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Institut de Sciences et Théologie des Religions

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Chemins de Dialogue

Revue théologique et pastorale sur le dialogue interreligieuxfondée par l’Institut de sciences et théologie des religions de Marseille

publiée avec le concours de l’association «Chemins de dialogue»

NUMÉRO 7 - AVRIL 1996 - I.S.S.N. : 1244-8869

DIRECTEUR DE L’ÉDITIONChristian Salenson

COORDINATION DU COMITÉ DE RÉDACTIONJean-Marc Aveline, Christian Salenson

COMPOSITIONOlivier Passelac

ADMINISTRATION - DIFFUSIONGeo Gaston

COUVERTUREPeinture d’André Gence

REVUE BISANNUELLENuméro 7: 70FF

Abonnements: voir encadré en dernière page

Chemins de Dialogue38, rue Paul Coxe - 13015 Marseille

& 91 03 03 73 - Fax 91 03 03 75

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Sommaire

L’esprit d’Assise ................................................................................................ 7Card. Roger Etchegaray

I. L’événement de la Journée d’Assise ......................................... 13Histoire et enjeux de la rencontre d’Assise................................................. 15Christian Salenson

Discours du Pape Jean-Paul II aux Cardinaux et à la Curie romaine le 22 décembre 1986........................................................................................ 29Entretien avec Mgr Sabbah............................................................................ 41

II. Textes de référence pour le dialogue interreligieux....... 47Nostra ætate..................................................................................................... 53Ecclesiam suam (extraits) .............................................................................. 62Dialogue et mission ........................................................................................ 65Dialogue et annonce ....................................................................................... 87Redemptoris missio (extraits) ..................................................................... 133

III. Enjeux théologiques .................................................................... 139Présentation des diverses religions............................................................ 145Dennis Gira

Enjeux du dialogue avec les juifs et les musulmans ............................... 167Fédération protestante de France

L’Unique et ses témoins ............................................................................... 183Christoph Théobald

Bibliographie générale ................................................................................. 203

Ephémérides............................................................................................. 207Olivier Morand

Dans l’agenda de l’interreligieux ................................................. 215

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Cardinal Roger Etchegaray

L’ESPRIT D’ASSISE

«L’esprit d’Assise», cette expression est de Jean-Paul II. Depuis le27 octobre 1986, cet «esprit» s’est répandu un peu partout, ildemeure vif dans la force de son jaillissement. Je suis heureux… etfier que l’Institut de sciences et théologie des religions (I.S.T.R.) deMarseille saisisse au vol ce 10ème anniversaire pour nous aider àmieux connaître l’esprit mais aussi la lettre d’un événementreligieux que beaucoup ont accueilli comme une nouvelle Genèse.

Je ne vais pas jouer au vieux jardinier. Mais, ayant été témoinémerveillé de sa germination dans la pensée du Pape et artisanprivilégié de son éclosion, j’ose dire que j’ai senti ce jour-là battre lecœur du monde. Il a suffi d’une brève rencontre sur une colline, dequelques paroles, de quelques gestes, pour que l’humanitédéchirée redécouvre dans la joie l’unité de ses origines. Lorsque, àla fin d’une matinée grise, l’arc-en-ciel a paru dans le ciel d’Assise,les chefs religieux rassemblés par l’audace prophétique de l’und’entre eux, Jean-Paul II, y ont vu un appel pressant à la vie frater-nelle: personne ne pouvait plus douter que la prière avait suscité cesigne visible de la connivence entre Dieu et les descendants deNoé. A la cathédrale San Rufino, quand les responsables desEglises chrétiennes se sont donnés la paix, j’ai vu des larmes surcertains visages et non des moindres. Devant la basilique SanFrancesco où, transi par le froid, chacun semblait resserrer lecoude-à-coude final (Jean-Paul II était près du Dalaï Lama), quanddes jeunes juifs ont pris d’assaut la tribune pour offrir des plantsd’olivier d’abord à des musulmans, je me suis surpris en traind’essuyer des larmes sur mon propre visage.

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Si j’évoque avec émotion cette Journée d’Assise, c’est parce quej’avais conduit obstinément sa laborieuse préparation entreCharybde et Scylla. Nous n’avions derrière nous aucune référencehistorique, devant nous aucun point de repère. Comme disent lesexégètes, la rencontre a été une sorte de «hapax» et le restera sansdoute, unique dans son originalité et son exemplarité. L’angoissede la paix entre les hommes et entre les peuples nous poussait «àêtre ensemble pour prier mais non à prier ensemble» selonl’expression du Pape, dont l’initiative, malgré son souci d’éviterjusqu’à toute apparence de syncrétisme, ne fut pas alors comprisepar certains qui avaient peur de voir se diluer leur spécificitéchrétienne.

Assise a mis en évidence les différences et les convergencesentre l’œcuménisme proprement dit et le dialogue interreligieux,mais a fait faire un bond en avant extraordinaire de l’Eglise vers lesreligions non-chrétiennes, qui nous paraissaient jusque-là vivre surune autre planète malgré l’enseignement du Pape Paul VI (sapremière encyclique «Ecclesiam suam») et du Concile Vatican II(déclaration «Nostra ætate»). La rencontre, voire le choc desreligions, est sans doute un des grands défis de notre époque, plusgrand encore que celui de l’athéisme. Je ne reviens jamais decertains pays à domination musulmane, bouddhiste ou hindoue,sans me demander avec acuité: qu’a voulu faire Dieu avec JésusChrist quand je vois le christianisme si réduit ou même se réduirede plus en plus proportionnellement parlant dans un continent enpleine explosion démographique comme l’Asie? Une telle interro-gation est bien salutaire car elle concerne la question fondamentaledu salut; elle est le fer de lance qui purifie et fortifie nos raisonsd’être chrétiens.

Assise a été le symbole, la mise en scène de ce que l’Eglise doitêtre par vocation propre dans un monde en état flagrant de plura-lisme religieux: confesser l’unité du mystère du salut. Quand Jean-Paul II a essayé de rendre compte aux cardinaux et aux membresde la Curie de ce qui s’était passé à Assise, il a prononcé undiscours qui me semble le plus éclairant pour la théologie des

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religions (22 décembre 1986). Insistant sur le mystère d’unité de lafamille humaine fondé tout à la fois sur la création et la rédemptionen Jésus Christ, il a dit: «Les différences sont un élément moinsimportant par rapport à l’unité qui, au contraire, est radicale, fonda-mentale et déterminante». Assise a ainsi permis à des hommes et àdes femmes de témoigner d’une authentique expérience de Dieuau cœur de leurs propres religions. «Toute prière authentique, ajoutaitle Pape, est suscitée par l’Esprit Saint qui est mystérieusement présentdans le cœur de tout homme».

Assise, c’était il y a dix ans. Aujourd’hui, des croyants de toutesreligions, des communautés, à l’exemple d’Elisée recevant lemanteau d’Elie, se revêtent de «l’esprit d’Assise». «L’esprit d’Assise»plane au-dessus des eaux bouillonnantes des religions et crée déjàdes merveilles de dialogue fraternel. Qu’en sortira-t-il en l’An2000? Le Pape Jean-Paul II dans sa lettre «Tertio Millenio adveniente»trace des jalons précis pour le Grand Jubilé; il n’oublie pas lesreligions non-chrétiennes, spécialement les juifs et les musulmansqui, comme les chrétiens, se réclament de la descendanced’Abraham. Il souhaite «des rencontres communes dans des lieux signi-ficatifs pour les grandes religions monothéistes» (n° 53). Pourquoi faire?Simplement pour que tous les croyants puissent participer «à la joiede tous les disciples du Christ» (n° 55). Un jubilé est fait… pourjubiler! L’Eglise se réjouit du salut qu’elle ne cesse d’accueillir etelle invite toute l’humanité à entrer dans la danse. C’est fou, de lafolie de Dieu, ce que «l’esprit d’Assise» peut inventer à la suite desAnges qui chantaient la nuit de Noël: «Gloire à Dieu au plus haut descieux et Paix sur la terre aux hommes qu’Il aime»!

«Esprit d’Assise», descends sur nous tous!

Cardinal Roger Etchegaray

L’esprit d‘Assise

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Chemins de Dialogue n° 7

Le lecteur familier de notre revue remarquera sans doute lecaractère quelque peu «spécial» de ce numéro. Nous avons voulu enfaire un véritable «outil de travail» pour aborder les questionsfondamentales du dialogue interreligieux.

q Une première partie, qui fait directement suite à la Préface duCardinal Etchegaray, est consacrée à l’événement de la Journéed’Assise, son historique et ses enjeux (Christian Salenson), ainsique son actualité, que l’entretien avec Mgr Sabbah, patriarche latinde Jérusalem, permet d’entrevoir dans une situation particulière.Pour donner toute sa portée à l’événement d’Assise, nouspublions, en plus de ces deux contributions, le texte intégral dudiscours du Pape Jean-Paul II aux Cardinaux et à la Curie romaine,le 22 décembre 1986, dont le lecteur appréciera la densité et laclarté.

q La deuxième partie rassemble des textes fondamentaux,publiés jusque-là de façon éparse: Nostra ætate (1965), Dialogue etmission (1984) et Dialogue et annonce (1991). Ceux qui souhaitentmieux comprendre l’engagement de l’Eglise catholique dans ledialogue interreligieux disposeront ainsi d’un «dossier deréférence» facile à consulter.

q Dans la troisième partie, le lecteur trouvera des pistes detravail et de réflexion théologiques sur l’énigmatique pluralitédes témoins de l’Unique (Christoph Théobald), précédées d’uneprésentation des diverses religions (Dennis Gira) et d’un texte fortsuggestif du Conseil de la Fédération protestante de France sur ledialogue avec les juifs et les musulmans (8 janvier 1996).

«Chemins de Dialogue», à travers ce nouveau numéro, souhaiteservir tous ceux qui, malgré les difficultés réelles du dialogue inter-religieux aujourd’hui, veulent croire aux promesses de l’arc-en-cield’où jaillit un soir d’octobre 1986, l’esprit d’Assise…

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L’événement de la Journée d‘Assise

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Christian SalensonProfesseur à l’I.S.T.R. de Marseille, supérieur du séminaire interdiocésaind’Avignon.

HISTOIRE ET ENJEUX DE LA RENCONTRE D’ASSISE

La rencontre d’Assise est un des actes les plus marquants dupontificat du Pape Jean-Paul II. Elle a surpris bien des observateurset donné un souffle nouveau au dialogue interreligieux et à larencontre des chrétiens avec les croyants des autres religions dumonde.

Cette rencontre eut lieu le 27 octobre 1986. Elle a réuni à Assisedes représentants de nombreuses religions: bouddhisme,hindouisme; jaïnisme, zoroastrisme, sikhisme, islam, judaïsme,religions traditionnelles africaines et de nombreuses délégationschrétiennes ainsi qu’une délégation de la W.C.R.P. (conférencemondiale des religions pour la paix). S’y associèrent de nombreuxchefs d’Etat. Plusieurs pays en guerre, en réponse à un appel duPape, marquèrent l’intérêt qu’ils portaient à cette rencontre par unetrêve des armes.

Des contacts avaient été noués avec les conférences épiscopaleset des initiatives diverses furent prises dans les Eglises locales afinde vivre en communion avec cette journée d’Assise.

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L’annonce de la rencontre

L’annonce de cette rencontre fut déjà lourde de significations.Elle fut faite à l’issue de la semaine pour l’unité des chrétiens, le 25janvier 1986. Le 25 janvier est le jour ou l’Eglise fête la conversionde Paul, l’apôtre des païens, et le jour que Jean XXIII avait choisipour annoncer son intention de convoquer un Concile œcumé-nique, vingt-sept ans auparavant. Le ton était donné. Cetterencontre était délibérément inscrite dans le prolongement duConcile et en particulier des deux décrets Ad gentes et Nostra ætate.Elle était désignée dès l’annonce comme un des fruits du Concilemais aussi comme un événement marquant et le signal fort d’uneère nouvelle dans la relation des chrétiens avec les croyants desautres religions et des religions entre elles.

La fête de la conversion de Paul donne une signification aposto-lique à cette rencontre et par là au dialogue interreligieux,dimension apostolique qui ne peut se déployer que dans uneconversion des chrétiens eux-mêmes à la rencontre de l’autrecroyant et dans l’attitude de service des religions envers le monde.

«Assise sera l’occasion pour les chrétiens d’assumer et d’assurerune saine vision d’une vraie rencontre avec les autres religionsdans l’esprit de Nostra ætate: concilier l’irréductible singularité duchristianisme et son universalité missionnaire avec les exigences del’entrée de nouvelles cultures dans le concert des nations et lebrassage croissant des peuples de toute religion. Nous balbutionsencore ce dialogue qui est plus difficile qu’un dialogue social oupolitique mais s’avère plus important car il engage tout l’hommepar sa relation à Dieu»1.

Le lieu retenu pour la rencontre ne fut pas Rome mais Assisedont le nom est associé à saint François. On sait combien il fut parsa vie simple un homme de paix (pax et bonum) et un des

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1. Cardinal Etchegaray : conférence de presse du 10 octobre 1986.

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précurseurs de cedialogue entrecroyants. Il s’embarquapour l’Egypte afin derencontrer le sultanMalek al-Kamil etreçut de lui l’autori-sation de circulerlibrement en territoiremusulman. Ildemanda aux frèresqui vivraient en paysmusulman d’êtreinébranlables dans lafoi, d’observerl’humilité et le saintEvangile, d’éviter lesdémêlés et les contes-tations, de ne pointjuger les autres, d’êtredoux, pacifiques etmodestes2. La figure deFrançois donne le ton àla rencontre.

La contribution originale des religions pour la paix

Si Assise fut une rencontre des religions du monde, elle futtournée dès le point de départ vers la vie du monde et vers la paix.Il s’agit par cette rencontre de susciter un mouvement mondial de

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2. François d’Assise, «Ecrits», Sources chrétiennes 285, Paris, 1981.

Audience générale du Pape Jean-Paul II,le 22 octobre 1986

Les religions du monde, malgré les diver-gences fondamentales qui les séparent, sonttoutes appelées à donner leur contribution à lanaissance d’un monde plus humain, plus juste,plus fraternel. Après avoir souvent été des causesde divisions, elles voudraient maintenantremplir un rôle décisif dans la construction de lapaix mondiale. Et nous voulons faire celaensemble. (…)

C’est dans cet esprit que j’ai invité les Egliseset les religions à se rendre à Assise. Et c’est dansce même esprit que l’invitation a été acceptée. Aleur tour, les Eglises particulières se sont partoutassociées à cette initiative, souvent avec d’autresEglises chrétiennes et avec des représentantsd’autres religions. Ainsi se réalise et s’étend cegrand «mouvement de prière pour la paix» .

(…) Et, depuis la colline mystique, le vieuxsouhait franciscain «Pax et bonum» reprendrason chemin par les routes du monde, sur les pasde nouveaux témoins. Pour convaincre que lapaix est nécessaire, qu’elle est possible, qu’elledoit advenir. Qu’elle seule peut garantir àl’humanité de l’an 2000 un avenir serein etfécond. (…)

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prière pour la paix, «dans l’esprit de l’année internationale de lapaix», décrétée par l’Organisation des Nations Unies. Les religionsne sont pas en dehors de ce que cherchent les hommes pourconstruire une terre habitable pour tous. L’esprit d’Assise ne faitpas de la rencontre des religions un en-soi mais la resitue dans lamission propre des religions.

La contribution des religions à la paix est spécifique. La paixn’est pas uniquement la trêve des armes ni ne se réduit à desnégociations entre des pays pour vivre en bonne entente ou dans lacoexistence pacifique. Elle a son fondement dans le cœur deshommes et de tout homme. Elle est une paix du cœur. Cette paix asa source en Dieu. Elle est un don qui comme le dira le Pape«dépend de Dieu seul» et s’obtient par la prière. Comme tout don,il devient effectif le jour où il est accueilli, le jour où chaque hommeaccepte que s’ouvrent en sa vie des chemins de paix et de réconci-liation avec lui-même et avec les autres. La prière est le chemin paroù nous arrive la paix.

Les religions ont une responsabilité toute particulière pour aiderles hommes à accueillir ce don précieux. Certes, elles n’ignorentpas qu’elles «ont été souvent des causes de division» sans douteparce qu’elles avaient oublié leur mission commune d’inviter lemonde «à prendre conscience qu’il existe une autre dimension dela paix» et que par là elles ont «un rôle décisif dans la constructionde la paix mondiale».

Les religions du monde sont au service de cette dimensiontranscendante de la paix qui est essentielle pour que la paix s’ins-talle profondément dans notre monde. On remarquera là unecaractéristique de l’esprit d’Assise. Les religions ont à assurerensemble et dans la diversité de leurs croyances cette dimensiontranscendante des questions de la vie des hommes. Ce qui est vraipour la paix et qui a été si clairement manifesté lors de la journéed’Assise revêt le même caractère en bien d’autres domaines de lavie des hommes.

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Le fruit d’une histoire

Cette initiative est inédite. «Elle n’a pas de référence historiqueà l’échelle universelle» comme le notera la Cardinal Etchegaray.Certes, il y a eu quelques années auparavant la rencontre de Kyotoau Japon.

Paul VI s’était rendu à Kyoto à la première conférence interreli-gieuse en octobre 1970. Participaient à cette rencontre diversesreligions mais le ton n’était pas encore trouvé. Cette premièreconférence mondiale reste trop à l’initiative des occidentaux et seconçoit comme l’élaboration d’un programme d’action, à lamanière des conférences internationales: «nous suggérons que lesreligions jouent un rôle prophétique et constructif… soient atten-tives aux problèmes des pays en voie de développement et auxminorités… soutiennent plus positivement l’intérêt du pauvre, dufaible et de l’opprimé… nous engageons les chefs religieux pourinstituer un organe de liaison…». Le chemin n’était pas encoretrouvé d’une rencontre qui fasse droit au rôle propre des religionsau service du monde et qui laisse à chacune des religions toute saplace. Il fallait une rencontre d’un style particulier, non calqué surles structures des instances politiques internationales. Mais cettepremière conférence de Kyoto a sans doute permis de mûrir unsens plus approfondi du dialogue et de concevoir la rencontred’Assise. Celle-ci nous apparaît alors comme le fruit d’un longtravail de recherche de ce dialogue.

Sans vouloir chercher l’origine de l’esprit d’Assise, le rôle dePaul VI est déterminant dans la mise en route de cet esprit.L’encyclique «Ecclesiam suam» essaie de définir les conditions dudialogue. Certes, le dialogue tel qu’il est défini dans cetteencyclique3 par cercles concentriques reste encore très autocentré,mais les dispositions que définit Paul VI n’ont rien perdu de leur

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3. Maurice Vidal: Chemins de Dialogue n° 4: perpectives ecclésiologiques d’«Ecclesiamsuam».

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actualité: la clarté, la confiance, la douceur, la patience, laprudence, «reconnaître les valeurs spirituelles et morales que nouspouvons partager». On cite souvent le mot de Paul VI: «L’Eglisedoit entrer en dialogue avec le monde dans lequel elle vit. L’Eglisese fait parole, l’Eglise se fait message, l’Eglise se fait conversation».Cette encyclique déterminante fut accompagnée de gestes posés ence sens. Paul VI se rend à Jérusalem, à Bombay et à Kyoto, quelquesvoyages peu nombreux mais hautement significatifs.

Etre ensemble pour prier

Si la rencontre d’Assise apparaît dans le prolongement duConcile et de tous ceux qui ont cherché les bases et les conditionsd’une vraie rencontre des religions, elle est inédite dans sa forme etdans son esprit et ouvre une ère nouvelle. Il s’agit pour les religionsde se situer dans ce qui fait leur originalité et leur contributionpropre à la vie du monde. Pour cela on peut prendre appui sur ceque les religions ont en commun, comme le jeûne, la prière, lepèlerinage. Aussi l’invitation va-t-elle porter sur le fait d’êtreensemble pour prier. Il ne s’agit plus de se donner un programmed’action ou de vouloir faire un front des religions mais de serencontrer dans ces attitudes communes.

L’expérience du dialogue a appris aussi à être vrai dans ladémarche afin que la foi de chacun soit pleinement respectée.Aussi il ne s’agira pas de prier ensemble mais d’être ensemblepour prier. Rien ne porte plus atteinte, à terme, au dialogue que lesyncrétisme. Chacun priera donc de son côté, en des lieux diffé-rents, des prières séparées: «A aucun moment, les uns prierontdans la prière des autres ou en se réduisant à une prière communealignée sur le plus petit commun dénominateur». Après quoi les

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divers groupes se retrouveront pour exprimer aux autres ce que futleur prière.

La forme même de la rencontre détermine les traits de cet espritd’Assise: un infini respect pour la différence, pour l’autre et poursa propre croyance. La rencontre, sous prétexte d’unité, ne doit enrien réduire la foi des uns ou des autres. Nous bénéficions de lariche et profonde expérience de l’œcuménisme qui nous a apprisque les chemins de l’unité passaient par le profond respect de ladifférence et ce n’est pas un hasard si l’annonce de la rencontred’Assise a été faite le dernier jour de la semaine de prière pourl’unité des chrétiens.

Une des caractéristiques de l’esprit d’Assise pourrait s’énonceren reprenant les mots de Jean-Paul II dans l’allocution inauguralede la rencontre (voir encadré).

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Discours d’accueil à Sainte-Marie des Anges le 27 octobre 1986

(…) Le fait que nous soyons venus ici n’implique aucune intention dechercher un consensus religieux entre nous ou de mener une négociation sur nosconvictions de foi. Il ne signifie pas non plus que les religions peuvent êtreréconciliées sur le plan d’un engagement commun dans une concession au relati-visme en matière de croyances religieuses, car tout être humain doit suivrehonnêtement sa conscience droite avec l’intention de rechercher la vérité et delui obéir.

Notre rencontre atteste seulement, et c’est là sa grande signification pour leshommes de notre temps, que, dans la grande bataille pour la paix, l’humanité,avec sa diversité même, doit puiser aux sources les plus profondes et les plusvivifiantes où la conscience se forme et sur lesquelles se fonde l’agir moral deshommes.

(…) La paix, là où elle existe, est toujours extrêmement fragile. Elle estmenacée de tant de manières et avec tant de conséquences imprévisibles quenous devons nous efforcer de lui donner des fondements solides. Sans nier enaucune façon la nécessité des nombreux moyens humains qui maintiennent etrenforcent la paix, nous sommes ici parce que nous sommes certains que, au-dessus et au-delà de toutes les mesures de cet ordre, nous avons besoin de laprière, une prière intense, humble et confiante, pour que le monde puisse enfindevenir un lieu de paix véritable et permanente. (…)

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Si, selon la formule, il ne s’agit pas de prier ensemble mais d’êtreensemble pour prier, cet être-ensemble a besoin de se manifester.Aussi chacun dira aux autres quelle fut sa prière et chacun écouterala prière des autres religions. Ainsi, s’il y a unité de temps et unitéde lieu, il y aura aussi unité dans l’écoute et l’accueil de la prière del’autre. Cela contribue à dessiner l’esprit d’Assise. Accueillir l’autredans sa foi, dans les mots même par lesquels il exprime sa foi et sarelation au divin et, ce qui est au moins aussi difficile, se laisseraccueillir soi-même dans ses propres mots, sans chercher d’abord àtraduire, à expliquer ou à rendre compte, mais faire confiance àl’autre, à sa possibilité, pour une part, de me recevoir dans ce quifait ma foi. Pour signifier cet accueil, après chaque expression, untemps commun de silence sera gardé.

La conversion du cœur

La rencontre d’Assise fut consacrée à la prière mais aussi aujeûne comme signe de besoin universel de transformationintérieure et de conversion. La prière a besoin de s’accompagner decette conversion du cœur, de cette conversion de tout l’homme etde tout homme pour pouvoir accueillir ce don fragile de la paix.Aussi, en signe de cette conversion, les représentants des diversesreligions firent de cette journée une journée de jeûne.

Ce jeûne exprime une pénitence car les religions n’ont pastoujours tenu leur mission dans le monde. «Je suis prêt à recon-naître que les catholiques n’ont pas toujours été fidèles à cette affir-mation de foi. Nous n’avons pas toujours été des artisans de paix»4.

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4. Jean-Paul II: Discours final.

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Discours de conclusion du Pape Jean-Paul II sur l’esplanade devant la basilique inférieure Saint-Francois le 27 octobre 1986

(…) Le défi de la paix, tel qu’il se présente actuellement à toute consciencehumaine, transcende les différences religieuses. C’est le problème d’une qualitéde vie convenable pour tous, le problème de la survie de l’humanité, le problèmede la vie et de la mort. Devant un tel problème, deux éléments semblent avoirune importance suprême, et tous les deux nous sont communs à tous.

Le premier est l’impératif intérieur de la conscience morale qui nous enjointde respecter, de protéger et de promouvoir la vie humaine, depuis le seinmaternel jusqu’au lit de mort, pour les individus et pour les peuples, maisspécialement pour les faibles, les déshérités, les abandonnés: c’est l’impératif desurmonter l’égoïsme, l’avidité et l’esprit de vengeance.

Le second élément commun est la conviction que la paix va bien au-delàdes efforts humains, particulièrement dans l’état actuel du monde, et, parconséquent, que sa source et sa réalisation doivent être cherchées dans cetteréalité qui est au-delà de nous tous.

C’est pourquoi chacun de nous prie pour la paix. Même si nous pensons, etc’est le cas, que la relation entre cette réalité et le don de la paix est différenteselon nos convictions religieuses respectives, nous affirmons tous qu’une tellerelation existe.

(…) Plus peut-être que jamais auparavant dans l’histoire, le lien intrinsèquequi unit une attitude religieuse authentique et le grand bien de la paix estdevenu évident pour tous. Quel poids terrible à porter pour des épauleshumaines! Mais, en même temps, quelle vocation merveilleuse et exaltante àsuivre! Bien que la prière soit en elle-même une action, cela ne nous dispense pasde travailler pour la paix. Ici, nous agissons comme les hérauts de la consciencemorale de l’humanité en tant que telle, de l’humanité qui désire la paix, qui abesoin de la paix.

Il n’y a pas de paix sans un amour passionné de la paix. Il n’y a pas de paixsans une volonté farouche de réaliser la paix.

La paix attend ses prophètes. Ensemble, nous avons rempli nos yeux devisions de paix: elles libèrent des énergies pour un nouveau langage de paix,pour de nouveaux gestes de paix, des gestes qui brisent l’enchaînement fatal desdivisions héritées de l’histoire ou engendrées par les idéologies modernes.

La paix attend ses bâtisseurs. Tendons la main à nos frères et à nos sœurspour les encourager à bâtir la paix sur les quatre piliers que sont la vérité, lajustice, l’amour et la liberté (cf. Pacem in terris).

La paix est un chantier ouvert à tous et pas seulement aux spécialistes,savants et stratèges. La paix est une responsabilité universelle: elle passe parmille petits actes de la vie quotidienne. Par leur manière journalière de vivreavec les autres, les hommes font leur choix pour ou contre la paix. Nousremettons la cause de la paix spécialement aux jeunes. Que les jeunes aident àlibérer l’histoire des fausses routes où se fourvoie l’humanité!

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Des convictions profondes: l’esprit d’Assise

L’esprit d’Assise, que cette rencontre a authentifié et créé, estanimé par un certain nombre de convictions profondes.

q «Tous les hommes sont ordonnés au Christ». Cette foi del’Eglise ne cesse de l’appeler, même malgré ses infidélités au coursde l’histoire, à se faire proche de tout homme, de toute culture et detoute religion. «Le Christ s’est uni d’une certaine manière à touthomme» (Gaudium et Spes 22). Cette intime conviction fonde saconfiance dans la rencontre et dans le dialogue.

q Dans les autres religions se trouvent les «semences duVerbe», «le rayonnement de l’unique vérité». On notera que cessemences du Verbe ne sont pas reconnues uniquement dans lespersonnes ou dans leur foi mais dans les religions elles-mêmes.Pour autant rien n’est dit sur la participation de ces religions àl’unique salut. La recherche de la place des religions dans larévélation et le salut, de leur rapport avec le christianisme, resteouverte.

q Les religions du monde ont une responsabilité spécifiquedans l’histoire de l’humanité: elles ne sont pas en dehors desconflits, des recherches, des attentes des hommes. Elles n’ont paspour autant à se substituer aux institutions politiques, écono-miques ou sociales mais elles ont à ouvrir la réflexion, le cœur detous les hommes aux dimensions transcendantes de la vie et dechacun de ses problèmes.

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(…) Il est vital de choisir la paix et les moyens de l’obtenir. La paix, si fragilede nature, exige que l’on veille sur elle constamment et intensément. Sur cechemin, nous avancerons à pas sûrs et redoublés, car jamais sans doute commeaujourd’hui les hommes n’ont disposé d’autant de moyens pour construire unevraie paix. L’humanité est entrée dans une ère d’irrésistible solidarité et d’insa-tiable faim de justice sociale. C’est notre chance. C’est aussi notre tâche, que laprière nous aide à assumer. (…)

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q La rencontre des religions ne se donne pas à elle-même sapropre fin. Elle est finalisée par ce que les chrétiens appelleraientl’avènement du Royaume. La rencontre, l’unité ne se donne pascomme le but ultime mais ne peut se réaliser qu’en ayant une finhors d’elle-même.

q La prière elle-même n’est pas à comprendre comme uneactivité commune, elle est ouverture du désir, ouverture desreligions à Dieu, intercession pour que Dieu lui- même réalise lapaix, fasse advenir son Royaume. Elle occupe une place centraledans l’esprit d’Assise. Dès lors la rencontre, si elle peut et doit êtredésirée, se prépare et se vit dans la prière comme un don àaccueillir.

q Enfin, le dialogue interreligieux est une urgence. Son enjeuest décisif. Il est nécessaire à l’avenir même de l’humanité: «0u biennous apprenons à marcher ensemble dans la paix et l’harmonie, oubien nous partons à la dérive pour notre ruine et celle des autres»(cf. Jean-Paul II, Discours final).

Relecture de l’événement

Ces convictions profondes qui apparaissent à la lecture de l'évé-nement d'Assise appellent une lecture théologique de cette journéeet de sa signification, lecture rendue nécessaire par des incompré-hensions qui ont pu se manifester dans certains milieux ecclésiaux.Le Pape Jean-Paul II, dans un discours adressé aux cardinaux et àla curie romaine le 22décembre 1986, va donnerlui-même quelques clefsd'interprétation théolo-gique de l'événement.

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Voir le texte de Jean-Paul II (22décembre 1986) dans ce numéro aux pages29 à 39. Voir aussi la relecture de ce discoursdans Dialogue et annonce n° 28-32 dans cenuméro aux pages 102 à 104.

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L'unité radicale du genre humain

On comprendra le mot «radical» dans sa signification premièrepuisqu'il s'agit bien de l'origine et de la fin de l'humanité. Toute lafamille humaine a une commune origine: «c'est en lui que tout futcréé». Elle tire son unité profonde de cette commune origine et yentend l'incessant appel à vivre de cette unité. La famille humainea une fin commune. Les différences de races, de couleurs, dereligions, les différents peuples de la terre sont ordonnés à cetteunité. «Les différences sont un élément moins important parrapport à l'unité qui est au contraire radicale, fondamentale etdéterminante». Il ne s'agit pas de nier les différences: la rigueur del'organisation de la journée, les différents symboles en sont le signe.Il s'agit de reconnaître dans le même temps que l'unité n'est pas dumême ordre. L'unité du genre humain est divine dans sa racine etdans sa finalité. Est-ce à dire que la diversité est humaine, conjonc-turelle? C'est ce que le discours à la curie semble affirmer: «Cesdifférences, même religieuses, remontent plutôt à un fait humain etdoivent être dépassées dans le progrès vers la réalisation dugrandiose dessein d'unité qui préside à la création». Le texte hésiteensuite en faisant une distinction entre des différences quimanifestent les richesses spirituelles et celles qui sont le signe deslimites ou des chutes de l'homme. Cette distinction appelle sansdoute de nouvelles réflexions théologiques.

Identité et mission de l'Eglise

L'Eglise est servante de la réalisation de l'unité de tout le genrehumain. Les affirmations de Vatican II sur l'Eglise «sacrement del'unité de Dieu et du genre humain» prennent à Assise tout leursens dans une réalisation inédite et significative.

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L'Eglise découvre mieux son identité et sa mission: «L'Eglisetient par la main ses frères chrétiens et ceux-ci tous ensembledonnent la main aux frères des autres religions». Comme le ditJean-Paul II dans le discours à la curie: l'Eglise à Assise «a exercéson ministère». Ce ministère, l'Eglise le vit lorsqu'elle se faitservante du mystère d'unité et de réconciliation. La vocationfondamentale de l'Eglise parmi les hommes est d'être «sacrementde rédemption universelle» et «germe incorruptible d'unité etd'espérance».

Elle est appelée à former le nouveau peuple de Dieu qu'ellepréfigure. Si tous les hommes sont appelés à l'unité, s'ils y sontordonnés par la création et la rédemption du genre humain, l'Egliseen est le sacrement. L'événement d'Assise est comme une leçon dechoses, une catéchèse compréhensible par tous, le signe prophé-tique de ce que signifie l'engagement pour le dialogue interreli-gieux souhaité et appelé par le Concile Vatican II. Il est une réali-sation concrète et une figure de ce qu'est l'Eglise sacrement d'unité.On ne craindra pas de dire que l'événement d'Assise comme figurerenforce l'identité de l'Eglise et la conscience qu'elle a de samission.

D'une théologie des religions non-chrétiennes à une théologiedes religions du monde

L'événement d'Assise est le signe que l'Eglise surmonte dessiècles d'ignorance, à quelques remarquables exceptions près, àl’égard des autres traditions religieuses de l'humanité, un signe destemps à la fin de ce dernier millénaire, à l'heure où la mondiali-sation est un défi pour l'humanité. Le dialogue interreligieux, quin'a pas encore pénétré toutes les couches de l'Eglise et qui peutencore susciter bien des peurs, fait désormais partie de la missionde l'Eglise. Il en est une des composantes. Les religions du mondeparticipent de l'unique salut. La réflexion théologique est

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convoquée à réfléchir cette participation au salut. Le Concilereconnaît dans les diverses religions des «valeurs de salut» quipréparent les hommes à l'accueil de la plénitude de la vérité qui setrouve dans la révélation chrétienne. La question se pose d'une«histoire différenciée» du salut où les diverses religions seraient enquelque sorte, des «voies de salut», connues par la sagesse de Dieu.La réflexion théologique doit penser ensemble ces deux affirma-tions paradoxales: l'unique médiation du Christ entre Dieu et leshommes et l'universel dessein de salut.

Ces quelques remarques faites à propos de l'événementd'Assise, les commentaires de cette journée, avant ou après, par lecardinal Etchegaray ou par le Pape Jean-Paul II, suffisent à faireapparaître concrètement, en acte, les enjeux du dialogue interreli-gieux pour l'humanité et pour les religions elles-mêmes. Dans lemême temps, apparaît à la fois la richesse théologique et l'appro-fondissement que cela demande de la foi même de l'Eglise tant aupoint de vue ecclésiologique que sotériologique, le nécessaireapprofondissement de la relation Eglise-monde, ainsi que laradicale unité fondamentale du genre humain et du pluralismereligieux.

«Cet événement me paraît d’une si grande portée qu’il nousinvite par lui-même à une réflexion approfondie pour en éclairertoujours mieux la signification à la lumière de la commémorationdésormais imminente de l’Incarnation du Fils éternel de Dieu»5.

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5. Jean-Paul II : «Discours aux cardinaux et à la curie» 22 décembre 1986 .

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Le discours que nous publions ici dans son intégralité est d’une grande impor-tance pour saisir les enjeux les plus profonds de l’événement d’Assise. S’adressantaux Cardinaux et aux membres de la Curie romaine, Jean-Paul II propose unelecture théologique de l’acte par lequel l’Eglise catholique a invité et accueilli desmembres d’autres confessions chrétiennes et surtout d’autres religions du monde,pour une journée de prière, de pèlerinage et de jeûne pour la paix.On ne saisira bien la portée de ce discours qu’en le situant par rapport aux grandsdocuments qui le précèdent, concernant le dialogue interreligieux; la déclarationconciliaire «Nostra ætate» (1965) et le texte du Secrétariat pour les non-chrétiens,«Dialogue et mission» (1984). Le lecteur trouvera ces deux documents dans la partie«Textes de référence pour le dialogue interreligieux» du présent volume, pages 53à 85.

DISCOURS DU PAPE JEAN-PAUL II AUX CARDINAUXET À LA CURIE ROMAINE LE 22 DÉCEMBRE 1986*

C’est avec une joie particulière que je vous salue en cetterencontre traditionnelle qui nous voit réunis pour échangermutuellement les vœux de Noël et du Nouvel An. Je remercie lenouveau Cardinal doyen du Sacré-Collège pour les nobles parolespar lesquelles il a interprété les sentiments que suggère ce momentd’intimité familière.

En ces jours qui précèdent immédiatement la grande fête deNoël, au cours de laquelle nous célébrons et commémoronsensemble le Verbe de Dieu, vie et lumière des hommes (cf. Jn 1, 4),qui pour nous «s’est fait chair et est venu habiter parmi nous» (Jn 1,14), mon esprit revit spontanément avec vous, vénérables et chersfrères de la Curie Romaine, ce qui semble avoir été l’événementreligieux le plus suivi dans le monde en cette année qui est en trainde s’achever: la Journée mondiale de prière pour la paix à Assise,le 27 octobre dernier.

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* Texte dans l’Osservator Romano du 30 décembre 1986 et dans la DocumentationCatholique n° 1933, 1/2/1987, pp. 133-136.

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En cette Journée, en effet, et dans la prière qui en était le motif etl’unique contenu, semblait s’exprimer pour un instant, même demanière visible, l’unité cachée mais radicale que le Verbe divin,«dans lequel tout a été créé et dans lequel tout subsiste» (Col 1, 16;Jn 1, 3), a établie entre les hommes et les femmes de ce monde, ceuxqui maintenant partagent ensemble les angoisses et les joies decette fin du XXe siècle, mais aussi ceux qui nous ont précédés etceux qui prendront notre place «jusqu’à ce que vienne le Seigneur»(cf. 1 Co 11, 26). Le fait d’être réunis à Assise pour prier, jeûner etcheminer en silence, et cela pour la paix toujours fragile et toujoursmenacée, peut-être aujourd’hui plus que jamais, a été comme unsigne clair de l’unité profonde de ceux qui cherchent dans lareligion des valeurs spirituelles et transcendantes en réponse auxgrandes interrogations du cœur humain, malgré les divisionsconcrètes (cf. Nostra ætate, 1).

Cet événement me paraît d’une si grande portée qu’il nousinvite par lui-même à une réflexion pour en éclairer toujours mieuxla signification à la lumière de la commémoration désormaisimminente de l’Incarnation du Fils éternel de Dieu.

Il est en effet évident que nous ne pouvons nous contenter dufait lui-même et de la réussite de sa réalisation. Certes, la Journéed’Assise encourage tous ceux dont la vie personnelle et commu-nautaire est guidée par une conviction de foi à en tirer les consé-quences sur le plan d’une conception approfondie de la paix et,d’une nouvelle manière, à s’engager pour elle. Mais en outre etpeut-être principalement, cette Journée nous invite à une «lecture»de ce qui est arrivé à Assise et de son intime signification, à lalumière de notre foi chrétienne et catholique. La clé appropriée delecture pour un si grand événement jaillit en effet de l’ensei-gnement du Concile Vatican II qui associe de manière admirable lafidélité rigoureuse à la révélation biblique et à la tradition del’Eglise avec la conscience des besoins et des inquiétudes de notretemps, exprimés dans tant de «signes éloquents» (cf. Gaudium etspes, 4 s.).

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Plus d’une fois, le Concile a mis en relation l’identité même etla mission de l’Eglise avec l’unité du genre humain, spécialementlorsqu’il a voulu définir l’Eglise «comme sacrement, c’est-à-direcomme signe et instrument de l’union intime avec Dieu et del’unité de tout le genre humain» (Lumen gentium 1, 9; cf. Gaudium etspes, 42).

Cette unité radicale qui appartient à l’identité même de l’êtrehumain se fonde sur le mystère de la création divine. Le Dieu undans lequel nous croyons, Père, Fils et Saint-Esprit, Trinité trèssainte, a créé l’homme et la femme avec une attention particulière,selon le récit de la Genèse (cf. Gn 1, 26 ss.; 2, 7, 18-24). Cette affir-mation contient et communique une profonde vérité: l’unité del’origine divine de toute la famille humaine, de tout homme et detoute femme, qui se reflète dans l’unité de l’image divine quechacun porte en lui (cf. Gn 1, 26) et oriente par elle-même à une fincommune (cf. Nostra ætate, 1). «Tu nous as faits pour toi, Seigneur,s’exclame saint Augustin dans la plénitude de sa maturité depenseur, et notre cœur est inquiet tant qu’il ne repose pas en toi»(Conf. 1). La constitution dogmatique Dei verbum déclare que«Dieu, qui crée et conserve toutes choses par son Verbe, offre auxhommes dans les choses créées un témoignage incessant sur lui-même… et il a pris un soin constant du genre humain pour donnerla vie éternelle à tous ceux qui, par la fidélité dans le bien, recher-chaient le salut» (Dei verbum, 3).

C’est pourquoi il n’y a qu’un seul dessein divin pour tout êtrehumain qui vient en ce monde (cf. Jn 1, 9), un principe et une finuniques, quels que soient la couleur de sa peau, l’horizon histo-rique et géographique dans lequel il vit et agit, la culture danslaquelle il a grandi et dans laquelle il s’exprime. Les différencessont un élément moins important par rapport à l’unité qui, aucontraire, est radicale, fondamentale et déterminante.

Le dessein divin, unique et définitif, a son centre en JésusChrist, Dieu et homme «dans lequel les hommes trouvent laplénitude de la vie religieuse et en qui Dieu s’est réconcilié toutes

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choses» (Nostra ætate, 2). Comme il n’y a pas d’homme ou defemme qui ne portent en eux le signe de leur origine divine, demême il n’y a personne qui ne puisse demeurer en dehors et enmarge de l’œuvre de Jésus Christ, «mort pour tous», et donc«sauveur du monde» (cf. Jn 4, 42). «Nous devons en effet retenirque l’Esprit Saint donne à tous, d’une façon que Dieu connaît, lapossibilité d’être associés au mystère pascal» (Gaudium et spes, 22).

Comme on le lit dans la première Epître à Timothée, Dieu «veutque tous les hommes soient sauvés et arrivent à la connaissance dela vérité. Car Dieu est unique, unique aussi est le médiateur entreDieu et les hommes» (2, 4-6).

Ce mystère éclairant de l’unité du genre humain dans sacréation et de l’unité de l’œuvre salvifique du Christ qui porte aveclui la naissance de l’Eglise, comme ministre et instrument, s’estmanifesté clairement à Assise, malgré les différences des profes-sions religieuses, en rien cachées ou atténuées.

A la lumière de ce mystère, les différences de tout genre, et enpremier lieu les différences religieuses, dans la mesure où elles sontréductrices du dessein de Dieu, se révèlent en effet comme appar-tenant à un autre ordre. Si l’ordre de l’unité est celui qui remonte àla création et à la rédemption et s’il est donc, en ce sens, «divin»,ces différences et ces divergences, même religieuses, remontentplutôt à un «fait humain» et doivent être dépassées dans le progrèsvers la réalisation du grandiose dessein d’unité qui préside à lacréation. Il y a certes des différences dans lesquelles se reflètent legénie et les «richesses» spirituelles donnés par Dieu aux nations (cf.Ad gentes, 11). Ce n’est pas à elles que je me réfère. J’entends ici faireallusion aux différences dans lesquelles se manifestent les limites,les évolutions et les chutes de l’esprit humain tenté par l’esprit dumal dans l’histoire (Lumen gentium, 16).

Les hommes peuvent souvent ne pas être conscients de leurunité radicale d’origine, de destin et d’insertion dans le plan mêmede Dieu et, lorsqu’ils professent des religions différentes et

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incompatibles entre elles, ils peuvent même ressentir leursdivisions comme insurmontables. Mais, malgré cela, ils sont inclusdans le grand et unique dessein de Dieu, en Jésus Christ qui «s’estuni d’une certaine manière à tous les hommes» (Gaudium et spes,22), même si ceux-ci n’en sont pas conscients.

Dans ce grand dessein de Dieu sur l’humanité, l’Eglise trouveson identité et sa tâche de «sacrement universel de salut» en étantprécisément «signe et instrument de l’union intime avec Dieu etde l’unité de tout le genre humain» (Lumen gentium, 1). Celasignifie que l’Eglise est appelée à travailler de toutes ses forces(l’évangélisation, la prière, le dialogue) pour que disparaissententre les hommes les fractures et les divisions qui les éloignent deleur principe et fin et qui les rendent hostiles les uns aux autres.Cela signifie aussi que le genre humain tout entier, dans l’infiniecomplexité de son histoire, avec ses cultures différentes, est«appelé à former le nouveau Peuple de Dieu» (Lumen gentium, 13)dans lequel se guérit, se consolident et s’élèvent l’union bénie deDieu avec l’homme et l’unité de la famille humaine: «Tous leshommes sont donc appelés à cette unité catholique du Peuple deDieu qui préfigure et promeut la paix universelle et à laquelleappartiennent sous diverses formes ou sont ordonnés et les fidèlescatholiques et ceux qui, par ailleurs, ont foi dans le Christ, etfinalement tous les hommes sans exception que la grâce de Dieuappelle au salut» (ibid.).

L’unité universelle fondée sur l’événement de la création et de larédemption ne peut pas ne pas laisser une trace dans la vie réelledes hommes, même de ceux qui appartiennent à des religions diffé-rentes. C’est pourquoi le Concile a invité l’Eglise à respecter lessemences du Verbe présentes dans ces religions (Ad gentes, 11) et ilaffirme que tous ceux qui n’ont pas encore reçu l’Evangile sont«ordonnés» à l’unité suprême de l’unique Peuple de Dieu àlaquelle appartiennent déjà par la grâce de Dieu et par le don de lafoi et du baptême tous les chrétiens avec qui les catholiques «quiconservent l’unité de la communion sous le Successeur de Pierre»,

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savent qu’ils «sont unis pour de multiples raisons» (cf. Lumengentium, 15).

C’est précisément la valeur réelle et objective de cette«ordination» à l’unité de l’unique Peuple de Dieu, souventcachée à nos yeux, qui a pu être reconnue dans la Journée d’Assise,et dans la prière avec les représentants chrétiens, c’est la profondecommunion qui existe déjà entre nous dans le Christ et dansl’Esprit, vivante et agissante, même si elle est encore incomplète,qui a eu l’une de ses manifestations particulières.

L’événement d’Assise peut ainsi être considéré comme uneillustration visible, une leçon de choses, une catéchèse intelligible àtous de ce que présuppose et signifie l’engagement œcuménique etpour le dialogue interreligieux recommandé et promu par leConcile Vatican II.

Comme source inspiratrice et comme orientation fondamentalepour un tel engagement, il y a toujours le mystère de l’unité, aussibien celle qui est déjà atteinte dans le Christ par la foi et le baptêmeque celle qui s’exprime dans « l’ordination » au Peuple de Dieu etdonc encore à atteindre pleinement.

Tandis que la première trouve son expression adéquate ettoujours valable dans le Décret Unitatis redintegratio sur l’œcumé-nisme, la seconde se trouve formulée, sur le plan de la relation etdu dialogue interreligieux, dans la Déclaration Nostra ætate, et tousles deux sont à lire dans le contexte de la Constitution Lumengentium.

C’est dans cette seconde dimension, encore assez nouvelle parrapport à la première, que la Journée d’Assise nous fournit deprécieux éléments de réflexion qui se trouvent éclairés par unelecture attentive de la Déclaration en question sur les religions non-chrétiennes.

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Ici aussi on parle de « l’unique communauté» que forment leshommes en ce monde (n° 1), et cette communauté s’expliquecomme le fruit de «l’unique origine» commune, «puisque Dieu afait habiter le genre humain tout entier sur toute la face de la terre»(ibid.) pour qu’il s’achemine vers «une seule fin dernière, Dieu,dont la Providence, les témoignages de bonté et les desseins desalut s’étendent à tous, jusqu’à ce que les élus soient réunis dans laCité sainte que la gloire de Dieu illuminera et où tous les peuplesmarcheront dans sa lumière» (ibid.).

Dans les paragraphes suivants, la Déclaration nous enseigne àapprécier les différentes religions non chrétiennes à l’intérieur dece cadre général où s’enracine notre unité, mais aussi en soulignantles valeurs authentiques qui les caractérisent dans leur effort pourrépondre «aux énigmes obscures de la condition humaine» (ibid.)et en voulant voir dans cet effort «un rayon de la vérité qui illuminetous les hommes» (n° 2). Ainsi «l’Eglise catholique ne rejette rien dece qui est vrai et saint dans ces religions et elle exhorte même sesfils pour que, avec prudence et charité…, tout en témoignant de lafoi et de la vie chrétiennes, ils reconnaissent, préservent et fassentprogresser les valeurs spirituelles, morales et socioculturelles quise trouvent en elles» (ibid.).

Ce faisant, l’Eglise se propose avant tout de reconnaître et derespecter cette «ordination» au Peuple de Dieu dont parle laConstitution Lumen gentium (n° 16) et à laquelle je viens de meréférer. Quand elle agit de cette manière, elle est donc consciente desuivre une indication divine parce que c’est le Créateur etRédempteur qui, dans son dessein d’amour, a disposé cette mysté-rieuse relation entre les hommes et les femmes religieux et l’unitédu Peuple de Dieu.

Il y a avant tout une relation avec le peuple juif, «ce peuple quireçut les alliances et les promesses, et dont le Christ est issu selonla chair» (Lumen gentium, 16), qui nous est uni par un «lien»spirituel (cf. Nostra ætate, 2). Mais il y a également une relation avec«ceux qui reconnaissent le Créateur et, parmi ceux-ci, en premier

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lieu les musulmans qui professent avoir la foi d’Abraham et quiadorent avec nous un Dieu unique, miséricordieux, futur juge deshommes au dernier jour» (Lumen gentium, 16). Et il y a encore unerelation avec ceux qui «cherchent un Dieu inconnu dans les ombreset sous des images» et dont «Dieu lui-même n’est pas loin» (cf.Lumen gentium, 19).

En présentant l’Eglise catholique qui tient par la main ses frèreschrétiens et ceux-ci tous ensemble qui donnent la main aux frèresdes autres religions, la Journée d’Assise a été comme uneexpression visible de ces affirmations du Concile Vatican II. Avecelle et par elle, nous avons réussi, grâce à Dieu, à mettre enpratique, sans aucune ombre de confusion ni de syncrétisme, cetteconviction qui est la nôtre, inculquée par le Concile, sur l’unité deprincipe et de fin de la famille humaine et sur le sens et la valeurdes religions non-chrétiennes.

La Journée ne nous a-t-elle pas enseigné à relire, à notre tour,avec des yeux plus ouverts et plus pénétrants, le riche ensei-gnement conciliaire sur le dessein salvifique de Dieu, le caractèrecentral de ce dessein en Jésus Christ et la profonde unité dont ilpart et vers laquelle il tend à travers la diaconie de l’Eglise? L’Eglisecatholique s’est manifestée à ses fils et au monde dans l’exercice desa fonction de «promouvoir l’unité et la charité entre les hommes,et même entre les peuples» (Nostra ætate, 1).

En ce sens, on doit encore dire que l’identité même de l’Eglisecatholique et la conscience qu’elle a d’elle-même ont été renforcéesà Assise. L’Eglise, en effet, c’est-à-dire nous-mêmes, nous avonsmieux compris, à la lumière de l’événement, quel est le vrai sens dumystère d’unité et de réconciliation que le Seigneur nous a confiéet qu’il a exercé en premier lorsqu’il a offert sa vie «non seulementpour le peuple mais aussi pour réunir les fils de Dieu qui étaientdispersés» (Jn 11, 52).

L’Eglise exerce ce ministère essentiel qui est le sien de diffé-rentes manières: par l’évangélisation, l’administration des

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sacrements et la conduite pastorale par le Successeur de Pierre etles évêques, par le service quotidien des prêtres, des diacres, des religieux et des religieuses, par l’effort et le témoignage desmissionnaires et des catéchistes, par la prière silencieuse des contemplatifs et la souffrance des malades, des pauvres et desopprimés, et par tant de formes de dialogue et de collaboration des chrétiens pour réaliser l’idéal des Béatitudes et promouvoir lesvaleurs du Royaume de Dieu.

L’Eglise a également exercé ce ministère à Assise d’une manièreinédite si l’on veut, mais qui n’est pas moins efficace et moinsengageante pour cela, comme cela a été reconnu par nos hôtes quiont exprimé leur joie et exhorté à continuer sur la routecommencée.

Par ailleurs, comme nous le voyons, la situation du monde encette veille de Noël est en elle-même un appel pressant à retrouveret à maintenir toujours vivant l’esprit d’Assise comme motifd’espérance pour l’avenir.

Là, on a découvert, de manière extraordinaire, la valeurunique qu’a la prière pour la paix et même que l’on ne peutobtenir la paix sans la prière, et la prière de tous, chacun dans sapropre identité et dans la recherche de la vérité. C’est en cela qu’ilfaut voir, à la suite de ce que nous venons de dire, une autremanifestation admirable de cette unité qui nous lie au-delà desdifférences et des divisions de toutes sortes. Toute prière authen-tique se trouve sous l’influence de l’Esprit «qui intercède avecinsistance pour nous car nous ne savons que demander pour priercomme il faut», mais Lui prie en nous «avec des gémissementsinexprimables et Celui qui scrute les cœurs sait quels sont les désirsde l’Esprit» (Rm 8, 26-27). Nous pouvons en effet retenir que touteprière authentique est suscitée par l’Esprit Saint qui est mystérieu-sement présent dans le cœur de tout homme.

C’est ce que l’on a également vu à Assise: l’unité qui provient dufait que tout homme et toute femme sont capables de prier, c’est-à-

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dire de se soumettre totalement à Dieu et de se reconnaître pauvredevant lui. La prière est un des moyens pour réaliser le dessein deDieu parmi les hommes (cf. Ad gentes, 3).

Il a été rendu manifeste de cette manière que le monde ne peutpas donner la paix (cf. Jn 14, 27), mais qu’elle est un don de Dieu etqu’il faut l’obtenir de lui par la prière de tous.

En vous proposant à vous, messieurs les Cardinaux,Archevêques, Evêques et membres de la Curie Romaine, cesréflexions sur l’extraordinaire événement qui s’est déroulé à Assisele 27 octobre dernier, je voudrais avant tout que cela soit une aidepour mieux nous préparer à recevoir encore une fois ce Verbe enqui «toutes choses ont été créées» (cf. Jn 1, 3) et par qui tous leshommes sont appelés à «avoir la vie et à l’avoir en abondance»(Jn 10, 10), ce Verbe divin qui «a voulu habiter parmi nous» (cf. Jn 1,14) et qui, par sa venue, sa mort et sa résurrection a voulu «récapi-tuler en lui toutes choses, celles du ciel et celles de la terre» (cf. He1, 10).

A lui qui, «par l’Incarnation s’est uni d’une certaine manière àtout homme» (Gaudium et spes, 22), je voudrais encore confier lasuite à donner à la Journée d’Assise et aux engagements que, dansce but, tous, dans l’Eglise, nous devrons assumer ou que noussommes déjà en train d’assumer pour répondre à la vocationfondamentale de l’Eglise parmi les hommes qui est d’être«sacrement de rédemption universelle» et «germe incorruptibled’unité et d’espérance pour toute l’humanité» (Lumen gentium, 9).

Je suis certain que vous tous, collaborateurs de la CurieRomaine, vous êtes profondément conscients de cette mission. Jevous remercie de tout cela et aussi pour l’aide irremplaçable quevous m’offrez, jour après jour, dans le service de l’Eglise univer-selle, avec les représentants pontificaux dans les différents pays dumonde.

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Et tandis que je présente à tous mes vœux les plus fervents deNoël, je voudrais renouveler l’expression de ma reconnaissance àtous ceux qui, acceptant mon invitation, non sans difficultés etincommodités, nous ont, par leur exemple, poussés non seulementà rendre témoignage devant le monde de l’engagement communpour la paix, mais aussi à réfléchir sur le mystère de l’œuvre deDieu dans le monde, à laquelle nous voulons tous collaborer etdont nous nous apprêtons à célébrer dans la nuit de Noël, sous leregard maternel de Marie, le sommet dans la plénitude des temps.

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Interview de Mgr Michel Sabbah, patriarche latin de Jérusalem, réalisée parChristian Salenson.

ENTRETIEN AVEC MGR SABBAH

Le 24 décembre 1995, le patriarche latin de Jérusalem, S.B. Michel Sabbah, aaccepté de répondre à quelques questions sur l’événement d’Assise et sur l’espritd’Assise pour Chemins de Dialogue. Il avait déjà accepté de participer le 14 avril1994 à Marseille à une rencontre organisée par l’I.S.T.R. de Marseille sur «religionet violence» avec Dalil Boubakeur, recteur de la mosquée de Paris, Jean-MarcChouraqui, directeur de l’Institut d’étude et de culture juive d’Aix-en-Provence, etJean Comby, de l’Université catholique de Lyon, conférences que la revue apubliées dans son numéro 4 (pages 107 à 160). Cette rencontre prend un reliefparticulier dans le contexte d’évacuation des territoires occupés. Elle intervient lelendemain de l’évacuation de Bethléem et la veille de Noël. Michel Sabbah acélébré le lendemain la messe de minuit à Bethléem, dans la basilique de lanativité, en présence de Yasser Arafat et de son épouse. La joie des palestiniens deBethléem n’avait d’égale que l’espérance que le processus de paix qui est engagépuisse aller à son terme et que s’établisse une paix durable.

Christian Salenson: Père, nous allons fêter dans l’année qui vient l’anniversaire de la

rencontre d’Assise. Comment, il y a dix ans, a été ressenti l’événementd’Assise dans ce pays où cohabitent les trois grands monothéismes et àJérusalem où ces trois religions ont leurs lieux saints?

Mgr Michel Sabbah: Cet événement a été ressenti comme un événement nouveau dans la

région. La nouveauté réside dans le fait que le Saint Père fasse appel àtoutes les religions du monde afin que nous vivions le pluralismereligieux. Ici toutes les religions ne sont pas représentées mais les troisgrands monothéismes.

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Pour nous ce fut une impulsion, un modèle pour agir en ce sens.Quand on œuvre dans ce sens, parfois on obtient une réponse ou undébut de réponse, pas toujours cependant. Mais ce sera une semence jetéequi fera son travail selon le mystère de la grâce de Dieu.

Christian Salenson: Cet événement a eu des répercussions. On a pu parler depuis d’un

esprit d’Assise. Qu’en est-il ici, eu égard au contexte politique particulierdans la région?

Mgr Michel Sabbah: Cet événement fut assurément une poussée, une impulsion pour vivre

dans l’esprit d’Assise. Ici nous étions en conflit politique en plus de ladiversité des religions. Aussi, au sein de ces conflits, se rencontrer, c’estsouvent vivre des rencontres limitées, personnelles. Mais elles se viventau sein de la société comme par exemple dans le mouvement pour la paixavec des juifs. Chez les palestiniens, des prêtres travaillent dans desgroupes, dans des communautés religieuses de Jérusalem, avec des laïcs.Ces rencontres encore limitées ont plutôt un caractère prophétique.

Le dialogue interreligieux n’est pas encore facile. Il y a maintenant desrencontres plus fréquentes que durant le conflit, mais des rencontres àdeux: chrétiens- musulmans; chrétiens-juifs. Il n’y a pas encore derencontres à trois: chrétiens, juifs, musulmans. Il y a eu quelques essaismais en dehors du pays, pas encore ici, même avec les responsablesreligieux. Nous ne sommes pas encore prêts. Le conflit politique n’est pasencore tout à fait résolu. Le but à atteindre serait une rencontre à troismais de responsables qui représenteraient vraiment les croyants desdiverses religions. A la base, ce serait possible maintenant et c’est à faire.Désormais c’est abordable. Au niveau politique, c’est maintenantpossible. Au niveau religieux, prier ensemble reste encore difficile. Prier,d’accord, prier pour un même but, mais encore chacun chez soi.

Christian Salenson: Quelle est la place des chrétiens dans ce dialogue?

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Mgr Michel Sabbah: La place des chrétiens est une place charnière. Ce sont eux qui

appellent au dialogue. Les autres religions restent encore des invités, maiscela est vrai même en Europe. Nous avons un rôle important et, malgréles difficultés, il nous faut aller toujours de l’avant. La première phaseconsiste à se rencontrer, à découvrir qu’on peut se parler, à découvrirqu’on n’est pas ennemis parce que la religion est différente.

Christian Salenson: Dans ce pays ou il y a un tel brassage de religions et de cultures, on

peut penser que ces rencontres existent déjà dans la vie…

Mgr Michel Sabbah: C’est un défi pour les chrétiens. Dans tous les domaines de la vie, pour

la science, pour la paix, pour travailler à des valeurs chrétiennes, tout lemonde se rencontre. Mais il y a un défi pour ceux qui croient. Pourquoiles religions n’arrivent-elles pas à se rencontrer? Elles sont toutes pourDieu, pour aimer Dieu et toutes pour aimer cette terre, pourquoi ne pas serencontrer? Il y a certes des questions dogmatiques, des questions decroyances différentes, mais il y a collaboration dans le domaine social etpolitique. Dès lors, pourquoi ne pas se rencontrer dans le domainereligieux?

Christian Salenson: Pensez-vous que les événements politiques actuels peuvent favoriser

une avancée commune vers un plus grand dialogue?

Mgr Michel Sabbah: Oui parce que religion et politique ici sont inséparables. S’il y a conflit

politique, rien n’est possible au plan religieux. La situation politiques’améliore par un dialogue pour la paix, c’est une invitation.

Entretien avec Mgr Sabbah

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Christian Salenson: La paix passe par la résolution des conflits. Pour nous chrétiens elle est

aussi la paix du cœur que le Christ apporte et qui est la source de toutesles formes de paix. Quelle est la place des religions pour établir la paix?

Mgr Michel Sabbah: Les responsables politiques ont pris les devants. Il y a eu des traités

pour une paix durable mais les gens ne sont pas prêts à accueillir la paix.Il y a de la haine dans les cœurs à cause de l’affrontement depuis bientôtcent ans. La haine est difficile à enlever des cœurs, difficile à convertir enamour. Maintenant le rôle des religions est de convertir les cœurs et depréparer les cœurs à une nouvelle situation. L’autre n’est pas un ennemimais un frère avec lequel il faut construire. Ce rôle est celui de toutes lesreligions.

Christian Salenson: Les responsables religieux en sont-ils conscients?

Mgr Michel Sabbah: Il y en a, mais pas tous… Certains représentants religieux sentent leur

responsabilité d’ouvrir et d’engager ce dialogue de la paix mais on n’estpas encore tout à fait sorti du conflit. On n’est pas convaincu de la paix.La psychologie de la guerre a créé de profondes inimitiés. Mais certainsresponsables sont prêts et il y a là un signe d’espérance.

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II

Textes de référence pour le dialogue interreligieux

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Dennis Gira

PRÉSENTATION

A notre époque, où le genre humain devient de jour en jour plusétroitement uni et où les relations entre les divers peuplesaugmentent, l’Eglise examine plus attentivement quelles sont sesrelations avec les religions non-chrétiennes. Dans sa tâche depromouvoir l’unité et la charité entre les hommes, et même entreles peuples, elle examine ici d’abord ce que les hommes ont encommun et qui les pousse à vivre ensemble leur destinée (Nostraætate, 1).

Ce premier paragraphe de la Déclaration sur les relations del’Eglise avec les religions non-chrétiennes reflète parfaitement laconviction des Pères du Concile Vatican II, à savoir que «la commu-nauté chrétienne se reconnaît réellement et intimement solidairedu genre humain et de son histoire» (Gaudium et spes, 1). Dans cedocument, en effet, les Pères invitent tous les chrétiens à réfléchir àla composante religieuse de cette solidarité si évidente à tous lesautres niveaux de la vie (économique, politique, social, etc.).

Or, si l’homme d’aujourd’hui a pris conscience de cettesolidarité, c’est sans doute parce qu’il sait qu’il vit sur la mêmeplanète que tous ses contemporains, laquelle, depuis déjà quelquesdécennies, semble rétrécir à chaque avance technologique. Despeuples et des nations qui s’ignoraient jusqu’alors sont devenusvoisins. Là où ce «voisinage» a été mal vécu, on rêve souvent d’unesimple coexistence pacifique. Mais les Pères du Concile ont, pourleur part, toujours su que la simple coexistence ne suffirait jamais àcombler les aspirations de l’homme. Puisant aux sources quiétaient les leurs, ils ont proposé à tous de s’engager plutôt dans ledialogue avec le monde et avec les religions du monde car cela seul

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pouvait être un véritable signe de respect pour tous. Paul VId’ailleurs avait déjà parlé de l’importance du dialogue dans l’ency-clique Ecclesiam suam (août 1964) (voir encadré pages 62 et 63). Celaa été le commencement d’un engagement durable de l’Eglise danscet exercice qui visait à créer ou recréer des liens avec le monde,avec les autres religions, avec les autres Eglises chrétiennes et entreles divers courants de pensée à l’intérieur de l’Église catholique.

L’apprentissage du dialogue a été long et dans un premiertemps il a été réservé en grande partie à des spécialistes et à desresponsables de l’Eglise. L’engagement dans le dialogue interreli-gieux posait des problèmes particulièrement difficiles. Commentconcilier cette attitude, en effet, avec l’engagement ecclésial dans lamission ad gentes? Le Synode des évêques sur l’évangélisation, en1974, n’a pas vraiment abordé cette question et seul un paragraphede l’Exortation apostolique Evangelii nuntiandi (publiée après leSynode) mentionne la rencontre avec les autres religions. Etpourtant, des Eglises locales à travers le monde se sont lancéesdans le dialogue et ce sont elles qui, pendant les deux décenniessuivant le Concile, ont élaboré les documents les plus importantsconcernant cette expérience.

Ce n’est qu’en 1984 que Rome a traité directement de la manièredont l’Eglise devrait vivre ces deux engagements. Le Secrétariatpour les non-chrétiens (voir encadré page 67) a publié alorsAttitudes de l’Eglise catholique devant les croyants des autres religions :réflexions et orientations concernant le dialogue et la mission. Cedocument, rendu public à la Pentecôte, a tour à tour donné desorientations sur la mission, sur le dialogue et sur le dialogue et lamission. C’est dans Attitudes que l’Eglise propose une typologie dudialogue qui montre comment chaque chrétien peut s’y engagerselon ses compétences et ses qualités propres.

Deux ans plus tard, en octobre 1986, le Pape Jean-Paul II a prisl’initiative d’inviter les religions du monde entier à participer à lajournée mondiale de prière pour la paix à Assise. Avec ce geste, lePape a confirmé de manière frappante l’engagement de l’Eglise

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catholique dans le dialogue (voir les documents dans la premièrepartie de ce numéro, pages 13 à 44).

Les principes anthropologiques et théologiques élaborés dans ledocument du Secrétariat pour les non-chrétiens montrent quel’engagement dans le dialogue et la mission s’enracine dans la vietrinitaire et découle de l’être-chrétien. En 1991 les deux dicastèresresponsables du dialogue interreligieux et de la mission (le Conseilpontifical pour le dialogue interreligieux [voir encadré page 67] etla Congrégation pour l’évangélisation des peuples) ont élaboréconjointement le document Dialogue et annonce. Ce nouveaudocument, qui souligne que le dialogue et l’annonce constituent lesdeux aspects de la mission dont chacun a sa propre valeur, a étépublié peu de temps après Redemptoris missio, l’encyclique du PapeJean-Paul II où celui-ci aborde à plusieurs reprises le rôle dudialogue dans la mission (voir encadré pages 133 à 136).

Pour «fêter» le dixième anniversaire de l’événement d’Assise,Chemins de Dialogue publie les textes intégraux de Nostra ætate,Attitudes de l’Eglise catholique devant les croyants des autres religions :réflexions et orientations concernant le dialogue et la mission, et Dialogueet annonce. Nous espérons ainsi fournir les textes de référencesnécessaires à toute réflexion sur le dialogue interreligieux1. Lesencadrés qui accompagnent les documents présentent des extraitsd’autres documents importants concernant le même sujet.

Présentation

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1. Pour une analyse du contenu des textes principaux de l’Église sur le dialogueinterreligieux et la mission, voir : Christophe Roucou, « Évolution de la penséerécente de l’Église catholique sur la rencontre des religions », Documentsépiscopat, n° 2, janvier 1994.

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NOSTRA ÆTATEDéclaration sur les relations de l’Eglise

avec les religions non-chrétiennes

Le texte de ce document a été discuté au cours de la troisième session du Concile(du 28 au 30 septembre 1964 – voir la Documentation catholique, 1964, n° 1435,col. 1379-1393). Le 20 novembre, il faisait l’objet d’un premier vote et étaitapprouvé par 1651 placet contre 99 non placet et 242 placet juxta modum. Ce texte aprovoqué par la suite des remous dans les pays arabes (voir DC 1965, n° 1442,col. 313-316). Après avoir été remanié, le texte a été soumis de nouveau aux votesdes Pères les 14 et 15 octobre 1965. Il a été approuvé dans sa totalité le 15 octobrepar 1763 placet contre 250 non placet. Avant d’être promulgué, au cours de la séancepublique de 28 octobre, il a fait l’objet d’un dernier vote : 2221 placet, 88 non placet,2 placet juxta modum et 1 nul. (Voir DC 1965, n° 1458, col. 1825).

Préambule

1 A notre époque, où le genre humain devient de jour en jourplus étroitement uni et où les relations entre les divers peuples

augmentent, l’Eglise examine plus attentivement quelles sont sesrelations avec les religions non-chrétiennes. Dans sa tâche depromouvoir l’unité et la charité entre les hommes, et même entreles peuples, elle examine ici d’abord ce que les hommes ont encommun et qui les pousse à vivre ensemble leur destinée.

Tous les peuples forment, en effet, une seule communauté; ilsont une seule origine, puisque Dieu a fait habiter toute la race

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humaine sur la face de la terre1; ils ont aussi une seule fin dernière,Dieu, dont la providence, les témoignages de bonté et les desseinsde salut s’étendent à tous2, jusqu’à ce que les élus soient réunisdans la cité sainte, que la gloire de Dieu illuminera, et où tous lespeuples marcheront à sa lumière3.

Les hommes attendent des diverses religions la réponse auxénigmes cachées de la condition humaine, qui, hier comme aujour-d’hui, troublent profondément le cœur humain: Qu’est-ce quel’homme? Quel est le sens et le but de la vie? Qu’est-ce que le bienet qu’est-ce que le péché? Quels sont l’origine et le but de lasouffrance? Quelle est la voie pour parvenir au vrai bonheur?Qu’est-ce que la mort, le jugement et la rétribution après la mort?Qu’est-ce enfin que le mystère dernier et ineffable qui entourenotre existence, d’où nous tirons notre origine et vers lequel noustendons?

Les diverses religions non-chrétiennes

2 Depuis les temps les plus reculésjusqu’à aujourd’hui, on trouve

dans les différents peuples unecertaine sensibilité à cette force cachée qui est présente au cours deschoses et aux événements de la vie humaine, parfois même unereconnaissance de la Divinité suprême, ou encore du Père. Cettesensibilité et cette connaissance pénètrent leur vie d’un profondsens religieux. Quant aux religions liées au progrès de la culture,elles s’efforcent de répondre aux mêmes questions par des notionsplus affinées et par un langage plus élaboré. Ainsi, dans

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1. Cf. Ac 17, 26.2. Cf. Sg 8, 1; Ac 14, 17; Rm 2, 6-7; 1 Tm 2, 4.3. Cf. Ap 21, 23 s.

Pour une présentation desdifférentes religions évoquéesdans ce texte, voir l’article deDennis Gira dans ce numéropages 145 à 166.

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l’hindouisme, les hommes scrutent le mystère divin et l’exprimentpar la fécondité inépuisable des mythes et par les efforts pénétrantsde la philosophie; ils cherchent la libération des angoisses de notrecondition, soit par les formes de la vie ascétique, soit par laméditation profonde, soit par le refuge en Dieu avec amour etconfiance. Dans le bouddhisme, selon ses formes variées, l’insuffi-sance radicale de ce monde changeant est reconnue et on enseigneune voie par laquelle les hommes, avec un cœur dévot et confiant,pourront acquérir l’état de libération parfaite, soit atteindre l’illu-mination suprême par leurs propres efforts ou par un secours venud’en-haut. De même aussi, les autres religions qu’on trouve de parle monde s’efforcent d’aller, de façons diverses, au-devant del’inquiétude du cœur humain en proposant des voies, c’est-à-diredes doctrines, des règles de vie et des rites sacrés.

L’Eglise catholique ne rejette rien de ce qui est vrai et saint dansces religions. Elle considère avec un respect sincère ces manièresd’agir et de vivre, ces règles et ces doctrines qui, quoiqu’ellesdiffèrent en beaucoup de points de ce qu’elle-même tient etpropose, cependant apportent souvent un rayon de la vérité quiillumine tous les hommes. Toutefois, elle annonce, et elle est tenued’annoncer sans cesse le Christ qui est «la voie, la vérité et la vie»(Jn 14,6), dans lequel les hommes doivent trouver la plénitude dela vie religieuse et dans lequel Dieu s’est réconcilié toutes choses4.

Elle exhorte donc ses fils pour que, avec prudence et charité, parle dialogue et par la collaboration avec ceux qui suivent d’autresreligions, et tout en témoignant de la foi et de la vie chrétiennes, ilsreconnaissent, préservent et fassent progresser les valeurs spiri-tuelles, morales et socioculturelles qui se trouvent en eux.

Nostra ætate

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4. Cf. 2 Co 5, 18-19.

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La religion musulmane

3 L’Eglise regarde aussi avec estime les musulmans, qui adorentle Dieu un, vivant et subsistant, miséricordieux et tout-

puissant, créateur du ciel et de la terre5, qui a parlé aux hommes. Ilscherchent à se soumettre de toute leur âme aux décrets de Dieu,même s’ils sont cachés, comme s’est soumis à Dieu Abraham,auquel la foi islamique se réfère volontiers. Bien qu’ils ne recon-naissent pas Jésus comme Dieu, ils le vénèrent comme prophète; ilshonorent sa Mère virginale, Marie, et parfois même l’invoquentavec piété. De plus, ils attendent le jour du jugement où Dieu rétri-buera tous les hommes ressuscités. Aussi ont-ils en estime la viemorale et rendent-ils un culte à Dieu, surtout par la prière,l’aumône et le jeûne.

Si, au cours des siècles, de nombreuses dissensions et inimitiésse sont manifestées entre les chrétiens et les musulmans, le Concileles exhorte à oublier le passé et à s’efforcer sincèrement à lacompréhension mutuelle, ainsi qu’à protéger et à promouvoirensemble, pour tous les hommes, la justice sociale, les valeursmorales, la paix et la liberté.

La religion juive

4 Scrutant le mystère de l’Eglise, le Concile rappelle le lien quirelie spirituellement le peuple du Nouveau Testament avec la

lignée d’Abraham.

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5. Cf. saint Grégoire VII, Epist. 21 ad Anzir (Nacir), regem Mauritaniae: éd.Caspar in MGH Ep. sel. II, 1920, I, p. 288, 11-15; PL 148, 450 s.

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L’Eglise du Christ, en effet, reconnaît que les prémices de sa foiet de son élection se trouvent, selon le mystère divin du salut, dansles patriarches, Moïse et les prophètes. Elle confesse que tous lesfidèles du Christ, fils d’Abraham selon la foi6, sont inclus dans lavocation de ce patriarche et que le salut de l’Eglise est mystérieu-sement préfiguré dans la sortie du peuple élu hors de la terre deservitude. C’est pourquoi l’Eglise ne peut oublier qu’elle a reçu larévélation de l’Ancien Testament par ce peuple avec lequel Dieu,dans sa miséricorde indicible, a daigné conclure l’antique Alliance,et qu’elle se nourrit de la racine de l’olivier franc sur lequel ont étégreffés les rameaux de l’olivier sauvage que sont les gentils7.L’Eglise croit, en effet, que le Christ, notre paix, a réconcilié les Juifset les Gentils par sa croix et en lui-même, des deux, a fait un seul8.

L’Eglise a toujours devant les yeux les paroles de l’apôtre Paulsur ceux de sa race «à qui appartiennent l’adoption filiale, la gloire,les alliances, la législation, le culte, les promesses et les patriarches,

Nostra ætate

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6. Cf. Ga 3, 7.7. Cf. Rm 11, 17-24.8. Cf. Ep 2, 14-16.

Les milieux du Vatican ont confirmé le 7 septembre l’existence et l’authen-ticité d’une prière composée par Jean XXIII quelques jours seulement avant samort et dans laquelle le Pape demande pardon à Dieu pour toutes lessouffrances que l’Eglise catholique a fait subir aux juifs.

L’existence de cette prière qui, selon les intentions de son auteur, aurait dûêtre récitée dans toutes les églises, avait été annoncée récemment au cours d’uneconférence à Chicago par Mgr John S. Quinn, qui fut un des experts du Concile.

Le texte de la prière de Jean XXIII qui a été rendue publique, est le suivant:«Nous sommes aujourd’hui conscients qu’au cours de beaucoup, beaucoup desiècles, nos yeux étaient si aveugles que nous n’étions plus capables de voirencore la beauté de ton peuple élu ni de reconnaître dans le visage les traits denos frères privilégiés. Nous comprenons que le signe de Caïn soit inscrit surnotre front. Au cours des siècles, notre frère était couché ensanglanté et en pleurspar notre faute, parce que nous avions oublié ton amour. Pardonne-nous lamalédiction que nous avions injustement attribuée à leur nom de juif. Pardonne-nous de t’avoir crucifié une deuxième fois en eux dans leur chair, parce que nousne savions pas ce que nous faisions».

(La liberté, Frifourg, 9 septembre 1966).

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La conférence de Seelisberg

Pour lutter contre de fausses interprétations de l’Evangile qui pourraientencourager le mépris ou la haine du peuple juif, une conférence de 60 partici-pants catholiques, protestants et juifs, tenue à Seelisberg (Suisse) en 1947, aadopté les dix points suivants comme guide de la prédication et de l’ensei-gnement chrétien (cf. Vatican II, Les relations de l’Eglise avec les religions non-chrétiennes, Cerf, «Unam Sanctam» n° 61, 1966, pp. 310-311).

1. Rappeler que c’est le même Dieu vivant qui nous parle à tous, dans l’Anciencomme dans le Nouveau Testament.

2. Rappeler que Jésus est né d’une mère juive, de la race de David et du peupled’Israël, et que son amour éternel et son pardon embrassent son proprepeuple et le monde entier.

3. Rappeler que les premiers disciples, les Apôtres et les premiers martyrsétaient juifs.

4. Rappeler que le précepte fondamental du christianisme, celui de l’amour deDieu et du prochain, promulgué déjà dans l’Ancien Testament et confirmépar Jésus, oblige chrétiens et juifs dans toutes les relations humaines sansexception.

5. Eviter de rabaisser le judaïsme biblique ou post-biblique dans le but d’exalterle christianisme.

6. Eviter d’user du mot «juifs» au sens exclusif de «ennemis de Jésus», ou de lalocution «ennemis de Jésus» pour désigner le peuple juif tout entier.

7. Eviter de présenter la Passion de telle manière que l’odieux de la mise à mortde Jésus retombe sur tous les juifs ou sur les juifs seuls. En effet, ce ne sontpas tous les juifs qui ont réclamé la mort de Jésus. Ce ne sont pas les juifsseuls qui en sont responsables, car la Croix qui nous sauve tous révèle quec’est à cause de nos péchés que le Christ est mort (rappeler à tous les parentset éducateurs la grave responsabilité qu’ils encourent du fait de présenterl’Evangile et surtout le récit de la Passion d’une manière simpliste). En effet,ils risquent par là d’inspirer, qu’ils le veuillent ou non, de l’aversion dans laconscience ou le subconscient de leurs enfants ou auditeurs.Psychologiquement parlant, chez des âmes simples, mues par un amourardent et une vive compassion pour le Sauveur crucifié, l’horreur qu’ilséprouvent tout naturellement envers les persécuteurs de Jésus tournerafacilement en une haine généralisée des juifs de tous les temps, y comprisceux d’aujourd’hui.

8. Eviter de rapporter les malédictions scripturaires et le cri d’une foule excitée:«que son sang retombe sur nous et sur nos enfants», sans rappeler que ce crine saurait prévaloir contre la prière infiniment plus puissante de Jésus: «Père,pardonne-leur, car ils ne savent pas ce qu’ils font».

9. Eviter d’accréditer l’opinion impie que le peuple juif est réprouvé, maudit,réservé pour une destinée de souffrance.

10. Eviter de parler des juifs comme s’ils n’avaient pas été les premiers à être del’Eglise.

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et de qui est né, selon la chair, le Christ» (Rm 9, 4-5), le Fils de laVierge Marie. Elle rappelle aussi que les apôtres, fondements etcolonnes de l’Eglise, sont nés du peuple juif, ainsi qu’un grandnombre des premiers disciples qui annoncèrent au mondel’Evangile du Christ.

Au témoignage de l’Ecriture Sainte, Jérusalem n’a pas reconnule temps où elle fut visitée9; les juifs, en grande partie, n’acceptèrentpas l’Evangile, et même nombreux furent ceux qui s’opposèrent àsa diffusion10. Néanmoins, selon l’Apôtre, les juifs restent encore, àcause de leurs pères, très chers à Dieu, dont les dons et l’appel sontsans repentance11. Avec les prophètes et le même Apôtre, l’Egliseattend le jour, connu de Dieu seul, où tous les peuples invoquerontle Seigneur d’une seule voix et «le serviront sous un même joug»(So 3, 9)12.

Du fait d’un si grand patrimoine spirituel, commun auxchrétiens et aux juifs, le Concile veut encourager et recommanderentre eux la connaissance et l’estime mutuelles, qui naîtront surtoutd’études bibliques et théologiques ainsi que d’un dialoguefraternel.

Encore que des autorités juives, avec leurs partisans, aientpoussé à la mort du Christ13, ce qui a été commis durant sa Passionne peut être imputé ni indistinctement à tous les juifs vivant alors,ni aux juifs de notre temps. S’il est vrai que l’Eglise est le nouveaupeuple de Dieu, les juifs ne doivent pas, pour autant, être présentéscomme réprouvés par Dieu ni maudits, comme si cela découlait dela Sainte Ecriture. Que tous donc aient soin, dans la catéchèse et laprédication de la parole de Dieu, de n’enseigner quoi que ce soitqui ne soit conforme à la vérité de l’Evangile et à l’esprit du Christ.

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9. Cf. Lc 19, 44.10. Cf. Rm 11, 28.11. Cf. Rm 11, 28-29 - cf. Lumen gentium, 16.12. Cf. Is 66, 23; Ps 65, 4; Rm 11, 11-32.13. Cf. Jn 19, 6.

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En outre, l’Eglise, qui réprouve toutes les persécutions contretous les hommes quels qu’ils soient, ne pouvant oublier le patri-moine qu’elle a en commun avec les juifs, et poussée non pas pardes motifs politiques mais par la charité religieuse de l’Evangile,déplore les haines, les persécutions et toutes les manifestationsd’antisémitisme, qui, quels que soient leur époque et leurs auteurs,ont été dirigées contre les juifs.

D’ailleurs, comme l’Eglise l’a toujours tenu et comme elle letient, le Christ, en vertu de son immense amour, s’est soumisvolontairement à la Passion et à la mort à cause des péchés de tousles hommes et pour que tous les hommes obtiennent le salut. Ledevoir de l’Eglise, dans sa prédication, est donc d’annoncer la croixdu Christ comme signe de l’amour universel de Dieu et commesource de toute grâce.

La fraternité universelle excluant toute discrimination

5 Nous ne pouvons invoquer Dieu, Père de tous les hommes, sinous refusons de nous conduire fraternellement envers

certains des hommes créés à l’image de Dieu. La relation del’homme à Dieu le Père et la relation de l’homme à ses frèreshumains sont tellement liées que l’Ecriture dit: «Qui n’aime pas neconnaît pas Dieu» (1 Jn 4, 8).

Par là est sapé le fondement de toute théorie ou de toutepratique qui introduit entre homme et homme, entre peuple etpeuple, une discrimination en ce qui concerne la dignité humaineet les droits qui en découlent.

L’Eglise réprouve donc, en tant que contraire à l’esprit duChrist, toute discrimination ou vexation opérée envers des

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hommes en raison de leur race, de leur couleur, de leur classe ou deleur religion. En conséquence, le Concile, suivant les traces dessaints apôtres Pierre et Paul, adjure ardemment les fidèles duChrist «d’avoir au milieu des nations une belle conduite» (1 P 2,12), et, si c’est possible, de vivre en paix, pour autant qu’il dépendd’eux, avec tous les hommes14, de manière à être vraiment les filsdu Père qui est dans les cieux15.

Tout l’ensemble et chacun des points qui ont été édictés dans cettedéclaration ont plu aux Pères du Concile. Et Nous, en vertu du pouvoirapostolique que Nous tenons du Christ, en union avec les vénérablesPères, Nous les approuvons, arrêtons et décrétons dans le Saint-Esprit, etNous ordonnons que ce qui a été ainsi établi en Concile soit promulguépour la gloire de Dieu.

Rome, à Saint-Pierre, le 28 Octobre 1965.Moi, Paul, évêque de l’Eglise catholique (suivent les signatures des Pères).

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14. Cf. Rm 12, 18.15. Cf. Mt 5, 45.

Paul VI à Bombay

Du 2 au 5 décembre 1964, Paul VI se rendit à Bombay, au 38ème Congrèseucharistique. S’adressant, le jeudi 3 décembre, aux représentants des religionsnon-chrétiennes, il s’exprima en ces termes:

«Dans cette compréhension et cette amitié mutuelles, dans cette communion sacrée,nous devons également commencer à œuvrer ensemble pour édifier l’avenir commun del’humanité. Nous devons trouver des moyens concrets et pratiques d’organisation et decoopération, de sorte que toutes les ressources soient mises en commun et que tous lesefforts soient unis en vue de réaliser une véritable communion entre toutes les nations.Une telle union ne peut être édifiée sur la terreur universelle ou la peur de destructionmutuelle. Elle doit être édifiée sur l’amour commun qui s’étend au monde entier ets’enracine en Dieu qui est amour» (cf.: Documentation catholique n° 1439, c. 57).

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Ecclesiam suam

Le 6 août 1964, Paul VI publie sa première lettre encyclique, «Ecclesiamsuam», dans laquelle il développe longuement le thème du dialogue (collo-quium) qui, pour la première fois, apparaît dans un texte officiel de l’Eglise. Ils’agit pour Paul VI, de son «encyclique-programme» marquant les grandeslignes de l’esprit de son pontificat. Le ton en est donné dès les premières lignes:«L’Eglise du Christ a été voulue par son Fondateur comme mère aimante de tousles hommes et dispensatrice du salut» (n° 1). Puis l’encyclique s’organise en troisparties, qui s’accordent aux objectifs généraux du Concile: (I) la conscience de soide l’Eglise, la réflexion et la méditation sur son mystère; (II) son renouvellementet sa réforme, pour être fidèle à sa mission; (III) le dialogue entre l’Eglise et lemonde moderne1.

Paul VI donne une définition du dialogue en le rattachant à l’activitémissionnaire de l’Eglise:

«Le devoir lié par la nature au patrimoine reçu du Christ, c’est de répandre ce trésor,c’est de l’offrir, c’est de l’annoncer. (…) A propos de cette impulsion intérieure de charitéqui tend à se traduire en un don extérieur, Nous emploierons le nom, devenu aujourd’huiusuel, de dialogue» (n° 66).

Et le Pape de décrire la charte de l’Eglise: «L’Eglise doit entrer en dialogue avec le monde dans lequel elle vit. L’Eglise se fait

parole; l’Eglise se fait message; l’Eglise se fait conversation» (n° 67).

Plus loin, Paul VI donne le fondement théologique du dialogue: «Dans notre esprit sont profondément gravées les paroles du Christ que,

humblement, mais sans démission, Nous voudrions Nous approprier: “Dieu n’a pasenvoyé son Fils dans le monde pour condamner le monde, mais pour que le monde soitsauvé par lui” (Jn. 3, 17). Voilà, vénérables frères, l’origine transcendante du dialogue.Elle se trouve dans l’intention même de Dieu. La religion est de sa nature un rapportentre Dieu et l’homme. La prière exprime en dialogue ce rapport. La Révélation, qui estla relation surnaturelle que Dieu lui-même a pris l’initiative d’instaurer avecl’humanité, peut être représentée comme un dialogue dans lequel le Verbe de Dieus’exprime par l’Incarnation, et ensuite par l’Evangile» (n° 71-72)2.

Puis Paul VI en vient aux applications pastorales: «Dans le dialogue, on découvre combien sont divers les chemins qui conduisent à la

lumière de la foi et comment il est possible de les faire converger à cette fin (n° 86). (…)On ne sauve pas le monde du dehors; il faut, comme le Verbe de Dieu qui s’est faithomme, assimiler, en une certaine mesure, les formes de vie de ceux à qui on veut porterle message du Christ. (…) Le climat du dialogue, c’est l’amitié. Bien mieux, c’est leservice. (n° 90)».

1. On trouvera une présentation de l’encyclique dans Chemins de dialogue n° 4(septembre 1994), par Jean Chelini et Maurice Vidal.

2. Ce thème sera repris dans Dialogue et annonce, 1991, n°38 et 39.

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Précisant ensuite les différents types de dialogue que l’Eglise est invitée àproposer aujourd’hui, le Pape distingue quatre cercles concentriques, encommençant par celui qui est le plus éloigné (l’ensemble de l’humanité etl’univers), puis en passant par un second (les fidèles des autres religions):

«Puis, autour de nous, nous voyons aussi se dessiner un autre cercle immense, luiaussi, mais moins éloigné de nous: c’est avant tout celui des hommes qui adorent le Dieuunique et souverain, celui que nous adorons nous aussi ; nous faisons allusion aux fils,dignes de notre affectueux respect, du peuple hébreu, fidèles à la religion que nousnommons de l’Ancien Testament; puis aux adorateurs de Dieu selon la conception de lareligion monothéiste, musulmane en particulier, qui méritent admiration pour ce qu’il ya de vrai et de bon dans leur culte de Dieu; et puis encore aux fidèles des grandesreligions afro-asiatiques. Nous ne pouvons évidemment partager ces différentes expres-sions religieuses, ni ne pouvons demeurer indifférent, comme si elles s’équivalaienttoutes, chacune à sa manière, et comme si elles dispensaient leurs fidèles de chercher siDieu lui-même n’a pas révélé la forme exempte d’erreur, parfaite et définitive, souslaquelle il veut être connu, aimé et servi; au contraire, par devoir de loyauté, nous devonsmanifester notre conviction que la vraie religion est unique et que c’est la religionchrétienne, en nourrissant l’espoir de la voir reconnue comme telle par tous ceux quicherchent et adorent Dieu.

Mais nous ne voulons pas refuser de reconnaître avec respect les valeurs spirituelleset morales des différentes confessions religieuses non-chrétiennes ; nous voulons avecelles promouvoir et défendre les idéaux que nous pouvons avoir en commun dans ledomaine de la liberté religieuse, de la fraternité humaine, de la saine culture, de labienfaisance sociale et de l’ordre civil. Au sujet de ces idéaux communs, un dialogue denotre part est possible et nous ne manquerons pas de l’offrir là où, dans un respectréciproque et loyal, il sera accepté avec bienveillance» (n° 111-112).

Suit un troisième cercle (les autres chrétiens, frères séparés) et enfin undernier (le dialogue à l’intérieur même de l’Eglise).

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Secrétariat pour les non-chrétiens

ATTITUDE DE L’EGLISE CATHOLIQUEDEVANT LES CROYANTS DES AUTRES RELIGIONS

Réflexions et orientations concernant le dialogue et la mission

Ce texte est l’aboutissement d’un document de travail qui a eu quatre rédactionssuccessives (mars 1981, juin 1981, février 1982 et février 1983). Il répondait à unedemande explicite qui avait été faite par les membres du Secrétariat pour les non-chrétiens lors de l’assemblée plénière du Secrétariat qui a eu lieu du 24 au 27 avril1979. Les membres et consulteurs du Secrétariat et des autres dicastères ontcommenté chacune de ces rédactions. En vue de l’assemblée plénière de 1983, leSecrétariat a aussi consulté des évêques et des théologiens de différentes airesculturelles. Le texte final du document a été étudié, modifié et voté lors del’assemblée plénière qui s’est tenu du 27 février au 3 mars 1984 à Grottaferrata(Voir DC 1984, n° 1880, p. 844).

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Extraits du discours du Pape Jean-Paul II le 3 mars 1984

Le samedi 3 mars 1984, le Pape a rencontré les membres du Secrétariat pourles non-chrétiens, au terme de l’assemblée générale qui s’est tenue du 27 févrierà ce jour. En réponse aux paroles d’hommage de son excellence Mgr Jean Dadot,Pro-président du Secrétariat, le Saint Père a prononcé le discours dont voiciquelques extraits.

«Nul n’ignore l’importance et la nécessité du dialogue interreligieux pourtoutes les religions et pour tous les croyants appelés aujourd’hui plus que jamaisà collaborer pour que chaque homme puisse atteindre son but transcendant etréaliser sa croissance authentique; et il aide les cultures à réaliser leurs propresvaleurs religieuses et spirituelles en présence des rapides transformationssociales.

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Introduction

1 Le Concile Vatican II a marqué une étape nouvelle dans lesrelations de l’Eglise catholique avec les croyants des autres

religions. Plusieurs documents conciliaires se réfèrent explici-tement à eux. En particulier la déclaration «Nostra ætate» est entiè-rement consacrée aux «relations de l’Eglise catholique avec les religions non-chrétiennes».

2 Les mutationsrapides de la société

contemporaine et l’appro-fondissement du mystèrede l’Eglise «sacrementuniversel du salut»

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… Pour l’Eglise le dialogue se fonde sur la vie même de Dieu un et trine.Dieu est père de toute la famille humaine; le Christ s’est uni tout homme(Redemptor hominis, 13); l’Esprit opère en tout homme: c’est pourquoi le dialoguese fonde aussi sur l’amour pour l’homme qui, en tant que tel, est la routepremière et fondamentale de l’Eglise (Redemptor hominis, 14) et sur le lienexistant entre les cultures et les religions professées par les hommes…

Les chrétiens sont tous appelés au dialogue. Si la spécialisation de quelques-uns est de grande utilité, l’apport des autres constitue une importante contri-bution. Je pense en particulier au dialogue intermonastique et celui d’autresmouvements, groupes et institutions. Pour tous sont nécessaires une adéquatepréparation et un constant approfondissement de la propre identité ecclésiale…

Egalement, dans cette activité ecclésiale il faut éviter des exclusivismes et lesdichotomies. Le dialogue authentique devient témoignage et la véritableévangélisation se réalise dans le respect et l’écoute de l’autre (Redemptor hominis,12). Même si “il y a pour tout un moment, et un temps pour toute chose” (cf. Qo3, 18), la prudence et le discernement révèleront ce qui convient dans chaquesituation particulière: la collaboration, le témoignage, l’écoute, l’échange devaleurs. Les saints comme François d’Assise et les grands missionnaires commeMatteo Ricci et Charles de Foucauld sont des exemples pour nous. Si nousvivons pleinement dans le Christ, nous deviendrons des instruments toujoursmieux appropriés de sa coopération et nous suivrons sa méthode, expression del’amour de Celui qui s’est livré pour nous…».

«A juste titre, les Pères de l’Eglisevoyaient dans les diverses religions commeautant de reflets d’une unique vérité, commedes “semences du Verbe” témoignant quel’aspiration la plus profonde de l’esprithumain est tournée, malgré la diversité deschemins, vers une direction unique, ens’exprimant dans la recherche de Dieu etdans la dimension totale de l’humanité…»(Redemptor hominis, 11).

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(Lumen gentium, 48) ont facilité cette attitude à l’égard des religionsnon-chrétiennes. «Grâce à l’ouverture faite par le Concile VaticanII, l’Eglise et tous les chrétiens sont parvenus à avoir uneconscience plus complète du mystère du Christ» (Redemptorhominis, 11).

3 Cette nouvelle attitude a pris le nom de dialogue. Norme etidéal à la fois, ce terme a acquis une grande importance dans

l’Eglise depuis l’encyclique«Ecclesiam suam» de Paul VI (6août 1964). Depuis lors, il estfréquemment employé dansles Actes du Concile et dans laterminologie ecclésiastique. Ilsignifie non seulement le faitde se parler, mais aussil’ensemble des rapports inter-religieux, positifs etconstructifs avec despersonnes et des commu-nautés de diverses croyances,afin d’apprendre à se connaîtreet à s’enrichir les uns lesautres.

4 Comme signe institu-tionnel de cette volonté de

dialogue et de rencontre avecles croyants des autres tradi-tions religieuses du monde,Paul VI institua, dansl’ambiance du Concile VaticanII, le jour de la Pentecôte 1964,le Secrétariat pour les non-chrétiens, distinct de laS. Congrégation pourl’Evangélisation des Peuples.

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Le Secrétariat pour les non-chrétiens

Ce secrétariat a été créé à laPentecôte 1964. Paul VI avait déjà faitpart de son intention dans une lettre aucardinal Tisserant du 12 septembre1963. Plus tard (le 1er mars 1965), unsous-secrétariat pour l’Islam sera créé.En 1988, le Secrétariat pour les non-chrétiens deviendra «Conseil pontificalpour le dialogue interreligieux»(C.P.D.I.).

Il est composé d’une trentained’évêques et de cardinaux de diffé-rentes parties du monde qui seréunissent tous les deux ou trois ans enassemblée plénière. La première de cesassemblées s’est réunie en 1979.

Une cinquantaine de consulteurs,experts en sciences religieuses et dansle dialogue interreligieux, se réunissentpériodiquement, souvent au niveaucontinental. Ils sont cooptés pour desmandats d’une durée de cinq ans. Ilsassurent la liaison entre le C.P.D.I. et lesEglises locales (conférences épisco-pales). Ils représentent le C.P.D.I. àl’occasion des rencontres religieuses. Ilsfournissent au Conseil informations etsuggestions ainsi que le fruit de leursrecherches.

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La Constitution «Regimini Ecclesiæ» définit ses buts comme suit:«rechercher les méthodes et les voies permettant d’instaurer ledialogue avec les non-chrétiens. Il veille donc à ce que les chrétiensconnaissent bien les non-chrétiens et les estiment comme il se doit,et à ce que ces derniers puissent également connaître et estimer ladoctrine et la vie chrétienne» (AAS [Actes du Saint Siège] 59, 1967,pp. 919-920).

5 A vingt ans de l’Encyclique «Ecclesiam suam» et de sa propreinstitution, le Secrétariat pour les non-chrétiens, réuni en

Assemblée plénière, a examiné les expériences de dialogue entre-prises partout dans l’Eglise et a réfléchi sur les attitudes ecclésialesdevant les autres croyants, en particulier sur le rapport entredialogue et mission.

6 La vision théologique de ce document puise son inspirationdans le Concile et dans le magistère successif. Un approfon-

dissement ultérieur de la part des théologiens est souhaitable etnécessaire. Provoquée et enrichie par l’expérience, cette réflexionest avant tout pastorale et voudrait promouvoir une attitudeévangélique à l’égard des autres croyants avec lesquels leschrétiens vivent dans la cité, au travail, au foyer.

7 Avec ce document, le Secrétariat désire aider les commu-nautés chrétiennes, notamment leurs responsables, à vivre

conformément aux orientations du Concile, en leur donnant leséléments de réponse aux difficultés qui peuvent surgir de laprésence simultanée, au sein de la mission, des exigencesinhérentes à l’évangélisation et au dialogue. Les membres desautres religions pourront également mieux discerner la manièredont l’Eglise catholique les considère et veut se comporter aveceux.

8 Plusieurs Eglises chrétiennes ont fait des expériencesanalogues à l’égard des autres croyants. Le Conseil œcumé-

nique des Eglises est doté d’un organisme pour le «dialogue avecles hommes d’autres fois et idéologies», au sein du Département

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«Foi et Témoignage». LeSecrétariat pour les non-chrétiens entretient aveclui des rapports stables etfraternels.

1. Mission

9 Dieu est amour(1 Jn 4, 8, 16). Son

amour salvifique a étémanifesté et communiquéaux hommes en Christ. Ilest présent et agissantdans le monde par leSaint-Esprit. L’Eglise doitêtre le signe vivant de cetamour pour en faire unenorme de vie pour tousles chrétiens. Voulue parle Christ, la mission del’Eglise est une missiond’amour dont Il est lui-même la source, le terme,le modèle (cf. Ad gentes, 2-5, 12; Evangelii nuntiandi,26).

Chaque aspect etchaque activité de l’Eglisedoivent donc êtreimprégnés d’amour par

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Extraits du document du Conseil œcumé-nique des Eglises (C.O.E.) de 1982, intitulé«La Mission et l’Evangélisation, affirmationœcuménique».

Titre n° 7: Notre témoignage auprès desadeptes des religions et idéologies de notretemps.

41 Les chrétiens ont à l’égard de chaquepersonne et de tous les peuples le

devoir de transmettre le message du salut deDieu en Jésus Christ. Ils rendent témoignageauprès de ceux qui les entourent et qui viventselon d’autres convictions religieuses etidéologiques. Le témoignage véritable, à lasuite de Jésus Christ, respecte et reconnaît lecaractère unique et la liberté des autres êtreshumains. (…)

42 La parole est à l’œuvre dans chaque viehumaine. En Jésus de Nazareth, la

Parole a pris forme humaine. Le miracle de ceministère d’amour pousse les chrétiens àrendre témoignage de cette présence décisivede Dieu en Christ aux gens de toute religionet de toute persuasion non religieuse. Notresalut est en lui. Parmi les chrétiens il y aencore des différences dans la manière decomprendre comment ce salut en Christ estaccessible à des personnes de différentesreligions. Mais tous s’accordent à penser qu’ilfaut rendre témoignage de ce salut à tous.

43 Cette conviction vient de l’assuranceque Dieu est le créateur de l’univers

entier, et que jamais nulle part il n’est restésans qu’un témoignage lui soit rendu.L’Esprit de Dieu est constamment à l’œuvre,d’une manière qui passe toute intelligencehumaine, et dans les lieux où nous nous yattendons le moins. C’est la raison pourlaquelle les chrétiens, lorsqu’ils entrent avecd’autres dans une relation de dialogue,cherchent à discerner les richesses inson-dables de Dieu et la manière dont il agitenvers l’humanité. (…)

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fidélité au Christ, qui a voulu cette mission et continue de l’animeret de la rendre possible dans l’histoire.

10 Comme le Concile l’a montré, l’Eglise est le peuple messia-nique, l’assemblée visible et la communauté spirituelle, le

peuple pèlerin en marche avec toute l’humanité dont elle partagel’expérience. Elle doit être le levain et l’âme de la société pour larénover dans le Christ et en faire la famille de Dieu (cf. Lumengentium, 9; Gaudium et spes, 9, 40).

«Sa loi, c’est le commandement nouveau d’aimer comme leChrist lui-même nous a aimés» (cf. Jn 13, 34). «Sa destinée enfin,c’est le Royaume de Dieu, inauguré sur la terre par Dieu lui-même…» (Lumen gentium, 9). «De sa nature, l’Eglise, durant sonpèlerinage sur terre, est missionnaire» (Ad gentes, 2; cf. 6, 35, 36). Lecaractère missionnaire est, pour tout chrétien, l’expression normalede sa foi vécue.

11 «La mission de l’Eglise s’accomplit donc par l’opération aumoyen de laquelle, obéissant à l’ordre du Christ et mue par

la grâce de l’Esprit Saint et la charité, elle devient en acte plénierprésente à tous les peuples…» (Ad gentes, 5). Cette tâche est unique,mais elle s’exerce de manières diverses selon les conditions danslesquelles la mission est engagée. «Ces conditions dépendent soitde l’Eglise, soit même des peuples, des groupes humains ou deshommes à qui s’adresse la mission… Les actes propres, les moyensadaptés doivent s’accorder avec chaque condition et état. La finpropre de cette activité missionnaire, c’est l’évangélisation etl’implantation de l’Eglise dans les peuples ou les groupes humainsdans lesquels elle n’a pas encore été enracinée» (Ad gentes, 6).

D’autres textes du Concile Vatican II affirment que la mission del’Eglise est également de travailler pour l’extension du Royaume etde ses valeurs parmi tous les hommes (cf. Lumen gentium, 5, 9, 35;Gaudium et spes, 39, 40-45, 91, 92; Unitatis redintegratio, 2; Dignitatishumanæ, 14; Apostolicam actuositatem, 5).

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12 Les modalités et les différents aspects de la mission ont été,dans leur ensemble, indiqués par le Concile Vatican II. Les

Actes et les documents du magistère successif de l’Eglise, tels lesSynodes des Evêques sur la justice sociale (1971), sur l’évangéli-sation (1974), sur la catéchèse (1977), les nombreuses interventionsde Paul VI et de Jean-Paul II, les conférences épiscopales d’Asie,d’Afrique et d’Amérique latine ont mis en lumière d’autres aspectsde l’enseignement conciliaire, en montrant par exemple «commeun élément essentiel de sa mission indissolublement lié à celle-ci»(Redemptor hominis, 15) l’engagement en faveur de l’homme, de lajustice sociale, de la liberté et des droits de l’homme ainsi que laréforme des structures sociales injustes.

13 Dans la conscience de l’Eglise, la mission apparaît commeune réalité unitaire mais complexe et articulée dont nous

indiquons les éléments principaux. La mission est, d’abord,réalisée par la simple présence et le témoignage efficace de la viechrétienne (cf. Evangelii nuntiandi, 21) même si on doit reconnaîtreque «nous portons ce trésor dans des vases d’argile» (2 Co 4, 7), quel’écart est toujours impossible à combler entre la manière dont lechrétien vit réellement et ce qu’il affirme être.

Il y a, ensuite, l’engagement effectif au service des hommes ainsique toute l’action pour la promotion sociale, pour la lutte contre lapauvreté et les structures qui la favorisent. Il y a, en plus, la vieliturgique, la prière et la contemplation qui sont des témoignageséloquents d’une relation vivante et libératrice avec le Dieu vivantet vrai qui nous appelle dans son Royaume et dans sa gloire (cf. Ac2, 42). Il y a, aussi, le dialogue grâce auquel les chrétiens rencon-trent les croyants d’autres traditions religieuses pour marcherensemble à la recherche de la vérité et pour collaborer en desœuvres d’intérêt commun. Il y a, enfin, l’annonce et la catéchèse,lorsqu’on proclame la Bonne Nouvelle, qu’on en approfondit lesrépercussions sur la vie et les cultures. Tous ces éléments entrentdans le cadre de la mission.

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14 Chaque Eglise locale est responsable de toute la mission.Par sa foi et son baptême, chaque chrétien est également

appelé à exercer, d’une certaine façon, sa responsabilité mission-naire. Les exigences des situations, la place particulière au sein dupeuple de Dieu et le charisme personnel rendent le chrétien apte àexercer de préférence tel ou tel aspect de la mission.

15 La vie de Jésus renferme tous les éléments de la mission.Dans l’Evangile, Jésus garde le silence, agit, prie, dialogue

et prêche. Son message est indissociable de son action. Il annonceDieu et son Royaume aussi bien par la parole que par les actes etles œuvres qu’il accomplit. Il accepte la contradiction, l’échec et lamort. Sa victoire passe par le don de sa vie. Tout, en sa personne,est moyen et voie de la révélation et du salut (cf. Evangeliinuntiandi, 6-12). Tout est expression de son amour (cf. Jn 3, 16; 13,1; 1 Jn 4, 7-19). Les chrétiens doivent se comporter de la mêmemanière: «A ceci tous vous reconnaîtront pour mes disciples, à cetamour que vous aurez les uns pour les autres» (Jn 13, 35).

16 Le Nouveau Testament donne une image composite etdiversifiée de la mission. Il y a une pluralité de ministères

et de fonctions découlant de la variété des charismes (cf. 1 Co 12,28-30; Ep 4, 11-12; Rm 12, 6-8). Saint Paul lui-même affirme la spéci-ficité de sa vocation missionnaire, en déclarant «n’être pas envoyépar le Christ baptiser, mais annoncer l’Evangile» (1 Co 1, 17). Ainsi,à côté des «apôtres», des «prophètes», des «évangélistes», nousdécouvrons d’autres personnes appelées pour les tâches commu-nautaires et pour aider ceux qui souffrent. Il y a les devoirsfamiliaux: ceux des époux, des épouses et des enfants. Il y a lesdevoirs des maîtres et des subordonnés. A chacun incombe unemission spécifique de témoignage dans la société.

La première lettre de Pierre donne aux chrétiens vivant ensituation de diaspora des recommandations dont l’actualité necesse de surprendre. Jean-Paul II en a cité un passage comme larègle d’or dans les relations des chrétiens avec les croyants de foidifférente: «Adorez le Christ Seigneur dans vos cœurs, toujours

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prêts à rendre compte de l’espérance qui est en vous, mais avecamabilité et respect et bonne conscience» (1 P 3, 15-16) (Ankara, 29novembre 1979).

17 Parmi les nombreux exemples dans les annales de lamission chrétienne, remarquables sont les consignes

données par saint François d’Assise, dans la «Regula non Bullata»(1221), aux Frères qui «par inspiration divine voudront aller chezles sarrasins… Ils peuvent promouvoir avec eux des rapports spiri-tuels de deux façons. La première est qu’ils ne suscitent ni litige, nidispute, mais soient soumis à toute créature par amour de Dieu etqu’ils confessent qu’ils sont chrétiens. La seconde, lorsqu’ilsverront que cela plaît au Seigneur, qu’ils annoncent la Parole deDieu».

Notre siècle a vu naître et se développer, en particulier dans lemonde musulman, l’expérience de Charles de Foucauld qui a vécula mission dans une attitude d’humilité et de silence, d’union avecDieu, de communion avec les pauvres et de fraternité universelle.

18 La mission s’adresse toujours à l’homme dans le respecttotal de sa liberté. Aussi, tandis qu’il réaffirme, pour toute

l’Eglise, la nécessité et l’urgence d’annoncer le Christ, «la lumièrede vie en toute assurance et courage apostolique jusqu’à l’effusionde leur sang» (Dignitatis humanæ, 14), s’il le faut, le Concile VaticanII insiste-t-il sur l’exigence de promouvoir et respecter, en chaqueinterlocuteur, une vraie liberté sans contrainte aucune dans ledomaine religieux.

«La vérité doit être cherchée selon la manière propre à lapersonne humaine et à sa nature sociale, à savoir par une librerecherche, par le moyen de l’enseignement ou de l’éducation, del’échange et du dialogue par lesquels les uns exposent aux autresla vérité qu’ils ont trouvée ou pensent avoir trouvée, afin de s’aidermutuellement dans la quête de la vérité; la vérité une fois connue,c’est par un assentiment personnel qu’il faut y adhérer fermement»(ibid. 3).

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Vérité et liberté selon Dignitatis humanæ

«Le Concile du Vatican déclare que la personne humaine a droit à la libertéreligieuse. Cette liberté consiste en ce que tous les hommes doivent êtresoustraits à toute contrainte de la part tant des individus que des groupessociaux et de quelque pouvoir humain que ce soit, de telle sorte qu’en matièrereligieuse nul ne soit forcé d’agir contre sa conscience ni empêché d’agir, dans dejustes limites, selon sa conscience, en privé comme en public, seul ou associé àd’autres. Il déclare, en outre, que le droit à la liberté religieuse a son fondementdans la dignité même de la personne humaine telle que l’ont fait connaître laparole de Dieu et la raison elle-même. Ce droit de la personne humaine à laliberté religieuse dans l’ordre juridique de la société doit être reconnu de tellemanière qu’il constitue un droit civil».

«En vertu de leur dignité, tous les hommes, parce qu’ils sont des personnes,c’est-à-dire doués de raison et de volonté libre, et par suite pourvus d’uneresponsabilité personnelle, sont pressés, par leur nature même, et tenus, parobligation morale, à chercher la vérité, celle tout d’abord qui concerne lareligion. Ils sont tenus aussi à adhérer à la vérité dès qu’ils la connaissent et àrégler toute leur vie selon les exigences de cette vérité. Or, à cette obligation, leshommes ne peuvent satisfaire, d’une manière conforme à leur propre nature,que s’ils jouissent, outre de la liberté psychologique, de l’immunité à l’égard detoute contrainte extérieure. Ce n’est donc pas sur une disposition subjective dela personne, mais sur sa nature même, qu’est fondé le droit à la liberté religieuse.C’est pourquoi le droit à cette immunité persiste en ceux-là mêmes qui nesatisfont pas à l’obligation de chercher la vérité et d’y adhérer; son exercice nepeut être entravé, dès lors que demeure sauf un ordre public juste». (…)

«Mais la vérité doit être cherchée, selon la manière propre à la personnehumaine et à sa nature sociale, à savoir par une libre recherche, par le moyen del’enseignement ou de l’éducation, de l’échange et du dialogue par lesquels lesuns exposent aux autres la vérité qu’ils ont trouvée ou pensent avoir trouvée,afin de s’aider mutuellement dans la quête de la vérité: la vérité une fois connue,c’est par un assentiment personnel qu’il faut y adhérer fermement. Mais c’est parsa conscience que l’homme perçoit et reconnaît les injonctions de la loi divine:c’est elle qu’il est tenu de suivre fidèlement en toutes ses activités, pour parvenirà sa fin qui est Dieu. Il ne doit donc pas être contraint d’agir contre sa conscience.Mais il ne doit pas être empêché non plus d’agir selon sa conscience, surtout enmatière religieuse. De par son caractère même en effet, l’exercice de la religionconsiste avant tout en des actes intérieurs volontaires et libres, par lesquelsl’homme s’ordonne directement à Dieu: de tels actes ne peuvent être ni imposés,ni interdits par aucun pouvoir purement humain. Mais la nature sociale del’homme requiert elle-même qu’il exprime extérieurement ces actes internes dereligion, qu’en matière religieuse il ait des échanges avec d’autres, qu’il professe

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C’est pourquoi «dans la propagation de la foi et l’introductiondes pratiques religieuses, on doit toujours s’abstenir de toute formed’agissement ayant un relent de coercition ou de persuasionmalhonnête ou peu loyale, surtout s’il s’agit de gens simples etsans ressources. Une telle manière d’agir doit être regardée commeun abus de son propre droit et une entorse aux droits des autres»(ibid. 4).

19 Le respect de chaque homme doit être le signe de l’activitémissionnaire dans le monde de notre temps (cf. Ecclesiam

suam, 77; AAS [Actes du Saint Siège] 1964, 642-643; Evangeliinuntiandi, 79-80; Redemptor hominis, 12). «L’homme est la premièreroute que l’Eglise doit parcourir dans l’accomplissement de samission» (Redemptor hominis, 14). Les valeurs que l’Eglise continued’apprendre du Christ, son Maître, doivent guider le chrétien àaimer et à respecter tout ce qu’il y a de bon dans la culture etl’engagement religieux de l’interlocuteur. «Il s’agit du respect pourtout ce que l’Esprit, qui souffle ou il veut, a opéré en lui» (ibid. 12;cf. Evangelii nuntiandi, 79).

La mission chrétienne ne peut jamais se dissocier de l’amour etdu respect pour les autres. Cela, pour nous chrétiens, met enévidence l’importance du dialogue dans la mission.

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sa religion sous une forme communautaire. C’est donc faire injure à la personnehumaine et à l’ordre même établi par Dieu pour les êtres humains que de refuserà l’homme le libre exercice de la religion sur le plan de la société, dès lors quel’ordre public juste est sauvegardé» (Décret du Concile Vatican II sur la libertéreligieuse, Dignitatis humanæ, n° 2 et 3).

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2. Le dialogue

A) Fondements

20 Le dialogue ne résulte pas de calculs opportunistes au goûtdu jour, mais de raisons que l’expérience, la réflexion et les

difficultés elles-mêmes ont approfondies.

21 L’Eglise est ouverte au dialogue par fidélité à l’homme.Chaque homme et chaque groupe humain souhaitent et

exigent de se voir pris en considération et traités en responsables,que ce soit lorsqu’ils éprouvent le besoin de recevoir, mais encoreplus lorsqu’ils ont conscience d’avoir quelque chose à commu-niquer aux autres.

Les sciences humaines montrent que dans le dialogue interper-sonnel l’homme fait l’expérience de ses limites et découvre sapropre capacité à les surmonter. Il découvre qu’il n’est pas enpossession de la vérité, de manière parfaite et totale, mais qu’ilpeut espérer s’en rapprocher avec l’aide des autres. La confron-tation, la correction mutuelle, l’échange fraternel des donsrespectifs aident à atteindre une maturité toujours plus grande quicrée un climat de communion interpersonnelle. Les expériences etles positions religieuses elles-mêmes peuvent être purifiées etenrichies par ce processus de face-à-face.

Cette vitalité des rapports humains nous pousse, nous leschrétiens, à écouter et à comprendre ce que les autres croyantspeuvent nous transmettre de manière à tirer profit des dons queDieu dispense. Les mutations socioculturelles, avec leurs tensionset leurs difficultés, l’interdépendance accrue dans tous lesdomaines de la coexistence et de la promotion humaine, en

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particulier les exigences de la paix, rendent plus urgents, aujour-d’hui, un type de rapports caractérisés par le dialogue.

22 L’Eglise est pleinement consciente d’être engagée dans ledialogue avant tout à cause de sa foi. La révélation nous

fait entrevoir une vie de communion et d’échanges dans le mystèretrinitaire.

En Dieu-Père, nous contemplons un amour prévenant sanslimites d’espace ni de temps. L’Univers ainsi que l’histoire sontremplis de ses dons. Chaque être et chaque événement sontimprégnés de son amour. Malgré la manifestation, parfois violente,du mal dans l’histoire de tout homme et de tout peuple est présentela force de la grâce qui élève et qui rachète. L’Eglise a mission dedécouvrir, de mettre en lumière, de faire mûrir toute la richesse quele Père a déposée dans la création et dans l’histoire, non seulementpour célébrer la gloire de Dieu dans la liturgie, mais égalementpour développer la circulation des dons divins parmi tous leshommes.

23 En Dieu-Fils, nous est donnée la Parole, la Sagesse enlaquelle, déjà avant le temps, tout est contenu et subsiste.

Le Christ est le Verbe qui illumine tout homme, car en Lui semanifestent le mystère de Dieu et le mystère de l’homme (cf.Redemptor hominis, 8, 10, 11, 13). Il est le Rédempteur présent avecsa grâce en chaque rencontre humaine, pour nous libérer de notreégoïsme et nous amener à nous aimer les uns les autres comme Ilnous a aimés. «Tout homme, écrit Jean-Paul II, sans aucuneexception, a été racheté par le Christ, parce que le Christ est enquelque sorte uni à l’homme, à chaque homme sans aucuneexception, même si ce dernier n’en est pas conscient. Le Christ,mort et ressuscité pour tous, offre à l’homme, à tout homme et àtous les hommes, lumière et forces pour lui permettre de répondreà sa très haute vocation» (Redemptor hominis, 14).

24 En Dieu-Esprit Saint, la foi nous aide à discerner la forcede vie, de mouvement et de «régénération» permanente (cf.

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Lumen gentium, 4) qui opère dans la profondeur des consciences etaccompagne la marche mystérieuse des cœurs vers la Vérité (cf.Gaudium et spes, 22). L’Esprit opère aussi «au-delà des frontièresvisibles du Corps mystique» (Redemptor hominis 6; cf. Lumengentium, 16; Gaudium et spes, 22; Ad gentes, 15). L’Esprit précède etaccompagne la marche de l’Eglise qui doit discerner les signes deSa présence et Le suivre n’importe où Il la conduit, et Le servircomme sa collaboratrice humble et discrète.

25 Le Royaume de Dieu est la destinée de tous les hommes.L’Eglise qui en est « le germe et le commencement» (Lumen

gentium, 5, 9) est conviée à entreprendre la première cette route versle Royaume et à y faire avancer tout le reste de l’humanité. Cettemission inclut la lutte, la victoire sur le mal et le péché, encommençant toujours par soi-même et en acceptant le mystère dela Croix. L’Eglise prépare ainsi la voie du Royaume jusqu’à laconsommation de la communion parfaite de tous les frères enDieu. Le Christ est, pour l’Eglise et pour le monde, le gage que lestemps derniers ont déjà commencé et que l’étape finale de l’histoireest déjà fixée (Lumen gentium, 48). C’est pourquoi l’Eglise esthabilitée et engagée à faire en sorte que se réalise l’accomplis-sement progressif de toutes les choses en Christ.

26 Cette façon de voir a amené les Pères du Concile Vatican IIà affirmer que dans les traditions religieuses non

chrétiennes, il y a «du vrai et du bon» (Optatam totius Ecclesiærenovationem, 16), des «éléments précieux, religieux et humains»(Gaudium et spes, 92), des «traditions contemplatives» (Ad gentes, 9),«des éléments de vérité et de grâce» (ibid. 9), «les semences duVerbe» (ibid. 11, 15), «un rayon de la vérité qui illumine tous leshommes» (Nostra ætate, 2). D’après les affirmations conciliaires lesplus explicites, toutes ces valeurs sont rassemblées dans lesgrandes traditions religieuses de l’humanité. Elles méritent, enconséquence, attention et estime des chrétiens. Leur patrimoinespirituel est une invitation efficace au dialogue (cf. Nostra ætate, 2,3; Ad gentes, 11) non seulement sur les points de convergence, maisaussi sur ceux de divergence.

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27 Vatican II a tiré les conséquences de l’engagement deschrétiens en ces termes: «Pour qu’ils puissent donner avec

fruit ce témoignage du Christ, ils doivent se joindre à ces hommespar l’estime et la charité, se reconnaître comme des membres dugroupement humain dans lequel ils vivent, avoir part dans la vieculturelle et sociale au moyen des divers échanges et des diversesaffaires humaines; ils doivent être familiers avec leurs traditionsnationales et religieuses, découvrir avec joie et respect les semencesdu Verbe qui s’y trouvent cachées; ils doivent en même temps faireattention à la transformation profonde qui s’opère parmi lesnations, et travailler à ce que les hommes de notre temps, tropattentifs à la science et à la technique du monde moderne, ne soientpas détournés des choses divines; bien au contraire, à ce qu’ilssoient éveillés à un désir plus ardent de la vérité et de la charitérévélées par Dieu. Le Christ lui-même a scruté le cœur des hommeset les a amenés par un dialogue humain à la lumière divine; demême ses disciples, profondément pénétrés de l’Esprit du Christ,doivent connaître les hommes au milieu desquels ils vivent,engager conversation avec eux, afin qu’eux aussi apprennent, dansun dialogue sincère et patient, quelles richesses Dieu, dans samunificence, a dispensées aux nations; ils doivent en même tempss’efforcer d’éclairer ces richesses de la lumière évangélique, de leslibérer, de les ramener sous l’autorité de Dieu Sauveur» (Ad gentes,11; cf. 41; Apostolicam actuositatem, 14, 29).

B) Formes du dialogue

28 L’expérience des dernières années a clairement montré lesdiverses manières dont se fait le dialogue. Les principales

formes-modèles qui vont suivre sont vécues soit séparément, soitensemble.

29 Le dialogue est avant tout un style d’action, une attitudeet un esprit qui inspirent le comportement. Il comporte

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attention, respect et accueil de l’autre, à qui on laisse l’espace néces-saire à son identité, à son expression propre et à ses valeurs. Un teldialogue est la norme et le style indispensables de toute missionchrétienne et de chacune de ses formes, qu’il s’agisse de la simpleprésence et du témoignage, ou du service ou d’annonce directe(CJC [Code de Droit Canon] 787, 1). Une mission qui ne serait pasimprégnée de l’esprit du dialogue serait contraire aux exigences dela nature humaine et aux enseignements de l’Evangile.

30 Tout disciple du Christ, en vertu de sa vocation humaine etchrétienne, est appelé à vivre le dialogue dans sa vie quoti-

dienne, qu’il soit en situation de majorité ou de minorité. Il doitrépandre le parfum de l’Evangile dans le milieu où il vit ettravaille: famille, société, éducation, arts, économie, politique, etc.Ainsi le dialogue est-il inséré dans le dynamisme global de lamission de l’Eglise.

31 Un autre niveau est le dialogue des œuvres et de la colla-boration visant les objectifs de caractère humanitaire,

social, économique et politique qui favorisent la libération et ledéveloppement de l’homme. Ce dialogue est fréquent au sein desorganisations locales, nationales et internationales, dans lesquelleschrétiens et croyants des autres religions se penchent ensemble surles problèmes mondiaux.

32 Le champ de la collaboration peut être très vaste. Parlanten particulier des musulmans, le Concile Vatican II exhorte

à «oublier le passé», à «protéger et promouvoir ensemble, pourtous les hommes, la justice sociale, les valeurs morales, la paix et laliberté» (Nostra ætate, 3; cf. Ad gentes, 11, 12, 15, 21). Paul VI, d’unemanière spéciale dans «Ecclesiam suam» (AAS [Actes du SaintSiège] 56, 1964, p. 655), et Jean-Paul II, au cours de nombreusesrencontres avec les chefs et les représentants de diverses religions,se sont prononcés dans le même sens. Les grands problèmes quiaffligent l’humanité stimulent les chrétiens à une collaborationavec les autres croyants, à cause de leur foi respective.

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33 D’un intérêt particulier est le dialogue au niveau desspécialistes, pour comparer, approfondir et enrichir les

patrimoines religieux des uns et des autres, pour en utiliser lesressources à la solution des problèmes qui se posent aux hommesà travers l’histoire. Ce dialogue a lieu normalement là où l’interlo-cuteur a déjà conçu une façon propre de voir le monde et adhère àune religion qui le pousse à agir. Il se réalise plus facilement dansles sociétés pluralistes, au sein desquelles cohabitent et parfois secombattent les traditions et les idéologies différentes.

34 Dans cet échange, les interlocuteurs apprennent àconnaître et à apprécier leurs valeurs spirituelles et leurs

catégories culturelles réciproques, ouvrant la voie à la communionet à la fraternité entre les hommes (cf. Nostra ætate, 1). Le chrétiencollabore ainsi à la transformation des cultures par l’Evangile (cf.Evangelii nuntiandi, 1820, 63).

35 A un niveau plus profond, des hommes, enracinés dansleurs traditions religieuses peuvent partager leurs

expériences de prière, de contemplation, de foi et d’engagement,expressions et voies de recherche de l’Absolu. Cette forme dudialogue est un enrichissement mutuel et une coopération fécondepour promouvoir et protéger les valeurs et les finalités spirituellesles plus élevées de l’homme. Le dialogue religieux conduitnaturellement à se communiquer les uns aux autres les raisons desa propre foi et ne s’arrête pas devant les différences, parfoisprofondes, mais se soumet, avec humilité et confiance, à Dieu «quiest plus grand que notre cœur» (1 Jn 3, 20). Ainsi, le chrétien a uneoccasion d’offrir à l’autre la possibilité de connaître, d’une manièrevécue, les valeurs de l’Évangile.

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3. Dialogue et mission

36 Les rapports entre dialogue et mission sont multiples.Nous nous arrêtons à quelques aspects qui revêtent aujour-

d’hui plus d’importance à cause des défis et des problèmessoulevés ou à cause des attitudes requises.

A) Mission et conversion

37 Le but de l’annonce missionnaire est, pour le ConcileVatican II, la conversion: «pour que, les non-chrétiens, le

Saint-Esprit ouvrant leur cœur, croient et se convertissentlibrement au Seigneur et s’attachent loyalement à Lui…» (Adgentes, 13; CJC [Code de Droit Canon] 787, 2). Dans le dialogueentre croyants de foi différente, on ne peut éviter de porterattention au cheminement spirituel vers la conversion.

Dans le langage biblico-chrétien, la conversion est le retour d’uncœur humble et contrit à Dieu, avec le désir de lui soumettre pluspleinement sa propre vie (cf. Ad gentes, 13). A cette conversion, toussont constamment invités. De cette démarche peut naître ladécision d’abandonner la position spirituelle ou religieuse précé-dente pour en embrasser une autre. Ainsi, par exemple, d’unamour particulier, le cœur peut s’ouvrir à la charité universelle.Tout appel authentique de Dieu s’accompagne toujours d’undépassement de soi. Il n’y a pas de vie nouvelle sans passage par lamort, comme il ressort de la dynamique du mystère pascal (cf.Gaudium et spes, 22). La conversion «est l’œuvre de la grâce, danslaquelle l’homme doit se retrouver pleinement lui-même»(Redemptor hominis, 12).

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38 Dans ce processus de conversion, prévaut la loi suprême dela conscience. Personne ne doit «être contraint d’agir contre

sa conscience. Mais il ne doit pas être empêché non plus d’agirselon sa conscience, surtout en matière religieuse» (Dignitatishumanæ, 3).

39 Dans l’optique chrétienne, l’agent principal de laconversion n’est pas l’homme, mais l’Esprit Saint. «C’est

Lui qui pousse chacun à annoncer l’Evangile et c’est Lui qui, dansle tréfonds des consciences,fait accepter et comprendrela Parole du salut»(Evangelii nuntiandi, 75).C’est Lui qui guide lemouvement des cœurs etfait naître l’acte de foi enJésus, le Seigneur (cf. 1 Co2, 4). Le chrétien n’est qu’uninstrument et un collabo-rateur de Dieu (ibid. 3, 9).

40 Au cœur du dialogue, le chrétien nourrit naturellement ledésir de partager, avec son frère de religion différente, sa

propre expérience du Christ (Ac 26, 29; Ecclesiam suam, 46). Il estégalement naturel que l’autre éprouve un désir analogue à l’égarddu chrétien.

B) Le dialogue pour la construction du Royaume

41 Dieu continue de se réconcilier les hommes par l’Esprit.L’Eglise croit en la promesse que le Christ lui a faite:

l’Esprit la guidera, dans l’histoire, vers la plénitude de la vérité (cf.Jn 16, 13). Forte de cette promesse, elle va à la rencontre deshommes, des peuples et de leurs cultures, avec une entière

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«Les religions non-chrétiennes portenten elles l’écho de millénaires de recherchede Dieu, recherche incomplète maisréalisée souvent avec sincérité et droiturede cœur. Elles possèdent un patrimoineimpressionnant de textes profondémentreligieux. Elles ont appris à des générationsde personnes à prier. Elles sont toutesparsemées d’innombrables semences duVerbe et elles peuvent constituer uneauthentique préparation évangélique»(Evangelii nuntiandi, 53).

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conscience que chaque communauté humaine possède lessemences du bien et de la vérité, que Dieu a un projet d’amourpour chaque peuple (cf. Ac 17, 26-27). L’Eglise désire donc colla-borer avec tous pour la réalisation de ce projet, en mettant envaleur toutes les richesses de la Sagesse infinie et multiforme deDieu et en ouvrant la voie à l’évangélisation des cultures (Evangeliinuntiandi, 18-20).

42 «Nous tournons donc aussi notre pensée vers tous ceux quireconnaissent Dieu et dont les traditions recèlent de

précieux éléments religieux et humains, en souhaitant qu’undialogue confiant puisse nous conduire tous ensemble à accepterfranchement les appels de l’Esprit et à les suivre avec ardeur. En cequi nous concerne, le désir d’un tel dialogue, conduit par le seulamour de la vérité et aussi avec la prudence requise, n’exclutpersonne: ni ceux qui honorent les hautes valeurs humaines, sansen reconnaître encore l’auteur, ni ceux qui s’opposent à l’Eglise etla persécutent de différentes façons. Puisque Dieu le Père est leprincipe et la fin de tous les hommes, nous sommes tous appelés àêtre frères. Et puisque nous sommes destinés à une seule et mêmevocation divine, nous pouvons aussi et nous devons coopérer, sansviolence et sans arrière-pensée, à la construction du monde dansune paix véritable» (Gaudium et spes, 92; cf. Messages de Paul VI etde Jean-Paul II pour la Journée mondiale de la Paix).

43 Le dialogue devient ainsi une source d’espérance et unfacteur de communion dans une transformation

réciproque. C’est le Saint-Esprit qui guide la réalisation du projetde Dieu dans l’histoire des individus et du genre humain, jusqu’àce que les fils de Dieu dispersés par le péché soient rassemblésdans l’unité (cf. Jn 11, 52).

44 Dieu seul connaît les temps, Lui à qui rien n’est impossible,Lui dont l’Esprit mystérieux et silencieux ouvre les cœurs

des hommes et des peuples aux voies du dialogue pour surmonterles différences raciales, sociales, religieuses et pour s’enrichirmutuellement. Voici donc le temps de la patience de Dieu, dans

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lequel travaillent l’Eglise et chaque communauté chrétienne, carpersonne ne peut contraindre Dieu à agir plus vite que ce qu’Ildaigne faire.

Puisse l’Église, en présence de l’humanité nouvelle du troisièmemillénaire, répandre un message chrétien ouvert, et attendre, dansla patience, que lève la semence jetée dans les larmes et dans laconfiance (cf. Jc 5, 7-8; Mc 4, 26-30).

Le 10 juin 1984, solennité de la Pentecôte.+ Mgr Francis Arinze, pro-président.P. Marcello Zago, omi, secrétaire.

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Document du Conseil pontifical pour le dialogue interreligieux et de laCongrégation pour l’évangélisation des peuples1.

DIALOGUE ET ANNONCERéflexions et orientations concernant

le dialogue interreligieux et l’annonce de l’Evangile

Le texte de Dialogue et annonce est le résultat de cinq années de travail par lesdicastères concernés (le Conseil pontifical pour le dialogue interreligieux et laCongrégation pour l’évangélisation des peuples). Il a bénéficié aussi des observa-tions des Conférences épiscopales de par le monde qui ont pu étudier le texteentre 1987 et 1990. Dialogue et annnonce ne se refère à l’encyclique Redemptorismissio qu’une seule fois. La raison en est que le texte final du document était prati-quement prêt avant la publication de l’encyclique.Pour une présentation de la genèse et du contenu de Dialogue et annonce faite parle cardinal Arinze, président du Conseil pontifical pour le dialogue interreligieux,et le cardinal Tomko, préfet de la Congrégation pour l’évangélisation des peuple,voir le Bulletin du Conseil pontifical pour le dialogue interreligieux, 1991-XXVI/2 (77),pp. 251-259.

1. Texte français distribué par le Conseil pontifical pour le dialogue interreligieux etla Congrégation pour l’évangélisation des peuples.

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Plan du document

Introduction 89

1. Dialogue interreligieux 95A) Une approche chrétienne des traditions religieuses 95B) La place du dialogue interreligieux

dans la mission évangélisatrice de l’Eglise 104C) Formes de dialogue 108D) Dispositions et fruits du dialogue interreligieux 110E) Obstacles au dialogue 112

2. Annonce de Jésus Christ 114A) La mission donnée par le Seigneur ressuscité 114B) Le rôle de l’Eglise 116C) Le contenu de l’annonce 117D) La présence et la force du Saint-Esprit 119E) L’urgence de l’annonce 120F) Les modalités de l’annonce 121G) Obstacles à l’annonce 123H) L’annonce dans la mission évangélisatrice de l’Eglise 125

3. Dialogue interreligieux et annonce 126A) Liés mais non interchangeables 126B) L’Eglise et les religions 127C) Annoncer Jésus Christ 128D) Engagement dans l’unique mission 129E) Jésus, notre modèle 130

Conclusion 131

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Introduction

25 ans après «Nostra ætate»

1 Il y a 25 ans, était promulguée Nostra ætate, la déclaration du ConcileVatican Il sur les relations de l’Eglise avec les autres religions. Le

document soulignait l’importance du dialogue interreligieux. Il rappelaiten même temps le devoir de l’Eglise d’annoncer sans cesse le Christ, laVoie, la Vérité et la Vie, en qui les hommes trouvent leur plénitude (cf.Nostra ætate, 2).

un document sur le dialogue et la mission

2 Afin de promouvoir l’œuvre du dialogue, le Pape Paul VI a créé leSecrétariat pour les non-chrétiens, actuellement dénommé Conseil

pontifical pour le dialogue interreligieux. A la suite de l’Assembléeplénière de 1984, le Secrétariat a publié un document intitulé L’attitude del’Eglise devant les croyants des autres religions: réflexions et orientationsconcernant le dialogue et la mission. Ce document déclare que la missionévangélisatrice de l’Eglise est «une réalité unitaire mais complexe etarticulée». Il en indique les éléments principaux: présence et témoignage;engagement pour la promotion sociale et la libération de l’homme, vieliturgique, prière et contemplation; dialogue interreligieux, et finalementannonce et catéchèse2. L’annonce et le dialogue, chacun à sa place, sontconsidérés tous les deux comme des composantes et des formes authen-tiques de l’unique mission évangélisatrice de l’Eglise. Tous deux tendentà la communication de la vérité salvatrice.

est suivi par un autre sur le dialogue et l’annonce.

3 Le présent document entend poursuivre la réflexion sur ces deuxéléments. Il souligne d’abord les caractéristiques de l’un et de l’autre,

2. Attitude de l’Eglise catholique devant les croyants des autres religions (Réflexions etorientations concernant le dialogue et la mission): AAS (Actes du Saint Siège) 76,1984, pp. 816-828. Voir aussi Bulletin secretariatus pro non christianis n° 56 (1984).

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et étudie ensuite leur relation réciproque. Si l’on traite du dialogue enpremier, ce n’est pas en raison d’une priorité qu’il aurait sur l’annonce. Laraison en est simplement que le dialogue est la première préoccupationdu Conseil pontifical pour le dialogue interreligieux qui a entrepris lapréparation de ce document. En effet, le document a d’abord été discutédurant l’Assemblée plénière du Secrétariat en 1987. Les remarques faites,tant à cette occasion qu’à travers des consultations ultérieures, ont aboutiau texte que voici, achevé lors de l’Assemblée plénière du Conseil ponti-fical pour le dialogue interreligieux, en avril 1990, qui lui a donné sonapprobation. Durant tout ce processus, il y a eu une étroite collaborationentre le Conseil pontifical pour le dialogue interreligieux et laCongrégation pour l’évangélisation des peuples. Les deux Dicastèresproposent ces réflexions à l’Eglise universelle.

Ce thème est actuel

4 Parmi les raisons qui rendent plus actuelle l’étude des relations entredialogue et annonce, on peut mentionner les suivantes:

dans un monde pluraliste4.1. Aujourd’hui, dans notre monde caractérisé par la rapidité descommunications, la mobilité des peuples, l’interdépendance, il existe unenouvelle prise de conscience du pluralisme religieux. Les religions ne secontentent pas tout simplement d’exister ou même de survivre. Encertains cas, elles manifestent un réel renouveau. Elles continuent àinspirer et à influencer la vie de millions de leurs membres. Dans lecontexte actuel du pluralisme religieux, on ne peut donc pas oublier lerôle important que jouent les traditions religieuses.

où le dialogue provoque certaines hésitations4.2. Ce n’est que graduellement que l’on commence à comprendre cequ’est le dialogue interreligieux entre chrétiens et membres des autrestraditions religieuses, tel qu’il a été envisagé par le Concile Vatican II. Lapratique en demeure hésitante en plusieurs endroits. La situation estd’ailleurs différente d’un pays à l’autre. Cela dépend de l’importance dela communauté chrétienne, de l’identité des autres traditions religieusesprésentes, et de bien d’autres facteurs culturels, sociaux et politiques. Un

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examen plus approfondi de la question pourrait aider à stimuler ledialogue.

et soulève des questions.4.3. La pratique du dialogue suscite certains problèmes dans l’esprit debeaucoup. Il y a ceux qui sembleraient penser de façon erronée que, dansla mission actuelle de l’Eglise, le dialogue devrait tout simplementremplacer l’annonce. A l’opposé, d’autres n’arrivent pas à comprendre lavaleur du dialogue interreligieux. D’autres encore sont perplexes ets’interrogent: si le dialogue interreligieux est devenu tellement important,l’annonce du message évangélique a-t-elle perdu son urgence? L’effortpour amener des personnes à entrer dans la communauté de l’Eglise est-il devenu secondaire ou même superflu? D’où le besoin de certainesorientations doctrinales et pastorales, orientations auxquelles voudraitjustement contribuer le présent document, sans prétendre donner uneréponse exhaustive à toutes les questions que ce thème soulève.

Alors qu’on finissait de préparer la publication de ce document, leSaint Père, le Pape Jean-Paul II, a offert à l’Eglise son EncycliqueRedemptoris missio, dans laquelle il a traité de ces questions et de biend’autres. Le présent document explique en détail l’enseignement del’Encyclique sur le dialogue et sa relation avec l’annonce (Redemptorismissio, 55-57). Il doit donc être lu à lalumière de cette Encyclique.

La Journée de prière pour lapaix à Assise

5 La Journée mondiale de prière pour la paix, à Assise, le 27 octobre1986, à l’initiative du Pape Jean-Paul II, invite également à la

réflexion. Le jour même, et plus tard, particulièrement dans son allocutionaux cardinaux et à la Curie romaine en décembre 1986, le Saint Père aexpliqué la signification de la célébration d’Assise. Il a souligné l’unité

fondamentale du genre humain, en sonorigine et en sa destinée, et le rôle del’Eglise comme signe effectif de cetteunité.

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Vous trouverez des extraits del’Encyclique Redemptoris missio dansce numéro aux pages 133 à 136.

Vous trouverez l’intégralitédu discours de Jean-Paul II(22 décembre 1986) dans cenuméro aux pages 29 à 39.

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Il a fait ressortir avec force la portée exacte du dialogue interreligieux,tout en réaffirmant en même temps le devoir de l’Eglise d’annoncer JésusChrist au monde3.

et l’encouragement donné par le Pape Jean-Paul II

6 L’année suivante, s’adressant aux membres de l’Assemblée plénièredu Conseil pontifical pour le dialogue interreligieux, le Pape Jean-

Paul II a déclaré: «De la même manière que le dialogue entre religions estun élément de la mission de l’Eglise, la proclamation de l’œuvre salvi-fique de Dieu en notre Seigneur Jésus Christ en est un autre… Il ne sauraitêtre question de choisir l’un et d’ignorer l’autre ou de le rejeter»4.L’orientation donnée par le Pape nous encourage à continuer notreréflexion sur ce thème.

stimulent aussi la réflexion sur ce thème.

7 Le présent document s’adresse à tous les catholiques, et plus parti-culièrement à ceux qui ont un rôle de guide dans la communauté ou

sont engagés dans la formation. Il est aussi proposé à l’attention deschrétiens qui appartiennent à d’autres Eglises ou Communautés ecclé-siales, et qui ont eux-mêmes réfléchi sur les questions qu’il soulève5. Il està espérer que les fidèles des autres traditions religieuses lui donnerontaussi une certaine attention.

Une clarification de la terminologie est proposée:Mais avant d’aller plus loin, il est sans doute utile de préciser d’abord

le sens des mots-clés qui sont utilisés dans ce document.

3. Cf. Insegnamenti di Giovanni Paolo II, vol. IX, 2 (1986), pp. 1249-1273, 2019-2029.Voir aussi Bulletin n. 64 (1987/1), qui contient tous les discours du Pape avant,pendant et après la Journée de prière à Assise.

4. Insegnamenti di Giovanni Paolo II, vol. X, 1 (1987), pp. 1449-1452. Voir aussiBulletin n° 66 (1987/3), pp. 226-229.

5. Cf. Lignes directrices sur le dialogue, Genève, COE, 1979; Témoignage commun,Genève, COE, 1983.

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évangélisation,

8 Le terme mission évangélisatrice, ou plus simplement évangélisation, seréfère à la mission de l’Eglise dans son ensemble. Dans l’exhortation

apostolique Evangelii nuntiandi, le terme «évangélisation» est utilisé dedifférentes manières. Il signifie «porter la Bonne Nouvelle à toutel’humanité et, par son impact, transformer du dedans, rendre neuvel’humanité elle-même» (Evangelii nuntiandi, 18). Ainsi, par l’évangéli-sation, l’Eglise «cherche à convertir, par la seule énergie divine duMessage qu’elle annonce, les consciences personnelles et collectives, lesactivités dans lesquelles les hommes sont engagés, leurs manières devivre, et les milieux concrets dans lesquels ils vivent» (ibid.). L’Egliseaccomplit sa mission d’évangélisation dans des activités variées. Il y adonc un sens large du concept d’évangélisation. Cependant, dans lemême document, évangélisation est aussi pris dans un sens plus spéci-fique comme «l’annonce claire et sans ambiguïté du Seigneur Jésus»(Evangelii nuntiandi, 22). L’exhortation dit que «cette annonce, kerygma,prédication et catéchèse, occupe une place tellement importante dansl’évangélisation qu’elle en est souvent synonyme; cependant, ce n’estqu’un aspect de l’évangélisation» (ibid.). Dans ce document, le termemission évangélisatrice est utilisé pour évangélisation au sens large,tandis que le sens plus spécifique est rendu par le terme annonce.

dialogue,

9 Le terme de dialoguepeut se comprendre de

différentes manières.Premièrement, au niveaupurement humain, celasignifie communicationréciproque en vue d’un butcommun ou, à un niveauencore plus profond d’unecommunion interpersonnelle.Deuxièmement, le terme dedialogue peut être pris dansle sens d’une attitude derespect et d’amitié, quiimprègne ou devraitimprégner toutes les activités

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«Le dialogue n’est pas le monopole desseuls chrétiens! Les fondements d’undialogue interreligieux se trouvent aussi ausein des autres religions. Témoin cet extraitd’un édit promulgué il y a bien longtemps,au IIIème siècle avant Jésus Christ, par Asoka,un roi bouddhiste: “On ne devrait pashonorer seulement sa propre religion etcondamner les religions des autres, mais ondevrait honorer les religions des autres pourcette raison-ci ou pour cette raison-là. Enagissant ainsi, on aide à grandir sa proprereligion et on rend aussi service à celles desautres. Ainsi la concorde est bonne: que tousécoutent et veuillent bien écouter lesdoctrines des autres religions”» (cf. DennisGira, Les religions, coll. «Parcours», Paris,Centurion/La Croix, 1991, p. 110).

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qui constituent la mission évangélisatrice de l’Eglise. Cela peut être, àjuste titre, appelé «l’esprit du dialogue». Troisièmement, dans un contextede pluralisme religieux, le terme de dialogue signifie «l’ensemble desrapports interreligieux, positifs et constructifs, avec des personnes et descommunautés de diverses croyances, afin d’apprendre à se connaître et às’enrichir les uns les autres» (Dialogue et mission, 3), tout en obéissant à lavérité et en respectant la liberté de chacun. Il implique à la fois le témoi-gnage et l’approfondissement des convictions religieuses respectives.C’est dans ce troisième sens que le présent document utilise le terme dedialogue comme étant l’un des éléments intégrants de la mission évangé-lisatrice de l’Eglise.

annonce,

10 Le terme d’annonce signifie la communication du messageévangélique, le mystère du salut réalisé pour tous par Dieu en

Jésus Christ avec la puissance de l’Esprit Saint. C’est une invitation à unengagement de foi en Jésus Christ, une invitation à entrer par le baptêmedans la communauté des croyants qu’est l’Eglise. Cette annonce peut sefaire sous forme solennelle et publique, comme ce fut le cas au jour de laPentecôte (cf. Ac 2, 5-41), ou bien sous forme de simple conversationprivée (cf. Ac 8, 30-38). Elle conduit tout naturellement à une catéchèsequi tend à approfondir cette foi. L’annonce est le fondement, le centre etle sommet de l’évangélisation (cf. Evangelii nuntiandi, 27).

conversion,

11 L’idée de conversion inclut toujours un mouvement de tout l’êtrevers Dieu, «le retour d’un cœur humble et contrit à Dieu, avec le

désir de lui soumettre plus pleinement sa propre vie» (Dialogue et mission,37). D’autre part, le terme de conversion peut aussi se référer de manièreplus spécifique à un changement d’adhésion religieuse et, plus particuliè-rement, au fait d’embrasser la foi chrétienne. Le sens du terme conversionutilisé dans ce document dépendra du contexte auquel il se réfère.

religions et traditions religieuses.

12 Les termes de religions et de traditions religieuses sont ici utilisésen un sens générique et analogique. Ils comprennent les religions

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qui, avec le christianisme, aiment à se référer à la foi d’Abraham6, ainsique les grandes traditions religieuses de l’Asie, de l’Afrique et du reste dumonde.

13 Le dialogue interreligieux devrait s’étendre à toutes les religionset à leurs membres. Mais ce document ne traitera pas du dialogue

avec les membres des «Nouveaux mouvements religieux», à cause de ladiversité des situations qu’ils présentent et le besoin de discernement desvaleurs humaines et religieuses qu’ils contiennent7.

1. Dialogue interreligieux

A) Une approche chrétienne des traditions religieuses

Une approche positive des traditions religieuses

14 Une juste appréciation des autres traditions religieusesprésuppose normalement un contact étroit avec celles-ci. Cela

implique, à côté des connaissances théoriques, une expérience réelle dudialogue interreligieux avec les membres de ces mêmes traditions.

6. Puisque le patrimoine spirituel qui est commun aux chrétiens et aux juifs estsi grand (cf. Nostra ætate, 4), le dialogue entre chrétiens et juifs a ses propres etspéciales exigences. Il n’en est pas traité dans le présent document. Pour s’enfaire une idée complète, voir les travaux de la Commission pour les relationsreligieuses avec le judaïsme: Orientations et suggestions pour l’application de laDéclaration conciliaire «Nostra ætate» n° 4, 1er décembre 1974, La Documentationcatholique, n. 1668 (19 janvier 1975), pp. 59-61; Notes pour une correcteprésentation des juifs et du judaïsme dans la prédication et la catéchèse del’Eglise catholique, 24 juin 1985. La Documentation catholique, n° 1900 (21juillet 1985, pp. 733-738).

7. La question des Nouveaux mouvements religieux est traitée dans undocument récent publié conjointement par le Conseil pontifical pour l’unitédes chrétiens, le Conseil pontifical pour le dialogue interreligieux, le Conseilpontifical pour le dialogue avec les non-croyants, et le Conseil pontifical pourla culture. Cf. La Documentation catholique, n° 1919 (1er juin 1986).

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Cependant, il est aussi vrai qu’une évaluation théologique correcte de cestraditions, au moins en termes généraux, demeure un présupposé néces-saire pour le dialogue interreligieux. Ces traditions doivent être appro-chées avec grand respect, à cause des valeurs spirituelles et humainesqu’elles contiennent. Elles requièrent notre considération car, à travers lessiècles, elles ont porté témoignage des efforts déployés pour trouver desréponses «aux énigmes cachées de la condition humaine» (Nostra ætate, 1)et elles ont été le lieu d’expression de l’expérience religieuse et des plusprofondes aspirations de millions de leurs membres: elles continuent à lefaire et à l’être aujourd’hui.

est adoptée par Vatican II

15 Vatican II a indiqué le chemin pour arriver à une telle évaluationpositive. Il faut s’assurer, avec soin et précision, du sens exact des

affirmations du Concile. Le Concile réaffirme la doctrine traditionnelleselon laquelle le salut en Jésus Christ est, par des voies mystérieuses, uneréalité offerte à toute personne de bonne volonté. La claire affirmation decette conviction de base du Concile se trouve dans la ConstitutionGaudium et spes. Le Concile y enseigne que le Christ, nouvel Adam, par lemystère de son Incarnation, de sa mort et de sa Résurrection, agit enchaque personne humaine pour l’amener à un renouveau tout intérieur:

«Et cela ne vaut pas seulement pour ceux qui croient au Christ, maisbien pour tous les hommes de bonne volonté, dans les cœurs desquels,invisiblement, agit la grâce. En effet, puisque le Christ est mort pour touset que la vocation dernière de l’homme est réellement unique, à savoirdivine, nous devons tenir que l’Esprit Saint offre à tous, d’une façon queDieu connaît, la possibilité d’être associés au Mystère pascal» (Gaudium etspes, 22).

qui découvre en elles des effets de la grâce divine

16 Le Concile va même plus loin. Faisant sienne la vision, et même laterminologie, de certains Pères de l’Eglise des premiers temps,

Nostra ætate parle de la présence dans ces traditions d’un «rayon de cetteVérité qui illumine tous les hommes» (Nostra ætate, 2). Ad gentes reconnaîtla présence de «semences du Verbe» et signale «les richesses que, par samunificence, Dieu a dispensées aux nations» (Ad gentes, 11). Lumengentium fait référence au bien «semé» non seulement «dans l’esprit et le

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cœur des hommes» mais aussi «dans les rites et les coutumes despeuples» (Lumen gentium, 17).

et l’action du Saint-Esprit,

17 Ces quelques références suffisent à montrer que le Concile areconnu ouvertement la présence de valeurs positives, non

seulement dans la vie religieuse personnelle des croyants des autres tradi-tions religieuses, mais aussi dans les traditions religieuses elles-mêmesauxquelles ils appartiennent. Il attribue ces valeurs à la présence active deDieu lui-même à travers son Verbe, et aussi à l’action universelle del’Esprit: «Sans aucun doute, affirme Ad gentes, le Saint-Esprit était actifdans le monde avant que le Christ ne soit glorifié» (n° 4). Partant de là, onpeut donc considérer que ces éléments, en tant que préparation pourl’Evangile, ont joué et jouent toujours un rôle providentiel dans l’éco-nomie du salut. A reconnaître tout cela, l’Eglise se sent poussée à entreren dialogue et collaboration (Nostra ætate, 2; cf. Gaudium et spes, 92-93).«Que les chrétiens, tout en témoignant de la foi et de la vie chrétiennes,reconnaissent, préservent et fassent progresser les valeurs spirituelles,morales et socioculturelles qui se trouvent en ceux qui suivent d’autresreligions» (Nostra ætate, 2).

mais souligne le rôle de l’activité de l’Eglise.

18 Le Concile n’ignore pas que l’activité missionnaire de l’Eglise estnécessaire pour mener à leur perfection dans le Christ ces

éléments trouvés dans d’autres religions. Le Concile l’affirme trèsclairement:

«Tout ce qui se trouvait déjà de vérité et de grâce chez les nationscomme par une secrète présence de Dieu, elle le délivre des contactsmauvais et le rend au Christ, son auteur, qui détruit l’empire du diable etarrête la malice infiniment diverse des crimes. Aussi, tout ce qu’ondécouvre de bon semé dans le cœur et l’âme des hommes ou dans les ritesparticuliers et les civilisations particulières des peuples, non seulement nepérit pas, mais est purifié, élevé et porté à sa perfection pour la gloire deDieu, la confusion du démon et le bonheur de l’homme» (Ad gentes, 9).

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L’histoire de l’action salvatrice de Dieu

19 L’Ancien Testament témoigne du fait que, dès le début de lacréation, Dieu a fait alliance avec tous les hommes (Gn 1-11). Ceci

montre qu’il y a une seule histoire du salut pour toute l’humanité.L’Alliance avec Noé l’homme qui a «marché avec Dieu» (Gn 6, 9), est lesymbole de l’intervention de Dieu dans l’histoire des nations. Des person-nages non israélites de l’Ancien Testament sont considérés dans leNouveau Testament comme appartenant à cette unique histoire du salut.Abel, Hénoch, Noé, sont proposés comme des modèles de foi (cf. He 11, 4-7). Ils ont connu, adoré le vrai Dieu et ils ont cru en lui qui estidentique au Dieu qui s’est révélé lui-même à Abraham et à Moïse.Melchisedech, le Grand-Prêtre des nations, bénit Abraham, le père detous les croyants (cf. He 7, 1-17). C’est cette histoire de salut qui voit sonaccomplissement final en Jésus Christ en qui est établie la nouvelle etdéfinitive Alliance pour tous les peuples.

s’étend au-delà du peuple élu à toutes les nations.

20 Mais la conscience religieuse d’Israël est caractérisée par laconviction profonde de son statut spécial de peuple élu de Dieu.

Son élection, accompagnée d’un processus de formation et d’exhortationscontinuelles pour préserver la pureté du monothéisme, constitue unemission. Les prophètes insistent continuellement sur la loyauté et lafidélité à l’unique vrai Dieu et annoncent le Messie à venir. Pourtant, cesmêmes prophètes, surtout au moment de l’Exil, font naître uneperspective universelle, la réalisation que l’action salvatrice de Dieus’étend au-delà et à travers Israël aux nations. Ainsi Isaïe prédit qu’auxderniers jours les nations afflueront à la maison du Seigneur et diront:«Venez, montons à la montagne du Seigneur, allons au Temple du Dieu deJacob pour qu’il nous enseigne ses voies et que nous suivions ses sentiers»(Is 2, 3). Il est dit également que «tous les confins de la terre ont vu le salutde notre Dieu» (Is 52, 10). Dans les Livres sapientiaux aussi, qui témoi-gnent des échanges culturels entre Israël et les peuples qui l’entourent,l’action divine dans l’univers tout entier est clairement affirmée. Elles’étend au-delà des frontières du peuple élu pour toucher l’histoire desnations et la vie des individus.

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La mission universelle de Jésus

21 Si l’on passe au Nouveau Testament, on voit que Jésus lui-mêmea déclaré être venu pour rassembler les brebis perdues d’Israël (cf.

Mt 15, 24) et il a défendu à ses disciples, dans un premier temps, de setourner vers les nations (cf. Mt 10, 5). Il a cependant manifesté uneattitude d’accueil vis-à-vis d’hommes et de femmes qui n’appartenaientpas au peuple élu d’Israël. Il entrait en dialogue avec eux et il recon-naissait le bien qui se trouvait en eux. Il s’est émerveillé de la promptitudedu centurion à croire, disant qu’il n’avait jamais trouvé pareille foi enIsraël (cf. Mt 8, 5-13). Il a accompli des miracles de guérison pour des«étrangers» (cf. Mc 7, 24-30; Mt 15, 21-28) et ces miracles étaient des signesde la venue du Royaume. Il s’est entretenu avec la Samaritaine et lui aparlé de l’heure où l’adoration ne sera pas limitée à tel ou tel lieu, mais oùles vrais adorateurs «adoreront le Père en esprit et en vérité» (Jn 4, 23).Jésus ouvre ainsi un horizon nouveau, celui d’une universalité decaractère à la fois christologique et pneumatologique dépassant lessimples questions de lieu. Car le nouveau sanctuaire est maintenant lecorps du Seigneur Jésus (cf. Jn 2, 21) que le Père a ressuscité par lapuissance de l’Esprit.

annonce le Règne de Dieu

22 Le message de Jésus, prouvé par le témoignage de sa vie, c’estdonc qu’en sa personne le Royaume de Dieu fait irruption dans le

monde. Au début de son ministère public dans la Galilée des nations, ilpeut dire: «Les temps sont accomplis et le Royaume de Dieu est toutproche». Il indique aussi quelles sont les conditions pour entrer dans ceRoyaume: «Repentez-vous et croyez à la Bonne Nouvelle» (Mc 1, 15). Cemessage ne s’adresse pas seulement à ceux qui appartiennent au peuplespécialement choisi. En effet, Jésus a annoncé explicitement l’entrée desnations dans le Royaume de Dieu (cf. Mt 8, 10-11; 11, 20-24; 25, 31-32), unRoyaume qu’il faut comprendre comme étant tout à la fois historique eteschatologique. Il est tout à la fois le Royaume du Père dont il fautdemander la venue par la prière (cf. Mt 6, 10), et le Royaume de Jésus,puisque Jésus déclare ouvertement qu’Il est roi (cf. Jn 18, 33-37). En fait,en Jésus Christ, le Fils de Dieu fait homme, nous avons la plénitude de larévélation et du salut, et l’accomplissement du désir des nations.

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qui s’étend à tous les peuples.

23 Dans le Nouveau Testament, les références à la vie religieuse desnations ainsi qu’à leurs traditions religieuses peuvent paraître

contradictoires, mais sont en fait complémentaires. D’un côté, il y a leverdict négatif de la Lettre aux Romains au sujet de ceux qui n’ont pasreconnu Dieu dans sa création et qui sont tombés dans l’idolâtrie et ladépravation (cf. Rm 1, 18-32). De l’autre côté, les Actes témoignent del’attitude ouverte et positive de Paul envers les Gentils, tant dans sondiscours aux Lycaoniens (cf. Ac 14, 8-18) que dans celui à l’Aréopaged’Athènes, où il loue leur esprit religieux et leur annonce celui qu’ilsrévèrent, sans le savoir, comme le «Dieu inconnu» (Ac 17, 22-34). Il fautaussi tenir compte du fait que la tradition de la sagesse est appliquée,dans le Nouveau Testament, à Jésus Christ, sagesse de Dieu, Parole deDieu qui illumine tout homme (cf. Jn 1, 9) et qui, par l’Incarnation, fixe satente parmi nous (cf. Jn 1, 13).

Les Pères des premiers siècles

24 La tradition post-biblique est caractérisée par les mêmescontrastes. Des jugements négatifs sur le monde religieux de leur

temps peuvent être aisément glanés dans les écrits des Pères. Cependant,l’antique tradition manifeste une remarquable ouverture. Nombre dePères de l’Eglise reprennent la tradition sapientielle telle que la reflétait leNouveau Testament. En particulier, certains auteurs du IIe siècle et dudébut du IIIe, comme Justin, Irénée et Clément d’Alexandrie, parlentexplicitement ou de manière équivalente, des «semences» de la Parole deDieu parmi les nations8. Aussi peut-on dire que, pour eux, avant et endehors de l’économie chrétienne, Dieu s’est déjà manifesté, quoique demanière incomplète. Cette manifestation du Logos est une préfigurationde la pleine révélation en Jésus Christ qu’elle annonce.

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8. Justin parle des «semences» jetées par le Logos dans les traditions religieuses.Mais ce n’est que par l’Incarnation que la manifestation du Logos devientcomplète (1 Ap 46, 1-4 ; 2 Ap 8, 1; 10, 1-3; 13, 4-6). Pour Irénée, le Fils, manifes-tation visible du Père, s’est révélé aux hommes «dès le commencement», etpourtant l’Incarnation apporte quelque chose d’essentiellement neuf (Adv.Hær., 4, 6, 5-7; 4, 7, 2; 4, 20, 6-7). Selon Clément d’Alexandrie, la «philosophie»fut donnée aux Grecs par Dieu comme une «alliance», une pierre d’attente à laphilosophie selon le Christ, un «pédagogue» qui conduirait l’esprit grec à lui(Stromates, 1, 5; 6, 8; 7, 2).

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offrent une théologie de l’histoire

25 En fait, ces Pères des premiers siècles présentent ce qu’on pourraitappeler une théologie de l’histoire. L’histoire devient une histoire

du salut, dans la mesure où Dieu, à travers elle, se manifeste progressi-vement et communique avec l’humanité. Ce processus de manifestationet de communication divines atteint son apogée dans l’Incarnation duVerbe de Dieu en Jésus Christ. C’est le sens de la distinction que fait Irénéeentre les quatre alliances données par Dieu au genre humain: en Adam,en Noé, en Moïse, en Jésus Christ9. Ce même courant patristique, dontl’importance n’est pas à sous-estimer, a atteint peut-on dire son pointculminant chez Augustin. Dans ses dernières œuvres, celui-ci a soulignéla présence et l’influence universelle du mystère du Christ, même avantl’Incarnation. En réalisant son plan de salut, Dieu, en son Fils, a atteint

Justin:«Moïse est plus ancien que tous les écrivains grecs. Tout ce que les philosophes et les

poètes ont dit de l'immortalité de l'âme, des châtiments qui suivent la mort, de lacontemplation des choses célestes et des autres doctrines semblables, ils en ont reçu lesprincipes des prophètes, et c'est ainsi qu'ils ont pu les concevoir et les énoncer. Cheztous, il semble y avoir des semences de vérité» (Apologie, I, 44).

Clément d’Alexandrie*:«Dieu est la source de tous les biens, des uns de façon principale, comme les deux

testaments, des autres de façon subordonnée, comme la philosophie. Mais on peut mêmedire que c'est à titre principal qu'elle a été alors donnée aux Grecs avant que le Seigneurne les appelle: en effet, elle faisait l'éducation de l'hellénisme vers le Christ, comme la Loifaisait celle des Hébreux (…). Il n'y a certes qu'une route de la vérité, mais elle estcomme un fleuve intarissable, vers lequel débouchent les autres cours d'eau venus d'unpeu partout. (…). Et ce n'est pas seulement pour un seul juste qu'il dit qu'il y aplusieurs voies de salut; il ajoute qu'il y a, pour des foules de justes, des foules d'autresroutes; il le fait entendre ainsi: “les sentiers des justes brillent comme la lumière”. Ehbien, les préceptes et les instructions préparatoires sont sans doute des routes, des misesen train de notre vie» (Stromates I, 28, 29).

«Si, de façon générale, toutes les choses nécessaires et utiles à la vie viennent à nousde Dieu, la philosophie davantage encore est donnée aux Grecs comme une Alliancepropre à eux, étant un échelon de la philosophie du Christ» (Stromates, VI, 67, 1).

* Sur Clément d’Alexandrie, on pourra lire l’article de Jean Comby, «Peut-onparler de dialogue interreligieux dans les premiers siècles de l’Eglise?L’exemple de Clément d’Alexandrie», dans Aubert (J.-M.) et Couvreur (G.),Mission et dialogue interreligieux, Profac, Lyon, 1991, pp. 85-98.

9. Adv. Hær., 3, 11, 8.

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10. Retract. ,1, 13, 3; cf. Enar. in Ps 118 (Sermo 29, 9); Enar. in Ps 142, 3.

l’humanité entière. Ainsi le christianisme, en un certain sens, existait déjà« au commencement de la race humaine»10.

que le Magistère reprend.

26 C’est avec cette antique vision chrétienne de l’histoire que VaticanII a voulu renouer. Après le Concile, le Magistère de l’Eglise,

spécialement celui du Pape Jean-Paul II, est allé plus loin en cette mêmedirection. Le Pape reconnaît d’abord explicitement la présence agissantede l’Esprit Saint dans la vie des membres des autres traditions religieuses.Dans Redemptor hominis, il dit que «la fermeté de leur croyance» est «uneffet de l’Esprit de vérité opérant en dehors des limites visibles du Corpsmystique» (Redemptor hominis, 6). Dans son Encyclique Dominum et vivifi-cantem, il va encore plus loin et affirme l’action universelle de l’EspritSaint dans le monde avant l’économie chrétienne, à laquelle cette actionétait ordonnée, et parle de cette même action universelle de l’Espritaujourd’hui, en dehors même du Corps visible de l’Esprit (Dei verbum,53).

Le Pape Jean-Paul II

27 Dans son allocution à la Curieromaine, après la Journée de

prière à Assise, le Pape Jean-Paul II souli-gnait une fois de plus la présence univer-selle de l’Esprit Saint, en affirmant que «chaque prière authentique estsuscitée par l’Esprit Saint qui est mystérieusement présent dans le cœurde chaque personne humaine», qu’elle soit chrétienne ou non. Mais, ànouveau, dans ce même discours, regardant plus loin que les seulsindividus, le Pape a évoqué clairement les principaux éléments qui consti-tuent, ensemble, la base théologique d’une approche positive des autrestraditions religieuses et de la pratique du dialogue interreligieux.

enseigne le mystère de l’unité de toute l’humanité

28 Il y a d’abord le fait que toute l’humanité forme une seule famillebasée sur une origine commune, tous les hommes et toutes les

Vous trouverez l’intégralitédu discours de Jean-Paul II(22 décembre 1986) dans cenuméro aux pages 29 à 39.

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femmes étant créés par Dieu à sa propre image. Parallèlement, tous ontune destinée commune, puisque tous sont appelés à trouver en Dieu laplénitude de vie. De plus, il n’y a qu’un plan divin de salut, ayant soncentre en Jésus Christ qui, dans son Incarnation, «s’est uni lui-même,d’une certaine manière, à chaque homme» (cf. Redemptor hominis, 13;Gaudium et spes, 22, 2). Et, finalement, il y a la présence active du Saint-Esprit dans la vie religieuse des membres des autres traditions religieuses.Le Pape conclut donc à «un mystère d’unité» qui s’est clairementmanifesté à Assise, «malgré les différences entre les professionsreligieuses»11.

et l’unité du salut.

29 Il découle de ce mystère d’unité que tous ceux et celles qui sontsauvés participent, bien que différemment, au même mystère de

salut en Jésus Christ par son Esprit. Les chrétiens en sont bien conscients,grâce à leur foi, tandis que les autres demeurent inconscients du fait queJésus Christ est la source de leur salut. Le mystère du salut les atteint,néanmoins, par des voies connues de Dieu seul, grâce à l’action invisiblede l’Esprit du Christ. Concrètement, c’est dans la pratique sincère de cequi est bon dans leurs traditions religieuses et en suivant les directives deleur conscience, que les membres des autres religions répondent positi-vement à l’appel de Dieu et reçoivent le salut en Jésus Christ, même s’ilsne le reconnaissent et ne le confessent pas comme leur Sauveur (cf. Adgentes, 3, 9, 11).

Un discernement est nécessaire.

30 Les fruits de l’Esprit de Dieu dans la vie personnelle desindividus, chrétiens ou non, peuvent être facilement discernés (cf.

Ga 5, 22-23). Identifier, dans les autres traditions religieuses, ces élémentsde grâce capables de soutenir la réponse positive de leurs membres àl’appel de Dieu est bien plus difficile. Un discernement est ici requis, pourlequel des critères doivent être établis. Bien des personnes sincères,inspirées par l’Esprit de Dieu, ont certainement marqué de leur empreintel’élaboration et le développement de leurs traditions religieuses

11. Cf. Insegnamenti di Giovanni Paolo II, vol. IX, 2 (1986), pp. 2019-2029. Voir aussiBulletin n° 64 (1987/1), pp. 62-70.

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respectives. Mais cela ne veut pas dire pour autant que tout en celles-cisoit nécessairement bon.

31 Affirmer que les autres traditions religieuses comprennent des«éléments de grâce» ne signifie pas pour autant que tout en elles

soit le fruit de la grâce. Le péché a été à l’œuvre dans le monde et donc lesautres traditions religieuses, malgré leurs valeurs positives, sont aussi lereflet des limitations de l’esprit humain qui est parfois enclin à choisir lemal. Une approche ouverte et positive des autres traditions religieusesn’autorise donc pas à fermer les yeux sur les contradictions qui peuventexister entre elles et la révélation chrétienne. Là où c’est nécessaire, ondoit reconnaître qu’il y a incompatibilité entre certains éléments essentielsde la religion chrétienne et certains aspects de ces traditions.

Le dialogue présente à tous un défi.

32 Cela signifie donc que, tout en entrant avec un esprit ouvert dansle dialogue avec les membres des autres traditions religieuses, les

chrétiens peuvent, d’une manière pacifique, les inciter à réfléchir aucontenu de leur croyance. Mais les chrétiens eux-mêmes doivent accepter,à leur tour, d’être remis en question. En effet, malgré la plénitude de larévélation de Dieu en Jésus Christ, la manière suivant laquelle ilscomprennent parfois leur religion et la vivent peut avoir besoin de purifi-cation.

B) La place du dialogue interreligieux dans la missionévangélisatrice de l’Eglise

L’Eglise est le sacrement universel de salut,

33 L’Eglise a été voulue par Dieu et instituée par le Christ pour être,dans la plénitude des temps, signe et instrument du plan divin de

salut (cf. Lumen gentium, 1) au centre duquel se trouve le mystère duChrist. Elle est le «sacrement universel de salut» (Lumen gentium, 48) et estnécessaire pour le salut (Lumen gentium, 14). Le Seigneur Jésus lui-mêmea inauguré sa mission «en prêchant la Bonne Nouvelle, l’avènement duRègne de Dieu» (Lumen gentium, 5).

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le germe et le commencement du Royaume

34 La relation entre l’Eglise et le Royaume est donc mystérieuse etcomplexe. Comme l’enseigne Vatican II, «le Royaume est avant

tout révélé dans la personne même du Christ». Toutefois, l’Eglise, qui areçu du Seigneur Jésus la mission d’annoncer le Royaume, «est, sur terre,le germe et le commencement de ce Royaume». En même temps, l’Eglise«croît lentement vers la maturité (et) aspire à l’accomplissement duRoyaume» (Lumen gentium, 5). Ainsi, «le Royaume est inséparable del’Eglise car tous deux sont inséparables de la personne et de l’œuvre deJésus lui-même… Il n’est donc pas possible de séparer l’Eglise duRoyaume comme si la première appartenait exclusivement au domaineimparfait de l’histoire et que le second soit l’accomplissement eschatolo-gique parfait du plan divin de salut»12.

et toute l’humanité est ordonnée vers elle.

35 Les membres des autres traditions religieuses sont ordonnés ouorientés (ordinantur) à ou vers l’Eglise, en ce qu’elle est le

sacrement dans lequel le Royaume de Dieu est «mystérieusement»présent, car, dans la mesure où ils répondent aux appels de Dieu perçusdans leur conscience, ils sont sauvés en Jésus Christ et partagent donc déjàen quelque sorte la réalité signifiée par le Royaume. La mission de l’Egliseest de faire croître «le Royaume de notre Seigneur et de son Christ» (Ap11, 15), au service duquel elle est placée. Une partie de ce rôle consistedonc à reconnaître que la réalité de ce Royaume peut se trouver à l’étatinchoatif aussi au-delà des frontières de l’Eglise, par exemple dans lecœur des membres d’autres traditions religieuses dans la mesure où ilsvivent des valeurs évangéliques et sont ouverts à l’action de l’Esprit. Ilfaut rappeler cependant que cette réalité est en vérité à l’état inchoatif; elletrouvera son achèvement en étant ordonnée au Royaume du Christ quiest déjà présent dans l’Eglise mais qui ne se réalisera pleinement que dansle monde à venir.

12. Jean-Paul II, Discours aux évêques indiens en visite ad limina, 14 avril 1989 (AAS[Actes du Saint Siège], vol. LXXXI, p. 1126).

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L’Eglise en pèlerinage

36 L’Eglise demeure ici, sur terre, en pèlerinage. Bien qu’elle soitsainte par institution divine, ses membres ne sont pas parfaits; ils

portent la marque des limitations humaines. En conséquence, elle perd desa transparence comme sacrement du salut. Et c’est la raison pour laquellel’Eglise elle-même, «en tant qu’institution humaine et terrestre», et nonpoint seulement ses membres, éprouve un besoin constant de réforme etde rénovation (cf. Unitatis redintegratio, 6).

avance vers la plénitude de la vérité divine

37 Quand il s’agit de la Révélation divine, le Concile enseigne que«la profonde vérité que cette Révélation manifeste, sur Dieu et sur

le salut de l’homme, resplendit pour nous dans le Christ, qui est à la foisMédiateur et plénitude de toute la Révélation» (Dei verbum, 2). Fidèles aucommandement reçu du Christ lui-même, les Apôtres ont transmis, à leurtour, cette Révélation. Aussi «cette Tradition qui vient des Apôtres sepoursuit dans l’Eglise, sous l’assistance du Saint-Esprit: c’est ainsi ques’accroît la perception des choses aussi bien que des paroles transmises»(Dei verbum, 8). Tout ceci se réalise grâce à l’étude et à l’expérience spiri-tuelle, et s’exprime aussi grâce à l’enseignement des évêques qui ont reçuun charisme assuré de la vérité. C’est ainsi que l’Eglise «tendconstamment vers la plénitude de la vérité, jusqu’à ce que ce que soientaccomplies en elle les paroles de Dieu» (ibid.). Ceci n’est nullement encontradiction avec l’institution divine de l’Eglise ni avec la plénitude dela Révélation divine en Jésus Christ qui lui a été confiée.

dans un dialogue de salut

38 Dans ce contexte, il devient plus facile de voir pourquoi et dansquel sens le dialogue interreligieux est un élément intégrant de la

mission évangélisatrice de l’Eglise. La raison fondamentale de l’enga-gement de l’Eglise dans le dialogue n’est pas simplement de natureanthropologique: elle est aussi théologique. Dieu, dans un dialogue quidure au long des âges, a offert et continue à offrir le salut à l’humanité. Enfidélité à l’initiative divine, l’Eglise se doit donc d’entrer dans un dialoguede salut avec tous.

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avec les croyants des autres religions,

39 Le Pape Paul VI l’a clairement enseigné dans sa premièreencyclique, Ecclesiam suam. Le Pape Jean-Paul II a également

souligné que l’Eglise est invitée au dialogue interreligieux auquel il adonné le même fondement. S’adressant aux participants de l’Assembléeplénière du Conseil pontifical pour le dialogue interreligieux en 1984, lePape déclarait: «Le dialogue (interreligieux) est fondamental pour l’Eglisequi est appelée à collaborer au plan de Dieu par ses méthodes deprésence, de respect et d’amour pour tous les hommes». Il continuait alorsen attirant l’attention sur un passage du décret Ad gentes: «Dans leur vieet leur activité, les disciples du Christ, intimement unis aux hommes,espèrent leur présenter le vrai témoignage du Christ et travailler en vuede leur salut, même là où ils ne peuvent annoncer pleinement le Christ»(Ad gentes, 12). Il avait d’ailleurs dit auparavant: «Le dialogue s’insèredans la mission salvifique de l’Eglise; c’est pourquoi il est un dialogue desalut»13.

ce qui conduit à un engagement plus profond

40 Dans ce dialogue de salut, les chrétiens et les autres sont tousappelés à collaborer avec l’Esprit du Seigneur ressuscité, Esprit

qui est universellement présent et agissant. Le dialogue interreligieux netend pas simplement à une compréhension mutuelle et à des relationsamicales. Il parvient à un niveau beaucoup plus profond, celui-là mêmede l’esprit, où l’échange et le partage consistent en un témoignage mutuelde ce que chacun croit et une exploration commune des convictionsreligieuses respectives. Par le dialogue, les chrétiens et les autres sontinvités à approfondir les dimensions religieuses de leur engagement et àrépondre, avec une sincérité croissante, à l’appel personnel de Dieu et audon gratuit qu’il fait de lui-même, don qui passe toujours, comme notrefoi nous le dit, par la médiation de Jésus Christ et l’œuvre de son Esprit.

et une conversion à Dieu.

41 Etant donné cet objectif, à savoir une conversion plus profonde detous à Dieu, le dialogue interreligieux possède sa propre valeur.

13. Cf. Insegnamenti di Giovanni Paolo II, vol. VII, I (1984), pp. 595-599; texte françaisdans Bulletin n° 56 (1984/2), pp. 142-145.

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Durant ce processus de conversion, «peut naître la décision d’abandonnerla position spirituelle ou religieuse précédente pour en embrasser uneautre» (Dialogue et mission, 37). Le dialogue sincère implique d’une partque l’on accepte l’existence de différences et même de contradictions, etd’autre part que l’on respecte la libre décision que les personnes prennenten accord avec les impératifs de leur conscience (cf. Dignitatis humanæ, 2).Il faut cependant se souvenir de l’enseignement du Concile: «Tous leshommes sont tenus de chercher la vérité, surtout en ce qui concerne Dieuet son Eglise; et quand ils l’ont connue, de l’embrasser et de lui êtrefidèles» (Dignitatis humanæ, 1).

C) Formes de dialogue

Les formes du dialogue

42 Il existe différentes formes de dialogue interreligieux. Il semblecependant utile de rappeler ici celles que mentionne le document

de 1984 du Conseil pontifical pour le dialogue interreligieux. Quatreformes y sont mentionnées, sans qu’on ait voulu y mettre un ordre depriorité:

42.1. Le dialogue de la vie, où les gens s’efforcent de vivre dans un espritd’ouverture et de bon voisinage, partageant leurs joies et leurs peines,leurs problèmes et leurs préoccupations humaines;

42.2. Le dialogue des œuvres, où il y a collaboration en vue du dévelop-pement intégral et de la libération totale de l’homme;

42.3. Le dialogue des échanges théologiques, où des spécialistescherchent à approfondir la compréhension de leurs héritages religieuxrespectifs et à apprécier les valeurs spirituelles les uns des autres;

42.4. Le dialogue de l’expérience religieuse, où des personnes enracinéesdans leurs propres traditions religieuses partagent leurs richesses spiri-tuelles, par exemple par rapport à la prière et à la contemplation, à la foiet aux voies de la recherche de Dieu ou de l’Absolu.

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sont liées les unes aux autres,

43 Il ne faut pas perdre de vue cette variété des formes de dialogue.Si on réduisait celui-ci à l’échange théologique, le dialogue

pourrait être facilement considéré comme un produit de luxe dans lamission de l’Eglise, et donc un domaine réservé à des spécialistes. Aucontraire, guidées par le Pape et leurs évêques, toutes les Eglises localeset tous les membres de ces Eglises sont appelés au dialogue, mais nonpoint tous de la même manière. Il est en outre évident que les différentesformes sont liées les unes aux autres. Les contacts de la vie quotidienne etl’engagement commun dans l’action ouvriront normalement la voie pourpromouvoir ensemble les valeurs humaines et spirituelles. Ils peuventensuite conduire aussi au dialogue de l’expérience religieuse, en réponseaux graves questions que les circonstances de la vie ne manquent pas desusciter dans l’esprit humain (cf. Nostra ætate, 2). Les échanges au niveaude l’expérience religieuse peuvent également rendre plus vivantes etprofondes les discussions théologiques. Celles-ci en retour peuventéclairer les expériences et encourager des contacts plus étroits.

concernent la promotion humaine

44 Il faut également souligner l’importance du dialogue pour ledéveloppement intégral, la justice sociale et la libération humaine.

Les Eglises locales, comme témoins de Jésus Christ, sont appelées às’engager en ce domaine de manière désintéressée et en toute impartialité.Il faut qu’elles se mobilisent en faveur des droits de l’homme, qu’ellesproclament les exigences de la justice et qu’elles dénoncent les injustices,non seulement quand leurs propres membres en sont les victimes, maisindépendamment de l’appartenance religieuse des personnes qui ensouffrent. Il faut aussi que tous s’associent pour essayer de résoudre lesgraves problèmes auxquels la société et le monde doivent faire face, etpour promouvoir l’éducation à la justice et à la paix.

et la culture.

45 Un autre contexte dans lequel le dialogue interreligieux sembleurgent aujourd’hui est celui de la culture. Le concept de culture

est plus large que celui de religion. Selon une certaine conception, lareligion représente la dimension transcendante de la culture et donc sonâme. Les religions ont certainement contribué au progrès de la culture et

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à l’édification d’une société plus humaine. Cependant, les pratiquesreligieuses ont parfois aussi eu une influence aliénante à l’égard descultures et une culture autonome sécularisée peut aujourd’hui jouer unrôle critique vis-à-vis de certains éléments négatifs dans telle ou tellereligion. La question est donc complexe, car plusieurs religions peuventcoexister dans un seul et même cadre culturel, alors qu’une même religionpeut trouver à s’exprimer dans des contextes culturels différents. Il arrivemême que des différences religieuses peuvent conduire à des culturesdistinctes dans une même région.

46 Le message chrétien promeut nombre de valeurs qui se trouventet sont vécues dans la sagesse et le riche patrimoine des cultures,

mais il peut aussi mettre en question des valeurs généralement acceptéesdans une culture donnée. C’est dans un dialogue attentif qu’il faut savoirreconnaître et accueillir les valeurs culturelles qui favorisent la dignité del’homme et son destin transcendant. D’autre part, certains aspects decultures traditionnellement chrétiennes peuvent être remis en questionpar les cultures locales d’autres traditions religieuses (cf. Evangeliinuntiandi, 20). Dans ces relations complexes entre culture et religion, ledialogue interreligieux, au niveau de la culture, revêt donc une impor-tance considérable. Son objectif sera de surmonter les tensions et lesconflits, et même les éventuelles confrontations par une meilleurecompréhension entre les cultures religieuses variées en une régiondonnée. Il pourra contribuer à purifier les cultures de tout élément déshu-manisant et être ainsi un agent de transformation. Il pourra aussi aider àpromouvoir des valeurs culturelles traditionnelles menacées par lamodernité et le nivellement vers le bas que toute internationalisationindifférenciée peut porter avec soi.

D) Dispositions et fruits du dialogue interreligieux

Le dialogue exige équilibre,

47 Le dialogue demande, de la part des chrétiens aussi bien que dela part des membres des autres traditions, une attitude équilibrée.

Ils ne devraient être ni trop ingénus ni hypercritiques, mais bien plutôtd’esprit ouvert et accueillant. Le désintéressement et l’impartialité, ainsique l’acceptation des différences, voire des possibles contradictions, ontdéjà été mentionnés. Mais il s’agit aussi d’être résolus à s’engager

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ensemble au service de la vérité et d’être prêts à se laisser transformer parla rencontre.

conviction religieuse

48 Ceci ne signifie pas que, lorsqu’ils entrent en dialogue, les parte-naires doivent faire abstraction de leurs convictions religieuses

respectives. C’est le contraire qui est vrai: la sincérité du dialogue interre-ligieux exige qu’on y entre avec l’intégralité de sa propre foi. En mêmetemps, tout en restant fermes dans la foi qui est la leur, à savoir que laplénitude de la révélation leur a été donnée en Jésus Christ, uniquemédiateur entre Dieu et les hommes (cf. 1 Tm 2, 4-6), les chrétiens doiventse rappeler que Dieu s’est aussi manifesté de quelque manière auxmembres des autres traditions religieuses. Par conséquent, c’est dans unesprit de compréhension qu’ils sont appelés à envisager les convictions etles valeurs des autres.

et ouverture à la vérité,

49 En outre, la plénitude de la vérité reçue en Jésus Christ ne donnepas au chrétien la garantie qu’il a aussi pleinement assimilé cette

vérité. En dernière analyse, la vérité n’est pas une chose que nouspossédons, mais une personne par qui nous devons nous laisser posséder.C’est là une entreprise sans fin. Tout en gardant intacte leur identité, leschrétiens doivent être prêts à apprendre et à recevoir des autres et àtravers eux les valeurs positives de leurs traditions. Par le dialogue, ilspeuvent être conduits à vaincre des préjugés invétérés, à réviser des idéespréconçues et même parfois à accepter que la compréhension de leur foisoit purifiée.

mais est riche en promesses.

50 Si les chrétiens entretiennent une telle ouverture et s’ils acceptentd’être mis eux-mêmes à l’épreuve, ils deviendront capables de

cueillir les fruits du dialogue. Ils découvriront alors avec admiration toutce que Dieu, par Jésus Christ et en son Esprit, a réalisé et continue àréaliser dans le monde et dans l’humanité tout entière. Loin d’affaiblirleur foi chrétienne, le vrai dialogue l’approfondira. Ils deviendronttoujours plus conscients de leur identité chrétienne et percevront plus

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clairement ce qui est propre au message chrétien. Leur foi gagnera denouvelles dimensions, tandis qu’ils découvriront la présence agissante dumystère de Jésus Christ au-delà des frontières visibles de l’Eglise et dubercail chrétien.

E) Obstacles au dialogue

Dans le dialogue, des difficultés peuvent surgir,

51 Déjà sur le plan simplement humain, il n’est pas facile depratiquer le dialogue. Le dialogue interreligieux est encore plus

difficile. Il importe d’être conscients des obstacles qui peuvent seprésenter. Certains peuvent se vérifier dans les membres des diversestraditions religieuses et peuvent donc entraver la réussite du dialogue.D’autres affecteront plus spécialement certaines traditions religieuses etpeuvent donc rendre difficile toute initiative en vue d’engager unprocessus de dialogue.

dues à des facteurs humains,

52 Quelques-uns des obstacles qui semblent les plus importants sontmentionnés ici:

52.1. Un enracinement insuffisant en sa propre foi;

52.2. Une connaissance et une compréhension insuffisantes de la croyanceet de la pratique des autres religions, pouvant mener à un manqued’appréciation de leur signification et parfois même à de fausses inter-prétations;

52.3. Des différences culturelles qui proviennent de niveaux différentsd’instruction ou du recours à des langues différentes;

52.4. Des facteurs socio-politiques ou certaines séquelles du passé;

52.5. Une mauvaise compréhension de termes tels que conversion,baptême, dialogue, etc.;

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52.6. Une suffisance, un manque d’ouverture, qui conduisent à uneattitude défensive, voire à l’agressivité;

52.7. Un manque de conviction à l’égard du dialogue interreligieux, quecertains peuvent considérer comme une tâche réservée à des spécialisteset que d’autres considèrent comme un signe de faiblesse ou même commeune trahison de la foi;

52.8. Le soupçon au sujet des motivations du partenaire dans le dialogue;

52.9. Un esprit de polémique, quand on exprime des convictionsreligieuses;

52.10. L’intolérance, souvent aggravée lorsqu’elle est associée à desfacteurs politiques, économiques, raciaux et ethniques; et un manque deréciprocité dans le dialogue, pouvant mener à un sentiment defrustration;

52.11. Certains traits du climat religieux actuel: matérialisme croissant,indifférence religieuse et multiplication des sectes qui crée de la confusionet soulève de nouveaux problèmes.

53 Beaucoup de ces obstacles proviennent d’un manque de compré-hension de la vraie nature et du but du dialogue interreligieux.

Ceux-ci doivent donc être sans cesse expliqués. Beaucoup de patience estici requise. On doit également rappeler ici que l’engagement de l’Eglisedans le dialogue ne dépend aucunement des résultats obtenus dans lacompréhension et l’enrichissement mutuels. Cet engagement naît bienplutôt de l’initiative de Dieu entrant en dialogue avec l’humanité et del’exemple de Jésus Christ dont la vie, la mort et la résurrection ont donnéau dialogue son expression ultime.

mais qui ne sont jamais insurmontables.

54 En outre, les obstacles, bien que réels, ne doivent pas nousconduire à sous-estimer les possibilités de dialogue ou à négliger

les résultats déjà obtenus. Il y a eu quelques progrès dans la compré-hension mutuelle et dans la coopération active. Le dialogue a égalementeu un impact positif sur l’Eglise elle-même. D’autres religions ont aussi

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été amenées, par le dialogue, à un renouveau et à une plus grandeouverture. Le dialogue interreligieux a permis à l’Eglise de partager lesvaleurs évangéliques avec d’autres. C’est pourquoi, malgré les difficultés,l’engagement de l’Eglise dans le dialogue demeure ferme et irréversible.

2. Annonce de Jésus Christ

A) La mission donnée par le Seigneur ressuscité

Le Seigneur Jésus a envoyé ses disciples annoncer l’Evangile

55 Le Seigneur Jésus a donné à ses disciples la mission d’annoncerl’Evangile. Ce fait est rapporté par les quatre évangiles et par les

Actes des Apôtres. Il s’y trouve cependant certaines nuances suivant lestraditions ici rapportées. Dans l’évangile de Matthieu, Jésus dit à sesdisciples: «Tout pouvoir m’a été donné au ciel et sur la terre. Allez donc,de toutes les nations faites des disciples, les baptisant au nom du Père etdu Fils et du Saint-Esprit, et leur apprenant à observer tout ce que je vousai prescrit. Et moi, je suis avec vous pour toujours, jusqu’à la fin dumonde» (Mt 28, 18-20).

L’évangile de Marc donne ce commandement en forme plus succincte:«Allez par le monde entier, proclamant la Bonne Nouvelle à toute lacréation. Celui qui croira et sera baptisé, sera sauvé; celui qui ne croirapas, sera condamné» (Mc 16, 15-16).

Dans l’évangile de Luc, l’expression en est moins directe: «Ainsi ilétait écrit que le Christ souffrirait et ressusciterait d’entre les morts letroisième jour, et qu’en son Nom le repentir en vue de la rémission despéchés serait proclamé à toutes les nations, à commencer par Jérusalem.De cela, vous êtes témoins» (Lc 24, 46-48). Les Actes mettent l’accent surl’étendue du témoignage: «Vous allez donc recevoir une force, celle del’Esprit Saint qui descendra sur vous. Vous serez alors mes témoins àJérusalem, dans toute la Judée et la Samarie, et jusqu’aux confins de laterre» (Ac 1, 8).

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Et dans l’évangile de Jean, cette mission est encore exprimée diffé-remment: «Comme tu m’as envoyé dans le monde, moi aussi je les aienvoyés dans le monde» (Jn 17, 18); «Comme le Père m’a envoyé, moiaussi je vous envoie» (Jn 20, 21).

Annoncer la Bonne Nouvelle à tous les hommes, rendre témoignage,faire des disciples, baptiser, enseigner, tous ces aspects constituent lamission évangélisatrice de l’Eglise, et ils doivent être vus à la lumière dela mission de Jésus lui-même, la mission qu’il a reçue du Père.

qu’il a lui-même annoncé,

56 Jésus proclamait en ces termes la Bonne Nouvelle venue de Dieu:«Les temps sont accomplis et le Royaume de Dieu est tout proche;

repentez-vous et croyez à la Bonne Nouvelle» (Mc 1,14-15). Ce passagerésume tout le ministère de Jésus. Jésus proclame cette Bonne Nouvelledu Royaume non seulement par ses paroles mais aussi par ses actes, sesattitudes et ses choix, c’est-à-dire par toute sa vie et finalement par samort et sa résurrection. Ses paraboles, ses miracles, les exorcismes qu’ilaccomplit, tout est lié au Royaume de Dieu qu’il annonce. De plus, ceRoyaume n’est pas simplement pour lui un objet de prédication, sans lienavec sa propre personne. Jésus montre clairement que c’est par lui et enlui que le Règne de Dieu est en train de s’instaurer dans le monde (cf. Lc17, 20-21), et qu’en lui le Royaume est déjà présent parmi nous, même s’ildoit encore croître vers sa plénitude14.

et auquel il a rendu témoignage par sa vie.

57 Son enseignement est confirmé par sa vie. «Quand bien mêmevous ne croiriez pas, croyez en ces œuvres» (Jn 10, 38). De la

même manière, ses œuvres sont expliquées par ses paroles qui prennentleur source dans sa conscience d’être un avec le Père. «En vérité, en vérité,je vous le dis, le Fils ne peut rien faire de lui-même qu’il ne le voie faire

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14. Dans l’Eglise primitive, le Royaume de Dieu est identifié avec le Règne duChrist (cf. Ep 5, 5; Ap 11,15 ; 12,10). Voir aussi Origène, in Mt 14, 7; Hom. in Lc36, où il appelle le Christ autobasileia, et Tertullien, Adv. Marc., IV, 33, 8: «Inevangelio est Dei regnum, Christus ipse». Pour une juste interprétation duterme «Royaume», voir le Rapport de la Commission théologique interna-tionale (8 octobre 1985): Thèmes choisis d’ecclésiologie, n° 10, 3.

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au Père» (Jn 5,19). Devant Pilate, Jésus a dit qu’il était venu dans le monde«pour rendre témoignage à la vérité» (Jn 18, 37). Le Père lui-même rendégalement témoignage à Jésus, aussi bien par des paroles venant du cielqu’à travers les œuvres puissantes et les signes que Jésus est capabled’accomplir. C’est l’Esprit qui donne son «sceau» au témoignage de Jésus,authentifiant que celui-ci est vrai (cf. Jn 3, 32-35).

B) Le rôle de l’Eglise

L’annonce confiée à l’Eglise

58 C’est dans ce contexte qu’il faut comprendre la mission confiéepar le Seigneur ressuscité à l’Eglise apostolique. La mission de

l’Eglise est de proclamer le Royaume de Dieu établi sur terre en JésusChrist, par sa vie, sa mort et sa résurrection, comme le don décisif etuniversel de salut que Dieu fait au monde. C’est pourquoi «il n’y a pasd’évangélisation vraie si le nom, l’enseignement, la vie, les promesses, leRègne et le mystère de Jésus de Nazareth, Fils de Dieu, ne sont pasannoncés» (Evangelii nuntiandi, 22). Il y a donc continuité entre leRoyaume prêché par Jésus et le mystère du Christ annoncé par l’Eglise.

continue celle de Jésus.

59 Continuant la mission de Jésus, l’Eglise est «le germe et lecommencement» du Royaume (Lumen gentium, 5). Elle est au

service de ce Royaume et en «témoigne». Cela inclut un témoignage de lafoi en Jésus Christ, le Sauveur, puisque c’est le cœur même de sa foi et desa vie. Dans l’histoire de l’Eglise, tous les apôtres furent «témoins» de lavie, de la mort et de la résurrection du Christ15. Le témoignage se donneen paroles et en actes qu’on ne peut opposer les uns aux autres. L’acteratifie la parole, mais sans la parole l’acte peut être mal interprété. Letémoignage des apôtres, en paroles comme en signes, est subordonné àl’Esprit Saint, envoyé par le Père, pour remplir cette tâche du témoi-gnage16.

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15. Cf. Ac 2, 32; 3, 15; 10, 39; 13, 31; 23, 11.16. Cf. Jn l5, 26 s.; 1 Jn 5, 7-l0; Ac 5, 32.

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C) Le contenu de l’annonce

Pierre a prêché le Christ ressuscité,

60 Au jour de la Pentecôte, le Saint-Esprit descendit sur les Apôtres,accomplissant la promesse du Christ. A ce moment-là, «il y avait,

résidant à Jérusalem, des hommes pieux venus de toutes les nations quisont sous le ciel» (Ac 2, 5). La liste des peuples présents donnée dans lelivre des Actes sert à souligner la portée universelle de ce premierévénement ecclésial. Au nom des Onze, Pierre s’adressa à la foulerassemblée, annonçant Jésus accrédité par Dieu par des miracles et desprodiges, crucifié par les hommes, mais ressuscité par Dieu. Il conclut endisant: «Que toute la maison d’Israël le sache donc avec certitude: Dieu l’afait Seigneur et Christ, ce Jésus que vous, vous avez crucifié» (Ac 2, 36). Ilcontinua en invitant ses auditeurs à se repentir, à devenir disciples deJésus, par le baptême en son nom pour la rémission de leurs péchés, et àrecevoir ainsi le don du Saint-Esprit. Un peu plus tard, devant leSanhédrin, Pierre témoigna de sa foi dans le Christ ressuscité, enaffirmant clairement: «Il n’y a pas sous le ciel d’autre nom donné auxhommes par lequel il nous faille être sauvés» (Ac 4, 11-12). L’universalitédu message chrétien du salut apparaît de nouveau dans le récit de laconversion de Corneille. Quand Pierre témoigne de la vie et de l’œuvre deJésus, depuis le commencement de son ministère en Galilée jusqu’à sarésurrection, «l’Esprit Saint tomba sur tous ceux qui écoutaient la parole»,si bien que ceux qui accompagnaient Pierre étaient stupéfaits de voir que«le don du Saint Esprit avait été répandu aussi sur les païens» (Ac 10, 44-45).

Paul a annoncé le Mystère tenu caché depuis les siècles,

61 Les Apôtres se présentent donc, après l’événement de laPentecôte, comme témoins de la résurrection du Christ (cf. Ac 1,

22; 4, 33; 5, 32-33) ou, selon une formule plus concise, simplement commeles témoins du Christ (cf. Ac 3,15 ; 13, 31). C’est dans le cas de Paul quececi apparaît le plus clairement. Il est «apôtre par vocation, mis à partpour annoncer l’Evangile» (Rm 1, 1-2). Il a reçu de Jésus Christ «grâce etapostolat pour prêcher, à l’honneur de son nom, l’obéissance de la foiparmi les païens» (Rm 1, 5). Paul prêche «l’Evangile de Dieu, qued’avance il avait promis par ses prophètes dans les saintes Ecritures» (Rm1, 2), «l’Evangile de son Fils» (Rm 1, 9). Il prêche un Christ crucifié,

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«scandale pour les juifs et folie pour les païens» (1 Co 1, 23; cf. 2, 2). «Defondement, en effet, nul n’en peut poser d’autre que celui qui s’y trouve»(1 Co 3, 11). Tout le message de Paul est, pour ainsi dire, résumé dans sadéclaration solennelle aux Ephésiens: «A moi, le moindre de tous lessaints, a été confiée cette grâce-là d’annoncer aux païens l’insondablerichesse du Christ et de mettre en pleine lumière la dispensation duMystère; il a été tenu caché depuis les siècles en Dieu, le Créateur detoutes les choses, la sagesse infinie en ressources déployée par Dieu, etconnue par le moyen de l’Eglise en ce dessein éternel qu’il a conçu dansle Christ Jésus notre Seigneur» (Ep 3, 8-11).

Le même message se trouve dans les Lettres pastorales. Dieu «veutque tous les hommes soient sauvés et parviennent à la connaissance de lavérité. Car Dieu est unique, unique aussi le médiateur entre Dieu et leshommes, le Christ Jésus, homme lui-même, qui s’est livré en rançon pourtous» (1 Tm 2, 44). Ce «mystère de notre religion» qui est «très profond»trouve son expression dans un fragment liturgique: «Il a été manifestédans la chair, justifié dans l’Esprit, vu des anges, proclamé chez les païens,cru dans le monde, enlevé dans la gloire» (1 Tm 3, 16).

Jean témoigne du Verbe de vie.

62 Si nous passons à l’apôtre Jean, nous trouvons qu’il se présenteavant tout comme un témoin, quelqu’un qui a vu Jésus et qui a

découvert son mystère (cf. Jn 13, 23 et 25; 21, 24). «Ce que nous avons vuet entendu, nous vous l’annonçons afin que vous soyez en communionavec nous» (1 Jn 1, 3). «Nous, nous avons contemplé et nous attestons quele Père a envoyé son Fils, le sauveur du monde» (1 Jn 4, 14). L’Incarnationest au centre du message de Jean: «Le Verbe s’est fait chair, il a demeuréparmi nous et nous avons vu sa gloire, gloire qu’il tient de son Pèrecomme Fils unique, plein de grâce et de vérité» (Jn 1, 14). En Jésus, donc,on peut voir le Père (cf. Jn 14, 9); il est le chemin vers le Père (Jn 14, 6).Elevé sur la croix, il attire tous les hommes (cf. Jn 12, 32). Il est vraiment«le Sauveur du monde» (Jn 4, 42).

La Parole, proclamée par l’Eglise, est pleine de puissance.

63 «Proclame la parole», écrit Paul à Timothée (2 Tm 4, 2). Le contenude cette parole est exprimé de différentes manières; c’est le

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Royaume (cf. Ac 20, 25), la Bonne Nouvelle du Royaume (cf. Mt 24, 14), laBonne Nouvelle venue de Dieu (cf. Mc 1, 14 ; 1 Th 2, 9). Mais ces diffé-rentes formulations signifient au fond la même chose: prêcher Jésus (cf.Ac 9, 20; 19, 13), prêcher le Christ (cf. Ac 8, 5). De même que Jésus aprononcé les paroles de Dieu (cf. Jn 3, 34), de même les Apôtres prêchentla parole de Dieu, car Jésus qu’ils prêchent est la Parole.

Le message chrétien est donc un message puissant, qu’il faut accueillirpour ce qu’il est réellement, «non une parole d’hommes, mais la parole deDieu» (1 Th 2, 13). Acceptée dans la foi, la parole sera «vivante et efficace»,«plus incisive qu’un glaive à deux tranchants» (He 4, 12). Ce sera uneparole qui purifie (cf. Jn 15, 3); elle sera la source de la vérité qui rend libre(cf. Jn 8, 31-32). La parole deviendra une présence intérieure: «Siquelqu’un m’aime, il gardera ma parole, et mon Père l’aimera et nousviendrons à lui et nous ferons chez lui notre demeure» (Jn 14, 23). Telle estla parole de Dieu qui doit être proclamée par les chrétiens.

D) La présence et la force du Saint-Esprit

L’Eglise compte sur la présence

64 En proclamant cette parole, l’Eglise sait qu’elle peut compter surle Saint-Esprit qui en même temps inspire l’annonce et conduit

ceux qui l’écoutent à l’obéissance de la foi.

«C’est l’Esprit qui, aujourd’hui comme aux débuts de l’Eglise, agit enchaque évangélisateur qui se laisse posséder et conduire par lui, et metdans sa bouche les mots que seul il ne pourrait trouver, tout en disposantaussi l’âme de celui qui l’écoute pour le rendre ouvert et accueillant à laBonne Nouvelle et au Règne annoncé» (Evangelii nuntiandi, 75).

et la puissance de l’Esprit,

65 La force de l’Esprit est attestée par le fait que le témoignage le pluspuissant est souvent donné au moment précis où le disciple est le

plus désemparé, ne sachant ni quoi dire ni quoi faire, mais où il restecependant fidèle. Comme le dit Paul: «C’est de grand cœur que je mevanterai surtout de mes faiblesses, afin que repose sur moi la puissancedu Christ. Oui, je me complais dans mes faiblesses, dans les outrages, les

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détresses, les persécutions, les angoisses endurés pour le Christ; carlorsque je suis faible, c’est alors que je suis fort» (2 Co 12, 9-10). Le témoi-gnage par lequel l’Esprit amène les hommes et les femmes à connaîtreJésus comme Seigneur n’est pas une réalisation humaine mais l’œuvre deDieu.

E) L’urgence de l’annonce

afin d’accomplir sa tâche

66 Comme l’a dit le Pape Paul VI dans son Exhortation Evangeliinuntiandi: «La présentation du message évangélique n’est pas

pour l’Eglise une contribution facultative; c’est le devoir qui lui incombe,par mandat du Seigneur Jésus, afin que les hommes puissent croire et êtresauvés. Oui, ce message est nécessaire. Il est unique. Il ne saurait êtreremplacé. Il ne souffre ni indifférence, ni syncrétisme, ni accommodation.C’est le salut des hommes qui est en cause» (Evangelii nuntiandi, 5).L’urgence de l’annonce a été soulignée par Paul: «Mais commentl’invoquer sans d’abord croire en lui? Et comment croire sans d’abordl’entendre? Et comment l’entendre si personne ne prêche?… Ainsi la foinaît de la prédication et la prédication se fait par la parole du Christ» (Rm10, 14 s.). «Cette loi posée un jour par l’apôtre Paul garde encore aujour-d’hui toute sa force… C’est la Parole entendue qui conduit à croire»(Evangelii nuntiandi, 42). Il est bon de se rappeler aussi cette autre parolede Paul: «Prêcher l’Evangile en effet n’est pas pour moi un titre de gloire:c’est une nécessité qui m’incombe. Oui, malheur à moi si je ne prêchaispas l’Evangile!» (1 Co 9, 16).

d’annoncer le salut en Jésus Christ.

67L’annonce est une réponse aux aspirations de l’humanité au salut.

«Partout où Dieu ouvre un champ libre à la prédication pour proclamerle mystère du Christ, on doit annoncer à tous les hommes avec assuranceet persévérance le Dieu vivant, et Celui qu’il a envoyé pour le salut de tous,Jésus Christ, pour que les non-chrétiens, le Saint-Esprit ouvrant leur cœur,croient et se convertissent librement au Seigneur et s’attachent loyalement

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à lui qui, étant “le Chemin, la Vérité, la Vie” (Jn 14, 6), comble toutes leursattentes spirituelles, bien plus les dépasse de façon infinie» (Ad gentes, 13).

F) Les modalités de l’annonce

L’Eglise suit où l’Esprit mène

68 En proclamant le message de Dieu en Jésus Christ, l’Egliseévangélisatrice doit toujours se rappeler que cette annonce ne

s’accomplit pas dans un vide complet. Car l’Esprit Saint, l’Esprit duChrist, est présent et agissant parmi ceux qui entendent la BonneNouvelle, même avant que l’action missionnaire de l’Eglise ne soitengagée (Redemptor hominis, 12; Dei verbum, 53). Dans bien des cas, ilspeuvent avoir déjà répondu implicitement à l’offre de salut en JésusChrist: un des signes peut en être la pratique sincère de leurs proprestraditions religieuses, dans la mesure même où celles-ci contiennent desvaleurs religieuses authentiques. Ils peuvent déjà avoir été touchés parl’Esprit et être associés, d’une certaine manière, et sans le savoir, auMystère pascal de Jésus Christ (Gaudium et spes, 22).

en apprenant la manière de faire l’annonce

69 Attentive à ce que Dieu a déjà accompli en ceux à qui elles’adresse, l’Eglise cherche à découvrir la manière adéquate pour

annoncer la Bonne Nouvelle. Elle suit la pédagogie divine. Ceci signifiequ’elle se met à l’école de Jésus lui-même et observe les temps et lessaisons à l’écoute de l’Esprit. Ce n’est que progressivement que Jésus arévélé à ses auditeurs la signification du Royaume, le plan de salut deDieu réalisé dans son propre mystère. C’est graduellement, et avec unsoin infini, qu’il leur a dévoilé le contenu de son message, son identité deFils de Dieu et le scandale de la croix. Même ses disciples les plus proches,comme l’attestent les Evangiles, ne sont parvenus à la foi complète en leurMaître qu’à travers leur expérience pascale et le don de l’Esprit. Ceuxdonc qui désirent se faire disciples de Jésus aujourd’hui, passeront par cemême itinéraire fait de découverte et d’engagement. L’annonce faite parl’Eglise sera donc progressive et patiente à la fois, épousant l’allure deceux qui entendent le message, respectant leur liberté et même «leurlenteur à croire» (cf. Evangelii nuntiandi, 79).

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avec les qualités même de l’Evangile,

70 D’autres qualités doivent caractériser l’annonce faite par l’Eglise.Elle doit être:

70.1. Assurée, dans la puissance de l’Esprit et en obéissance au comman-dement reçu du Seigneur17;

70.2. Fidèle dans la transmission de l’enseignement reçu du Christ etconservé dans l’Eglise, dépositaire de la Bonne Nouvelle à annoncer (cf.Evangelii nuntiandi, 15). La fidélité au message dont nous sommes lesserviteurs est l’axe central de l’évangélisation (Evangelii nuntiandi, 4).«Evangéliser n’est pour personne un acte individuel et isolé, mais c’est unacte profondément ecclésial» (Evangelii nuntiandi, 60);

70.3. Humble, car consciente que la plénitude de la révélation en JésusChrist a été reçue comme un don gratuit, et que la vie même desmessagers de l’Evangile ne correspond pas toujours pleinement à sesexigences;

70.4. Respectueuse de la présence et de l’action de l’Esprit de Dieu dansles cœurs de ceux qui écoutent le message, reconnaissant que l’Esprit est«le principal évangélisateur» (Evangelii nuntiandi, 75);

70.5. Dialogale car, dans l’annonce, celui qui entend la Parole n’est passupposé être un auditeur passif. Il y a donc un processus qui, partant des«semences du Verbe» déjà présentes dans l’auditeur, amène celui-ci aumystère complet du salut en Jésus Christ. L’Eglise doit reconnaître qu’il ya un processus de purification et d’illumination dans lequel l’Esprit deDieu ouvre l’intelligence et le cœur de l’auditeur à l’obéissance de la foi;

70.6. Inculturée, incarnée dans la culture et la tradition spirituelle de ceuxà qui elle est adressée afin que le message ne soit pas seulement intelli-gible pour eux mais soit perçu comme répondant à leurs plus profondesaspirations et donc comme étant vraiment la Bonne Nouvelle qu’ilsattendent (cf. Evangelii nuntiandi, 20, 62).

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17. Cf. 1 Th 2, 2; 2 Co 3, 12; 7, 4; Ph 1, 20; Ep 3, 12; 6,19-20; Ac 4, 13. 29. 31; 9, 27-28, etc.

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en union étroite avec le Christ.

71 Pour maintenir ces qualités, l’Eglise ne doit pas seulement tenircompte des circonstances de la vie et de l’expérience religieuse de

ceux à qui son message est adressé, elle doit aussi vivre en constantdialogue avec son Seigneur et Maître par la prière, la pénitence, laméditation et la vie liturgique, et tout particulièrement par l’Eucharistie.Alors seulement la proclamation et la célébration du message évangéliquedeviennent pleinement vivantes.

G) Obstacles à l’annonce

L’annonce rencontre des difficultés

72 L’annonce de la Bonne Nouvelle par l’Eglise implique desérieuses exigences, tant pour l’Eglise évangélisatrice et ses

membres engagés dans l’évangélisation que pour ceux qui sont appeléspar Dieu à l’obéissance de la foi chrétienne. Ce n’est pas une tâche facile.Certains des principaux obstacles que l’on peut rencontrer sont icimentionnés.

de la part des chrétiens

73Obstacles intérieurs:

73.1. Il se peut que le témoignage donné par le chrétien ne correspondepas à sa foi; il y a alors un écart entre les paroles et les actes, entre lemessage chrétien et la manière dont il est vécu;

73.2. Le chrétien peut omettre d’annoncer l’Evangile par négligence, parrespect humain, par honte, ce que saint Paul appelait «rougir del’Evangile», ou par suite d’idées fausses (Evangelii nuntiandi, 80) au sujetdu plan divin de salut;

73.3. Le chrétien qui n’apprécie et ne respecte ni les autres croyants nileurs traditions religieuses est peu apte à leur annoncer la BonneNouvelle;

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73.4. Chez certains chrétiens, une attitude de supériorité peut semanifester au niveau culturel. Cela pourrait laisser supposer que lemessage chrétien est lié à une culture particulière qui doit être imposéeaux convertis.

et d’en-dehors de la communauté chrétienne.

74Obstacles extérieurs:

74.1. Le poids de l’histoire rend l’annonce plus difficile, puisque parfoiscertaines méthodes d’évangélisation utilisées jadis ont éveillé bien dessoupçons et des craintes chez les membres des autres religions;

74.2. Les membres des autres religions peuvent craindre que la missionévangélisatrice de l’Eglise n’entraîne la disparition de leur propre religionet de leur propre culture;

74.3. Une conception différente des droits de l’homme ou leur non-appli-cation peut entraîner une atteinte à la liberté religieuse;

74.4. La persécution peut rendre l’annonce particulièrement difficile, voireimpossible. Il faut cependant rappeler que la croix est source de vie: «lesang des martyrs est semence de chrétiens»;

74.5. L’identification d’une religion particulière avec la culture nationale,ou avec un système politique, crée un climat d’intolérance;

74.6. En certains endroits où la conversion est interdite par la loi ou bienoù les convertis au christianisme rencontrent de sérieux problèmessociaux, tels que l’ostracisme de la part de leur communauté religieused’origine, de leur milieu social ou de leur environnement culturel;

74.7. Dans un contexte pluraliste, le danger d’indifférentisme, de relati-visme, de syncrétisme en matière religieuse, crée des obstacles à l’annoncede l’Evangile.

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H) L’annonce dans la mission évangélisatrice de l’Eglise

Dans la mission évangélisatrice de l’Eglise,

75 La mission évangélisatrice de l’Eglise a quelquefois été comprisecomme consistant simplement à inviter tous les hommes à

devenir disciples de Jésus dans l’Eglise. Lentement, une compréhensionplus large de l’évangélisation s’est développée, dans laquelle l’annoncedu mystère du Christ demeure néanmoins centrale. Le décret du ConcileVatican II sur l’activité missionnaire de l’Eglise mentionne la solidaritéavec l’humanité, le dialogue et la collaboration, avant de parler du témoi-gnage et de l’annonce de l’Evangile (cf. Ad gentes, 11-13). Le Synode desévêques en 1974 et l’exhortation apostolique Evangelii nuntiandi qui l’asuivi ont tous les deux pris le mot évangélisation en un sens large. Dansl’évangélisation, c’est la personne tout entière de l’évangélisateur quirayonne par ses paroles, ses actions et son témoignage de vie (cf. Evangeliinuntiandi, 21-22). De même, son objet s’étend à tout ce qui est humain, carelle cherche à transformer la culture et les cultures par la force del’Évangile (cf. Evangelii nuntiandi, 18-20). Mais le Pape Paul VI a bienprécisé que «l’évangélisation contiendra aussi toujours, base, centre etsommet à la fois de son dynamisme, une claire proclamation qu’en JésusChrist, le Fils de Dieu fait homme, mort et ressuscité, le salut est offert àtout homme, comme don de grâce et miséricorde de Dieu» (Evangeliinuntiandi, 27). C’est donc dans ce sens que le document de 1984 duConseil pontifical pour le dialogue interreligieux inclut l’annonce parmiles divers éléments dont est composée la mission évangélisatrice del’Eglise (cf. Dialogue et mission, 13).

l’annonce est un devoir sacré.

76 Il est utile, cependant, de souligner encore une fois que proclamerle nom de Jésus et inviter les humains à devenir ses disciples dans

l’Église est un devoir important et même sacré que l’Eglise ne sauraitnégliger. Sans cela, l’évangélisation serait incomplète: sans cet élémentcentral, les autres, tout en étant par eux-mêmes des formes authentiquesde la mission de l’Eglise, perdraient leur cohésion et leur vitalité. Il estdonc évident que, dans les situations où pour des raisons politiques ouautres l’annonce est pratiquement impossible, l’Eglise accomplit déjà samission évangélisatrice non seulement par sa présence et son témoignagemais aussi par ses activités telles que l’engagement pour le

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développement humain intégral et le dialogue lui-même. D’autre part,dans les situations où les gens sont disposés à entendre le message del’Evangile et ont la possibilité d’y répondre, l’Eglise a le devoir d’aller à larencontre de leurs attentes.

3. Dialogue interreligieux et annonce

A) Liés mais non interchangeables

La mission de l’Eglise

77 Le dialogue interreligieux et l’annonce, sans être sur le mêmeplan, sont tous les deux des éléments authentiques de la mission

évangélisatrice de l’Eglise. Tous les deux sont légitimes et nécessaires. Ilssont intimement liés mais non interchangeables: le vrai dialogue interre-ligieux suppose de la part du chrétien le désir de faire connaître et aimertoujours mieux Jésus Christ et l’annonce de Jésus Christ doit se faire dansl’esprit évangélique de dialogue. Les deux domaines, certes, restentdistincts mais, comme l’expérience le montre, c’est la même et uniqueEglise locale, c’est la même et unique personne qui peuvent être diver-sement engagées dans l’un et l’autre.

doit être sensible aux différentes circonstances.

78 En pratique, la manière de remplir la mission de l’Église dépenddes circonstances particulières de chaque Eglise locale, de chaque

chrétien. Elle implique toujours une certaine sensibilité aux dimensionssociales, culturelles, religieuses et politiques de la situation, et uneattention aux «signes des temps» par lesquels l’Esprit de Dieu parle,instruit et guide. Une telle sensibilité et une telle attention se développentà travers une spiritualité de dialogue. Celle-ci demande un discernementfondé sur la prière et une réflexion théologique sur la signification desdifférentes traditions religieuses dans le plan de Dieu, et sur la

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signification de l’expérience de ceux qui trouvent en elles leur nourriturespirituelle.

B) L’Eglise et les religions

Sa mission s’étend à tous

79 En remplissant sa mission, l’Eglise entre en contact avec des gensde traditions religieuses très diverses. Certains deviennent

disciples de Jésus Christ, en son Eglise, au terme d’une profondeconversion et par une libre adhésion personnelle. D’autres sont attirés parla personne de Jésus et son message mais, pour différentes raisons,n’entrent pas dans son bercail. D’autres encore semblent n’avoir que peuou pas d’intérêt pour Jésus. Mais, quoi qu’il en soit, la mission de l’Eglises’adresse à tous les hommes. On peut considérer que, dans le dialogue,elle a un rôle prophétique par rapport aux religions auxquelles ils appar-tiennent. En rendant témoignage aux valeurs de l’Evangile, elle posequestion à ces religions. De même, dans la mesure où elle porte la marquede limitations humaines, l’Eglise peut être remise en question de la mêmemanière. Par le fait donc de promouvoir ces valeurs, en un esprit d’ému-lation et de respect pour le mystère de Dieu, les membres de l’Eglise et lesmembres des autres religions se retrouvent comme compagnons sur lechemin commun que toute l’humanité est appelée à parcourir. Le PapeJean-Paul II le disait à Assise, à la fin de la Journée de prière, de jeûne etde pèlerinage pour la paix: «Voyons en ceci une anticipation de ce queDieu voudrait voir se réaliser dans l’histoire de l’humanité: un chemi-nement fraternel dans lequel nous nous accompagnons mutuellementvers un objectif transcendant qu’il prépare pour nous»18.

par le dialogue

80 L’Eglise encourage et stimule le dialogue interreligieux nonseulement entre elle-même et d’autres traditions religieuses mais

aussi entre ces traditions religieuses elles-mêmes. C’est une manière pourelle de remplir son rôle de «sacrement», c’est-à-dire «de signe etinstrument de l’union intime avec Dieu et de l’unité de tout le genre

18. Cf. Insegnamenti di Giovanni Paolo II, vol. IX, 2 (1986), p. 1262; Bulletin n° 64(1987/1), p. 47.

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humain» (Lumen gentium, 1). L’Esprit l’invite à encourager toutes les insti-tutions et tous les mouvements de caractère religieux à se rencontrer, àcollaborer et à se purifier afin de promouvoir la vérité et la vie, la saintetéet la justice, l’amour et la paix, dimensions de ce Règne que le Christ, à lafin des temps, remettra à son Père (cf. 1 Co 15, 24). Par là, le dialogue inter-religieux fait vraiment partie du dialogue de salut dont Dieu a pris l’ini-tiative19.

C) Annoncer Jésus Christ

et par l’annonce,

81 De son côté, l’annonce tend à conduire les humains à une connais-sance explicite de ce que Dieu a fait pour tous, hommes et

femmes, en Jésus Christ et à les inviter à devenir disciples de Jésus, endevenant membres de l’Eglise. Quand l’Eglise, obéissant au comman-dement du Seigneur ressuscité et aux mouvements de l’Esprit, remplit satâche d’annoncer, elle a souvent besoin de le faire de manière progressive.Un discernement est à opérer sur la manière dont Dieu est présent dansl’histoire personnelle d’un chacun. Les membres des autres religionspeuvent découvrir, tout comme le font également les chrétiens, qu’ilspartagent déjà, avec ceux-ci, beaucoup de valeurs.

Ceci peut alors mener à une remise en question sous la forme d’untémoignage de la communauté chrétienne ou d’une profession de foipersonnelle, dans laquelle la pleine identité de Jésus est humblementconfessée. Alors, quand les temps sont mûrs, la question décisive de Jésuspeut être posée: «Qui dites-vous que je suis?». La véritable réponse à unetelle question ne peut venir que de la foi. Proclamer et confesser, sousl’action de la grâce, que Jésus de Nazareth est Fils de Dieu le Père,Seigneur ressuscité et Sauveur, constitue la phase finale de l’annonce.Celui qui professe librement cette foi est invité à devenir disciple de Jésus,dans son Eglise, et à prendre sa part de responsabilité dans la mission decelle-ci.

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19. Cf. Ecclesiam suam, ch. III. Voir aussi Insegnamenti di Giovanni Paolo II, vol. VII, 1(1984), p. 598; texte français dans Bulletin, n° 56 (1984/2), p. 144.

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D) Engagement dans l’unique mission

comme deux façons d’accomplir la même mission.

82 Tous les chrétiens sont appelés à être personnellement impliquésdans ces deux façons d’accomplir l’unique mission de l’Eglise, à

savoir l’annonce et le dialogue. La manière dont ils le font dépend descirconstances et aussi du degré de leur préparation. Ils doiventnéanmoins toujours se rappeler que le dialogue, comme on l’a déjà dit, neconstitue pas toute la mission de l’Eglise, qu’il ne peut pas simplementremplacer l’annonce, mais reste orienté vers l’annonce; c’est en celle-ci eneffet que le processus dynamique de la mission évangélisatrice de l’Egliseatteint son sommet et sa plénitude. En s’engageant dans le dialogue inter-religieux, ils découvrent les «semences du Verbe» dans le cœur deshommes et dans les diverses traditions religieuses auxquelles ils appar-tiennent. En approfondissant leur connaissance du mystère du Christ, ilsdiscernent les valeurs positives de la recherche humaine du Dieu inconnuou connu partiellement. A travers les différentes phases du dialogue, lesinterlocuteurs éprouvent un grand besoin tant d’informer que d’êtreinformés, de donner comme de recevoir des explications, et de se poserréciproquement des questions. Les chrétiens engagés dans le dialogue ontalors le devoir de répondre aux attentes de leurs partenaires concernant lecontenu de la foi chrétienne et de porter témoignage de cette foi lorsqu’ilsy sont appelés, de donner raison de l’espérance qui est en eux(cf. 1 P 3, 15). Pour ce faire, les chrétiens se doivent d’approfondir leur foi,de purifier leurs attitudes, de clarifier leur langage, et de rendre leur cultetoujours plus authentique.

L’amour désire partager

83 Dans cette approche du dialogue, comment n’éprouveraient-ilspas l’espoir et le désir de partager avec les autres leur joie de

connaître et de suivre Jésus Christ, Seigneur et Sauveur? Nous sommes iciau cœur du mystère de l’amour. Dans la mesure où l’Eglise et les chrétiensont un amour profond pour le Seigneur Jésus, le désir de partager avecd’autres est alors motivé non seulement par leur obéissance au comman-dement du Seigneur, mais aussi par cet amour même. Que les membresdes autres religions aient un désir sincère de partager leur foi, cela va desoi et ne saurait surprendre. Tout dialogue implique la réciprocité et viseà bannir la peur et l’agressivité.

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sous la mouvance de l’Esprit

84 Les chrétiens doivent toujours être conscients de l’influenceagissante de l’Esprit Saint et être préparés à aller là où l’Esprit les

mène, de par la Providence et les desseins de Dieu. C’est l’Esprit quiguide la mission évangélisatrice de l’Eglise. Il appartient en effet à l’Espritd’inspirer l’annonce de l’Eglise et l’obéissance de la foi. Il nous revientd’être attentifs aux suggestions de l’Esprit. Que l’annonce soit possible ounon, l’Eglise poursuit sa mission dans le plein respect de la liberté, par ledialogue interreligieux ainsi que par le témoignage et le partage desvaleurs évangéliques. De la sorte, les partenaires du dialogue progres-seront pour mieux répondre à l’appel de Dieu dont ils ont conscience.Tous, les chrétiens tout comme les croyants des autres traditionsreligieuses, sont invités par Dieu lui-même à entrer dans le mystère de sapatience, lorsque des êtres humains cherchent sa lumière et sa vérité. Dieuseul connaît les temps et les étapes où s’accomplit enfin cette longue quêtedes hommes.

E) Jésus, notre modèle

et en suivant l’exemple de Jésus,

85 C’est dans ce climat d’attente et d’écoute que l’Eglise et leschrétiens poursuivent l’annonce et le dialogue interreligieux avec

un véritable esprit évangélique. Ils sont conscients que «tout concourt ausalut de ceux qui aiment Dieu» (Rm 8, 28). La grâce leur a fait connaîtrequ’il est le Père de tous et qu’il s’est révélé en Jésus Christ. Jésus n’est-ilpas pour eux le modèle et le guide dans leur engagement, tant pourl’annonce que pour le dialogue? N’est-il pas le seul qui, aujourd’huiencore, peut dire à qui est sincère en ses sentiments religieux: «Tu n’es pasloin du Royaume de Dieu?» (Mc 12, 34).

qui s’est donné pour l’humanité tout entière.

86 Il ne s’agit pas seulement pour les chrétiens d’imiter Jésus, maisde lui être intimement unis. Il a invité ses disciples et amis à se

joindre à lui dans son offrande unique en faveur de toute l’humanité. Lepain et le vin, pour lesquels il rendit grâce, symbolisaient la création toutentière. Ils devinrent son corps «donné» et son sang «versé pour la

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rémission des péchés». Par le ministère de l’Eglise, c’est la seule et mêmeEucharistie qui est offerte par Jésus en tout temps et en tout lieu, depuisle temps de sa Passion, de sa mort et de sa résurrection à Jérusalem. C’estici que les chrétiens s’unissent au Christ lui-même en son offrande,«sacrifice qui sauve le monde» (IVe prière eucharistique). C’est une telleprière qui plaît à Dieu qui «veut que tous les hommes soient sauvés etparviennent à la connaissance de la vérité» (1 Tm 2, 4). Ainsi rendent-ilsgrâce pour «tout ce qui est vrai, tout ce qui est noble, tout ce qui est juste,tout ce qui est pur, tout ce qui est aimable, tout ce qui est honorable, toutce qui peut être vertueux et digne d’éloge» (Ph 4, 8). Ils y puisent la grâcede discernement afin d’être par là capables de lire les signes de la présencede l’Esprit et de reconnaître enfin les temps favorables et la manièrepropice pour annoncer Jésus Christ.

Conclusion

L’attention pour chaque religion

87 Ces réflexions sur le dialogue interreligieux et l’annonce de JésusChrist ont voulu apporter quelques éclaircissements fonda-

mentaux. Cependant, il importe de se rappeler que les diverses religionsdiffèrent les unes des autres. Il conviendrait donc d’apporter uneattention spéciale aux relations avec les membres de chaque religion.

requiert des études spécifiques

88 Il importe aussi de faire des études spécifiques sur la relationentre dialogue et annonce en tenant compte de chaque religion

particulière dans le cadre des aires géographiques déterminées et de leurcontexte socioculturel. Les Conférences épiscopales pourraient confier cesétudes aux Commissions appropriées et à des Instituts de théologie et depastorale. A la lumière des résultats obtenus par ces études, ces Institutspourraient aussi organiser des cours spéciaux et des sessions d’études qui

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préparent tant au dialogue qu’à l’annonce. Une attention spéciale y seradonnée aux jeunes qui vivent dans un milieu pluraliste et rencontrent descroyants des autres religions à l’école et au travail, dans les mouvementsde jeunesse et les autres associations, quand ce n’est pas dans leurspropres familles.

et la prière.

89 Dialogue et annonce sont des tâches difficiles et néanmoinsabsolument nécessaires. Tous les chrétiens, dans les situations qui

sont les leurs, doivent être encouragés à se préparer pour mieux réaliserce double engagement. Cependant, plus encore que des tâches àaccomplir, le dialogue et l’annonce sont des grâces pour lesquelles il fautprier. Que tous ne cessent donc pas d’implorer l’aide du Saint-Esprit, afinqu’il soit «l’inspirateur décisif de leurs plans, de leurs initiatives, de leuractivité évangélisatrice» (Evangelii nuntiandi, 75).

Pentecôte, 19 mai 1991.Francis Card. Arinze, Président du Conseil pontifical pour le dialogue inter-religieuxJozef Card. Tomko, Préfet de la Congrégation pour l’évangélisation despeuples.

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Extraits de Redemptoris missio

En décembre 1990, le Pape Jean-Paul II signe une encyclique intituléeRedemptoris missio, qui sera publiée en janvier 1991, dans le but de stimuler dansl’Eglise la mission «ad gentes», 25 ans après le Concile Vatican II.Se fondant sur une théologie trinitaire où s’articulent la mission du Fils et lamission de l’Esprit, le texte aborde la problématique du dialogue interreligieuxcomme un «défi positif pour l’Eglise d’aujourd’hui» et situe ce dialogue au seinde la mission évangélisatrice de l’Eglise.

4 «A toutes les époques, et plus particulièrement à la nôtre, le devoir fonda-mental de l’Eglise, comme je le rappelais dans ma première encyclique qui

avait valeur de programme, est de diriger le regard de l’homme, d’orienter laconscience et l’expérience de toute l’humanité vers le mystère du Christ».

La mission universelle de l’Eglise découle de la foi en Jésus Christ, comme leproclame la profession de foi trinitaire: «Je crois en un seul Seigneur, JésusChrist, le Fils unique de Dieu, né du Père avant tous les siècles (…). Pour nousles hommes, et pour notre salut, il descendit du ciel. Par l’Esprit Saint, il a prischair de la Vierge Marie et s’est fait homme». L’événement de la Rédemption estle fondement du salut de tous, «parce que chacun a été inclus dans le mystère dela Rédemption, et Jésus Christ s’est uni à chacun, pour toujours, à travers cemystère». La mission ne peut être comprise et fondée que dans la foi.

Et pourtant, à cause des changements de l’époque moderne et de la diffusionde nouvelles conceptions théologiques, certains s’interrogent: la mission auprèsdes non-chrétiens est-elle encore actuelle? N’est-elle pas remplacée par ledialogue interreligieux? La promotion humaine n’est-elle pas un objectifsuffisant? Le respect de la conscience et de la liberté n’exclut-il pas toute propo-sition de conversion? Ne peut-on faire son salut dans n’importe quelle religion?Alors, pourquoi la mission?

28 L’Esprit se manifeste d’une manière particulière dans l’Eglise et dans sesmembres; cependant sa présence et son action sont universelles, sans

limites d’espace ou de temps. Le Concile Vatican II rappelle l’œuvre de l’Espritdans le cœur de tout homme, par les «semences du Verbe», dans les actionsmême religieuses, dans les efforts de l’activité humaine qui tendent vers lavérité, vers le bien, vers Dieu.

L’Esprit offre à l’homme «lumière et forces pour lui permettre de répondre àsa très haute vocation»; par l’Esprit, «l’homme parvient, dans la foi, àcontempler et à goûter le mystère de la volonté divine»; et «nous devons tenirque l’Esprit Saint offre à tous, d’une façon que Dieu connaît, la possibilité d’êtreassociés au Mystère Pascal». Dans tous les cas, l’Eglise sait que «l’homme, sanscesse sollicité par l’Esprit de Dieu, ne sera jamais tout à fait indifférent auproblème religieux» et qu’il «voudra toujours connaître, ne serait-ce que

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confusément, la signification de sa vie, de ses activités et de sa mort». L’Esprit estdonc à l’origine même de l’interrogation existentielle et religieuse de l’hommequi ne naît pas seulement de conditions contingentes mais aussi de la structuremême de son être.

La présence et l’activité de l’Esprit ne concernent pas seulement lesindividus, mais la société et l’histoire, les peuples, les cultures, les religions.En effet, l’Esprit se trouve à l’origine des idéaux nobles et des initiatives bonnesde l’humanité en marche: «Par une providence admirable, il conduit le cours destemps et rénove la face de la terre». Le Christ ressuscité «agit désormais dans lecœur des hommes par la puissance de son Esprit; il n’y suscite pas seulement ledésir du siècle à venir, mais, par là même, anime aussi, purifie et fortifie cesaspirations généreuses qui poussent la famille humaine à améliorer ses condi-tions de vie et à soumettre à cette fin la terre entière». C’est encore l’Esprit quirépand les «semences du Verbe», présentes dans les rites et les cultures, et lesprépare à leur maturation dans le Christ.

29 Ainsi l’Esprit, qui «souffle où il veut» (Jn 3, 8) et qui «était déjà à l’œuvreavant la glorification du Christ», lui qui «remplit le monde et qui, tenant

unies toutes choses, a connaissance de chaque mot» (Sg 1, 7), nous invite àélargir notre regard pour contempler son action présente en tout temps et en toutlieu. Moi-même, j’ai souvent renouvelé cette invitation et cela m’a guidé dansmes rencontres avec les peuples les plus divers. Les rapports de l’Eglise avec lesautres religions sont inspirés par un double respect: «Respect pour l’hommedans sa quête de réponses aux questions les plus profondes de sa vie, et respectpour l’action de l’Esprit dans l’homme». La rencontre interreligieuse d’Assise, sil’on écarte toute interprétation équivoque, a été l’occasion de redire maconviction que «toute prière authentique est suscitée par l’Esprit Saint qui estmystérieusement présent dans le cœur de tout homme».

Ce même Esprit a agi dans l’Incarnation, dans la vie, la mort et la résur-rection de Jésus, et il agit dans l’Eglise. Il ne se substitue donc pas au Christ, et ilne remplit pas une sorte de vide, comme, suivant une hypothèse parfoisavancée, il en existerait entre le Christ et le Logos. Ce que l’Esprit fait dans lecœur des hommes et dans l’histoire des peuples, dans les cultures et les religions,remplit une fonction de préparation évangélique et cela ne peut pas être sansrelation au Christ, le Verbe fait chair par l’action de l’Esprit, «afin que, hommeparfait, il sauve tous les hommes et récapitule toutes choses en lui».

L’action universelle de l’Esprit n’est pas à séparer de l’action particulièrequ’il mène dans le corps du Christ qu’est l’Eglise. En effet, c’est toujoursl’Esprit qui agit quand il vivifie l’Eglise et la pousse à annoncer le Christ, ouquand il répand et fait croître ses dons en tous les hommes et en tous les peuples,amenant l’Eglise à les découvrir, à les promouvoir et à les recevoir par ledialogue. Il faut accueillir toutes les formes de la présence de l’Esprit avecrespect et reconnaissance, mais le discernement revient à l’Eglise à laquelle leChrist a donné son Esprit pour la mener vers la vérité tout entière (cf. Jn 16, 13).

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39 Toutes les formes de l’activité missionnaire sont marquées par laconscience que l’on favorise la liberté de l’homme en lui annonçant

Jésus Christ. L’Eglise doit être fidèle au Christ dont elle est le corps et dont ellepoursuit la mission. Il est nécessaire qu’elle «suive la même route que le Christ,la route de la pauvreté, de l’obéissance, du service et de l’immolation de soijusqu’à la mort, dont il est sorti victorieux par sa résurrection». L’Eglise doitdonc tout faire pour déployer sa mission dans le monde et atteindre tous lespeuples; elle en a aussi le droit, qui lui a été donné par Dieu pour la mise enœuvre de son plan. La liberté religieuse, parfois encore limitée ou restreinte, estla condition et la garantie de toutes les libertés qui fondent le bien commun despersonnes et des peuples. Il faut souhaiter que la véritable liberté religieuse soitaccordée à tous en tout lieu, et l’Eglise s’y emploie dans les différents pays,surtout dans les pays à majorité catholique où elle a une plus grande influence.Cependant, il ne s’agit pas d’une question de religion de la majorité ou de laminorité, mais bien d’un droit inaliénable de toute personne humaine.

D’autre part, l’Eglise s’adresse à l’homme dans l’entier respect de sa liberté:la mission ne restreint pas la liberté, mais elle la favorise. L’Eglise propose, ellen’impose rien: elle respecte les personnes et les cultures, et elle s’arrête devantl’autel de la conscience. A ceux qui s’opposent, sous les prétextes les plus variés,à son activité missionnaire, l’Eglise répète: Ouvrez les portes au Christ!

Je m’adresse à toutes les Eglises particulières, jeunes et anciennes. Le mondeest en train de s’unifier toujours davantage, l’esprit de l’Evangile doit conduireà surmonter les barrières des cultures, des nationalismes, écartant toutefermeture. Benoît XV donnait déjà cet avertissement aux missionnaires de sonépoque: ne jamais «oublier sa dignité personnelle au point de penser davantageà sa patrie terrestre qu’à celle du ciel». La même recommandation vaut aujour-d’hui pour les Eglises particulières: ouvrez les portes aux missionnaires, car«toute Eglise particulière qui se couperait volontairement de l’Eglise universelleperdrait sa référence au dessein de Dieu; elle s’appauvrirait dans sa dimensionecclésiale».

55 Le dialogue interreligieux fait partie de la mission évangélisatrice del’Eglise. Entendu comme méthode et comme moyen en vue d’une

connaissance et d’un enrichissement réciproques, il ne s’oppose pas à la missionad gentes; au contraire, il lui est spécialement lié et il en est une expression. Carcette mission a pour destinataires les hommes qui ne connaissent pas le Christ nison Evangile et qui, en grande majorité, appartiennent à d’autres religions. Dieuappelle à lui toutes les nations dans le Christ; il veut leur communiquer laplénitude de sa révélation et de son amour; il ne manque pas non plus demanifester sa présence de beaucoup de manières, non seulement aux individusmais encore aux peuples, par leurs richesses spirituelles dont les religions sontune expression principale et essentielle, bien qu’elles comportent «des lacunes,des insuffisances et des erreurs». Le Concile et les enseignements ultérieurs dumagistère ont amplement souligné tout cela, maintenant toujours avec fermeté

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que le salut vient du Christ et que le dialogue ne dispense pas de l’évangéli-sation.

A la lumière de l’économie du salut, l’Eglise estime qu’il n’y a pas contra-diction entre l’annonce du Christ et le dialogue interreligieux, mais elle sent lanécessité de les coordonner dans le cadre de sa mission ad gentes. En effet, il fautque ces deux éléments demeurent intimement liés et en même temps distincts,et c’est pourquoi on ne doit ni les confondre, ni les exploiter, ni les tenir pouréquivalents comme s’ils étaient interchangeables.

J’ai écrit récemment aux évêques d’Asie: «Bien que l’Eglise reconnaissevolontiers tout ce qui est vrai et saint dans les traditions religieuses dubouddhisme, de l’hindouisme et de l’islam, comme un reflet de la vérité quiéclaire tous les hommes, cela ne diminue pas son devoir et sa détermination deproclamer sans hésitation Jésus Christ qui est «la Voie, la Vérité et la Vie» (…).Le fait que les adeptes d’autres religions puissent recevoir la grâce de Dieu etêtre sauvés par le Christ en dehors des moyens ordinaires qu’il a instituésn’annule donc pas l’appel à la foi et au baptême que Dieu veut pour tous lespeuples». En effet, le Christ lui-même, «en nous enseignant expressément lanécessité de la foi et du baptême (…), nous a confirmé en même temps lanécessité de l’Eglise elle-même dans laquelle les hommes entrent par la porte dubaptême». Le dialogue doit être conduit et mis en œuvre dans la conviction quel’Eglise est la voie ordinaire du salut et qu’elle seule possède la plénitude desmoyens du salut.

56 Le dialogue n’est pas la conséquence d’une stratégie ou d’un intérêt,mais c’est une activité qui a ses motivations, ses exigences et sa dignité

propres: il est demandé par le profond respect qu’on doit avoir envers tout ceque l’Esprit, qui «souffle où il veut», a opéré en l’homme. Grâce au dialogue,l’Eglise entend découvrir les «semences du Verbe», les «rayons de la vérité quiillumine tous les hommes», semences et rayons qui se trouvent dans lespersonnes et dans les traditions religieuses de l’humanité. Le dialogue est fondésur l’espérance et la charité, et il portera des fruits dans l’Esprit. Les autresreligions constituent un défi positif pour l’Eglise d’aujourd’hui; en effet, ellesl’incitent à découvrir et à reconnaître les signes de la présence du Christ et del’action de l’Esprit, et aussi à approfondir son identité et à témoigner de l’inté-grité de la Révélation dont elle est dépositaire pour le bien de tous.

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III

Enjeux théologiques

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Jean-Marc Aveline

PRÉSENTATION

Dans son discours aux Cardinaux et à la Curie romaine, le PapeJean-Paul II évoquait la rencontre d’Assise comme un événementd’une si grande portée «qu’il nous invite par lui-même à une réflexionapprofondie pour en éclairer toujours mieux la signification». C’est à cetravail d’approfondissement que la troisième partie de ce numéroest consacrée. Trois documents nous y aideront.

q En premier lieu il nous a semblé indispensable, pour réfléchiraux enjeux du dialogue interreligieux, de bénéficier d’une petiteprésentation des diverses religions. Certes, en si peu de pages,celle-ci ne peut être qu’introductive et succincte. Mais l’outil detravail que veut constituer ce volume aurait été incomplet sanscette présentation, construite comme un vaste commentaire de ladéclaration conciliaire Nostra ætate, introduisant aux traditions quiy sont évoquées: les religions traditionnelles, l’hindouisme, lebouddhisme, l’islam et le judaïsme.

Chaque fois la présentation est faite en rapport étroit avec letexte du Concile. Le lecteur retrouvera dans ces pages, extraitesd’un ouvrage publié au Centurion en 1991, tout le talent synthé-tique et la rigueur scientifique de Dennis Gira.

q Le deuxième document que nous proposons pour un travaild’approfondissement est un texte adopté par le Conseil de la

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Fédération protestante de France en janvier 1996 et élaboré par lesdeux commissions Eglise-Peuple d’Israël et Eglise-Islam de cettefédération, sur les enjeux du dialogue avec les juifs et lesmusulmans.

Les pistes de réflexion qui y sont suggérées invitent, après unerelecture du passé «douloureux et traumatisant» des relations entreles religions, à repérer ce que les trois grands monothéismes ont encommun: la foi en un Dieu unique qui s’est lui-même révélé àl’humanité. De cette révélation, les trois traditions ont des compré-hensions nettement différentes, mais le dialogue peut précisémentrendre féconde cette diversité. Présentant l’état actuel desquestions théologiques ainsi ouvertes, ce document est à mêmed’aider le lecteur à mieux comprendre l’originalité de sa propre foiet à mieux discerner l’appel de Dieu à travers la rencontre d’autrestémoins du Dieu unique.

q «L’Unique et ses témoins»: tel est justement le titre d’unemagistrale conférence donnée par Chritoph Théobald pour lasession de rentrée de l’I.S.T.R. de Marseille en octobre 1995.Comment résoudre, malgré les ressemblances manifestes entre lestrois attestations de l’Unique dans le judaïsme, le christianisme etl’islam, l’énigme de la violence entre les trois témoins? Pour repérer lelieu où se trouve la véritable difficulté à communiquer entretémoins, l’auteur observe les «regards croisés» et décèle l’asymétriedes relations dans la famille d’Abraham: les aînés n’ont pas besoindes plus jeunes pour se comprendre eux-mêmes, et chacun destrois est toujours tenté d’évacuer l’énigmatique apparition oupersistance des deux autres.

L’expérience de la modernité, l’invitation au comparatismesystématique des sciences de la religion, le besoin social d’œuvrerpour la paix universelle et de gérer les situations de violenceinvitent aujourd’hui chaque tradition à un retour réflexif sur elle-même, pour y retrouver la sève de la règle d’or qui traverse toute

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culture: «tout ce que vous voulez que les autre fassent pour vous, faites-le pour eux». Ainsi sollicités à communiquer entre eux, nos troismonothéismes (monothéisme éthique du judaïsme, monothéismeméta-éthique du christianisme, monothéisme pré-éthique de l’islam)entrent alors dans un long processus d’apprentissage pour tenterde découvrir, dans le règne de l’incomparable, l’irréductible singu-larité de chacun des trois.

Ce processus ne peut se faire qu’à partir d’une situationconcrète, dans l’une des trois traditions. Situé dans une perspectivechrétienne, l’auteur développe l’hypothèse selon laquelle la diffé-rence du christianisme par rapport au judaïsme et à l’islam, àsavoir le mystère de l’Incarnation et de la Trinité, est précisément lelieu où peut se définir une véritable théologie de la rencontre.

Outre la rigueur de la pensée et la clarté du style, le lecteurappréciera l’horizon ouvert, bien au-delà de la stricte probléma-tique du dialogue interreligieux, vers une compréhension renou-velée de la foi chrétienne comme d’un «style de vie», ouvert à une«multitude de fils», dont l’engendrement méta-éthique consiste toutsimplement (!) à vivre de la sainteté même de Dieu.

Présentation

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Dennis GiraDirecteur adjoint de l’Institut de sciences et de théologie des religions (I.S.T.R.) àl’Institut catholique de Paris.

Le texte présenté ici est extrait du livre publié par Dennis Gira, Les religions, coll.«Parcours», Paris, Centurion/La Croix, 1991, pp. 26-50.

PRÉSENTATION DES DIVERSES RELIGIONS

Les Pères du Concile nous parlent très concrètement desdiverses manières dont les religions du monde aident les hommesà cheminer vers la vérité de toutes choses. Voici un des passages lesplus explicites à cet égard:

«Depuis les temps les plus reculés jusqu’à aujourd’hui, ontrouve dans les différents peuples une certaine sensibilité à cetteforce cachée qui est inhérente au cours des choses et aux événe-ments de la vie humaine, parfois même une reconnaissance de laDivinité suprême, ou encore du Père. Cette sensibilité et cetteconnaissance pénètrent leur vie d’un profond sens religieux. Quantaux religions, liées au progrès de la culture, elles s’efforcent derépondre aux mêmes questions (concernant le sens de la vie, de lamort, etc., cf. Nostra ætate, 1) par des notions plus affinées et par unlangage plus élaboré. Ainsi dans l’hindouisme, les hommesscrutent le mystère divin et l’expriment par la fécondité inépuisabledes mythes et par les efforts pénétrants de la philosophie; ilscherchent la libération des angoisses de notre condition, soit par lesformes de la vie ascétique, soit par la méditation profonde, soit parle refuge en Dieu avec amour et confiance. Dans le bouddhisme,selon ses formes variées, l’insuffisance radicale de ce mondechangeant est reconnue et on enseigne une voie par laquelle leshommes, avec un cœur dévot et confiant, pourront acquérir l’étatde libération parfaite, soit atteindre l’illumination suprême parleurs propres efforts ou par un secours venu d’en-haut. De mêmeaussi, les autres religions qu’on trouve de par le monde s’efforcent

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d’aller, de façons diverses, au-devant de l’inquiétude du cœurhumain en proposant des voies, c’est-à-dire des doctrines, desrègles de vie et des rites sacrés» (Nostra ætate, 2).

Selon le Concile, rien de ce qui est vrai et saint dans ces religionsne doit être rejeté. Au contraire, tout chrétien doit considérer «avecun respect sincère ces manières d’agir et de vivre, ces règles et cesdoctrines qui, quoiqu’elles diffèrent en beaucoup de points de cequ’elle-même (l’Eglise) tient et propose, cependant apportentsouvent un rayon de la vérité qui illumine tous les hommes»(Nostra ætate, 2).

Les religions musulmane et juive ne sont, bien sûr, pas laisséesde côté dans Nostra ætate. Au contraire, à cause des liens particu-liers qui les lient à l’Eglise et qui découlent de l’enracinement destrois traditions dans la foi d’Abraham et de leur attachement auDieu unique, le Concile exhorte chrétiens, musulmans et juifs àfaire effort pour mieux se comprendre mutuellement.

Puisque dans leurs réflexions sur le dialogue interreligieux lesPères du Concile eux-mêmes ont choisi de parler de la sensibilitédes peuples à «la force cachée inhérente qui est présente au coursdes choses et aux événements» de l’hindouisme, du bouddhisme,de l’islam et du judaïsme, sensibilité que l’on trouve souvent dansles «religions traditionnelles», nous allons brosser un très brefpanorama de chacune de ces cinq voies de la quête spirituelle del’homme.

Les religions traditionnelles

Le terme même de «religions traditionnelles» nous indiquel’une des caractéristiques de ce phénomène religieux extrêmement

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Présentation des diverses religions

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répandu, surtout en Afrique, en Asie et en Océanie, à savoir sonhétérogénéité. La variété des religions (nommées aussi «religionstribus», «voies sacrées», etc.) reflète bien en effet celle des traditionset souvent de façon très marquée, même à l’intérieur d’un seulpays, voire d’une seule région. Et pourtant, malgré cette évidentediversité dans leur manière de vivre l’expérience du divin, nombred’éléments communs se retrouvent dans beaucoup de ces religionstraditionnelles.

Tout d’abord les croyances d’un peuple (ou d’une tribu), aussibien que les coutumes qui y sont associées, sont transmisessoigneusement de génération en génération et deviennent ainsiessentielles à l’intégration de l’individu dans le milieu socioreli-gieux qui l’a vu naître. De plus, une religion traditionnelle nes’appuie normalement pas sur un livre sacré et il est souvent trèsdifficile de faire une distinction nette entre les pratiques religieuseset des coutumes d’ordre uniquement social, car la religion, dansces sociétés, imprègne toute la vie de l’homme. Leur vision globa-lisante de la vie pousse les gens à chercher dans la religion lesréponses directes aux problèmes que posent par exemple lamaladie et la souffrance, d’où le rôle important des guérisseurs. Parailleurs, toutes les étapes importantes de la vie humaine sontmarquées par des rites religieux, qu’il s’agisse de la naissance, dela puberté, du mariage, de l’intronisation des chefs ou de la mort.Ajoutons encore que les ancêtres jouent presque toujours un rôleextrêmement important au sein de ces religions où la vie après lamort est toujours une réalité qui ne saurait être mise en doute. Cesreligions sont d’autre part très proches du rythme de la nature, dela terre et de toute la création. Enfin, elles sont fondées sur une foiinébranlable en l’existence d’un Etre Suprême très attentif à lacréation lui aussi et en même temps proche de l’homme1.

1. Cardinal Francis Arinze, président du Conseil pontifical pour le dialogueinterreligieux, «Evangelization and traditional religions» (une allocutionprononcée à l’Institut pontifical de Bangalore, le 31 janvier 1990), CatholicInternational vol. 1, n° 4 (16-30 novembre 1990), p. 157.

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Le cardinal Francis Arinze, président du Conseil pontifical pourle dialogue interreligieux, note qu’il existe pourtant aussi deséléments plus négatifs dans nombre de ces religions tradition-nelles et qu’on ne peut les ignorer. Voici quelques-uns desexemples qu’il donne: idées inadéquates sur les objets devénération; pratiques morales douteuses; rites parfois dégradantspour la personne humaine; attitude de discrimination envers lesfemmes; dans certains endroits, rejet des jumeaux; et sacrificeshumains (heureusement rares). Cela dit, le cardinal souligne, et icinous retrouvons la position exprimée dans Nostra ætate, qu’on nepeut cependant pas nier que ces religions traditionnelles «témoi-gnent de la recherche de Dieu par l’âme humaine2». Et en tant quetelles, elles sont donc dignes de notre respect.

L’hindouisme

Les Pères du Concile, quand ils parlent de l’hindouisme, selimitent à dire qu’il s’agit d’une religion au sein de laquelle «leshommes scrutent le mystère divin et l’expriment par la féconditéinépuisable des mythes et par les efforts pénétrants de la philo-sophie» et «cherchent la libération des angoisses de notrecondition, soit par les formes de la vie ascétique, soit par laméditation profonde, soit par le refuge en Dieu avec amour etconfiance». Ils ne soulignent donc que trois aspects de la mosaïquede croyances et de pratiques qu’englobe le terme d’«hindouisme»,à savoir la recherche de Dieu (ou de l’absolu, ou du fondement detoutes choses), la soif d’une libération de ce monde insatisfaisantdes phénomènes où la «distance» entre l’homme et Dieu se faittoujours sentir de manière aiguë, et les voies sur lesquellesl’homme peut cheminer vers la réalisation de sa véritable nature.

2. Ibid.

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Dans cette brève présentation, ce sont essentiellement ces troispoints que nous essaierons donc de développer.

Le mystère inépuisable

Les hindous eux-mêmes utilisent le mot sanatana dharma, plutôtque celui d’«hindouisme», pour parler de la manière dont ilsvivent et expriment leur expérience religieuse. Il sera donc bon,pour mieux comprendre ce qu’est l’hindouisme, de réfléchir unpeu au sens de ce terme.

Sanatana dharma veut dire littéralement «l’Ordre (dharma)permanent (sanatana)» ou «la Loi éternelle». Le mot-clé de ce terme,dharma, est dérivé d’une racine sanscrite qui a le sens fondamentalde «soutenir» ou «fixer». C’est un terme polyvalent qui a, entreautres, les sens suivants: 1) l’ordre ou la loi de l’univers, immanent,éternel et incréé, un ordre qui assigne à chaque être sa place, d’où,par exemple, la pérennité du système des castes dans l’hin-douisme; 2) la réalité transcendantale, ce qui est vrai dans le sensabsolu et ultime du terme. Ce dharma est donc «l’objet» de laconnaissance suprême; 3) la loi morale, la vertu, le devoir. Ce qui,dans ces trois définitions, peut nous servir de pont pour traverserl’abîme qui nous sépare de l’expérience hindoue, ce sont toutsimplement les guillemets qu’il faut utiliser lorsque l’on dit que ledharma, réalité transcendante, est «l’objet» de la connaissancesuprême. Effectivement, ce qui est transcendant, ce qui est véritéabsolue, est inconnaissable. Cela ne peut donc être un objet, dans lesens propre du terme, de notre connaissance. L’homme ne peut quele vénérer et en approcher les innombrables aspects, à travers sadévotion envers les diverses divinités qui dans leur multiplicitémême symbolisent l’ineffable. Parmi ces divinités, les plus connuessont Brahman, qui représente l’élément «créateur», Vishnu, le«conservateur», et Shiva, le «destructeur».

Présentation des diverses religions

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La situation insatisfaisante de l’homme

L’hindou, à la recherche de l’absolu dont les manifestationsl’entourent, a un sens aigu du caractère insatisfaisant de ce mondedans lequel, selon la vision indienne des choses, il passe de vie envie, enfermé dans un cycle sans commencement ni fin de vies et demorts qu’on appelle le samsara. Ce qui le bloque dans ce samsara,c’est la loi karmique selon laquelle chaque acte (positif ou négatif)posé portera obligatoirement un fruit correspondant dans une vieultérieure (le terme karma veut signifier l’acte avec ses consé-quences). C’est ainsi que la réalité intérieure, celle qui est au fondde chaque homme, celle qui le fait exister comme être vivant et quicontinue de vivre après la mort, reste «distancée», en quelque sorte,de l’absolu situé au fond de toute existence, de l’incréé quienveloppe toutes choses visibles et invisibles, de quoi tout procèdeet à quoi tout retourne. Et c’est cette expérience, douloureuse, quifait jaillir en lui le désir de se libérer de ce monde et de réaliserdéfinitivement son unité foncière avec l’Ultime.

Les voies qui mènent à la libération

Les voies mentionnées dans Nostra ætate, et sur lesquellesl’homme hindou peut cheminer vers la libération, sont celles del’ascétisme, de la méditation profonde, et du refuge en Dieu avecamour et confiance.

q La première d’entre elles vise à «déjouer» la loi karmique enmenant une vie où tout acte susceptible d’engendrer du «fruitkarmique» sera donc systématiquement écarté. Ainsi, pendant lavie de l’ascète le fruit karmique des vies antérieures s’épuisera-t-ilpeu à peu et, à la fin de sa vie, aucun fruit nouveau n’ayant été créé,l’ascète échappera tout simplement au samsara, car il ne peut y

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avoir de renaissance sans raison, et la seule raison qui puisseexister est le karma.

q La deuxième voie est celle de la méditation. A travers despratiques très rigoureuses, l’homme peut arriver à saisir qu’au plusprofond de lui-même il n’y a pas de distinction entre ce qu’il est etla réalité ultime. Ainsi échappe-t-il à ce monde dont le caractèretotalement illusoire devient évident. Avec cette nouvelle prise deconscience, le monde phénoménal, désormais dévoilé et vu pour cequ’il est, perd son emprise sur lui.

q La troisième voie dont parlent les Pères du Concilecorrespond à ce qu’on appelle la bhakti, c’est-à-dire l’attachementet la dévotion d’un fidèle envers l’une ou l’autre des divinités dupanthéon hindou, ou envers des maîtres spirituels qui sont euxaussi considérés comme des manifestations de l’absolu. Les deuxpremières voies mentionnées ne sont ouvertes, de par leur diffi-culté même, qu’à des pratiquants aussi persévérants que doués. Lavoie de la bhakti, en revanche, est offerte à tous. En effet, grâce à sadévotion à une manifestation de l’absolu, l’homme peut cheminervers l’union à l’Ultime. La fonction de la bhakti est d’ailleurs bienexplicitée dans le Dictionnaire des religions (PUF):

«Dans sa forme classique, celle par exemple de la Bhagavad Gita,la bhakti assure un bel équilibre entre des forces qui auraienttendance à se disperser: sur le plan de la connaissance, ellemaintient une transcendance du divin; sur celui de la représen-tation, elle répond au désir de voir; sur celui de l’activité et del’affectivité, elle mobilise les forces de l’homme et les focalise sur unobjet. La bhakti est ouverte à tous, hommes et femmes de toutescastes. Elle s’exprime avec toutes les nuances. Elle reste encoreaujourd’hui pour beaucoup d’hommes et de femmes en Inde laforme religieuse la plus adaptée à leurs aspirations et à leur besoinreligieux3 ».

Ces quelques aperçus sur la richesse spirituelle de la traditionhindoue permettront au lecteur de comprendre que les Pères du

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3. Dictionnaire des religions, PUF, 1984, p. 162.

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Concile en aient parlé explicitement dans Nostra ætate. Un chrétienpeut en effet facilement reconnaître le travail de Dieu au cœur decette tradition.

Le bouddhisme

Pour ce qui concerne le bouddhisme, Nostra ætate souligne lesens aigu qu’a cette tradition multiforme de «l’insuffisance radicalede ce monde changeant». Le même texte explique aussi que lebouddhisme «enseigne une voie par laquelle les hommes, avec uncœur dévot et confiant, pourront acquérir l’état de libérationparfaite, soit atteindre l’illumination suprême par leurs propresefforts ou par un secours venu d’en-haut». Dans cette brève présen-tation nous essaierons de découvrir quelques-uns des aspects de latradition bouddhique qui fondent la description qu’en donne ledocument conciliaire. En même temps, le lecteur trouvera despoints de repère qui lui permettront s’il le désire d’aller plus loindans son étude.

Un monde de souffrance

Il y a environ 2500 ans, Siddharta Gautama, fils d’une familleprincière du nord de l’Inde, abandonna tout pour se mettre enquête d’une voie qui puisse libérer du malheur d’être l’hommevivant en ce monde d’illusions. Au travers d’une expérience extra-ordinaire qui lui permit de saisir le mystère de l’existence, ildécouvrit cette voie et devint ainsi le Bouddha, «l’Eveillé». Depuis,des centaines de millions d’hommes et de femmes ont choisi, pourleur quête spirituelle, de cheminer sur la voie qu’il avait ouverte.

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Pour comprendre ce phénomène, il suffit peut-être de reprendrel’histoire de Kisagotami racontée dans le Thera gatha (213-223).

Kisagotami, née pauvre, s’était mariée avec un homme riche. Cemariage ne lui apporta pourtant pas le bonheur qu’elle avait espérécar sa belle-mère la harcelait continuellement. Mais le malheur quifinit par la pousser au bord de la folie fut la mort de son enfant.Dans son désespoir, elle chercha tous les moyens de le ramener à lavie. Le Bouddha la reçut alors et lui promit d’exaucer son désir à laseule condition qu’elle lui apporte une graine de moutarderecueillie près d’une maison où la mort n’aurait jamais frappé. Ilmontra ainsi à Kisagotami, sans complaisance aucune, toute lafutilité de sa recherche. Elle décida alors de se faire nonne.

Cette histoire illustre la façon dont le Bouddha amène l’hommeà prendre conscience de la véritable cause de toute souffrance: sonignorance foncière du fait que tout, y compris lui-même et tout cequi lui est le plus cher, est impermanent, sans substance, et doncvoué à la destruction. Or, l’homme est incapable d’accepter cettevérité dans toute sa radicalité et s’attache obstinément à l’illusion,terrible dans la perspective bouddhique, qu’au fond de lui existeun soi substantiel qui échapperait à cette impermanence, pourtantpartout évidente. Cet attachement plonge l’homme dans uneactivité frénétique à travers laquelle il essaie de s’affirmer de millemanières et de satisfaire tous ses désirs, dont celui d’une existencedurable.

En bref, l’homme, dans son ignorance, se condamne à unefrustration perpétuelle. Il s’enfonce ainsi de plus en plus dans lecycle infernal des naissances et des morts (le samsara mentionnéplus haut) qui est, selon la pensée indienne, le monde dans lequelnous vivons. On retrouve ainsi dans le bouddhisme la notion de loikarmique à laquelle tous sont soumis. Les actes égoïstes, quidécoulent de la rage de vivre incontrôlable de l’homme attaché àlui-même, le projettent sans cesse dans d’autres existences. Ainsi setrouve-t-il prisonnier du cycle, sans possibilité apparente de s’enlibérer.

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Les quatre nobles vérités

En montrant à l’homme la nature et les causes véritables de sa«maladie» spirituelle, le Bouddha agit en bon médecin et cetteimage est souvent employée dans les textes bouddhiques pouréclairer la relation que chacun peut avoir avec le Bouddha. Maisl’Eveillé n’arrête pas là son enseignement, sinon il n’aurait faitqu’alourdir le fardeau qui pèse sur l’homme. Que l’homme soitenfoncé dans la souffrance et qu’il y ait des explications à cettecondition malheureuse ne sont que les deux premières des quatrenobles vérités à travers lesquelles le Bouddha partage le «contenu»de son expérience. Avec la troisième vérité, le Bouddha explique eneffet qu’il y a aussi une guérison possible, que l’homme peutdissiper son ignorance, se libérer de tout désir, des actes égoïstes,de toute forme de souffrance et même finalement du cycle desnaissances et des morts. Il peut atteindre le nirvãna (ce qui veutdire littéralement «éteint» et qui se réfère à l’extinction des désirségoïstes et des actes qui en découlent, aussi bien qu’à la dissipationde toute illusion concernant la véritable nature des choses). Enfin,avec la quatrième vérité, le Bouddha prescrit le «traitement» et le«régime» qui seuls peuvent ramener à la santé l’homme spirituel-lement malade: il lui enseigne le noble chemin octuple qui mène àla libération. Les huit éléments de cette voie sont habituellementprésentés en trois groupes: 1) la discipline morale qui aide àcalmer les passions; 2) la discipline mentale qui sert à approfondirla sagesse; 3) la sagesse elle-même qui permet à l’homme de voirles choses comme elles sont, impermanentes, sans substantialité,source de souffrance pour ceux qui s’y attachent.

La quatrième de ces vérités offre donc à l’homme, sous la formed’une voie très élaborée, la possibilité de faire sienne l’expérienced’Eveil du Bouddha. Tout au long de son chemin, avec l’aide d’unmaître expérimenté, le pratiquant peut vérifier ses progrès, lavalidité de son intuition, etc. Finalement, il peut arriver à lalibération de tout attachement aux choses et à son propre soi. Tous

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ceux qui se lancent sur ce chemin forment, ensemble, la commu-nauté bouddhique.

Les grands courants de la pensée bouddhique

Tout au long des siècles qui ont suivi la mort du Bouddha, denombreux maîtres bouddhistes ont commenté ces «quatre noblesvérités» afin d’en tirer toutes les conséquences. Cela a donnénaissance à diverses tendances qui se reflètent aujourd’hui encoredans le monde bouddhique. Il y a d’abord le Theravada (la voie desAnciens), qui est fondé sur des écritures censées être l’expressionde la tradition la plus ancienne, et donc la plus fidèle à l’ensei-gnement originel du Bouddha. L’idéal auquel il faut tendre y estcelui de l’Arhat, être digne de respect car il a réussi à couper tousles liens qui emprisonnent l’homme du commun dans l’ignorancespirituelle la plus totale. C’est une tradition dans laquelle la viemonastique a toujours prévalu, car seul un moine peut réellementsuivre la voie telle qu’elle est élaborée dans cette école. Cette formedu bouddhisme se vit essentiellement dans les pays du Sud-Estasiatique.

Mais il y a aussi le Mahayana (le Grand Véhicule), qui est lenom utilisé par ses adeptes pour le distinguer de la tendance plustraditionaliste, incarnée dans les diverses écoles du Hinayana (lePetit Véhicule), dont le Theravada est la seule à subsister. L’idéalauquel il faut tendre dans le Mahayana est celui du Bodhisattva(l’être d’éveil), tendu vers l’Eveil suprême et prêt à aider tous lesautres êtres vivants à l’atteindre également. Cela a ouvert lebouddhisme à tous ceux qui étaient incapables de s’adonner auxpratiques difficiles des écoles du Petit Véhicule et chacun pouvaitdès lors, avec «un cœur dévot et confiant» (pour utiliser les mots deNostra ætate), se confier à l’un des nombreux bodhisattvas soucieuxde son salut. Selon le Mahayana, le Bouddha historique est unemanifestation, destinée aux êtres de notre monde, de l’essence

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même de la bouddhéité. Là est la véritable nature du Bouddha ettout homme, en sa profondeur, y participe. Seule l’ignorance decette vérité est la source du malheur de l’homme. La voiebouddhique, dans la perspective mahayanique, vise donc à amenerl’homme à la conscience profonde de ce qu’il est de par sa naturemême.

Divers moyens pour libérer l’homme de cette ignoranceconcernant sa «nature de Bouddha» et l’amener à une conscienceprofonde de sa vérité ont été proposés par de grands maîtres spiri-tuels de différents pays d’Orient, ce qui explique l’existence desgrandes traditions mahayaniques d’aujourd’hui (le zen, l’ami-disme et le bouddhisme ésotérique par exemple).

Cependant, qu’il s’agisse du bouddhisme du Theravada ou dubouddhisme du Mahayana, le but ultime est d’aider l’homme àtranscender les limites inhérentes au monde phénoménal. Et c’estdans cette perspective que tant de gens ont fait confiance auBouddha, à son enseignement et à tous ceux qui constituent lacommunauté bouddhique. C’est aussi pourquoi, sans doute, lebouddhisme reste l’une des plus grandes forces spirituelles denotre temps.

L’islam

Après avoir mentionné les religions traditionnelles, l’hin-douisme, et le bouddhisme, les Pères du Concile tournent leurattention vers l’islam et le judaïsme. En lisant Nostra ætate on sentbien qu’il s’agit là de traditions dont l’Eglise est naturellement plusproche au niveau de la pratique aussi bien qu’au niveau de lathéologie. A propos de l’islam nous lisons ceci:

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«L’Eglise regarde aussi avec estime les musulmans, qui adorentle Dieu un, vivant et subsistant, miséricordieux et tout-puissant,créateur du ciel et de la terre, qui a parlé aux hommes. Ils cherchentà se soumettre de toute leur âme aux décrets de Dieu, même s’ilssont cachés, comme s’est soumis à Dieu Abraham, auquel la foiislamique se réfère volontiers. Bien qu’ils ne reconnaissent pasJésus comme Dieu, ils le vénèrent comme prophète; ils honorent saMère virginale, Marie, et parfois même l’invoquent avec piété. Deplus, ils attendent le jour du jugement où Dieu rétribuera tous leshommes ressuscités. Aussi ont-ils en estime la vie morale etrendent-ils un culte à Dieu, surtout par la prière, l’aumône et lejeûne » (Nostra ætate, 3).

L’idée de Dieu qu’ont les musulmans et leur attitude envers Lui,leur relation aux grandes figures de la tradition biblique et lamanière dont ils vivent leur foi dans le quotidien sont autant depistes que l’Eglise invite ses fidèles à explorer pour s’ouvrir avecsympathie à cette religion inconnue (ou trop mal connue) debeaucoup de chrétiens, et très souvent ressentie comme unemenace.

Le Dieu des musulmans

«Lui, Dieu est Un! Dieu l’Absolu! Il n’engendre pas et n’a pas étéengendré! Nul n’est égal à Lui» (Coran, 112). C’est ainsi que leCoran parle de Dieu, ou plutôt que Dieu parle de Lui-même àtravers le Coran. L’homme ne peut évidemment pas pénétrer leMystère qu’est Dieu (Allah) en Lui-même. Mais Dieu lui parle,comme de derrière un voile, de son agir à l’égard du monde et àl’égard de l’homme4. Il est donc l’Impénétrable d’un côté, mais del’autre, Il est l’Indulgent, le Miséricordieux, le Compatissant, leGuide et le Conducteur. Le musulman, en méditant le Coran et enrécitant les quatre-vingt-dix-neuf noms de Dieu, s’ouvre à Dieu,apprend à se conformer au grand dessein qu’Il a pour lui (en

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4. Shalom: chrétiens à l’écoute des grandes religions (sous la direction de I.H.Dalmais), Desclée de Brouwer, 1972, p. 227.

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d’autres termes, à s’y soumettre c’est ce que signifie le mot islam),et participe au projet de chanter toujours son Dieu à la fois insai-sissable et tout proche de lui.

Chanter ce Dieu unique à l’époque de Muhammad (env. 570-632) n’était pas du tout évident. Muhammad, déçu aussi bien parle polythéisme que pratiquaient les diverses tribus arabes à la findu VIe et au début du VIIe siècle que par les injustices subies par lespauvres, chercha ailleurs la réponse aux besoins spirituels qu’ilressentait si fortement. C’est ainsi qu’il se retirait régulièrementdans une caverne du mont Hira, près de La Mekke (où il naquit),pour y méditer. Selon la tradition, c’est en 610, lors de l’une de cesretraites, que Muhammad eut une vision au cours de laquelle unange l’appela «Envoyé de Dieu», et lui récita un texte de révélation.Trois ans plus tard, des visions semblables commencèrent à sereproduire en séries et Muhammad, dès lors devenu «le Prophète»,se lança dans la prédication du message qui lui avait été confié.

Les divers oracles révélés à Muhammad, et qui parlent du Dieuun, de la place de l’homme dans la création, du jour du jugement,du comportement attendu de ceux qui croient en Dieu, etc., consti-tuent le cœur du Coran, Livre sacré de l’islam, et dans le sens leplus strict du terme:

«Pour l’islam, le Coran est “la Parole de Dieu (qu’Il soitexalté!)». La conséquence et la preuve en sont l’inimitabilité (i’jâz)qu’il a en propre. La Parole, transmise à Muhammad par l’intermé-diaire de l’ange Gabriel, aussi appelé l’“Esprit saint” (2, 97; 16, 102;26, 193), ne doit rien, fût-ce dans sa forme, à l’activité intellectuelleou aux expériences antérieures du Prophète. Au terme d’uneévolution qui passe par des ruptures, la pensée sunnite5 en estmême venue à affirmer que le Coran est éternel et incréé. Commentne le serait-il pas, dans la mesure où ce Verbe littéral (dont on asouvent comparé la place dans l’islam à celle du Christ pour leschrétiens) est la seule présence qui mette le fidèle en rapport directavec le Dieu tout autre6 ».

5. Une division très profonde à l’intérieur de l’islam existe entre les sunnites etles chiites. Pour les sunnites, l’islam dépend entièrement du Coran et des

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Le message reçu par Muhammad et, selon la tradition, écrit telquel dans le Coran, fut pour le Prophète et sa famille la sourced’une foi simple qui leur permit de supporter les oppositions etjusqu’à l’exclusion de leur propre tribu. En effet, en 622,Muhammad et ses fidèles furent obligés de quitter La Mekke pourse rendre à l’oasis de Yathrib, qu’on rebaptisa alors Médine(Madînat al-Nabî, la ville du Prophète). C’est l’hégire (hijra,séparation, ou rupture d’une association) et c’est le moment quimarque le commencement du calendrier musulman7.

Au cours de la décennie suivant l’hégire, la petite communautémusulmane grandit beaucoup, et les règles et principes selonlesquels sa vie fut structurée devinrent normatifs (puisque écritsdans le Coran) pour toute société musulmane créée ultérieurement.C’est pendant cette période aussi que les musulmans prirentfinalement l’ascendant sur les Mekkois. Ils revinrent effectivementà La Mekke et détruisirent les idoles à la kaaba, la purifiant ainsi etfaisant d’elle la véritable «maison de Dieu», symbole de l’unité del’islam. C’est vers la kaaba que tout musulman se tourne pendantses prières. C’est vers elle aussi que chaque musulman se hâte, aumoins une fois dans sa vie, comme Muhammad lui-même l’a faitpeu de temps avant sa mort en 632.

paroles de Muhammad qui dans leur ensemble constituent la tradition (ousunna). Pour comprendre ce qu’il faut faire afin d’être un bon musulman ilsuffit de puiser dans cette tradition. Pour toute une autre partie du mondeislamique, le chef de la communauté musulmane a pour mission d’interpréterle Coran pour les fidèles. Les chefs donc jouent le rôle de guides (ou imam), etils doivent être des descendants du Prophète. Les chiites sont littéralement«ceux qui ont opté» (pour Ali), Ali étant le cousin et le gendre de Muhammad,et qui choisissent ainsi de suivre l’enseignement des imams. (Voir Jean-FrançoisLegrain, «Dieu seul est grand»: l’islam, Paris, Mame, 1985, pp. 21-22).

6. Dictionnaire des religions, p. 321.7. Legrain, op. cit., p. 17.8. Ibid., p. 13.

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L’islam et les grandes figures bibliques

Le Coran qui, nous l’avons vu, exige que l’homme chante lalouange du Dieu Un, parle aussi, et avec beaucoup de sympathie,de quelques-unes des grandes figures de la tradition biblique.Nous trouvons par exemple ceci:

«Nous croyons en Dieu, à ce qui nous a été révélé, à ce qui a étérévélé à Abraham, à Ismaël, à Jacob et aux tribus; à ce qui a étédonné à Moïse et à Jésus; à ce qui a été donné aux prophètes de lapart de leur Seigneur. Nous ne faisons pas de préférence entre eux;nous sommes soumis à Dieu» (2, 136).

En fait, pour les musulmans, Muhammad est le Prophète; ce quine veut pas dire que d’autres n’aient pas reçu eux aussi unerévélation de Dieu. La différence importante est que le messagereçu par Muhammad est écrit de manière définitive et sans aucuneerreur dans le Coran, tandis que le message reçu par les autres a étédéformé par les communautés auxquelles il avait été confié, si bienqu’il ne peut plus appeler à la foi avec l’autorité qui est celle duCoran.

Abraham, selon la tradition musulmane, a rebâti, avec son filsIsmaël, la kaaba, construite par les fils d’Adam mais détruitependant le déluge. La purification de cette kaaba par Muhammadmontre à quel point sa mission est en continuité avec celled’Abraham, qui est reconnu comme le père des croyants à cause desa soumission à Dieu8. Jésus est lui aussi reconnu comme l’un desplus grands prophètes. Les musulmans le voient comme unprophète né de la vierge Marie (laquelle est également hautementrespectée) et ayant reçu des pouvoirs extraordinaires pour pouvoirprêcher efficacement le Dieu Un. Mais ils pensent que son ensei-gnement a été mal compris par les chrétiens, lesquels ont ainsi crééla doctrine trinitaire, ce qui représente à leurs yeux une rupturenette avec le monothéisme. De plus, ils croient que Dieu a délivré

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9. Ibid., p. 44.

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Jésus de ceux qui voulaient le tuer et que ce n’est pas lui qui a étécrucifié mais un sosie. Lui a été élevé au ciel et là, il attend ledernier jour où il reviendra annoncer le jugement de Dieu. Cettevision implique évidemment que la foi des chrétiens en la résur-rection du Christ est vaine. Il est donc clair qu’il y a à la fois devéritables possibilités de rencontre entre chrétiens et musulmans etdes barrières qui semblent infranchissables, surtout si l’on en resteau niveau doctrinal. C’est pourquoi il est bon de jeter un regard surla pratique musulmane, pour voir comment les fidèles répondentquotidiennement à l’appel de leur Dieu.

Les cinq piliers de l’islam

Les musulmans expriment leur foi en Dieu, vivent leursoumission à Allah, et remplissent leur devoir envers leurssemblables à travers la pratique des «cinq piliers» de l’islam: laprofession de foi, la prière rituelle, le jeûne du Ramadan, l’aumôneet le pèlerinage à La Mekke. Celui qui devient musulman dit: «Iln’y a pas d’autre dieu que Dieu et Muhammad est l’envoyé deDieu». Cette prière qui peut être récitée à tout moment exprime lecœur même de la religion musulmane et permet aux croyants derester près de ce Dieu auquel ils se soumettent, non avec tristessemais avec allégresse. A cette profession de foi s’ajoutent les cinqprières rituelles de chaque jour par lesquelles le pratiquant chantele Dieu Un. La prière de midi se fait en communauté le vendredi.Le jeûne du Ramadan signifie avant tout l’obéissance du prati-quant à l’ordre de Dieu plutôt que la pénitence et le désir deconversion comme dans le christianisme9. L’aumône destinée auxpauvres fait aussi partie intégrante de la pratique religieuse d’unmusulman, car c’est à travers l’aumône que l’homme montre qu’ilsait que ce qu’il possède appartient en fait à Dieu. Enfin il y a legrand pèlerinage à La Mekke que chaque musulman est appelé àfaire une fois dans sa vie s’il en a les moyens. Vivre ce pèlerinage à

10. Pour une description des pèlerinages dans l’islam voir Histoire des pèlerinages

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La Mekke dans son corps, c’est vivre le pèlerinage vers Dieu dansson cœur10.

Voilà donc quelques-unes des valeurs religieuses de l’islam queles Pères du Concile ont voulu souligner dans Nostra ætate. Touthomme qui s’ouvre à ces valeurs ne saurait plus juger l’islam enbloc simplement à cause de certaines déviations qui, à d’autresépoques, n’étaient d’ailleurs pas étrangères à ceux qui se disaientchrétiens.

Le judaïsme

En parlant de la foi musulmane en un seul Dieu, de l’attitudedes musulmans envers certaines des grandes figures de la traditionjudéo-chrétienne, et de la manière dont les croyants vivent leur foi,les Pères du Concile nous indiquent quelques éléments quipeuvent ouvrir les chrétiens à l’islam. Quand les Pères expliquentle lien spirituel qui existe entre le christianisme et le judaïsme, ildevient évident qu’il s’agit pour eux de quelque chose debeaucoup plus essentiel.

«Scrutant le mystère de l’Eglise, le Concile rappelle le lien quirelie spirituellement le peuple du Nouveau Testament avec lalignée d’Abraham.

L’Eglise du Christ, en effet, reconnaît que les prémices de sa foiet de son élection se trouvent, selon le mystère divin du salut, dansles patriarches, Moïse et les prophètes. Elle confesse que tous lesfidèles du Christ, fils d’Abraham selon la foi, sont inclus dans lavocation de ce patriarche et que le salut de l’Eglise est mystérieu-

non chrétiens (sous la direction de Jean Chélini et Henry Branthomme), Paris,Hachette, 1987, pp. 365-381.

11. Dominique de La Maisonneuve, Le judaïsme, Paris, Mame, 1984, p. 27.

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sement préfiguré dans la sortie du peuple élu hors de la terre deservitude. C’est pourquoi l’Eglise ne peut oublier qu’elle a reçu larévélation de l’Ancien Testament par ce peuple avec lequel Dieu,dans sa miséricorde indicible, a daigné conclure l’antique Alliance,et qu’elle se nourrit de l’olivier sauvage que sont les gentils»(Nostra ætate, 4).

Election, alliance, révélation et libération, voilà les fondementsde la religion juive que le Concile nous invite à méditer afin demieux comprendre nos frères israélites.

Abraham et le peuple élu

L’aventure de la foi qu’a vécue Abram (il ne recevra le nomd’Abraham, «père de multitudes», qu’au moment de l’Alliance) età laquelle chaque juif est appelé à participer, commença il y a prèsde quatre millénaires en Mésopotamie. C’est là aussi qu’émergea ceque l’on peut appeler la révélation explicite du plan de Dieu surl’homme. De plus en plus conscient de la présence et de laproximité du vrai Dieu, il a pu entendre et répondre à son appelunique dans l’histoire de l’homme: «Quitte ton pays, ta parenté etla maison de ton père, pour le pays que je t’indiquerai. Je ferai detoi un grand peuple, je te bénirai, je magnifierai ton nom, quiservira de bénédiction» (Gn 12, 1-2). La foi qui fonda la premièreréponse d’Abram à cet appel se confirma tout au long de sa vie.Selon la Genèse, c’est quand Abram eut atteint quatre-vingt-dix-neuf ans que Dieu ratifia pour ainsi dire sa première promessed’Alliance sans laquelle le peuple juif n’aurait jamais existé en tantque tel.

«Je suis El Shaddai, marche en ma présence et sois parfait.J’établis mon alliance entre moi et toi et je t’accroîtrai extrêmement.

Abram tomba la face contre terre et Dieu lui parla ainsi: Moi,voici mon alliance avec toi: tu deviendras père d’une multitude depeuples. Et l’on ne t’appellera plus Abram, mais ton nom sera

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Abraham, car je te fais père d’une multitude de peuples. Je terendrai extrêmement fécond, de toi je ferai des peuples et des roissortiront de toi. J’instituerai mon alliance entre moi et toi, et ta raceaprès toi, de génération en génération, une alliance perpétuellepour être ton Dieu et celui de ta race après toi. A toi et à ta raceaprès toi, je donnerai le pays où tu séjournes, tout le pays deCanaan, en possession à perpétuité, et je serai votre Dieu»(Gn 17, 4-8).

Dieu dit ensuite que cette alliance doit être inscrite dans la chairmême de la race d’Abraham, d’où la tradition de la circoncision, siimportante pour la communauté juive tout au long de son histoire.

Le fait que Dieu soit entré dans une alliance avec Abraham nevoulait pourtant pas dire que la foi de ce dernier ne serait plus miseà l’épreuve. Il a dû faire montre d’une confiance totale quand Dieului demanda de sacrifier son fils, Isaac. Nous avons d’ailleurs déjàvu que c’est l’obéissance qu’il avait montrée dans cette situationqui lui méritait la grande estime dans laquelle le tenait la traditionislamique. Pour Isaac, Jacob, et tous ses descendants, la foi purifiéed’Abraham allait de pair avec l’amour de Dieu pour lui et poureux. Ils étaient, et se sentaient, vraiment le peuple élu de Dieu.Mais pas plus qu’Abraham ils n’étaient à l’abri des épreuves.

Moïse et l’alliance du Sinaï

Une des plus difficiles épreuves fut la longue périoded’esclavage en Egypte. Là, les descendants d’Abraham ontvraiment fait l’expérience qu’ils avaient besoin d’une délivrance. Etc’est Moïse que Dieu a choisi pour libérer son peuple, pour lemener encore plus loin dans son aventure, à travers le désert etvers le Sinaï où Dieu renouvela l’alliance en précisant à travers lesdix commandements la manière dont cette vocation devait êtrevécue. C’est à Moïse aussi, selon la tradition, que Dieu a commu-niqué la Torah, c’est-à-dire les cinq premiers livres (Pentateuque)

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Présentation des diverses religions

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de la Bible. A la Torah s’ajoutent d’abord les livres historiques quinous montrent comment le peuple s’est développé après son instal-lation en terre sainte et comment le royaume, après avoir connuune période de gloire, s’est divisé, tombant finalement aux mainsdes Assyriens et des Babyloniens. S’y ajoutent ensuite les livres desprophètes qui appellent sans cesse le peuple à la fidélité au Dieu del’alliance. Enfin il y a les livres de méditation sur la Torah, commele livre des psaumes par exemple11. Le tout exprime sans fin lebesoin d’être délivré, et l’espérance que cette délivrance seraaccomplie un jour par le Messie promis par Dieu.

La suite de l’aventure

Ce qui a été dit jusqu’ici est connu de tous les chrétiens quiparticipent à la liturgie pascale. Pour les chrétiens en effet, l’avè-nement, ou plus exactement l’événement de Jésus Christ marque lecommencement d’une nouvelle alliance: il est ce Messie que lepeuple élu attendait depuis si longtemps. Cela ne vautévidemment pas pour les juifs qui, eux, l’attendent toujours etcontinuent leur aventure spirituelle comme peuple élu, fidèle àl’alliance ancienne faite avec Abraham et renouvelée avec Moïse.Ils célèbrent les grands moments de l’histoire du salut dans leursfêtes annuelles: Pessah (la délivrance d’Egypte), Chavouoth (la fêtedes «semaines» où sont commémorés le renouvellement del’alliance du Sinaï et la réception de la loi), Roch Ha Chana (premierjour de l’an et anniversaire de la Création, temps de pénitence pourles péchés de l’année terminée) et Kippour (fête des expiations).

Il faut être conscient aussi que le travail théologique dans lejudaïsme ne se limite pas à des réflexions sur ces livres que leschrétiens appellent l’Ancien Testament. La Torah et les autres livresmentionnés plus haut sont enrichis par le Talmud, tradition orale

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qui comprend nombre d’autres enseignements et commentaires.Peut-être la meilleure façon de montrer où se situent les descen-dants d’Abraham dans leur cheminement aujourd’hui serait-ellede présenter la prière que beaucoup d’entre eux récitent plusieursfois par jour, le Shema.

«Ecoute (shema) Israël: Yahvé notre Dieu est le seul Yahvé. Tuaimeras Yahvé ton Dieu de tout ton cœur, de toute ton âme et detout ton pouvoir. Que ces paroles que je te dicte aujourd’hui restentgravées dans ton cœur! Tu les répéteras à tes fils, tu leur diras aussibien assis dans ta maison que marchant sur la route, couché aussibien que debout; tu les attacheras à ta main comme un signe, surton front comme un bandeau; tu les écriras sur les poteaux de tamaison et sur les portes…» (Dt 6, 4-9).

Un chrétien doit garder à l’esprit cette prière qui peut luipermettre de mieux apprécier la grandeur du peuple d’Israël àtravers cette profession de foi dans le Dieu Un, le Dieu qui fait donde sa loi comme signe de son amour et de sa prédilection pour sonpeuple.

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Texte adopté par le Conseil de la Fédération protestante de France du 8 janvier 1996

ENJEUX DU DIALOGUE AVEC LES JUIFS ET LES MUSULMANSEléments de réflexion proposés aux membres

de la Fédération protestante de France

Préambule

Les Commissions Eglise-Peuple d’Israël et Eglise-Islam de laFédération protestante de France poursuivent depuis denombreuses années une expérience de dialogue avec des croyantsjuifs ou musulmans et elles ne cessent d’examiner les questions queleur présence à nos côtés, dans notre pays et dans le monde entier,pose à notre foi chrétienne. Parmi celles-ci figure notamment celled’un témoignage et d’un service fidèles à l’Evangile.

Dans ces rencontres, nous nous sentons profondément inter-pellés par des hommes et des femmes qui, comme nous, seréclament d’une tradition de foi: la tradition abrahamique. Cettetradition se réfère à la révélation d’un Dieu unique qui ne cesse àtravers les âges de se susciter des témoins et des prophètes,porteurs d’une Parole vivante, exigeante et aimante, laquelleappelle l’humanité entière à se tourner vers Lui, à L’adorer et à Leservir Lui seul.

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La prise en compte de cette tradition de foi commune inciteaujourd’hui des représentants ou des fidèles appartenant à ces troiscommunautés à se rencontrer de plus en plus à un plan local,régional, national ou international. Ces rencontres souventdénommées «rencontres de dialogue ou d’amitié» se proposent demieux connaître la foi et les pratiques de l’autre partenaire, maisaussi d’apporter ensemble un témoignage de paix, de justice etd’amour à un monde divisé et dominé par des puissances de haineet de mensonge.

C’est à partir de ce contexte nouveau de rapprochement etd’estime entre nos trois traditions de foi que nos deuxCommissions Eglise-Peuple d’Israël et Eglise-Islam ont jugé utile detransmettre aux Eglises membres de la Fédération protestante deFrance les éléments de réflexion qui suivent.

Ce document est le résultat d’un long cheminement et travail denos deux Commissions. Certaines approches, perspectives ou affir-mations pourront surprendre ou étonner le lecteur qui n’a pas eul’occasion, comme nous, de réfléchir pendant plus de trente ansaux questions impliquées par la rencontre avec des croyants juifsou musulmans. Dans un souci de meilleure communication etcompréhension, nous nous sommes efforcés de reprendre certainspoints de réflexion qui nous tiennent particulièrement à cœur sousforme de questions. Nous souhaitons que ces questions fassentl’objet d’un large débat dans nos Eglises, mais aussi d’une écouteattentive des uns et des autres. Car des expériences différentesdans la rencontre avec des juifs ou des musulmans peuvent nousamener à prendre des positions parfois diamétralement opposéeset il vaut la peine de mieux prendre conscience des facteurs qui ontpu nous amener à nous déterminer à prendre telle ou telle position.

Ce document n’a pas d’autre but que de permettre à noscommunautés et aux membres de ces communautés d’avancerdans ce domaine si délicat et complexe de la rencontre avecd’autres croyants qui se réclament du même Dieu que le nôtre et

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qui ont pourtant une compréhension tellement différente de sarévélation et de la vocation de l’homme dans ce monde-ci.

1. Nous libérer d’un passé douloureux et traumatisant

Pendant des siècles, juifs, chrétiens, puis musulmans, se sonttrouvés enfermés dans des contextes d’exclusion, d’ignorance et dehaine réciproques, qui ont modelé nos mémoires collectives. Desorte que nous ne sommes pas capables aujourd’hui encore denous rencontrer sans avoir d’abord à vaincre au plus profond denous-mêmes des réactions de méfiance et de peur à l’égard les unsdes autres.

Il n’est pas inutile de rappeler quelques-uns de ces élémentsmarquants qui ont laissé de profondes traces dans nos mémoires.Mentionnons l’exclusion des chrétiens de la Synagogue juive aprèsla destruction du second Temple; le développement chez leschrétiens d’une polémique à l’encontre du judaïsme et ses tracesjusque dans les écrits du Nouveau Testament, ce qui a alimentébien des persécutions contre les juifs en Europe depuis l’Antiquitétardive; l’avènement de l’islam qui contraint juifs et chrétiensvivant dans les territoires conquis par celui-ci à accepter un statutde subordonnés; croisades des Occidentaux pour «libérer» les lieuxsaints, puis reconquête de l’Espagne qui aboutit à la disparitiontotale des communautés juives et musulmanes dans ce pays; lesmusulmans par deux fois aux portes de Vienne (1529 et 1683); auXVIIIème siècle, installation des Britanniques aux Indes, puis en1798, débarquement de Bonaparte en Egypte qui marquent ledébut de la colonisation des terres musulmanes; l’exterminationdes juifs décidée et mise en œuvre par l’Allemagne nazie; 1948, lacréation de l’Etat d’Israël et le début du conflit israëlo-arabe; enfin,

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tout proche de nous, l’intensification de la violence et de la luttearmée de la part de certains groupes islamistes.

Toutefois, dans ce contexte d’affrontements sans cesse renou-velés entre nos communautés religieuses et pour mieux juguler cesconflits, nos Etats modernes ont promu un nouveau type de sociétélaïque, plus tolérante, pluriethnique, pluriculturelle et plurireli-gieuse.

Si nous voulons éviter des conflits et des affrontements toujoursplus meurtriers entre communautés humaines et religieuses(Palestine, Irlande, Bosnie, Algérie, etc.) nous ne pouvons quechercher un «vivre ensemble» qui repose sur le respect de ladiversité ethnique, culturelle, religieuse.

En tant que chrétiens qui plaçons notre foi en un Dieu uniquequi veut rassembler ultimement tous les peuples de la terre en uneseule humanité nouvelle, il nous est difficile de nous dérober à cetappel à un vivre-ensemble et au dialogue. Mais alors cet appel nenous oblige-t-il pas à regarder avec des yeux nouveaux celui oucelle qui est différent de nous, et même à comprendre le dessein desalut de Dieu pour l’humanité en termes différents de ceuxauxquels nos traditions religieuses nous ont habitués?

2. Ce que nous avons en commun: la foi en un Dieu unique

Nous devons nous demander d’abord si le contexte d’affronte-ments, d’exclusions et d’ignorances réciproques dans lequel nossociétés ont vécu dans le passé ne nous a pas masqué un fait trèssurprenant: les communautés juives, chrétiennes et musulmanes seréfèrent volontiers à un Dieu vivant qui a fait alliance avec

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Abraham, Isaac et Jacob, qui se proclame à travers eux et leurdescendance comme le seul et unique Dieu de toute la terre, et quiappelle tous les hommes à se tourner vers Lui.

C’est ce dont témoignent aussi nos Ecritures respectives:

Exode 3, 15-16: «Dieu dit encore à Moïse: Tu parleras ainsi aux filsd’Israël: le Seigneur, Dieu de vos pères, Dieu d’Abraham, Dieu d’Isaac,Dieu de Jacob, m’a envoyé vers vous. C’est là mon nom à jamais, c’estainsi qu’on m’invoquera d’âge en âge».

Matthieu 22, 31: «Et pour ce qui est de la résurrection des morts,n’avez-vous pas lu la parole que Dieu vous a dite: je suis le Dieud’Abraham, le Dieu d’Isaac et le Dieu de Jacob? Il n’est pas le Dieu desmorts, mais des vivants».

Le Coran, Sourate 29, 27: «A Abraham, nous avons donné Isaac etJacob, puis nous avons établi dans sa descendance la prophétie et le Livre».

Sourate 2, 136: «Dites: Nous croyons en Dieu, à ce qui nous a étérévélé, à ce qui a été révélé à Abraham, à Ismaël, à Jacob et aux tribus, à cequi a été donné à Moïse et à Jésus, à ce qui a été donné aux prophètes de lapart de leur Seigneur, nous n’avons de préférence pour aucun d’entre eux:nous sommes soumis à Dieu».

Nos trois religions attestent ainsi que Dieu s’est fait connaîtred’abord de manière privilégiée par une Parole prophétiqueadressée à Abraham et à sa descendance. Et dans nos troisreligions, ce Dieu est reconnu comme un Dieu unique, créateur dumonde, miséricordieux, maître souverain de l’histoire, juge de tousles hommes.

Simultanément, Bible et Coran affirment qu’une certaineconnaissance de Dieu a été accordée à tous les humains dans sonœuvre de création, ses interventions libératrices dans l’histoire, lesprescriptions et les valeurs morales inscrites dans le tréfonds de laconscience. Toutefois, cette connaissance générale ou naturelle deDieu ne suffit pas à libérer l’homme de son incrédulité ou ingratitude congénitale, ni à le préserver de l’idolâtrie (cf. en parti-

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culier Ps 8, 19, Pr 8, Sg 1 et 6, Ac 17, 22-34, Rm 1 à 3, Sourates 10 et16). Juifs, chrétiens et musulmans sont convaincus que seule laParole de Dieu prononcée et retransmise à chaque génération parses prophètes ou messagers peut réellement transformer le cœur del’homme et le sauver. Elle ne cesse d’interpeller l’humanité toutentière en la contestant dans ses comportements et ses institutions.

Face à tant d’affirmations convergentes concernant la révélationou Parole de Dieu et ses rapports avec l’humanité, nous avons doncà nous demander avec le plus grand sérieux si cette foi commune ànos trois religions en un Dieu vivant et unique, ne doit pas nousamener à reconnaître que le Dieu auquel croient juifs, chrétiens etmusulmans est un seul et même Dieu.

Plus elles avancent dans le dialogue avec les juifs et lesmusulmans, plus nos deux Commissions en sont profondémentpersuadées.

3. Ce qui nous différencie les uns des autres: des compréhensions différentes de la Révélation

Pourtant nous devons aussi le constater, alors même que notrefoi comme juifs, chrétiens, musulmans, se réclame d’un seul etmême Dieu, nous sommes différents, irréductiblement différentsdans notre compréhension de la révélation de ce Dieu unique.

Et cela, de trois façons. D’abord en ce qui concerne nosécritures et nos traditions de foi, nous ne recevons pas les mêmesdocuments comme donnant accès à cette révélation et constituantla norme de la foi. Le juif privilégiera la Torah de Moïse et lescommentaires qui en sont donnés dans le Talmud et les Midrashim.Le musulman mettra en avant la valeur insurpassable du Coran

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qui est la Parole de Dieu révélée de façon absolument pure et nondéformée à Mohammed par l’intermédiaire de l’ange Gabriel. Ilaccordera aussi une grande valeur aux dires et aux gestes duprophète (les Hadiths), fondements de la Sunna ou consensus de latradition léguée par les grands juristes et théologiens du passé.Pour le chrétien, c’est tout d’abord la personne même de JésusChrist, son enseignement, sa vie, sa mort et sa résurrection, telsqu’ils sont attestés dans les Ecritures (Ancien et NouveauTestament) qui sont l’expression achevée de la révélation divine.

En second lieu, nous sommes différents les uns des autres par lefait que non seulement chaque communauté de foi, mais aussichaque croyant, au sein de chaque communauté, a sa propremanière de croire et d’obéir à cette révélation. Ces variationsindividuelles sont à l’origine de l’éclosion de nombreuses sectes oucourants au sein de chaque tradition religieuse. Les débats portenttant sur la manière même d’interpréter les écritures ou traditionsqui sont considérées comme normatives que sur la question mêmede savoir qui a l’autorité, voire le pouvoir, de donner l’interpré-tation juste. Pendant des siècles des orthodoxies dominantes, ausein tant du judaïsme, du christianisme que de l’islam, ont tentéd’imposer la vraie et droite manière d’interpréter la Parole de Dieuet de la mettre en pratique. Nous sommes pourtant aujourd’huiplus que jamais confrontés à des formes diverses de judaïsme, dechristianisme et d’islam.

Cette constatation nous amène à un troisième point. Il n’existequ’un seul et même Dieu et ce Dieu est Vérité. Mais en raisonmême de notre finitude humaine, de l’extrême diversité de noscontextes culturels, de nos histoires et sensibilités personnelles,nous appréhendons cette Vérité de manière multiple et fragmen-taire. Aucune religion, aucun être humain ou institution humainene saurait prétendre épuiser ni traduire de façon absolument fidèleet juste le mystère du Dieu unique. La Vérité du Dieu uniquedépasse tous nos modes de pensées et de compréhension humainesainsi que nos désirs les plus profonds de nous conformer à Savolonté.

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4. Difficultés et promesses du dialogue

Cette reconnaissance de la pluralité et de la diversité de nosperceptions de Dieu et de son dessein à notre égard, comme desmodalités de nos engagements et de notre obéissance, devrait nouslibérer de toute tentation et illusion de croire que nous puissionstrouver dans nos rencontres interreligieuses un terrain faciled’entente et de compréhension, voire d’union entre nos différentescommunautés de foi. Cette reconnaissance devrait nous ameneraussi à être humbles, tolérants et accueillants à l’égard les uns desautres, nous enlever tout sentiment de supériorité et nous inciter àrechercher plus ardemment la volonté et la gloire de Dieu pourtoute sa création.

Un regard attentif sur l’histoire de nos religions respectivesaurait déjà dû nous en convaincre. En effet, le judaïsme s’est ouverttrès tôt à sa mission de rendre témoignage au Dieu unique parmiles nations, mais il n’a pas réussi à s’élargir au monde entier. Leschrétiens, à la suite de l’apôtre Paul, ont poursuivi cette tâcheconforme à la volonté divine, mais ils ont par trop privilégiél’orientation vers le monde gréco-romain, ce qui a considéra-blement réduit leur capacité de témoignage en Orient. L’islam s’està son tour lancé sur ce terrain négligé et son témoignage a connu lesuccès que l’on sait, mais en se laissant trop enfermer dans lemonde culturel arabe, et persan notamment, il a affaibli sa propreprétention à l’universalité. Bref, malgré tous leurs efforts, ni lejudaïsme, ni le christianisme, ni l’islam ne peut, à vue humaine,prétendre à lui seul porter la révélation du Dieu unique jusqu’auxconfins de la terre.

Mais une autre question doit être encore posée: dans le dialogueet la rencontre entre croyants, le moment n’est-il pas venu où nousdevons pouvoir aussi les uns et les autres nous ouvrir à nosrichesses réciproques, à nos perceptions différentes de Dieu et desa Parole, au même élan originel de conversion, de renouvel-

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lement, de consécration à ce Dieu unique? Et s’il n’y a qu’un seul etmême Dieu, ne devons-nous pas croire que c’est aussi un seul etunique Esprit qui est à l’œuvre dans l’humanité tout entière? N’est-ce pas aussi mieux comprendre que Dieu puisse cheminer demanière également surprenante, inattendue, avec des incroyantsou tout au moins des personnes profondément sécularisées denotre époque?

L’unicité de Dieu devrait pouvoir nous assurer non seulementde la convergence ultime de nos spiritualités, mais encore de lapossibilité pour celles-ci de se laisser féconder et corriger l’une parl’autre. Il ne devrait plus être question entre nous de «guerres dereligion» ou de prosélytisme déloyal, mais de nous laisser entraînerensemble à une compréhension toujours plus profonde de la Parolede Dieu et à une obéissance toujours plus fidèle à celle-ci.

5. Notre témoignage de foi dans et par le dialogue

Dans ces conditions nouvelles où nous sommes devenussensibles à la foi de personnes et de peuples qui croient diffé-remment de nous, comment rendre compte du rôle central que leNouveau Testament et, à sa suite, toute la tradition de foichrétienne assignent à Jésus Christ comme médiateur unique de larévélation et du salut de Dieu? (cf. Jn 3, 16; Ac 4, 12; 1 Tm 2, 4-5; 1Jn 4, 1-3).

Et comment entendre l’appel de tout le Nouveau Testament (cf.Mt 9, 35-10, 42 et parallèles, 28, 18-20 et parallèles, Ac 1, 8, 1 Co 9,16, etc.) et témoigner de notre foi en Christ auprès des juifs et desmusulmans sans que ceux-ci se sentent immédiatement blessés ouagressés par notre conviction que c’est à travers et par la personnede Jésus Christ que Dieu veut opérer le salut du monde entier,

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vaincre toutes les puissances du mal, de haine et d’injustice quis’opposent encore à son Règne? (cf. Rm 9, 11; Col 2; Eph 2 et 3).

Nous pensons qu’éluder des questions aussi fondamentales àl’occasion de nos rencontres interreligieuses actuelles reviendrait àrenier ce qui constitue le cœur même de notre identité chrétienne.Mais nous croyons aussi que nous devons avoir le courage dechercher des réponses nouvelles et plus appropriées à ladynamique de l’Esprit qui est à l’œuvre aujourd’hui jusque dans lemouvement de rapprochement des hommes, des cultures et desreligions.

Il est courant de nos jours de distinguer trois manièresd’aborder cette question de l’annonce de l’Evangile aux hommes etfemmes de notre temps:

A) une première approche entend continuer à affirmer qu’iln’existe aucune autre manière de trouver la vie, le salut et unevraie connaissance de Dieu en dehors d’une foi explicite etpersonnelle en Jésus Christ, Sauveur et Seigneur du monde. Maiscette approche n’exclut nullement, comme certains le prétendent,le dialogue et le total respect des convictions d’autrui, des valeurspositives, conformes au message de l’Evangile, que sa traditionreligieuse ou culturelle peut porter. Dans cette perspective, on peutdire que le judaïsme ou l’islam sont regardés comme des «pierresd’attente» ou un terrain préparatoire à l’annonce de l’Evangile. Unjugement négatif n’est donc pas nécessairement porté à l’encontredu croyant juif ou musulman. On n’aura cependant pas peur, danscette approche, d’affirmer la supériorité du message évangéliquesur le message du judaïsme ou de l’islam, et de dénoncer les pointsqui dans le judaïsme ou l’islam ne sont pas compatibles avec lemessage ou la vie de Jésus.

B) une seconde attitude consiste à voir le Christ comme mysté-rieusement ou implicitement présent dans la foi de l’autre, dansl’attente messianique juive, son espérance indéfectible dans lavenue du Règne de Dieu, ou encore dans la manière même dont leCoran et beaucoup de musulmans à sa suite considèrent Jésus

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comme véritable Parole de Dieu, revêtu d’un Esprit émanant deDieu, vrai prophète à qui Dieu a confié un Evangile de paix, dejustice et d’amour. A partir de cette attitude, certains vont jusqu’àenvisager une interpénétration progressive de la foi juive,chrétienne et musulmane, l’ad-venir d’un Christ plus universel,pour le moment encore caché dans nos particularismes et lemystère même de son volontaire effacement avant le temps durétablissement de toutes choses (Ac 3, 21).

C) la dernière attitude se veut ouvertement pluraliste en souli-gnant la légitimité d’une pluralité des voies de salut et de l’accèsà la connaissance de Dieu. Un juif fidèle à la Torah, un musulmanà l’enseignement du Coran, un bouddhiste à celui du Bouddha,peut accéder à Dieu et au salut tout aussi bien que le chrétienattaché à la personne et au message de Jésus de Nazareth.L’Evangile n’a pas un caractère obligatoire ou normatif pourl’humanité tout entière. Toutefois les théologiens chrétiens qui serallient à cette ligne de pensée continuent à affirmer que Jésus estune manifestation décisive de la révélation de Dieu.

On remarquera que ces réponses ne s’excluent pas nécessai-rement les unes les autres, encore qu’entre la première et latroisième attitude, il soit difficile de trouver de véritables pointscommuns. Elles impliquent des conceptions très différentes de latâche missionnaire des Eglises et des chrétiens.

Nos deux Commissions n’ont pas jugé utile de se prononcer enfaveur de tel ou tel de ces modèles missiologiques et christolo-giques. Car, à se laisser enfermer dans un modèle théorique etunilatéral, ne risque-t-on pas de porter atteinte à un partage de vieet un témoignage de foi authentiquement guidés par l’Esprit?

Nous croyons pour notre part qu’il faut se référer à l’attitudemême de Jésus. Il ne s’est jamais prêché lui-même; il s’est efforcé àtravers son propre dépouillement et son amour mis au service desplus démunis, des plus pauvres, des plus rejetés, de nous faire

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découvrir le visage miséricordieux d’un Dieu qui renonce lui-même à sa toute-puissance par amour pour tout être humain.

Notre conviction demeure que c’est en Jésus, à travers sa vie, sesparoles, sa mort sur la croix, sa résurrection et son élévation auprèsde Dieu, que l’homme, tout homme, peut découvrir le vrai visagede Dieu et le sens de sa propre destinée. Cette conviction, nousnous devons de la communiquer à tous (Mt 28; 1 S 20; Ac 1, 8; 1 Co9, 16-23), non seulement par notre vie et nos actes, mais aussi parnos paroles. Nous ne pouvons faire autrement que partager lesrichesses de la vie nouvelle dans laquelle Jésus Christ nous a intro-duits.

Nous croyons aussi que ce témoignage que nous sommesappelés à rendre de notre foi en Jésus Christ est d’abord partage devie dans et par le dialogue, un dialogue qui se noue à travers desrencontres toutes simples, au niveau de la réalité quotidienne, etdes problèmes très concrets qui se posent à nous au jour le jourdans la vie de la famille, d’un quartier, d’une ville, de la société oùnous vivons.

6. Questions théologiques ouvertes

Notre témoignage de foi auprès des juifs et des musulmans seheurte encore aux questions, tant débattues naguère dans notrepolémique avec les juifs et les musulmans, de la divinité de Jésus etde sa place dans la tri-unité divine comme Fils de Dieu. C’est aussicelles relatives à la contestation juive de la messianité de Jésus ou àl’affirmation de l’islam que Mohammed est le «sceau desprophètes».

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Les dogmes traditionnels de nos Eglises (Trinité, Incarnation,double nature divine et humaine du Christ), marqués par unlangage tout à la fois métaphysique et anthropomorphique, disenttrès mal pour un juif ou un musulman, mais aussi pour tant de noscontemporains, la présence inouïe, pour nous tout à fait exception-nelle, de Dieu en Jésus de Nazareth.

Comment pouvoir faire comprendre aujourd’hui à un juif ou àun musulman que Jésus Christ est pour nous non seulement laParole décisive de Dieu donnée à l’humanité, mais encore sa Paroleéternelle?

Le lien indissoluble que la foi chrétienne établit entre la Paroledivine et la personne de Jésus crucifié est difficilement saisissableet énonçable pour la raison humaine. Ce n’est que lorsque nosexistences ont été transformées, profondément renouvelées parl’Evangile et que nous sommes entrés dans une relation vivanteavec le Christ ressuscité que l’affirmation chrétienne «Jésus est laParole de Dieu» prend sa véritable signification.

Notre rencontre avec des juifs et musulmans nous accule doncparfois à l’incapacité de partager pleinement notre foi avec eux.Nous nous heurtons ici à ce que le Nouveau Testament nomme lui-même «scandale» ou «pierre d’achoppement»: le mystère de lacroix, d’un Dieu qui accepte de se laisser crucifier avec Jésus, afinque nous acceptions de nous identifier à sa propre mort pourrenaître dans la puissance de l’Esprit à une vie nouvelle.

7. Les raisons de notre espérance

La souffrance de ne pouvoir pleinement partager notre foi avecdes croyants juifs ou musulmans est cependant compensée par une

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espérance commune: l’espérance qu’à la fin des temps le dessein etla volonté de salut de Dieu de rassembler toute sa création dansl’unité de son Règne nous seront pleinement révélés (Is 19, 19-25;25, 6-9; 60, 1-11; Jn 4; 2 S 24; Rm 8-11; 1 Co 15; 2 S 28; Ph 2, 1-11; laSourate 5, 48 déjà citée). Selon ses promesses, Il sera alors vraimentle Seigneur de toute Sa création, le Dieu tout en tous.

C’est le fait aussi que, malgré nos différences irréductibles, il estd’ores et déjà possible, comme nous l’avons déjà souligné, de nousouvrir à nos richesses réciproques, de nous laisser interpeller etféconder mutuellement par celles-ci.

C’est le fait encore que nous pouvons déjà non seulement nousrencontrer et dialoguer ensemble, mais aussi chercher à êtreensemble pour agir et prier pour la défense de l’humanité créée àl’image de Dieu et la venue de son Règne au cœur de notre monde.

8. Vers une action commune

Une des questions majeures posées aujourd’hui à nos traditionsde foi respectives est celle que pose une culture occidentale quis’est mondialisée et laissée dominer, subjuguer par des impératifséconomiques qui sont en train de réduire l’être humain à l’état depur objet, de pervertir toutes nos relations humaines, au mépris durespect absolu dû à la personne humaine et à la vie sur notreplanète.

Cette situation nous amène à un discernement critique, ce que leNouveau Testament nomme un «discernement des esprits» (Rm12, 2; 1 Tm 5, 21; 1 Jn 4, 1-6). Que ce soit au plan de la réflexion oude l’engagement, nous ne pouvons pas accepter des idées ou despratiques que nous jugeons contraires à la révélation divine, à la

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volonté de justice et d’amour inconditionnel de Dieu comme auxdroits humains les plus fondamentaux.

Dans cet esprit, il nous paraît essentiel d’œuvrer ensemble, enFrance et en Europe, pour une société plus juste et où chacun estpleinement reconnu dans son identité. Cette reconnaissanceimplique un accord sur les conditions du vivre-ensemble dans lecadre commun défini par la loi dans nos sociétés démocratiques.Elle doit aussi nous rendre vigilants quant à l’exercice, effectif etégal pour tous, des droits dans tous les domaines de la vie sociale.

Nous entendons ainsi rendre notre témoignage dans un totalrespect de l’autre et de ses convictions, assurés que le critèredernier de la vérité et du salut appartient à Dieu seul.

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Christoph Theobald (s.j.)

L’UNIQUE ET SES TÉMOINS : JALONS POUR UNE THÉOLOGIEDE LA RENCONTRE ENTRE JUIFS, CHRÉTIENS ET MUSULMANS

Il n’y a aucun doute que ce titre, L’Unique et ses témoins, dit ceque juifs, chrétiens et musulmans mettent au centre de leur «foi»:l’unicité de Dieu et le témoignage qui lui est dû auprès deshumains et à leur service. Le judaïsme se réfère au Shema Israël:«Ecoute Israël! Le Seigneur notre Dieu est le Seigneur Un» (Dt 6, 4).On peut citer aussi l’un des passages du Deutéro-Isaïe où Israël estappelé à «témoigner» dans le procès entre l’unique et les dieux desnations: «Vous êtes mes témoins», dit Jahvé (Es 43, 10.12; 44, 8).«Mon serviteur, c’est vous que j’ai choisis afin que vous puissiezcomprendre, avoir foi en moi et discerner que je suis bien tel: avantmoi ne fut formé aucun dieu et après moi il n’en existera pas. C’estmoi, c’est moi qui suis le Seigneur, en dehors de moi pas desauveur» (Es 43, 10.11). Jésus s’inscrit, à sa manière, dans ce procèsautour de l’unicité de Dieu comme le montre sa réponse au scribesur le grand commandement et le second qui lui est semblable (Mt22, 34-40). Mais il faut tout de suite ajouter que le récit johanniquedu procès devant Pilate met dans la bouche de Jésus une décla-ration sur son identité de témoin: «Je suis né et venu dans le mondepour rendre témoignage à la vérité» (Jn 18, 37), et que l’Apocalypselui donne même le titre de «témoin fidèle et véritable, Principe dela création de Dieu» (Ap 3, 14); textes qui marquent, avec biend’autres, le point de départ du monothéisme trinitaire deschrétiens. Quant à l’islam, il est fondé sur un double «témoignage»(shahâda) à rendre publiquement, devant témoins et si possible autribunal, en cas de conversion: «Je témoigne que point de divinité,si ce n’est Dieu, et je témoigne que Muhammad est envoyé deDieu». Citons pour illustration la très célèbre sourate 112, initia-

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lement dirigée contre le polythéisme des Mekkois et interprétéeensuite comme polémique anti-chrétienne: «Au nom de Dieu leClément, le Miséricordieux. Dis: Il est dieu Un (ahad), dieul’Impénétrable (samad). Il n’a pas engendré; n’est égal à lui,personne».

Les ressemblances entre ces trois attestations de l’Unique sontmanifestes, mais aussi leurs différences. Les trois témoins sont eneffet reliés entre eux par des liens subtils de «parenté», et si leurapparition progressive dans l’histoire semble d’abord donner auxplus jeunes le privilège du «une fois pour toutes» sur celui ou surceux qui le précèdent, l’aîné ou les aînés réagissent, par contrecoup, en se pensant plus fondateurs. Peut-être ces liens inextri-cables entre semblables, éprouvés par chacun d’eux comme unemenace plus forte que leurs différences, expliquent-ils desviolences1 si paradoxales entre «religions» qui se réclament de lavaleur fondamentale de la «paix».

Nous voilà au cœur de notre sujet: l’énigme de la violence entreles trois témoins. Nous sentons bien à quel point elle discréditeleur «cause» devant des contemporains qui préfèrent souventl’agnosticisme ou le bouddhisme à l’attestation de l’Unique. Lalongue série d’inimitiés entre musulmans, chrétiens et juifs àJérusalem, ville de la paix (Salem), ou ailleurs, nous invite donc àêtre modeste et audacieux en même temps quand nous parlons de«rencontre», et même de «théologie de la rencontre». Il nous faudraaffronter l’énigme de la violence pour voir où se trouve la véritabledifficulté à communiquer entre témoins (1ère partie). Mais peut-êtrenotre commune histoire déjà longue est-elle susceptible deprovoquer en nous une capacité d’apprentissage. Je voudraisaborder ce grand pari de notre époque en réfléchissant sur lespossibilités et les limites de nos rencontres (2ème partie). A laquestion: qu’as-tu appris des deux autres et de la société sur toi-même?aucun des témoins ne peut répondre à la place des deux autres.C’est pourquoi je proposerai une réflexion proprement chrétiennesur la «rencontre», en méditant sur la figure de Melchisédek, roi de

1. René Girard parle à ce sujet d’une «violence mimétique».

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Salem, roi de justice et roi de paix, d’après l’étymologie donnéedans la lettre aux Hébreux. «Qui est ce roi de gloire?» se demande lePsaume 23. Notre réponse théologique à cette question, qui toucheen même temps à la différence fondamentale entre les trois«monothéismes», devra témoigner de ce que la rencontre des deuxautres nous aura appris sur notre propre manière d’espérer la paixet sur notre capacité à gérer des situations de violence (3ème partie).

1. Difficile communication

Les Etats modernes en Europe se sont constitués à travers unlong combat contre la violence religieuse, entre confessionschrétiennes mais aussi et surtout entre monothéismes. Remontantjusqu’à la racine dernière de ces inimitiés, nos sociétés en sontvenues finalement à se demander si la violence ne venait pas de ceque chacun des trois témoins situe l’autre ou les autres dans une«lignée» où il occupe lui-même une position privilégiée ou mêmeultime. Elles se sont alors imposé, depuis l’époque des «Lumières»,de séparer rigoureusement le privé et le public, distinguantdésormais entre ce qui est commun à tous (l’économique, lepolitique et le juridique) et la sphère des convictions personnellesoù s’excerce à bon droit la liberté religieuse. Que cet armistice n’aitpas été facile à conclure et qu’il reste toujours fragile vientsûrement de ce qu’il touche à l’identité même de chaque tradition.Eprouvée pendant longtemps comme une menace, la frontièrenouvelle entre le public et le privé peut devenir aujourd’hui lieu depassage où chacun des trois témoins croise les regards des deuxautres sur lui, et cela dans une société moderne qui impose sesrègles du jeu à toute rencontre. Commençons donc par approcherce croisement des regards à l’intérieur de la «famille» d’Abraham,en acceptant les raccourcis que nous impose le peu de place dontnous disposons.

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A) Regards croisés dans la «famille» d’Abraham

La «famille» d’Abraham a connu en effet quelques surprisesdans l’histoire de son existence trois fois millénaire.

q L’aîné, le judaïsme, a été confronté, sur son propre terrain, àla naissance du christianisme et de l’islam, sans trouver dans sonpatrimoine un schème de compréhension qui lui permettrait dedonner sens à la «dissidence» chrétiennne et, plus tard,musulmane, ou même de reconnaître ces «dissidents» comme ses«héritiers»2. Mais, au fil des siècles, la rencontre des deux nouveauxtémoins l’a renvoyé toujours plus clairement à sa propre identité:son monothéisme éthique, tel qu’il émerge avec force dans leDeutéronome: «Le Seigneur votre Dieu ne fait acception de personneet ne se laisse pas corrompre par des présents. C’est lui qui faitdroit à l’orphelin et à la veuve, et il aime l’étranger, auquel il donnepain et vêtement. Aimez l’étranger, car au pays d’Egypte vousfûtes des étrangers» (Dt 10, 17-19). Se souvenant de sa servituded’où le Dieu unique l’a tiré, le juif ne peut répondre de l’alliancequ’en imitant son Dieu par la justice faite à autrui. Sonmonothéisme est donc éthique, au sens où il relie intimement laconfession de la justice de Dieu et l’obligation pratique de montrerle visage de l’Unique à ceux et celles qui sont sans visage.

Mais comme telle, cette vocation prophétique ou messianique3

ne permet pas au peuple juif de comprendre ce que christianisme

2. Cf. E. Levinas, Difficile liberté, Paris, Albin Michel, 1954, p. 146: «Notresympathie pour le christianisme est entière, mais elle reste d’amitié et defraternité. Elle ne peut pas devenir paternelle. Nous ne pouvons pas recon-naître un enfant qui n’est pas le nôtre. Contre ses prétentions à l’héritage,contre son impatience d’hériter, vivants et sains, nous protestons». Ce refus detoute paternité à l’égard du christianisme, si compréhensible soit-il, ne peutpas effacer le fait que celui-ci plonge ses propres racines dans le «courant»apocalyptique du judaïsme «intertestamentaire» qui lui a donc fourni, bon grémal gré, le schème de «l’accomplissement des Ecritures» pour dire son identitéchrétienne.

3. Cf. E. Levinas, Difficile liberté, pp. 83-129.

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et islam disent, chacun, de leur propre identité croyante4.L’asymétrie entre l’aîné et ceux qui sont venus plus tard au mondereste donc entière; et il ne faut pas l’occulter aujourd’hui. Lejudaïsme n’a pas besoin de comprendre le christianisme, et encoremoins l’islam, pour se comprendre lui-même; ce qui ne veut pasdire qu’il ne se soit pas transformé, lui aussi, au contact des deuxautres. Cette indépendance, unique en son genre, est en mêmetemps la signature de sa fragilité extrême, qui l’a livré à l’effroyableviolence antisémite des chrétiens et des musulmans: «mystère»qu’il a souvent porté dans l’esprit des chants du serviteur.

q Le christianisme se situe entre l’aîné et le dernier. Il a d’abordbesoin du judaïsme pour se comprendre lui-même parce qu’il nepeut ni raconter ni vivre «l’accomplissement de la loi et desprophètes» en Jésus le Christ sans se référer continuellement à laracine sur laquelle il a été greffé (Rm 11, 18). Selon la traditionchrétienne, la foi s’ouvre à une réalité inouïe et excessive: l’uniqueDieu est censé communiquer à la multitude la sainteté qui leconstitue en lui-même, et tous peuvent désormais découvrir par lafoi à quel point cette sainteté les habite déjà: «Vous serez parfaitscomme votre Père céleste est parfait» (Mt 5, 48). C’est cela«l’accomplissement de la loi et des prophètes», vécu dans les gestesles plus quotidiens. Si on se réfère au vocabulaire de l’éthique, onpeut donc appeler le christianisme un monothéisme méta-éthiqueau sens où il insiste sur la communication de l’agapé divin, del’amour surabondant de Dieu à tout être humain.

4. Même si de grands philosophes juifs de ce siècle comme Martin Buber,Schalom Ben-Chorin et d’autres ont essayé de rapatrier le «frère Jésus» dansson peuple d’origine et de situer même, comme l’a fait Pichas Lapide, le chris-tianisme dans la ligne de la mission confiée à Israël «d’être la lumière despeuples». Cf. par exemple Martin Buber, Deux types de foi (allemand 1950),Paris, Cerf, 1991, p. 33: «Dès ma jeunesse, j’ai ressenti Jésus comme mon grandfrère. Que la chrétienté l’ait considéré et le considère comme Dieu etRédempteur m’est toujours apparu comme un fait à prendre extrêmement ausérieux, que je dois chercher à comprendre pour lui-même et pour moi-même... Pour moi, il est plus certain que jamais qu’une place importante luirevient dans l’histoire de la foi d’Israël et qu’aucune des catégories usuelles nepeut la circonscrire».

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Mais comment se réclamer de cette réalité méta-éthique du donde soi qui dépasse toutes nos mesures humaines sans reconnaîtred’abord l’entière autonomie ou consistance de l’ordre éthique de lajustice et du respect d’autrui? La fragilité du christianisme ne vientdonc pas de sa dépendance par rapport à un autre qui le précède etqui existe à ses côtés; mais elle vient de la tentation d’indépendancequi l’a amené à se substituer à Israël, à se considérer comme le«véritable Israël»; et cela en dépit de l’avertissement pauliniendans l’épître aux Romains qui prévient l’Eglise contre l’orgueil: leschrétiens risquent d’oublier qu’ils tiennent, grâce à la foi, sur uneracine qui les porte (Rm 11, 20).

Peut-être cet oubli n’a-t-il pas été sans influence sur la naissancede l’islam, comme le pensent certains théologiens chrétiens5. Parrapport aux musulmans, l’Eglise se trouve en tout cas dans uneposition analogue à celle que le judaïsme occupe par rapport à elle:elle n’a pas besoin de comprendre l’islam pour se comprendre elle-même. Elle a subi l’insensibilité du nouveau venu sur la scènereligieuse qu’elle-même a montrée vis-à-vis de l’aîné qui la précèdeet qui existe à côté d’elle; affrontement d’autant plus violent qu’iloppose deux manières de concevoir «l’accomplissement». Il faudraattendre le XIe siècle6 pour que le christianisme commence àabandonner la répartition traditionnelle de l’humanité entre juifs,païens et chrétiens qui l’avait amené à identifier la foi musulmaneà un vague paganisme monothéiste.

q L’islam enfin, le dernier-né des trois, a besoin du judaïsme etdu christianisme, des «gens du livre» comme il dit, pour secomprendre lui-même. C’est sur leur trace qu’il affirme le caractèreultime de sa révélation: après les quatre grands prophètes «douésde constance», Noé, Abraham, Moïse et Jésus, Muhamad est ledernier, le «sceau des prophètes» (Sourate 33, 40), qui met fin aux

5. Cf. par exemple R. Schwager, Christologie und Islam, dans Penser la foi.Recherches en théologie aujourd’hui, Paris, Assas éditions et Cerf 1993, pp. 203-215.

6. Dans des milieux cluniziens (Pierre le Vénérable) et, plus tard, chez saintFrançois, Raymond de Pennafort (1180-1275) et surtout Raymond Lulle (1233-1316).

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intervalles entre les époques prophétiques et fixe la communautédes fidèles dans l’attente de l’Heure dernière. Cette dépendanceavouée est la force de l’islam et en même temps le lieu de sa fragilitépropre.

Force d’abord, parce que sa critique des juifs et des chrétiens semet plutôt en dépendance par rapport à une alliance (mîthâq) ditede «pré-éternité», qui précède toute division historique entrejudaïsme, christianisme et islam. Il n’y a donc pas de progrès histo-rique dans la révélation, mais rappel ultime et définitif de ce qui aété oublié ou déformé: l’unicité absolue de Dieu, menacée par lepolythéisme et tout ce qui lui ressemble, comme l’association duChrist à Dieu. Ce retour, en-deça de l’histoire et de ses divisions,vers l’origine adamique du «pacte» de «pré-éternité», qui d’embléefait de tout homme un «croyant», fonde l’universalité de l’islam.Celle-ci n’est plus basée, comme dans le prophétisme juif, sur laqualité éthique de la «relation» de l’Unique avec son témoin et avecl’étranger; elle s’appuie sur l’idée que tout homme porte à sanaissance, sceau imprimé par Dieu en son cœur, la proclamation defoi de la pré-éternité: cette «religion naturelle», liée à la créationcomme première révélation d’en-deçà des temps, est une prédis-position à recevoir l’islam.

Mais cette force qui permet de contourner sans cesse lesdivisions historiques en les relativisant par la référence obligée àune origine immémoriale constitue en même temps la fragilitépropre de l’islam: sa lutte pour l’unicité de Dieu précède toutepréoccupation éthique. C’est en ce sens qu’on peut appeler sonmonothéisme pré-éthique. Il reste, de ce fait, soumis aux interro-gations éthiques qui ne peuvent pas ne pas émerger de la rencontreeffective entre les trois témoins.

Cette rencontre s’avère donc comme extraordinairementdifficile à cause de l’asymétrie entre les trois traditions: si les deuxpremiers, juifs et chrétiens, se retrouvent, au moins selon laperspective chrétienne, dans une proximité privilégiée, ils nepeuvent pas pour autant évacuer l’énigmatique présence du

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troisième: Ismaël, fils d’Abraham (Ibrâhim) et de Hâgar, ancêtre dupeuple arabe, qui réclame sa «parenté» avec le premier, prototypede la foi en l’Unique.

B) Rencontre et comparaison

La modernité occidentale a-t-elle facilité la communication entreles trois témoins? Ce n’est pas du tout sûr. Elle nous a appriscependant à «comparer» les figures du Dieu unique, en nouspermettant ainsi de prendre une certaine distance par rapport àl’ensemble des trois traditions.

Nous savons qu’il est impossible de rencontrer l’autre sans secomparer à lui; et puisque des rencontres entre juifs, chrétiens etmusulmans ont existé depuis les débuts, les comparaisons entredifférents interlocuteurs n’ont pas non plus manqué. Mais lacommunication généralisée qui caractérise nos sociétés modernestransforme la comparaison en principe intellectuel. L’hommecontemporain ne cesse de comparer ce qui lui est proposé, et celajusque dans le domaine religieux. Le «comparatisme» systéma-tique des sciences de la religion7 constitue donc la face intellectuelled’une société démocratique qui, pour éviter toute violencereligieuse en son sein, n’accorde plus de privilège à aucun des troistémoins mais se fonde désormais sur une conception a-religieuseou a-gnostique du «lien social» qui la constitue. La distinction entrele public et le privé dans nos Etats laïcs s’appuie sur cette prise dedistance critique par rapport à chacun des trois; ce qui expliquepourquoi elle les atteint dans leur propre identité.

Il est sûr que la crainte de la violence religieuse a conduit toutau long du XIXe et du XXe siècles vers un «comparatisme» critiquede toute religion, critique en particulier du monothéisme: dans leur

7. Cf. encore récemment J. Lambert, Le Dieu distribué. Une anthropologie comparéedes monothéismes, Paris, Cerf, 1995.

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commune obsession de «l’unique», juifs, chrétiens et musulmansn’auraient cessé de lutter contre tout ce qui est pluriel,poursuivant, chacun à sa façon, le mirage d’une culture unifiée quiexclut ce qui est différent. Cette critique fait peu de cas desidentités propres de chaque figure. Et comme elle avait produitdéjà au siècle dernier des réactions très violentes de la part duchristianisme et du judaïsme officiels, elle suscite aujourd’hui desnouvelles violences et des soubresauts identitaires de la part del’islam.

Nous sommes là devant une alternative intellectuelle et spiri-tuelle tout à fait décisive pour nos sociétés modernes, et quiconcerne au plus haut point un Institut comme l’I.S.T.R. Comparerles trois «monothéismes» comme je viens de le faire (sans pouvoird’ailleurs entrer dans les détails), cela conduit-il nécessairement àaplatir les différences et à produire de nouvelles violences? Oupeut-on espérer que le «comparatisme» réussisse à mettre envaleur le mystère de nos identités? Mon pari est qu’il peut faireparaître avec une acuité toujours plus grande la diversité extraor-dinaire de nos manières de nous situer dans la vie commune et parrapport au «lien social». La société moderne de communication etde métissage met tous ces différents «styles» en relation souventdifficile et parfois même violente, c’est vrai; mais elle provoque parlà en son sein une interrogation quotidienne qui est source dedynamisme. A y regarder de plus près, ce questionnement sedécouvre à un triple niveau: dans une interrogation générale del’opinion publique sur le lien social; dans un questionnementmutuel, souvent difficile, des traditions sur leur capacitéd’accueillir l’autre; et enfin dans un retour réflexif de chaquetradition sur elle-même, cherchant tout au fond de son patrimoineancestral la richesse d’un style que l’on peut caractériser par deuxqualités complémentaires: une manière spécifique d’espérer la paixuniverselle et un don particulier de gérer les situations de violence.

Ainsi compris le «comparatisme» renvoie chaque tradition auniveau le plus profond de sa propre identité, à sa foi et à l’exercice(parfois auto-critique) d’un retour sur soi. Chacun des trois est

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convié au jeu difficile d’une communication qui consiste désormaisà conjuguer le regard interne à sa foi sur les deux autres traditionset la perspective externe des deux autres sur lui; exigence decommunication déjà présente dans la célèbre règle d’or: «Tout ceque vous voulez que les autres fassent pour vous, faites-le poureux!» Certes, cette règle de réciprocité est au cœur de la préoccu-pation éthique du judaïsme; mais elle traverse aisément lesfrontières entre traditions parce qu’elle existe en toute culture. A cetitre, elle se trouve aujourd’hui au fondement de nos sociétésdémocratiques8.

2. Savoir apprendre de l’autre

Quand nos sociétés démocratiques imposent donc aux troistémoins certaines règles de communication, la rencontre des deuxautres invite chacun à entrer dans un long processus d’appren-tissage. Peut-être l’histoire de la modernité leur fait-elle mêmed’abord comprendre que, loin de les éloigner de leur propretradition, cette capacité d’apprendre constitue depuis toujoursl’identité la plus profonde du témoin.

A) L’interrogation prophétique

En effet, cette disponibilité à se laisser enseigner par autrui n’apas été simplement imposée de l’extérieur aux traditionsmonothéistes; elle est née en leur sein sous la figure du

8. Cf. C. Theobald, La règle d’or chez Paul Ricoeur. Une interrogation théologique,dans RSR 83/1 (1995), pp. 43-59.

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prophétisme. Dire que Dieu est unique suppose déjà une prise deconscience de haut niveau. Mais que la tradition juive découvre unjour que son Dieu ne fait acception de personne et qu’il désire avoirun témoin comme lui généreux envers tout homme, cela supposeun apprentissage éthique d’un tout autre ordre encore: la capacitédu juste à «se mettre à la place d’autrui», qui lui vient du souvenird’avoir déjà occupé cette position: «Aimez l’étranger, car au paysd’Egypte vous fûtes des étrangers» (Dt 10, 17-19).

Jésus a été, lui aussi, un grand «apprenant», selon les dires del’épître aux Hébreux: «Tout Fils qu’il était, il apprit par sessouffrances l’obéissance, et, conduit jusqu’à son propre accomplis-sement, il devint pour tous ceux qui lui obéissent cause de salutéternel» (He 5, 8). Ce que l’épître aux Hébreux affirme avecvigueur, les Evangiles synoptiques le racontent en montrant Jésusapprenant des autres qui il est: du lépreux (Mc 1, 40), de la femmehémoroïsse (Mc 5, 30), de la syro-phénicienne (Mc 7, 29), de Pierreet de bien d’autres encore. Cet apprentissage le conduit versl’accomplissement, vers l’expérience méta-éthique du don de soipour la multitude9.

Le musulman, enfin, réitère l’intransigeant jugement initial quiexclut tout pluriel de l’Unique. Lui aussi vit donc la «foi» dans unesorte d’interrogation constante, qui s’exerce, comme on l’a déjànoté, dans le champs pré-éthique du «pacte» avec Dieu, impriméen tout homme avant sa naissance. C’est en ce sens qu’il fautentendre la réserve du Coran quand il s’adresse directement auprophète Muhamad: «Dis: je ne suis qu’un Avertisseur. Il n’est dedivinité que Dieu, l’Unique, l’Invincible» (Sourate 38, 65).

Aujourd’hui il faut donc mettre en valeur ce retour critique sursoi qui caractérise le prophétisme biblique et coranique, indépen-damment de la tournure précise qu’il prend dans chaque cas: ilconstitue, au sein des trois traditions, ce lieu mystérieux où des

9. Cf. C. Theobald, L’aventure humaine et spirituelle de la christologie contemporaine,dans J.-M. Glé, La foi a une histoire. Université d’été de la Mission étudiante, Paris,Cerf, 1994, pp. 69-89.

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rencontres imprévisibles avec d’autres pourront se nouer etprovoquer un véritable apprentissage entre partenaires.

B) Les étapes de l’apprentissage

q Une première étape consisterait alors à nous purifier despréjugés qui ont entraîné la violence. Je les ai déjà nommés: il peuts’agir de schèmes de «substitution» ou d’«exclusion», quand l’unprétend se substituer brutalement à l’autre dans sa missionreligieuse au sein de l’humanité; de façon plus subtile il peut s’agiraussi d’«inclure» l’autre dans sa propre mission, de l’enfermer parexemple dans un rôle de préparation. Une autre manière encore desortir de la «règle d’or» de nos rencontres, symétriquementopposée à la précédente, serait de dénier à l’un des interlocuteursou à tous les trois toute capacité d’apprentissage dans la sociétémoderne. Nous avons vu que le véritable «comparatisme» permetde décrypter cette capacité spécifique d’un retour sur soi au cœurde la foi de chacun des trois.

q La deuxième étape de l’apprentissage est plus difficile. Il s’agitde repenser positivement nos liens. Or, nous touchons là auxlimites structurelles de la communication entre les trois, aux limitesaussi de notre capacité d’apprentissage. A nouveau plusieurspossibilités se présentent.

On a toujours enseigné, dans chacun des monothéismes, quel’Unique ne fait pas nombre avec ceux qui témoignent de lui. Cetype d’argument, si familier aux mystiques, consiste à critiquer nosreprésentations de Dieu, à développer toute une série de procé-dures à la fois intellectuelles et affectives pour approcher corporel-lement le mystère du Dieu tout autre. Les spirituels de traditiondifférente se rencontrent sur ces voies à la fois ascétiques etmystiques; ils traversent aisément les frontières entre les religionsparce que, pour eux, un espace infini de communication avec

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autrui s’est ouvert dans la différence indépassable entre Dieu et cequ’on peut dire de lui.

Relativement bien ajusté au monothéisme juif et musulman, cetype d’expérience mystique se heurte, en christianisme, au mystèrede l’Incarnation: «Personne n’a jamais vu Dieu; le Fils unique, quiest dans le sein du Père, nous l’a dévoilé» (Jn 1, 18). Peut-être doit-on ajouter que le spirituel, qui relativise les différences entre lestrois monothéismes, risque de ne plus se laisser interroger par ladiscordance des témoignages qui discrédite toujours la cause elle-même.

Faut-il alors préserver la prééminenceou l’excellence de l’un des trois? D’unsimple point de vue anthropologique, jene vois pas comment éviter le jugementd’excellence sur la tradition à laquellej’appartiens. D’un point de vue théolo-gique, je ne vois pas non plus comment l’un des trois pourraitrenoncer à ses prérogatives d’excellence sans renoncer à sa propreidentité. La question se transforme alors en exigence de penseraujourd’hui «l’ultime sceau de la lignée prophétique», «l’accom-plissement des Ecritures» ou la «mission d’être lumière desnations» de telle manière que ces prérogatives irrépressibles neproduisent pas de violence.

q Je reviendrai dans quelques instants à cette tâche proprementthéologique. Cependant, ce traitement du «comment» de l’excel-lence ne doit pas nous détourner prématurément de la question du«pourquoi». C’est la troisième étape sur le chemin de l’appren-tissage: «Mais pourquoi finalement trois témoins»? Certes, nostraditions ont quelques réponses à leur disposition pour«expliquer» la venue d’un deuxième et même d’un troisièmetémoin ou pour rendre raison de leur propre existence aprèsl’arrivée d’un premier et d’un deuxième envoyé: on évoque ladissidence ou l’hérésie de l’héritier, l’aveuglement ou le péché del’aîné, l’infidélité ou l’exagération des deux prédécesseurs. Mais

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Sur ce thème, onpourra lire le dossier sur«La mystique dans lesreligions» dans Chemins deDialogue n° 6, pp. 13-101.

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c’est une chose de raconter la venue progressive d’un premier, d’undeuxième et même d’un troisième, et c’est une autre de penser le«mystère» de leur cohabitation dans nos sociétés. N’est-ce qu’unaccident de l’histoire, une contingence fortuite? Ou faut-il ydécouvrir la main de Dieu, son «dessein»? Et ce «dessein» est-ilmême concerné par l’avènement d’une société dont le retraitfondamental par rapport aux trois monothéismes suscite laquestion de leur «pourquoi»? Le terme de «mystère» n’estsûrement pas trop fort pour désigner la «chose», puisqu’il a déjàservi à Paul pour penser l’énigmatique présence d’Israël aux côtésdes chrétiens (Rm 11, 25). Ce «mystère» n’est-il pas devenu plusinsondable encore et plus impénétrable (Rm 11, 33-36) depuis quenous sommes «trois témoins»? La présence des deux autres, quenous apprend-elle sur nous-mêmes et sur l’Unique que nous nepuissions pas savoir par nous-mêmes? Question adressée à chacundes trois et à laquelle aucun des trois ne peut répondre à la placedes deux autres. Nous sommes donc reconduits vers la perspectiveinterne qui ne peut être que chrétienne et théologique pour nous.

3. Entrer dans le règne de l’incomparable

Il n’est pas sûr qu’il y ait une réponse à la question «pourquoitrois?». Peut-être faut-il même renoncer à compter. On se souvientici de l’embarras de saint Augustin quand il réfléchit dans son DeTrinitate sur la différence trinitaire en Dieu: «Le Père, le Fils, le SaintEsprit sont trois, nous cherchons donc: trois quoi? (tres quid)»10.L’extraordinaire difficulté vient de ce que le terme «personne»(trois personnes) est déjà un générique qui ne peut désignerl’absolu singularité de «chacun», comme le générique«monothéisme» n’arrive jamais à dire ce qu’est l’islam, le

10. Saint Agustin, La Trinité, Livre VII, C. IV, 7 (Bibl. Augustinienne 15, 530 s.).

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christianisme et le judaïsme. Face à cette limite du nombre dans undomaine où on ne peut «connumérer», saint Basile conseille derenoncer à compter. Ce qu’il dit de l’Unique, il faut l’appliquer, mesemble-t-il, aux trois témoins: «Et s’il faut tout de même compter,du moins que la vérité ne soit point falsifiée: ou bien qu’on honoreen silence les choses ineffables, ou bien qu’on compte avec piété etrespect»11. Mais pour pouvoir renoncer à compter il faut biend’abord compter jusqu’à trois, et pour entrer avec respect dans lerègne de l’incomparable il faut bien commencer par comparer.C’est ce que nous avons fait jusqu’ici. Mais dans cette dernièrepartie je voudrais brièvement tracer un chemin de rencontre quinous conduit de la comparaison à la découverte de l’incompa-rable singularité de chacun des trois témoins. Mon hypothèse estque la différence fondamentale du christianisme par rapport aujudaïsme et à l’islam, le mystère de l’Incarnation et de la Trinité, esten même temps le lieu où se définit une théologie de la rencontre àla hauteur des enjeux développés dans les deux premières parties.Commençons donc par prendre au sérieux cette différence.

A) La contestation de l’unicité du Christ

Considérer le «témoin» par excellence du christianisme, Jésus,comme un de la Trinité et l’associer à l’unique Dieu, voilà unemanière bien scandaleuse, aux yeux des juifs et des musulmans,d’introduire le nombre en Dieu et de diviniser un parmi d’autressur terre. L’islam a porté sa contestation au cœur même de cette foi:«O gens du Livre! N’allez pas au-delà du bon sens dans votrereligion. Ne proclamez que la vérité sur Dieu. Le Messie, Jésus filsde Marie, n’est qu’un envoyé de Dieu... Croyez donc en Dieu et enses prophètes. Ne dites jamais «trois». Arrêtez cette imposture...Dieu est un Dieu unique. Le Messie ne se sent pas indigne d’êtreserviteur de Dieu, comme le sont les anges les plus proches deDieu» (Sourate 4, 171 s.). «Il n’est pas concevable que Dieu se

11. Basile de Césarée, Traité du Saint-Esprit, XVIII, 149 a (SC 17, pp. 192s.).

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donne un fils» (Sourate 19, 35). «Il n’a pas engendré; n’est égal à lui,personne» (Sourate 112).

Ces quelques versets du Coran nous renvoient, par contraste, àun autre ensemble, les textes messianiques des Ecritures juives, eten particulier les Psaumes 2 et 110: «Je proclame le décret duSeigneur. Il m’a dit: “Tu es mon fils; moi, aujourd’hui je t’aiengendré. Demande et je te donne en héritage les nations, pourdomaine la terre entière”» (Ps 2, 7) «Oracle du Seigneur à monSeigneur: “Siège à ma droite!... Domine jusqu’au cœur del’ennemi!” Le jour où paraît ta puissance, tu es prince, éblouissantde sainteté: “Comme la rosée qui naît de l’aurore, je t’ai engendré.”Le Seigneur l’a juré dans un serment irrévocable: “Tu es prêtre àjamais selon l’ordre du roi Melchisédek”» (Ps 110, 1-4). Si l’islamconteste l’idée même d’un «engendrement» en Dieu, et cela aunom de sa critique pré-éthique de toute association d’un pluriel àl’Unique, le judaïsme, lui, ne peut pas reconnaître l’accomplis-sement définitif de ces Psaumes en l’itinéraire de Jésus parce qu’ildoit laisser ouvert l’avenir du peuple messianique: au nom mêmede sa mission éthique il se méfie de tout ce qui occulte la situationd’exil de l’humanité qui durera jusqu’à la fin.

La rencontre de cette double contestation ne nous oblige pas àrenoncer aux prérogatives du Christ; je l’ai déjà dit. Mais alors enquoi consiste la «purification» de nos schèmes d’excellence (1ère

étape de toute rencontre)? Comment pouvons-nous aborder positi-vement la communication avec les deux autres témoins (2ème étapede rencontre)? Il est probable que l’enjeu de la rencontre n’est plusd’abord la réaffirmation d’une différence doctrinale mais la miseen œuvre discrète du caractère méta-éthique du christianismedans l’histoire de la communication humaine: autrement dit, ils’agit pour les chrétiens de vivre de la sainteté même de Dieu, riende plus et rien de moins. C’est seulement alors que peut leurparaître, avec une acuité nouvelle, la capacité de l’Unique àengendrer non seulement un «Fils unique» mais aussi avec lui«une multitude de fils».

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On ne soulignera jamais assez le renversement de perspectivequi vient d’être produit. La foi chrétienne n’est pas une doctrine(comme toute une tradition l’a prétendu) mais un «style de vie» ouune manière de vivre de la sainteté même de Dieu: seule l’expé-rience effective de l’Esprit de sainteté nous permet de confesser etde comprendre un jour l’indépassable excellence du Fils unique duPère. N’est-ce pas cela que la rencontre des autres témoins nousapprend? Essayons donc de comprendre.

B) L’Unique et la «multitude des fils» (He 2, 10)

L’enjeu des psaumes messianiques, cités à l’instant, est lacommunication de la sainteté de Dieu au roi et à son peuple: «Lejour où paraît ta puissance, tu es prince, éblouissant de sainteté»(Ps 110, 3). S’adressant à la multitude, le Nouveau Testament l’abien compris quand il appelle tous à être «parfaits comme votrePère céleste est parfait» (Mt 5, 48). Ce vin nouveau de la perfectiondivine qui n’est rien d’autre que l’accomplissement inouï etexcessif de la loi («la justice qui surpasse la justice» selon Mt 5, 20),le sermon sur la montagne l’introduit dans les «outres» de la règled’or: «Tout ce que vous voulez que les hommes fassent pour vous,faites-le vous-mêmes pour eux: c’est la loi et les prophètes»(Mt 7, 12). Cette règle de réciprocité qui se trouve au fondement denos sociétés modernes peut en effet nous réserver quelquessurprises, individuelles et collectives, quand on doit affronterl’antipathie d’autrui ou quand on entend subitement l’invitation àrenoncer à toute réciprocité et à prendre sur soi la violence et lafaute d’autrui: «Aimez vos ennemis, et priez pour ceux qui vouspersécutent, afin d’être vraiment les fils de votre Père aux cieux, caril fait lever son soleil sur les méchants et les bons, et tomber la pluiesur les justes et les injustes» (Mt 5, 44 s.).

Qu’il s’agisse, dans la communication de la sainteté de Dieu àl’homme, d’un véritable «engendrement» (de devenir fils de votre

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Père)12, on ne le découvre que progressivement: quand on réalisetout d’un coup que l’appel démesuré à être comme Dieu, dans telleou telle situation, est toujours «à la mesure» de chacun. Mais la«limite» entre «mesure humaine» et «démesure divine» est siincroyablement mobile, qu’elle ne cesse de travailler et de taraudernos consciences humaines (cf. Lc 6, 38). Habitués à des frontièresprécises, nous voudrions fixer aussi celle-là, une fois pour toute; etsi possible par des lois ou... par des comparaisons. Jamais pourtantla «démesure» accueillie par l’un ne sera à la mesure de l’autre. Sila plénitude divine en l’homme vient à bout de ses mortellescomparaisons, c’est qu’elle atteint vraiment en lui la peur d’êtresoi-même qui est peut-être la racine ultime des mystérieusesviolences entre témoins. Une voix résonne dans les Ecritures et,ultimement, dans l’Evangile de Jésus, la voix du Père qui prononcel’unique parole à la hauteur de cette épreuve: «Aujourd’hui, je t’aiengendré» (Lc 3, 22 et Ac 13, 33). Sa douceur, celle de l’Esprit, invitecelui qui entend cette voix à lâcher la peur qui l’empêched’accueillir la «démesure de Dieu» qui est «à sa mesure».

Peut-être cette expérience inouïe de «l’engendrement» nous fait-elle comprendre les deux versants intimement liés d’une théologiechrétienne de la rencontre. D’abord le versant christologique: lapassion de certains auteurs du Nouveau Testament pour le«pluriel». A ce propos l’épître aux Hébreux, citée tout au début, esttout à fait exemplaire parce qu’elle déplace la «filiation divine»vers la condition commune de tous: «Il convenait, en effet», écrit-il,«à celui pour qui et par qui tout existe et qui voulait conduire à lagloire une multitude de fils, de mener à l’accomplissement par dessouffrances l’initiateur de leur salut. Car le sanctificateur et lessanctifiés ont tous une même origine; aussi ne rougit-il pas de lesappeler frères» (He 2, 10 s.). Certes, l’unicité ou l’excellence deJésus n’est pas niée dans ce texte étonnant: il reste pour l’épître auxHébreux celui qui ouvre, au cœur de nos mesures humaines,l’accès à la sainteté démesurée de Dieu. Mais Jésus n’est «associé»

12. Cette communication de la sainteté même de Dieu fixe définitivement le sensdu terme «engendrement», jusque dans la haute christologie de Nicée(«engendré non pas créé, de même nature que le Père»).

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à l’unicité de Dieu (He 7, 2 s.) que parce qu’il est en même tempsberger de paix (roi de Salem) et prêtre selon l’ordre du roiMelchisédek, l’homme unique donc qui est entièrement façonnépar le don de soi et appelé à s’effacer pour ouvrir dans l’humanitéles chemins multiformes de la sainteté de Dieu13.

Ensuite, le versant spirituel ou pneumatologique de larencontre. La découverte que Dieu engendre une «multitude defils» sur les chemins de sa sainteté amène à renoncer à toutecomparaison entre fils et témoins. Dieu n’est-il pas à la mesure detant et de tant de mesures humaines, devenues toutes, de ce fait,incomparables? Le Dieu unique des chrétiens est mystère du lienentre des incomparables. Mais il faut s’être affronté, dans sa proprevie, à la question de la sainteté, de la démesure divine à ma mesure,pour pouvoir admettre que juifs et musulmans sont, eux aussi, auxprises avec un même combat. On sera alors conduit non seulementau respect dans la rencontre des deux autres témoins mais encoreau risque d’y «laisser sa peau»: «En Christ, je dis la vérité, je nemens pas, par l’Esprit Saint ma conscience m’en rend témoignage»,écrit Paul dans l’épître aux Romains. «Oui, je souhaiterais êtreanathème, être moi-même séparé du Christ pour mes frères…, euxqui sont les Israëlites» (Rm 9, 1-5).

Voilà ce que j’entends par «style chrétien de rencontre»; «style»qui se caractérise par une singulière manière d’espérer la paix enaffrontant la violence. Il se «définit» au lieu même de la différencefondamentale du christianisme par rapport au judaïsme et àl’islam, dans le mystère de l’Incarnation et de la Trinité. Ce qui a étémon hypothèse.

13. Cf. C. Theobald, «L’initiateur de la foi qui la mène à son accomplissement».Lecture théologique de He 11, 1-12, 3, dans «Comme une ancre jetée vers l’avenir -Regard sur l’épître aux Hébreux», sous la direction de Chantal Reynier et deBernard Sesboüé, Paris, Média-Sèvre, 1995.

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En guise de conclusion: un jeu de compétition

La rencontre des trois monothéismes est en dernière instanceune «compétition» autour de la sainteté de Dieu. «Les coureurs,dans le stade, courent tous mais un seul gagne le prix»(1 Cor 9, 24), écrit saint Paul qui affectionne la métaphore grecquedes jeux olympiques. Le juif Philon d’Alexandrie l’a précédé quandil loue dans le De agricultura «le seul concours olympique» qui«pourrait être appelé sacré à juste titre: non pas celui que célèbrentles gens d’Elide, mais celui qui vise à acquérir les vertus divines etvraiment olympiennes», en ajoutant, avec une rare finesse que «lemode de la victoire n’est pas le même pour tous mais que tous sontdignes d’estime»14. Et vous connaissez sûrement ce verset duCoran: «Si Dieu avait voulu, il aurait fait de vous une seulecommunauté. Mais il a voulu vous éprouver par le don qu’il vousa fait. Cherchez à vous surpasser les uns les autres dans vos bonnesactions» (Sourate 5, 48).

Le rôle spécifique des chrétiens dans ce singulier «jeu de compé-tition», aux allures parfois dramatiques, ne serait-il pas de renoncerà compter et à comparer pour mettre en valeur l’unicité incompa-rable de chaque partenaire? Tâche difficile qui peut les conduireaujourd’hui encore dans l’expérience du don de soi.

Mais revenons, pour finir, à notre question: pourquoi troistémoins (dernière étape de la rencontre)? Renoncer un jour à posercette question et abandonner le «comptage», c’est certes accepteravec l’épître aux Romains que le «dessein» de Dieu est insondableet impénétrable. Mais il ne s’agit absolument pas d’un scepticismequi renoncerait à penser vraiment la pluralité des monothéismes.Penser le mystère des trois témoins, c’est baliser, au sein d’unehistoire faite de compétitions, un chemin de rencontre qui nousamène à vivre dans le règne trinitaire de l’in-comparable.

14. Philon d’Alexandrie, De agricultura, Paris, Cerf, 1961, p. 73 (§ 119).

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BIBLIOGRAPHIE GÉNÉRALE

Pour s’initier

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Pour approfondir

R. Arnaldez, Trois messagers pour un seul Dieu, Paris, Albin Michel,1983.Jacques Dupuis, Jésus Christ à la rencontre des religions, Desclée,«Jésus et Jésus Christ» n°39, 1989.Claude Geffré, La théologie des religions non-chrétiennes vingt ansaprès Vatican II, dans «Islamo-christiana» n° 11, 1985, pp. 115-133.Claude Geffré, Le fondement théologique du dialogue interreligieux,dans «Chemins de Dialogue» n°2, 1993, pp. 73-103.Danièle Hervieu-Léger, La religion pour mémoire, Cerf, 1993.Hans Küng, Le christianisme et les religions du monde, Le Seuil, 1986.Michel Meslin, L’expérience religieuse, dans «Chemins de Dialogue»n° 3, 1994, pp. 23-64.Raimundo Panikkar, Le dialogue intrareligieux, Aubier, 1985.Julien Ries, Les chrétiens parmi les religions, Desclée, «Manuel dethéologie», 1988.Joseph S. O’Leary, La vérité à l’âge du pluralisme religieux, Cerf,«Cogitatio Fidei» n° 181, 1994.Lumière et vie n°222 (avril 1995), Christianisme et religions ; undialogue exigeant.

Sur la rencontre d’Assise

Commission pontificale «Justice et paix», Assise, journée mondiale deprière pour la paix, Vatican, 1987.«Dossier du S.R.I.» n° 3, qui contient en outre des commentairesthéologiques sur Assise (Marcello Zago - Claude Geffré - JorgeMejia), un document sur les rencontres de Jean-Paul II avec les

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musulmans, et des commentaires de musulmans participant à larencontre d’Assise (leurs points de vue sur le dialogue et la paix).A demander au: S.R.I. (Secrétariat pour les relations avec l’islam),7l, rue de Grenelle, 75007 PARIS.

Pour les plus jeunes

Elisabeth Sebaoun - Dominique Lemonnier, Explique-moi ta religion,Paris, Editions Brépols, 1995.

Bibliographie générale

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Ephémérides

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Colloque de l’I.S.T.R. de Marseille - 23 & 24 janvier 1996Laïcité et religion

Au cœur d'une société où le lien social est en crise, où la montée dunombre des exclus souligne l'échec d'un certain modèle d'intégrationrépublicaine, les religions vivent d'importantes mutations, et beaucoupcherchent sur quoi fonder des valeurscommunes permettant de vivreensemble. C'est dans ce contexte que lecolloque voulait s'interroger sur leconcept et la pratique de la laïcité enFrance.

Histoire de la laïcité

M. Poulat, sociologue, a ouvert la réflexion par une analyse de l'his-toire de la laïcité en France.

Il est difficile de définir le contenu précis de cette laïcité, et plus encored'en situer la naissance. Quand le mot apparaît dans le Littré (1870) ildéfinit la nature de l'école ou de l'Etat. Ce n'est que plus tard que la laïcitéévoque un aspect en soi.

Il reste que la Révolution française a marqué un passage: la religion duroi était la religion des Français, avec des statuts particuliers pour lesprotestants ou les juifs. Avec la Révolution apparaît la volonté de protégerla liberté de religion pour tous, et non plus le monopole d'une religion. Cesouci du respect des minorités, combattu par l'Eglise catholique qui yperdait puissance et richesse, est devenu en 1996 une protection impor-tante pour cette même Eglise qui se sait être une minorité, même forte,dans le pays.

Au respect des opinions vient s'adjoindre le respect dû aux personnes.La loi de 1905, dite de séparation de l'Eglise et de l'Etat, est en fait la miseen forme légale de l'assurance de la pleine liberté religieuse pour tous,sans monopole, sans exclusive, sans privilège. Elle a été très bienaccueillie par les groupes religieux non catholiques! Cette loi concernait

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L’ensemble des conférencesde ce colloque sera publié dansle prochain numéro de Cheminsde Dialogue (n° 8), à l’automne1996.

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déjà les musulmans qui étaient en nombre dans la communauté nationaledont l'Algérie était une composante à l'époque!

Laïcité, démocratie et pluralisme

Pour sa part, M. Boussinesq, administrateur de la Ligue laïque del'enseignement, a montré à quel point la séparation du temporel et duspirituel marque l'histoire de notre pays, par étapes et tâtonnementssuccessifs. Elle manifeste des luttes d'influence entre l'Eglise catholique etles groupes religieux vivants et actifs en France.

La loi de 1905 fait apparaître pour la première fois la reconnaissanced'une France pluriculturelle. L'Etat y fait montre d'une grande libéralité,qui retient comme référence la structuration propre de chaque groupereligieux. C'est ainsi que les tribunaux ont condamné la création d'asso-ciations cultuelles paroissiales pour les catholiques, tenant pour acquisque c'est le diocèse qui structure la vie de l'Eglise en France (confor-mément à la déclaration du Pape).

Cette attitude se vérifie aussi dans une certaine conception de l'Ecole:l'Etat a une mission d'enseignement qui peut être compatible avec lesoutien de l'enseignement privé (catholique, juif, musulman ou nonconfessionnel!) pourvu que chaque établissement entre dans le jeu de lamission d'enseignement commune au service de tous les Français.

La diversité culturelle est quelquefois difficile à saisir. Cela peut venirde la confusion souvent entretenue de ce que nous appelons culture: laculture comme un mode d'expression; la culture comme une forme dereconnaissance et qui touche à l'universalité; la culture comme la mise enforme de contrats sociaux appliqués dans le vie juridique et morale d'unpays ou d'une communauté humaine.

L'unité d'un pays, d'après M. Boussinesq, tient dans «un vouloir vivreensemble». Il reste à définir, ce que l'intervenant s'est refusé à faire, lesfondements de cette volonté commune. La seule chose qu'il ait évoquée,c'est l'attitude fondamentale commune aux religions monothéistes:«Quitte la maison de ton Père», traduire: va voir ailleurs. Faudrait-ilchercher de ce côté les fondements d'une morale laïque commune struc-turant «le vouloir vivre ensemble» de toutes les communautés?

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Islam et laïcité

M. Ben Cheikh, grand mufti de Marseille, a attiré brillammentl'attention des participants sur le fait que la laïcité savait se situer enFrance par rapport aux grands éléments que l'on retrouve dans toutes lesreligions, comme dans l'islam (mais pas seulement dans l'islam): le livre,la loi, le clergé, la prière, le monothéisme, le statut de groupe minoritaire,la relation politique/religieux de chaque démarche de foi. Rien denouveau donc avec l'apparition massive de l'islam en France métropoli-taine.

Il évoque aussi un certain nombre de questions: toutes les religions ontà vivre, en France, la position de minorité confrontée au pluralisme. Ellesont à vivre ainsi, et c'est une chance, la liberté de leurs «adeptes» nonsoumis à une pression sociale de type religieux. Pour les musulmans, trèsmarqués par un faible niveau de formation, rurale de surcroît, le dangerest réel de remplir le vide spirituel par un islam «à bas prix qui flatte lafierté» et confirme les préjugés xénophobes, source d'escalade dans laviolence.

En France, qui dit laïcité peut dire: liberté laissée aux cultes ou refusd'intervention et de prise en compte des questions religieuses par lacollectivité. Cela appelle une clarification par les pouvoirs publics de cequ'on appelle la laïcité. Les religieux peuvent y participer. C'est aussi celala laïcité. S'il advenait que l'Etat choisisse le «laïcisme», alors il sortirait del'épure de la loi de 1905, empreinte de neutralité, se refusant à privilégierun groupe philosophique ou religieux plutôt qu'un autre.

C'est ainsi qu'il ne convient pas, à cause de la loi de 1905, que lespouvoirs publics choisissent eux-mêmes leurs interlocuteurs religieux.Que dirait-on d'un gouvernement qui choisirait les évêques? Et que direquant il désigne les muftis ou les recteurs dans les centres islamiques ? Ilreste que se pose la question de la représentation de l'islam en France.Mais c'est aux musulmans de la régler. Les associations musulmanes quiexistent à ce jour sont des interlocuteurs possibles pour les pouvoirspublics. La difficulté, réelle, c'est qu'elles sont très dispersées et pastoujours d'accord.

Nous sommes, à la fois, père de famille, salarié dans une entreprise,membre d'une association sportive et membre d'une confessionreligieuse. C'est le croisement en nous de cette multiplicité

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d'appartenances qui fait le terrain de l'intégration. En revanche, l'ins-cription dans le seul «tout confessionnel» définit l'appartenance à unesecte. L'intégration se fera d'autant mieux qu'on évitera de développer enmême temps les trois ingrédients qui font l'intégrisme: la fierté de saculture, l'incapacité de l'expliquer, la tendance à l'imposer. Rencontres,dialogue et formation sont donc nécessaires.

Les questions posées par le développement de l'islam en France neseraient-elles pas révélatrices des maux de la laïcité telle qu'elle est vécue?

Le droit des religions en France

Une intervention de M. Boyer, spécialiste d'histoire religieuse, asouligné qu'il y avait grand intérêt à être attentif à l'évolution de la légis-lation. La loi de 1905 a laissé ouvertes un certain nombre de questions quise sont posées au fil des ans. La loi française y a quelquefois répondu:construction d'édifices religieux, apparition de nouveaux courantsreligieux, création des associations selon la loi de 1901, partenariatsdéveloppés, prise en charge financière par l'Etat (par le biais de subven-tions, ou des traitements des aumôniers), désignation par les responsablesde «ministres de culte», organisation de l'abattage rituel, etc. Commentl'Etat peut-il agir par la loi sans interférer dans la vie religieuse, sansprendre la place des responsables ou des communautés religieuses?

Mais l'évolution de notre société détermine quelques limites à cetteadaptation de la loi: un contexte culturel marqué par les seules valeurs dela production; la perte de légitimité du politique qui le pousse à reprendrela main sur de nouveaux terrains: l'intégration européenne qui exiged'harmoniser le cadre et la pratique des relations entre l’Etat et lesreligions.

Christianisme et laïcité

Enfin, le Père Madelin, jésuite, rédacteur en chef de la revue «Etudes»,avait à traiter de «christianisme et laïcité».

Il a souligné que le christianisme, qui porte le trésor de l'Evangile àtravers diverses obédiences, trouve dans la laïcité française un climat etun appareil juridique. L'opposition de la laïcité, c'est le cléricalisme, c'est-à-dire la prétention d'un pouvoir direct des clercs dans la vie sociale. On

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prétend user de la force pour imposer des lois religieuses, en dehors detoute adhésion personnelle. Il est possible de penser que le cléricalismereligieux est terminé dans l'histoire de France mais pas encore dans lesmentalités. Il continue à faire peur.

Les textes conciliaires sont, pour ce qui est du catholicisme, d'un grandpoids. Jean-Paul II a même déclaré que le droit à la liberté religieuse est,pour tout Etat, la mesure de l'existence d'un Etat de droit.L'autonomisation du religieux et du politique s'est inscrite dans les faits.Il est clair que l'Eglise catholique a manifesté sa capacité à ne pasreprendre le pouvoir, même dans des situations qui auraient pu êtrejugées comme favorables. Vatican II reconnaît ce principe d'autonomie, etil s'en sert. L'avenir risque d'en voir surgir tout le bénéfice de façonsurprenante.

Le christianisme, dans le cadre de la laïcité, a déjà vécu une révolutionhistorique, y a situé ses transformations sociologiques et pu exprimer desénoncés théologiques. Il a mieux découvert que ses seules armes sontcelles du Christ de saint Jean: la vérité comme exigence qui naît dansl'homme, diminué et fort, confronté à l'incompréhension, voire à lalâcheté du pouvoir. Alors, le christianisme apprend à exprimer le refus dupouvoir, de l'esbroufe, du paternalisme ou de la mondanité. Il est renvoyéà la pauvreté de ses moyens et du cœur.

L'Etat de droit que détermine la loi de 1905 protège de l'interventiondu politique dans le religieux, et inversement protège le politique del'incidence religieuse, favorisant le partenariat.

Le climat de liberté religieuse doit permettre d'apprendre à parler enlaïcs de questions religieuses et religieusement de questions laïques, selonBonhoeffer. Il faut apprendre à être bilingue, à passer toutes les frontières.Que devient alors le cléricalisme quant l'Eglise devient plus faible? Faut-il lire dans cette évolution une volonté de Dieu? Une pression de l'his-toire? Accepter de vivre cette kénose est une nouvelle manière d'être dansla société. Il convient cependant d'être attentif au fait que les nouveaux etvéritables clercs sont aujourd'hui ailleurs. Regardons du côté desamuseurs de la télévision: ils ont le pouvoir, l'argent, l'influence, le savoir.Et ils sont intouchables au nom de la liberté d'expression.

Il reste que les attitudes qui entretiennent la crainte du cléricalismereligieux sont bien connues et pas toujours la seule affaire des «clercs»

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eux-mêmes. Quand une voix prétend parler au nom de toutes, quandcertains usent de violence au nom de leur religion pour s'exprimer, quandle jeu religieux semble perturber le fonctionnement démocratique. Il y atoujours un danger à la visibilité, si le groupe religieux n'est plus à mêmede dominer sa victoire, son pouvoir ou son influence.

Henri Madelin nous a fait remarquer qu'à la Pentecôte les apôtres ontparlé parce qu'on le leur a demandé. Il cite saint Pierre dans sa lettre:«Soyez toujours prêts à rendre compte de l'Espérance qui est en vous,avec douceur et patience».

En guise de conclusion

Le Père Jean-Marc Aveline, directeur de l'I.S.T.R., a fait écho à ce qu'ilavait glané au cours de ces deux jours. La question de la vérité se posetoujours à l'intérieur d'une tradition. C'est en allant au cœur même de leurfoi que les chrétiens en comprendront le caractère diagonal: il se fonde surl'Incarnation et la Trinité. Si nous acceptons la relativité de notre propretradition, et si nous acceptons de considérer l'action de Dieu dans d'autrestraditions religieuses, alors nous pourrons situer justement ce qu'est pournous la mission: l'annonce de l'Evangile, c'est l'attitude qui consiste àvouloir confier cet Evangile reçu, et accepter que l'Eglise de Dieu laisses'épanouir des fleurs non encore écloses dans notre jardin, par la chaleurd’un soleil qui vient d'ailleurs.

Toutes ces questions restent ouvertes. A chacun d'entre nous de s'ensaisir et de chercher les chemins par notre discernement, nos choix, etnotre inscription dans la vie de notre société.

Olivier MorandVicaire Général d’Evry-Corbeille-Essonne

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DANS L’AGENDA DE L’INTERRELIGIEUX

23 mai 1996Table ronde

L’accompagnement des mourants dans les différentes religionsI.S.T.R. de Paris

8-11 novembre 1996Assises pastorales de l’interreligieux

organisées par Les voies de l’Orient à Bruxelles

24 novembre 1996Assises des croyants en dialogue

à Paris

7-8 décembre 1996Colloque universitaire

Xè anniversaire de la rencontre d’AssiseI.S.T.R. de Marseille

12 décembre 1996Table ronde

«Transmettre» dans les différentes religionsI.S.T.R. de Paris

Pour enseignants et chercheurs en sciences des religions13-14 décembre 1996

Entre les diverses «sciences des religions» quelles articulations?

I.S.T.R. de Paris

I.S.T.R. de Marseille - 38, rue Paul Coxe - 13015 MARSEILLE - Tél.: 91 03 03 73 - Fax: 91 03 03 75I.S.T.R. de Paris - 21, rue d’Assas - 75270 PARIS CEDEX 06 - Tél.: (1) 44 39 52 55 - Fax: (1) 45 44 27 14I.S.T.R. de Toulouse - 8, place du Parlement - 31000 TOULOUSE - Tél.: 61 53 25 12 - Fax: 61 53 60 71Les voies de l’Orient - 69, rue du Midi - 10000 BRUXELLES - Tél.: 02/511 79 60 - Fax: 02/511 14 38

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TABLE DES MATIÈRES

Sommaire 5

L’esprit d’Assise[Card. Roger Etchegaray] 7

I. L’événement de la Journée d’Assise 13

Histoire et enjeux de la rencontre d’Assise[Christian Salenson] 15L’annonce de la rencontre 16La contribution originale des religions pour la paix 17Le fruit d’une histoire 19Etre ensemble pour prier 20La conversion du cœur 22Des convictions profondes: l’esprit d’Assise 24Relecture de l’événement 25

L'unité radicale du genre humain 26Identité et mission de l'Eglise 26D'une théologie des religions non-chrétiennes

à une théologie des religions du monde 27

Discours du Pape Jean-Paul II aux Cardinaux et à la Curie Romaine le 22 décembre 1986 29

Entretien avec Mgr Sabbah 41

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II. Textes de référence pour le dialogue interreligieux 47

Présentation[Dennis Gira] 49

Nostra ætate 53Préambule 53Les diverses religions non-chrétiennes 54La religion musulmane 56La religion juive 56La fraternité universelle excluant toute discrimination 60

Ecclesiam suam (extraits) 62

Dialogue et mission 65Introduction 661. Mission 692. Le dialogue 76

A) Fondements 76B) Formes du dialogue 79

3. Dialogue et mission 82A) Mission et conversion 82B) Le dialogue pour la construction du Royaume 83

Dialogue et annonce 87Introduction 891. Dialogue interreligieux 95

A) Une approche chrétienne des traditions religieuses 95B) La place du dialogue interreligieux

dans la mission évangélisatrice de l’Eglise 104C) Formes de dialogue 108D) Dispositions et fruits du dialogue interreligieux 110E) Obstacles au dialogue 112

2. Annonce de Jésus Christ 114A) La mission donnée par le Seigneur ressuscité 114B) Le rôle de l’Eglise 116C) Le contenu de l’annonce 117D) La présence et la force du Saint-Esprit 119E) L’urgence de l’annonce 120F) Les modalités de l’annonce 121

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G) Obstacles à l’annonce 123H) L’annonce dans la mission évangélisatrice de l’Eglise 125

3. Dialogue interreligieux et annonce 126A) Liés mais non interchangeables 126B) L’Eglise et les religions 127C) Annoncer Jésus Christ 128D) Engagement dans l’unique mission 129E) Jésus, notre modèle 130

Conclusion 131

Redemptoris missio (extraits) 133

III. Enjeux théologiques 139

Présentation[Jean-Marc Aveline] 141

Présentation des diverses religions[Dennis Gira] 145Les religions traditionnelles 146L’hindouisme 148

Le mystère inépuisable 149La situation insatisfaisante de l’homme 150Les voies qui mènent à la libération 150

Le bouddhisme 152Un monde de souffrance 152Les quatre nobles vérités 154Les grands courants de la pensée bouddhique 155

L’islam 156Le Dieu des musulmans 157L’islam et les grandes figures bibliques 160Les cinq piliers de l’islam 161

Le judaïsme 162Abraham et le peuple élu 163Moïse et l’alliance du Sinaï 164La suite de l’aventure 165

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Enjeux du dialogue avec les juifs et les musulmans[Fédération protestante de France] 167Préambule 1671. Nous libérer d’un passé douloureux et traumatisant 1692. Ce que nous avons en commun:

la foi en un Dieu unique 1703. Ce qui nous différencie les uns des autres:

des compréhensions différentes de la Révélation 1724. Difficultés et promesses du dialogue 1745. Notre témoignage de foi dans et par le dialogue 1756. Questions théologiques ouvertes 1787. Les raisons de notre espérance 1808. Vers une action commune 180

L’Unique et ses témoins : jalons pour une théologie de la rencontreentre juifs, chrétiens et musulmans

[Christoph Théobald] 1831. Difficile communication 185

A) Regards croisés dans la «famille» d’Abraham 186B) Rencontre et comparaison 190

2. Savoir apprendre de l’autre 192A) L’interrogation prophétique 192B) Les étapes de l’apprentissage 194

3. Entrer dans le règne de l’incomparable 196A) La contestation de l’unicité du Christ 197B) L’Unique et la «multitude des fils» (He 2, 10) 199

En guise de conclusion: un jeu de compétition 202

Bibliographie générale 203

Ephémérides 207

Laïcité et religion : Colloque de l’I.S.T.R. de Marseille - 23 & 24 janvier 1996

[Olivier Morand] 209

Dans l’agenda de l’interreligieux 215

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SOMMAIRES DES NUMÉROS PRÉCÉDENTS

Chemins de Dialogue n° 1, 1993

L'I.S.T.R. de Marseille: genèse et enjeuxPaul BONY - Jean-Marc AVELINE - Jean-Michel PASSENAL

Approches théologiques du dialogue interreligieuxCard. Robert COFFY - André GOUNELLE - Maurice PIVOT

Invitations à la rencontreMaurice GLOTON - Dominique CERBELAUD

Chemins de Dialogue n° 2, 1993

Actes du colloque de l'ISTR des 23 & 24 janvier 1993 sur les«Fondements théologiques du dialogue interreligieux»

André COUTURE - Mgr Michaël FITZGERALDClaude GEFFRE - Card. Robert COFFY

Invitations à la rencontreMichel REEBER - Jean-Luc THIRION

Chemins de Dialogue n° 3, 1994L’expérience religieuse

L'expérience religieuseMichel MESLIN - Marcel NEUSCH - Dennis GIRA

Le dialogue islamo-chrétienMgr Pierre CLAVERIE - Maurice BORRMANS

Gilles COUVREURLes nouveaux mouvements religieuxMichel RONDET - Bertrand OUELLET

Essais et perspectivesDominique CERBELAUD - Christian SALENSON

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Chemins de Dialogue n° 4, 1994Dialogue et mission

Dialogue et mission: XXXè anniversaire d’Ecclesiam suamJean CHELINI - Maurice VIDAL - Card. Jozef TOMKO

Religions et violencesJean COMBY - Jean-Marc CHOURAQUI

Mgr Michel SABBAH - Dalil BOUBAKEURLa foi chrétienne à la rencontre des religions

Pierre GIBERT - Jean-Marc AVELINE - Jean LANDOUSIES

Chemins de Dialogue n° 5, 1995«Quitte ton pays…»

La foi chrétienne devant le mystère d’IsraëlDominique CERBELAUD - Jean DUJARDIN - Paul BONY

L’Afrique entre espoirs et déchiruresBruno CHENU - Bertrand EVELIN

Essais et perspectivesJean JONCHERAY - Maurice PIVOT - Christian CHESSEL

Chemins de Dialogue n° 6, 1995La mystique dans les religions

Colloque de l’I.S.T.R. de ToulouseGérard REYNAL - Jean ABIVEN - Claude VIGEE

Abd-Al-Haqq GUIDERDONI - Vladimir ZIELINSKYEssais et perspectives

Dennis GIRA - Günther GEBHARDT - Jean-Marie PLOUXTrentième anniversaire de Nostra ætate

Card. Robert COFFY - Pierre-François de BETHUNE

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Croire aujourd’hui propose tous les quinze jours des dossiers

qui font place aux débats, des points de vue originaux, un

recul face aux événements, pour vivre sa foi et ses responsa-

bilités dans le monde.

Les prochains numéros aborderont les thèmes suivants :

Les origines de l’homme - Le prix de la solidarité

Les homosexualités - Le service national - Jérusalem

Les célibats - La lecture - Magistère et théologiens

Comment fait-on un saint - Comment on parle des jeunes…

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C r o i r e

a u j o u r d ’ h u i

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Chemins de DialogueRevue théologique et pastorale sur le dialogue interreligieux

fondée par l’Institut de sciences et théologie des religions de Marseillepubliée avec le concours de l’association «Chemins de dialogue»

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38, rue Paul Coxe - 13015 MARSEILLE - Tél. : 91 03 03 73 - Fax : 91 03 03 75Pour les règlements pas chèque, libeller à l’ordre de : «Chemins de Dialogue»

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Achevé d’imprimer en avril 1996sur les presses de l’imprimerie A. Robert

116, Bd de la Pomme - 13012 MarseilleDépôt légal avril 1996

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