa Kamara, Dakar, IFAN.

[2] David ROBINSON, « Un historien et anthropologue sénégalais: Shaikh Musa KAMARA », Cahiers d’études

africaines, N°28, 1988,pp 89-116

[3] Le surnom Cheikh lui a été donné par le cheikh Sa‘d Bou.

Voir  Cheikh Moussa Kamara, Tabsîr al hâif, Cahier n°1, Fonds Cheikh Moussa Kamara, Dakar, IFAN, p3.