Chloe Neill

Les Vampiresde Chicago – 7

Permis demordre

La où il y a des vamps, il y a

des ennuis !DEUX SOLITAIRES ONT

DISPARU SANS LAISSER DE

TRACES.Moi, Merit, chargée de la

protection de ma Maison, jen'en suis pas à ma premièreenquête. Cependant celle-cipourrait bien s'avérer la plusdangereuse. Quelqu'un s'enprend aux vampires deChicago, et n'importe quipourrait être le prochain sur saliste. Avec l'aide de monMaître, Ethan Sullivan, c'est àune véritable course contre lamontre que je vais devoir melivrer. Mais confrontée àd'anciens démons et à desalliances secrètes, je vais

devoir admettre que monennemi est bien plus puissantque tout ce que j'ai puimaginer.

Scan, OCR et MEP By Athame

Relecture By Elyzabethaa

Du même auteur, chez MiladyLes Vampires de Chicago :

1. Certaines mettent les dents2. Petites morsures entre

amis3. Mordre n'est pas jouer4. Mordre vous va si bien

5. Morsures en eaux troubles6. Morsure de sang froid

7. Permis de mordre

Chez Castelmore :Dark Elite :

1. Magie de feu2. Marque de l'ombre

3. Coup du sort

www.milady.frTraduit de l'anglais (États-

Unis) par Sophie BarthélémyMilady est un label des

éditions BragelonneTitre original : House Rules

Copyright © Chloe Neill, 2013Tous droits réservés, y comprisle droit de reproduire tout oupartie de l'œuvre. Cet ouvrageest publié avec l'accord de NALSignet, une maison d'édition

de Penguin Group (U.S.A.) Inc.© Bragelonne 2013, pour la

présente traductionISBN : 978-2-8112-0936-0

Bragelonne - Milady 60-62, rued'Hauteville - 75010 Paris

E-mail : info@milady.fr SiteInternet : www.milady.fr

À Jeremy, Baxter et Scout,

avec tout mon amour, et àKrista, pour son incroyablepatience, son ardeur autravail et son étonnantemémoire.

« La mort n'épargne pas lesvampires. »

Ethan Sullivan« J'adore le bacon. »

Merit

1. La révolte des BoxersMi-décembre Chicago,

Illinois Tout évoquait une scène de

divorce : les possessionsdivisées en plusieurs piles, leslivres étiquetés au nom de l'unou de l'autre, et l'épuisementémotionnel.

Sauf que, dans ce cas, il n'yavait pas de rupture. Du moins

pas au sens humain du terme.Il s'agissait davantage d'unesécession, d'une déclarationd'indépendance.

D'une rébellion, dirigée parle vampire aux cheveux blondsqui se tenait à mon côté :Ethan Sullivan, Maître nonofficiel de la Maison Cadogan,qui se trouvait également êtremon petit ami.

Ces derniers mots sonnaienttoujours de manière étrange àmon oreille.

Ethan, incroyablementséduisant dans son pantalonnoir et sa chemise blancherehaussée d'une cravate noire,

examinait un livre mince àreliure de cuir.

— Celui-ci appartient au PG,affirma-t-il en inspectant ledos de l'ouvrage.« Métamorphose de l'homme :des pouces opposables auxcrocs rétractiles. »

— Quel titre affreux,commentai-je.

— Maintenant, ce sera leurtitre affreux.

Si la réplique d'Ethan sevoulait humoristique, le ton desa voix était on ne peut plussérieux. La nervosité régnaitdans la Maison. L'atmosphèreétait embrumée d'une tension

magique qui n'avait cessé decroître depuis le lancement ducompte à rebours : il ne restaitplus que soixante-douze heuresavant la cérémonie quiproclamerait la scission entreCadogan et le Présidium deGreenwich, le conseil basé enEurope régissant les Maisonsvampires d'Amérique du Nord.Le balancier de l'horlogeoscillait au-dessus de nos têtescomme une épée de Damoclès.Les représentants du PGvenaient à Chicago dansl'unique but d'expulser notreMaison de manière officielle.

De rompre avec nous enpublic.

Nos préparatifs s'étaient engrande partie déroulés dans lecalme. Nous avions mis decôté les biens appartenant auPG avant de les placer dansdes cartons et avions contrôlénos finances, qui semblaienten ordre. Les membres duPrésidium s'étaient montrésétonnamment muets depuisque nous avions annoncénotre intention de quitter leursrangs. Ils n'avaientcommuniqué avec la Maisonque pour discuter des détails

de la cérémonie et del'organisation de leur voyage àChicago.

Ethan trouvait ce silencetrès suspect. Il était alléjusqu'à nommer une « équipede transition » composée devampires et d'autressurnaturels à qui il avaitdemandé conseil dans le cadrede la séparation.

Ethan s'adossa à son siègeet observa les étagères garniesde livres qui occupaient l'undes longs murs de son vastebureau.

— Ça va prendre du temps.— Oui, concédai-je, mais

nous n'avons pas le choix, àmoins de laisser Darius s'encharger lui-même. Et je necrois pas que ce soitsouhaitable pour nous.

Darius West, le chef du PG,était quelqu'un de trèsdistingué, très british, et trèsmal disposé envers la Maison.

— Ce ne serait passouhaitable, non, reconnutEthan.

Alors qu'il me tendait lelivre, ses doigts effleurèrent lesmiens. À ce contact, mon sangs'échauffa instantanément, etje sentis mes jouess'enflammer sous l'intensité du

regard émeraude d'Ethan. Nousne sortions officiellementensemble que depuis quelquessemaines et n'avions pasencore terminé notre phase delune de miel. J'avais beau metransformer en féroceguerrière avec un katana entreles mains - le sabre desamouraï que les vampires,moi incluse, portaient afin dese protéger -, mon cœurbattait la chamade dèsqu'Ethan posait les yeux surmoi.

Cependant, comme il nousrestait de nombreux ouvrages

à trier, je retirai ma main etremisai le livre dans l'antiquemalle en bois aux poignées enlaiton qui se trouvait au sol.

— Il y a un temps pourjouer, et un temps pourtravailler, lui rappelai-je.

— Je pense que mêler lesaffaires et le plaisir renforcel'intérêt des deux.

— Et moi, je pense que jepréférerais occuper mes loisirsà autre chose que ranger desvieux bouquins poussiéreux.

— Ce n'est pas parce que tues une vampire que tu obtienstoujours tout ce que tu veux,Sentinelle. Quoique, je te le

concède, j'imagine d'autresmanières bien plus agréablesde passer le temps en tacompagnie.

Ethan m'avait nomméeSentinelle, m'attribuant laresponsabilité de protéger laMaison. Il utilisait ce titrequand je l'agaçais ou qu'iltentait de faire valoir sonpoint de vue.

— Alors, tu n'aurais pas dûénerver le PG au point de tefaire renvoyer.

— Ils ne nous ont pasrenvoyés, rétorqua-t-il avec unregard blasé.

— Je sais. Nous avons voté

et décidé de partir avant qu'ilsaient le temps de nouschasser.

Il signifia cette fois sondésaccord en arquant unsourcil, geste typique d'Ethan.Cette expression, tout commele reste, lui allait très bien.

— Ferais-tu exprès dem'agacer ? demanda-t-il.

— Oui. Est-ce que çamarche ?

Il grogna, mais un sourireflottait sur ses lèvres. Jereportai mon attention sur leslivres et demandai :

— On ne pourrait pas secontenter d'en jeter la moitié

au hasard dans la malle ? Tucrois que Darius se rendraitvraiment compte de ladifférence ?

— Lui, peut-être pas, maismoi, si. Et le bibliothécaireaussi. (Il me lança un regardoblique.) Ta proposition mesurprend, Sentinelle. Tu esplutôt du genre sérieux,d'habitude.

Ayant poursuivi mes étudesaprès l'obtention d'un master,je reconnaissais être plutôtsérieuse, et j'en étais fière.Cependant, le commentaired'Ethan ne me semblait pasfranchement flatteur. Je

plissai les yeux.— Je ne sais pas si je dois

considérer cette remarquecomme un compliment.

— Je n'en suis pas sûr nonplus, rétorqua-t-il avec un clind'œil avant de me tendre unnouveau livre. Mais jecomprends ton point de vue.

Alors que je rangeaisl'ouvrage dans la malle, Ethanrecula pour examiner labibliothèque.

Je l'imitai, à la recherched'un volume qui n'auraitmanifestement pas dû setrouver là. Genre Le Guide duPrésidium pour s'aliéner les

Maisons d'Amérique ouquelque chose du style.

Mais à peine avais-jecommencé mon inspectionqu'Ethan se faufila à côté demoi, une main appuyée surune étagère.

— Vous venez souvent ici ?lâcha-t-il.

— Pardon ?— Je vois que vous êtes dans

cette... (il désigna les rangéesde livres) bibliothèque touteseule. Vous étudiez ici ?

Il traça du bout du doigt lecreux de ma gorge, medonnant des frissons.

Etant donné que mon

cerveau peinait à fonctionnerdans ce genre de situation, ilme fallut un moment pourcomprendre ses paroles.Engageait-il un jeu de rôle... sedéroulant dans unebibliothèque ?

— Ethan Sullivan !m'émerveillai-je. Tu nourris lefantasme de la bibliothèque !

— Je nourris le fantasme dela thésarde transformée envampire, répliqua-t-il avec unsourire malicieux.

Avant que j'aie pu répondre,il enroula un bras autour dema taille et m'attira contre luid'un geste autoritaire, comme

un pirate sur la couvertured'un roman sentimental. Jefaillis éclater de rire, jusqu'àce que je croise son regard.Des flammes argentéesbrûlaient dans ses yeux d'unvert intense.

Il se pencha et me murmuraà l'oreille :

— Tu ne ris plus.— Non, reconnus-je d'une

voix rauque. Je ne ris plus.— Hum hum, toussota

quelqu'un sur le seuil.Je me retournai. Luc,

ancien Capitaine de la Gardede Cadogan, à présent enferrédans la position de Second de

la Maison, se tenait sur le pasde la porte. Mon titre deSentinelle me rattachait demanière officieuse à l'équipede gardes, ce qui faisait plusou moins de Luc mon patron.

— Sentinelle, commença-t-il, les invités arriveront dansune heure, et on a presque finiles préparatifs extérieurs.

Puisque c'est ta soirée, tuaimerais peut-être te joindre ànous à un moment ou à unautre ?

Il avait raison. J'étais laprésidente du comité des fêtesde la Maison, charge quem'avait confiée Ethan à la fois

pour me punir et me forcer àfaire la connaissance de mescamarades vampires deCadogan. Cependant, Lucavait tort en sous-entendantque j'avais échappé à mondevoir. J'avais assisté monchef, du moins celui quiportait un costume.

Je glissai à Ethan un regardsuspicieux et poursuivis notreconversation en privé enactivant le lien télépathiquequi nous unissait :

— Je croyais que tu avaisdit à Luc que tu avais besoinde mon aide pour terminer cetravail avant la soirée ?

Il haussa légèrement lesépaules.

— Je pensais que nousaurions déjà fini depuislongtemps.

Cela aurait sans doute été lecas si ses badinages amoureuxne nous avaient pas ralentis.Mais ce qui était fait était fait.J'avais quelques détails àrégler, et lui des invités àaccueillir.

— Toutes mes excuses, Luc,déclarai-je. C'est ma faute,j'avais mal compris.

Après tout, je m'étais laisséedistraire. Je pouvais bien enassumer la responsabilité.

Soudain nerveuse, je lissail'ourlet de ma veste en cuirajustée, que j'avais assortie àun jean moulant et à undébardeur fluide, une tenueque je m'étais autorisée enraison des températures quis'étaient révéléesparticulièrement élevées pourla saison ces dernièressemaines.

— J'espère vraiment quec'était une bonne idée,soupirai-je.

Ethan saisit sa veste tailléesur mesure sur le dossier deson fauteuil de bureau pendantque je me dirigeais vers la

porte.— Inviter tous les Solitaires

de Chicago dans notre jardin ?ironisa Ethan. Comment celapourrait-il mal tourner ?

La plupart des vampires dupays appartenaient à l'une desdouze Maisons disséminées surtout le territoire : Navarre,McDonald, Cabot, Cadogan,Taylor, Lincoln, Washington,Heart, Lassiter, Grey, Murphyet Sheridan. Chicago abritaittrois d'entre elles : Navarre,Cadogan et Grey.

Les douze Maisons étaientplacées sous l'autorité duPrésidium de Greenwich ; ce

serait du moins encore le caspendant les soixante-douzeprochaines heures, au termedesquelles ce nombre nes'élèverait plus qu'à onze.Lorsque notre défection seraitreconnue, nous rejoindrionsles Solitaires, les vampiresindépendants. Ces derniers sedébrouillaient seuls ou seregroupaient en bandes nonofficielles. Quoi qu'il en soit,ils refusaient de se fairegouverner par une instancebasée outre-Atlantique.

Les Solitairess'apparentaient en quelque

sorte à des coloniesaméricaines vampires.

Nous intégrerions trèsbientôt leurs rangs, ce quijustifiait que je les aie invitésà une petite réception sur levaste terrain qui entourait laMaison.

Eh oui, une fête allait enfinavoir lieu.

Cette soirée fournirait auxvampires Cadogan l'occasiond'apaiser leurs inquiétudes ausujet des Solitaires - à savoirqui ils étaient et ce que nousétions sur le point de devenir -et permettrait également à cesderniers de mieux nous

connaître.— C'est la Maison Cadogan,

et Merit est la présidente ducomité des fêtes, ricana Luc.Je crois que c'est la recetteparfaite pour un désastre.

Luc, tout comme Ethan,adorait me taquiner.

— Très drôle, maugréai-jetandis qu'Ethan enfilait saveste. Si tu as raison, ce serala punition d'Ethan pourm'avoir nommée présidente ducomité des fêtes.

— Cela dit, tu l'as bel et bienattaqué en lui reprochant det'avoir transformée envampire, souligna Luc.

— Seulement parce qu'iln'avait pas bien fait sontravail.

— Je rejette l'idée que je soiscapable de mal faire quoi quece soit, intervint Ethan.

— Toujours aussi modeste,Sire, se moqua Luc.

Luc appelait Ethan « Sire »même si ce dernier n'était plusà proprement parler le Maîtrede la Maison. Cet honneurincombait à Malik, le vampirequi lui avait succédé à samort. Depuis son retour, etmême si aucun changementofficiel n'avait été effectué,tout le monde considérait que

chacun avait repris sesfonctions : Ethan celle deMaître, Malik celle de Second,et Luc celle de Capitaine de laGarde. C'était tout bonnementplus simple que d'obéir à deuxfois plus de supérieurs ou sedemander comment lesappeler. Ethan ne voyaitmanifestement aucuneobjection à rendosser son rôlede Maître, et les autres nesemblaient pas montrer lamoindre réticence à renoncerà leur promotion.

— Toujours est-il que je suisdésolé de vous avoir dérangés,

ajouta Luc.— Tu ne nous dérangeais

pas du tout, protestai-je.— Non, pas du tout, répéta-t-

il en me gratifiant d'une tapeamicale dans le dos. J'adore tevoir rougir. C'est tellementhumain. Des rappels commeceux-là te permettent degarder les pieds sur terre.

— Elle a parfaitement lespieds sur terre, affirma Ethanen nous rejoignant sur le seuil.Sauf quand je la fais tomber,c'est-à-dire à chaqueentraînement.

— Dans tes rêves, Sullivan.Ethan avait entrepris de

s'occuper de ma formation deSentinelle. Avec ses quatrecents ans d'expérience, il mebattait la plupart du temps.Mais pas toujours, pensai-je ensouriant. Je l'avais surpris unefois ou deux et savourais toutparticulièrement ces victoires.

— Mes rêves sont bien plusintéressants que ça,Sentinelle.

Luc esquissa un geste endirection du couloir avant dedéclarer :

— Nos invités ne vont pastarder à arriver, je suis déjàassez perturbé comme ça, et jen'ai aucun désir d'en apprendre

davantage sur ces rêves, alorsallons-y, d'accord ?

— Lucas, je maudis le jouroù je t'ai offert cettepromotion, lança Ethan d'unton sarcastique.

— Je n'en doute pas, boss.Je n'en doute pas. Tuaccomplis des miracles sur sonsens de l'humour, ajouta Luc àmon intention.

— C'est drôle, je ne m'étaispas rendu compte qu'il en étaitpourvu.

— Et maintenant, vous vousliguez contre moi, soupiraEthan. J'espère que nos invitésse montreront plus généreux.

— Avec toute la viandequ'on s'apprête à faire grillerdehors, ils devraient l'être,gloussa Luc.

Cela ne surprit personne queje détale dans le couloir à lamention du barbecue. Maiscette fois, la nourriture neconstituait pas l'unique raisonexpliquant ma précipitation.C'était le fournisseur quim'intéressait.

Le couloir principal de laMaison traversait le rez-de-chaussée jusqu'à la cafétéria,où une porte permettaitd'accéder au jardin.

Luc et Ethan me suivirent

dehors. La pelouse depuislongtemps jaunie grouillait devampires Cadogan occupés àperfectionner le décor et àdisposer tables et chaises.Tous envoyaient dans l'air desondes de magie chargéesd'excitation. La chanson Howlin for You des Black Keyss'échappait des haut-parleursextérieurs, résultat d'uneautorisation spéciale que nousavait octroyée la ville et de laplaylist que j'avais concoctéeavec Lindsey, ma meilleureamie au sein de la Maison.Cela faisait aussi partie des

devoirs de la présidente ducomité de fêtes, après tout.

Luc s'éloigna en trottinantdans le jardin, agitant les brasà l'intention d'un journalistequi tentait d'escalader la grilledans l'espoir de voler unephoto de la soirée. Lespaparazzis raffolaient desvampires et des fêtes.J'imaginais que les deuxcombinés formaient uncocktail irrésistible.

Cependant, avant que Lucait pu l'atteindre, l'intruspoussa un cri puis disparutderrière la haie.

Il avait sans doute été repéré

par l'une des fées mercenairesque nous avions engagées pourassurer notre sécurité. Ellesdétestaient les humains etn'aimeraient certainement pasvoir un journaliste essayer debriser les défenses érigéesautour de la Maison.

Hormis ce léger incident, lespréparatifs pour accueillir lesinvités - désirés, ceux-ci -allaient bon train. Je ressentisune bouffée de culpabilité à lapensée que je m'étais laissédistraire par Ethan. D'un autrecôté, notre couple avaittraversé son lot d'épreuves, et

nous profitions de chaquemoment d'intimité qui s'offraità nous.

En temps normal,s'aventurer dehors à Chicagoen plein hiver se révélait uneexpérience glaciale, ce quifaisait du jardin un lieu deréception pour le moinsdiscutable. Cependant, la villebénéficiait de températuresexceptionnellement douces, etnous avions installé deschauffages extérieurs afin denous prémunir contre lespetits courants d'air fraisrésiduels. D'énormes ballons

blancs flottaientparesseusement dans la briselégère, et un chapiteauimmaculé ouvert sur les côtésabritait des tables ainsi qu'unepiste de danse en parquet.Avec son toit composé de tissuextensible et d'archesmétalliques, il évoquait uneœuvre architecturale quin'aurait pas déparé aux Beaux-Arts de Paris. Des centaines devampires indépendantsvivaient à Chicago, et nousavions bien l'intention de lesimpressionner, du moins parnotre raffinement et notre bon

goût.Et, bien entendu, par la

profusion de nourriture.Aucune fête digne de ce nomne pouvait s'en passer, et iln'aurait certainement pas ététrès poli d'inviter les Solitaireschez nous sans leur offrir àmanger. Nous avions beauadorer le sang, dont nousavions besoin à des finsnutritionnelles, cela nediminuait en rien notrepenchant pour la cuisinehumaine. D'ailleurs, notremétabolisme accéléré avaitplutôt tendance à accroître

notre appétit.J'avais planifié le menu en

conséquence, m'assurant degarnir nos tables de viandesrôties correspondant auxreligions carnées les pluspopulaires - porc, bœuf etpoulet -, prenant soin de neproposer que des morceaux dechoix. La ville avait étéautrefois réputée pour sonélevage florissant, et cethéritage n'avait pas disparu.On trouvait sans peine despièces de boucherie aptes àsatisfaire tous les goûts, desplus simples aux plus

exigeants.Et la tâche s'avérait

d'autant plus facile quand onsavait où chercher. Dans moncas, je scrutai la foule jusqu'àposer les yeux sur une frêlejeune femme en jean et tablierqui se dirigeait vers les tables,un plateau d'aluminiumchargé de nourriture fumantedans les mains.

Il s'agissait de MalloryCarmichael, sorcièrefraîchement confirmée et -peut-être - ma meilleure amie.Notre relation avait souffert deses récents efforts pour libérerun mal ancien qui avait failli

causer la destruction deChicago. Rien que ça.

Ses cheveux brillaient d'unenouvelle couleur bleuevibrante. Ou plutôt deplusieurs tons de bleu. Elle lesavait teints dans un styledégradé. Bleu pâle à la racine,ils s'assombrissaient jusqu'auxpointes, qui étaient indigo. Cesoir-là, elle les avait relevés enun chignon lâche, car elletravaillait officiellement pourle Little Red Traiteur.

Après avoir relâché un angedéchu, elle avait été engagéepar la Meute des GrandesPlaines en qualité de fille à

tout faire au Little Red, le bar-restaurant d'Ukrainian Villagequi servait de QG auxmétamorphes. Ces derniersavaient plutôt tendance àrester repliés sur eux-mêmes,d'habitude, mais lecomportement de Mallory lespréoccupait tellement qu'ilsavaient consenti uneexception. Elle subissait àprésent le traitement KaratéK i d , effectuant du travailmanuel tout en apprenant à secontrôler et à dominer lamagie qui bouillonnait en elle.

Les membres de la Meute

avaient également prisconscience qu'avec unesorcière tentant de seracheter, ils avaient assez depersonnel pour augmenter leurchiffre d'affaires. Le Little Redproposant déjà d'excellentsplats d'Europe de l'Est, ilsavaient créé un servicetraiteur capable de fournir desrepas complets aux citoyenssurnaturels de Chicago.Uniquement surnaturels pourl'instant, car les humainsn'osaient encore pas se risquerà manger des victuaillespréparées par des

métamorphes.Dès que Mallory eut posé ses

plateaux, Margot, le chefcuisinier de la MaisonCadogan, une vampire bienreconnaissable à ses cheveuxnoirs coupés au carré,entreprit de les disposer sur latable.

— Mallory a l'air en forme,commenta Ethan à côté demoi.

J'approuvai d'un signe detête, aussi soulagée qu'il leparaissait. Par bonheur,Mallory guérissait del'addiction à la magie noire quil'avait dévoyée. Cependant, les

plaies ne s'étaient pas encorerefermées, et les vampiresavaient la mémoire longue.Nous tentions toutes deux dereconstruire notre relation, etsa traîtrise n'était pas du genrede celles qui se résolvent àl'aide d'un grand pot de crèmeglacée ou d'une crise de larmescathartique. Il me faudrait dutemps avant de lui accorder denouveau ma confiance, etj'éprouvais l'impression qu'elleaussi avait besoin de reprendrefoi en elle.

Comme nous nousretrouvions moins souvent

qu'auparavant, je me sentisrassurée de la voir là, en traind'aider les autres au lieu desemer une quelconque pagaillemagique. C'était précisémentla raison pour laquelle j'avaisdemandé à Margot de faireappel au Little Red pour lasoirée. Soutenir le bar revenaità encourager la nouvelleaventure commerciale desmétamorphes et les efforts deguérison de Mallory. Celasemblait une bonne idée à touspoints de vue.

— Elle a vraiment l'air enforme, concédai-je. Je vais lui

dire bonjour.— Très bien, approuva-t-il,

une main dans mon dos. Jevais à l'entrée pour accueillirnos hôtes.

— Et les inviterformellement à pénétrer dansla Maison de manière à nedéroger à aucune règle del'étiquette ?

Il était vrai que les vampiresadoraient les protocoles.

— Tout à fait, répondit-ilavec un sourire. Et peut-êtrepourrions-nous poursuivrenotre discussion au sujet de labibliothèque un peu plus tard ?

Je peinai à contenir le rouge

qui me monta aux joues.— On verra, répliquai-je,

mais le regard entendud'Ethan m'indiqua qu'il necroyait pas un instant à matimidité.

Mes projets pour la soiréeplanifiés, je rejoignis Malloryalors qu'elle s'éloignait de latable, s'apprêtant sans doute àaller chercher un autre plateaude viande.

— Salut, lançai-je, soudaingênée, nos rapports n'ayantpas encore retrouvé leursimplicité passée.

— Salut.— J'aime beaucoup tes

cheveux.J'avais beau ne dire que

l'absolue vérité, c'était ce quece changement symbolisait,plus que la couleur en elle-même, qui me réjouissait.Depuis que je la connaissais,Mallory avait toujours eu lescheveux bleus... sauf pendantsa phase « méchante sorcièrede l'Ouest ». Cette évolutionm'apparaissait comme un bonsigne.

Elle esquissa un sourire etporta sa main à sa chevelure.

— Merci. Ça m'a pris uneéternité et m'a coûté quatreserviettes, mais je crois que le

résultat est correct.— Plus que correct. Le

dégradé de couleurs te vavraiment bien.

— J'ai d'autres trucs à sortirdu camion, déclara-t-elle avecun geste en direction duportail. (Je hochai la tête etl'accompagnai.) Vous êtesprêts pour la fiesta ?

— Aussi prêts qu'on peutl'être. On tente de mélangerdeux groupes de personnes quiont plus ou moins juré de nejamais se fréquenter. Tu voisce que ça peut donner.

— C'est si mal parti que ça ?— Je m'attends à quelques

tensions, répondis-je avechonnêteté.

Nous avions invité desSolitaires à lier connaissancealors que la plupart d'entre euxavaient volontairement évitéle système des Maisons.

Un métamorphe aux braschargés d'une pile de quatreplateaux d'aluminiumdégageant un délicieux fumetde porc nous dépassa. Je nepus m'empêcher de suivre laviande des yeux jusqu'à cequ'elle disparaisse de monchamp de vision.

— Il faudra que je leretrouve plus tard, lâchai-je

distraitement. Et ton travail,comment ça se passe ?

— C'est riche enmétamorphes, répondit-elle enpointant du doigt un camionde livraison blanc garé devantle portail de Cadogan. Je mesens beaucoup mieux, mais j'aiun nouveau problème.

— Quoi donc? demandai-je,craignant une autre addictionmagique ou un nouveau demi-dieu lunatique.

Le « problème » apparut sanstarder, et il était résolumentplus petit qu'un demi-dieu.

— Mishka !Mallory fronça les sourcils

tandis qu'une femmecorpulente aux cheveuxdécolorés descendait duvéhicule. Il s'agissait d'unemétamorphe prénomméeBerna qui tenait le bar etdirigeait les cuisines du LittleRed. Elle était aussi chargéede superviser Mallory, au grandregret de cette dernière,semblait-il.

— Elle t'appelle Mishka ?m'étonnai-je.

— Entre autres. Et elle merend folle. (Mallory saisitd'autres plateaux d'aluminium,puis se tourna vers la sourcede ses ennuis, un sourire

visiblement forcé sur leslèvres.) Oui, Berna ?

Dès que la métamorphe nousrejoignit, elle me tâta le bras.Etant donné qu'elles'inquiétait toujours que je neme nourrisse pas suffisamment- ce qui ne m'arrivait jamais ;c'était juste mon métabolismevampire -, l'index qu'ellem'enfonçait dans le bicepsconstituait une manièreaffectueuse de me saluer.

— Bonjour, Berna. Les platsont l'air délicieux.

—Tu manges assez ? medemanda-t-elle avec un accentprononcé d'Europe de l'Est.

— Toujours, lui assurai-je.— Mange plus, affirma-t-elle

avant de tapoter Mallory dudoigt. Toi, au travail.

— Je disais juste bonjour àMerit.

Berna émit un grognementsarcastique et me pinça le bras- fort - avant de prononcer sasentence :

— Encore trop maigre.Puis elle s'éloigna en criant

sur un autre métamorphe quise dirigeait vers le jardin avecdes sacs plastique remplis depetits pains dans les mains.

— Je devrais m'y remettre,déclara Mallory. Elle a une

idée bien précise de la façon defaire le boulot.

— J'en déduis que vous nevous entendez pas très bien ?

— Elle me rendcomplètement dingue.

— Berna est un peuautoritaire, reconnus-je enmassant mon bras douloureux.Maternelle, à sa manière, maisautoritaire.

— C'est justement là leproblème. Ça fait longtempsque je n'ai pas été maternée, etvingt-huit ans, c'est un peutrop tard pour ce genre dechoses.

Les parents de Mallory

étaient décédés dans unaccident de la route desannées auparavant, et ellen'avait plus de famille.

— Je comprends que ce nesoit pas toujours facile.

— C'est loin de l'être. Maiselle essaie de bien faire, alorsje décompresserai plus tardavec un bain chaud et une pilede magazines people.

Je me demandai si elledécompresserait également enparlant à Catcher Bell, sonpetit ami, ou, du moins, celuiqui avait été son petit amiavant les incidents magiquesqu'elle avait provoqués. Je ne

savais pas exactement où ilsen étaient, mais, comme ellen'évoqua pas le sujet, je ne luiposai pas de questions. Mêmesi j'étais morte de curiosité.

— C'est efficace, un bain etdes magazines ?

— Pas assez, déplora-t-elle.Mais quand on n'a pas le droitd'utiliser la magie, on fait cequ'on peut. J'ai l'impression desuivre le pire régime aumonde.

— Mishka !— J'arrive ! cria Mallory

avant de m'adresser un sourirecontrit. Je suis contente de tevoir, Merit.

— C'est réciproque.— Hé, on pourrait peut-être

faire un truc ensemble, un deces quatre, si ça te dit ?ajouta-t-elle, levant sur moi unregard teinté de timidité.

L'hésitation que je marquaimalgré moi avant de répondreme peina un peu. Mais j'avaisencore besoin de temps.

— Euh, oui. D'accord.Appelle-moi.

Son sourire s'élargitlégèrement, puis elle trottinaen direction du camion où ellese chargea de plateaux denourriture suivant lesinstructions de Berna.

On pouvait dire ce qu'onvoulait de Mallory, elles'accrochait pour reprendre lecontrôle de sa vie. Je devaisrespecter ses efforts, etj'espérais sincèrement qu'ellepoursuivrait dans cette voie.

2.

Pas de deux* Une heure plus tard, le

jardin grouillait de Solitaireset de vampires Cadogan. Ilssemblaient assez bien se mêlerles uns aux autres, ce quicorrespondait d'ailleurs àl'objectif de la fête. Sil'habillement constituait unequelconque indication, les

Solitaires présents arboraientdes tenues bien plusexcentriques que ceux quiavaient déjà pénétré dansl'enceinte de la Maison.Quelques-uns étaient vêtus dumême genre d'uniformemilitaire noir que ceux quenous avions rencontrés, maisles autres n'auraient jamaispassé avec succès la moindreinspection de l'armée. Ilsportaient des vestes etpantalons en cuir épais, destee-shirts batik, des ensemblesgothiques classiques ou desrobes de soirée.

* En français dans le texte. (NdT)

Certains avaient été refoulésou exclus du système desMaisons, tandis que d'autresavaient choisi de leur plein gréleur vie de Solitaires. Et à enjuger d'après les apparences,cette existence leur convenait.

En diplomate confirmé,Ethan évoluait de groupe engroupe, serrant les mains etparticipant aux conversationsen prêtant une oreilleattentive.

— Pas mal pour une fête dedernière minute, déclara Lucen se postant à côté de moi.

— C'est une fête de dernièreminute uniquement parce que

nous étions accaparés par latransition, soulignai-je.

Ethan apparut à mon côtéet désigna un homme auxlarges épaules qui discutait unpeu plus loin avec Kelley, lavampire qui avait pris le postede Capitaine de la Garde quandLuc avait été promu Second.Etant donné que celui-ci avaitplus ou moins réintégré sesfonctions, je supposai qu'elleétait à présent coCapitaine.Franchement, notreorganisation managérialelaissait à désirer.

— Noah vient d'arriver,annonça Ethan. Allons le

saluer.Je n'avais pas revu Noah

depuis qu'il m'avait proposéd'intégrer la Garde Rouge, uneformation clandestine quis'était fixé pour mission detenir à l'œil le Présidium deGreenwich et les Maîtres desdifférentes Maisons afin des'assurer que les vampiresétaient traités avec justice.

J'avais accepté l'offre, etJonah, le Capitaine des gardesde la Maison Grey, avait étédésigné comme monpartenaire.

Ethan ne savait rien de laGR ni de Jonah, et ignorait

également que Noah faisaitpartie de cette organisation.Une bouffée de nervositém'envahit. Je ne jouais passouvent au poker, mais j'allaisdevoir bluffer si je voulaisafficher une certainenonchalance.

Suivant Ethan, je traversaila pelouse en direction deNoah, qui était entouré devampires vêtus de noirconformes à l'image que j'avaisgardée des Solitaires. Il levales yeux à notre approche etnous salua d'un légerhochement de tête.

— Ethan, Merit, dit-il avant

de s'adresser à ses camarades.Je vous retrouverai plus tard.

Ses compagnons disparurentdans la foule.

— Tout va bien ? demandai-je.

— Juste quelques petitsproblèmes personnels,répondit-il sans préciser avantd'esquisser un sourire. Vousavez l'air heureux et en forme,tous les deux. J'ai été soulagéd'apprendre que vous aviezréussi à maîtriser Mallory etles deux Tate.

Seth Tate, l'ancien maire deChicago, s'était révélé être unange lié par la magie à son

jumeau démoniaqueDominique. Il avait occis sonfrère et quitté la ville afin dechercher la rédemption et sefaire pardonner les crimes qu'ilavait commis quand sondouble partageait son âme.Nous n'avions plus entenduparler de lui depuis lors.

— Nous aussi, affirmaEthan. Même si la situation aété critique pendant unmoment.

— Eh bien, l'important, c'estque vous ayez mis fin à lacrise.

Il embrassa du regardl'imposante silhouette de la

Maison Cadogan, notre foyersitué dans le quartier de HydePark. Le manoir de deuxétages était bâti en pierre pâleet paré d'ornements en fer. Ildatait de l'âge d'or de Chicago,époque où d'ambitieuxcitoyens s'étaient enrichisgrâce au développement del'élevage et de l'industrie, etavaient fait construire demajestueuses demeures pour lemontrer. Certaines d'entreelles avaient disparu, d'autresavaient été divisées enappartements. Quelques-unesrestaient des propriétés

familiales... mais une seuleabritait une troupe devampires.

— Est-ce que vous êtes prêtsà quitter le PG ? s'enquit Noahen braquant de nouveau sonregard sur nous.

— Seul le temps nous dira àquoi ressemble la vie de l'autrecôté, répondit Ethan. Cela dit,vu le venin que le PG a crachédans notre directiondernièrement, je ne m'attendspas à un changementsignificatif. S'ils doivent noushaïr, autant qu'ils le fassentsans percevoir notre dîme. Toiet les tiens avez plutôt bien

réussi.— Avec de la prudence et de

la technique, répliqua Noah.On garde les yeux ouverts, enprenant soin de se tenir àl'écart de la ligne de mire duPG.

— À ce point-là ? m'étonnai-je à voix haute.

Ethan m'avait expliqué quele Présidium adoptait uneapproche « tout ou rien » avecles vampires : ceux quin'étaient pas des membresétaient considérés comme desennemis. Cependant, je n'avaisjamais vu les représentants duPG s'en prendre à un Solitaire.

Harceler les Maisons et punirceux qui n'adhéraient pas àleurs standardscomportementaux à l'intérieurdu système semblait lesintéresser davantage.

— La plupart des problèmesque nous avons rencontrésrécemment concernent desaffaires internes, ajouta Noah.Des histoires entre Solitaires,où les vampires affiliés nejouent aucun rôle. Mais à uneépoque, le PG marquait trèsclairement les frontières entreMaisons et Solitaires,frontières qu'il faisait

respecter à la lame de l'épée.— Avec toutes les sources de

préoccupations qui existent aumonde, le Présidium crée del'animosité sans raisonparticulière, soupirai-je.

— Oh, il y a une raison,objecta Ethan. Si le PG réussità convaincre les Maisons queles Solitaires sont dangereux,il gagne par défaut. Il proposeune critique constructive etpréserve de tout ce qui estmauvais.

— Donc le PG provoque lecrime contre lequel il offre uneprotection, conclus-je.

— Il y a un an, j'aurais jugé

cette remarque ridicule, repritEthan. Aujourd'hui, je crainsqu'elle ne soit pas si éloignéeque cela de la réalité. Mais lePG n'est pas là, et notreaccréditation ne nous a pasencore été retirée. Alors pourl'instant, mangeons, buvons etamusons-nous.

— Pour demain, nous... ?commença Noah.

— Nous verrons, réponditEthan avec un sourire rusé. (Iljeta un coup d'œil à quelqu'unque je ne vis pas dans la fouleet hocha la tête avant dereporter son regard sur nous.)Si vous voulez bien m'excuser,

on m'appelle. Sois gentilleavec nos nouveaux alliés,Sentinelle.

— Très drôle, marmonnai-je,profitant du spectacle qu'ilm'offrit en s'éloignant.

— Tu sembles conquise,commenta Noah.

Mes joues s'enflammèrent.— Il se trouve que oui. Même

si je me demande encorecomment c'est arrivé.

— Ce n'est pas le genred'homme avec qui je t'auraisimaginée.

— Moi non plus, et passeulement parce qu'il a descrocs. (J'avais initialement

prévu d'éviter de sortir avecdes vampires ; ce plan avaitéchoué.) Mais quelle qu'en soitla raison, on s'entend bien. Onse complète. J'ai beau essayerde l'expliquer, je n'y arrive pas.

— Des liens comme celui-cisont rares et précieux, déclaraNoah avec un soupçond'amertume qui me conduisit àpenser qu'il avait expérimentécette rareté. D'après ce quem'a indiqué Jonah, ta relationavec Ethan n'affectera pas tonimplication au sein de la GR ?

En dépit de son tonnonchalant, je me doutais qu'ilne m'aurait pas posé la

question s'il avait vraimentcru l'affirmation de Jonah.

Margot se dirigea vers nousavec un plateau de délicatesflûtes de cristal dans lesquellesétincelait du Champagne doré.

— Vous désirez boire quelquechose ? s’enquit-elle.

Acquiesçant d'un signe detête, je m'emparai d'un verreet avalai une longue gorgée.Noah m'imita.

— J'ai fait une promesse,assurai-je une fois que Margotse trouva hors de portée devoix. Et j'ai l'intention de latenir.

— Très bien.

Il avait parlé avec justeassez de douceur pour que jeme demande s'il confirmaitmon allégeance ou s'il lamettait en doute.

Lorsque le dîner fut servi, je

rejoignis Lindsey à table sousle chapiteau.

Blonde et athlétique, elleétait dotée d'une intelligenceincroyable. Elle possédaitégalement un sens aigu de lamode, un humour décapant etun sentiment de loyauté si fortqu'il avait failli tuer dans l'œufsa relation avec Luc. Elle avaitcraint qu'une histoire

amoureuse ruine leur amitié,mais tout paraissait bien sepasser pour eux.

Deux Solitaires étaientattablés en face de nous.

Alan, qui portait unechemise écossaise, avait l'airmerveilleusement normal,pour un vampire. Il nousexpliqua qu'il était employépar une compagnied'assurances. Je ne comprispas exactement la nature deses activités, mais celasemblait impliquer beaucoupde maths et, par chance, luipermettait de travailler lanuit.

Beth, qui arborait un style

Beth, qui arborait un stylegothique, tenait une boutiquede tatouage à Wrigleyville etexerçait à mi-temps commedanseuse de cabaret. Elle avaitdes cheveux noirs ondulés,une silhouette aux formesgénéreuses soulignées par unetaille de guêpe, et elle grognaitun peu quand elle riait, ce quilui arrivait souvent.

Alan et Beth avaientrécemment fait connaissancesur un site Internet derencontres consacré auxvampires de Chicago, et cettesoirée constituait leur toutepremière sortie. Cet aveu me

procura une immense fierté,même si ce n'était en riengrâce à moi qu'ils s'étaienttrouvés.

Après avoir bu une gorgée desoda, Alan reposa sa bouteille,puis prit la parole :

— Vous savez, le PG aurabeau vous appeler desSolitaires, il y aura toujoursune grande différence entrevous et nous.

— Qu'est-ce que tu veuxdire ? demanda Lindsey.

— Vous avez une Maison,expliqua Alan. Même si vousne faites pas partie du PG,vous appartenez à un groupe.

Vous avez accepté de vivre ettravailler ensemble, de sortirensemble. C'est plus ou moinsune communauté, je metrompe ?

En fait, je n'avais pasvraiment accepté de vivre etde travailler à la MaisonCadogan. J'avais été attaquéepar un Solitaire qui m'avaitlaissée pour morte, et Ethanm'avait transformée envampire pour me sauver la vie.Intégrer la Maison Cadogann'avait constitué qu'unbénéfice collatéral. Ou uncoût, en fonction du point de

vue d'où l'on se plaçait.— Alan, le réprimanda Beth.Il chassa son reproche d'un

haussement d'épaules.— Je ne veux pas vous

vexer, ajouta-t-il. Je memontre juste honnête. C'est ceque croient de nombreuxSolitaires. Que vous pensezfaire partie d'un club etestimez que ça vous rendsupérieurs aux autres.

Cette idée ne m'avait mêmepas effleuré l'esprit, etj'imaginais qu'il en était demême pour Lindsey. Nousn'étions pas du genre élitiste.Du reste, Cadogan était sans

doute la Maison la moinsélitiste de Chicago. D'aprèsmon humble avis, les vampiresNavarre se montraient bienplus snobs, et ceux de laMaison Grey, qui valorisaientle sport par-dessus tout,avaient une forte tendance àl'entre-soi.

D'un autre côté, il avaitraison en affirmant que nousfaisions partie d'un club. Troiscents vampires étaientassociés à la Maison Cadogan.Nous étions presque unecentaine à vivre sous le mêmetoit à Hyde Park, dans nos

chambres d'internat. Nousmangions ensemble, nousentraînions ensemble, etparfois travaillions ensemble.Nous avions des positions etdes titres, des règles, des tee-shirts et des médailles quiproclamaient au monde notreappartenance au groupe.

— Nous formons une sortede communauté, reconnus-je.Ce qui nous rend loyaux lesuns envers les autres etdésireux d'œuvrer pour le biende la Maison. Mais je neconnais personne à Cadoganqui nous juge supérieurs au

reste des vampires.— En tout cas, je trouve que

tu as l'air cool, affirma Beth.— Elle est cool, confirma

Lindsey. Pour une intello.Beth et Alan me paraissaient

cool, eux aussi, et ils nesemblaient pas malheureux devivre en marge du système desMaisons.

— Et on ne pense pas qu'il yait quoi que ce soit de mal àfaire partie d'une Maison,poursuivit Beth avec unsourire. Ce n'est pas notretruc, c'est tout.

Une série de tintementsnous incita à nous tourner

vers Ethan qui se tenait nonloin de là, une flûte deChampagne dans une main,une fourchette dans l'autre.

— Si vous voulez bienm'accorder votre attention,déclara-t-il en posant safourchette sur la table voisinependant que le silences'installait dans la foule.J'aimerais profiter de cetteoccasion pour souhaiter labienvenue aux vampires nonaffiliés de cette ville à laMaison Cadogan. J'espère quevous avez eu l'impression quenotre porte vous était ouverte,

et, surtout, que vousconserverez ce sentimentaprès notre changement destatut. Il est vrai que noussommes des vampiresCadogan. Mais nous avonstoujours été et resterons uncollectif de vampires. Nousavons choisi de nous unir toutcomme vous avez choisi depréserver avec fierté votreindividualité, et nousrespectons votre décision.Nous cherchons un nouveaumoyen de vivre et de prospéreren tant que vampires. (Unsourire décontracté s'étira sur

ses lèvres.) Il est possible quenous vous demandions conseil.

Quelques rires appréciateurss'élevèrent dans l'assistance,accompagnés de quelquesgrognements dubitatifs. Detoute évidence, les Solitairesde la ville ne nousaccueilleraient pas à brasouverts d'entrée de jeu; nousdevrions faire nos preuvesauprès d'eux comme nousl'avions fait auprès du PG. Etpeut-être que, contrairementau Présidium, eux nousécouteraient.

Ethan baissa les yeux unmoment, son front barré d'une

ride, signe d'inquiétude. Et,effectivement, lorsqu'il reportason attention sur la foule,l'anxiété se lisait dans sonregard.

— Nous vivons une époqueétrange, poursuivit-il. Nousavons été mis à l'épreuve, toutcomme cette ville. Les récentsévénements ont durementaffecté Chicago et sesvampires, et la situation nedevrait pas s'arranger àl'avenir. L'annonce del'existence d'autressurnaturels, bien qu'efficacepour détourner les feux des

projecteurs des vampires, aaccru la méfiance des humainsà notre égard. Les exactions deTate n'ont pas contribué àaméliorer cet état de fait, pasplus que l'attitude du nouveaumaire.

Ce dernier point étaitindéniable. Diane Kowalczyk,le nouveau maire de Chicago,ne brillait pas par sonintelligence et ne cachait pasles préjugés qu'elle nourrissaità l'égard des surnaturels. Elles'était même acoquinée avecun certain McKetrick, unancien militaire qui vouait aux

vampires une haine féroce.— Au risque de médire de

nos futurs ex-dirigeants, je nevous surprendrai pas en vousapprenant que le Présidium deGreenwich a fermé les yeuxsur ces incidents et refuséd'accepter les changements dumonde qui nous entoure. Nousréprouvons cette attitude etpensons qu'il est tempsd'évoluer. Cette semaine, nousprenons position. Nous nesommes pas capables deprédire l'avenir, mais nousagissons au mieux, enespérant que l'amour, la

chance et l'amitié nousaideront à survivre à cettepériode tourmentée. (Il leva sacoupe de Champagne.) Que lesvents soient favorables à vosvoyages, quelle qu'en soit ladestination. Santé.

— Santé, renchérirent lesmembres de l'assistance avantde boire une gorgée.

Sans perdre un instant,Ethan se dirigea vers Noah etlui serra la main. Lesdiscussions recommencèrent,et les convives reprirent leuringestion de protéines pendantque deux des plus éminentsvampires de la ville

fraternisaient sous les yeux deleurs subalternes.

Je devais reconnaîtrequ'Ethan avait réussi un tourde force : comme il l'avaitaffirmé, nous traversions uneépoque troublée, et pourtant, ilétait parvenu à convaincreune partie des vampires nonaffiliés de Chicago des'aventurer sur notre domaine,de partager un repas avec nouset de porter un toast à notreavenir commun. Crocs ou pas,cet homme savait manier lesmots.

Heureusement pour moi, sestalents ne se limitaient pas à

sa maîtrise du vocabulaire.Comme s'il avait senti que

mes pensées prenaient unetournure quelque peuindécente, Ethan posa lesyeux sur moi et m'adressa unsourire qui suffit à mechavirer.

Sa conversation avec Noahterminée, il se mit à marcherdans ma direction sous lesregards appréciateurs de toutesles femmes - et de quelqueshommes -, véritableincarnation de la masculinité,idéal de perfection vampire.

Il s'arrêta derrière ma chaiseet tendit la main. Tous les

convives installés autour de latable se turent.

— Danse avec moi, déclara-t-il.

Mes joues s'enflammèrent.— Il n'y a pas de musique.Avant qu'il ait eu le temps

de répondre, le quatuor qui setenait dans un coin - ungroupe de vampires Cadogan etde Solitaires possédant destalents de musiciens - entonnaun morceau de jazz.

— Tu leur as demandé decommencer à jouer partélépathie ? lançai-je à Ethanen lui décochant un regardsardonique.

— À quoi bon être doué detélépathie si on ne peut pass'en servir pour faire quelquespetites plaisanteries,Sentinelle ?

J'entendis le soupirlangoureux d'une femme à madroite et captai l'expressionrêveuse d'un homme à magauche. Ethan attisait lesconvoitises des deux bords.

— Merit ? insista-t-il enagitant les doigts.

Vu que tous les invitésguettaient ma réaction, ilaurait été difficile de déclinerla proposition d'Ethan, mêmesi je n'avais pas eu de

sentiments pour lui. Le faitque j'en aie rendait tout refusimpossible.

— Bien sûr, dis-je englissant ma main dans lasienne avant de le laisser meconduire jusqu'à la piste dedanse improvisée.

Dieu que cet homme savaitbouger...

Il m'enlaça la taille d'ungeste ferme, comme undanseur sur le point dedisputer une compétitiontélévisée. Avec desmouvements mêlant swing ettango, il m'emporta sur lapiste avec l'agilité d'un expert

tout en gardant rivés auxmiens ses yeux d'un vertincroyable. Par chance, j'avaisété ballerine dans monancienne vie d'humaine, ce quime permit de le suivre sanspeine. Je m'efforçai mêmed'offrir une belle performance -du moins autant que possiblecompte tenu de mon pantalonet de ma veste en cuir ajustée -, à la grande surprise desSolitaires et des vampiresCadogan.

Lorsque la musique s'arrêta,Ethan me renversa dans sesbras, un sourire espiègle sur

les lèvres et des étincelles dansles yeux. La réalité se rappelaà moi sous forme d'uneassourdissante clameur tandisque les spectateurs autour dela piste de danseapplaudissaient à tout rompre.

Ethan me redressa avec unevigueur qui fit voler ma queue-de-cheval par-dessus monépaule.

— Et voilà comment onimpressionne les foules,Sentinelle.

La chaleur envahit mesjoues pendant que j'agitais lamain à l'intention desditesfoules, les remerciant de leurs

ovations.Cependant, lorsque j'aperçus

Noah entouré des vampiresvêtus de noir avec lesquels ildiscutait plus tôt dans lasoirée, je compris que ma joieserait de courte durée.Impossible de ne pasremarquer le désarroiqu'affichait Noah ou les coupsd'œil anxieux que sescompagnons ne cessaient dejeter dans notre direction.

Je posai délicatement lamain sur le bras d'Ethan et mepenchai de manière à effleurerson oreille de mes lèvres. Nosobservateurs prendraient ce

geste pour un signed'affection, ce quej'escomptais.

— Il se trame quelque chose,chuchotai-je. Noah est entouréde Solitaires, et ils ont l'airinquiets. Tu les trouveras à 8heures.

Feignant de m'embrasser surla joue, Ethan lança un regardpar-dessus son épaule.

— Je les ai repérés, déclara-t-il en reportant son attentionsur moi. Est-ce que tucomprends de quoi ilretourne ?

En tant que prédateurs, lesvampires possédaient des sens

exceptionnellement aiguisés,qu'il s'agisse de l'ouïe, de lavue ou de l'odorat. Toutefois,la masse de convives etd'énergie magique autour demoi m'empêchait de saisir cequi se passait.

— Non, répondis-je. Peut-être qu'une invitation dans tonbureau... ?

— C'est sans doute unebonne idée, concéda-t-il.

Il me prit la main et quittales feux des projecteurs enadressant des sourires et desgestes de salutation àl'assistance.

— Distrais nos hôtes,

murmura-t-il à Luc, qui hochadocilement la tête avant de sediriger vers le centre de lapiste en parquet.

— C'est la fête ! cria cedernier en tapant des mainsalors que résonnaient lespremières notes enjouées d'unechanson de David Bowie. Quetout le monde danse !

Sous les encouragements deLuc, les vampires se pressèrentvers la piste.

Je sortis du chapiteau aucôté d'Ethan pour rejoindreNoah et son groupe deSolitaires visiblement agités.La peur se lisait sur leurs

traits, et il émanait d'eux unemagie tendue qui me donna lachair de poule.

— Est-ce que tout va bien ?s'enquit Ethan.

Noah se tourna vers sescompagnons et porta sonregard sur une jeune femmeaux cheveux courts arborantun pic argenté à chaquearcade sourcilière. Ses yeuxrougis par les larmestranchaient avec son lookprovocateur. Elle adressa unhochement de tête à Noah, luisignifiant une quelconqueapprobation. La démocratiedes Solitaires à l'œuvre.

Noah marqua une pause,comme pour peser unedécision.

— Peut-être pourrions-nousparler en privé ? demanda-t-il.Nous avons un problème dontnous aimerions vous faire part.

— Bien sûr, dit Ethan enesquissant un geste endirection de la porte. Allonsdans mon bureau. Nous yserons tranquilles pourdiscuter. (Son regard passa surles autres membres du groupe.)Tous ceux qui veulent sejoindre à nous sont lesbienvenus.

Mais ils s'écartèrent avec

fébrilité, comme des chatssauvages craignant de se fairecapturer.

— Je reviens, leur affirmaNoah.

Il pressa la main de la filleaux piercings en signed'encouragement, et ils noussuivirent tous deux àl'intérieur de la Maison.

Notre petit groupe traversa

le couloir en silence. Une foistout le monde entré dans lebureau, Ethan ferma la porte.Noah alla aussitôt s'asseoir surl'un des fauteuils en cuir ducoin salon. Sa compagne

l'imita. Je m'installai sur lecanapé d'en face, et Ethan pritplace à mon côté.

— Qu'est-ce qui vouspréoccupe ? interrogea Ethan.

— Deux de mes vampiresont disparu, et nous craignonsqu'ils aient des ennuis.

Ethan écarquilla les yeux.— Je suis désolé de

l'entendre. Raconte-nous toutdepuis le début, si tu veuxbien.

Noah acquiesça d'un signede tête.

— La nuit dernière avait lieuune réunion, une rencontreque nous organisons une fois

par mois pour les Solitaires dela ville. Rien de formel nid'officiel, juste l'occasion denous retrouver et de discuter.Certains sont intéressés parces soirées, d'autres non. Enmoyenne, une trentaine ouune quarantaine de vampires yassistent. La plupart viennentrégulièrement, dont un jeunecouple, Oliver et Eve. Ils ontquitté Kansas City quand le PGy a créé la Maison Murphypour rassembler et contrôlerles Solitaires. Ça ne leur disaitrien d'intégrer une Maison,alors ils ont déménagé pour

s'installer à Chicago. Mais onne les a pas vus à la soirée.

— Est-ce vraimentanormal ? demanda Ethan.

— Plutôt, affirma Noah.D'après mes souvenirs, ilsn'ont manqué aucune réuniondepuis leur arrivée à Chicago.

— Ils n'ont pas agiconformément à leurshabitudes, commenta Ethan.

— Précisément, confirmaNoah. Et ça a inquiétéquelques-uns de nos Solitaires.

— C'est compréhensible.— Je vais me montrer

honnête avec vous : je ne suispas convaincu que ça signifie

quoi que ce soit. Oliver et Evesont des jeunes gens plutôtdiscrets, et je ne suis pas dugenre à poser beaucoup dequestions personnelles. Il n'estpas impossible qu'ils aient eu àrégler une affaire dont ilsn'auraient pas voulu nousparler. Les vampires de KansasCity ont tendance à être assezréservés.

— S'ils n'ont pas assisté àvotre soirée, où les a-t-on vuspour la dernière fois ?interrogea Ethan.

L'expression de Noah se fitplus grave.

— A un endroit où nous

devrons tous aller un jour oul'autre.

Cette réponse énigmatiquepiqua ma curiosité. Où lesvampires devaient-ils tous serendre ? Chez unorthodontiste spécialiste descrocs ? Dans un centre decollecte de plasma ? Chez uncouturier spécialisé ?

— Dans un centred'enregistrement ? tentaEthan.

Les politiciens de Chicagoavaient décrété, dans une crised'ethnocentrisme, que forcerles vampires à se déclarerauprès des services

municipaux renforcerait lasécurité à Chicago. Ce en quoiils se trompaient. Le fichageprovoquait colère et frayeurchez mes semblables,émotions que les humainscherchaient précisément àéviter. Chicago comptaitplusieurs bureauxd'enregistrement, financés parles taxes que les vampiresdevaient payer pour obtenirleurs papiers.

Noah confirma d'unhochement de tête.

— Exactement. Avant-hier,Eve a pris une photo d'elle etd'Oliver dans la file d'attente

du centre avec son téléphone.Elle l’a envoyée à quelquesamis, dont Rose.

Il désignait la femme assiseà côté de lui.

— Vu ce que tu nous asappris sur eux et les raisonspour lesquelles ils ontdéménagé à Chicago, je suissurpris qu'ils aient décidé de sedéclarer auprès de la ville,remarqua Ethan.

— Ça m'a étonné aussi,reconnut Noah. La plupartd'entre nous ont refusé de seprésenter aux servicesmunicipaux. De nombreuxSolitaires ont le sentiment que

le fichage des vampires neconstitue que le premier pasavant la prison. Ils rejettentdéjà le système des Maisons deleurs semblables ; ils necomptent certainement pas selivrer de leur propre gré auxhumains au risque de se faireincarcérer.

Je comprenais sesinquiétudes, même si j'étaismoi-même dans l'impossibilitéd'échapper à cette loi. Avecmon père qui était un vraimagnat de l'immobilier et maphoto qui s'était étalée dansles journaux, j'étais trop

connue pour éviterl'enregistrement, ce quiexpliquait pourquoi ma carted'identité plastifiée dormaitbien à l'abri dans monportefeuille, aussi offensantefût-elle.

— Si on les a vus il y a deuxjours, qu'est-ce qui vous arendus nerveux ce soir ?poursuivit Ethan.

— Rose a reçu un coup detéléphone d'Oliver un peu plustôt dans la soirée. En fait, ellene lui a pas parlé ; personnen'a rien dit à l'autre bout dufil. Mais elle croit avoirentendu quelque chose.

— Quoi donc ? luidemandai-je.

— Je ne suis pas sûre,répondit-elle d'une voix douce.J'ai cru qu'il m'avait appeléepar erreur, qu'il s'était trompéde numéro ou quelque chosecomme ça. Personne neparlait, mais il m'a sembléentendre un bruit, puis desvoix, mais elles étaientétouffées. Je ne suis pasvraiment certaine...

Elle jeta un coup d'œil àNoah, hésitant visiblement àen révéler davantage.

— Rien d'autre ?l'encourageai-je.

— J'ai cru entendre... duremue-ménage, peut-être unebagarre ? Comme si onbougeait des meubles ou quedes gens tombaient par terre,ce genre de bruits.

Ethan hocha la tête, puisreporta son attention surNoah.

— Est-ce que tu as prévenula police qu'il était possiblequ'Oliver et Eve aientdisparu ?

— Non, et je n'en ai pasl'intention. Nous n'apprécionspas particulièrement lesautorités policières de la ville.Leur histoire avec les vampires

laisse quelque peu à désirer. (Iljoignit les mains, les coudesposés sur ses genoux, et sepencha en avant.) Ecoutez,peut-être qu'il se passe quelquechose, peut-être pas. Oliver etEve ont déjà quitté unecommunauté vampire. Ilspourraient l'avoir fait denouveau. Et nous n'aimons pasparticulièrement faire appelaux autres. Vous impliquerdans cette affaire est...difficile pour nous. Mais lasituation nous semble assezpréoccupante pour qu'on jugequ'elle vaille la peine de s'y

intéresser. Je suis désolé dejouer les trouble-fête. Nousn'avions vraiment pasl'intention de vous causer desennuis ce soir.

Ethan chassa ses craintesd'un geste avant d'affirmer :

— Vous êtes inquiets, etnous sommes collègues. Noussommes heureux de vousécouter.

Subtile manœuvrepoliticienne, notai-je en monfor intérieur.

— Au risque de vous mettredans l'embarras, est-ce quevous pourriez mener quelquesrecherches ? s'enquit Noah.

Vous avez quelques relations.Ton grand-père, tout d'abord,précisa-t-il à mon intention.Chuck Merit est quelqu'un debien. Toute l'aide qu'il pourranous offrir sera la bienvenue.

J'acquiesçai. Mon grand-père était indéniablementquelqu'un de bien. Et mêmed'extraordinaire, à mon avis. Ilavait occupé le poste deMédiateur de la ville, du moinsjusqu'à ce que DianeKowalczyk supprime cettefonction. Cependant, mongrand-père n'avait pas pourautant abandonné sa mission ;

il avait transféré son bureaudans sa propre maison.

Le silence flotta unmoment. Je soupçonnaisEthan de se demander s'ilpossédait les ressourcesnécessaires pour se chargerdes problèmes de quelqu'und'autre, d'autant plus que laréalité desdits problèmesn'était pas avérée.

— Je sais que vous avez fortà faire en ce moment, ajoutaNoah. Mais de toutes lesMaisons, Cadogan est la seulesusceptible de nous écouter.

Ethan posa son regard surmoi.

—Est-ce que tu es prête à endiscuter avec ton grand-père ? m'interrogea-t-il partélépathie. Comme Noah l'asouligné, j'ai fort à faire, ence moment.

— Bien sûr, répondis-je. Etpuis, si on ne les aide pas,qui va le faire ?

Le nouveau maire semoquerait de leurs angoisses,et les autres Maisons évitaientla politique et la controverse àtout prix.

Une lueur de fierté éclairales yeux d'Ethan. Il étaitsatisfait que je ne recule pasdevant le problème, que je sois

prête à m'y attaquer de front.De mon côté, j'étais heureusequ'il ne laisse pas le souci desapparences et lesconsidérations politiques ledévier de la voie que nousdevions emprunter. Bienentendu, notre départ du PGnous permettait une plusgrande marge de manœuvre.

— C'est d'accord, déclaraenfin Ethan. Peut-êtrepourrait-on examiner la photoqu'Eve a prise devant le centred'enregistrement ?

— J'ai encore mieux à vousproposer, répondit Noah. Jevais vous escorter jusque-là.

Ethan informa Luc et Malikde nos intentions, tout ens'assurant que la soirée sedéroulait sans encombre.Tandis que Rose rejoignait songroupe de Solitaires,j'accompagnai Ethan dans lehall, où nous attendait Noah.Tous vêtus de noir, notregravité détonnait parmi lesdécorations festives de laMaison.

— Tu montes dans notrevoiture ? proposa Ethan, ceque Noah refusa d'un signe detête.

— J'ai d'autres affaires àrégler quand nous aurons

terminé. Je vous retrouve là-bas ?

Ethan approuva. Noah nousavait déjà communiquél'adresse du centred'enregistrement. Il se trouvaitdans le quartier de Little Italy,près du campus universitaire.

— On te suit.Ethan, en qualité de

dirigeant, avait le privilège dedétenir une place de parkingau sous-sol de la Maison, cequi lui évitait d'avoir à dégagersa voiture après une tempêtede neige, demander àquelqu'un de lui réserver uneplace en approchant de Hyde

Park ou tenter de se garer endouble file entre d'énormesvéhicules et une montagne deneige solidifiée formant untrottoir secondaire.

Après avoir descendul'escalier principal menant ausous-sol, il inséra sa clé dansla serrure du garage et ouvritla porte. Je m'immobilisai surle seuil.

Sur la place de parkingd'Ethan, qui avaittemporairement été occupéepar une Aston Martin, setrouvait un coupé deux portesrutilant rouge carmin au capotmuni d'une grille évoquant un

sourire.— Qu'est-ce que c'est que

ça ? m'exclamai-je.Ethan débloqua la sécurité

avec un « bip » avant de sediriger vers le côté conducteur.

— Ça, Merit, c'est uneBentley Continental GT.

— Elle a l'air toute neuve.— C'est le cas.Je fouillai le parking du

regard ; pas d'Aston Martin.— Il est arrivé quelque chose

à l'Aston Martin ?— Non, répondit-il en

ouvrant la portière, les sourcilsfroncés. C'est juste qu'elle neme convenait pas.

Ethan avait perdu sonprécédent véhicule, uncabriolet Mercedes fuselé, à lasuite d'une rencontreinfortunée avec les jumeauxTate quand ils ne formaientencore qu'un seul homme.L'ex-maire avait fait sortirnotre voiture de la route - etnous à l'intérieur. Une chute àlaquelle la Mercedes n'avaitpas survécu.

Je comprenais très bien lelien unissant un conducteur àsa voiture. J'utilisais toujoursla grosse Volvo orange que jepossédais depuis des années.

Elle n'avait riend'exceptionnel, mais j'avaisfini de la payer, et elle memenait là où j'avais besoin deme rendre.

Mais tout de même. Il avaitété propriétaire d'une AstonMartin. Un bijou de mécaniqueflambant neuf que lui avaitlivré un vendeur ravi de latransaction.

— Sans vouloir te manquerde respect, une Aston Martintoute neuve ne te convenaitpas ? C'est la voiture de JamesBond !

— Je ne suis pas JamesBond, rétorqua-t-il d'un ton

malicieux. J'adorais maMercedes. Elle m'allait trèsbien. L'Aston... ne m'allait pas.

— Alors tu l'as échangée ?conclus-je avant d'ouvrir maportière. Est-ce que tu traitestes petites amies de la mêmefaçon ?

— Oui, confirma Ethan avecgravité. Et j'ai passé quatrecents ans à faire des essaisavant de te rencontrer.

C'était grâce à descommentaires comme celui-làque je restais avec Ethan,alors qu'il pouvait se montrerinsupportable.

Il en laissait filtrer juste

assez souvent dans laconversation pour me fairefondre.

— Bon, voyons ce qu'ellesait faire, lançai-je.

3. Les pères fondateurs

Ethan conduisit en direction

de Little Italy, quartier situéau sud-ouest du centre deChicago.

En toute honnêteté, laBentley filait sur la routecomme une pure merveille, cequi, je le supposais, constituaittout l'intérêt de dépenser

autant d'argent pour unevoiture. En plusd'impressionner ses amis etd'intimider ses ennemis.

La rue que nous avaitindiquée Noah se trouvait dansune zone plutôt calmecomprenant de nombreuxpetits commerces dontquelques banques, ateliers detailleurs et agencesimmobilières. La plupart desbâtiments étaientindépendants les uns desautres et comportaient deuxou trois étages dont lesfenêtres portaient des

panneaux promettant defuturs appartements.

A proximité du numéro quenous avait donné Noah, Ethangara la Bentley devant unrestaurant à sushis désaffecté.L'édifice voisin abritait unpressing, et le suivanthébergeait l'administrationconstituant une insulte ànotre existence, le bureaud'enregistrement des vampires.En cette soirée de week-end,les locaux étaient plongésdans le noir. Mais lundi dès lecrépuscule, mes semblabless'aligneraient devant la porte

dans l'attente de renoncer auprivilège de l'anonymat auprofit de la bureaucratie de laville de Chicago.

Je sortis de la voiture et,imitant Ethan, passai lefourreau de mon katana à lataille. Les policiers de Chicagodeviendraient fous s'ilssavaient que nous portionsplusieurs dizaines decentimètres d'acier trempéfinement aiguisé, mais cettecertitude ne suffit pas à medissuader. Nous ignorions queldanger nous attendait et jepréférais me tenir prête.

Je sursautai en entendant

une portière claquer àproximité. Noah, qui s'étaitgaré non loin de là dans lamême rue, nous rejoignit.

— Tout va bien ? medemanda Ethan.

— Oui, affirmai-je. Le bruitm'a surprise.

Il me pressa la main ensigne d'encouragement.

— Ainsi, Oliver et Eve sontvenus ici pour se déclarer,commença-t-il en regardantalentour. Pourquoi avoir choisice bureau en particulier ?

— Ils habitent dans le coin,expliqua Noah. Je suppose quec'était le plus proche.

— Sentinelle ? Des idées ?— Ils ne devaient pas être

seuls, suggérai-je. Il y avaitsans doute d'autres vampires,sans compter les employés ducentre. Peut-être qu'ils ont vuquelque chose ou qu'ilspourraient nous dire si Oliveret Eve se sont effectivementfait enregistrer ? Ça nousaiderait certainement àpréciser la chronologie desévénements.

— C'est à vérifier, reconnutNoah.

— Et il n'y a pas eu de sangversé, ajoutai-je.

Mes instincts de vampire

m'auraient alertée si tel avaitété le cas. J'espérai que celasignifiait qu'il n'était rienarrivé de mal à Eve et Oliver.

— Je n'insinue pas qu'il s'estpassé quoi que ce soit defâcheux, mais auraient-ils puêtre visés en raison de leurvolonté de se faireenregistrer ?

— C'est possible, réponditNoah. Mais cette formalitéadministrative est supposéerassurer les humains. Pourquoipunir des vampires qui font cequ'on leur demande ?

— Peut-être que ce ne sontpas des humains qui les ont

pris pour cible, avança Ethan.Certains Solitaires ont pu nepas apprécier leur décision dese déclarer et considérer celacomme une trahison.

Le raisonnement d'Ethan setenait, selon moi, mais Noahaccueillit son hypothèse avecfroideur.

— Tu es en train de suggérerque nous créons nos propresproblèmes ? rétorqua-t-il avecun regard acéré.

— Je pose juste la question,affirma Ethan sans se laisserdécontenancer. Est-ce que tupenses que ce serait possible ?

— J'aimerais te répondre

non. Mais je ne contrôlepersonne.

Ainsi, deux vampiress'étaient évanouis dans lanature après s'être rendus dansun centre d'enregistrement.Aucun signe évident deviolence ni quoi que ce soitd'autre n'indiquait qu'ilsavaient disparu à cet endroit,et rien ne permettait de direoù ils étaient allés - ou avaientété emmenés - ensuite.

Les mains sur les hanches,j'examinai les alentours en memordillant la lèvre inférieure.Il était soit très tard, soitvraiment très tôt, selon le

point de vue, et le silencerégnait dans le quartier.D'autres édifices se dressaienten face du centred'enregistrement : unepizzeria, fermée pour la nuit,et un ancien immeubled'habitation aux fenêtrescondamnées entouré degrillage. Et entre les deux, unebâtisse intéressante : uneétroite et élégante résidence dedeux étages... gardée par unportier en uniforme.

— Est-ce que tu as la photod'Eve et Oliver ? demandai-je àNoah.

— Dans mon téléphone, oui.

— Il travaille de nuit,déclarai-je en désignant leportier. Avec un peu dechance, peut-être qu'il était deservice avant-hier soir.

Le coin des lèvres d'Ethan seretroussa légèrement.

— Bien vu, Sentinelle, mefélicita-t-il avant de m'inviterà avancer d'un geste. Lesdemoiselles en premier.

J'attendis qu'un camion-poubelle très odorant soitpassé pour traverser la rue entrottinant, Ethan et Noah surles talons.

Le gardien, vêtu d'une vestebordeaux aux boutons cuivrés

scintillants, nous regardaapprocher avec nervosité, lesyeux écarquillés. Je sentis lesbattements de son cœurs'accélérer. S'il avait possédéla magie, j'aurais sans aucundoute perçu les ondes amèresde sa peur à des mètres dedistance.

Comme s'il protégeait unchâteau contre de dangereuxmaraudeurs, il sortit del'encadrement de la porte et fitun pas dans notre direction.

— Puis-je vous aider ?— Noah, dis-je en tendant la

main.Lorsqu'il eut glissé son

téléphone dans ma paume,j'observai l'écran, sur lequels'affichaient les visagessouriants de deux vampiresblonds, un homme et unefemme.

Je l'orientai vers le portier.— Nos amis ont disparu, et

nous essayons de les retrouver.Nous pensons qu'ils setrouvaient en face avant-hiersoir. Les reconnaissez-vous ?(Sans prendre la peine deregarder l'image, le gardiencroisa les bras sur son torsepuissant et me considéra enplissant les yeux.) Pas mêmeun petit coup d'œil ?

Il cilla.— Peut-être que ceci vous

rafraîchira la mémoire,intervint Ethan en lui tendantun billet de vingt dollars pliéentre ses doigts.

Le portier s'en empara avantde le glisser dans la poche desa veste, puis croisa denouveau les bras. Je supposaique Jackson n'était pas sonprésident favori.

— Grant, peut-être ? insistaEthan en offrant un billet decinquante dollars auquel legardien jeta un regardsoupçonneux.

— Je préfère le bon sens et

l'humour simple de BenjaminFranklin. Mais le présidentGrant ne manque pas dequalités. (Il saisit le billet et lefourra dans sa poche.) Quepuis-je faire pour vous ?

Je réprimai un sourire.— Avez-vous vu ce couple ?

répétai-je en agitant letéléphone sous son nez.

Cette fois, il baissa les yeuxsur l'écran.

— Oui, répondit-il. Ils sontallés au centred'enregistrement.

— Comment vous ensouvenez-vous ? m'étonnai-je.

— Ils se sont photographiés

dans la queue, comme s'ilsétaient sur le point d'assister àun concert et non de s'inscrireauprès de la ville. (Il haussa lesépaules.) Je ne sais pas, jesuppose que leur attitude m'aparu bizarre.

Elle me paraissait bizarre, àmoi aussi, mais je n'en savaispas assez sur Oliver et Evepour déterminer si ellecorrespondait à leurshabitudes.

— Et qu'ont-ils fait ensuite ?l'interrogeai-je.

Lorsqu'il haussa encore unefois les épaules et regarda droitdevant lui, je poussai un soupir

exaspéré.— Vous avez entendu parler

de l'inflation ? lâcha-t-il.Alors que la colère montait

en moi, je posai une main surmon katana et avançai d'unpas.

— Sent inel l e , m'avertitsilencieusement Ethan. Mais ilétait temps de passer àl'action.

— Ce sabre ne sert pas àdécorer, affirmai-je. La lameest bien affûtée, tranchante àsouhait, et je la manie trèsbien.

— Elle ne ment pas,renchérirent Ethan et Noah en

chœur.— On ne vous demande pas

grand-chose, juste quelquesinformations que nous avonsgénéreusement payées. (Jetapotai le pommeau de monkatana.) J'imagine que vosrésidents ne seraient pas ravisd'apprendre que vous agacezdes personnes armées au lieude vous contenter de leurrévéler ce qu'elles veulentsavoir et de leur laisserpoursuivre leur chemin. (Il serenfrogna.) Du bon sens, luirappelai-je avec un souriremielleux.

Le portier me fusilla du

regard en retroussant la lèvresupérieure, puis se radoucit.

— Ils sont entrés, puissortis.

— Et ils sont repartis avecleur voiture ? questionnai-je.

— Non, affirma-t-il enpointant son doigt en directiondu trottoir d'en face. Unvéhicule s'est avancé dans laruelle.

Le centre d'enregistrementétait bordé par le pressing d'uncôté, par une allée étroite del'autre.

— Un véhicule ? répétaNoah. Quel genre de véhicule ?

— Je ne sais pas, répondit le

portier avec un haussementd'épaules. J'ai juste vu lesphares éclairer le passage. Lesvampires se sont approchés,comme pour vérifier quic'était, peut-être pour parler auchauffeur. Après ça, la lumièrea progressivement disparu,comme si la voiture s'étaitéloignée.

— Est-ce qu'ils sont revenusensuite ? demandai-je.

— Je ne sais pas, et je m'enmoque. Ils auraient très bienpu avoir prévu de retrouver desamis, après tout. Nous sommesen Amérique. Je n'espionnepas les gens.

Se sentant visiblementinsulté, il se détourna pourporter un regard indifférentsur la rue. Nous nel'intéressions plus.

— Merci de votre aide, luidis-je.

Il ne parut pasparticulièrement impressionnépar ma marque de gratitude,mais hocha néanmoins la tête.

— Vous gênez l'entrée,ajouta-t-il.

— Allons jeter un coup d'œildans ce passage, proposaEthan en posant une main surmon bras.

Sous le regard mauvais du

portier, on traversa la route. J'essayai de m'imaginer

dans la peau d'un policier entrain de patrouiller, commel'avait fait mon grand-pèrependant des années, en meservant de ma sensibilitéaccrue de vampire.

Arrivée au coin de la ruelle,je fermai les yeux et inspirail'air de la nuit tout en melaissant imprégner par les sonsambiants. Des gouttelettesd'un liquide indéterminétombaient devant nous dans lepassage qui sentait l'humidité,la poubelle, le métal rouillé et

la crasse. Par chance, je nedécelai aucun signe deviolence. Ni arôme de sang niodeur de poudre.

Une fois certaine de nerencontrer personne, jem'avançai dans l'obscurité. Cen'était pas la première ruelledans laquelle je m'engageais. ÀChicago, elles se ressemblaientà peu près toutes : des flaquesd'eau boueuse au sol, des mursde brique, une benne à ordureset une ou deux issues desecours.

Je scrutai les alentours à larecherche de tout indicepermettant d'expliquer

pourquoi Oliver et Eves'étaient aventurés dans cetendroit.

Au bout d'un moment passéà inspecter le bitume, un refletcapta mon regard et jem'accroupis. Du verre. Pas deséclats, mais des morceaux deforme carrée. Il s'agissait deverre de sécurité, le genre quel'on utilise pour les vitres devoiture.

— Qu'est-ce que tu astrouvé ? demanda Ethan enme rejoignant.

— Il y a du verre, ici. Ilprovient peut-être du véhiculeque le portier a repéré.

— Ça paraît pour le moinsétrange, remarqua Ethan. Sidu verre avait été brisé, lesvampires l'auraient entendudepuis la rue et seraient allésvoir de quoi il retournait.

— Sans doute, concédai-jeen me relevant, m'essuyant lesmains sur mon pantalon.

La sonnerie stridente d'untéléphone retentit dans l'allée.Je sortis le mien par réflexe,mais il était éteint etsilencieux.

— C'est le tien ? s'enquitEthan.

Je secouai la tête etexaminai le passage avant de

comprendre que le bruirémanait d'un endroit situé àquelques mètres de nous, prèsd'une benne à orduresmétallique rouge.

Quand je m'approchai, leson s'intensifia, et j'écartai dupied quelques déchets que levent avait éparpillés. Untéléphone rose vif gisait sur lebitume. Il s'allumait parintermittence pendant quequelqu'un tentait de joindreson propriétaire.

Et ce quelqu'un n'était pasn'importe qui. Un numéro etun nom s'affichaient surl'écran lumineux : ceux de

Rose, l'amie Solitaire de Noah.J'avais le sombrepressentiment de savoir à quiappartenait ce portable ; monestomac se tordit de manièredésagréable.

— Noah ! criai-je.Je le sentis approcher

derrière moi ; il irradiait uneénergie nerveuse.

— C'est le téléphone d'Eve,annonça-t-il d'un ton grave. Jele reconnaîtrais entre mille.C'est un vieux modèle qui nefait pas grand-chose d'autreque recevoir les appels, maiselle refuse d'en changer. Roseessaie sans doute de la joindre,

de vérifier si tout va bien. Elleest inquiète. Elle n'arrête pasde tenter de la contacter. Jelui ai dit que ce n'était pas lapeine, mais...

Je comprenais les craintesde la jeune femme et nepouvais que compatir.Cependant, à mon avis, ladécouverte du téléphone d'Evedans cette ruelle n'auguraitrien de bon.

— Peut-être qu'elle l'asimplement laissé tomber là ?suggéra Ethan. Oliver a bel etbien appelé Rose il n'y a pastrès longtemps. Avec un peu dechance, tout cela n'est qu'un

quiproquo.Ethan parlait sur un ton

optimiste, sans doute afin derassurer Noah. Et il avaitraison. Nous ignorionstotalement comment letéléphone de Rose était arrivélà, même si sa présenceconfirmait le fait qu'Eve s'étaittrouvée dans la ruelle. Celaétant, la disparition du jeunecouple apparaissait de moinsen moins comme un actevolontaire.

— Il semble peu probablequ'elle l'ait simplement oubliélà, objecta Noah.

Il se passa la main sur le

visage, l'air soudain épuisé.La sonnerie cessa, laissant

l'allée silencieuse... et quelquepeu lugubre.

— L'un de vous aurait-il unmouchoir ? demanda Ethan.Nous avons intérêt à letransmettre au bureau duMédiateur - ils ont desrelations -, mais il vaudraitmieux éviter de risquer dedétruire d'éventuelles preuves.

Il avait raison. Le téléphonepouvait porter des empreintesdigitales ou du matérielbiologique susceptible de nousaider à déterminer ce quis'était passé.

— J'ai un bandana, annonçaNoah en tirant de sa poche unfoulard aux motifs camouflagequ'il me tendit.

Je m'en servis pourramasser le portable avecprécaution. En profitant pourcollecter d'autres indices, jeretournai vers les débris deverre et en recueillis unmorceau que j'enveloppaidélicatement dans le tissu.

— Je vais donner ça à JeffChristopher, dis-je à Noah. Ilvérifiera la liste d'appels dutéléphone d'Eve. Peut-être quecela nous renseignera surl'endroit où elle se trouve.

Jeff, un génie del'informatique adorable et unpeu excentrique, faisait partiedes employés officieux de mongrand-père. Égalementmétamorphe, il était membrede la Meute des GrandesPlaines. L'équipe de mongrand-père comprenait aussiCatcher, un sorcierindépendant, Marjorie, lasecrétaire, et un vampireaffilié anonyme dont je n'avaispas entendu parler depuis unmoment. Ensemble, ilssurveillaient les allées etvenues des surnaturels et nous

aidaient à gérer les diversescrises que nous traversions.Depuis que leur bureau avaitété fermé par le maire, ilstravaillaient au domicile demon grand-père.

Un chat noir bondit sur lemur de la propriété voisine.Après nous avoir jeté un regardcirconspect, il trottina endirection de la benne àordures, sans doute à larecherche d'un petit en-cas.Inconscients du danger, desoiseaux commencèrent àchanter, entonnant unejoyeuse mélodie qui annonçait

l'imminence de l'aube.Je levai la tête vers le ciel. À

l'est, l'horizon se teintait d'unepâle lueur. Le soleil pointeraitbientôt, ce qui signifiait qu'ilne nous restait plus beaucoupde temps. Les vampires et lalumière du jour ne faisaientpas bon ménage ; touteexposition avait desconséquences fatales.

— Nous avons moins d'uneheure avant l'aube, déclaraEthan en consultant samontre. Nous devrions rentrerà la Maison.

— Le monde continue detourner, commenta Noah.

— C'est vrai, approuvaEthan. Espérons qu'il tourneaussi pour Oliver et Eve. (Onregagna l'entrée de la ruelle,suivis par le gazouillis desoiseaux.) Nous lesretrouverons.

Noah hocha la tête, sanspourtant paraître convaincu.

— Je l'espère. Ce sont desjeunes sympas.

— Je n'en doute pas, affirmaEthan.

Ils se serrèrent la main, puisNoah s'éloigna en direction desa voiture tandis que nousmontions en silence dans laBentley.

— Tu crois vraiment qu'onva les retrouver ? demandai-jesans oser exprimer ma craintede les découvrir trop tard.

— Je ne sais pas, réponditEthan. Mais nous ferons toutnotre possible.

Bien entendu. Mais celasuffirait-il ?

Je possédais des preuvessusceptibles de nous conduireà Eve et Oliver, mais j'allaisbientôt être réduite àl'inactivité. Le soleilreprésentait notre ultimefaiblesse, provoquant uneallergie qui nous condamnait àune vie nocturne. Vu que nous

étions en hiver, notre enquêteresterait au point mortpendant les neuf prochainesheures.

En revanche, les employésdu Médiateur, eux, étaient enmesure d'affronter la lumièredu jour, même s'ils adoptaientsouvent les horaires tardifs dessurnaturels. J'utilisai donc lesgadgets électroniques dontétait équipée la voitured'Ethan pour composer lenuméro de Jeff, espérant qu'ilcompatirait à nos tourments.

— Yo, lança la voix de Jeffdepuis l’impeccable systèmestéréo de la Bentley.

— Salut, c'est Merit.— Merit. Tu as enfin décidé

de plaquer le zéro pour sortiravec le héros ?

Ethan se racla la gorge -bruyamment - pendant que jeréprimais un sourire. Je nevoyais rien de mal à rappeler àEthan que je disposais d'autresoptions. Même s'il s'agissaitd'options un peu particulièresque je ne sélectionneraisjamais.

— Jeff, tu es sur le haut-parleur de la voiture d'Ethan.Il conduit.

S'ensuivit un silence gêné.—Et par « zéro », s'empressa

de rectifier Jeff, je voulaisdire, tu sais, euh... Tu devraiscommencer à supporter lesWhite Sox. Go, Sox, ajouta-t-ilsans grande conviction,sachant très bien que j'étaisune fan notoire des Cubs etque je nourrissais pour monéquipe préférée un amourindéfectible.

— Bonjour, Jeffrey, lançaEthan d'un ton sec.

Jeff émit un rire nerveux.— Oh, salut, Ethan. Tiens,

voilà Catcher. Catcher,pourquoi tu ne viendrais pas tejoindre à nous ?

— Vampires ? demanda la

voix lointaine du sorcier.— Ethan et Merit, confirma

Jeff.Catcher laissa entendre un

son sarcastique situé quelquepart entre le reniflement et legrognement ; impossible de ledéterminer au téléphone.

— Quelque chose ne vapas ? l'interrogeai-je.

— J'ai une nymphe desrivières qui panique au sujetd'une modification du zonageà Goose Island, et une autrequi a peur qu'un magasind'Oak Street vende une paired'escarpins de créateur avantqu'elle ait le temps d'aller les

chercher. Parce que c'est notreboulot : servir d'assistantspersonnels aux surnaturels deChicago.

Catcher parlait avecamertume, et je compatissais.Les nymphes des rivièresétaient de petites demoisellesapprêtées et plantureuses quicontrôlaient les flots de laChicago River. Elles avaientune fâcheuse tendance aumélodrame, qu'elles aimaientjouer en public à grand renfortde piaillements et autrecrêpage de chignon. SiCatcher n'appréciait pas

particulièrement écouter leursdisputes, mesquines ou non, ilrendait service à tout le mondeen les gardant à l'écart desmédias, même si ça le rendaitgrognon. Et il était déjà plutôtgrincheux de nature.

— Désolée pour toutes cesscènes, déclarai-je. Et sansvouloir t'accabler davantage,on a un problème. Deux desSolitaires de Noah, Oliver etEve, ont disparu.

— Nous venons de quitterl'endroit où ils ont été aperçuspour la dernière fois, ajoutaEthan. Près du centred'enregistrement de Little

Italy.— Vous avez trouvé quelque

chose ? s'enquit Catcher.— Ce qui ressemble à du

verre de sécurité et letéléphone d'Eve, répondis-je.On a interrogé le portier del'immeuble d'en face. Il a vuOliver et Eve entrer dans lebureau, en ressortir etapprocher une voiture dans laruelle voisine. Il ne nous adonné aucune information surla marque ou le modèle ; il ajuste vu la lumière des phares.Oliver et Eve n'ont pas reparuensuite. Nous n'avons rientrouvé d'autre que le verre et le

portable.— Je ne suis pas sûr que ce

soit bon signe, commentaCatcher.

— Moi non plus, concédai-je.Mais au moins, ce sont desindices. Le soleil se lève, nousrentrons à la Maison. Est-cequ'il y aurait moyen que vousdemandiez à vos contacts ausein de la police de lesexaminer dans la journée ?Nous préférerions ne pasattendre ce soir.

— Chuck devra sans doutesolliciter une faveur, mais ons'en occupe. Vous pourriezpeut-être les laisser aux fées ?

Je jetai un coup d'œil àEthan, cherchant sonapprobation. Il hocha la tête.

— D'accord.— C'est noté, confirma

Catcher. Vous savez autrechose au sujet de cesvampires ?

— Ce sont des jeunes plutôtdiscrets originaires de KansasCity, révéla Ethan. Ilssemblent être bien intégrésaux Solitaires et sontappréciés.

— Pas d'ennemis ? s'étonnaCatcher. Même s'ils avaientdécidé de s'enregistrer ?

— Nous nous sommes posé

la même question, réponditEthan. S'ils en avaient, nousl'ignorons.

— En tout cas, désoléd'apprendre leur disparition. Jene les connaissais pas, mais sic'étaient des amis de Noah, jesuis sûr que c'étaient des gensbien.

Il parlait d'eux au passé,comme si leur sort était courud'avance. Mais je refusais dem'avouer vaincue.

— On te rappellera dès quele soleil se sera couché,affirmai-je. Si tu découvres unélément susceptible de nousapprendre où ils se trouvent,

tu auras droit à unerécompense.

— Quel genre derécompense ?

Voilà le problème avec lespropositions impulsives.

— Euh, je vouscommanderai des pizzas ?

— Double garniture deviande et c'est d'accord,répliqua Catcher.

— Marché conclu, dis-je.Les accents guillerets d'une

chanson country - qui parlaitde faire la fête après delongues heures de travail denuit - jaillirent soudain desenceintes, emplissant

l'habitacle.Catcher marmonna un

juron, puis la musique s'arrêta.Le silence n'empêchait pas lesquestions.

— C'était la sonnerie de tontéléphone ? demandai-je, à lafois réconfortée et amusée parl'étrange paradoxe CatcherBell.

Bien bâti et bourru, c'étaitun expatrié de l'Ordre, le corpsdirigeant des sorciers l'ayantexclu de ses rangs. C'étaitégalement le protecteur deMallory- du moins jusqu'à sonépisode de misanthropiemagique -, un amateur de

films à l'eau de rose et, à cequi semblait, un fan demusique country.

Je n'avais rien contre lacountry. C'était juste queCatcher n'admettrait jamaisaimer ce genre de chansons.Sauf qu'il en avait fait sasonnerie, bon sang, ce quepouvaient attester deux autrestémoins.

Parfois, il y avait de lajustice en ce bas monde,même si elle se réduisait àquelques notes d'un morceaude pop country du Top 50.

— Tu es un fan de musiquecountry, on dirait ? lançai-je.

—Ne commence pas,grommela Catcher. La nymphede la branche sud m'appelle ;je dois lui parler. On serecontacte ce soir.

Il raccrocha avant que j'aieeu le temps de répondre. Ou dele taquiner encore un peu ausujet de la sonnerie de sontéléphone.

— Tu vas t'en servir contrelui, je me trompe ? demandaEthan.

— Autant que possible,confirmai-je.

Nos affaires réglées avec lebureau du Médiateur, j'envoyaiun texto à Jonah - mon

partenaire au sein de la GR -afin de l'informer que Noahnous avait impliqués dansl'enquête. Mon équipier faisantpartie des amis et collèguesgardes rouges de Noah, cedernier avait dû lui annoncerla disparition des deuxvampires. Cependant, je devaisprévenir Jonah que nousavions pour ainsi dire acceptécette mission.

« Demande-moi si besoinaide », écrivit-il en réponse.

Je le lui promis, mais notreconversation ne se terminapas là.

« Initiation GR imminente.

Détails + tard. »Je gardai les yeux rivés sur

son message pendant unmoment, le cœur battant sousl'effet d'un soudain accès denervosité. J'avais certestoujours su que cettecérémonie aurait lieu tôt outard, mais j'ignorais quand aujuste. C'était moins le rituel enlui-même que l'engagementenvers la GR qui me rendaitanxieuse. Ma relation avecEthan décollait à peine, etnotre Maison se trouvait dansune situation précaire. Jecroyais en la mission de la

Garde Rouge - tenir à l'œil lePresidium de Greenwich ainsique les Maîtres -, à présentplus que jamais. Mais celan'atténuait en rien monmalaise à l'idée de me lier aveccette organisation par desserments officiels etinviolables.

— Un problème ? demandaEthan en me glissant unregard en coin.

— Rien que je ne sois pascapable de gérer, répondis-jeen rangeant mon téléphone.

J'espérais dire la vérité. Uneseule crise à la fois, pensai-je.Je me repérais souvent cette

phrase. Malheureusement,notre monde ne fonctionnaitpas de cette façon.

La Maison Cadogancomptait trois niveaux aussichics les uns que les autres,garnis de mobilier luxueux etrichement décorés. Lesappartements d'Ethan - nousles partagions, mais ilsreflétaient sa personnalité - sesituaient au deuxième étage.

Dans l'escalier, on croisaMalik, qui s'apprêtaitégalement à aller se coucher.Chacun fit un compte-rendude sa soirée. Après qu'Ethanlui eut raconté notre visite

dans la ruelle, Malik nousparla de la fête.

— Bravo pour le choix dutraiteur, le repas étaitexcellent, et tout le mondes'est montré plutôt amical.Mais votre absence a étéremarquée. L'ambiance est unpeu retombée après votredépart.

— C'est ce que je craignais,commenta Ethan. Deuxfamilles organisent une soirée,et leurs chefs s'éclipsent enplein milieu ? Ce n'est pas unsignal très positif.

— Les Solitaires sont aucourant de la possible

disparition d'Eve et Oliver.Certains s'inquiètent pourleurs amis et sont soulagés devoir que nous nous impliquonsdans cette affaire. D'autresredoutent de se faire entraînerdans les intrigues politiques deCadogan.

Ethan leva les yeux auplafond, comme exaspéré parcette remarque.

— Nous faisons de lapolitique parce que nous ysommes contraints, précisa-t-il. Si les vampires secontentaient d'agir de manièreappropriée, nous n'en aurionspas besoin. (Il se tourna vers

moi.) Nous devrions écrire çasur un tee-shirt.

— Ce n'est pas vraiment unslogan accrocheur, mais jedevrais pouvoir le faire.

— J'en suis sûr. Quoi qu'ilen soit, Malik, merci de t'êtrechargé de la soirée.

— De rien, Sire.Ethan grimaça à la mention

de son titre.— S'il te plaît, arrête de

m'appeler comme ça. Tu estoujours le Maître officiel decette Maison.

— Oh, je sais. Mais commeMerit, ça m'amuse de t'agacer.

Lorsque Malik eut disparu

dans le couloir, Ethan posa surmoi un regard accusateur.

Je haussai les épaules d'unair innocent.

— Je n'y peux rien si lesgens me considèrent commeun exemple.

Poussant un soupir, Ethanme prit par la main etm'entraîna dans l'escalierjusqu'au deuxième étage,souhaitant bonne nuit auxvampires que nousrencontrions.

Luc se dirigeait vers lachambre de Lindsey, qui setrouvait non loin de celled'Ethan. Vu l'adoration que

trahit son regard lorsqu'elle luiouvrit la porte - et si on netenait pas compte de sonchignon négligé et de lacouche de matière visqueuseverdâtre étalée sur son visage -, ils semblaient filer le parfaitamour.

— Masque à l'avocat,expliqua-t-elle avant que jel'aie interrogée. C'est génialpour la peau.

— Tu as préparé duguacamole et tu en avais trop,c'est ça ?

— Ma copine la salade,lâcha Luc. Miam.

— Essayez de rester discrets,

lança Ethan d'un tondébonnaire avant de poser unemain dans mon dos et de meconduire doucement dans lecouloir. Et ne me regarde pascomme ça, ajouta-t-il à monintention avec ungloussement. Ce sont tes amis.

— Ce sont tes gardes.— Je ne les ai pas engagés

pour leur sens de l'humour.C'est pourquoi le poste deSentinelle te convient mieux.Les gardes sont supposés semontrer obéissants.

Là, il me tendait uneperche.

— Et pas la Sentinelle ?

demandai-je avec un sourire.Parce que si tu es prêt àadmettre que je ne suis passoumise à ton autorité, jet'écoute attentivement.

Il glissa sa main dans lamienne.

— N'exagère pas.Cette soirée n'avait pas été

des plus agréables; j'étaisreconnaissante des petitsdétails qui me rappelaient quenous étions chez nous.

J'utilisai ma propre clé, quej'avais passée dans le mêmeanneau que celle de ma Volvoet celle de la maison de mongrand-père, pour ouvrir la

porte. Bien entendu, Ethanpossédait la sienne, mais ilm'accorda ce cérémonial.

Sa posture changea dès qu'ilfranchit le seuil : ses épaulesse détendirent, comme libéréesdu poids du pouvoir et del'autorité.

Sa suite comprenait troispièces : un salon, une chambreet une salle de bains. Al' instardu reste de la Maison, ladécoration évoquait une sorted'élégance européenne, avec dehauts plafonds ornés demoulures et de coûteusespeintures aux murs.

Le salon était baigné de la

lueur chaleureuse des lampeset des bougies préparées pournotre arrivée. Les haloslumineux contrastaient avecl'obscurité opaque enveloppantles recoins de la pièce. Lesmeubles, de taille imposante,étaient faits de bois sombre.J'imaginais sans peine Marie-Antoinette regagner desappartements similaires auterme d'une nuit dedivertissement à la française.

Une partie du salon étaitconsacrée aux souvenirsaccumulés durant les sièclesde l'existence vampire

d'Ethan. Des runes et desarmes étaient exposées surune table, et une grandevitrine contenait un œuf d'or,d'émail et de pierres précieusesautour duquel était lové undragon aux yeux de rubis.Derrière la paroi de verre etsous le rayon lumineux quil'éclairait, ses gemmesscintillaient d'un éclatmagique.

Cet œuf avait été offert àPeter Cadogan, le Maîtreéponyme de la Maison, par unmembre de l'aristocratie russequi se trouvait également être

une fée. J'ignorais la raisonexpliquant un tel présent,hormis un vague « service »que Peter aurait rendu, maisl'œuvre d'art était d'une beautéindéniable.

Comme je vivais moi aussidans cette suite, Margot avaitlaissé un en-cas à monintention à côté de la boissondestinée à Ethan sur le plateauqu'elle avait posé sur une tablebasse. J'avais droit à unetruffe au chocolat, Ethan àune bouteille d'eau pétillante.Découvrir une petite douceuren rentrant chez soi à la fin de

la nuit n'avait rien dedéplaisant.

Cela dit, l'aspect le plusremarquable de nos soiréesn'était pas ces agréablesraffinements, mais le simplefait que nous soyons ensemble.J'avais défié Ethan après avoirappris qu'il m'avaittransformée en vampire. Nousavions entretenu une relationtendue et chaotique, et le brefépisode de sa mort n'avait rienarrangé. J'avais encore du malà croire que nous avions finipar former un couple quisemblait fonctionner. Ethan

était un stratège politique, unhomme têtu qui voulaittoujours tout régenter, et, detemps à autre, son côtéautoritaire pouvait se révéleragaçant. Mais il aimait sesvampires, et, assurément, ilm'aimait, moi. Alors, j'essayaisde profiter avecreconnaissance de tous lespetits moments que nousavions l'occasion de partager,même les plus simples, telsceux qui accompagnaientnotre rituel du coucher,comme se brosser les dents,enfiler son pyjama ou planifier

le lendemain.Ethan disparut à l'intérieur

de son dressing, qui était aussivaste que mon anciennechambre et aussi élégammentaménagé que le reste de lasuite.

Je me débarrassai de mesbottes d'un coup de pied etjetai ma veste sur le lit - jetrouvais également trèsagréable d'avoir quelqu'un quis'occupait du ménage à maplace tous les jours - avant deme laisser tomber au milieu dumatelas, allongée sur le dos.Je m'enfonçai dans les drapsfrais et moelleux, et fermai les

yeux.— Bon, ta première soirée en

tant qu'organisatrice n'a pasété un complet succès, lançaEthan depuis sa penderie.

— Je ne peux pas surveillertous les Solitaires.

— C'est vrai. Tu arrives àpeine à te surveiller toi-même.

Je poussai un soupirfaussement exaspéré avant deme lever et me diriger vers ledressing, que j'aurais pucompter comme une piècesupplémentaire. Le sol étaitcouvert d'une épaissemoquette et les murs garnisd'étagères en merisier.

Vestes, pantalons,chaussures, cravates etmanteaux étaient suspendusdans différentes sections quileur étaient consacrées, tandisque des tiroirs accueillaient lelinge plié. Ethan m'avaitgracieusement libéré de laplace dans chaque partie de lapenderie, même si ma modestegarde-robe n'en nécessitait pasautant.

Au centre, le dressing étaitpourvu d'un espace derangement qui ressemblait àun luxueux meuble européenet d'une banquette en cuir

permettant de s'asseoir pourchanger de vêtements oumettre des chaussures. Desmiroirs occupaient les surfacesvacantes, et des luminaires surrails éclairaient l'ensemble à lamanière d'un décorparfaitement agencé de Vogue.

Ethan portait un costumepresque toutes les nuits,expliquant la quantité devestes noires raillées surmesure et de pantalons àl'intérieur du placard.Cependant, la qualité du tissuet de la coupe ne parvenait àégaler l'artefact accroché à la

paroi du fond, dans unealcôve, une peinturetourmentée de Van Goghentourée d'un cadre ouvragéplaqué or. Elle représentait unpaysage au crépuscule, unchamp de blé doré surmontéd'un ciel sombre indigo voiléde tourbillons de nuagesillustrant la touchepersonnelle de l'artiste.

Je m'adossai au chambranleet croisai les bras pour lacontempler. Il s'agissait d'untableau assez simple et dedimensions modestes, unedizaine de centimètres de côté

à peine. Mais il émanait decette scène une sorte deprofondeur qui m'attirait... unpeu comme le vampire qui sedéshabillait à côté.

Ethan ne portait rien d'autrequ'un caleçon, son long corpsmince exposé à mon regardconcupiscent. Il était facile del'admirer d'un point de vuepurement esthétique. Ilévoquait une sculpture, avecses lignes parfaites, sesmuscles finement dessinés etsa peau dorée qui aurait dûdepuis longtemps céder laplace à la pâleur vampire. Et il

arborait à la cheville unmystérieux tatouage qu'ilrefusait d'expliquer, même àmoi.

Heureusement qu'il n'avaitaucune idée du contrôle que jedevais exercer sur moi-mêmequand il se tenait à proximité.Mais étant donné le regardentendu qu'il me lança lorsquenos yeux se croisèrent, peut-être en avait-il conscience.

Je fermai les yeux pourreprendre mes esprits. Aussifascinant fût-il, nous avionsdes problèmes plus urgents àgérer.

— Quel est ton avis au sujet

d'Oliver et Eve ? demandai-je.— Les hypothèses sont

tellement nombreuses qu'il estdifficile d'échafauder unethéorie pour l'instant. Ilpourrait s'agir d'une simpleméprise. Ou peut-être qu'Oliveret Eve ont subi un quelconqueaffront et ont préféré ne pascontacter Noah et les autrespendant un moment.

— Il est possible qu'ils sesoient disputés avec certainsSolitaires au sujet de leurdécision de se faire enregistrer.Leur choix n'a pas dû plaire àtout le monde.

— Et le téléphone d'Eve

dans la ruelle ? interrogeaEthan.

— Elle l'a peut-être jeté decolère ? Genre « je suisfurieuse qu'ils soient en colèrecontre moi sans raison » ?ajoutai-je en feignant de luienvoyer violemment un objet àla figure.

Ethan éteignit la lumière dudressing et se dirigea vers moien arquant un sourcil.

— En tout cas, j'espère quetu es capable de meilleurslancers. Celui-là était plutôtpathétique.

Sa tentative d'humour, savolonté de conclure notre nuit

autrement que sur une note depeur et de découragement, mefit sourire. Le soleil se levait,et nous ne pourrions rien fairepour Oliver et Eve tant qu'il nese serait pas couché.

Nous pouvions cependantêtre nous-mêmes et goûteravec joie quelques moments depaix et de solitude dans cefoyer que nous avions crééensemble.

— Tu serais incapable dereconnaître un bon lancer situ en voyais un. Et mesprouesses athlétiques sontinégalées.

Ethan se figea, toujours

aussi agaçant avec son sourcilarqué, et s'appuya d'une maincontre l'encadrement de laporte en se penchant sur moi.

— Tes prouessesathlétiques ?

— Tout à fait, répondis-je,utilisant l'une de ses répliquesfavorites. Je connais tous lesmouvements qu'il y a à savoir.

Avec un regard assez brûlantpour me faire totalementfondre, il me saisit la main,puis plaqua fermement moncorps contre le sien.

— D'accord, ru les connaisaussi, concédai-je, lespaupières lourdes sous l'effet

de l'aube... et de ses mains surmes reins qui me pressaientdavantage contre lui.

— Tu cèdes si facilement,Sentinelle, susurra-t-il.

Il me fit reculer en directiondu lit, laissant planer peu dedoutes quant à ses intentions.Il s'était transformé enprédateur dominant... et ilétait prêt à passer à l'action.

Les mains posées sur meshanches, il s'empara de meslèvres en un baiser intense,presque brutal. Il s'agissaitd'une preuve de sonexcitation, et égalementd'autre chose. De ses

sentiments pour moi, sansdoute. De la frustration qu'iléprouvait, aussi,probablement.

Mes jambes heurtèrent lerebord du lit. Déséquilibrée, jevacillai, mais il me maintintdebout.

— J'ai l'avantage, affirma-t-il.

— Je n'essaie pas de résister.— Dans ce cas, il n'y a

aucune raison de jouer lestimides, déclara-t-il en glissantun bras derrière mes genouxavant de me jeter sur lesdraps.

Il s'étendit sur moi. Les

battements de mon cœurs'accélérèrent, tout comme lespulsations du sang dans mesveines. C'était comme si moncorps reconnaissait le sien,son odeur, sa magie, etanticipait sa morsure. Commesi nos natures vampiresétaient connectées à unniveau biologique indépendantde notre volonté et de notreesprit, comme si le prédateuren chacun de nous avaittrouvé son âme sœur.

Je me redressai pour luirendre son baiser, bien décidéeà profiter de tout ce qu'il

m'offrait. De tout ce quim'avait manqué et que jen'avais vraiment commencé àapprécier qu'une fois qu'ilavait disparu, vaincu d'un pieudans le cœur.

Le jour pointait,accompagné de la torpeuraccablante qui touchait tousles vampires. Je luttai contrele sommeil en pressant mapeau contre celle d'Ethan, enépousant les mouvements deson corps et, alors que l'aubenimbait l'horizon d'unecouronne d'orange et d'or, jem'effondrai sur le matelas et

dormis lovée contre lui jusqu'àce que le soleil se couche denouveau.

4

Horaires de visite Je me réveillai dans les bras

d'Ethan, tirée du sommeil parle bruissement accompagnantl'ouverture des voletsautomatiques qui obstruaientles fenêtres.

— Bonsoir, dit Ethan endéposant un baiser sur monépaule dénudée.

Je poussai un grognement etenfouis de nouveau mon visagedans mon oreiller. Il faisaitfroid dans la chambre, etj'étais enlacée par un hommepuissant et séduisant. Rien nem'incitait à sortir du lit...hormis mon devoir à l'égard dela Maison et mon amitié pourNoah. Des vampires avaientdisparu ; le travail m'attendait.Première tâche sur la liste ?Appeler Catcher pour savoir s'ilavait découvert quelque chose.

Je m'assis à contrecœur etécartai les cheveux de monvisage, les rassemblant en une

lâche torsade que je repoussaisur ma nuque. Ils n'yresteraient pas, mais, aumoins, j'aurais le temps de melever sans être aveuglée par unrideau de mèches.

Ethan s'adossa à la tête delit pour consulter les messagesqu'il avait reçus sur sontéléphone.

— Du nouveau ? demandai-je.

— Les fées ont confirmé queCatcher avait récupéré lepaquet que nous leur avionsconfié. Et j'ai des nouvelles del'équipe de transition. Je les aiinvités à la Maison, tu sais.

J'ai pensé qu'il seraitpréférable de les réunir enpersonne. Et, pour être franc,j'espère que leur présence noustiendra à l'abri des éventuellesmanigances de Darius. Jehochai la tête.

— Le journal de la salle desopérations indiquait que desgens nous rendraient visite,sans entrer dans les détails. Jesuppose que leur voyage n'étaitpas encore tout à fait organisé.

Luc préparait à l'intentiondes gardes des rapportsquotidiens concernantl'activité de la Maison. Lescontraintes liées à la lumière

du soleil compliquaientsouvent les déplacements desvampires.

— Qui s'est occupé desinvitations officielles ?questionnai-je.

— Paige, qui a conquis lecœur du bibliothécaire.

— Comme je l'avais prédit.La Maison abritait une

sublime bibliothèque gérée parun homme cultivé, quoiqu'unpeu grognon. Paige, unesorcière rousse qui s'étaittrouvée impliquée dans lesaccage provoqué par Mallorydans le Midwest, avait séjournéà Cadogan après que

Dominique Tate eut réduit sademeure en cendres en guisede représailles. Elle avaitrécemment loué unappartement - au deuxièmeétage d'un immeuble sansascenseur également situé àHyde Park -, mais restait unevisiteuse assidue de laMaison... et du bibliothécaire.Tous deux grands amateurs delivres et de savoir, ils étaientrapidement tombés amoureuxl'un de l'autre.

— Mmh-mmh, marmonnaEthan d'un ton évasif. Ilsrecherchent des précédents

dans les ouvrages de labibliothèque concernant laDécertification.

— Des précédents ?m'étonnai-je.

— Tu ne seras sans doutepas surprise d'apprendre queles membres du PG sont àcheval sur les règles, répondit-il avec aigreur. (Bien sûr ; ilénonçait une évidence.) Etcelles-ci sont nombreuses. LesDécertifications restent rares.Ce n'est arrivé que deux foisdepuis la fondation du PG. Leproblème, c'est que quand lePrésidium se sépare d'uneMaison, il n'a pas pour

habitude de dire poliment aurevoir et de reprendre le coursde ses affaires. Paige et lebibliothécaire étudient lesautres cas afin de déterminersi le PG avait orchestrécertaines manœuvres qu'ilserait tenté de répéter. Notreconseiller financier faitégalement partie de l'équipe,ainsi qu'un consultant ensécurité, Michael Donovan.Nous l'avons chargé de nousfournir une analyse objectivede nos protocoles de sécurité.Luc et moi communiquonsavec lui depuis plusieurs

semaines, mais il semblaitapproprié de l'inviter à prendrepart à la bataille finale, pourainsi dire.

Luc ne m'avait pas parlé dece Michael Donovan, ce quime conduisait à me demanders'il était vexé qu'un consultantait été engagé pour juger sontravail. Mais c'était Ethan lepatron. Du moinsofficieusement.

— Ça me paraît une bonneidée. (Ethan devint soudainétrangement silencieux.)Qu'est-ce qu'il y a ?l'interrogeai-je en arquant unsourcil.

— Lacey fera partie desinvités.

Lacey Sheridan, la Maîtressede la Maison Sheridan de SanDiego, une blonde élancéeavec de longues jambes quetoute femme envierait, étaitsortie avec Ethan par le passé.Elle était venue une fois àCadogan depuis monintronisation, occasion aucours de laquelle elle m'avaitclairement fait comprendrequ'elle avait l'intention derenouer leur relation. Si Ethanavait évolué, au grand désarroide Lacey, elle n'était pas prête

à renoncer à lui.Cette attirance s'expliquait

sans doute en partie par le faitqu'Ethan avait transforméLacey en vampire et l'avaitformée à diriger sa propreMaison. Parmi les « enfants »vampires d'Ethan, elle était laseule à avoir accédé au statutde Maître. Les États-Unis necomptant que douze Maisons,cela faisait d'elle une alliéeprécieuse.

D'un autre côté, Ethansavait bien que Lacey n'avaitpas vraiment contribué à nousrapprocher par le passé, d'oùmon interrogation sur ses

motivations réelles. Pourquoisa présence était-elle soudaindevenue vitale ?

— Darius et elleentretiennent des liensd'amitié privilégiés, précisaEthan, comme s'il avait devinémes inquiétudes.

— Une amitié romantique ?— Non. Plus une affinité.

Une complicité. Ils seressemblent beaucoup, tous lesdeux.

Je trouvais Darius snob etpointilleux, et les vampiresCadogan appelaient Lacey laReine des glaces. Elle étaitaussi stylée et posée qu'Ethan,

sans sa personnalitéattachante. Le fait que Dariuset elle s'entendent bien nesemblait finalement pas siétrange que cela.

— Darius est de la vieilleécole, poursuivit Ethan. Endéfiant l'autorité du PG, nousdéfions la sienne. En devenantdes Solitaires, nous devenonstout ce qu'il déteste : desmarginaux et des traîtres.J'espère que la présence deLacey - qu'il considère plus oumoins comme une alliée -atténuera ses velléitésdictatoriales.

Ethan se passa les mains

Ethan se passa les mainsdans les cheveux puis lescroisa derrière sa nuque ets'adossa de nouveau à la têtede lit. Il semblait soucieux etn'avait visiblement pasconscience que la tension quil'habitait contractait lesmuscles de son torse, lefaisant d'autant plusressembler à un mannequin àla moue songeuse posant pourune publicité vantant lesmérites d'une marque deparfum.

Son raisonnement se tenait.Inviter Lacey paraissait tout àfait justifié. Cette idée ne me

plaisait guère - disons plutôtque Lacey ne me plaisait guère-, mais j'étais une adulte.

— D'accord, conclus-je.Il me considéra d'un air

suspicieux.— D'accord ?— D'accord, répétai-je avec

un sourire. J'apprécie tonhonnêteté. Lacey ne m'inspirepas une grande confiance,mais je la supporterai.

— Pourquoi ne t'inspire-t-elle pas confiance ?

Je décelai de la crainte dansses yeux ; il redoutait que je lecroie capable d'infidélité. Maisce n'était pas lui qui

m'inquiétait.— Elle est toujours

amoureuse de toi.— Elle n'est pas amoureuse

de moi, rétorqua-t-il, avectoutefois une pointe de rosesur les joues.

— Je t'assure que si, et elleserait ravie de se débarrasserde moi pour te récupérer.

Il parut vaguement amusé...et flatté. Cette révélation avaitdû toucher son ego masculin.

— Et qu'est-ce qui te pousseà croire ça ?

— Elle te dévore tout letemps des yeux, elle boitchacune de tes paroles... et

elle me l'a dit.— Elle te l'a dit ? répéta-t-il,

apparemment surpris.— Oui.Peut-être pas en des termes

aussi précis, mais elle mel'avait clairement laisséentendre.

— Merit, Lacey vit à laMaison Sheridan depuis desannées. Elle est l'uniqueMaîtresse d'une ville qui abritedes centaines de vampires et -je le dis sans aucun intérêtpersonnel - c'est une femmetrès séduisante. Je t'assurequ'elle doit avoir l'embarras duchoix parmi ses prétendants.

Peut-être, mais c'est toiqu'elle veut, songeai-je. Jegardai cependant cetteréflexion pour moi. S'il semontrait effectivement asseznaïf pour ne pas remarquer lessentiments qu'elle éprouvaitpour lui, cela me rendait sansdoute service.

Ce serait plus difficile pourelle de l'attirer dans ses filetss'il ne la considérait pas sousun jour romantique.

— Bon, d'accord.Ethan me dévisagea. Il

scruta mon expression,vérifiant si ce « d'accord »devait être compris au sens

masculin du terme –« d'accord » - ou au sensféminin – « c'est peut-êtred'accord ; ça dépend de ce quetu vas dire ensuite ».

—Tu es sincère, conclut-il.— Oui. Je me méfie d'elle,

mais je te fais confiance. (Jeposai ma main sur la sienne.)De plus, je sais que tu esinquiet au sujet de la Maison,de Darius et du PC Fais ce quetu as à faire. Je survivrai.

Sans prévenir, il se jeta surmoi et m'enveloppa de soncorps, me transmettant sachaleur. Depuis matransformation en vampire, je

souffrais souvent du froid.Ethan Sullivan était de loin lameilleure couverture dont unefille puisse rêver.

— Quand est-ce qu'ilsarrivent? murmurai-je.

— Pas avant plusieursheures.

Il me mordilla le cou etm'attira tout contre lui, mesuggérant de quelle manière ilavait l'intention de passer celaps de temps.

Malheureusement, ce n'étaitpas possible pour moi.

— Tu as du travail, et je doisy aller. On a des vampiresportés disparus et un

Médiateur qui a sans doutedéjà laissé une demi-douzainede messages sur montéléphone.

— Ça devrait t'occuper toutela nuit, commenta-t-il.

Le poids de son corpstoujours sur le mien, jem'étirai pour attraper monportable posé sur la table dechevet. Aucun appel manqué,et rien sur mon répondeur, ceque je trouvai étrange, mais lesoleil n'était couché quedepuis quelques minutes. Peut-être Catcher n'avait-il pas jugéutile de me laisser un messageque je n'aurais pas pu

consulter avant le crépuscule.— Si je n'essuie pas une

attaque de zombies en prime.— Une attaque d'humains

me semble plus probablequ'une attaque de zombies,répliqua Ethan.

— Bah, c'est pareil. Danstous les cas, ce serait à leursrisques et périls. Hé, lançai-jeen lui tapotant la poitrine dudoigt. Que crient des zombieslors d'une manifestation ?

— Grrraaahhrr ? tenta-t-ildans une imitationétonnamment convaincantedu zombie au regard vide.

— Non, mais c'était

vraiment bien. Je suisimpressionnée.

— J'ai été mort un moment.— C'est vrai. Bon, bref, les

manifestants sont trèsénervés, et ils scandent : « Quevoulons-nous ? Des cerveaux !Quand les voulons-nous ? Descerveaux ! »

Je partis d'un grand éclat derire tout à fait justifié ; Ethan,pour sa part, ne semblait pasvraiment convaincu.

—J'espère sincèrement quele salaire que nous te versonsne sert pas à inventer ce genrede blagues.

— Il sert à acheter de la

viande fumée pour pallier lepiètre choix proposé par cetteMaison.

— Il existe sans doute unprogramme en douze étapesdestiné à guérir de l'addictionà la viande, et je suppose quela première consiste àadmettre que l'on a unproblème.

— Aimer la viande fuméen'est pas un problème. C'est undroit imprescriptible. Surtoutpour ceux qui ont des crocs.Bon, lançai-je en lui donnantune claque sur les fesses.Allons-y. Je dois m'habiller, ettoi aussi.

Mais il ne bougea pas ; aulieu de ça, il prit mon mentonentre le pouce et l'index.

— Sois prudente.— Oui, Sire, dis-je

docilement.Ethan se tourna sur le flanc

pendant que je descendais dulit pour me diriger vers la sallede bains. Je marquai unepause sur le seuil pour luidécocher un clin d'oeil.

—Et essaie de garder tesmains dans tes poches.

Son sourire s'élargit.—Michael Donovan est un

homme séduisant, Sentinelle.Mais je ferai de mon mieux.

Ethan Sullivan, comiquenotoire.

Je me lavai, m'exfoliai le

corps à l'éponge végétale et mefis un rapide shampoing,passant moins de temps que jel'aurais souhaité sous le jetpuissant de la douche d'Ethan.Une fois assez propre à mongoût, je me séchai les cheveuxà l'aide d'une serviette puis lesnouai en queue-de-chevalhaute - ma coiffure habituelle -et démêlai ma frange.

Ethan se glissa dans la sallede bains pendant que jeretournais m'habiller dans la

chambre. Je n'hésitai paslongtemps sur le choix de mesvêtements : pantalon en cuir,tee-shirt à manches longues,veste en cuir et bottes. Unensemble qui me protégeraitdu froid tout en me permettantde combattre... si jamais celas'avérait nécessaire.

Je portais déjà autour ducou le médaillon doré surlequel étaient inscrits monnom et mon titre, signe demon appartenance à la MaisonCadogan. Je glissai une dagueeffilée - cadeau d'Ethan dontla garde comportait un disque

similaire à mon pendentif -dans ma botte, puis m'emparaidu fourreau contenant monkatana que j'avais posé sur latable à côté de la porte. Je nel'avais pas utilisé la veille,mais j'avais l'intention derendre visite aux gars del'Agence de Médiation,notamment Catcher. C'étaitlui qui m'avait fait don de cesabre et m'avait appris à m'enservir; hors de question de leporter en sa présence sansm'assurer que la lame étaitpropre.

Dans un chuintement

métallique, je le dégainai. Lalumière se déversa sur l'acieraiguisé. Il paraissaitimmaculé, mais, par prudence,je sortis une feuille de papierde riz d'un tiroir de la table - letiroir d'astiquage de katana,comme je l'avais baptisé - etessuyai la lame. Deuxprécautions valent mieuxqu'une, me dis-je, surtoutquand un sorcier bourru étaitsusceptible de se livrer à uneinspection. Ce ne serait pas lapremière fois.

— Tu vas voir Catcher, jesuppose ?

Je levai la tête. Sur le seuil

de la salle de bains, sonpantalon encore ouvert, Ethanse frottait les cheveux à l'aided'une serviette.

Le spectacle n'était pas pourme déplaire.

— Oui, répondis-je en meforçant à le regarder dans lesyeux. Je l'appellerai dès quej'aurai pris un petit déjeuner etbu un peu de sang.

— Et Jeff ?Il y eut un léger trémolo

dans la voix d'Ethan. Il nes'agissait certainement pas dejalousie, puisqu'il avait juré nepas en être capable tant ilétait sûr de notre couple. Il

était vrai que Jeff en pinçaitvisiblement pour moi.Cependant, étant donné qu'ilentretenait une relationintermittente avec unemétamorphe prénomméeFallon - la seule fille de lafratrie qui dominait la Meutedes Grandes Plaines -, Ethann'avait à mon avis pas grand-chose à craindre. Même si jen'étais pas amoureuse de lui etque j'avais un faible pour Jeff,je ne prendrais jamais le risquede contrarier une métamorphe,encore moins une prétendanteau trône de la Meute.

J'espérais profiter d'au moinsquelques années de monimmortalité, merci bien.

— Oui, Jeff aussi. J'appréciesa compagnie, et il apprécie lacompagnie de Fallon.

— Très bien. Reste vigilante,Sentinelle.

— Ne t'en fais pas. Et jeserai de retour à temps poursaluer nos invités.

J'aurais certes aiméinterdire l'entrée de cetteMaison à Lacey, mais Ethansouhaitait sa présence ; jepouvais bien consentir à cesacrifice.

— J'espère bien, répliqua-t-il

avec un clin d'œil.Avant que j'aie pu faire la

sortie en beauté quej'escomptais, quelqu'un frappaà la porte.

— C'est sans doute Helen quiveut me parler del'organisation de la cérémonie,avança Ethan.

Il avait en partie raison.Helen, qui faisait ni plus nimoins office de cheftaine de laMaison, apparut sur le seuillorsque j'ouvris, mais ellesemblait agitée. Elle entra encherchant Ethan du regard,entourée d'un nuage de parfumfleuri et de magie nerveuse.

Ethan entra dans le salon,les cheveux toujours mouillés,mais habillé, cette fois.

— Que se passe-t-il ?s'enquit-il avec inquiétude.

Il avait sans doute décelé lamagie tendue qui enveloppaitHelen.

— Ils sont arrivés. Enavance.

Ethan se figea. « Ils » nepouvait désigner que lesmembres du PG, et leur venueun jour plus tôt que prévun'augurait certainement riende bon.

— Sentinelle, lâcha-t-il ens'emparant de sa veste avant

de se diriger vers la porte.Je glissai mon sabre dans

son fourreau et passai leceinturon à ma taille.

— Je te suis, affirmai-je enlui emboîtant le pas jusqu'aurez-de-chaussée.

En plus de Malik et Luc,sept personnes, hommes etfemmes, nous attendaientdans le hall, formant un « V »inversé à la pointe duquel setenait Darius, le directeur duPrésidium de Greenwich. Ils'agissait des membres du PG,qui comptaient parmi lesvampires les plus puissants aumonde.

Darius, un individu élancéau crâne rasé et au maintienaristocratique, avait lecaractère d'un principal delycée égocentrique.

Je n'avais jamais vu lesreprésentants du PG quil'accompagnaient, quatrehommes et deux femmes. Jene connaissais que leurs noms,et savais juste qu'ils avaientsemé la pagaille dans notreMaison depuis l'Europe. Jeparvins cependant à identifierl'un d'eux : Harold Monmonth,une infâme crapule qui avaitjadis aidé Célina Desaulniers,

l'ancienne Maîtresse de laMaison Navarre, à assassinerune femme qui contrecarraitses plans. Célina avait tenté dem'éliminer à plusieurs reprises,et, quand elle avait tué Ethand'un pieu dans le cœur, je luiavais rendu la pareille. MorganGréer, avec qui j'étais sortiependant environ cinq minutes,lui avait succédé à la tête deNavarre.

Je remarquai un espace libredans le « V » entre les deuxdernières personnes du côtégauche. Il s'agissait sans doutede la place autrefois occupée

par Célina. Sa disparitiondonnait au PG une raisonsupplémentaire de ne pasm'apprécier.

— Vous êtes en avance,commenta Ethan avec unsourire crispé.

— Mais bienvenus malgrétout, je suppose, répliquaDarius.

Là, il se montraitincroyablement présomptueux.L'intervention d'Helen évita àEthan de s'attirer davantaged'ennuis :

— J'ai parlé au gérant duDandridge. Vos chambres sontprêtes et disponibles à votre

convenance.L e Dandridge,

établissement de taillemodeste mais très chic,comptait parmi les hôtels deluxe les plus sélects deChicago, et était visiblementl'unique endroit assez bienpour accueillir les membres duPG lors de leur séjour. Dariusacquiesça d'un hochement detête :

— Nous allons nousinstaller. Nous reparlerons dela cérémonie plus tard.

— Très bien, dit Ethan.Telle une volée d'oiseaux,

les représentants du Présidium

pivotèrent avec unesynchronisation parfaite puisse dirigèrent en ligne vers leportail, où des limousines lesattendaient.

Leur départ fut suivi par unsilence.

Ethan marmonna un juron,mais, quand il se tourna denouveau vers nous, il glissa lesmains dans ses poches et seredressa, irradiant l'aplomb etl'autorité d'un seigneurvampire. Il avait beau ne pasêtre le Maître officiel de laMaison Cadogan, il enconservait le charisme et laprestance.

Je trouvais réconfortant dele voir si sûr de lui, même s'ilbluffait.

— Qu'ils pensent de nous cequ'ils veulent, commença-t-il.Ce qui importe, c'est ce quenous formons ensemble : ungroupe de vampires plus fortsque nous ne pourrions jamaisl'être en tant que marionnettesdu PG et sujets de sonprétendu roi. (Il s'adressaensuite à Malik.) Rassembletous les membres de la Maisonce soir. Nous attendrons ladernière heure avant l'aube.

— Pour être sûrs que Dariussoit enfermé au Dandridge et

ne puisse pas nous espionner ?devina Luc.

— Exactement, confirmaEthan. Je parlerai de laDécertification lors de cetteréunion. Quoi qu'il se passecette nuit, faites en sorted'être de retour à temps. (Il setourna vers Luc.) Appelle Paigeet le bibliothécaire. Dariusmijote quelque chose, et jedois savoir quoi. Tout de suite.

— Sire, acquiesça Luc.— Faites ce que vous avez à

faire, conclut Ethan. Nousnous reverrons bien assez tôt.

Depuis qu'Ethan m'avait

transformée en vampire,j'avais besoin d'absorber dusang de manière régulière afind'assurer ma survie. J'avaisfini par m'habituer à cetteobligation routinière. Jem'arrêtai donc à la cafétériade la Maison et étudiai les en-cas proposés. Une poche denotre fournisseur Sang poursang me paraissaitindispensable, tout comme lamini barre chocolatée que jefourrai dans ma veste pourplus tard. Je choisis poursatisfaire mon appétitimmédiat un bagel tartiné de

beurre de cacahouète, danslequel je mordis pendant que jeréchauffais l'hémoglobine aumicro-ondes. Je la versaiensuite dans un gobelet munid'un couvercle que j'emportai,comme n'importe quelhabitant de Chicago en routepour le bureau.

Peut-être était-ce dû à larupture du jeûne de la journéeou au réveil des papillesgustatives, toujours est-il qu'ily avait quelque chose dans lapremière bouchée de la nuitqui faisait du petit déjeuner unmoment divin.

Et j'exagère à peine.

Et j'exagère à peine.L'intensité de ma relation à lanourriture amusait certainespersonnes et intriguait lesautres. Elle était sans douteliée au fait que j'avais grandien me sentant à l'écart de matrès riche et très mondainefamille. J'avais compensé cemanque affectif par mon autrepassion, les livres, que jeconsultais habituellement engrignotant. J'aimais toutparticulièrement ce quipouvait se tremper dans unesauce sucrée ou salée, commeles chips tortillas, les bâtons

de céleri, les quartiers depomme ou les pépites dechocolat. Manger s'apparentaitalors à une activité à partentière, où le geste répétitifavait un petit côté zen.

Heureusement, à cetteépoque, j'étais assez sportivepour garder la ligne. J'avaispratiqué la danse classiquependant de nombreusesannées, ce dont mes orteilspouvaient témoigner. Et àprésent, par chance, monmétabolisme accéléré devampire me permettait dedévorer toute la nuit sans

répercussions fâcheuses. Nonque j'aie vraiment le temps dem'adonner à ce genre degrignotage. Pas quandsévissait un probable ravisseurde Solitaires et que notreMaison affrontait un avenirincertain. Et que LaceySheridan s'apprêtait à faire sonapparition.

J'avais beau croire au coupleque nous formions, Ethan etmoi, je restais une fille. Ladernière chose dont j'avaisbesoin, c'était qu'elle mesurprenne plongée jusqu'aucoude dans un seau du

meilleur poulet frit de ChezFrank.

Même si cette perspectiveme faisait monter l'eau à labouche. Il faudrait vraimentque je nous paie ce délice panépour fêter la victoire, une foisque nous aurions retrouvéOliver et Eve sains et saufs.J'espérais sincèrement enavoir la possibilité.

Quand j'empruntai le couloirprincipal avec mon petitdéjeuner à la main, je perçusla tension qui habitait laMaison. Dans quarante-huitheures, nous couperions lesliens qui nous unissaient au

PG, et les membres de cetteorganisation s'étaient déjàmontrés. Le bourdonnement demagie nerveuse se muait en untorrent d'inquiétude. Je lesentais au picotement dansl'air, au brouillard d'excitationqui flottait entre les murs de labâtisse. Les vampires Cadoganavaient beau faire confiance àleurs deux Maîtres, Ethan etMalik, ils étaient sur le pointde s'aventurer en territoirepolitique inconnu.

Retenant mon bagel entreles dents, je plongeai la maindans ma poche pour en sortir

les clés de ma vieille Volvo.Contrairement à la nuitprécédente, il régnait au-dehors un froid glacial, dugenre dont seuls un bainchaud ou un feu crépitantpermettent de se remettre.

Ce soir-là, point de festivitésni de camionnettes remplies demets savoureux dans le jardin,même si des fées mercenairespresque identiques à celles dela veille montaient toujours lagarde devant les grilles de laMaison. Lorsque je franchis leportail, elles conservèrent uneexpression stoïque, mais me

saluèrent néanmoins d'unhochement de tête. Cettediscrète marque de respectconstituait un développementde fraîche date et une victoiredurement gagnée. Les fées neportaient pas les vampiresdans leur cœur, mais nosrécentes interactions avecClaudia, leur reine, semblaientavoir comblé le fossé qui nousséparait.

Tandis que les essuie-glacesbalayaient mon pare-brise, jeconduisis vers le sud, endirection de la modestedemeure de mon grand-père.

En dépit de la circulationplutôt fluide, le trajetnécessiterait plusieursminutes. Je profitai del'occasion pour contacterJonah.

Au bout de quatre sonneries,son beau visage encadré decheveux auburn apparut surmon écran.

— Tu étais occupé ?demandai-je.

— Malheureusement, oui.L'histoire de votre Maison s'estébruitée. Des vampires déjàagressifs de naturecommencent à critiquer le PGet parlent de faire sécession.

— Déjà agressifs de nature ?répétai-je.

— Des gros bras, précisaJonah avec un sourire. Ils ontpassé leur vie humaine àsoulever des poids et détruireleurs adversaires de premièreligne. L'adrénaline ne disparaîtpas comme ça.

— Et pourquoi veulent-ilsfaire sécession ?

— Pour boire.Cette réponse était

surprenante, même pour desvampires. La plupart desMaisons d'Amériqueinterdisaient de se nourrird'une autre personne, humaine

ou non. Leurs membres neconsommaient que del'hémoglobine fournie parSang pour sang, qu'ilsbuvaient à même la poche oudans une tasse. Bannirl'abreuvement direct étaitcensé aider les vampires às'intégrer ; ainsi, les aspectsles plus rebutants de leurnature demeuraient cachés aupublic. Cadogan faisait partiedes rares Maisons autorisant àboire à la source, ce qui nousvalait des critiques de la partde tout le pays, ainsi que duPG.

Même si je me considéraisencore comme une novice auregard de cette pratique,j'avais acquis assezd'expérience pour savoir quejamais je ne me sentais aussivampire - et moins humaine -que lorsque je buvais le sangd'Ethan ou que je lui offrais lemien.

— Vous devriez vous joindreà nous, affirmai-je. C'est usantd'être l'unique cible du PGdans ce jeu de ballonprisonnier.

— Même si vous proposiez deme payer, je ne voudrais pasprendre votre place.

— On s'en sort, répliquai-jed'un ton sec.

— Pour l'instant. Mais sacheque j'ai entendu certainesrumeurs au sujet du Présidiumet de la Décertification qui nes'annoncent pasparticulièrementprometteuses.

— Par exemple ?— Par exemple, que le PG

espère vous mettre autant debâtons que possible dans lesroues.

Cette révélation me noual'estomac, même si elle nem'étonnait pas vraiment.Ethan et les autres avaient

fréquenté le PG pendant dessiècles en croyant que cetteorganisation œuvrait dansl'intérêt des Maisons.

J'avais beau n'être unevampire que depuis quelquesmois, j'avais acquis laconviction que les membres duPrésidium n'œuvraient quedans un seul intérêt : le leur. Ilme semblait que leur prioriténuméro un consistait às'assurer de conserver lepouvoir.

— Malheureusement, çacolle avec le fait qu'ils soientarrivés un jour plus tôt queprévu. Jonah émit un

sifflement.— Ce n'est pas très bon

signe.— Je sais.— J'aimerais ne pas avoir à

te dire que la Maison Cadoganest foutue, mais...

— Alors, tais-toi. Tu temontrerais bien plus utile enm'informant de ce qu'ils sonten train de tramer. Comme ça,je pourrais préparer ma Maisonen conséquence.

— La raison et la logique nesuffiront qu'un temps. Tout ceque je sais, c'est que le contratentre le PG et Cadoganreprésente un point crucial.

Je ne voyais pas très bien àquel contrat il faisait allusion,mais je ferais en sorte de ledécouvrir.

— Tu tiens ton informationd'autres membres de la GR ?

— De notre réseau decommunication, répondit-il.Auquel je ne pourrai t'intégrerqu'une fois que tu ferasofficiellement partie de nosrangs. Soit demain soir.

Le soir de la Décertification.La Garde Rouge n'aurait puchoisir pire moment pour monintronisation, même sij'appréciais l'ironie de lasituation : je rejoindrais la GR,

et par là promettrais desurveiller le Présidium, le jourmême où nous quitterionscette organisation pour fuir satyrannie.

— Où et quand ?— Je te le dirai plus tard. Je

dois m'assurer que je pourraim'échapper de mon côté. Jetâcherai de t'envoyer unmessage dans la soirée.

— D'accord. Pour toninformation, je vais chez mongrand-père. Nous avons trouvédu verre et le téléphone d'Evela nuit dernière près du centred'enregistrement où ils se sontrendus, et j'ai demandé à

l'Agence de médiation d'y jeterun coup d'œil.

—Ton grand-père dispose desinstallations nécessaires ?

— Pas à moins d'avoirréaménagé sa salle de jeux.Mais il a des amis haut placés,et nous n'avons pas d'autrepiste pour l'instant.

— C'est une bonne idée.J'espère que l'enquête vadonner des résultats.

— Moi aussi. La soirée nefait que commencer. J'espèreencore qu'Oliver et Eveappelleront Noah pour lui direqu'ils ont du retourner enurgence à Kansas City ou un

truc du genre.— Ce serait un dénouement

heureux, reconnut Jonah.Bonne chance.

— Merci. Je te téléphone s'ily a du nouveau.

— D'accord. Entre-temps,j'essaierai de faire en sorte quela Maison Grey reste dans lespetits papiers de Darius.

— Vu que le bien-être de taMaison fait partie de mesprincipales préoccupations, çame rassure, répliquai-je d'unton sarcastique.

— Je reconnais bien là maMerit.

Je n'étais pas « sa » Merit,

mais il raccrocha sans melaisser l'occasion de protester.Ce qui valait sans doute mieuxpour nous deux.

Avec ses bardeaux blancs, sa

porte-moustiquaire et son petitperron en béton, la modestedemeure de mon grand-pèredégageait un charme suranné.Les lumières étaient alluméesà l'intérieur, et une file de cinqou six véhicules s'étirait del'allée jusque dans la rue. Ils'agissait pour la plupart deminuscules cabriolets, ce quine pouvait signifier qu'unechose.

Nymphes des rivières.Je supposai que Catcher

n'avait pas réussi à résoudre lacrise des escarpins.

Quand je gagnai l'escalier,de la musique et descouinements me parvinrent.J'entrai sans prendre la peinede frapper.

Je m'attendais à tout, sauf àça.

La porte donnaitdirectement sur le salon, queje trouvai bondé. Parmi lespersonnes présentes figuraientmon grand-père et un petitgroupe de nymphes vêtues deleurs habituelles robes courtes

au généreux décolleté.Agenouillées en demi-cercle

autour de ce qui ressemblait àune nouvelle télévision, ellespoussaient des piaillementsvisiblement destinés à Jeff, quise tenait debout devantl'écran, une manette de jeuvidéo dans la main.

Détail encore plus étrange :Jeff Christopher, geek absolu,était déguisé.

Il portait des bottes en cuirqui lui arrivaient aux genouxainsi qu'une tunique vert pâlepar-dessus laquelle il avaitpassé une cape vert foncé auliseré marron. La capuche

était relevée sur sa tête,laissant apparaître sescheveux bruns quiretombaient sur ses épaules.

Jeff était grand et mince, etce costume lui allaitétonnamment bien. Il semblaittout droit sorti d'une forêtmédiévale ; seuls luimanquaient l'arc et le cheval.

D'après les images quidéfilaient sur l'écran, sondéguisement reproduisait latenue de l'un des personnagesdu jeu, qui pourfendaitactuellement des créaturesressemblant à des gobelins àl'aide d'une épée en or.

L'excitation monta à soncomble dans la pièce tandisque le héros qu'incarnait Jeff,une sorte d'aventurier, faisaitpleuvoir sa lame sur sesadversaires.

Quand, dans un ultimeassaut, il occit le derniergobelin, sifflements etapplaudissements fusèrentdans l'assistance. Les nymphesse levèrent d'un bond pourentourer leur champion d'unnuage de cheveux bouclés, desoie et de parfum fruité.

Je me plaquai contre laporte pour m'écarter de lamêlée. J'avais déjà été

entraînée malgré moi dans unebataille de nymphes desrivières par le passé et n'avaisaucune envie de renouvelerl'expérience.

—Merit ! s'exclama mongrand-père lorsqu'il remarquaenfin ma présence.

Il se dirigea vers moi pourme prendre dans ses bras, vêtude son éternelle chemiseécossaise et de son pantalonen velours côtelé.

— Qu'est-ce qui se passe ?demandai-je.

— Diplomatie en action,répondit-il à voix basse. Lesnymphes rendaient Catcher

complètement fou, et Jeff apensé qu'une démonstration deforce virtuelle les calmerait unpeu.

Cette idée ne m'aurait paseffleuré l'esprit, mais lespectacle semblait avoir faitson petit effet sur cesdemoiselles. Au bout d'unmoment, Jeff se libéra del'étreinte de ses groupies. Sonexpression redevint sérieusedès qu'il m'aperçut.

— Mesdemoiselles, je vousremercie infiniment de m'avoiraccordé un peu de votre temps,déclama-t-il après avoir frappédans ses mains. Le travail

m'attend, mais vous pensezque vous pourriez me dénicherles codes d'accès aux niveauxsuivants ? Ce serait super.

Elles accueillirent cettemission par un chœur deglapissements etd'applaudissements, puis setrémoussèrent vers la sortieavant de claquer la portederrière elles.

Un silence assourdissants'installa à leur départ, dumoins jusqu'à ce que laconsole nous rappelle queRoland de Westmere était prêtà poursuivre sa quête.

— Les nymphes aiment les

jeux vidéo ? m'étonnai-je. Çane semble pourtant pas leurgenre.

— Pas les jeux vidéo en eux-mêmes, répondit Jeff enrepoussant sa capuche,révélant ses cheveux humidesde transpiration. (Aventurenumérique ou non, il s'étaitdépensé.) Ce qu'elles aiment,c'est regarder les métamorphesgagner. Elles trouvent ça viril.

Je fronçai les sourcils decompassion, puis m'approchaide Jeff pour essuyer unemarque écarlate sur sonvisage.

— Eh bien, monsieur le

mâle, tu as l'équivalent d'untube de rouge à lèvres sur lafigure.

Jeff poussa un soupir et sefrotta la joue.

— Ça ne m'arrange pas dutout. Je dois retrouver Fallontout à l'heure.

— À mon avis, elle ne seraitpas ravie d'apprendre à quelpoint elles s'intéressent à toi.Ni d'en découvrir la preuve.

— Elle deviendrait folle,approuva-t-il. Je crois qu'elle asuffisamment été trompée parle passé.

— Ah, me contentai-je dedire, ne connaissant pas assez

Fallon pour m'étendredavantage.

—La bonne nouvelle, c'estqu'elles se laissent facilementdistraire. Comme Catchern'arrivait pas à les calmer,elles ont piqué une crise pourune histoire sans importance -encore une fois - et ontrappliqué ici. On a découvertque quelques minutes de jeuvidéo suffisent à les radouciret à leur faire retrouver laraison.

— Elles doivent s'unir pourrésoudre les problèmes,intervint mon grand-père. Etla console est beaucoup moins

salissante que le paintball.— Du moment que ça

fonctionne, commentai-je avecun sourire avant de désignerl'accoutrement de Jeff. Etc'est quoi, ce déguisement ?

— La tenue de Roland deWestmere. C'est l'un despersonnages de Jacob's Quest,le jeu auquel je jouais àl'instant.

— Je n'imagine pasm'impliquer dans un jeu vidéoau point de porter un costume.Je veux dire, quel estl'intérêt ?

— L'intérêt, c'est quej'incarne quelqu'un d'autre et

que j'oublie mes propres soucispour un moment.

D'accord, ça, je pouvais lecomprendre. Mon ensemble encuir représentait une sorte dedéguisement pour moi, ununiforme qui me faisait passerpour une dure à cuire et mepermettait de bluffer un peuplus facilement. Même si cerôle apportait son lot d'ennuis.

— C'est une explication quise tient, concédai-je.

— Je vais me changer envitesse, puis je reviens tedonner les dernières nouvelles,déclara Jeff en esquissant ungeste en direction de l'arrière

de la maison. Catcher est aufond, si tu veux lui parler.

— Tu veux boire quelquechose, mon bébé ? s'enquitmon grand-père.

— Non merci, ça va. Je vaisvoir Catcher.

J'empruntai le couloirmenant à l'ancien débarrasque mon grand-père avaittransformé en bureau pour sesemployés bénévoles. Je trouvaiCatcher assis derrière unetable de travail aux lignessimples. Heureusement, iln'était pas déguisé, lui. L'airmaussade, il portait un jean etun tee-shirt orné d'un

vélociraptor qui montrait lescrocs, à cheval sur un chatgéant arborant lui-même untee-shirt sur lequel était écrit« xptdr ».

— Pour ton information, jecrois qu'Internet a vomi surton tee-shirt, lançai-je enentrant dans la pièce.

Catcher leva les yeux auciel.

— C'est une impression, ouon doit sans arrêt s'occuperd'histoires de vampires ?

— Malheureusement, cen'est pas qu'une impression, etje m'en occupe, figure-toi.Quoique je pourrais dire la

même chose au sujet deshistoires de sorcières.D'ailleurs, comment va latienne ?

Je faisais allusion à Mallory,bien sûr, car je brûlais d'enviequ'au moins l'un d'eux merenseigne sur l'état de leurrelation.

Catcher rougit, ce quin'était pas dans ses habitudes.Je considérai cela comme unbon signe.

— On se parle, répondit-il.— Ça me semble plutôt

positif. D'autant plus que tuvis chez elle.

Avant que Mallory développe

son addiction à la magie, ellepartageait sa maison de grèsbrun de Wicker Park avecCatcher. Quand elle avait étéassignée à résidence chez lesmétamorphes, il était resté.

Voyant ses jouess'enflammer davantage, jem'octroyai cinq pointssupplémentaires. Avantage :Merit.

— Notre relation est unfeuilleton à rebondissements,avoua-t-il.

Jeff, qui s'était déjà changé,entra dans la pièce, vêtu d'unechemise bleu pâle dont il avaitretroussé les manches et d'un

pantalon kaki, tenue quicomposait son uniformepersonnel. Il s'assit à sonbureau et commença àpianoter sur le clavier de sonordinateur, constitué en faitd'un agglomérat de claviersqu'il avait transformés envéritable monstre deFrankenstein.

— J'ai vérifié la listed'appels du portable d'Eve,annonça-t-il. Elle avait effacéla mémoire un ou deux joursplus tôt, ce qui fait que je n'aitrouvé que deux numéros :celui de Rose, et celui du

centre d'enregistrement.— La poisse, marmonnai-je.

J'espérais quelque chose deplus intéressant que ça. Elle asans doute téléphoné au centrepour connaître les horairesd'ouverture.

— C'est ce que je me suisdit.

— Et vous avez découvert dumatériel biologique sur leportable ? Des empreintesdigitales, quelque chosecomme ça ? Ou bien sur leverre ?

— On a demandé àl'inspecteur Jacobs d'y jeter uncoup d'oeil.

L'inspecteur Jacobs était unpolicier sérieux et un ami demon grand-père.Contrairement à certains deses confrères du commissariat,il ne considérait pas tous lesvampires comme des fauteursde troubles.

— Bien, dis-je.Jeff fit pivoter sa chaise

vers moi, les mains jointes surson ventre.

— C'est bien, oui. Leproblème, c'est que les flicssont surbookés. Même endemandant un traitement defaveur, il faudra sans doutepatienter plusieurs jours avant

d'apprendre quoi que ce soit.Déçue, je m'assis et poussai

un soupir. J'avais espéré tirerdavantage de renseignementsde ces deux objets. Ilsconstituaient les seuls indicesdont nous disposions, et nesemblaient ouvrir que demaigres perspectives.

— Je suis à court d'idées,déplorai-je.

— Peut-être qu'il n'y a pas dequoi s'inquiéter, intervintCatcher. Si ça se trouve, ilsn'ont pas disparu et ontsimplement décidé de faire cedont ils avaient envie sansrien dire à personne. Après

tout, ce sont des Solitaires.— Oui, mais même les

Solitaires ont leurs habitudes.Et d'après Noah, ces deux-làne sont pas du genre às'évanouir du jour aulendemain.

— Merit ?Tout le monde leva les yeux.

Mon grand-père se tenait sur leseuil.

— J'ai pensé que tu aimeraisrencontrer les personnes quiviennent d'arriver, annonça-t-il avec une expressionindéchiffrable.

Je sentis l'espoir renaître enmoi. S'agissait-il d'Eve et

Oliver ? Étaient-ils passésnous dire que tout allait bienet que cette histoire n'étaitfondée que sur un stupidemalentendu ?

Je le suivis dans le couloiren direction du salon, Catcheret Jeff sur les talons.

Noah, Rose et une troisièmevampire que je n'avais jamaisvue attendaient devant laporte d'entrée, emmitouflésdans leur veste. Rose avait lesyeux rougis et gonflés.L'inconnue, qui avait le teintmat et des cheveux noirs etraides, lui entourait les épaulesd'un bras.

Leurs visages fermés neprésageaient rien de bon, pasplus que la magiemélancolique qui flottait dansleur sillage.

— Désolés de vous déranger,s'excusa Noah.

— Vous ne nous dérangezpas du tout, affirma mongrand-père. Entrez, je vous enprie. Je peux vous débarrasserde vos vestes, si vous voulez.

— Non merci, déclara Noahen franchissant le seuil.

Avec un sourire chaleureux,mon grand-père les invita d'ungeste à s'installer sur lecanapé.

— Asseyez-vous.Noah hocha la tête, et le

trio prit place sur le sofa ensilence.

— Tu connais Rose, ditNoah à mon intention. Je teprésente Elena.

— Catcher et JeffChristopher, annonçai-je endésignant les deux garçonsderrière moi. Et mon grand-père, Chuck Merit. Que s'est-ilpassé ?

— On les a retrouvés.Alors que Rose éclatait en

sanglots, Noah sortit sontéléphone de sa poche. Aprèsavoir appuyé sur quelques

touches, il me le tendit.

5

Une immortalitévolée

Je m'étais préparée au pire,

mais cela ne suffit pas, loin delà. En dépit du grain grossieret de la piètre qualité descouleurs de l'image, impossiblede se méprendre sur ce qu'ellemontrait.

Oliver et Eve étaient morts.

Seules quelques méthodesassuraient de supprimer unvampire de manière définitive :pieu de tremble, exposition àla lumière du soleil,démembrement total,décapitation. Les deuxdernières options expliquaientpourquoi le sabre était notrearme de prédilection. Notrelame nous permettaitd'éliminer un ennemi immortelà coup sûr.

Celui qui les avait tués, lemonstre sans cœur qui avaitcommis ce meurtre, avaitchoisi la décapitation.

Eve et Oliver gisaient côte à

côte sur un plancher, baignantdans une mare de sang. Ils setenaient la main, les doigtsentrelacés dans un ultimegeste d'amour; un déni de lamort. Leurs bras étaientcouverts de tatouages quiparaissaient n'en former qu'un,comme s'ils avaient étéréalisés dans ce but par unseul et même artiste.

Leurs cheveux blondsétaient englués de sang. Ilsavaient eu la gorge tranchée.Leurs têtes sectionnéesreposaient à quelquescentimètres à peine de leurs

corps, semblant railler leurimmortalité. Ils auraientsurvécu à bon nombre delésions susceptibles de tuer laplupart des humains. Lesvampires guérissaientrapidement, et les plaiesfinissaient par se refermer.Mais la décapitation, bienévidemment, constituait uneatteinte mortelle. Cruelle.

Je ne décelai aucun autresigne de traumatisme. Ilsauraient pu être en train dedormir... abstraction faite decette blessure insultante.

J'avais déjà rencontré lamort et avais moi-même pris la

vie, mais toujours dans le feude la bataille, pour protégerquelqu'un ou quelque choseque j'aimais. Là, c'étaitdifférent. A moins que Noahpossède de nouvellesinformations au sujet d'Oliveret Eve, ce crime semblait avoirété commis de sang-froid etchoquait par sa brutalité.

Mon estomac se tordit. Mapeau devint soudain moite etune goutte de sueur froidecoula le long de mon dos. Matête tournait. Je fusbrusquement assaillie par lessouvenirs de la souffrance que

m'avait causée la perted'Ethan quelques mois plustôt, avant qu'il me revienne...

Je tendis le portable à mongrand-père d'une maintremblante, puis posai les yeuxsur Noah, Rose et Elena.

— Je suis vraiment désolée.— Nous ne sommes pas des

fauteurs de troubles, déclaraNoah. Je ne sais pas qui a pufaire une chose pareille.

— Un monstre, assura mongrand-père en passant letéléphone à Catcher et Jeffavant de regarder tour à tourNoah, Rose et Elena. Je suismoi aussi sincèrement désolé.

Je sais que ce n'est qu'unebien piètre consolation, maisje compatis à votre chagrin.

Je me demandai combien defois il avait dû prononcer cesmots au cours des dizainesd'années qu'avait duré sacarrière de policier.

— C'est l'un des vôtres qui apris la photo ? s'enquitCatcher.

Noah acquiesça.— L'un de nos amis est

photographe professionnel. Ilaime immortaliser ladécadence urbaine : lesimmeubles désaffectés, lesgraffitis, le métal rouillé, les

trucs comme ça. Il y a unancien bâtiment qui servait austockage d'archives pas trèsloin de son atelier. Il date desannées 1940, et notre amipensait qu'il ne durerait plustrès longtemps. Il voulait yjeter un coup d'oeil avant queça s'écroule ou que ce soitdémoli, et il est allé le visiteravec un collègue. (Noah seracla la gorge, comme sil'explication lui demandait deplus en plus d'efforts.) Entraversant l'un des étagessupérieurs, ils ont senti uneodeur de sang, sans parvenir à

détecter d'où elle provenait. Ilsne voyaient rien d'anormal.James - c'est notre ami - a finipar trouver une porte dérobéemenant à une autre pièce, unesorte de chambre secrète. Ilssont entrés... et ont découvertOliver et Eve.

Rose poussa un sanglot.Mon grand-père lui tendit uneboîte de mouchoirs nichéedans un panier tricoté par magrand-mère. Elena en sortitquelques-uns et les donna àRose, qui les pressa sur sonvisage, mais ne fit que pleurerde plus belle.

— Nous sommes allés jeter

un coup d'œil, juste pourconfirmer leur identité, puisnous sommes venus ici. J'ailaissé d'autres vampires secharger de leurs corps. Nousavons préféré vous avertir, aucas où des indices seraientrestés sur place.

Je consultai mon grand-pèredu regard. Les affaires demeurtre dépendaient de lapolice de Chicago, mais on nepouvait pas dire que la villenourrissait des sentimentsamicaux à notre égard. Aprèstout, nous n'étions que desanimaux nécessitant une

autorisation de circuler.— Je peux passer un appel

discret au commissariat,avança mon grand-père. (Ils'adressa ensuite à Catcher.)Entre-temps, ce serait bien quetu examines la scène de crimeà la recherche de preuveséventuelles. Si ça ne vousdérange pas, ajouta-t-il àl'intention de Noah.

Ce dernier approuva laproposition d'un signe.

— J'irai avec Merit, affirmaCatcher.

Noah avait beau être unhomme solide et robuste, je lusdu soulagement dans ses yeux.

Il ne voulait pas retourner surles lieux du meurtre, ce que jesaisissais tout à fait.

— Oui, confirma-t-il. C'estsans doute la meilleure choseà faire.

— Désolé de demander ça,mais existe-t-il une probabilitépour que James ou son amisoient impliqués dans cetteaffaire ? interrogea Catcher.

— Je comprends la nécessitéde la question, et la réponseest non, affirma Noah. J'y aidéjà réfléchi, et je croissincèrement qu'ils n'ont rien àvoir dans cette histoire. Oliveret Eve étaient des gens bien.

James aussi. Il préfère lesappareils photo aux armes ettravaille comme bénévole dansun centre qui accueille destypes souffrant de problèmesde dépendance à la drogue. Ilest plutôt du genre à rendreservice.

— Alors, nouscommencerons par inspecterles lieux, reprit Catcher. Jeff,pendant ce temps, essaie detrouver des informations surce bâtiment. Son propriétaire,son histoire, tout ce quipourrait nous indiquerpourquoi le meurtrier a choisi

cet endroit.— D'accord, acquiesça Jeff

avant d'esquisser un geste endirection du couloir. Ceux quisouhaitent me rejoindre dansmon bureau sont lesbienvenus. Vos connaissancesseront utiles.

Noah se leva pour suivre Jeffhors du salon, laissant Elenaet Rose blotties l'une contrel'autre sur le canapé, accabléesde chagrin.

— Et si je préparais ducafé ? proposa mon grand-père. Ou peut-être du thé ? (Iladressa un sourire amical auxdeux vampires.) Est-ce que

cela vous tenterait,mesdemoiselles ?

— J'aimerais beaucoup unetasse de thé, dit Elena avecgratitude.

Mon grand-père hocha latête avant de disparaître dansla cuisine.

—Nous serons de retour trèsbientôt, assurai-je à Elena.Noah sait comment nouscontacter si nécessaire.

— Trouvez quelque chose,m'enjoignit-elle. J'espéraissincèrement que ce serait lecas.

Catcher se porta volontaire

pour conduire jusqu'à l'adresseque nous avait indiquée Noah,dans le quartier de Little Italy.Le fait que le tueur commetteson crime non loin du centred'enregistrement où Eve etOliver avaient été enlevésparaissait d'une sinistrelogique.

En chemin, je pris le tempsd'appeler la Maison. Jecomposai d'abord le numérod'Ethan mais, n'obtenant pasde réponse, je préférairaccrocher plutôt que laisserun message lugubre. Ils'agissait du genre de

nouvelles qu'il valait mieuxannoncer de vive voix.

— Deux vampiresassassinés, déclara Catcherquand j'eus rangé montéléphone. Deux vampireshonnêtes et innocents, à cequ'il semble.

Deux vampires qui s'étaientétendus côte à côte, doigtsentremêlés, pour ne plusjamais se réveiller. J'ignoraispourquoi je repensais sanscesse à ce détail. Peut-êtretouchait-il l'amoureuse delittérature anglaise quisommeillait en moi.

J'avais étudié cette

discipline à l'université etcette scène n'était pas sansm'évoquer Roméo et Juliette.

Le tueur avait-il eu cetteintention ? Non seulementexécuter des vampires - ou cesdeux-là en particulier -, maisaussi dresser un tableau à lafois doux, triste et amer de lamort ?

Cette idée avait quelquechose de terriblementdérangeant. Je comprenais quel'on prenne la vie dans le feude la bataille, que l'oncommette un meurtre dans unélan de colère ou parvengeance ; dans ces cas-là, la

motivation était claire. Maistuer pour créer une émotion ?Pour choquer ou offenser ?Cela me semblait beaucoupplus étrange et j'éprouvais desdifficultés à le concevoir.

— L'assassin les a mis enscène, déclarai-je. Il les aintentionnellement disposésainsi. Ils n'auraient pas pu setenir la main pendant... ce quileur est arrivé.

— Et il savait commentéliminer un vampire. Il étaitsûr de l'effet de ladécapitation, ou alors, il avraiment eu de la chance dèsson premier essai.

J'approuvai d'un hochementde tête.

— Il aurait été plus facile deleur enfoncer un pieu dans lecœur. Avec du bois de tremble,c'est tellement rapide... Ils seseraient évanouis en l'espaced'une seconde. Mais dans cecas, il ne serait resté d'eux quedes cendres.

— Il aurait aussi été plussimple de les exposer à lalumière du soleil, ajoutaCatcher. Si le meurtrier avaitvraiment voulu les fairedisparaître, il aurait trouvé lemoyen de dissimuler son crimeet nous n'aurions jamais

retrouvé les corps. D'où laquestion : qu'essaie-t-il de nousdire ? Et deuxième question :pourquoi ces vampires enparticulier ? Pourquoi Oliver etEve ? Voulait-il les tuer,eux... ?

— Ou voulait-il toutsimplement tuer? terminai-je àsa place.

Une perspective qui n'avaitrien de rassurant.

Il tombait une fine bruinequi rendait l'atmosphère decette soirée encore pluslugubre. Quand Catcher eutgaré la voiture dans une petiterue déserte, je levai les yeux

en direction de notredestination, un entrepôt debrique blanc sur la façadeduquel était écrit « Wilkins »en lettres bleues dont lapeinture s'écaillait. Lesfenêtres étaient presque toutescondamnées, et une barrièreen plastique déchiré visant àempêcher les visiteurs depasser entourait le bâtiment.Malheureusement, l'état del'édifice reflétait celui desconstructions voisines. Vieillesou délabrées, elles auraienttoutes nécessité d'importantstravaux et une bonne couche

de peinture.Catcher releva le col de sa

veste et ferma les boutonsjusqu'en haut afin de seprotéger du froid et du crachinpersistant.

— Tu es prête ? demanda-t-il.

Je hochai la tête et mepréparais à ouvrir la marchequand une silhouette émergeade l'obscurité au bout de larue. Je posai la main sur lepommeau de mon sabre.

— Merit, chuchota Catcheren guise d'avertissement.

— C'est un vampire, dis-je àvoix basse lorsque la magie

familière parvint jusqu'à moi.Il ne nous est pas hostile,d'après ce que je sens.

Grand, le corps anguleux, ilportait un complet-veston noirà l'élégance désuète soulignantla longueur de ses bras et deses jambes. Ses cheveux noirscoupés court contrastaient demanière étonnante avec sesépais favoris.

Les phares d'une voiture sereflétèrent dans ses yeux,révélant leur éclat argenté.

Nos iris devenaient argentésquand nous éprouvionsd'intenses émotions.Malheureusement, j'étais

incapable de deviner cellesqu'il ressentait à cet instant :sa magie, quoique nerveuse,restait neutre. Était-il douépour maîtriser ses sentiments,ou montrait-il une réactionpurement biologique ?

— Tu es Merit ? demanda-t-il.

Je confirmai d'un signe detête tout en gardant une mainsur mon katana afin del'avertir que j'étais prête àpasser à l'action et que je netolérerais aucune entourloupe.Eh oui, même dans desmoments aussi stressants quecelui-ci, je ne disais jamais

non à petite une pointe desarcasme.

— Je suis Catcher. Tuconnais notre nom, mais nousne connaissons pas le tien,déclara le sorcier en leconsidérant avec prudence.

— Horace Wilson, dit levampire en tendant la main.Caporal, si vous préférez, maisHorace, ça me convient trèsbien.

— Tu fais partie de l’armée ?s'enquit Catcher.

— J'en ai fait partie,précisa-t-il. Onzième régimentd'infanterie volontaire duMaine.

J'en déduisis qu'il avaitcombattu pendant la guerre deSécession, ce qui signifiaitqu'il avait au moins centcinquante ans.

— Nous sommes désoléspour Oliver et Eve, ajoutaCatcher.

—Je vous en sais gré, mêmesi je ne les connaissais paspersonnellement. Je suis justevenu donner un coup de main.Les Solitaires possèdent unebrigade chargée des servicespublics. Elle n'est composéeque de volontaires, mais nousassumons toutes sortes detâches. Certaines plus

macabres que d'autres.Horace jeta un regard

circulaire autour de lui. Lequartier semblait calme etendormi, mais notre groupeinsolite finirait forcément parattirer l'attention.

— Entrons, proposa Horace.Nous nous sommes occupésdes gamins.

— Des gamins, répétai-je.— Oliver et Eve. Ils étaient

relativement jeunes. Desgamins, pour moi et la plupartdes personnes que je côtoie.

Il nous indiqua un endroitoù la barrière était chiffonnée,puis la souleva de sorte que

nous puissions nous faufilerdessous. Une fois dansl'enceinte de la propriété,Horace nous conduisit versune double porte.

— Toi aussi, tu es unegamine, ajouta-t-il à monintention.

— Je suis une vampiredepuis avril.

— La transition s'est bienpassée ?

— Il y a eu des hauts et desbas.

Les battants du lourd portailindustriel pendaientmisérablement sur leurs gonds.Quand Horace les poussa des

deux mains, le métal frottacontre la dalle de béton,faisant jaillir des étincelles.Lorsqu'il eut ménagé unespace assez large pour s'yglisser, il alluma une lampetorche.

A l'intérieur, il se dirigeavers une cage d'escalier.Catcher sur les talons, je lesuivis jusqu'au deuxième étageet émergeai dans unegigantesque salle vide, sansdoute celle qui abritaitautrefois les archives.

Si ce bâtiment avait servid'entrepôt par le passé, il étaitdepuis longtemps désaffecté. Il

ne comportait aucun meuble,aucune étagère, aucune sourced'éclairage. Les murs de briquenue étaient couverts degraffitis et l'eau qui gouttaitdes tuiles du toit formait desflaques sur le plancher en boisprofondément marqué.

Horace dirigea le faisceaulumineux vers le fond de lavaste salle, où la porte menantà la pièce dérobée que Jamesavait trouvée était restéeouverte.

— Je vous laisse là,annonça-t-il. J'y suis entréune fois, ça me suffit. Je vousattends ici.

Je saisis la lampe qu'il metendait et hochai la tête.Catcher à mon côté, le cerclede lumière tressautant devantmoi, je traversai la pièce quirésonnait de l'écho de nos passur le vieux parquet.

J'atteignis la porte secrète,une plaque imitant l'aspect dela brique qui, une fois fermée,devait s'insérer discrètementdans le mur. James ne l'auraitjamais repérée s'il n'avait pasdécelé une odeur de sang.

Le battant pivotait sur unseul gond supportant tout sonpoids. À droite, une briquedépassait légèrement du bord.

Sans doute le loquetpermettant d'actionnerl'ouverture.

— Intéressant, ce système,commenta Catcher.

— Pour quelqu'un désireuxde dissimuler quelque chose,oui.

Un puissant arôme de sangémanait de la pièce dérobée.Je me félicitai d'en avoir buavant de quitter la Maison.Même si l'hémoglobine de deuxSolitaires assassinés nem'attirait pas du tout d'unpoint de vue personnel, mesinstincts primitifs de vampirene se souciaient guère de

l'éthique, et l'origine du sangne diminuait en rien sonattrait. J'étais une vampire ;du sang était du sang.

Je pénétrai dans la pièce.Comme Horace l'avait

promis, les corps d'Eve etOliver avaient disparu.Restaient cependant les tracesde leur meurtre brutal. Uneflaque sombre s'étalait au sol,encore luisante dansl'humidité de la nuit.

Les effluves qui s'endégageaient me submergèrent,et je fermai les yeux unmoment pour réprimerl'attraction instinctive qu'ils

exerçaient sur moi.— Maîtrise-toi, chuchota

Catcher en avançant vers lamare sanglante.

— Je suis en train, luiassurai-je.

Une fois sûre d'être enmesure de me contrôler, jerouvris les yeux, puis balayailes alentours du faisceau de lalampe torche dans l'espoir dedécouvrir des indices. La pièce,assez grande, mesurait environneuf mètres sur neuf.

Elle était dépourvue defenêtres, d'étagères et desautres éléments que l'on auraitpu s'attendre à trouver dans

un entrepôt. Comme ailleursdans le bâtiment, les mursétaient composés de briquenue. Hormis ses dimensions etla porte dérobée, rien nedistinguait cet endroit du restede l'édifice.

— Peut-être qu'ils utilisaientcette pièce comme lieu destockage sécurisé ? avançaCatcher.

— Possible, approuvai-je. Lesclients paient un peu pluscher, et leurs biens sont missous clé dans la chambresecrète.

— Si ce bâtiment date desannées 1940, ça veut dire qu'il

a été construit pendant laguerre. Nous ne sommes pasloin du site où a été mené leprojet Manhattan. Desinformations scientifiquessensibles ont pu êtreentreposées ici, ce quiexpliquerait les mesures desécurité.

Je hochai la tête enparcourant la pièce, déplaçantle rai lumineux de la lampe dequelques centimètres à chaquepas, comme le faisaient lesinspecteurs procédant àl'investigation d'une scène decrime à la télévision. Et,

exactement comme dans lesséries médico-légales, lesuspens ne se brisa qu'à la fin,quand quelque chose sur le solcapta mon regard.

— Catcher, appelai-je enfigeant le jet de lumière.

Là, dans la poussière et lacrasse, reposait un petit éclatde bois.

Sachant désormais ce que jecherchais, j'examinaiattentivement les alentours...et en découvris davantage.Deux, puis une dizaine, puisune centaine disséminés entriangle dont la base mesuraitenviron trois mètres.

— Qu'est-ce que tu astrouvé ? s'enquit Catcher.

J'en ramassai un et le plaçaiclans la paume de ma main. Iln'était pas plus large qu'uncure-dents, mais déchiqueté,et non lisse.

— Des fragments de bois. Etje parie que c'est du tremble.

— McKetrick ? demandaCatcher.

— Ça pourrait provenir deses balles spéciales, reconnus-je avec réticence.

McKetrick avait inventé unearme qui permettait de tirerdes munitions de trembledestinées à réduire les

vampires en cendres. Il avaitessayé de l'utiliser contre moi.Heureusement pour moi, sonfusil avait explosé dans sesmains, et il avait reçu laplupart des débris de bois et demétal qui avaient été projetés.Je ne l'avais pas revu enpersonne depuis lors. Même sije soupçonnais que nousn'avions pas fini d'entendreparler de McKetrick,l'éventualité qu'il reprenne duservice ne m'enchantait guère.Malheureusement, les preuvespointaient dans sa direction.

Catcher s'agenouilla pour

ramasser un autre éclat debois.

— Oliver et Eve ont étédécapités. Si le meurtrierpossédait un fusil, pourquoi nepas l'avoir utilisé pour lestuer ? Il voulait d'abord leseffrayer ?

— Je ne sais pas, avouai-je.Il est possible qu'il s'en soitservi lors de la première étapede l'agression, en guise d'armede dissuasion. Peut-être quec'est ce qui lui a permis de lesemmener jusqu'à cette pièce.Si c'est lui qui a fait ça...

La colère enflait en moi à lapensée que McKetrick pouvait

être impliqué dans cetteaffaire et avoir pris la vie dedeux vampires innocents.

— Nous ne sommes pas sûrsque ce soit McKetrick qui lesait tués, objecta Catcher. Peut-être qu'il s'est servi de sonarme, puis que quelqu'und'autre a terminé le travail.Aucune preuve directe nel'incrimine. J'avais cependantun pressentiment.

— Ça correspondrait tout àfait à McKetrick. Supprimerdes vampires qui tentent de sefaire enregistrer ? Montrer quenous sommes fichus, même sinous essayons de nous plier

aux lois humaines ?— Je suis tout à fait

d'accord avec toi, confirmaCatcher. Mais ça ne suffit pas.

Je savais qu'il avait raison,ce qui ne me soulagea en rien.

Après avoir remercié Horace,

on regagna la maison de mongrand-père. Noah, Rose etElena étaient partis. Ilsavaient aidé Jeff à collectertoutes les informationspossibles avant de ramenerRose, qui était accablée dechagrin.

Je trouvai Jeff assis devantson ordinateur en entrant dans

le bureau. Je lui donnai l'éclatde bois.

Il siffla à la vue dufragment, connaissant lepenchant de McKetrick pour letremble.

— Est-ce que c'est ce que jepense ?

— C'est ce que tu doisdécouvrir. Tu peux le faireanalyser ?

— Je m'en occupe tout desuite.

Catcher s'assit sur sa chaiseen posant les pieds sur sonbureau, puis se passa les mainssur le visage. Étant donné qu'ilavait commencé sa journée en

récupérant des pièces àconviction des heures et desheures plus tôt, il devait êtreépuisé.

— La propriété ? interrogea-t-il.

De toute évidence, il étaittrop fatigué pour construiredes phrases complètes.

— Comme vous l'avezconstaté, le bâtiment est unancien entrepôt, répondit Jeff.Mais je n'ai rien trouvéconcernant l'identité del'actuel propriétaire.

— Rien d'autre ? demandai-je en m'appuyant contre lebureau situé en face du sien.

— Il faut attendre derecevoir les résultats du labo,déclara Catcher. Ça prendraun peu de temps, mais on tetiendra au courant.

J'acquiesçai et me redressai.— Dans ce cas, je vous

laisse. Je dois informer Ethanet Luc. Vous pourriez creuserun peu dans le passé d'Oliveret Eve ? Si ça se trouve, ilsn'ont pas été choisis parhasard. Peut-être qu'ils sontallés quelque part ou qu'ils ontfait quelque chose qui a renduquelqu'un furieux, ce quipermettrait d'expliquer ce quis'est produit.

Je savais que c'était peuprobable, mais j'avais besoinde croire qu'il existait unejustification, une certaineforme de logique, à ce quej'avais vu.

— Sois prudente sur laroute, m'enjoignit Jeff. Etappelle-nous si tu découvresquelque chose d'intéressant.

J'aurais déjà aimé découvrirquelque chose tout court.

J'exécutai le trajet de retourla vitre de la Volvo entrouverteafin que l'air frais dissipe lesodeurs de sang et de mort.

Après avoir garé la voiture,je trottinai jusqu'à la Maison

et me rendis immédiatementdans le bureau d'Ethan. Jetrouvai la porte entrebâillée, etEthan debout devant la tablede conférence, en traind'examiner une liasse dedocuments.

Il leva la tête à mon arrivée,et une fine ride d'inquiétude secreusa sur son front.

— Merit ?— Oliver et Eve sont morts,

annonçai-je en entrant. Ilferma les yeux un instant.

— Comment ?Je m'approchai de lui afin

de pouvoir parler à voix basse.Inutile d'ébruiter les détails

morbides.— Décapités. On les a

retrouvés dans un entrepôt deLittle Italy, dans une piècesécurisée dissimulée au fondd'une des salles de stockage.Leurs corps avaient été mis enscène, mais nous n'avonstrouvé aucun indice notable àl'exception d'éclats de bois ausol. De nombreux éclats debois, ressemblant fortement àceux projetés par l'arme deMcKetrick.

Ethan plissa les yeux demanière menaçante.

— Vous avez découvert despreuves de son implication ?

— Uniquement des preuves

— Uniquement des preuvesindirectes. Rien d'autre que lebois, pour le moment. Jeff etCatcher envoient l'un desfragments à l'inspecteurJacobs. Le téléphone et leverre qu'on a retrouvés dans laruelle sont déjà en sapossession. Malheureusement,nous n'avons pas d'autreséléments. La piste des actes depropriété n'a rien donné.

Il s'avança vers moi et posaune main sur ma joue.

— Et toi, comment tu vas ?— Je suis sous le choc,

avouai-je. Noah et sesSolitaires sont clairement

abattus, et on n'a rien d'autreque de potentiels résultats delaboratoire. Jeff va tout demême fouiller dans le passéd'Eve et Oliver. Peut-être qu'iltrouvera quelque chose.

Ethan me caressa la joue dupouce puis déposa un baisersur mon front.

— C'est une bonne idée,Sentinelle.

— Des nouvelles de Darius ?— Non. Mais je suppose que

ça ne va pas tarder. Dariusagit rarement sans motifprécis.

— Est-ce que Paige adécouvert ce que pourrait être

ce motif ?— Pas encore. Les données

concernant les autresDécertifications ne nous ontpas vraiment aidés. Elles onteu lieu il y a de nombreusesannées, et les désaccordsportaient notamment sur deséquations d'alchimie et letraitement des tenanciers. Leséventuelles leçons à en tirerne sont guère applicables àl'époque moderne.

Je poussai un soupir dedéception puis, me rappelantle commentaire de Jonah ausujet d'un contrat crucial, jefeignis un éclair de génie.

— Tu sais, vu que lesvampires, comme tu me l'asdit, aiment suivre des règles,peut-être qu'il y a quelquechose à creuser dans les règleselles-mêmes. Je suppose qu'ilexiste un contrat entre laMaison et le PG traitant dupartage des bénéfices et cegenre de choses. Est-ce qu'iln'évoquerait pas également latransition ?

Ethan haussa les sourcils,surpris.

— Ce n'est pas une mauvaiseidée, Sentinelle. Je vais enparler à Paige.

Sans représenter une

évolution vraiment positive,c'était toujours un progrès. Etj'en avais vraiment besoin.

Quelqu'un frappa à la porte.Un homme aux cheveux noirsapparut sur le seuil. Lamâchoire carrée, lespommettes sculptées, il avaitun visage anguleux, mais nondénué de charme, notammentgrâce à ses grands yeuxnoisette ourlés de longs cilsrecourbés. Il portait unpantalon noir et une chemiseblanche, et arborait unechevalière à la main droite. Ilétait séduisant, mais d'une

beauté presque austère,comme s'il avait été Spartiatedans une vie antérieure.

— Je vous dérange ?s'enquit-il.

— Tu arrives juste à l'heure,répondit Ethan en se dirigeantvers lui, la main tendue. Jesuis content de te voir.

Ils se saluèrent ens'empoignant le coude, l'un deces rituels masculinssuggérant qu'ils seconnaissaient de longue date.

— Je suis content de te voir,moi aussi, Ethan, affirmal'étranger en glissant unregard vers moi. C'est elle, je

suppose ?Avec un sourire malicieux,

Ethan me désigna d'un geste.— C'est elle, en effet. Merit,

je te présente MichaelDonovan, notre consultant ensécurité.

— Merit, dis-je en tendant lamain.

Michael la serra avecfermeté et assurance.

Sa magie, subtile,m'analysait, prenait mamesure. Ce n'était pas lepremier vampire à me testerainsi - Célina était réputéepour ce genre d'examen -,mais, étant donné qu'Ethan lui

faisait confiance, je le laissaifaire.

— Michael Donovan,déclara-t-il. Vous êtesSentinelle ?

— Toute la nuit.Il esquissa un sourire qui

creusa une fossette au coin deses lèvres.

— Elle ne manque pasd'esprit, Ethan.

— Non, confirmai-je en lesdévisageant tour à tour.Comment vous êtes-vousrencontrés, tous les deux ?

— Nous avons faitconnaissance il y a quelquesannées, répondit Ethan.

Michael fréquentait Célina.Je considérai le nouveau

venu avec méfiance et retinsle commentaire sarcastiquequi aurait dû suivre uneremarque de ce genre. Jen'étais certes pas une ferventeadoratrice de Célina, loin s'enfallait, mais de nombreuxvampires, y compris lesmembres du PG, nepartageaient pas mon opinion.

— Ah bon ? me contentai-jede dire. Vous faites partie de laMaison Navarre ?

— Non, répondit Michael ense penchant vers moi, desétincelles dans les yeux. Et je

n'étais pas non plus unadmirateur de CélinaDesaulniers.

— Alors, vous êtes du côtédu droit et de la justice, et jene vous en tiendrai pasrigueur.

— Ça me sembleraisonnable, déclara-t-il en metendant une main amicale.

Lorsque je la serrai, je mesurpris à apprécier le nouveaugourou de la sécurité d'Ethan.

On frappa de nouveau à laporte. Le bureau d'Ethan étaitapparemment devenu unvéritable hall de gare.

Malik apparut.

— Je suis désolé, maispourrais-je vous interrompreun moment ? demanda-t-il.Notre banquier a une questionurgente.

— Bien sûr. Excusez-moi,dit Ethan avec un sourire poliavant de suivre Malik hors dela pièce, me laissant seuleavec Michael Donovan.

Leur évidente amitié mise àpart, j'étais curieuse de savoirpourquoi Ethan ressentait lebesoin d'engager un expert ensécurité alors qu'il disposait degardes à l'intérieur de laMaison et de fées mercenairesà l'extérieur.

— En quoi consisteexactement le travail d'unconsultant en sécurité ?demandai-je.

Même si je n'avais pas eul'intention de le provoquer, jeperçus dans ma voix unepointe de suspicion queMichael Donovan ne putmanquer.

J'en blâmai mon père.C'était un as en affaires, mais,au cours de ses diversesnégociations, j'avais vu aller etvenir des dizaines deconseillers dont l'uniquetalent, d'après ce que j'avaispu constater, se résumait à

valider tout ce que mon pèreleur disait. Pour moi, cen'étaient que des béni-oui-ouiqui n'apportaient rien d'autreque leur volonté de chanter leslouanges de mon père etd'abattre tous ceux quimenaçaient leur carrière.

— Je ne facilite pas lasynergie synergique, réponditMichael.

— Pardon ?— La synergie synergique.

C'est l'une de ces phrases videsde sens du jargon del'entreprise qui signifie quel'on va vous soutirer unegrosse somme d'argent.

Je me sentis rougirjusqu'aux orteils, mortifiée parsa repartie.

Il croisa les bras et ébauchaun petit sourire.

— J'apprécie votre évidentscepticisme. Il est facile des'autoproclamer consultant,mais plus difficile de fournirun réel service à ses clients.En bref, mon travail consiste àfaire en sorte que la Maisonsoit plus forte après laséparation qu'avant. J'analyseentre autres votre capacité àréagir face à la crise et étudievotre sécurité d'un point devue physique et technique.

J'essaie d'identifier les fissuresdans l'armure de Cadogan afinde les combler, ou, du moins,j'ai fait mon possible dans lecourt laps de temps qui m'a étéimparti depuis le vote ayantdécidé de la scission.

— Et avez-vous trouvé desfailles ?

Il acquiesça d'un hochementde tête.

— Pas beaucoup. Lucconnaît son métier, maiscertains aspects peuventencore être améliorés. Vosprotocoles de sécurité del'information ne sont pas aussisolides que je le souhaiterais ;

nous les avons mis à jour. Leplan d'évacuation de la Maisonest excellent, mais jepréférerais que vous disposiezde plus d'optionsd'hébergement alternatif. (Il sepencha légèrement.) Et, pourêtre franc, je n'approuve pasvraiment le choix des gardesextérieurs, mais Ethan ne veutrien entendre à ce sujet.

— Les fées peuvent êtreassez inconstantes, reconnus-je.

— En effet. Mais ce que jeredoute le plus, c'est le PG. Jene suis pas non plus unadmirateur de Darius West,

mais il a des couilles en acier.Il a accompli assez deprouesses au cours de sonexistence de vampire pour leprouver.

— Malheureusement, jepartage votre avis.

Les membres du PG avaientla réputation de faire partiedes plus forts vampires aumonde, avec des compétencesphysiques et psychiques -comme la capacité à charmerles humains - qui leurconféraient une certainesupériorité. C'étaitprécisément la raison pourlaquelle ils avaient été choisis

pour nous diriger, même s'ilparaissait évident que lapuissance ne s'accompagnaitpas forcément de qualités deleadership.

— Je ne sais pas ce que vousen pensez, poursuivit Michael,mais j'aimerais égalementaccélérer la réinvestitured'Ethan en tant que Maître dela Maison. Malik et moicroyons tous les deux que celacontribuerait à renforcer laposition de Cadogan. Ethan nepartage pas ce point de vue.

Je n'étais pas au courant,mais j'appréciais que Michaelme confie cette information.

— Et pourquoi ?— Je suppose qu'il

préférerait que la passation depouvoirs se déroule dans descirconstances plus gaies. Quece soit un événement festif etnon pas une formalitéprécipitée par les craintesqu'inspire le PG.

Ce raisonnement se tenait.Michael reprit :

— A mon tour de poser desquestions.

Il changea d'attitude. Lesbras croisés, il baissa lementon et étrécit les yeux, mejaugeant d'un regard critique.Il était passé en mode

« sécurité ».— Vous étiez étudiante ?— Oui. A l'université de

Chicago. Littérature anglaise.— Et vous avez été

transformée à vingt-sept ans.— Presque vingt-huit.— Vous avez intégré la

Maison la même année ?— Oui. J'ai été nommée

Sentinelle lors de maRecommandation en avril.

— Ethan a-t-il dû vouscourtiser ?

— Pardon?Faisait-il allusion à notre

couple ?— Pour vous convaincre de

rejoindre Cadogan, je veuxdire. Il ne peut s'agir d'unesimple coïncidence que voussoyez la fille de Joshua Merit.Je suppose que c'est la raisonpour laquelle Ethan vous achangée ? Même si je ne doutepas que vous possédiez d'autresqualités qui vous sont propres,bien entendu.

Seules quelques rarespersonnes connaissaient lescirconstances de matransformation en vampire,notamment le fait qu'Ethanm'avait mordue pour mesauver la vie après une

violente agression.Malheureusement, ce n'étaitpas la première fois que l'onm'accusait d'avoir accédé auvampirisme et à l'immortalitégrâce aux relations de monpère.

— Ethan ne m'a pasrecrutée à cause de mafamille.

D'ailleurs, Ethan ne m'avaitpas recrutée du tout, même s'ilaurait été faux d'affirmer quemon père n'avait joué aucunrôle dans cette histoire.

Michael me considéra unmoment avec une expressioninsondable.

— Très bien, dit-ilfinalement.

— S'agissait-il d'un test ?Juste pour voir comment jeréagirais ?

— En partie. Et en partie dela simple curiosité. Ethan estquelqu'un d'assez solitaire. J'aiété surpris d'apprendre qu'ilavait choisi de partager sa vieavec quelqu'un.

L'intéressé reparut dans lapièce.

— Tout va bien ? demandai-je.

— Très bien, assura Ethanavant de s'immobiliser pournous regarder tour à tour,

ayant sans doute perçu latension dans l'air. Et ici, toutva bien ?

— Pas de problème, affirmaMichael. Nous ne faisions quetester nos défenses mutuelles.

C'était tout à fait cela,pensai-je.

— C'est dans votre nature àtous les deux, commentaEthan en posant une main surmon bras. Nous avons dutravail, Sentinelle. Si tu veuxbien descendre à la salle desopérations pour informer Lucdes derniers détails au sujetdes Solitaires...

Je savais reconnaître quand

on me congédiait.— Bien entendu, Sire, dis-je

avec un léger salut militaire.Ethan leva les yeux au ciel.

— Merit, déclara Michael.J'ai été ravi de faire votreconnaissance. Je suis sûr quenous nous reverrons.

S'il devait guider la MaisonCadogan durant les ultimesétapes de la transition, celasemblait plus que probable.

Alors que je me dirigeaisvers l'escalier, je reçus untexto de Mallory qui voulaitsavoir si j'avais envie d'allermanger une pizza.

Elle me manquait,

sincèrement. Lindsey était unechic fille et j'étais heureused'avoir des amis au sein de laMaison à qui conter mesmalheurs, mais Mallory et moipartagions une histoirecommune et l'intimité quiaccompagne une longueamitié.

Soudain submergée par unevague de mélancolie, jeregrettai mon ancienne vie, oùmon unique souci consistait àme demander si je serais prêtepour les cours du lendemain àl'université. A cette époque, jem'inquiétais de dates de

remise, de rédaction demémoires, de notation dedevoirs, de savoir si ma voiturerésisterait à un hiver de plus àChicago - réponse : oui - et siles Cubs gagneraient un autrechampionnat - réponse : non.

A présent, je me préoccupaisde meurtres, de la sécurité dema Maison et d'empêcher mameilleure amie de replonger lamain dans le pot de magienoire.

Cela étant, ces tourmentssurnaturels s'accompagnaientde la présence d'Ethan et de lasatisfaction de savoir quej'aidais véritablement les

vampires de ma Maison.À cet instant, Cadogan

constituait ma priorité.« Pas possible ce soir »,

écrivis-je. « Suis en pleineenquête. Une autre fois ? »

« Bien sûr », répondit-elle.Je glissai de nouveau mon

téléphone dans ma poche. Unjour, je l'espérais, Mallory etmoi nous retrouverions.

6

Les remplaçants Le sous-sol abritait la salle

des opérations, le quartiergénéral de la Garde où nousdébattions des problèmessurnaturels et élaborions desstratégies destinées à lesrésoudre. C'était également lecentre névralgique de lasécurité de la Maison, avec son

réseau d'écrans reliés à unsystème de vidéosurveillancepermettant d'observer Cadoganet son domaine, et de détecterd'éventuelles menaces.

La pièce, high-tech,comportait de multiplesordinateurs, une grande tablede conférence et toutes sortesde gadgets électroniquesdernier cri. Elle se trouvait àproximité de la salled'entraînement et de l'arsenal,nous offrant la possibilité denous exercer à tout moment etgarantissant un accès rapideaux armes, si jamais le besoin

s'en faisait sentir.Je ne faisais pas à

proprement parler partie de laGarde, mais je renforçais leseffectifs à l'occasion, quand lasituation tournait mal. Ce quiétait arrivé fréquemment cesderniers temps.

Trois gardes chevronnéescomposaient l'équipe : Juliet,Lindsey et Kelley, laremplaçante provisoire de Luc.Elles étaient assistées dequelques intérimaires que Lucavait engagés pour occuper lespostes vacants.

Ce soir-là, le silence régnaitdans la salle des opérations.

Kelley était absente, sansdoute partie faire une ronde,tandis que Juliet, une vampirerousse et gracile, étudiait lafile d'écrans retransmettantles images des caméras desurveillance.

Lindsey était assise à latable de conférence devantune tablette numérique, un potde yaourt et une cuillère enplastique à la main. En face,Luc lisait un journal, jambescroisées, les pieds posés sur latable. J'avais l'impression depénétrer dans l'intimité de leurcuisine au moment du petit

déjeuner.— Il faut qu'on trouve un

surnom pour votre couple,affirmai-je en m'installantavec eux. Lucsey, peut-être ?

Sans ciller, Luc tourna unepage de son journal.

— Appelle-nous comme ruveux, Sentinelle. On a déjà unsurnom pour vous.

Voilà une nouvelleinquiétante. Même s'iln'existait aucun moyen d'yéchapper, je n'étais pas sûred'avoir envie que ma vieamoureuse alimente les potinsde la salle des opérations.

— Non.

— Si si, assura Lindsey enraclant bruyamment son potde yaourt à l'aide de sacuillère. Vous êtes Methan.

— Quoi ?— Methan. Merit et Ethan.

Methan.— Personne ne nous appelle

comme ça.Tous les vampires présents

se tournèrent vers moi avecdes expressions sardoniques.Quand ils hochèrent tous latête en même temps, je metassai légèrement sur machaise.

— Tout le monde vousappelle comme ça, déclara Luc

à la place des autres. Enfin, ons'efforce de ne pas parler devous en permanence. Nousavons tous mieux à faire quedisséquer votre relation...

— Pas moi, l'interrompitLindsey en levant sa cuillère.

— D'accord, nous avons tousmieux à faire, sauf Lindsey, etje ne prendrai pas cecommentaire comme unaffront personnel. Bon, vuqu'on a zappé les politesses, jete souhaite le bonsoir,Sentinelle.

— Bonsoir, marmonnai-je.Le consultant en sécurité estarrivé, il est en réunion avec

Ethan. Il m'a dit que tu luiavais déjà parlé ?

— Nous nous sommes parlé,oui, confirma Luc. Pour êtrefranc, je trouve sessuggestions inutiles. Pasdangereuses, mais d'uneprudence exagérée. Cela dit, siça fait plaisir au big boss, jem'incline.

— Je l'ai rencontré en débutde soirée, annonça Lindsey enjetant son pot de yaourt et sacuillère dans une poubelle àl'autre bout de la salle. (Elleavait exécuté un lancerparfait, et son tir atteignit sacible dans un choc sonore.) Il

est canon, lâcha-t-elle ens'essuyant les mains. Grand,ténébreux, avec un petit côtésauvage.

— Eh oh, je suis là, protestaLuc.

— C'est vrai, tu es là alorsque j'affirme qu'un hommen'ayant aucun rapport avec toiest super sexy.

Luc grommela, maisn'insista pas.

— Sentinelle, quoi de neufpar chez toi ? me demanda-t-il.

— Oh, pas grand-chose, dis-je avant de leur parler d'Oliveret Eve, des Solitaires en deuil

et de ce que nous avionsdécouvert dans l'entrepôt.

Pendant que je leur livraismon récit, Lindsey se levapour aller chercher notreaccessoire préféré - un énormetableau blanc sur lequel nousnotions les idées qui nousvenaient à l'esprit et les pistesdont nous disposions -, etcommença à écrire ce quenous savions.

— Le bois, si c'est dutremble, nous mènera denouveau vers McKetrick,conclus-je.

Lindsey se figea et échangeaavec Luc un regard qui ne me

disait rien qui vaille.— Qu'est-ce qui se passe ?

demandai-je.— Il y a quelque chose que

tu dois voir.Il tapota sur une console

insérée dans le plateau de latable jusqu'à ce qu'une imageapparaisse sur l'écran duvidéoprojecteur.

Il avait sélectionné surInternet un extrait desinformations télévisées quiavaient été diffusées dans lajournée.

La vidéo montrait DianeKowalczyk derrière un pupitre.A côté du maire de Chicago se

tenait McKetrick. Nousl'avions déjà vu dans cetteposition auparavant, léchantles bottes de Kowalczyk etmontant la garde auprès d'ellecomme une Sentinellehumaine malveillante.

Il portait un costume quichangeait de son habitueltreillis militaire. Les cicatricesqu'avait laissées samésaventure avec son fusilchargé de tremble sautaientaux yeux. Son visage étaitgrêlé de cratères, zébré debalafres et de brûlures du coujusqu'au front. Il avait un œil

d'un blanc laiteux, tandis quel'autre, vif et alerte, brillaitd'une lueur indéniablementmauvaise.

— Attends, je mets plus fort,dit Luc en modifiant lesréglages à l'aide de la console.

Le son, symbolisé par unebarre verte en bas de l'écran,s'amplifia progressivement, etavec lui la voix d'hôtesse del'air de Kowalczyk. C'était unebelle femme, élégante etséduisante, mais elle défendaitdes convictions politiquesanti-surnats détestables.

« Cette ville a été fondéepar des humains, déclama-t-

el l e. Nous vivons ici; noustravaillons ici; nous payonsdes impôts. »

— Nous aussi on vit ici, ontravaille ici et on paie desimpôts, marmonna Luc. Et onle faisait déjà alors qu'elle etles autres humains de cetteville n'étaient pas encore nés.

« Les habitants de Chicagoméritent une ville libérée dela délinquance dessurnaturels. De leur violence.De leurs tromperies. Nous,citoyens de Chicago, nereculons pas devant lesdifficultés, assena-t-elle d'unevoix soudain teintée d'un

accent du Midwest. Nous lesaffrontons. Un jour, l'ancienmaire a jugé important decréer un bureau où les"surnats", comme on lesappelle, pourraient seprésenter et demander à laville de les aider à résoudreleurs problèmes. Il Ta appelé"Agence de médiation ", et jesuis fière de dire que je l'aifermé. Nous n'en avions pasbesoin alors, et n'en avonspas plus besoin maintenant.Ce dont nous avons besoin, cedont la ville de Chicago abesoin, c'est d'une

administration capabled'aider les humains à réglerles problèmes que leur posentles surnaturels. »

— Oh non, murmurai-je,devinant la suite.

« C'est pourquoi je suis trèsheureuse aujourd'hui de vousannoncer la création duBureau de liaison. J'aiégalement le plaisir de vousapprendre que j'ai demandé àJohn Q McKetrick d'enassurer la direction et deremplir la fonction deresponsable de liaison. »

Oh, c'était mauvais. Trèstrès très mauvais. Elle avait

nommé « responsable deliaison » un hommenourrissant le projet dedébarrasser la ville de sesvampires par n'importe quelmoyen. Elle lui avait offert untitre, un bureau, une équipe, etune totale légitimité. Ce quisignifiait que, même s'il étaitimpliqué dans les meurtresd'Eve et Oliver, il était àprésent politiquementintouchable.

Mon grand-père allaitdevenir fou.

« Tous les surnaturels nesont pas des criminels, biensûr. Mais cet homme porte les

cicatrices de sa rencontreavec l'un de leurs élémentsindésirables, et je crois qu'il abeaucoup à nous apprendresur ceux qui partagent notreville. »

Une rage sourde s'empara demoi. McKetrick portait cescicatrices parce que c'était uncriminel qui haïssait lesvampires. Il s'était lui-mêmeinfligé ces blessures, et demanière littérale, alors qu'ilcomptait déchaîner sur moises pulsions misanthropes.

McKetrick adressa unsourire à Kowalczyk avant deprendre sa place derrière le

pupitre.« Chicago n'est pas ce

qu'elle semble être. Nousvivons dans un monde desoleil et de lumière. Mais lanuit, un mal sombre serépand dans les rues. Pourl'instant, nous contrôlonstoujours cette ville, mais, sinous ne nous montrons pasvigilants, si nous n'agissonspas avec fermeté, nousdeviendrons une minoritédans notre propre cité. »

Ces propos xénophobes melaissèrent sans voix.McKetrick avait apparemmentété engagé par le maire pour

cracher sur les surnaturels.Était-ce un exemple de cequ'allait devenir le discourspublic ?

« Cette administration apour but de faire briller lalumière sur Chicago. Montravail consiste à protéger leshumains des manigances dessurnaturels et faire en sorteque cette ville soit non pas unexemple d'excellence pour lepays, mais pour le mondeentier. »

S'ensuivirent quelquesapplaudissements timides - etsans doute dirigés - qui seturent lorsque Luc éteignit la

vidéo.— Ce type est un crétin !

lança Lindsey. Astérisque : jele hais. Note de bas de page :qu'il aille se faire foutre.

— On a compris, chérie, ditLuc avec bienveillance. Mêmesi je partage ton sentiment. Etje n'ai vraiment aucune envied'en parler à Ethan.

— Comme s'il avait besoind'une source de soucissupplémentaire en ce moment,soupirai-je avec un élan decompassion pour lui.Maintenant, un agitateurd'épouvantails trône à unposte officiel. Il ne nous reste

plus qu'à espérer queMcKetrick n'a pas tué Oliver etEve, parce que, si c'est le cas,le maire vient de nommer unassassin à son cabinet.

Quoi qu'il en soit, les éclatsde bois semblaient l'incrimineret devaient être analysés.

— Quand j'aurai parlé àEthan, j'informerai lesCapitaines des autres Maisons,déclara Luc. Non maisfranchement, John Q.McKetrick ? Pourquoi pasJohn Tartempion, tant qu'on yest ? Comment peut-elle nepas se rendre compte que c'estun faux nom ? Ça paraît

évident.— Parce qu'elle est stupide,

répliquai-je. Elle l'estforcément, pour croire que cesoit une bonne idée de donnerdu pouvoir à ce type.

Mon téléphone vibra,annonçant l'arrivée d'unmessage. Je le sortis de mapoche ; c'était Jeff.

« D'après insp. Jacobs, pasd'empreintes ni autre matérielbiologique sur téléphone d'Eve.Mais bois est du tremble. »

C'était toute l'informationdont j'avais besoin. Je melevai et me dirigeai vers laporte.

— Où tu vas ? s'enquit Luc.Je me tournai vers lui,

animée d'une déterminationfarouche.

— Deux vampires sontmorts, et le crime porte lasignature de McKetrick. Étantdonné que je sais maintenantoù se terre ce cher John Q, ouquel que soit son nom, je croisque le moment est venud'avoir une petite discussionavec lui.

A cette heure avancée -

presque minuit -, la plupart desbureaux devaient être déserts.Cependant, McKetrick avait

été affecté à un serviceconsacré aux surnaturels ; laplupart d'entre eux vivant lanuit, je supposai que j'auraisde grandes chances de letrouver à son poste.

De plus, je suspectais cethomme d'avoir commis unmeurtre. Je n'allais pas luifixer rendez-vous chez lui ouau « QG », dont j'avais entenduparler une fois.L'administration de cette villeavait beau ne pas affectionnerles vampires, une visite aubureau de McKetrick paraissaitl'option la plus sûre.

Après avoir trouvé son

numéro sur Internet, jem'isolai dans un cointranquille du rez-de-chausséepour l'appeler.

— John McKetrick.— C'est Merit. J'ai appris

que vous aviez eu unepromotion. Il marqua unepause au cours de laquelle ilme sembla entendre lesbattements précipités de soncœur.

— C'est vrai, finit-il par dire.Que puis-je faire pour vous,Merit ?

— J'ai pensé que nouspourrions nous rencontrer. Etsi vous me faisiez visiter votre

bureau ?Et m'expliquiez pourquoi

vous vous êtes arrogé le droitde tuer d'innocents vampires,ajoutai-je en mon for intérieur.

Il hésita un moment,réfléchissant sans doute ànotre dernier tête-à-tête et auxmultiples cicatrices qui enavaient résulté. Mais il avaitdû décider que le jeu en valaitla chandelle, car il s'exclama :

— Quelle bonne idée !Son enthousiasme, qui

semblait sincère, ne merassurait pas vraiment, mais jene pensais pas qu'ilm'agresserait dans son bureau

alors qu'il venait juste deprendre ses fonctions. Il nebénéficiait pas encore d'uneaura politique suffisante pourtuer un vampire au DaleyCenter.

Du moins je l'espérais.— Je peux être là dans une

demi-heure, avançai-je.— Je préviendrai la sécurité

de votre arrivée. Je suisimpatient de vous revoir,Merit.

Cet homme me donnait lachair de poule. Même si je nele pensais pas capable decommettre un vampiricidedans son cabinet, j'avertis

Jonah de mon rendez-vous partexto, ainsi que Jeff. Juste aucas où.

Jetant un regard au bureaud'Ethan, je marquai une courtepause. Luc connaissait mesintentions ; je n'avais donc pasà dévoiler mon plan à Ethan.Ce qui m'arrangeait, car, àmon avis, il n'approuverait pasque je rende visite à notreennemi politique numéro unau beau milieu de la nuit, quiplus est sur son territoire.

Dans certaines situations, jepréférais foncer tête baissée etm'excuser ensuite plutôt quedemander la permission.

Un subalterne doit parfoissavoir manager ses supérieurs.

Je conduisis jusqu'au

centre-ville et me garai dansune rue secondaire du Loop. Laplupart des hommes d'affairesétaient rentrés chez eux pourla nuit depuis des heures - sansdoute grâce au métro quidesservait la banlieue -, livrantle quartier au calme et àl'obscurité. M'attendant àdevoir franchir des gardes etdes détecteurs de métaux, jelaissai mon sabre et ma daguedans la voiture.

Quand je levai la tête au

pied du gratte-ciel, une boufféede nervosité m'envahit. LeDaley Center était unbâtiment intimidant, avec sastructure de style fédéralsoulignée par des colonnes quientouraient l'édifice jusqu'àmi-hauteur comme unecouronne de pierre.

— Vous venez souvent parici ?

Je crus que mon cœurs'arrêtait de battre, jusqu'à ceque je pose les yeux surl'homme qui avait troublé lesilence. C'était Jeff, les mainsdans les poches et un grandsourire aux lèvres.

— Qu'est-ce que tu fais là ?— Je me suis dit que tu

aurais besoin de quelqu'unpour protéger tes arrières,répondit-il avec unhaussement d'épaules.

Jeff était un métamorphe,et je ne doutais pas de saforce ; je l'avais déjà vu sebattre, mais jamais sous saforme animale. Cela étant, jen'avais aucune envie qu'il selivre à une démonstration debrutalité bestiale avecMcKetrick à l'intérieur duDaley Center.

Jeff à mon côté, jecontournai le bâtiment jusqu'à

la place qui le longeait, où unegigantesque sculpture dePicasso scrutait les ténèbres.L'œuvre de métal brillait d'uneteinte rouille sous la lumièredes lampadaires, arquée vers leciel tel un insecte robotique.Derrière se dressaient troisénormes hampes que l'on avaitdéjà dépouillées de leurdrapeau pour la nuit.

Tandis que nous traversionsla place, je me sentis soudainseule et minuscule, petitevampire impuissante au milieud'un empire humain qui ne sesouciait guère de ma survie.

— Tout va bien ? s'enquit

Jeff.Je le rassurai d'un

hochement de tête.— Ça va. Je suis juste un

peu tendue.— Je peux monter avec toi,

si tu veux.— Non, je préfère que tu

restes ici. Je n'ai pas enviequ'il se sente piégé, ni que tute retrouves dans sa ligne demire. Ça ira. C'est de la simplenervosité. Je suis sûre quemon courage reviendra dès quej'entrerai dans son bureau.

Il vaudrait mieux, carMcKetrick avait des réponses àme fournir ; ce n'était pas le

moment de se dégonfler.Les nerfs à fleur de peau, je

pénétrai avec Jeff dans le hallprincipal tapissé de marbre etdépassai les divers hommagesà Richard Daley en directiondu comptoir derrière lequelétaient postés les vigiles. Unhomme et une femme à lacoiffure sévère, tous deux enuniforme, levèrent les yeux ànotre approche.

— Je m'appelle Merit,annonçai-je. J'ai rendez-vousavec John McKetrick auBureau de liaison.

S'ils connaissaient monnom, ils n'en montrèrent rien.

L'homme me communiqua lenuméro de l'étage, puism'indiqua un détecteur demétaux, une machine à rayonsX et un portique de sécurité.J'avais bien fait de ne pasemporter mes armes.

Jeff m'accompagna surquelques mètres puis exerçaune pression sur ma main.

— Tu en es capable.J'acquiesçai.— Si je ne suis pas revenue

dans une heure, préviensquelqu'un.

Il gloussa et me considéraavec une expressionprésomptueuse qui me surprit.

— Merit, si tu n'es pasrevenue dans une demi-heure,j'irai te chercher moi-même.

— Ils sont armés, luirappelai-je.

— Je suis un métamorphe,se contenta-t-il de dire avec unsourire.

Mon plan de secours aupoint, j'expirai et avançai versle défi qui m'attendait.

Le bureau de McKetrick setrouvait au troisième étage,entre un service municipal etune salle d'audience dutribunal de police.

La porte arborait son nom etsa fonction en lettres dorées.

Je mourais d'envie de lesarracher, mais parvins à mecontrôler.

Je ressentis ensuite uncertain soulagement enconstatant que ma peur cédaitle pas à la colère. La colèreétait un sentiment bien plusfacile à assumer.

A l'intérieur, je découvris uncomptoir de réception désert etune porte ouverte. Je marchaijusqu'au seuil, d'où j'aperçusMcKetrick debout devant unefenêtre, une tasse à la main,contemplant la place plongéedans l'obscurité de la nuit.

Il se tourna vers moi et

m'adressa un mince sourire.Les cicatrices de son visagem'apparurent encore plusmarquées qu'à la télévision. Sapeau paraissaitdésagréablement boursoufléepar endroits, aussi fine que dupapier à d'autres. Ces lésions lefaisaient sans nul doutesouffrir.

— Merit. C'est tellementgentil de votre part de passerme dire bonjour.

J'observai la pièce avec unevague curiosité.

— Alors, c'est ici que vous amis Mme Kowalczyk. Dansvotre propre petit bureau,

derrière un masque delégitimité.

— J'ai bonne réputation,répliqua-t-il. Contrairement àcertains.

— Je suis une vampiredûment enregistrée, luiassurai-je. Je peux vousmontrer ma carte, si vous neme croyez pas.

Un sourire aux lèvres, il allas'asseoir sur son siège debureau, appréciant visiblementnotre joute verbale.

— Vous savez quel est votreproblème, Merit ? Vous er vossemblables vous croyezmeilleurs que nous. Je sais ce

que vous pensez. Vous vousconsidérez comme un progrèsde l'évolution grâce à votremutation génétique. Mais êtredes vampires ne vous rend passpéciaux. Cela vous rendnuisibles. (Il joignit les mainssur son bureau et se pencha enavant.) Et je suis là pourprotéger Chicago des verminesde votre espèce.

— Vous n'êtes qu'un racisted'un nouveau genre.

— Je dirige une équipe, j'aiun bureau et les faveurs dumaire. Elle me croit, voussavez.

— Elle croyait Tate aussi. Et

vous avez pu constater lerésultat. La ville entière a vuses ailes de chauve-souris.

Il secoua la tête.— Dire que je pensais que

vous me montreriez un peu derespect maintenant que mesopinions ont été validées.

Je n'étais pas persuadée quela stupidité du maire équivalaità une validation de sesconvictions, mais cela nevalait pas la peine d'endiscuter.

— Est-ce que cela signifieque vous êtes autorisés àéliminer des vampires ?

Ma question sembla amuser

McKetrick.— Vous voulez parler de

notre petit incident duMidway ? C'est du passé, Merit.

Il faisait allusion à notredernière rencontre, au coursde laquelle il avait pointé sonfusil à tremble sur moi.

— Je veux parler des deuxvampires que vous avez tués.Des personnes serviablesassassinées sans raison.

— Je n'ai tué aucunvampire, assura-t-il avec unsourire carnassier. Pasrécemment, du moins.

Son ton désinvolte mehérissa. La colère monta et se

répandit en moi, m'échauffantinstantanément le sang etfaisant virer mes iris àl'argenté.

Il écarquilla les yeux depeur, ce qui me réjouit plusque ça ne l'aurait dû.

— Deux vampires sontmorts, et votre fusil à tremblea été utilisé pour les empêcherde fuir.

Il semblait sincèrementsurpris par cette révélation, àen croire son expression. Oualors, il jouait vraiment bien lacomédie. Mais commentpouvait-il être surpris ?

— C'est impossible, affirma-

t-il en retrouvant sonimpassibilité.

Il avait beau ne pas êtreenchanté d'avoir un vampirefuribond dans son bureau, sontempérament de guerrier luipermettait de maîtriser sesémotions.

— J'ai vu les éclats de bois,et nous les avons fait analyser.C'était du tremble.

Je l'observai un moment,épiant sa réaction à cetteaccusation grâce à mes sensexacerbés. En tendantsuffisamment l'oreille, jepercevais les battementssourds de son cœur et les

pulsations rythmiques du sangdans ses veines. Les deuxsemblaient rapides, mais sansplus. Peut-être n'était-il pastout à fait détendu, mais iln'avait rien d'un prédateurinquiet non plus.

— Arrêtez d'utiliser votremagie sur moi.

À mon avis, il ignorait si jepossédais de réels pouvoirs,mais c'était à mon tour debluffer.

— Je ne vois pas de quoivous voulez parler.

— Comme si je pouvaiscroire un mot de ce que vousdites. Regardez-moi en face,

Merit. Regardez ce que vousm'avez fait.

Une lueur fanatique brillaitdans ses yeux. Il avait réussi àse convaincre que j'avais causéses blessures, alors que lui seulétait à blâmer. Je supposaiqu'il était plus facile pour luide me décréter coupable plutôtqu'avouer qu'il s'était mutilélui-même.

— Votre fusil a explosé, luirappelai-je. Un fusil que vousavez tenté d'utiliser contremoi, alors que je n'étais pasarmée.

— Mensonges, se contenta-t-il de rétorquer.

Cet échange ne nousmenant nulle part, je revins ausujet qui m'intéressait.

— Dites-moi pourquoi vousavez choisi Oliver et Eve. Ilsessayaient de s'enregistrer,exactement ce que la villeattendait d'eux. Pourquoi lesavez-vous tués ?

— Je ne sais pas de quoivous parlez, affirma McKetrickavec un petit rictus aux lèvres.Quoi qu'il en soit, si vousvoulez m'accuser d'un crime,vous devrez entamer uneprocédure officielle.

— McKetrick, vous pouvezvous asseoir dans votre

fauteuil et sourire dans cebureau autant que vousvoudrez, porter un costume etvous prétendre le meilleur amidu maire, vous restez unassassin, nous le savons tous.

Son sourire s'élargit, et,cette fois, son visageexprimait la malveillancepure, une haine si violentequ'une bouffée de nervositém'envahit.

— Et vous, vous devriezvous rappeler qui commande,ici, répliqua-t-il en pointant undoigt vers sa poitrine. C'estmoi, pas vous ni votre bandede sauvages. Les choses ont

changé. Mon nom est inscritsur la porte, Merit. Le mairem'a donné le pouvoir d'aiderles humains de cette ville àlutter contre la gangrène quevous et vos semblablesreprésentez.

Un agent de sécurité apparutsur le seuil, prêt à me jeterdehors. Je supposai que mesyeux argentés avaientvraiment effrayé McKetrick.Lui inspirions-nous de lacrainte, en plus de la haine ?

Je n'avais pas l'intention deme battre contre un garde quise contentait de faire sontravail, même s'il obéissait aux

ordres d'un toquard tel queMcKetrick.

— Ce n'est pas terminé, lemenaçai-je.

— Oh, je le sais bien, lançaMcKetrick pendant que levigile m'escortait jusqu'à laporte. C'est justement ça quim'amuse.

Lindsey avait raison. Cetype était vraiment un crétin.

Jeff eut la sagesse de me

laisser ruminer ma colèrequelques minutes avant de meposer des questions sur mavisite, non qu'il y ait grand-chose à en dire. Comme il

avait trouvé une place deparking non loin de là où jem'étais garée, ilm'accompagna en silencejusqu'à ma voiture.

— Je ne suis pas sûre que cesoit lui le coupable, déclarai-jefinalement. Je ne suis pas nonplus certaine de soninnocence, mais je pense que,s'il avait su qui étaient Oliveret Eve, il aurait fait le malin,ou aurait du moins laisséentendre que la nouvelle luifaisait plaisir.

Jeff s'appuya contre laVolvo.

— Et il n'a pas fait le

malin ?— Pas vraiment. Il s'est

vanté de sa position, ça oui,mais quand j'ai mentionné lefusil à tremble... Il a vraimenteu l'air surpris.

— Peut-être que quelqu'unlui a volé une arme, avançaJeff. Il a bien un endroit quilui sert de QG, non ? Et deshommes de main ?

— Oui, reconnus-je.Nous savions qu'il possédait

un QG, mais pas où celui-ci setrouvait. Nous avions vu sessbires en action à maintesoccasions, des adeptes dugenre de treillis noir que

McKetrick portait avant deprendre ses fonctions.

Comment se faisait-il que jeconsidérais cette époquecomme le bon vieux temps ?

— C'est ça, notre théorie ?demandai-je à Jeff. Quelqu'una volé un fusil à tremble au QGde McKetrick et décidéd'éliminer deux vampires ?

Jeff croisa les bras.— Ce n'est pas une mauvaise

théorie. Peut-être que l'un deslaquais de McKetrick, endécouvrant qu'il allaittravailler pour la ville, s'est ditque son boss était un vendu eta pris l'initiative d'agir seul.

— C'est une possibilité,concédai-je. Mais ça ne nousrapproche pas du tueur.McKetrick ne dénonceraitjamais un collègue, mêmeaprès s'être fait dérober unearme. Ça reviendrait à préférerles vampires aux humains.

— La trahison ultime,conclut Jeff, remarque quej'approuvai d'un hochement detête.

—Je devrais rentrer à laMaison. Merci de m'avoiraccompagnée.

Avant qu'il ait pu émettre lamoindre objection, je le serraidans mes bras. Jeff avait beau

être fin et élancé - il était plusgrand que moi -, sa silhouettedégingandée dissimulait desmuscles solides.

— Oh, de rien, balbutia-t-ilen me tapotantmaladroitement le dos avantque je le libère. J'ai une petiteamie, ajouta-t-il, les jouescramoisies.

— Bien sûr, dis-je avecsérieux. Quoi qu'il en soit,merci.

— À plus, lança-t-il avant demonter dans sa voiture pourretourner chez mon grand-père.

Je partais plus ou moins

dans la même direction, et ilétait très probable que noustrouverions chacun notre lotde drames en arrivant àdestination.

En revanche, je nem'attendais pas à trouver uneMaison totalement silencieuse.

Le hall était désert, toutcomme le bureau d'Ethan.

J'entendis soudain un bruitsuivi de quelques juronsprononcés par une voixféminine. Craignant le pire -émeute, attaque, crise de nerfssurnaturelle -, je courus endirection du tapage.

Je découvris Helen à genoux

dans le hall, affairée àramasser un bouquet de fleursfanées à terre. Un grand vasetransparent - en plastique,apparemment, puisqu'il nes'était pas brisé - gisait à côtéd'elle. Elle portait une jupe etune veste en tweedélégamment coupées avec desescarpins aux talons d'unehauteur raisonnable, et sebaissait comme l'aurait sansdoute fait Coco Chanel, avecune prudence toute féminineet une grâce distinguée.

— Je vais vous aider,proposai-je en me courbant

afin de rassembler les fleurs.Il s'agissait de roses

blanches qui commençaient àse flétrir, les pétales défraîchiset brunis, les tiges dégageantun léger relent de matièreorganique en voie dedégradation.

— Merci, dit-elle en seredressant avec une brassée deroses. Je remplaçais lescompositions florales de latable du hall quand je me suispiquée avec une épine. Ça m'asurprise. Une si petite chose...Mais voilà, le mal est réparé.

Petite, mais suffisante pourla blesser ; je percevais l'arôme

acidulé du sang derrière lesfragrances de son parfum etl'odeur des fleurs.

Je reposai le vase sur latable, ramassai les dernièresroses à terre, puis suivis Helendans la cuisine, où elle jeta lesfleurs fanées dans l'une desgrandes poubelles de Margot.

— Où sont-ils tous passés ?demandai-je.

— Dans la salled'entraînement. Ethan adécidé de tester les capacitésde notre nouveau consultanten sécurité.

A peine avait-elle terminé saphrase que je dévalais les

marches de l'escalier.

7

Le cas vampirecontre vampire

La salle d'entraînement de

la Maison Cadogan secomposait de deux partiesdistinctes : le tatami sur lequelcombattaient les participants,et la galerie qui le surplombait,d'où le public pouvait observerle spectacle qui se déroulait en

dessous.Les concurrents n'étant pas

encore entrés sur le ring, jem'assis sur le balcon à côté deLindsey, Luc et la moitié desgardes intérimaires de la salledes opérations.

— Comment s'est passé tonrendez-vous ? s'enquit Luc.

— McKetrick n'a pas tentéde me tuer, mais je ne suis passûre qu'il soit impliqué dansles meurtres. Même sil'annonce de la mort d'Eve etOliver ne lui a fait ni chaud nifroid, il a tout de même parusurpris quand je lui ai parlé dufusil à tremble.

Luc sembla stupéfait.— Il prétend que quelqu'un

le lui a volé ?— Il n'a rien dit, mais je me

pose la question.Lorsqu'un tonnerre

d'applaudissements retentitsur la galerie, je me penchaipar-dessus la balustrade pourobserver Ethan pénétrer dansla salle, vêtu d'un kimono noirfermé par une ceinture à lataille. Pieds nus, il avait nouéses cheveux sur la nuque àl'exception d'une mècheblonde qui lui retombait sur levisage.

Une bouffée de fierté

m'envahit. Cet homme quiirradiait la puissance etl'assurance était tout à moi.

— Franchement, bien joué,chuchota Lindsey à monintention.

— Oui, hein ?Une fois sur le tatami,

Ethan sautilla sur la pointedes pieds, les bras tendus au-dessus de sa tête, tout en mecherchant du regard sur lebalcon d'une manière assezpeu discrète. Quand nos yeuxse croisèrent, je lui adressai unclin d'œil en signe de soutien.

— Écrase-le, grand fauve,l'encourageai-je par télépathie.

— Tu ne devrais pas être entrain de travailler ? répliqua-t-il.

— Si. Mais le mondeextérieur me déprime ; J'aibien besoin d'une distraction.Allez, vas-y, impressionne-moi, maintenant.

Ses lèvres s'étirèrent en unsourire provocant visible partous, mais dont les raisonsresteraient entre nous, toutcomme les paroles que nousvenions d'échanger.

Michael fit son entrée sousles applaudissementsbienveillants des spectateurs.Il avait opté pour un kimono

blanc rappelant celui d'Ethan.Si leurs tenues seressemblaient, elles offraientun contraste de couleursfrappant. Les concurrentsétaient tous deux grands etathlétiques, mais leursmanières et leur allure lesdifférenciaient sans équivoque.Michael avait des cheveuxnoirs et une démarche soupleteintée de nonchalance tandisqu'Ethan, blond aux yeuxverts, ne laissait pas planer lemoindre doute quant à lapréparation et la précision dechacun de ses mouvements.

Au bord du tatami, Michaeljoignit les mains et se courbavers Ethan qui lui rendit sonsalut, une expressionindéchiffrable sur le visage.Puis ils s'avancèrent vers lecentre du tapis.

Le combat commençapresque instantanément.

Michael bondit eneffectuant un coup de piedcirculaire qui envoya Ethan ausol, où il s'écarta d'une rouladeavant que son adversairepuisse tenter de l'atteindre ànouveau.

— Pas mal, concéda Ethan.— Il faut bien que je

t'apprenne un tour ou deuxpour justifier mes honoraires,rétorqua Michael.

Il lança un coup de piedlatéral qu'Ethan para sansdifficulté, puis avança endécochant une série de coupsde poing. Ethan esquival'attaque par un saut de mainarrière, se propulsant à plus detrois mètres au-dessus du sol.

— Je vois que tes quatrecents ans de pratique t'ont étébénéfiques, ironisa Michael enpoussant un grognementtandis qu'il bloquait du brasdroit un coup de pied encroissant parfaitement

exécuté.Le bruit provoqué par le

choc se répercuta dans lasalle, et tout le monde grimaçapar compassion. Ils avaient dûle sentir passer.

Ils poursuivirent la lutte,prenant l'avantage à tour derôle, donnant l'impression dese livrer à une démonstrationde tous les sauts, coups depoing et coups de pied quecontenait leur arsenal.

Michael était doué. Ilcombattait avec ardeur etagilité, même s'il ne ripostaitpas avec autant de créativitéque son adversaire. Peut-être

Ethan était-il favorisé par sesannées de pratique,d'expérimentation de larelation spéciale que lesvampires entretenaient avec lagravité et qui leur permettaitd'évoluer dans les airs.

Cependant, Michaelcompensait son manqued'inventivité par sa force.Quoique mince, il était pluslarge d'épaules qu'Ethan etpossédait une musculatureplus puissante.

Ils s'écartèrent pourmarquer une pause, tous deuxpantelants, et s'observèrentmutuellement avec méfiance,

chacun estimant et jaugeantles aptitudes de l'autre.

Au bout d'un moment,Michael rompit le silence :

— Si tu veux t'améliorer, ilfaut que tu laisses parler tanature sauvage.

— Elle l'avait dit, chuchotaLuc à côté de nous pendantque Lindsey toussait pourdissimuler une exclamation detriomphe.

— Ma nature sauvage ?répéta Ethan.

Les mains sur les hanches,un sourcil arqué de façonaristocratique, il dévisageaitMichael avec scepticisme.

— Ta nature sauvage,

— Ta nature sauvage,confirma Michael. Tu te batscomme un prince.Honorablement. C'est très biensur un tatami, mais au coursd'un réel combat, il y a degrandes chances pour que tonadversaire se foutecomplètement que tu suivesl'étiquette vampire. Il n'ira pasvérifier après coup les règlesd u Canon. Tu dois te battrecomme lui. Sinon, tu risquesde perdre, d'être tué ou blessé,ou de manquer l'occasion demaîtriser ton ennemi. Ce quien laisse la responsabilité à

quelqu'un d'autre.Le silence s'installa dans la

salle tandis que nousregardions tous Ethan,impatients de voir comment ilprendrait ce conseil. Il nefaisait pas souvent l'objet decritiques, encore moins enmatière de techniques decombat. Mais il tendit la mainvers Michael.

— J'apprécie ta franchise.Nous avons beau nousentraîner régulièrement selonles méthodes traditionnelles, ilest facile d'en oublierl'objectif: nous protéger nous-mêmes et ceux que nous

aimons.— Exactement, dit Michael

avec un hochement de têtependant qu'ils échangeaientune poignée de main.

Au moment même où ils seséparaient, Malik franchit laporte et se dirigea vers Ethansans attendre d'y être invité.

— Seigneur, marmonnaLindsey. Juste quand jecommençais à m'amuser.Qu'est-ce qui va encore noustomber dessus ? Des robots ?Des monstres ? Ou bienMcKetrick est là dehors avecune torche, prêt à mettre lefeu à la Maison ?

— Peut-être pire, soupiraLuc en consultant sontéléphone avant de lever lesyeux sur moi. Kelley vient dem'envoyer un message. LaceySheridan ne va pas tarder.

Autour de moi, tous lesvampires se turent,m'observant comme s'ilsattendaient ma réaction. Jedevinais sans peine leursinterrogations : « Va-t-ellepiquer une crise ? se mettre àhurler et crier ? sortir commeune furie ? »

Mes joues s'enflammèrent enconstatant que tout le mondeme considérait apparemment

comme une hystérique.— J'étais déjà au courant de

sa visite.— Merci mon Dieu !

s'exclama Luc d'un airthéâtral avec un soulagementévident. La catastrophe estévitée.

— Je ne suis pas si terribleque ça, affirmai-je en luidécochant un regard noir.

— Si, rétorquèrent la plupartdes vampires à proximité.

Me retenant de leur adresserà tous un geste obscène, jesuivis Luc lorsqu'il quitta lebalcon.

— Allons accueillir notre

invitée, déclara-t-il avant depointer un doigt sur moi. Etinterdit de lui planter un pieudans le cœur.

Malheureusement pour Luc,ce n'était pas à elle que j'avaisenvie de planter un pieu dansle cœur.

Après avoir regagné le rez-

de-chaussée, Ethan partit sechanger pendant que nousattendions l'arrivée de Lacey.Alors que les ténors de laMaison se rassemblaient dansle foyer, je remarquai l'absencede Michael. Ethan l'avait sansdoute reclus dans un bureau

ou à la bibliothèque pourtravailler.

Je m'étais préparée. Jesavais qu'elle allait bientôtfranchir notre porte, et j'étaispersuadée qu'elle ressembleraità un top model prêt à défiler :parfaitement maquillée, sescheveux blondsimpeccablement coiffés, samince silhouette drapée dansun tailleur raffiné qui lamoulerait comme s'il avait étéconçu spécialement pour elle.Ce qui était sans doute le cas.

Je m'attendais à tout... saufà ça.

— C'est quoi, cette tenue ?

s'exclama Lindsey. Pourquoiest-ce qu'elle ne porte pas untailleur ? Elle est toujours entailleur.

— Un jean, murmurai-je.Elle a mis un jean.

Plus précisément un jean,des bottes en cuir qui luiarrivaient aux genoux et unsweat très chic couleurcaramel. Pourtant Maîtresse desa propre Maison, elle avaitrenoncé à son élégancehabituelle, et avait mêmeadopté un style que l'onpouvait qualifier dedécontracté, pour servirEthan, son Maître, et l'aider à

assurer la transition deCadogan.

Elle n'était certes pas lapremière vampire que l'onvoyait en jean. La plupart desrésidents de la MaisonCadogan en portaient endehors des heures de service,et même Ethan s'y était mis.Mais Lacey Sheridan n'étaitpas n'importe quelle vampire.

Le changement ne s'arrêtaitpas à sa tenue. Ses cheveux,quoique toujours de la mêmelongueur, étaient désormaiscoiffés en un carré plongeant.Cette coupe, moderne etaudacieuse, soulignait le bleu

de ses yeux et la ligne parfaitede ses pommettes.

— Elle est... différente,murmura Lindsey. Jolie, maishabillée si normalement quec'en est bizarre.

— Bizarre, confirmai-je, etsans doute purementintentionnel.

— Une façon de mieuxcorrespondre aux goûts actuelsd'Ethan ? chuchota Lindseyen me jetant un coup d'oeil encoin. C'est plus que probable.

Lacey choisit ce momentpour poser les yeux sur moi àtravers la foule ; uneindéniable lueur de défi brillait

dans son regard. Je supposaiqu'elle avait appris ma relationavec Ethan, même si, de touteévidence, elle n'y prêtait guèred'importance. Elle le voulait etne me laisserait pas constituerun obstacle à ses projets.

Je poussai un soupir.— C'était un soupir bien

triste, remarqua Juliet.— Je déteste les drames, dis-

je. Vraiment. Et je parie vingtdollars qu'elle en apporte toutun chargement.

— Pas dans les poches deson jean, en tout cas,commenta Lindsey. Elle nepeut plus rien mettre dans ce

pantalon à deux cents dollarsultra moulant.

Je lui donnai un coup decoude qui me soulagea un peu.Ethan m'invita à les rejoindred'un geste.

— Mets-lui en plein la vue,chuchota Lindsey.

J'esquissai un vague signed'approbation puis avançai.

Quand je parvins à leurhauteur, Ethan posa une maindans mon dos.

— Lacey, tu te souviens deMerit.

— La Sentinelle, dit-elle.Bien sûr. Heureuse de terevoir, Merit.

Ethan avait l'habitude dem'appeler « Sentinelle » autravail. Je supposai que Laceyavait décidé de l'imiter. Ce quiparaissait logique, vu qu'elleme considérait apparemmentdavantage comme uneemployée qu'une collègue. Pasde problème.

— Heureuse de vous revoir,moi aussi. C'est gentil de votrepart de venir aider Ethan.

Son expression confiantevacilla. Mon commentaire,quoique poli, lui avaitsubtilement rappelé maposition au sein de la Maison :au côté d'Ethan.

Ce dernier sourit et setourna vers Lacey.

— Est-ce que tu aimeraisprendre le temps de terafraîchir un peu ? Je sais quele voyage a été long.

— Peut-être juste quelquesminutes. Je pourrais montermes valises et m'installeravant de te rejoindre dans tonbureau ?

— Je t'en prie, approuva-t-il.Helen apparut à côté

d'Ethan. Elle s'empara de l'undes bagages de Lacey et tenditla main en direction del'escalier.

— Vous séjournerez dans la

suite des invités, annonça-t-elle.

Pendant qu'Helen escortaitnotre hôte à l'étage, le comitéd'accueil se dispersa, àl'exception des gardes.

— Tu as un moment,Ethan ? demanda Luc.

— Allons dans mon bureau.Je les suivis, comme si la

nuit se déroulait tout à faitnormalement... et comme si laMaîtresse d'une Maisonvampire située à des milliersde kilomètres de là ne venaitpas de faire son entrée habilléeexactement comme moi.

Je sentais que j'allais encore

passer une bonne soirée. Tous les cadres de la Maison

qui s'étaient rassemblés au rez-de-chaussée pour accueillirLacey participèrent à laréunion. Serrés les uns contreles autres, on attendit quequelqu'un annonce lamauvaise nouvelle à Ethan. Jelaissais volontiers cet honneurà Luc.

Il alla droit au but :— Kowalczyk a nommé

McKetrick nouveau Médiateurde la ville. Il a un titredifférent, bien entendu, maisle travail reste le même,

apparemment.— Elle a fait quoi ?

s'exclama Ethan, incrédule.— Il a un bureau et une

équipe, poursuivit Luc. Ce quile rend, sinon intouchable, dumoins beaucoup plus difficile àatteindre.

Ethan leva les yeux au ciel.— Que Dieu me protège de

ces stupides humains. (Ilreporta son attention sur moi.)Est-ce qu'on a des preuves leliant au meurtre d'Oliver etEve ?

— Jeff a confirmé que lebois que nous avons trouvédans l'entrepôt était du

tremble. Mais ça ne suffit pasà le désigner coupable. Pasvraiment. Et il a nié touteimplication.

Ethan se figea.— Et tu sais ça parce

que... ?— Parce que Jeff et moi lui

avons rendu visite à sonbureau, ce qui, selon nous,était l'endroit le plus sûr pourl'interroger.

Ethan émit un vaguegrognement suggérant quenous n'avions pas fini de parlerde ce sujet mais qu'il préféraitne pas insister étant donné lepublic présent.

Intéressant de voir commentj'apprenais à interpréter lesbougonnements masculins.

— Tu as des nouvelles dePaige ? s'enquit Malik.

— Ça ne va pas tarder.Toutes les têtes se

tournèrent vers la porte. Paige,une rousse mince aux yeuxd'un vert éclatant, se tenaitsur le seuil, flanquée dubibliothécaire, qui portait uneboîte à archives. Ilsparaissaient tous deuxcontrariés.

— Tu avais raison, affirma-t-elle tandis que lebibliothécaire laissait tomber

la boîte sur la table deconférence. Le contrat est laclé. Les membres du PG semoquent de perdre la Maison.Par contre, ils n'ont aucuneenvie de perdre le patrimoinequ'elle représente.

Je remerciai intérieurementJonah d'avoir partagé cetteinformation et de m'avoirpermis d'indiquer à Paigel'endroit où se trouvait labrèche.

— Et ils n'utilisent pas lesmécanismes traditionnels,ajouta le bibliothécaire. Ilsépluchent les contrats liant lePrésidium à la Maison à la

recherche des failles pour entirer profit.

— Quelles failles ? demandaEthan. Peter a négocié cescontrats lui-même. Il n'y a pasde failles. Je les ai lus.

— Pas dans les principauxcontrats, reconnut lebibliothécaire en tirant de laboîte à archives un dossier decuir rouge qu'il tendit à Ethan.Mais il existe d'autres écrits.

Les sourcils froncés, Ethansaisit le dossier et le porta versla table de conférence, où il leposa au sommet de la pile dedocuments qui s'y trouvaitdéjà avant de dénouer le ruban

de soie qui le maintenaitfermé. Malik et luiparcoururent les feuillets qu'ilsdécouvrirent à l'intérieur.

J'échangeai un regardnerveux avec Luc.

— Qu'est-ce qu'il y a là-dedans ? demandai-je à Paige àvoix basse.

— Lesdites failles, répondit-elle. Des annexes au contratque Peter Cadogan est censéavoir signées.

Ethan se tourna vers nous.Son visage demeuraitimpassible, mais soninquiétude était évidente.

— Les documents sont

signés. Ils contiennent desclauses abusives et scabreuses,mais je suis à peu près sûr quela signature est bien celle dePeter.

— Que disent-ils ?demandai-je.

— En résumé, quel'ensemble des gains engrangéspar la Maison depuis sacréation appartient au PG,répondit Paige. Que la Maisonquitte le Présidium avec cequ'elle lui a apporté. C'est-à-dire rien, ou presque.

Un silence abasourdis'abattit sur la pièce. Nousavions jugé Cadogan en bonne

santé financière grâce auxinvestissements fructueuxréalisés par Ethan et Malik.Nous vivions également dansun certain luxe : nousoccupions des chambressimples, mais bienaménagées ; la Maison étaitdans un état impeccable, lanourriture disponible enabondance, et nos salairessuffisaient amplement àsatisfaire nos besoinspersonnels.

Cependant, à ce quisemblait, le PG pouvaitprétendre à la quasi-totalité de

ces richesses.Ethan proféra un juron.— Il faudra payer. Et même

si nous arrivons à négocier, lemontant du chèque serasubstantiel. Ça engloutira unepart significative de noséconomies. Nous ne ferons pasfaillite, mais, si le pire desscénarios venait à se produire,nous pourrions perdre lecapital que nous avonspatiemment amassé.

— En quoi cela servirait-illes intérêts du PG de mettredes vampires à la rue ?s'étonna Paige. Ça necontribuerait qu'à créer la

panique.— Ça dissuaderait fortement

les autres Maisons de tenter dequitter le PG, avançai-je,explication qu'Ethan approuvad'un hochement de tête.

— Ils vous utilisent commeexemple, conclut Paige.

— C'est très probable,confirma Ethan en se massantles tempes. Mais ne nous enpréoccupons pas pourl'instant. Concentrons-noussur ce que nous savons et surles possibilités que nouspourrions négocier. Il est fortpossible que le PG se satisfassede nous malmener un peu, au

lieu de tous nous détruire.Vu ce que je connaissais de

cette institution, je ne lacroyais pas incapable de « tousnous détruire ». Pour uneorganisation créée dans le butd'aider les vampires à survivreà la haine des humains, lePrésidium ne contribuait pasvraiment à assurer lapérennité et la santé desMaisons.

— Je vais rendre la Bentley,ajouta Ethan d'un air absent.C'était une extravagance, et jepeux certainement m'enpasser. (Il posa les yeux surmoi.) Il me faudra sans doute

emprunter ta voiture jusqu'àce que j'aie remplacé lamienne par un autre modèleplus... approprié.

— Et qu'est-ce que tu diraisd'un vélo avec des sacoches ?proposa Luc.

— Refusé.—Hé, lança Luc avec un

gloussement manquanttoutefois de conviction. On enest capable. On a déjà traversédes périodes tourmentées. Lagrande dépression ? La crisedu pétrole de 1973 ? Le règnede terreur d'Al Capone ?

— Nous survivrons et ensortirons plus forts, approuva

Ethan. Il faut simplementsurmonter tout d'abord cetteépreuve. (Il saisit le dossier,qu'il donna à Malik.)Transmets ces documents ànos avocats. Je veux qu'ils lesétudient à la première heuredemain matin.

— Sire, dit Malik avec unhochement de tête.

—Y a-t-il une chance pourqu'ils trouvent une solution ?demanda Luc à voix basse.

— Pas sans procès, et ladernière chose dont nousayons besoin, c'estd'interminables procéduresdestinées à régler un litige

pour lequel les tribunauxd'Amérique ne disposentd'aucun précédent. (Pendant lesilence qui suivit cecommentaire, il leva les yeuxvers nous et ébaucha unsourire dénué de joie.) Désolé.J'ai déjà parlé à nos avocats cesoir. Comme il n'existe aucunantécédent, la justice devrainterpréter un contrat liantdes vampires rédigé il y aplusieurs siècles. L'entrepriseserait coûteuse et le résultatincertain.

Ethan se tourna vers Malik,avec qui il échangea un long

regard. Peut-êtrecommuniquaient-ils pattélépathie.

Malik hocha la tête et quittale bureau, le dossier à la main.J'ignorais ce dont ils avaientdiscuté, mais un accord avaitvisiblement été convenu entreeux.

— Je dois parler auxvampires Cadogan dans uneheure, déclara Ethan enconsultant sa montre. Nousévoquerons le sujet à cemoment-là. Je vous libère.

À ces mots, tout le monde sedirigea vers la porte en fileindienne.

Profitant de mesprérogatives de petite amie, jerestai dans le bureau etattendis que les autres soientpartis avant de demander àEthan :

— Tu vas bien ?Il se passa les mains dans

les cheveux, qui retombèrenten un halo doré autour de sonvisage.

— Je m'en sortirai. Nousnous en sortirons tous. (Ilm'invita à avancer d'un geste.)Viens ici, Sentinelle.

Je me glissai entre ses braset il m'étreignit avecsoulagement, comme si le fait

de me toucher lui ôtait unpoids des épaules. En dépit del'absence de mots, c'était peut-être le compliment le plusflatteur qu'il m'ait jamaisadressé.

Il me tint serrée contre luiun long moment, jusqu'à cequ'un grondement sonoreretentisse dans la pièce.

Je reculai et considéraiEthan avec un grand sourire.

— C'était ton estomac,non ?

Posant une main sur sonventre, il répondit :

— J'ai une Meritite. Jemeurs de faim, clarifia-t-il, ce

à quoi je réagis en levant lesyeux au ciel. Il nous reste unpeu de temps avant que jeprenne la parole devant lesautres vampires. Si onmangeait un morceau ?

— C'est un rendez-vous ?Il examina son bureau du

regard. D'habitudeimpeccablement rangé, il étaità présent encombré de boîtes,de classeurs et de piles dedocuments.

— Dans cet humble décor,oui.

— Pour toi, je veux bien mecontenter de quelque chose de« humble ».

— Tu voulais parler de lanourriture, bien sûr, mais jevais voir ce que je peuxtrouver.

Cette fois, il avait le dostourné quand je levai les yeuxau ciel.

8

Conte d'œufs fées Comme d'habitude, Margot

dépassa toutes mesespérances. Ethan avaitdemandé un en-cas susceptiblede nous revigorer et elle avaitpréparé un véritable brunchavec œufs brouillés, toasts,pommes de terre et saucisses.Vêtue de son uniforme blanc

de chef, elle franchit le seuilen poussant un chariot garnide plats protégés par descloches en argent et d'unpichet en verre rempli de jusd'orange.

— Ça sent délicieusementbon, la félicita Ethan enménageant suffisammentd'espace sur la table deconférence pour que Margotpuisse y déposer les plateaux.

— La Maison Cadogan, pourvous servir, déclara-t-elle avecun sourire. (Elle m'adressa unclin d'œil avant de découvrirles assiettes et d'allumer unebougie argentée qu'elle plaça

au centre de la table.)Ambiance.

— Merci, dit Ethan.Margot esquissa une légère

révérence, puis poussa denouveau le chariot vers laporte, qu'elle referma derrièreelle.

D'un geste galant, Ethantira une chaise et m'invita àm'y asseoir.

— Madame.— Merci, monsieur, soufflai-

je en m'installant.Ethan prit place en bout de

table, perpendiculairement àmoi, et nous servit du jusd'orange.

— Portons un toast, déclara-t-il en levant son verre. A laMaison Cadogan. Puisse-t-ellerésister, du point de vue desfinances et du reste.

Après avoir trinqué, je busune gorgée. Le jus, délicieux,possédait la saveur parfuméeet acidulée des orangesfraîchement pressées.

— Alors comme ça, Michaelconnaissait Célina, dis-je enplongeant ma fourchette dansmes œufs brouillés.

— Oui. Tous les Maîtresn'ont pas la chanced'expérimenter des relationscomme celle que j'entretenais

avec Peter. Certainesressemblent davantage à celleque j'ai vécue avec Balthasar,ajouta-t-il en serembrunissant.

Ethan avait rencontré PeterCadogan, le fondateur de laMaison, après avoir traversél'Europe avec son sire, unvampire nommé Balthasar quil'avait sauvé sur un champ debataille. Ethan m'avait révéléun jour qu'il se considéraitcomme un monstre après satransformation. Je medemandais s'il voyaitégalement Balthasar comme

une créature démoniaque.— Tu as eu de la chance de

connaître Peter, commentai-je.— C'est vrai. C'était

quelqu'un de bien, et il a faitde moi un homme meilleur.Nous sommes nombreux à leregretter.

— Je ne crois pas t'avoirdéjà posé la question :comment est-il mort ?

Il pressa délicatement saserviette sur ses lèvres.

— Extrait de tremble.J'écarquillai les yeux.

Enfoncer un pieu de trembledans le cœur faisait partie desméthodes permettant de tuer

un vampire. Mais l'extrait detremble ? Je n'en avais jamaisentendu parler.

— Je ne savais même pasque ça existait.

— C'est souvent désigné pardes noms plus poétiques. Onl'appelle parfois « poisonécarlate » ou « sangd'aubépine » en raison de lacouleur rouge que prend leliquide lors de sa préparation.Il était jadis connu desalchimistes et desscientifiques. Ses effets sur lesvampires n'ont été découvertsque plus tard.

— Quelle est son action ?

— C'est un poison lent etmortel, répondit-il en portantà ses lèvres une fourchettechargée d'une impressionnantequantité d'œufs brouillés.

— Quand est-ce que tu asmangé pour la dernière fois ?

— Oui oui, se contenta-t-ilde marmonner, répugnant àavouer à sa petite amie à quelpoint il avait négligé sesbesoins élémentaires.

Je pris une bouchée quisemblait vraiment raisonnablepar comparaison.

— La complèteréorganisation d'un systèmepolitique peut bousculer

l'emploi du temps.Ethan avala de travers, puis

toussa entre deux éclats derire.

— Bien dit, Sentinelle. Biendit.

— Bon, revenons-en à Peter.Il a été empoisonné. Par qui ?Et pourquoi ?

— Par les parents de sa bien-aimée, malheureusement.

J'ouvris de grands yeux.J'adorais les belles histoires -j'avais étudié la littératureanglaise, après tout -, et celle-ci s'annonçait fascinante. Jeplantai ma fourchette dansune saucisse que j'agitai

devant Ethan à la manièred'une baguette magique.

— Continue.— Peter était un vampire. Il

est tombé amoureux d'unefemme qui ne l'était pas.

— Une humaine ?— Une fée.— Ouille, lâchai-je avec une

grimace, pressentant lescomplications.

— Exactement. À cetteépoque, la Maison Cadoganétait basée au pays de Galles,mais nous étions partis envoyage en Russie. Elles'appelait Anastasia. Sesparents étaient des fées

puissantes qui avaient obtenuun titre dans l'aristocratierusse, des personnalitéspolitiques entretenant desliens avec Claudia, qui vivaitencore en Irlande, en cetemps-là. Ils prêtaient unegrande importance au respectdes convenances, et étaientfermement convaincus que lesfées ne devaient pas se mêleraux humains ni à qui que cesoit d'autre. Mais Peter étaitamoureux. (Un sourire passasur ses lèvres et ses yeux seperdirent dans le vide tandisqu'il se replongeait dans ses

souvenirs.) Il t'aurait plu.C'était un homme, un vrai,tout en muscles. Il était soldatavant de devenir vampire,comme moi. Il avait untempérament de guerrier, et iln'a pas changé en intégrant labrigade de nuit, si je peuxutiliser cette expression. Ilétait gallois et prononçait àpeine les voyelles. Il avait levisage rubicond, plus commeun Irlandais qu'un Gallois, enfait, même s'il ne voulait pasentendre parler de lapossibilité que du sangirlandais coule dans ses

veines. (Lorsqu'il reposa lesyeux sur moi, son regard se fitplus dur, et son sourires'évanouit.) Ils ont vécu unegrande histoire d'amour.Passionnée et intense. Avecautant d'amour que de haine,je crois, même si ni Peter niAnastasia ne l'auraient jamaisadmis. Malheureusement, lesparents d'Anastasia détestaientPeter et répugnaient à voirleur fille se « rabaisser » enfréquentant un non-fée, quiplus est un vampire. Il étaitMaître, mais ni assez fée niassez riche à leur goût.

— Alors, que s'est-il passé ?— Comme elle refusait de

rompre, son père a décidé demettre lui-même un terme àleur relation. Anastasia avaitun domestique, un individusournois nommé Evgeni.C'était un cloporte, unmenteur et un meurtrier. Et ilexécutait les ordres desparents d'Anastasia, à l'insu dePeter.

— C'est lui qui l'aempoisonné, compris-je.

Ethan hocha la tête.— Lentement, mais

sûrement. Par petites doses,qu'il a administrées pendant

assez longtemps pour que lepoison s'accumule dans lecœur de Peter. Au final, leprocessus équivalait à unempalement, en plusinsidieux, malheureusement.En fait, il s'est avéré qu'Evgenin'était pas uniquement motivépar la haine qu'il portait àPeter et son désir de flatter lepère d'Anastasia. Il s'était prisde passion pour elle.

— Un dangereux triangleamoureux, commentai-je enécarquillant les yeux.

— En effet. Un soir, aprèsavoir donné à Peter ce qu'ilimaginait être la dose fatale

d'extrait de tremble, Evgeni adévoilé ses sentiments àAnastasia. Quels que soient lesdéfauts de son peuple, elleaimait sincèrement Peter et nes'intéressait pas à Evgeni qui,il faut bien l'avouer, était uneordure.

— D'après ton récit, oui.— Mais il n'a pas pris son

rejet au sérieux. Il s'étaitconvaincu qu'elle le désirait,que Peter l'avait charmée etqu'il représentait l'uniqueobstacle se dressant sur sonchemin. Alors, quand elle a ditnon...

— Il a insisté ?

— Plus que ça. Il l'aagressée, révéla Ethan d'unton morne. Peter l'a entenduehurler, mais il était déjà trèsaffaibli. On pensait qu'unesorcière lui avait jeté unmauvais sort. (Il émit un riresans joie.) Comme ça semblestupide, maintenant...

— Pas tant que ça. Réfléchisà ce qu'a fait Mallory.Considère aussi le fait que tues là aujourd'hui grâce à samagie... et que tu manges tontoast à la fourchette. Quelleidée ?

— C'est comme ça que ça semange, répliqua-t-il avec un

haussement d'épaules.— Ce n'est pas du tout

comme ça que ça se mange, etje suis sûre que je t'ai déjà vumanger des toasts.

Je compris qu'Ethanessayait de détendrel'atmosphère en adoptant desmanières incroyablementprétentieuses - même pour lui -pour me faire rire. Mais cettehistoire délicieusement sordideet horrible me captivait troppour que je me laisse distrairepar ses marottes de vampire.

— Bref, repris-je. Peter l'aentendue hurler ?

— Il a volé à son secours. Je

suis arrivé juste à temps pourle voir repousser Evgeni.Anastasia avait beau être toutemenue, elle se battait commeune véritable guerrière. Ellemanquait simplement deforce... (Ethan baissa la voix,parcouru d'un frisson.) Endépit de son extrême faiblesse,Peter restait un vampire. Il aenvoyé Evgeni valser à traversla pièce, puis il s'est effondré.Les parents d'Anastasia ontaccouru et ont remercié Peterd'avoir sauvé la vertu de leurfille. Evgeni avait beau fairepartie de leur peuple, il

appartenait à une casteinférieure à la leur. Quelquessecondes plus tard, c'étaitterminé. Peter était parti.

— Il s'est transformé encendres ?

— Sous nos yeux. L'extraitagit plus lentement qu'unvéritable pieu. Et le pire,c'était que nous ne pouvionsplus rien faire pour lui.

— Il savait qu'il était entrain de mourir ? demandai-jeà voix basse.

Ethan acquiesça.— Et nous avions compris

qu'il n'était pas victime d'unsort. Sous la contrainte,

Evgeni a avoué son crime,ainsi que le rôle joué par lesparents d'Anastasia. Pat sonacte de bravoure, Peter atrouvé grâce aux yeux ducouple. Le sol était en pierre.De grosses pierres aux bordsacérés. Je suis resté à côté delui pendant qu'il agonisait.J'avais mal aux genoux àcause de cette roche froide. (Ilposa le regard sur moi.) N'est-ce pas étrange que je merappelle un détail aussiinsignifiant d'un événementqui s'est déroulé il y a desannées ?

— La mémoire estétonnante, reconnus-je. Ladouleur a probablement fixé cesouvenir, l'a scellé dans toncerveau. Je parie que tu terappelles aussi l'odeur de cettepièce.

Ethan ferma les yeux.— Une odeur d'ambre. Il

flottait toujours un parfumriche et chaud dans la maisond'Anastasia. Roses d'étéentêtantes. Viande rôtie. Bière.Mais je me souviens surtoutdes effluves d'ambre. (Il rouvritles yeux.) Cela faisaitlongtemps que je n'avais pasévoqué cette histoire. Je suis

heureux de te l'avoir racontée.C'est important que quelqu'unla connaisse, d'autant plusqu'elle se réécrit en cemoment même.

— Je suis vraiment désoléequ'il soit mort, affirmai-je enposant ma main sur la sienne.Peter semblait être unvéritable ami.

Ethan hocha la tête.— C'est la malédiction qui

accompagne l'immortalité,Merit : voir partir ceux qu'onaime, y compris ceux qui nesont pas censés nous quitter.

Le silence flotta unmoment.

— Qu'est-il arrivé à Evgeni ?finis-je par demander. Ethanplissa les yeux avant derépondre :

— Il a payé pour son crime.Mon sang se glaça dans mes

veines.— Tu l'as tué ?— J'ai vengé la mort de

Peter et l'agressiond'Anastasia. Son père étaittrop lâche pour s'en charger.

Cette révélation me rappelaqu'Ethan avait vécu unegrande partie de son existenceà une autre époque, uneépoque où les questions de vieet de mort n'étaient pas

arbitrées de la même manièrequ'aujourd'hui. Je ne le jugeaispas indifférent, mais ilpossédait la capacité de fairepreuve de détachement et deviolence s'il l'estimaitnécessaire et conforme aucode de l'honneur. Uneviolence qu'il assumait, etdont il ne s'excuserait jamais.

— Et Anastasia ?— Je ne sais pas ce qu'elle

est devenue. Je l'ai perdue devue après la mort de Peter.D'après ce que j'ai entendu, sesparents l'ont de nouveau isoléedu reste du monde, du moinsde sa partie vampire.

— Ils ont dû être soulagés.Je veux dire, choqués, sansdoute, mais soulagés.

— Ils étaient ravis, en toutcas autant que peuvent lemontrer des fées. Deuxproblèmes résolus d'un seulcoup. Le vampire qui courtisaitleur fille était mort, toutcomme le domestique quil'avait attaquée. (Il chiffonnasa serviette sur la table etcroisa les jambes.) Tu asrencontré Claudia. Je supposeque tu as compris le systèmede valeurs des fées ?

— Elles aiment l'argent etles richesses matérielles,

répondis-je. Elles sont moinsportées sur les émotions, ycompris l'amour, du moinsd'après ce qu'elles veulent bienadmettre.

Claudia avait eu uneaventure avec Dominique, lejumeau maléfique de SethTate, et, même si elle étaitclairement éprise, elleaffirmait que l'amour était unsentiment auquel les fées nedaignaient pas accorder del'importance.

— Tout à fait, confirmaEthan.

— L'œuf de dragon !m'exclamai-je, comprenant

soudain son origine. Luc m'adit qu'une duchesse russel'avait offert à Peter. Qu'ilss'étaient « liés ». C'est la mèred'Anastasia la duchesse ?

Un sourire s'étira sur leslèvres d'Ethan.

— Oui, même si je crois quesa version de l'histoire changechaque fois qu'il la raconte.

— Comme au jeu dutéléphone arabe ?

— Le téléphone arabe ?répéta Ethan, l'air perplexe.Qu'est-ce que c'est ?

— Un jeu auquel je jouaisquand j'étais petite, répondis-je. On s'assoit en cercle, et

une personne prononce unephrase à l'oreille de son voisin,qui la transmet à son voisin,et ainsi de suite, jusqu'à ce quele dernier joueur essaie dedeviner ce que le premier avaitdit au départ. Le message esttoujours déformé après êtrepassé par plusieursintermédiaires.

— Ah. Alors oui. Çaressemble beaucoup à ça, saufque Luc a retenu l'essentiel. Laduchesse et son mari ontoffert l'œuf à Peter pour leremercier de ce qu'il avait faitpour Anastasia. Un présent

posthume. Et extrêmementprécieux, du point de vue desfées.

Précieux non seulement enraison de sa valeur intrinsèqueet de ce qu'il représentait pourles fées, mais parce qu'ellesavaient exprimé leurreconnaissance à desvampires, alors qu'elles lesdétestaient cordialement.

— Un point pour lesrelations entre surnaturels,conclus-je.

Quelqu'un frappa et ouvrit.Helen entra.

— Les vampires sontrassemblés.

— Merci, Helen. On arrivedans un instant.

Elle hocha la tête avant desortir, fermant la portederrière elle.

Quand je reposai les yeuxsur Ethan, il avait rendosséson rôle de Maître vampire : levisage impassible, les épaulesdroites, le menton relevé d'unair autoritaire. Il rajusta lesmanchettes de sa chemiseavant de me jeter un regard encoin.

— Je crois que tuapprécieras le spectacle,Sentinelle.

J'ignorais ce qu'il avait en

tête, mais je n'avais pasl'intention de mettre sa paroleen doute.

Bien entendu, avant de lesuivre, je pris le temps departager le scoop de la soiréeavec Mallory en lui envoyantun bref texto : « Ethan mangetoast avec fourchette. »

Il lui fallut un moment pourrépondre : « Dark Sullivan =play-boy prétentieux. »

Franchement, je ne pouvaispas la contredire. Et j'adoraisreprendre mes conversationsavec elle.

La salle de bal se trouvait au

premier étage, juste à côté dela bibliothèque. Elleéblouissait par sa splendeur,avec son parquet, ses hautsplafonds et ses chandeliersmajestueux qui répandaientune lumière dorée. Quoique lamagie nerveuse qui régnait àprésent paraissaitsuffisamment chargéed'électricité pour illuminertoute la pièce.

Michael Donovan se tenaitau fond, à côté de Lacey. Ilsbavardaient à voix bassecomme de vieux amis. Sansdoute s'étaient-ils connus

quand Lacey vivait encore à laMaison Cadogan. Ils mesuivirent tous deux des yeuxlorsque je franchis le seuil aucôté d'Ethan. Si le regard deMichael exprimait lasympathie, celui de Laceydénotait la méfiance.

Je leur adressai un sourireaffable - j'étais une adulte,après tout - tandis qu'Ethanprenait place sur l'estradedressée à l'entrée. Les mainsdans les poches, il attendit quecesse le brouhaha.

— Bonsoir, commença-t-il.Dieu merci, la nuit a étécalme.

Des gloussements polisparcoururent la foule. Noussavions quand il fallait rire desblagues du grand chef. Mais leton changea rapidement.

— J'arrête là les civilitéspour aborder le sujet qui nouspréoccupe, poursuivit-il.Demain, au cours d'unecérémonie qui se déroulera icià minuit, nous quitterons lePG. Elle sera brève, même si jesuppose que Darius ne nousépargnera pas quelques leçonsde sagesse. Lorsque ce seraterminé, notre Maison ne seraplus affiliée au Présidium de

Greenwich. Et elle ne fera pluspartie du Registre desVampires d'Amérique du Nord.(Ethan effleura le pendentifqu'il portait autour du cou.)Demain, nous rendrons nosmédaillons au PG.

S'ensuivit une cacophoniede voix, de cris effrayés etd'exclamations de colère.Personne ne voulait se défairede son médaillon, moi pas plusque les autres. Nous lesconsidérions comme la marquede notre identité, nos badgesd'honneur. Ils faisaient denous des vampires, des

vampires Cadogan, des Novicesd'une noble et fière Maison. Ilssignifiaient également notreappartenance au Registre desVampires d'Amérique du Nord,ce qu'Ethan venait de nousrappeler.

— Novices ! cria Ethan, et lafoule se tut. Nous n'avons pasle choix, et je ne nous enautoriserais de toute manièreaucun autre. Il est juste ethonorable de rendre les badgessymbolisant le pouvoir que lePG exerce sur nous. Mais jeserai le premier.

Il porta les mains à sa nuquepour détacher son médaillon et

le tint un moment dans sonpoing fermé avant de le laissertomber dans une boîte poséesur l'estrade, à côté de lui.

— Si nous devons le faire,faisons-le tous ensemble,ajouta-t-il.

Luc l'imita, puis Malik, suivide Kelley, Juliet et Helen. Unpar un, tous les vampiresréunis dans la salle de balmarchèrent jusqu'à la scène,retirèrent leur pendentif et ledéposèrent dans la boîte auxpieds d'Ethan.

Quand, à mon tour,j'abandonnai le mien, jecherchai le regard d'Ethan

avant de retourner à ma place.Il hocha la tête, et je mefaufilai de nouveau dans lafoule.

— Nous nous attendonségalement à ce que le PGutilise les contrats le liant ànotre Maison pour revendiquernos biens. Nous devronshonorer une partie de cetteexigence ; nous contesteronsl'autre partie. Quoi qu'il ensoit, demain, afin de nousacquitter de cette prétenduedette, nous donnerons unesomme substantielle au PG. (Ilmarqua une pause pendant que

le public échangeait desmurmures nerveux.) CetteMaison existe depuis dessiècles et continuera d'exister.Mais nous devrons nous serrerla ceinture. Pour quelquetemps, nous vivrons davantagecomme des humains que desvampires disposant d'unconfortable capital accumulédepuis des décennies. Nosfinances devront êtreconsolidées. Nous vendronscertaines antiquités. Monvéhicule, qui, je le conçois,était d'un luxe ostentatoire,sera retourné au

concessionnaire.Des gémissements déçus

d'origine masculine s'élevèrentdans l'assistance.

Ethan sourit d'un aircompréhensif et leva la mainpour obtenir le silence.

— Cet exercice nousprouvera deux choses.Premièrement, que le PG estexactement ce que nouscroyons ; une organisationégoïste qui se sert de la peurpour asseoir son autorité et nese soucie pas des besoins deses vampires. Deuxièmement,que nous sommes forts. Quenous apprécions le confort et

l'élégance, mais pouvonssurvivre sans. Car noussommes des vampiresCadogan. (Des siffletsapprobateurs fusèrent dans lepublic.) Comme vous le savez,nous sommes sur le point dedevenir des Solitaires, dumoins d'un certain genre. Vousavez sans doute été informésque deux de nos frères etsœurs Solitaires ontrécemment été tués. Oliver etEve étaient, aux dires de tous,des personnes charmantes etgénéreuses. Observons unmoment de silence en leur

mémoire. Et espérons que nousretrouverons le meurtrier etleur rendrons justice. (Tout lemonde se tut, et même lamagie s'apaisa pendant quenous dirigions nos penséesvers Oliver et Eve.) Il nousreste un sujet à aborder, repritEthan. Même si l'issue de lacontestation des clauses ducontrat concernant nosprovisions demeure incertaine,nous croyons qu'il existe unmoyen de simplifier etconsolider notre position.

Les lumières s'éteignirentbrusquement, provoquant un

moment de panique parmi lesvampires, du moins jusqu'à cequ'ils prennent conscience dela lueur dorée qui émanait del'entrée de la salle.

Je m'avançai discrètementpour mieux voir.

— Malik, déclara Ethan.Approche, s'il te plaît.

Malik monta sur l'estrade,un cierge blanc dans lesmains.

L'assistance retenait sonsouffle dans l'attente de lasuite, le silence uniquementtroublé par le douxchuintement de la flammevacillante.

— Tu es sûr ? lui demandaEthan.

— Oui.— Tu as les documents ?— Oui, confirma Malik

avant de placer la bougie dansun chandelier posé sur lascène.

Il tira de la poche intérieurede sa veste une feuille pliéepuis passa un bâton de cirerouge dans la flamme ducierge. Des gouttes s'enécoulèrent dès qu'il commençaà fondre.

La lumière de la bougieprojetant des ombres sur sonvisage, Malik dirigea son

regard sur Ethan.— Cette nuit, j'appose mon

sceau sur cette page et teconfie la Maison, mon Sire. Tuen es le seul et légitimeMaître.

Un tonnerred'applaudissements et des crisde joie accueillirent cettedéclaration.

Ethan reprenait sa place àla tête de la Maison Cadogan.

Malik maintint le bâton decire au-dessus du document,sur lequel se déposèrentd'épaisses et odorantes gouttesécarlates. Après avoir mis lebâton de côté, il sortit de sa

poche un cachet en laiton qu'ilpressa sur la tache de cire,rendant officiel l'acte que nousattendions depuis silongtemps.

Cette formalité accomplie,Ethan poussa un soupir quiressemblait à du soulagement.Cependant, au même moment,il redressa les épaules, commes'il avait endossé son habit depouvoir et s'apprêtait à enfaire usage. Ma peau se couvritde chair de poule, mais non enraison de l'appréhension.

Il balaya des yeux la salle debal pleine de vampires. Sesvampires. Une flamme

embrasa son regard lorsqu'ilscroisa le mien.

— Je suis vivant, déclama-t-il. Vivant et en bonne santé.La Maison m'a été confiée etj'ai accepté d'en reprendre lesrênes. Je suppose que personnen'a d'objection à émettre ?

Une fois de plus, la foulel'acclama. Notre mondes'écroulerait peut-être bientôt,mais, à cet instant, nousavions retrouvé notre Maître,et, de toute évidence, ilassumait pleinement sesresponsabilités.

Ethan s'attarda pour

répondre aux questions de sesvampires. L'aube approchant,je montai l'escalier pourregagner notre chambre, etdécouvris un message sur montéléphone. Il provenait deJonah.

« Le phare. Demain soir. 21heures. Attention aux rochers.Nous t'attendrons. » C'étaittout.

Le phare, qui se dressait àl'entrée du port principal deChicago, guidait les navirescherchant à s'abriter desdéferlantes et éviter les côtesrocheuses du lac Michigan. Illes aidait à trouver leur route

en toute sécurité. Ironie dusort, il m'orienterait moi aussivers une nouvelle voie.

Assise sur le lit, je tournai etretournai mon téléphone dansma main. Plus le moment demon engagement approchait,plus la culpabilitém'étreignait, et plus je doutaisd'avoir pris la bonne décision.

Nous traversions une époquetroublée. Les vampiresCadogan étaient sur le pointde subir un changementidentitaire bouleversant, et jefuyais en plein milieu du chaospour rejoindre uneorganisation rebelle. Qui plus

est une organisation dont je nepouvais pas parler à Ethan ni àqui que ce soit d'autre. Monattitude ne me semblait nihonorable ni honnête.

D'un autre côté, il paraissaitévident que la Garde Rougeallait aider la Maison. Alorsque je n'en faisais même pasencore partie, elle nous avaitdéjà informés que le Présidiumtenterait d'accaparer nosrichesses.

La GR était exactement legenre d'allié dont nous avionsbesoin.

Arrête de geindre,m'admonestai-je avant

d'envoyer une réponse àJonah :

« Je serai là. Et merci pourl'info au sujet du contrat. Tuas peut-être sauvé notrepeau. »

À peine avais-je rangé montéléphone que la porte s'ouvrit.

J'avais pris la décisiond'intégrer la GR depuislongtemps. Mais à cet instant,Ethan était là, aussi me levai-je pour le rejoindre. La nuits'achèverait bientôt ; la peurattendrait.

9

Au bord du gouffre Des heures plus tard, la nuit

tomba de nouveau, comme ellel'avait fait tant de foisauparavant. Le soleil disparutderrière l'horizon, les storess'ouvrirent, et les vampires seréveillèrent.

Ce soir, nous quitterions lePrésidium pour voler de nos

propres ailes.En dépit du soulagement

que nous éprouvions tous àsavoir notre Maison denouveau sous le contrôle d'unseul Maître, le bourdonnementde magie anxieuse meprocurait l'impression de metenir sous des lignes à hautetension.

Je sentis Ethan frémir àcôté de moi. Il était réveillé etpercevait sans doute les ondesangoissées, lui aussi.

— La Maison est nerveuse,déclarai-je.

— Hmm. C'est une soiréedécisive.

Je réfléchis à la meilleuremanière d'exprimerl'importance du pas que nousnous apprêtions à franchirtout en affirmant à Ethan quej'avais confiance en sacapacité à nous guider danscette épreuve.

Peut-être n'avait-il pasbesoin de paroles, maisd'actes... Je m'assis, balançaimes jambes hors du lit et meretournai vers Ethan, dont levisage était entouré d'uneauréole de cheveux en bataille.

— Allons courir.— Courir ?— Pour se défouler. Dans le

quartier. Ça te détendra.Il arqua un sourcil.— Étant donné que personne

ne me pourchasse, je ne voispas la nécessité de courir.

— Non, tu n'as pas envie decourir. C'est différent. Ça tepermettra de te déstresser unpeu.

— Est-ce qu'il s'agit deLacey ?

—Il s'agit de tes vampiresqui se trouvent au bord d'ungouffre monumental et qui ontbesoin de toi pour les aider àtraverser. Et s'ils pensent quetu es nerveux, ils vontpaniquer.

Ses yeux s'étrécirent.— Est-ce que tu essaies de

me coacher, Sentinelle ?Je posai les mains sur mes

hanches et lui rendis sonregard autoritaire.

— Tout à fait, et, d'après lesrègles, j'en ai le droit. Habille-toi.

Il grommela, mais finit parsortir du lit, confirmant monstatut d'éminence grise de laMaison.

En cette froide nuit d'hiver,je ne lésinai pas sur lescouches de vêtements :caleçon long, soutien-gorge desport, débardeur, tee-shirt et

veste ajustée. Il était sansdoute temps de remplacer meschaussures usagées, mais ellesamortissaient encoresuffisamment les chocs pourme permettre de courir.

Ethan avait opté pour unpantalon de survêtement etplusieurs tee-shirts à mancheslongues superposés, et avaitpassé à son poignet unemontre énorme.

Non, pas une simplemontre : une montre GPS, dugenre de celles qu'utilisent lessportifs assidus pour mesurerleur allure et la distanceparcourue.

Je le considérai d'un airsoupçonneux.

— Je croyais que tudétestais courir. Que tu necourais que quand tu étaispourchassé ?

Un sourire rusé s'étira surses lèvres.

— Tu m'as dit un jour que tun'aimais pas trop la nourrituregrasse et sucrée.

— Touché, reconnus-je. Etcombien de kilomètres penses-tu me mettre dans la vue, aujuste ?

— Le temps le dira.— Très drôle.J'avais beau plaisanter, je

commençais à m'inquiéter.On descendit au rez-de-

chaussée en silence, nousobservant mutuellement d'unœil méfiant. L'adrénalineaccompagnant l'excitation dela compétition nous apaisaitdéjà. Et un Maître plus calmesignifiait une Maison pluscalme, me disais-je.

Il pressa un bouton sur samontre pour déclencher lechronomètre et, l'instantd'après, il avait dévalé lesmarches et franchissait encourant le portail menant auxrues tranquilles de Hyde Park.

— Merde, marmonnai-je en

bondissant de l'escalier pourm'élancer dans l'allée.

Ethan m'attendait à trentemètres de là, une main sur lagrille, l'autre sur sa hanche. Ilne me fallut pas plus dequelques secondes pour lerejoindre, et un sourires'élargit sur son visage à monapproche.

— Qu'est-ce qui t'aretardée ?

— Je t'ai laissé prendre del'avance. Honneur auxanciens, comme je te l'ai déjàdit et te le dirai certainementencore.

Ethan répondit par un

grognement sarcastique avantde s'écarter de la grille etcourir à côté de moi sur letrottoir.

— Quinze kilomètres,annonça-t-il avant dem'énoncer les points de repèrequi jalonneraient notre circuitdans le quartier.

Le parcours aurait sansdoute paru long à un humain,mais pour des vampires, iln'exigerait qu'un effort léger.

— Je suppose que tu medétailles l'itinéraire parce quetu sais déjà que je serai loindevant ?

— Ou loin derrière.

— Ton ego n'a vraimentaucune limite ?

Ethan Sullivan, Maître de laMaison Cadogan, m'administraune claque sur les fesses, unsourire moqueur aux lèvres.

— Pas quand c'est tout à faitjustifié. Dès que tu es prête,Sentinelle.

Je ne lui laissai pasl'occasion de me distancer uneseconde fois.

— C'est parti ! criai-je alorsque je l'avais déjà dépassé etcourais plusieurs mètresdevant lui en direction denotre premier repère, l'églisequi se trouvait en bas de la

rue.Nous étions des prédateurs,

et par conséquent par natureplus rapides que les humains.Cela étant, tout comme eux -ou les singes, les lions et tousles grands prédateurs -, nousne pouvions cavaler à pleinrégime qu'un certain temps.

Ethan me laissa prendre latête, ce dont je profitaipleinement en piquant unsprint pour gagner autantd'avance que possible. J'étaislégère, mais il était grand,avec de longues jambes. Et ilcourait depuis des siècles.Comme il semblait peu

probable que je réussisse àmaintenir notre écart jusqu'àla fin, je donnai le maximumtout de suite.

Cela ne suffit pas.Une centaine de mètres plus

loin, je risquai un coup d'œilderrière moi en entendant leclaquement de ses semelles surl'asphalte. Il tirait sur ses braset ses jambes, sollicitantchacun de ses musclespuissants, exécutant desfoulées impeccables. Siseulement les épreuvesd'athlétisme des Jeuxolympiques se déroulaient lanuit...

Il me rattrapa, à peineessoufflé, et courut à moncôté.

— Je crois que tu as triché.— Prérogative des

Sentinelles. Je suis sûred'avoir lu une règle à ce sujetdans le Canon.

Il émit un son dubitatif.— La révérence

reconnaissante requiert uneobéissance totale au Maître desa Maison.

— Tu n'es Maître que depuisquelques heures et tu teconduis déjà en cruel despote.

— A peine, alors que toi, tues une Sentinelle qui aurait

bien besoin de quelques rappelsde discipline.

J'ouvris la bouche, prête àriposter à son sarcasme, quandune alarme résonna quelquepart dans mon esprit.

Je ralentis, puis m'arrêtai,les mains sur les hanches, lesouffle court, et scrutai lesalentours.

Se rendant compte de montrouble, Ethan s'immobilisa àquelques mètres de là, et, avecsa prudence coutumière, revintsur ses pas pour me rejoindre.

— Qu'est-ce qu'il y a ?J'inspectai le quartier du

regard, déployant tous mes

sens afin de découvrir ce quiavait déclenché mon alerteinterne. Je n'entendais aucunbruit inhabituel à l'exceptionde notre respiration haletante.Une portière qu'on ouvrait plusloin dans la rue. Un chat quimiaulait dans une allée. Legrondement de la circulationsur les avenues voisines. Je nevoyais rien de suspect. Mêmeles odeurs me paraissaientnormales. Je ne sentais riend'autre que le froid et la fuméecaractéristiques de la ville lanuit.

— Je ne sais pas. Juste un

pressentiment. Une alarmeinterne.

J'aurais sans doute réagi parun commentaire caustique siEthan m'avait dit la mêmechose, mais ses yeux netrahissaient aucune ironie. Jeconsidérai cela comme uncompliment et une marque deconfiance vis-à-vis de macapacité de jugement, même sije n'étais pas sûre de ce quej'avais détecté.

— Il est important d'écouterson instinct, affirma-t-il.Parfois, les sens perçoivent ceque la raison n'a pas encore eule temps d'analyser.

Je saisis sa main et merapprochai de lui pour l'écarterde la route et le pousser vers lemur qui bordait cette partie dutrottoir.

En bonne Sentinelle etdisciple d'Ethan Sullivan, jecommençai à élaborer un plan.Nous n'étions pas très loin dela Maison et pouvionsaisément exécuter le trajetinverse en courant sinécessaire, mais cela nousexposerait tous deux un peutrop à mon goût. Il serait sansdoute plus sûr d'appeler Lucpour lui demander de venir

nous chercher en voiture, maisje n'avais pas envie de céder àune sorte de crainte phobiquesans disposer de preuves.

— Merit ?— Désolée d'abuser de mon

autorité, mais je vais jouermon rôle de Sentinelle et teramener à la Maison en unseul morceau. Reste à côté demoi, et ne discute pas.

— Bien, madame.J'étais prête à jurer qu'il

prêtait à ces paroles un senslascif.

— Continue à courirjusqu'au bout de la rue. À unrythme humain, sans faire

d'esbroufe.Il grogna avec dédain à

l'idée de juguler sesperformances, mais se plianéanmoins à mes exigences.On trottina en silence endirection de la Maison... etc'est alors que je l'entendis.

Un lent crissement de pneussur le gravier.

— Tu entends ? demandai-je à Ethan, activant notre lienmental. Une voiture derrièrenous, à 7 heures ?

— Américaine, d’après lebruit. Elle a un moteurpuissant.

— Merci de ta contribution,

plaisantai-je pour détendrel'atmosphère. Ralentis justeun peu.

On modéra notre allure demanière à lever à peine nospieds du sol, comme deshumains s'adonnant à unjogging léger. Pour desvampires en bonne santé, celaéquivalait à piétiner.

Le véhicule avançaittoujours. Je ne l'avais pasencore vu, mais je l'entendaisderrière nous. Il se déplaçaiten même temps que nous, à lamême vitesse. Ami ouennemi ?

S'agissait-il de quelqu'un qui

nous observait dans l'attentede nous parler... ou de noustuer ?

— A trois, ne bouge plus. Jevais essayer quelque chose.

— Tu seras prudente ?— Sire, je suis immortelle,

répliquai-je, utilisant l'une deses phrases favorites. Jette uncoup d'œil à la plaqued'immatriculation, si tu peux.U n , commençai-je à compteren pressant sa main pour mesouhaiter bonne chance.

— Deux, poursuivit-il aprèsavoir hoché la tête.

— Trois, lançai-je en mêmetemps que lui.

Je bondis et m'élançai dans

Je bondis et m'élançai dansla rue. La voiture, qui setrouvait une cinquantaine demètres derrière nous, pila dansun crissement de pneuslorsque je surgis dans lalumière de ses phares.Aveuglée, j'étais incapabled'identifier le véhicule, mêmesi sa hauteur m'indiquait qu'ilne s'agissait pas d'une berlineou d'un cabriolet, mais plutôtd'une camionnette ou d'un4x4.

On demeura un momentainsi, face à face.

Le conducteur fit rugir lemoteur et je toisai le pare-brise

avec une assurance feinte. Enfait, mon cœur battait lachamade.

J'aurais beau rester là toutela nuit, je n'apprendrais riende plus sur cette menace - sic'en était une - si je ne passaispas à l'action.

Une main sur la hanche, jeprovoquai le chauffeur enl'invitant à avancer d'un signedu doigt. Il releva le défi.

Dans un couinement depneus, il écrasa l'accélérateur.Je serrai les poings, mon cœurtambourinant dans mapoitrine, m'armant de couragepour demeurer immobile

jusqu'à ce que le véhicules'approche suffisamment pourme permettre d'apercevoir leconducteur. Mais il faisaitsombre, et la voiture étaitmunie de vitres teintées tropopaques pour laisser entrevoirce qui se trouvait derrière.

Je pivotai et m'écartai d'unsaut de main juste à tempspour l'éviter. Il s'en était fallud'un cheveu. Il me semblasentir le métal lisse de lacarrosserie frôler mes orteilslorsqu'elle me dépassa.

Je me réceptionnai enposition accroupie et meretournai pour observer le

véhicule. Il s'agissait d'un 4x4noir. Sans plaqued'immatriculation. Nousavions déjà vu ce genre demodèle auparavant ; leshommes de main de McKetrickque nous avions rencontrésconduisaient des voituressemblables.

Je tressaillis quand Ethanposa une main sur mon bras.

— Tu vas bien ? s'enquit-ilen sondant mon regard.

— Oui. Il est passé loin,mentis-je. Mais je n'ai pas vule chauffeur. Et toi ?

— Non.— Bizarre. Pourquoi

s'approcher autant sans riententer ?

— Peut-être qu'il noussurveillait, avança Ethan d'unair sinistre.

Cette éventualité mesemblait encore plusdérangeante.

— Dans quel but ?— Je l'ignore, avoua-t-il, une

pointe d'inquiétude dans lavoix. Rentrons à la Maison.

Je n'avais aucunementl'intention de m'y opposer.

Malik nous attendait à laporte. Ethan l'avait sans douteinformé de ce qui s'était passépar télépathie.

— Tout va bien ? interrogea-t-il en nous observant tour àtour, ayant certainement sentila magie que nous dégagions.

— Nous avons été suivis parun 4 x 4 noir. Aucune idée dequi conduisait ni de ce qu'il ouelle cherchait. Qui que soit lechauffeur, il a pris la fuitequand Merit l'a défié.

— Défié ? répéta Malik enposant les yeux sur moi.

— Je me suis approchée, lavoiture est partie.

— Pas de nouvelles desmembres du PG ? demandaEthan.

Malik secoua la tête.

— Silence radio. Je supposequ'ils viendront à l'heureprévue pour la cérémonie,mais ils ne nous ont pascontactés.

— Je me fais des idées, ouça ne leur ressemble pas dutout ? lançai-je, mon regardpassant de l'un à l'autre.Pourquoi arriver en avances'ils n'en profitent pas pournous harceler un peu ?

— Hélas, je tends à partagerton sentiment. Desrebondissements de dernièreminute ne sont pas à exclure.(Il s'adressa ensuite à Malik.)Je monte prendre une douche.

Préviens Luc au sujet du 4 x 4,s'il te plaît, et avertis lesautres vampires, au cas où lechauffeur rôderait encoredehors.

Une possibilité qui n'étaitpas des plus rassurantes.

Me sentant crasseuse après

notre footing, je sautai sous ladouche dès qu'Ethan sortit dela salle de bains, puis enfilaima tenue de cuir. Après tout,je n'avais aucune idée de ceque la nuit nous réservait.

Je relevai mes cheveux enqueue-de-cheval et effleurai lecreux de ma gorge, là où

reposait auparavant monmédaillon Cadogan.

Je m'étais séparée dupendentif que je portais laveille lors de la cérémonie.Mais j'en possédais un second.Le premier que l'on m'avaitdonné m'avait été volé, puisrendu. Entre-temps, j'en avaisreçu un autre enremplacement, celui quej'avais abandonné la nuitpassée. L'original étaitenfermé dans une petite boîtedans le compartiment du basde ma table de chevet dans lachambre d'Ethan. Étant donné

que je ne le portais pas laveille, je n'avais pas eul'occasion de le restituer.

Cela dit, je n'avais pasl'intention de m'en défaire. Jene comptais pas le passer àmon cou. Cela paraîtraitdéloyal, d'autant que tous mescamarades vampires avaientrenoncé au leur. Cependant, cemédaillon m'avait été dérobépuis rendu par Seth Tate, et jen'avais aucune idée de ce qu'ilen avait fait durant la périodeoù il l'avait gardé en sapossession. Peut-être rien,peut-être l'avait-il soumis à

une magie maléfique.Le pendentif resterait dans

sa boîte, du moins jusqu'à ceque je sois sûre de soninnocuité ou de sa dangerosité.

Le temps que je me prépare,Ethan avait revêtu un costumequi lui seyait à merveille.

Chacun des vêtements qu'ilportait lui allait parfaitement,du pantalon qui soulignait lalongueur de ses jambes à laveste qui épousait ses épaulescomme si elle avait étéconfectionnée sur mesure parun vieux tailleur européen àl'aide de fines épingles et d'unmorceau de craie.

En y réfléchissant, je pariaisque c'était exactement ainsiqu'elle avait été fabriquée.

Quoi qu'il en soit, Ethanétait très élégant. Il irradiait laconfiance et l'autorité d'unMaître.

— Il ne te faut rien pour lacérémonie du PG ?

— Non, répondit-il. Une nuitsans accrocs serait labienvenue, mais ça me sembleimprobable.

Je m'armai de courage envue du demi-mensonge - ou dela substantielle omission -dont j'étais sur le point de merendre coupable.

— Étant donné qu'il nous

— Étant donné qu'il nousreste un peu de temps avant lacérémonie, et à moins que tuaies besoin de moi ici,j'aimerais passer voir mongrand-père, au cas où il auraitdécouvert quelque chose ausujet des meurtres. Ça metracasse de n'avoir aucunepiste, d'autant que nous avonspromis à Noah de résoudrecette affaire. Et puis, entrecette histoire et l'arrivée duPrésidium - sans compterl'autre raison dont je ne suispas censée te parler, ajoutai-je en mon for intérieur -, je

suis assez stressée, et,d'habitude, mon grand-pèrem'offre des Oreos. Un bon Oreode temps à autre, ça ne faitpas de mal.

— Qu'est-ce que tu ne feraispas pour de la nourriture ?

Je me campai sur unehanche, une main à la taille,et lui souris, paupières mi-closes.

— Tout dépend de lanourriture.

— Je ne sais pas si c'est àprendre au sens littéral oumétaphorique. Quoi qu'il ensoit, c'est peut-être laconversation la plus

intéressante que nous ayonsjamais eue.

Je m'approchai de lui etpressai mes lèvres contre lessiennes, m'attardant un peuplus longtemps que nécessaire,savourant ce moment.

Avant que tout change.Avant que je jure allégeance

à la Garde Rouge.Avant que la dissidence de la

Maison soit entérinée par lePrésidium de Greenwich.

— Tout va bien ? medemanda Ethan en inclinantla tête.

— Je suis nerveuse,répondis-je avec sincérité.

C'est une nuit importante.Il émit un vague son

d'approbation.— L'une des plus

importantes. Nous verronsbien ce qui en résultera.

Nous le verrions trèsbientôt, je n'en doutais pas.

Je disposais d'un peu de

temps avant la cérémonie, etj'avais réellement prévu derendre visite à mon grand-père. Ou du moins de l'appeleravant de me rendre au phare.

Songeant que je méritaisbien un peu de sang et denourriture avant de partir, je

traversai le couloir endirection de la cuisine.

Des bagels nature étaientposés sur le comptoir. Margotavait sans doute renoncé à lagarniture par soucid'économie.

J'en enveloppai un dans uneserviette et je venais de sortirune bouteille Sang pour sangdu réfrigérateur quand Laceyentra dans la cuisine. Une foisde plus, elle portait un jeanultra moulant qu'elle avaitassorti à un haut rayétendance et une paire debottes.

Seul un vague regard dans

ma direction indiquant qu'elleavait remarqué ma présence,elle ouvrit le réfrigérateur,duquel elle tira une bouteilled'eau minérale hors de prix.Les meilleurs méritent lemeilleur, supposai-je.

Elle ferma la porte, puis s'yadossa.

— J'ai entendu dire que voussortiez ensemble.

Inutile de demander à quielle faisait allusion.

— C'est vrai.— Tu n'es pas celle qu'il lui

faut.Alors que je m'apprêtais à

quitter la pièce, espérant partir

en évitant tout esclandre, jem'arrêtai net.

— Pardon ?— Ce n'est pas d'une fille

comme toi dont il a besoin.Une brusque bouffée de

colère m'envahit.— Et de quoi a-t-il besoin,

au juste ?— Pas d'un simple outil ou

d'une arme. La Maison setrouve dans une situationpérilleuse. Et sache que, bienque je dirige ma propre Maisonà présent, mon amour pourCadogan reste intact. Cetendroit fait partie de moi.C'est là que j'ai été

transformée, et je n'ai pasl'intention de te laisserdétruire Cadogan, ni détruireEthan. C'est à cause de toi quela Maison quitte le PG. Si elles'écroule, ce sera ta faute.

Je parvins à formulerquelques mots, ce que jen'aurais pas cru possiblecompte tenu de l'intensité dema fureur.

— Ma vie amoureuse - sa vieamoureuse - ne vous regardepas.

— Si, ça me regarde,rétorqua-t-elle. Cette Maison etle Maître qui m'a créée meconcernent directement.

Maîtresse ou pas, ellecommençait sérieusement àme taper sur les nerfs.

— Occupez-vous de vosaffaires à San Diego. Vous avezquitté Cadogan et Ethan envous installant là-bas. Jen'apprécie pas vraiment quevous veniez chasser sur ce quiest très clairement monterritoire.

Avant qu'elle ait purépondre, deux vampires entenue de sport - Christine etMichelle - pénétrèrent dans lacuisine. Elles me saluèrentd'un geste de la main etmurmurèrent un bonjour poli à

Lacey - révérencereconnaissante, sans doute -,puis sortirent des boissonsénergisantes du réfrigérateuret prirent des bananes dans unsaladier posé sur le comptoir.

Sans nous adresser un motde plus, elles s'éloignèrentdans le couloir en parlant àvoix basse, têtes penchées.Elles commentaientcertainement le face-à-faceopposant l'ancienne etl'actuelle maîtresse d'Ethanqu'elles venaient de surprendredans la cuisine. Je n'essayaimême pas d'écouter leurs

chuchotements. Je n'étais passûre d'avoir envie de savoir cequ'elles disaient... en grandepartie par peur qu'elles aientraison.

Lacey avança d'un pas.— Très bien. Supposons que

sa vie sentimentale ne meregarde pas. Supposons que çate regarde, toi. Alors, peut-êtredevrais-tu sérieusementréfléchir au genre decompagne dont il a besoin. Es-tu celle qu'il lui faut ? Oumérite-t-il quelqu'un de mieuxque toi ? Une femme loyale ethonnête ?

— Une femme blonde ?

lançai-je sèchement. Unefemme exactement commevous ?

Mon téléphone sonna.Redoutant une nouvelle crise,je m'empressai de le sortir dema poche. C'était Jonah, quivoulait sans doute s'assurerque j'irais à mon initiation.J'éteignis mon portable et lerangeai sous le regardinquisiteur de Lacey.

— Tu as quelque chosed'autre à faire, peut-être ?

— J'essaie de résoudre undouble meurtre, lui rappelai-je.C'était au sujet de l'enquête.

Elle esquissa un petit

sourire.— J'ai des dizaines d'années

d'expérience, Merit. Desdizaines d'années au coursdesquelles j'ai eu le temps detravailler avec lui, del'observer, d'apprendre à leconnaître. Tu as des crocsdepuis quoi, huit mois, et tucrois vraiment avoir saisi toutce qu'il y a à savoir sur unMaître vampire ? Sur ce dont abesoin un immortel ? (Ellearqua un sourcil dans uneparfaite imitation d'Ethan.) Tues une gamine à ses yeux. Unepassade.

Si Lacey cherchait à me

déstabiliser, à semer le douteen moi, elle y réussissaitparfaitement.

— Laissez-moi tranquille,grognai-je, bouillonnant decolère.

— Très bien, dit-elle en sedirigeant vers la porte. Maissouviens-toi : je ne te fais pasconfiance, et je te tiens àl'œil.

— Quelle vipère !marmonnai-je quand elledisparut.

Je restai un moment dans lacuisine, les mains tremblantde rage contenue. Avait-elleraison ? N'étais-je qu'un

fardeau pour Ethan ?Non, me récriai-je. Il

m'aimait, et il savait mieuxque personne ce dont lui et laMaison avaient besoin. C'étaitun adulte, bon sang. Je nel'avais pas forcé à devenir monamant.

Je décapsulai la bouteille etbus à longues gorgées jusqu'àce que le gremlin en moi secalme.

Le plan de Lacey visait detoute évidence à me rendrefolle. Me faire douter de marelation jusqu'à ce quej'exaspère Ethan par monmanque de confiance... ou que

je rompe avec lui pour le« sauver ».

Lacey m'avait une foisqualifiée de « soldatordinaire », mais elleconfondait soldat et martyr.Mon travail consistait àdéfendre ma Maison et monMaître, pas à me sacrifierbêtement par peur de ledétruire.

Je ne le détruirai pas.Comme je le lui avais déjàrappelé par le passé à unmoment où il avait besoin del'entendre, nous étions plusforts ensemble que nous nel'étions séparément. Deux

âmes solitaires qui avaienttrouvé l'une en l'autre leréconfort.

Elle ne pouvait pas nousprendre ça.

Du moins, je l'espérais. D'humeur maussade et les

nerfs à fleur de peau, jedescendis à la salle desopérations. Il ne manquait queJuliet, sans doute affectée à lapatrouille. Luc, qui avait àprésent officiellementréintégré ses fonctions deCapitaine de la Garde, étaitassis en tête de table, commeà son habitude.

Le regard de Lindsey se posa

Le regard de Lindsey se posasur moi quand je franchis leseuil, et je n'eus aucune peineà deviner ses interrogations :« Comment se sent Meritmaintenant que Lacey apassé une nuit à laMaison ? »

Connaissant ses talentsd'empathe, je jugeai inutile dela renseigner.

— Sentinelle, me salua Luc.Heureux de voir que tu n'aspas encore piqué de crise.

— Ça ne va pas tarder,affirmai-je d'un air sinistre.Pas de nouvelles de l'Agence demédiation ?

— Rien. On t'attendait pourtéléphoner à Jeff.

— Merci, dis-je enm'asseyant à la table deconférence. Allons-y.

Luc hocha la tête et sepencha pour appuyer sur ledeuxième bouton d'appel de laconsole.

— Qui est le numéro un ?demandai-je.

— Saul's, répondit Lindsey.À cause de toi, on ne peut plusmanger d'autres pizzas.

Bien joué, me félicitai-je.S a u l ' s était ma pizzeriapréférée à Chicago, un petitboui-boui sans prétention situé

à Wicker Park, près de lamaison de grès brun deMallory. Je l'avais faitdécouvrir aux vampiresCadogan.

— Jeff à l'appareil, réponditJeff de manière tout à faitappropriée.

Je joignis les mains tandisque Lindsey approchait letableau blanc.

— Salut, Jeff, c'est Merit. Jesuis dans la salle desopérations, où on t'a mis surhaut-parleur, commed'habitude.

— J'ai des nouvelles.Laquelle vous voulez en

premier ? La bonne ou lamauvaise ?

— La mauvaise.— Le verre trouvé dans la

ruelle n'a rien donné. C'est duverre de sécurité provenant dela vitre d'une portièrepassager.

Il pourrait correspondre àune dizaine de modèles devéhicules, ça ne nous apprenddonc pas grand-chose.

Dommage, mais pasvraiment surprenant. QuandLindsey barra le mot « verre »du tableau, j'eus soudainl'impression de participer à unjeu télévisé où les prix

disparaissaient à chaqueréponse erronée.

— Qu'est-ce que vous avezdécouvert d'autre ? demandai-je.

— On a fouillé dans le passéd'Eve et Oliver. Rien despécial. Ni dispute avec lesvoisins, ni ennemispersonnels, ni problèmesd'argent. Si le tueur les visaitspécifiquement, la raison deson choix reste obscure. Maisje vous transmettrai lesdocuments si jamais vousvoulez les examiner.

— Ce serait super, Jeff,merci, dit Luc en se penchant

en avant. On a fait appel à unconsultant en sécurité pour latransition. On lui demanderapeut-être d'y jeter un coup dœil.

— Je vous les envoie. Etmaintenant, la bonnenouvelle. J'ai étudié desimages satellite du centred'enregistrement. Il se trouvequ'il y a une banque de l'autrecôté de la rue. Et qui ditbanque dit système desurveillance.

— Dis-moi que tu asdécouvert une vidéo, Jeff,priai-je en croisant les doigts.

— J'ai découvert une vidéo,

confirma-t-il. Mais elle nemontre pas grand-chose. Jevous l'envoie.

Le temps que Luc tapote surson écran digital, samessagerie annonçait déjà laréception d'un nouveaufichier. Il appuya sur« lecture ».

Sous nos yeux défilèrent desimages sombres et de piètrequalité qui s'enchaînaient demanière saccadée, comme desphotos prises en rafales, maisqui correspondaient bien àl'endroit qui nous intéressait.Elles étaient focalisées sur letrottoir juste devant le

distributeur de billets, mais lecadre englobait une partie ducentre d'enregistrement situéen face et un tronçon de l'alléeadjacente.

— Quand cette vidéo a-t-elleété prise ? interrogea Luc.

— Elle commence huitminutes avant l'arrivéed'Oliver et Eve. Ne faites pasattention au type dudistributeur et observez bien laruelle.

Un homme noir aux largesépaules vêtu d'une blouse verteretirait avec enthousiasme desbillets de la machine. Ilattirait le regard, mais Jeff

avait raison : l'action sedéroulait derrière lui.

Des voitures passaientdevant le centred'enregistrement. Quelques-unes s'arrêtaient le long dutrottoir pour déposer desvampires qui allaient ensuiterejoindre la file d'attentes'étirant devant la porte.

— Les voilà, déclara Luc enpointant du doigt Oliver et Evequi descendaient d'un véhiculenon loin du distributeur avantde traverser la rue, main dansla main.

La voiture repartit aussitôt.Mon cœur se serra. J'avais

envie de leur crier de fairedemi-tour et éprouvais unécrasant sentimentd'impuissance à les observers'approcher du danger... ce quine fit que renforcer madétermination à retrouver leurmeurtrier.

Oliver et Eve se mêlèrentaux vampires devant le centre.A cette distance, la netteté desimages laissait franchement àdésirer, et la file d'attenteressemblait à un serpent depixels qui ne permettait pas dedistinguer les individus les unsdes autres.

— Regardez bien la

prochaine voiture qui vaarriver, conseilla Jeff.

— OK, dit Luc d'un airabsent, scotché à l'écran.

Et il n'était pas le seul. Tousles vampires de la salle desopérations avaient les yeuxrivés sur la vidéo quand unimposant 4x4 noir passadevant le centred'enregistrement.

Ou, plus précisément, roulaau pas devant le centred'enregistrement, avançant àpeine, comme si le chauffeurprenait le temps d'inspecter lebâtiment et la file d'attente.

— Il ressemble au véhicule

qui nous a suivis ce soir,commentai-je.

— Vous avez été suivis ?demanda Jeff.

— Oui. Je suis allée couriravec Ethan. Un 4x4 noir nousa filés. Il s'est enfui sur leschapeaux de roue quand j'aitenté de m'approcher.

Le 4 x 4 sortit du champ dela caméra avant de revenirdans la ruelle en marchearrière, la lumière des pharesperçant l'obscurité,exactement comme l'avaitdécrit le portier.

— Et voilà notre voiture,murmurai-je.

Le chauffeur lança des

Le chauffeur lança desappels de phares, et j'observai,les yeux plissés devant l'écran,des silhouettes - ou plutôt desamas indistincts de pixels -s'avancer vers le véhicule.

Mon instinct m'indiquaaussitôt qu'il s'agissait d'Oliveret Eve. La vidéo étaitdépourvue de bande-son ; peut-être avaient-ils entendu unbruit qui avait attiré leurattention.

A cet instant, un grosfourgon blindé de couleur grisevint se garer devant la banque,occupant tout le champ de lacaméra.

— Va-t'en ! Va-t'en !l'admonestai-je.

L'écran devint noir.— La voiture blindée reste là

pendant quarante-cinqminutes, annonça Jeff. Letemps qu'elle s'en aille...

— Tout est fini, terminai-jeà sa place.

— Exactement.Le silence s'installa un

moment dans la salle desopérations.

— Le chauffeur du 4 x 4 lesa attirés dans la ruelle,conclut Luc.

— C'est tout à fait ce quis'est passé, confirma Jeff.

Marjorie a interrogé l'une desemployées du centred'enregistrement, une nana dunom de Shirley Jackson qui atravaillé pour la municipalitépendant vingt ans avant d'êtretransférée dans ce servicequand il a été créé. Il se trouveque son bureau est situé prèsde la fenêtre de l'entrée. Ellese souvient d'avoir entenduune sorte de bruit de moteurdans la ruelle, comme si unevoiture avait du mal àdémarrer. Puis elle a remarqué« un mignon petit couple » quipassait devant sa fenêtre. Elle

ne se rappelle pas l'avoir revuensuite, mais ça ne l'a pasinterpellée.

— Pas étonnant, commentaLuc. Quand tu entends ungrondement de moteur qui tefait penser que quelqu'un a unsouci mécanique et que lebruit cesse, tu te dis que debons samaritains ont proposéleur aide et que le problème aété résolu.

— Oui, sauf que ce n'est pasce qui s'est produit, cette fois,déclarai-je. Oliver et Eve ontété attirés dans la ruelle. Leconducteur du 4 x 4 a simuléune sorte de panne, ils ont

volé à son secours et en sontmorts.

Je frissonnai, medemandant si nous avionséchappé au même sort, Ethanet moi, lorsque nous étionsallés courir.

— Voilà pourquoi Jeff n'arien découvert de marquantdans leur passé, poursuivitLuc. Le tueur ne les visait sansdoute pas en particulier. Il achoisi ses victimes au hasardparmi les personnes qui setrouvaient sur le trottoir. Ilcherchait une proie, n'importelaquelle.

— Une proie vampire,

précisai-je. Il rôdait près d'uncentre d'enregistrement.

— Et la voiture que vousavez vue ce soir ? s'enquitLuc.

— Peut-être que le chauffeurtournait autour de la Maisonen quête de vampires ?suggérai-je. Le hasard a faitqu'il est tombé sur nous. Ilespérait sans doute opérer uneapproche plus subtile, ce quiexpliquerait qu'il soit partiquand je l'ai provoqué.

— Difficile à dire, soupiraLuc avec un haussementd'épaules.

— Merci pour ces

informations, Jeff.— De rien. On continue de

chercher de notre côté. Je vaisexaminer la vidéo d'un peuplus près pour voir si ce 4 x 4reparaît plus tard.

— Bonne idée, approuvaLuc. On se rappelle.

Lorsqu'il raccrocha, jereportai mon attention sur letableau blanc. Lindsey y avaitécrit quelques éléments cléspendant que nous regardions lefilm : « Oliver et Eve.Solitaires. Enlevés devantcentre d'enregistrement par4x4. Tués dans entrepôt. »

La chronologie d'un

meurtre, du déchaînement deviolence d'un sociopathe. Maisque cela signifiait-il ?

Je jetai un coup d'oeil àl'horloge fixée au mur. Letemps passait ; le momentétait venu pour moi de memettre en route pour le phare.Je me préparaipsychologiquement à mentirpar omission pour la deuxièmefois de la soirée, ce quis'avérerait risqué compte tenudes puissants talentspsychiques de Lindsey.

Je me levai et glissai lesmains dans mes poches.

— Je crois qu'un petit tour

en voiture me fera du bien.J'ai besoin de prendre l'air.

Luc acquiesça d'un signe detête :

— Tu as raison. Ça t'aidera àanalyser tout ça, et peut-êtreque tu réussiras à établir desconnexions.

Je jetai un regard en coin àLindsey pour voir si ellesoupçonnait quelque chose. Sic'était le cas, elle n'enmontrait rien.

— Je suppose que tu seras deretour pour la cérémonie ?demanda Luc d'un tondégoulinant de sarcasme.

— Je ne manquerais ça pour

rien au monde. Tout commeles taxes, sinon la mort, on nepouvait y échapper.

10 Membre titulaire de

la Garde Rouge Je me faufilai à travers le

portail avant de courir endirection de ma voiture, ni vuni connu, et filai dans la nuit,prête à réaffirmer monengagement envers la GR.

Un certain malaisem'accompagna durant tout le

trajet. Je me sentais encorenerveuse et redoutais de trahirla confiance d'Ethan.

Mais comment agir dansl'intérêt de la Maison peut-ilêtre considéré comme unetrahison ?

Suivant les instructions deJonah, je me dirigeai vers lelac Michigan, puis poursuivisma route vers le nord, jusqu'auport de plaisance.

La marina avait depuislongtemps fermé pour l'hiver.Une cabine d'accueil enmarquait l'entrée et unebarrière de sécurité auxrayures jaunes et noires

empêchait les voitures depasser.

Ne sachant trop commentprocéder, j'avançai ma Volvojusqu'à la cabine et abaissaima vitre. La femme assise àl'intérieur m'étudia du regardavant de déclencherl'ouverture de la barrière enpressant un bouton.

Une amie de Jonah, peut-être ? Ou de la Garde Rouge ?

Je garai ma Volvo et, unefois dehors, remontai lafermeture Eclair de ma vesteavant d'inspecter lesalentours. Le petit parkingétait désert à l'exception de

quelques voitures éparpilléesçà et là.

En dépit des températuresexceptionnellement élevéespour la saison, de la glaceflottait sur la surface noire etlisse du lac.

Une bande de béton et derochers s'avançait dans l'eau,formant une digue abritant lesbateaux. Au bout se dressait lephare, qui perçait l'obscuritéde ses signaux lumineuxintermittents.

J'observai longuement lesblocs composant la jetée.Imposants et verglacés, ilsm'apparaissaient dangereux.

Cela dit, ils avaient été placéslà dans l'objectif de protégerles bateaux, non de servird'accès hivernal aux vampires.

— J'espère que ça en vaut lapeine, maugréai-je.

Bras tendus, je m'aventuraisur la digue.

Mes nombreuses années dedanse classique m'aidaientcertainement à conserver monéquilibre, mais les semelles decuir de mes bottes n'étaientpas adaptées à ces pierresglissantes, et à peine avais-jefranchi trois mètres que jedérapai. Je tombai à genoux etsentis le choc se répercuter

dans mon dos.— Bon sang ! marmonnai-je,

attendant en grimaçant que ladouleur s'atténue.

Quand l'impression quequelqu'un avait abattu unmaillet sur mes rotules se futlégèrement estompée, je merelevai et repris maprogression.

Après quelques minutes,dont je passai la moitié àquatre pattes, j'atteignisl'échelle menant à la plate-forme de béton qui entourait lephare.

— Tu as réussi.Ces paroles, prononcées

pourtant à voix basse, meparurent incroyablementfortes dans le silence de lanuit. Je levai les yeux.

Jonah m'attendait en haut,les mains glissées dans lespoches d'une veste en laine quilui arrivait aux chevilles.Dessous, il portait un jean etdes bottes, et ses cheveuxauburn dansaient dans le ventautour de son visage. Sesjoues, dont les lignes parfaitessemblaient avoir été sculptéesdans le marbre, étaient rosiespar le froid.

Il m'invita à le rejoindred'un geste, et je gravis un à un

les barreaux glacés, rouilles etbranlants de l'échelle jusqu'ausommet, où Jonah m'aida àprendre pied sur la plate-forme.

— C'est joli, ici, déclarai-jeen fourrant les mains dansmes poches pour les protégerdu vent mordant.

Il faisait plus froid, à cetendroit, le lac n'offrant aucunabri contre les éléments.

Jonah me sourit avec unesérénité digne du Bouddha.

— La voie de la GR n'est pasfacile ; tu devras te rappelercette leçon.

— Mes genoux ne

l'oublieront pas, lui assurai-je.On se dévisagea un moment,

la magie et les souvenirsfaisant crépiter des étincellesentre nous.

Jonah et moi possédions desmagies complémentaires,c'est-à-dire qui opéraient enquelque sorte sur la mêmefréquence. Un genre deconnexion surnaturelle. Unjour, il avait avoué avoir dessentiments pour moi, maiss'était gracieusement effacéquand je lui avais révélé ce queje ressentais pour Ethan.

A présent, nous étionscoéquipiers, et nous nous

apprêtions à rendre cetterelation officielle au coursd'une cérémonie qui, ironie dela situation, précéderait dequelques heures seulementcelle qui formaliserait larupture entre la MaisonCadogan et le PG.

— Allons à l'intérieur,proposa-t-il.

— À l'intérieur ?Je n'aurais jamais imaginé

monter sur cette plate-forme,encore moins entrer dans lephare. Cette perspectivetitillait mon côté romanesque.

— Les membres bénéficientde certains privilèges,

commenta Jonah encontournant l'édifice pour meconduire à une porte rouge enbois.

Là, il écarta une plaque enlaiton qui ressemblait à unesonnette, dévoilant un petitscanner. Il appuya son poucesur l'écran, et la serrure sedéverrouilla avec un « clic »audible.

— Sophistiqué, fis-jeremarquer.

— On a ce qu'il y a demieux, au QG de la GardeRouge.

— C'est le QG de la GardeRouge ?

—Oui, répondit-il en fermantla porte derrière nous.

J'inspectai les lieux. Lebâtiment se composait de deuxpetites pièces qui flanquaientla tour à la manière de presse-livres... ou de quelque chose debeaucoup plus génital. Le solétait carrelé et tous les murscomportaient des fenêtresoffrant une vue sur le lac ou laville. Le décor, minimaliste,devait dater des années 1970.Un escalier en spirale s'élevaitau centre, menant sans douteau sommet du phare.

— Ce n'est pas très luxueux,mais c'est notre QG.

—Alors, c'est à ça queressemble un phare, àl'intérieur.

— Du moins en 1979, quandles derniers employés sontpartis, précisa Jonah.

— Ça explique le faux boiset le laiton.

— Oui, reconnut-il. On nepeut pas dire qu'on l'aitvraiment aménagé ; je supposedonc qu'on doit plus leconsidérer comme un lieu sûrqu'un QG. Mais il remplit safonction. Excuse-moi uneminute.

Il s'approcha de l'escalier enspirale, posa une main sur la

rambarde et cria en directionde l'étage :

— On est là ! Venez !Dans une cacophonie de

semelles claquant contre lesmarches métalliques, huithommes et femmesdescendirent l'escalier, laplupart portant des vêtements« Midnight High School », lamarque d'appartenanceofficieuse - et secrète - à laGR.

Jonah vint me rejoindretandis que les vampires serassemblaient face à nous.Certains d'entre eux mesemblaient familiers ; j'avais

sans doute déjà vu leursvisages lors d'événements oùla GR avait infiltré quelques-uns de ses agents.

L'un d'eux retint plusparticulièrement monattention. Horace, le vétérande la guerre de Sécession quej'avais rencontré à l'entrepôt,se tenait à côté d'une fille pluspetite que lui aux cheveuxfrisés, à la peau noire et auxyeux rieurs. Comme l'autrejour, il arborait des vêtementsdepuis longtemps passés demode. Sa compagne, elle,portait des Converse et un

jean, ce qui me conduisit àl'aimer immédiatement. Leursmains étaient entrelacées,leurs pieds se frôlant à peine.

Ils dégageaient uneimpression de tendrecomplicité, et ce n'étaient pasles seuls. Les huit membresétaient répartis par paires,correspondant sans doute auxcouples d'équipiers. Parmi eux,deux autres gardes rouges setenaient la main, et leurproximité physique indiquaitclairement qu'ils partageaientplus que des liens d'amitié.

Jonah m'avait un jourconfessé éprouver des

sentiments pour moi. Envoyant ces vampires, je medemandai s'ils avaient choisileur partenaire en fonction deses compétences et quel'amour avait suivi, ou si lefait d'être en coupleconstituait tout bonnement ungage d'efficacité pour la GR.Quoi qu'il en soit, il existaitentre eux davantage que desimples relations de travail. Detoute évidence, Jonah et moiétions les seuls à ne pas sortirensemble.

De plus en plus mal à l'aise,je me mordillai la lèvre.

— Les gars, voici Merit, leur

annonça Jonah avant des'adresser à moi. Commed'autres occupationst'attendent cette nuit, nousprocéderons aux présentationsformelles la prochaine fois.Pour l'instant, disonssimplement que ce sont lesgardes rouges de Chicago.

J'agitai timidement la main,en proie à une désagréablesensation. Jonah s'étaitincliné lorsqu'il avait apprisque j'étais amoureused'Ethan... ou l'avais-jeseulement cru ? Espérait-iltoujours sortir avec moi ?

Parce qu'en ce qui meconcernait, c'était hors dequestion, tout comme pourLacey et Ethan.

Voilà qui promettait unediscussion déplaisante, maisinéluctable. Si je voulaisvraiment m'engager au sein dela GR, il m'était impossibled'éluder ce problème. Pourm'exprimer sans détour :j'étais prête à m'investir dansla Garde Rouge et à accepterJonah comme partenaire. Maismon cœur appartenait àEthan, et je tenais à ce que cepoint soit bien clair.

— Je pourrais te parler un

moment ? demandai-je àJonah. En privé ?

Il esquissa un petit sourire,comme s'il s'attendait à cetterequête.

— Bien sûr. Très bien, lespectacle est terminé, lança-t-il à l'intention des autres.

Des marmonnementss'élevèrent, mais tous nousadressèrent des au revoir polisavant de monter l'escalier ousortir par la porte.

Une fois seul avec moi,Jonah prit la parole :

— Je ne te fais pas depropositions.

Je me sentis à la fois

embarrassée et soulagée, etmes joues s'enflammèrentsuffisamment pour réchaufferla pièce.

— Je sais. Je veux dire, jene pensais pas que c'était lecas. C'est juste que... (Je meraclai la gorge avec un bruitaussi gênant que l'était cemoment.) Je veux que tusaches ce qu'il en est pourmoi.

— Je le sais, assura-t-il. Iln'est pas exceptionnel pourdes partenaires de la GR detisser des liens amoureux. Onappelle ça l'effet Moonlight.

J'arquai un sourcil,

adoptant une expression digned'Ethan.

— D'après la série télévisée ?— Oui. Pendant leurs années

de service, les gardes rougestravaillent ensemble, souventclandestinement. On nes'engage pas à faire équipeavec quelqu'un à moins d'avoirun rapport privilégié avec lui.(Il se désigna du doigt, puispointa son index sur moi.) Toiet moi, nous avons unerelation privilégiée. Mais ellen'a pas à être romantique.

— Tu en es sûr ?— Oui, Merit, affirma-t-il

avec un sourire. Tu n'es pas le

centre du monde.Je levai les yeux au ciel,

ravie de ce retour auxtaquineries. Là, je me sentaisen terrain connu.

— Alors, tout va bien ?demanda-t-il.

— Tout va bien.Jonah hocha la tête.— Dans ce cas,

commençons la cérémonie.— Tu ne veux pas rappeler

les autres ?— Non. Tu es mon équipière.

Cette partie ne concerne quenous.

Jonah alla chercher uneboîte en bois rouge foncé posée

sur une table sous l'une desfenêtres. Elle contenait del'acier, d'après le légerpicotement que je ressentaisdans les mains. Il s'agissaitd'un effet secondaire du rituelque j'avais accompli avec monpropre katana : depuis quej'avais trempé la lame de monsang, j'avais développé unecertaine sensibilité au métal.

Jonah souleva le couvercle.A l'intérieur, nichée sur uncoussin de velours pourpre, setrouvait une daguemagnifique. Constituée d'uneseule pièce d'acier scintillant,

la lame était torsadée de labase à la pointe, formant troiscent soixante degrés detranchant acéré.

— Elle est superbe, soufflai-je.

— Garde cette pensée àl'esprit, dit-il avec un petitsourire.

Il souleva la dague, laissantla lumière serpenter sur lalame à la manière d'un rubandoré.

— Nous évoluons sur un filtendu entre le monde desvampires et celui des Maisons,sans nous sentir pleinementmembres d'aucun des deux.

Nous voyons des chosessouvent invisibles au regarddes autres, et ce savoirreprésente notre force. C'estune malédiction, et en mêmetemps notre meilleure arme ;ça s'avère parfois cruel, maisaussi libérateur. En tant quemembre de la Garde Rouge, tudéfends l'honneur, et non lafierté. Tu défends les vampires,et non leurs organisations. Tudéfends ceux qui sont dansl'incapacité de se protéger eux-mêmes, dans le respect de ceque nous sommes.

Jonah se piqua le doigt sur

la pointe de la lame. Une perleécarlate apparut sur sa peau,dégageant dans l'air un arômedoux et métallique.

— Tu me défends, déclara-t-il. Et je te défends. (Il étala lagoutte de sang sur la lameincurvée, qui scintilla enabsorbant la magie qu'ellecontenait, tout comme celas'était produit avec monkatana.) A toi.

Me crispant en prévision dela douleur, je me piquai ledoigt puis le passai à mon toursur la lame. Celle-ci, déjàmarquée du sang et de lamagie de Jonah, se mit à

briller d'une légère lueur rouge.— Puisse cette lame ne plus

jamais faire couler ton sang nile mien, poursuivit-il. Etpuisse l'acier nous rappeler lapuissance de l'amitié, del'honneur et de la loyauté. (Ilposa les yeux sur moi.) Jures-tu allégeance aux vampires,alliés ou non,indépendamment de leurMaison et de leur affiliation ?Jures-tu de devenir unegardienne de l'ordre, de lajustice et de l'équilibre, et dete dresser contre toute autoritémenaçant ceux qui sont dans

l'incapacité de se défendre ?Je déglutis, sachant que

nous en étions arrivés aumoment crucial. Soit jetournais le dos à la GardeRouge... soit je m'engageais àla servir pendant vingt ans.

Cette organisationpoursuivait un but honorable ;j'avais déjà arrêté mon choix.

— Je le jure, dis-je, certained'avoir pris la bonne décision.

Il se pencha pourm'embrasser sur la joue, unbaiser purement amical, maisqui n'en fit pas moins naîtreune étincelle magique.

— Dans ce cas, tu es ma

partenaire, et à partir demaintenant, tu devras mesupporter, ma petite.

— Je ferai de mon mieux,promis-je avec un sourire. Detoute manière, rien ne peutêtre pire que le PG, pourl'instant.

— C'est vrai.Il reposa la boîte et la dague

sur la table, puis ouvrit untiroir dans lequel il fouilla.

— Encore une chose,déclara-t-il en me tendant unepetite médaille en argent.

Approximativement de lataille d'une pièce de vingt-cinqcents, elle était ornée d'une

gravure représentant unhomme à cheval au-dessus del'inscription « Saint George ».

— Saint George ?— Le saint patron des

guerriers, précisa Jonah. Onl'a adopté pour la GR. Cettemédaille est un symbole qui terappellera que tu n'es passeule, que nous sommes là,prêts à t'aider.

— Merci, dis-je en glissant leprésent dans ma poche.

— Tu sais, ta vie va devenirbeaucoup plus compliquée.

— Oh, tant mieux,commentai-je d'un ton léger.Je commençais à m'ennuyer.

— C'est bien ce que jepensais. Je te sauve de lamonotonie et du désespoir, enfait.

— Je n'ai pas connu lamonotonie depuis matransformation en vampire.

— Eh bien, ce n'est pasmaintenant que ça vachanger, affirma-t-il avant deposer une main sur mon bras.Je sais que la tâche paraîtécrasante, mais tu y arriveras.(Je hochai la tête, le laissantavoir confiance pour nousdeux.) Il est temps que turentres à la Maison. Ethanpiquerait une crise si tu te

pointais en retard à lacérémonie.

— Le lac Michigan nesuffirait pas à éteindre sacolère.

— On a terminé ! cria-t-il,annonce qui fut accueillie parles hululements joyeux desvampires qui étaient restés àl'étage.

Une fois dehors, il ferma laporte et actionna la poignéeafin de s'assurer qu'elle étaitverrouillée. Je me tournai versle port et les lumièresscintillantes de Streeterville.

— Jonah, parmi tous lesendroits de cette ville que vous

auriez pu choisir pourcachette, pourquoi vous êtreinstallés ici ?

— Écoute, murmura-t-il.Nous nous trouvions au bout

d'une étroite jetée de béton etde rochers au-dessus de lacMichigan, à une soixantainede mètres de la rive. Le silencerégnait. Même le ressac desvagues restait très discret,atténué par la glace. Il n'yavait aucun bruit. Rien que lecalme, la quiétude et le froidde l'hiver.

— Ah, compris-je.L'isolement.

Jonah approuva d'un

hochement de tête et esquissaun petit sourire, comme sij'avais fourni la réponsecorrecte.

— Notre position nouscontraint parfois à trop nousimpliquer dans le monde quinous entoure. Cet endroit estnotre retraite. Si tu as besoinde réconfort, d'un refuge, ouque tu n'arrives pas à mejoindre, viens ici. Tu ytrouveras de l'aide. Oh, j'allaisoublier : j'ai quelque chosepour toi dans ma voiture.

J'étais curieuse de savoir ceque ça pouvait être, mais letrajet de retour mobilisa toute

ma concentration. Après avoirtraversé la digue avecprécaution, Jonah fourrageaun moment dans sa voiture etfinit par tirer de la banquettearrière un sac en papierbrillant qu'il me tendit.

— Qu'est-ce que c'est ?— Un petit cadeau.Je jetai un coup d'oeil

suspicieux à l'intérieur du sac.Il contenait des tee-shirts« Midnight High School » dedeux couleurs différentes, unsweat à capuche et un coupe-vent orné de la mascotte de laGR, une araignée.

Je levai les yeux sur Jonah.

Ce présent me posait un légerproblème.

— Qu'est-ce qu'il y a ?s'enquit-il.

Autant me montrer honnêteavec lui. C'était monpartenaire, après tout.

— Je vis avec Ethan.Jonah ouvrit la bouche, puis

la referma.— Ah. Je vois.— Il faut que je sois

prudente. Très prudente.— Rapport à la colère que le

lac Michigan ne suffirait pas àéteindre et tout ça. Oui. Çafait partie des inconvénientsde la GR. La contrepartie étant

que nous vivons dans unmonde meilleur et plus sûr.

— Bien entendu.— Tant que nous sommes là,

tu as du nouveau en ce quiconcerne Oliver et Eve ?

— Eh bien, en fait, oui,répondis-je avant de luirésumer nos dernièresdécouvertes.

— Qu'est-ce que tu comptesfaire, maintenant ?

— Pour être honnête, je nesais pas vraiment. Je crois quenous sommes coincés, à moinsque Jeff trouve autre chose.

— Il trouvera, assura Jonahen montant dans sa voiture.

Tiens-moi au courant.Je le saluai de la main

tandis qu'il s'éloignait, puism'installai au volant de maVolvo et fis chauffer le moteurquelques instants avant dequitter le parking et dereprendre le cours de ma vie.

Le temps d'arriver à

Cadogan, il ne restait plus quequelques minutes avant ledébut de la cérémonie. Le sacque m'avait offert Jonah à lamain, je descendis de voiture,puis m'arrêtai sur le trottoirpour réfléchir.

Entrer dans la Maison avec

mon cadeau de bienvenue de laGR n'était peut-être pas unetrès bonne idée. Mieux valaitne pas prendre le risque deprovoquer de nouveauxdrames, avec le chaos quirégnait déjà. J'ouvris le coffrede ma Volvo et fourrai le sac àl'intérieur, entre les gantsrembourrés dont je m'étaisservie une fois pour un coursde kickboxing, la couvertureque je gardais en hiver pour lescas d'urgence et la trousse desecours que je n'avais jamaisutilisée depuis que j'en avaisfait l'acquisition des années

auparavant.Une voiture se gara à côté

de la mienne dans uncrissement de pneus.

Je m'apprêtais à refermer lamain sur la poignée de monsabre quand je vis Lacey sortirdu véhicule, toujours aussigrande, blonde et séduisante.Elle claqua sa portière, puis sedirigea vers moi.

Et elle semblaitparticulièrement satisfaite.

— Eh bien, eh bien, eh bien,lança-t-elle en approchant. Jesuppose qu'on a tous nos petitssecrets, n'est-ce pas ?

Un nœud se forma dans mon

estomac. Oh, non, fut l'uniquepensée cohérente qui metraversa l'esprit. Qu'avait-ellevu ?

— Nos petits secrets ?répétai-je en m'empressant defermer le coffre.

Elle appuya une hanchecontre la carrosserie puiscroisa les bras avant de sepencher très légèrement versmoi.

— Je sais où tu étais,affirma-t-elle. Où, avec qui, etce que tu faisais.

Une vague de paniquem'envahit. Elle m'avait vueavec Jonah et avait tout

deviné au sujet de la GR. Maisimpossible de reculer, àprésent. Il ne me restait plusqu'à espérer qu'elle n'avait pasencore découvert pourquoij'étais allée là-bas.

Joue l'innocente,m'admonestai-je.

— Je ne vois pas de quoivous voulez parler.

— Tu le sais très bien. Jet'ai vue sur le parking. Aveclui.

La colère enfla aussitôt enmoi.

— Vous m'avez suivie ?— J'ouvre l'œil pour mon

Maître et sa Maison.

— Votre Maître se débrouilletrès bien tout seul, et saMaison est entre de bonnesmains.

— Ce n'est pas ce qui m'asemble. Et je n'arrive pas àdéterminer ce qui me choquele plus. Que tu le trompes avecJonah, ou que tu le fassescette nuit, l'une des plusimportantes de sa très longueexistence.

Je ravalai une bouffée deculpabilité et de peur à l'idéequ'elle puisse avoir raison.Cela étant, je continuai debluffer comme on me l'avaitappris.

— Je ne trompe personne,assurai-je. Vous ne savez pasde quoi vous parlez.

— Ah bon ? rétorqua-t-elleavec un sourire narquois. Trèsbien. Dans ce cas, allons voirEthan tout de suite, etmettons les points sur les « i »avant la cérémonie du PG. Tuas vraiment choisi tonmoment.

— Peut-être que vous devriezvous occuper de vos affaires.

— Peut-être que tu devraisarrêter de t'occuper de ce quetu ne comprends pas, cracha-t-elle d'une voix soudainchargée d'intonations féroces.

Je la dévisageai. J'avaisbeau savoir qu'elle éprouvaitdes sentiments pour Ethan, lesémotions qu'elle manifestaitsemblaient dépasser la simplejalousie.

— Je comprends tout trèsbien, merci. Il a pris un pieupour moi. J'ai pleuré sa mort.

Elle aboya un rire.— Ha ! Tu as pleuré sa

mort ? Toi, qui ne leconnaissais que depuisquelques mois ? Tu croissavoir à quoi ressemble lechagrin ? (Elle pointa sonindex sur moi.) Tu n'as pasréussi à le protéger. Tu étais sa

Sentinelle, tu as failli à tatâche, et il est mort. S'il estrevenu à la vie, c'est à la suited'un improbable accidentmagique, pas grâce à toi.

— Vous pensez que c'est cequi s'est passé ? Que j'étais là,à tailler la bavette avec lemaire, et que j'ai laissé Ethanse faire empaler ?

— Tu étais là, insista-t-elle.C'est tout ce que je sais.

Bon sang, j'avaisl'impression d'entendre SethTate. Comme lui, elle meconsidérait responsable de cequi s'était produit dans cettepièce, alors que je n'avais été

qu'une spectatrice innocente.Ces reproches étaient-ils

motivés par le chagrin ? Parles émotions qu'elle avait dûaffronter à la mort d'Ethan etavait refoulées depuis ? Par lacolère qu'elle nourrissait parcequ'il n'était pas retourné verselle en rampant après sarésurrection ? Quoi qu'il ensoit, elle éprouvait dessentiments profonds, assezintenses pour la pousser àm'espionner.

— Il a reçu ce pieu enessayant de me protéger,révélai-je. Célina me visait, etEthan s'est interposé. Il m'a

sauvé la vie. Comme osez-vousbafouer son sacrifice ?

Elle me menaça du doigt, lesyeux brûlant de colère.

— Tu n'es qu'une salementeuse.

— Je ne mens pas.Elle dut lire la sincérité sur

mon visage, car son assurances'évanouit et, l'espace d'uninstant, elle afficha latristesse d'une humaine quivient de se faire plaquer.Devant son air vulnérable etun peu pathétique, mon cœurse serra. Pas beaucoup,d'accord, mais tout de même.

Elle éprouvait des

sentiments pour Ethan ets'était fait des idées sur leurrelation, sur ce qu'ellereprésentait pour lui, et, plusimportant, sur ce que moi, jereprésentais pour lui. Et sij'avais vu juste, elle venait decomprendre qu'elle s'étaitsérieusement trompée. Ce quine devait pas lui plaire.

Elle renifla délicatementpuis, comme si elle avaitappuyé sur un bouton - etn'avait pas perdu son sang-froid devant moi -, elleretrouva son aplomb, soncalme et sa froideur habituels.

Très bien. Moi aussi, je

pouvais jouer la filleimperturbable et sûre d'elle. Sielle pensait vraiment avoir faitune découvertecompromettante pour moi, elleen parlerait à Ethan tout desuite, cérémonie du PG ou pas.Mais elle ignorait lasignification exacte de cequ'elle avait vu. Elle m'avaitjuste aperçue avec Jonah surun parking. Elle ne savait pasque notre rencontre était liée àla Garde Rouge ni que jevenais d'en être proclaméemembre.

— Tu le lui diras, m'intima-

t-elle.— Il n'y a rien à dire.— Si tu ne le fais pas, c'est

moi qui m'en chargerai,menaça-t-elle en avançantd'un pas. Comment oses-tu mesermonner sur le sacrifice qu'ila consenti pour toi alors quetu refuses de te montrerhonnête avec lui ?(Malheureusement, ellemarquait un point, et ceconstat me tordit l'estomac.)Dis-le-lui, insista-t-elle,retroussant peu à peu leslèvres en un sourireinquiétant. Dis-le-lui, oudonne-moi la satisfaction de

prouver ce que j'ai toujours su.Que tu es vraiment tout cequ'il y a de plus ordinaire,persifla-t-elle en baissant lavoix, crachant ses parolescomme du poison. Tu as vingt-quatre heures.

Sur ce, elle fit volte-face ets'éloigna, ses talons aiguillescliquetant sur le trottoirtandis qu'elle se dirigeait versla Maison.

Je restai immobile, uneboule dans le ventre, et tentaid'imaginer un moyen de mesortir de ce pétrin. J'étaisfoutue, j'en avais la certitude.

Le cœur cognant dans mapoitrine, je pénétrai àl'intérieur de la Maison. Unesueur froide perlait sur mapeau. Les vampires Cadoganétaient rongés par l'angoisse,et je ne faisais pas exception.J'avais besoin de temps pourme ressaisir. Aussi, je gravisquatre à quatre les marches del'escalier jusqu'au premierétage et courus m'enfermerdans ma chambre, celle quej'occupais avant de partager lasuite d'Ethan.

J'arrachai ma veste, la jetaià terre et filai dans la salle de

bains, où je m'aspergeai del'eau froide sur le visagejusqu'à ce que ma frange soittrempée. Puis je m'agrippai aurebord du lavabo.

Lacey savait.Peut-être pas tout, mais elle

en savait assez, et j'étaispersuadée qu'elle allait s'enservir contre moi. Elle aimaitEthan, me haïssait, etm'estimait indigne de lui. Unjugement étrange, au vu demes diplômes, de mesaptitudes au combat, de mesparents fortunés et de monfabuleux sens de l'humour.

J'observai mon reflet dans le

miroir, mes cheveux mouillésplaqués sur mon front, mapeau plus pâle que d'habitude,mon cou dénué de médaillon.Nous devions tous remodelernotre identité, passer demembres d'une organisationvampire internationale àquelque chose d'autre. M'étantfait les crocs en qualité devampire Cadogan, je prenaispart au processus etexpérimentais ce changementen même temps que le reste demes camarades. Mais qu'étais-je en train de devenir aujuste ?

J'attrapai une serviette queje pressai contre mon visage,réticente à descendre affronterl'autre drame sur le point des'abattre sur la Maison.

À des moments commecelui-ci, je regrettais qu'iln'existe pas de bouton « retouren arrière » me permettant derevenir sur mes actes et meserreurs - ou de remarquer lesfouineuses qui me suivaient àtravers la ville - et de toutrecommencer à zéro.

Mais ce qui était fait étaitfait. Il faudrait que je m'enaccommode et que j'en assumeles conséquences comme une

adulte. Et non pas comme lathésarde recluse de vingt-septans que je rêvais de redevenir.

Je resserrai ma queue-de-cheval, appliquai un peu debrillant à lèvres, puis mebrossai les cheveux jusqu'à cequ'ils scintillent. Quand je mejugeai présentable et que j'eusmaîtrisé ma peur, j'empruntail'escalier menant au rez-de-chaussée.

11

Éternellementirrévocable

Ethan, Luc et Malik se

trouvaient déjà en bas, vêtusd'élégants costumes noirs.Ethan hocha la tête lorsqu'ilm'aperçut.

J'arrivai dans le hall aumoment où Darius et lesautres membres du PG

pénétraient à l'intérieur de laMaison, dans la mêmeformation en V que lors de leurprécédente visite. Ilsoccupaient chacun uneposition bien précise, commeles danseurs d'un corps deballet, sauf qu'ils présentaientun spectacle bien moinsagréable.

Tandis que je me faufilaisdans la foule de vampiresCadogan qui s'étaient réunispour les accueillir, Laceys'avança pour saluer lesnouveaux arrivants. C'est làque commencèrent les

civilités. Ethan avait raison :j'avais beau détester LaceySheridan, Darius, lui,l'appréciait sans l'ombre d'undoute.

— Lacey, déclara ce dernierd'une voix mielleuse.

Il tendit les mains poursaisir les siennes et l'embrassaà plusieurs reprises sur lesjoues à la mode européenne.

— Monseigneur, dit Laceyavec déférence.

— Vous êtes très élégante, lacomplimenta-t-il en détaillantson tailleur noir parfaitementcoupé.

— Vous aussi.

Elle reporta ensuite sonattention sur les vampires quil'accompagnaient et croisa leregard de chacun d'eux.

— Je t'avais dit qu'ilsétaient proches, me rappelaEthan par télépathie.

— C'est vrai. Et, de touteévidence, tu avais raison.

Lacey joignit les mains puisles porta à son front, signeévident de révérencereconnaissante. Ou defayotage.

— Messeigneurs, je suishonorée par votre présence.

— Je doute que cesentiment soit partagé par

tous, répliqua Darius en jetantun coup d'œil en directiond'Ethan.

Un silence gêné s'ensuivit.— Darius, dit Ethan.Ce mot résonna comme une

provocation en duel, une miseau défi.

Darius restait le seigneurd'Ethan, son roi, soncommandant, pour encore aumoins quelques minutes ;l'appeler par son prénom neconstituait pas franchementune marque de respect.

Darius plissa les yeux. Ilavait noté l'affront et nel'avait pas apprécié. Un sourire

s'étira sur ses lèvres, encoreplus terrifiant que son airréprobateur.

— Ethan. Apparemment,nous avons choisi de nouscomporter comme desmanants jusqu'à ce que ce soitterminé, assena-t-il, l'insulteévidente. Mais peu importe.Ces problèmes seront bientôtrésolus. Si nouscommencions ?

— Allons-y, répondit Ethanen tendant la main versl'arrière du bâtiment.

Je supposai qu'il n'avait pasoublié toutes ses bonnesmanières.

Tout à fait réveillés en dépit

du froid et de l'heure tardive,les résidents de la Maison serassemblèrent en silenceautour du foyer en briquesaménagé dans le jardin.

Nous avions été rejoints parenviron la moitié des vampiresCadogan qui ne vivaient pasavec nous mais avaientsouhaité manifester leursoutien et gonfler nos rangspour affronter notre futurennemi. Je reconnus plusieurscollègues dans la foule, maisme trouvai incapable de lesaborder. J'éprouvais

l'impression de les avoir trahis,d'avoir trompé la confianced'Ethan et de la Maison. Je mesentais isolée de tous ceux quin'étaient pas actuellementvictimes de chantage.

Les représentants duPrésidium de Greenwich nousfaisaient face. Alors que nousles surpassions en nombre,nous dégagions une magienerveuse, comme s'ilsdétenaient le pouvoir de nousdétruire d'un claquement dedoigts.

Ils arboraient tous descostumes qui leur conféraientune allure très professionnelle.

Avec une parfaitesynchronisation, ils joignirentles mains devant eux, tels desjurés sévères sur le point deprononcer leur verdict.

Sauf que nous connaissionsdéjà la décision de ce tribunalmétaphorique. Et le Présidiumétait sur le point de la rendreofficielle.

— Qui représente la Maison,aujourd'hui ? s'enquit Darius.

— Moi, répondit Ethan enavançant d'un pas.

Les membres du PGéchangèrent des regardssurpris.

— Vous n'êtes pas le Maître

de cette Maison, objecta unepetite femme menue en lescrutant par-dessus lesmontures de ses lunettes.

—Je suis le Maître de cetteMaison à la suite de laconcession du titre par monprédécesseur et à maréinvestiture formelle.

Ethan tendit la main, etMaliklui donna les documentsqu'ils avaient signés et scellésla veille.

Ethan les montra auxmembres du PG, sans toutefoisles leur confier. Je ne l'enblâmais pas. Ils auraient étécapables de jeter les papiers

dans les flammes.— Nous n'avons pas été

invités à la cérémonie,commenta Darius.

— Cette cérémonie étaitdestinée aux vampiresCadogan, répliqua Ethan. Pasà vous.

Darius accueillit cetterepartie avec une remarquableindifférence.

— Ainsi, c'est vous le Maîtrede Cadogan ?

— Oui.— Inutile de s'attarder sur

ce point, poursuivit Dariusavec un sourire qui n'avait detoute évidence rien de sincère.

Ethan Sullivan, puisque vousêtes apparemment Maître de laMaison Cadogan, reconnaissez-vous avoir décidé par vote,vous et vos vampires, de vousretirer du Présidium deGreenwich ?

— Oui.— À partir de cette nuit,

vous et vos vampires serezconsidérés comme non affiliés,et votre Maison, la Maison dePeter Cadogan, ne sera pluscertifiée. Vous perdrez lesdroits et les privilèges accordésaux membres du Présidium deGreenwich. L'acceptez-vous ?

— Oui.

— Vous et vos vampiresrejetez l'autorité du Présidiumde Greenwich et voussoumettez à celle deshumains, consentant par là àrejoindre le monde dans lequelils vivent. Le confirmez-vous ?

Il paraissait évident que lePG n'avait pas actualisé sontexte depuis un bon moment.Cela n'arrêta pas Ethan pourautant.

— Oui.— Avant que vous fassiez un

choix irrévocable, nous vousoffrons une dernière chance,proposa Darius. Si vousacceptez de suivre les règles

appropriées, nous vouspermettrons de rester au seindu PG... à titre d'essai.

Ethan esquissa un mincesourire et croisa les bras.

— Je devine aisément enquoi consistent ces règles. Enpréparant notre départ, vousvous êtes rendu compte del'importance économique decette Maison. Et vous avez vunotre décision de quitter le PGsous un jour moins favorable.Vous devez cependant savoirune chose : nous n'avons pasbesoin de vous ni de votreorganisation. Nous pouvonssurvivre sans vous, et c'est ce

que nous ferons.— Ce que vous mésestimez,

ce sont les bénéfices que vousavez retirés de votreappartenance au PG. Le faitque vous n'en ayez pasconscience n'efface pas leurréalité. Pensez-voushonnêtement que PeterCadogan serait heureuxd'apprendre ce qu'il est advenude l'institution qu'il a fondée ?Que les membres de sa Maisonont fait le choix de quitter lePG, l'organisation qui les aprotégés pendant silongtemps ?

Le silence s'abattit sur la

foule, mais la magie enfla.Ethan baissa la tête,

bravant Darius du regard.— Peter Cadogan avait foi

en ses vampires. Ilsreprésentaient sa priorité,comme ils représentent lamienne. Je ne crois pas quevous ayez jamais compris cela,Darius.

— Je comprends tout cequ'il y a à comprendre,monsieur Sullivan. Lesmédaillons, s'il vous plaît.

Kelley s'avança pour luidonner la boîte contenant lespendentifs.

Darius la saisit et la jeta

sans façon dans les flammes.— Par le pouvoir qui m'est

conféré en qualité de dirigeantdu Présidium de Greenwich, jeromps le lien qui nous unit.Votre Maison est décertifiée.Vos vampires sont non-affiliés,privés de Maison, des droits etdes privilèges qui leur étaientaccordés. Les documents,ajouta-t-il avant de tendre lamain.

L'une des membres du PG,une femme grande et mincequi paraissait d'origineindienne, lui donna un dossier.Darius le maintint au-dessusdu feu, juste assez bas pour

que des flammes orangéesviennent lécher le papier.

Darius posa son regardglacial sur Ethan.

— Tout retour en arrière estimpossible.

— Nous allons de l'avant,rétorqua Ethan. Toujours.Affirmer notre affiliation auPG ne constituerait pas un pasen avant.

— Ce commentaire nereprésente pas la meilleuremanière de mettre un terme àla longue relation que vousavez partagée avec le PG.

— Nous sommes là pourenterrer César, lança Ethan,

les dents serrées. Pas pourchanter ses louanges.

— Alors, qu'il en soit ainsi.C'est votre choix.

Darius ouvrit les doigts,laissant le dossier tomber dansle feu, où il fut englouti par lesflammes. En même temps quedes siècles d'histoire.

Durant un moment, lesilence régna. Je m'étaisattendue à me sentirtransformée quand tout seraitterminé. Plus légère, ou pluseffrayée. Mais je ne ressentaisaucune différence, et c'étaitjustement ce qu'Ethan avaittenté de nous faire

comprendre. Appartenir au PGne faisait pas de nous desvampires, mais uniquementdes membres. Nous restionsnous-mêmes, avec ou sans lePrésidium.

Sans surprise, Darius fut lepremier à briser le silence.

— C'est terminé.Le ton de sa voix exprimait

clairement son changementd'attitude. À présent que nousavions quitté sa sociétésecrète, nous ne représentionsplus rien. Nous étions devenusdes marginaux, et il avait bienl'intention de nous traitercomme tels. Pas de révérence

reconnaissante pour lesvampires Cadogan, pas deconcession à l'âge et larespectabilité de notre Maison.Tout cela ne signifiait plusrien, comme nous nesignifiions plus rien pourDarius.

— Ce n'est pas terminé,objecta Ethan. Nous avonsquelque chose à ajouter.

— Vous n'avez rien à nousdire, Solitaire, lança la femmede type indien.

Les yeux d'Ethan virèrentaussitôt à l'argenté.

— Voilà, ça commence, medit-il par télépathie.

— On dirait, approuvai-je.— J'ai beaucoup de choses à

vous dire, rétorqua Ethan. Desmots que j'ai tus pendant dessiècles. Des mots que vous nevouliez pas entendre alors.Peut-être ne les écouterez-vouspas aujourd'hui, mais jeregretterais de ne pas essayer.

Il glissa les mains dans sespoches, le geste d'un hommecalme et détendu. Mais tousceux qui connaissaient Ethan- et c'était sans doute le cas deDarius - devinaient sans peineque son attitude détachéen'était qu'une façade.

— Peter Cadogan était

quelqu'un de bien, poursuivitEthan. Un vampire et unhomme admirables. Dans lesannées qui ont suivi sacréation, le PG a oubliécomment respecter ces deuxattributs. Vous attachez plusde valeur au caractère« vampire » qu'à la générositéou la justice. Vous avez perduvotre sens moral et perpétuezvotre ignorance. Quand vospropres membres causent dutort aux Maisons que vousavez juré de protéger, vousfermez les yeux et nousreprochez de nous défendre.

Vous représentez uneorganisation anachronique quin'a pas sa place dans le mondemoderne. Notre défection n'arien d'une aberration, Darius.C'est un présage. Célina avaitprédit la guerre. Si vouspréférez ne pas tenir comptedes signes avant-coureurs,c'est à vos risques et périls.

Au fil de son discours, Ethans'enflammait, emporté par unepassion que sa voix trahissaitsans équivoque. Et l'uniquepensée qui m'occupait l'esprit,c'était que, s'il considéraitvraiment le PG sous un jour

aussi défavorable, peut-êtrequ'il ne me tuerait pas, aprèstout.

— L'emphase ne vous vapas, répliqua Darius, peuébranlé par les parolesd'Ethan. De plus, vos propossont inacceptables, car ilexiste deux faits que vous avezcommodément passés soussilence. Premièrement, jeprésume que vous rencontrerezcertaines difficultés à subsisterétant donné que c'est grâceaux largesses du PG que votreMaison a prospéré depuis ladate de sa fondation.

— Malik. (À cette injonction,

le vampire au teint carameltendit à Ethan un documentque ce dernier donna aussitôtà Darius.) Voici un chèquecorrespondant aux bénéficesque nous nous attendions àvous voir revendiquer. Je croisque vous trouverez ce montanttout à fait raisonnable.

Ethan afficha un souriresatisfait... tout comme Darius.Le chef du PG confia le chèqueà la femme de type indien, quiavait écarquillé les yeux enentendant la révélationd'Ethan.

— Ce n'était que le premierpoint, Ethan. Le deuxième est

bien plus important.L'un des membres du

Présidium émit un sifflementsonore. Une décharge d'énergienerveuse s'échappa del'assemblée tandis que tous lesvampires regardaient autourd'eux, devinant que ce signalpréfigurait une menace.

Soucieuse de la sécuritéd'Ethan, je posai la main sur lepommeau de mon sabre et mefaufilai dans la foule pour merapprocher de lui. J'ignorais ceque nous réservait Darius aujuste, mais j'étais certainequ'il s'agissait d'une fourberiequelconque.

Le suspense ne dura paslongtemps. Une seconde plustard, dans un bruitretentissant, une brigade defées mercenaires surgit dans lejardin, sabre au poing. Toutesen tenue militaire noire, ellesarboraient un sourireredoutable... et pointaientleurs katanas sur nous. Àl'exception de Claudia, toutesles fées se ressemblaient, aussiétais-je incapable dedéterminer si nous avionsaffaire aux gardes postésd'habitude à nos grilles ou àune équipe spécialement

appelée pour l'occasion. Maispeu importait. L'essentiel,c'était que les fées avaientrompu la paix qui existaitentre nous.

Les vampires Cadogandégainèrent leurs sabres et serapprochèrent pour faire blocpendant que ces garceshypocrites tentaient de nousencercler. Au temps pour lesprogrès accomplis, l'aide quenous leur avions fournie etl'amitié que je pensais avoircommencé à forger avec elles.

Face à nous, les membres duPrésidium de Greenwichaffichaient des sourires calmes

et cruels.Ils jubilaient.Des vagues de colère

émanaient des NovicesCadogan et de leur Maîtredupés, et je me doutais quebien des yeux avaient dû virerà l'argenté.

Mais le plus importantd'abord.

— Je suis là, rassurai-jesilencieusement Ethan tout encherchant du regard Luc etMalik dans la foule.

Je les trouvai non loin demoi, et ils se placèrent demanière à former un arcprotecteur autour de notre

Maître.— Reste en position,

Sentinelle, m'intima Ethanavec nervosité.

— Qu'est-ce que c'est queça ? demanda Lacey.

Sa voix, quoique calme,trahissait une pointed'irritation. En dépit de sonstatut de Maîtresse affiliée auPG, elle demeurait l'une desvampires d'Ethan. Et, pourune fois, cela nous rendraitpeut-être service.

— Ça, c'est notre deuxièmepoint, répondit Darius. LePrésidium de Greenwichrevendique la Maison Cadogan.

Ethan éclata d'un rire sisonore que Darius plissa lesyeux de colère.

— Cette Maison et les biensqui lui restent appartiennentaux vampires qui y vivent,rétorqua Ethan. Je crois quevous le savez très bien.

— Ce que je sais, c'est quevotre irrévérence à l'égard duPG a assez duré. Vous pensezque vous pouvez agir en touteimpunité parce que nous noustrouvons de l'autre côté del'océan. Vous vous trompez. Lecontrat qui nous lie inclut uneclause nous donnant droit àun dédommagement en cas de

violation de vos obligationsenvers le PG. Nous jugeons quevous n'avez pas respecté vosobligations, en conséquence dequoi nous revendiquons laMaison. Et, de toute évidence,nous avons les moyens de faireappliquer nos exigences,ajouta-t-il avec un gestedésinvolte en direction desfées.

— Vous menacez lesvampires que vous venezd'inviter à rejoindre vos rangs,juste parce que votre fierté aété blessée ? lança Ethan avecdédain. Vous nous mettez à la

porte de notre Maison etprovoquez une guerre entrefées et vampires pour satisfairevotre ego ? Peter Cadoganaurait honte, en effet, Darius,mais honte de votrecomportement et duPrésidium.

— Vous ne faites que medonner raison, Ethan. Vouscréez la panique, la confusion,vous attirez l'attention desmédias sur les vampires de cetétat et de ce pays, et vousnous reprochez de prendre lesmesures nécessaires pourprotéger notre institution ?

Vous manquez cruellement declairvoyance. Votre attitudeest très... humaine.

— Je considère cela commeun compliment.

— Je n'en attendais pasmoins de vous. Quelle que soitvotre opinion, vous devezassumer les conséquences devos actes. Compte tenu de laproximité de l'aube et dunombre de vampires àdéplacer, nous vous accordonsun peu de temps pourrassembler vos effetspersonnels et quitter les lieux.Vous avez quarante-huitheures. D'ici là, résignez-vous

à votre sort et partez. Si vousvous y refusez, vous trouverezune légion de fées arméesprêtes à vous escorter. Etréfléchissez bien à ceci,Ethan : considérant tous lesponts que vous avez rompus,qui va vous aider,maintenant ?

Les membres du PG et leurs

troupes s'éclipsèrent. Pendantun moment, tout le mondedemeura immobile, encoresous le choc.

— Les fées, grommelaEthan. Ces maudites fées.

Elles avaient la réputation

de ne pas aimer les vampires,ce qui n'en rendait pas leurprise de position moinsinsultante pour autant. Ellesgardaient notre Maison, bonsang. Elles veillaient sur nouspendant notre sommeil. Dumoins jusqu'à présent.

— Qu'est-ce qui a bien pu lesmotiver à agir ainsi ?demandai-je. Que peuvent-ellesconvoiter au point de faire unechose pareille ?

Je jetai un coup d'œil àEthan... et compris. Ellesconvoitaient quelque chose quinous appartenait.

— Monte vérifier nos

appartements, m'intimaEthan.

Partageant ses craintes, jeme précipitai à l'intérieur de laMaison et gravis les marchesde l'escalier quatre à quatrejusqu'au deuxième étage. Dansle couloir, je m'arrêtai net.

La porte de notre suite étaitouverte. Les battements demon cœur s'accélérèrent.

Malik surgit derrière moi,essoufflé d'avoir couru.

— Je suppose que tu sais ceque tu cherches.

— Je crois, oui.Je déployai mes sens de

vampire pour analyser

l'environnement, et, une foissûre qu'aucun intrus ne setrouvait dans l'appartement,j'entrai et inspectai la pièce.

Au premier coup d'œil, rienne semblait avoir été dérangé :pas de coussins déchirés ouéventrés, pas de lampes ni detiroirs renversés. En fait, toutparaissait normal... àl'exception de la vitrine aucoin du salon.

L'une des parois avait étébrisée, et l'œuf de dragon avaitdisparu.

— Malik ! appelai-je enm'approchant de l'armoirevitrée.

— Un membre du PG a dû levoler, commenta-t-il d'unevoix teintée de dégoût.Certainement au cours de lacérémonie. Pendant qu'ils nousinsultaient, ils ont envoyéquelqu'un pour s'emparer d'unobjet sur lequel ils n'ont aucundroit. Comme s'il n'y avait pasdéjà assez de problèmes dansce monde, Darius en créé denouveaux.

Malik s'approcha et observace qui restait de la vitrine.

— Dois-je ramasser leverre ? interrogeai-je.

— Non, Ethan voudra y jeterun coup d'œil, de toute façon.

Nous demanderons à Helen des'en charger.

— On pourrait porterplainte, suggérai-je.

— À quoi cela servirait-il ?objecta Ethan en entrant dansla pièce, accompagné de Lucet Lacey.

Luc m'adressa un signe detête, tandis que Lacey faisaitmine de ne pas me voir. Sesyeux, et sans doute son esprit,étaient fixés sur Ethan. Avais-je tort d'espérer qu'ellereviendrait à la raison, qu'elleoublierait ce qu'elle imaginaitavoir vu et nous laisseraittraverser cette crise avant d'en

déclencher une nouvelle ?Ethan posa sa veste sur une

table à côté de la porte ets'approcha de la vitrine.

— Je doute fort qu'ils sesoucient de la disparition d'uncolifichet appartenant à unvampire.

Ce constat, quoiquedésabusé, n'en était pas moinsréaliste.

— Ce colifichet possédaitassez de valeur pour que le PGle vole et l'agite sous le nezdes fées à la manière d'unecarotte, protesta Luc.

— Les fées aimeraientrécupérer l'œuf ? m'enquis-je.

— Sans doute, vu qu'ellesont accepté de prendre lesarmes contre nous, réponditEthan.

— Pourquoi maintenant ?s'interrogea Luc. Nousdétenons cet œuf depuis dessiècles, et ça fait des annéesqu'elles gardent la Maison.Pourquoi ne nous l'ont-ellespas tout simplementdemandé ?

— Elles ignoraientprobablement où il se trouvait,avançai-je. Claudia l'a évoquédans sa tour. Ses gardesétaient là. Peut-être que c'est àce moment qu'ils ont appris

que nous l'avions en notrepossession.

— Et quand Darius asollicité leur aide, elles onttout de suite su quellerétribution exiger, ajoutaMalik.

— C'est possible, reconnutEthan. Ou alors, elles ontattendu parce qu'elles nevoulaient pas mettre en pérille revenu qu'elles recevaient dela Maison. En voyant notrestabilité ébranlée, elles ont dûse dire que cet argent n'étaitplus garanti et qu'il étaittemps de se risquer à s'emparerde l'œuf.

— Et elles espéraient peut-être que les nouveaux« locataires » de la Maisoncontinueraient à leur payer unsalaire décent pour monter lagarde. D'une pierre deuxcoups.

L'air soudain épuisé, Ethans'assit dans un fauteuil etrejeta la tête en arrière endesserrant son nœud decravate. Il ferma les yeux unmoment et prit de profondesinspirations pendant que Luc,Malik et moi attendions sesdirectives.

Je profitai de l'occasionpour envoyer un message à

mon grand-père et à Jonah, lesinformant des derniersévénements et évoquant lapossibilité que je séjourne pourune durée indéterminée dansla chambre d'amis de mongrand-père.

— A une époque, jeconsidérais la moindre baissede nos finances comme unetragédie, confia Ethan. Lestemps ont bien changé.

— Les problèmes restent lesmêmes, sauf que l'échelle estdifférente, intervint Lacey.

— Tu veux du sang,patron ? demanda Luc. Ouboire un verre ?

— Deux doigts de whisky,s'il te plaît. Oh, et puis merde.Apporte-moi la bouteille.

Me trouvant à proximité duminibar de l'appartement, jeme chargeai de sa boisson. Jen'étais pas sûre que l'alcool,même un litre de whiskyécossais haut de gamme,suffirait à atténuer l'amertumecausée par la trahison deDarius. Quand je versai leliquide ambré dans un verre,les puissants arômes mechatouillèrent le nez. Je ledonnai à Ethan après avoirrebouché la bouteille, puis

m'assis dans un fauteuil à côtédu sien.

— Les fées sont parties,annonça Luc. On a lesresponsables de l'entreprise deremplacement au téléphone.Ils nous enverront tout uncontingent de gardes dansl'heure qui vient, et MichaelDonovan a accepté de lesrencontrer.

— Qui va garder la Maison ?demandai-je. Luc s'appuya àun guéridon non loin de moi.

— Des humains. Nous avonssélectionné une deuxièmesociété spécialisée en sécuritéil y a de ça des années, mais

son nom doit resterconfidentiel. On ne le révèlemême pas aux gardes. Ni auxSentinelles, ajouta-t-il d'un toncontrit.

— C'est une mesure destinéeà prévenir toute tentative desabotage, précisa Lacey en meregardant, les yeux plissés.

D'accord. De toute évidence,elle n'avait pas l'intention denous laisser gérer une seulecrise à la fois.

— Exactement, approuvaLuc sans remarquer l'allusion.A l'époque, nous avions décidéd'engager les fées, étant donnéqu'elles sont plus fortes et

généralement plus fiables. (Sonvisage se rembrunit.)Généralement.

Ethan but son whisky àpetites gorgées, puis reposason verre d'un geste brusquesur la table basse à côté de lui.

— Qui aurait pu prédire ça,bon sang ? Que lesreprésentants du Présidiumnous forceraient à nousbattre ? Qu'ils préféreraientnous jeter à la rue plutôt quese contenter d'accepter denous laisser partirdignement ? Les salauds !

— Ils ne peuvent pasvraiment nous prendre la

Maison, si ? demandai-je, monregard passant d'un vampire àl'autre.

Personne ne me répondit, etmon cœur se serra.

J'effleurai la clé del'appartement dans la poche dema veste et observai l'endroitoù j'avais emménagé si peu detemps auparavant. Je meconsidérais à présent chezmoi, dans cette Maison. Jen'avais aucune envie d'yrenoncer, encore moins auprofit de Darius West et saclique. Ce serait vraiment uncomble.

— Darius a déployé une

stratégie, déclara Lacey. Quoiqu'il advienne, il la poursuivras'il croit servir les intérêts àlong terme de ses vampires.

— Le mot-clé étant « ses »vampires, commenta Luc.Nous venons juste de nousdéfinir comme n'appartenantpas à cette catégorie.

— Nous savions qu'il nousconsidérerait comme desennemis, intervint Ethan.J'avais tout de même espéréune approche un peu plus« vivre et laisser vivre ». Etl'ironie, dans tout ça, c'est queMichael a évoqué ladangerosité potentielle des fées

la nuit dernière.Il m'en avait également

parlé. Nous n'ignorions certespas les risques qu'ellesreprésentaient, mais nousavions pesé les avantages etles inconvénients, et, jugeantle compromis acceptable, nousles avions gardées à notreservice.

— Et voilà. Les conflitsopposant les vampires et lesfées reprennent. Et moi quicroyais que nous avionsaccompli des progrèssignificatifs.

— C'était le cas, lui assurai-je, détestant le voir si abattu.

Nous étions en contact avecClaudia. Nous ne pouvons pasles laisser s'en tirer comme ça.(Je considérai Luc, Ethan etMalik tour à tour, mais tousévitèrent mon regard.) Il doitforcément exister unesolution. Et on la trouvera.Tous ensemble, d'accord ?(J'adressai un sourire à Ethan,éprouvant la subite et étrangeimpression de jouer la pom-pom girl pour la MaisonCadogan, sans la jupe plisséeet la culotte de rigueur.) Jeveux dire, tu as chargé l'équipede transition de nous

accompagner. Le moment estvenu de la mettre àcontribution.

Ethan reporta son attentionsur moi, et je décelai uneétincelle familière dans sesyeux. Il se redressa et nousregarda les uns après lesautres.

— Elle a raison. Affrontonsce problème comme n'importequel autre, et trouvons unesolution. Est-ce que c'estcompris ? (Tout le mondehocha la tête.) Malik, faisinstaller un compte à reboursdans mon bureau avant l'aubeafin d'afficher les heures qu'il

nous reste pour régler cettesituation. Heureusement quenous sommes en hiver ; nousserons réveillés la majeurepartie du temps.

— Sire, acquiesça Malik, unpetit sourire au coin des lèvresdevant le soudain sursautd'énergie de son supérieur.

Ethan se leva et se passa lesmains dans les cheveux, puisposa les poings sur leshanches.

— Je vous l'affirme, etn'hésitez pas à le répéterautour de vous : nous nepartirons pas de cette Maison.Peter m'a nommé capitaine de

ce bateau, et, tant que je seraien vie et Maître de ce navire,je le commanderai. Ils devrontme passer sur le corps pournous prendre Cadogan. AppelezPaige, le bibliothécaire etMichael Donovan. Je veux lesvoir immédiatement dans monbureau.

Ethan se montrait parfoisénervant ou exaspérant, maisaucun doute : il avait lastature d'un Maître.

Le moral des troupesregonflé, Luc, Lacey et Maliksortirent de l'appartement,prêts à enclencher le processusde commencement du

processus. J'attendis qu'ilsaient disparu pour me tournervers Ethan.

— Tu vas bien ?Il s'approcha et déposa un

doux baiser sur mes lèvres.— J'ai survécu à plusieurs

guerres mondiales, Sentinelle.Ce que nous vivons, ce n'estrien de plus qu'une bagatelle.

Nous savions tous les deuxqu'il exagérait, mais je luipardonnai sa fanfaronnade.

— Alors, descendons réglerça vite fait bien fait, déclarai-je en tendant le bras endirection du couloir.

Ma tirade lui arracha un

sourire, ce qui en était le but.— Vite fait bien fait,— Après tout, ce n'est rien

de plus qu'une bagatelle,répondis-je avec unhaussement d'épaules.

Il glissa sa main dans lamienne, et je quittai nosappartements à son côté,prétendant entrevoir unesolution. Une manière de toutarranger.

Et priant pour en trouverune.

Lacey attendait devant la

porte du bureau d'Ethan. Elleplissa les yeux en me voyant

avec lui. Je savais que jedevais révéler la vérité à Ethanau sujet de la GR - au moinspour couper l'herbe sous lepied de Lacey -, mais ce n'étaitpas le moment d'en ajouter àses soucis. J'espérais qu'elle semontrerait assez mature pouren arriver à cette conclusion,elle aussi.

Michael Donovan, Paige, lebibliothécaire, Luc et Malik setrouvaient déjà à l'intérieur. Lecompte à rebours qu'Ethanavait demandé était fixé aumur. De taille assezimposante, il était muni d'un

écran noir sur lequels'affichaient des chiffresblancs de forme carréeégrenant les secondes, lesminutes et les heures qui nousrestaient avant que les féestentent de nous chasser de laMaison. A moins que nousdécouvrions le moyen de lesarrêter.

Luc avait déniché unnouveau tableau blanc qu'ildressa près de la table deconférence.

— On dirait qu'on s'amuse,ici.

Toutes les têtes setournèrent vers la porte.

Gabriel Keene, Meneur de laMeute des Grandes Plaines, setenait sur le seuil, un casquede moto noir à la main. Il étaitoriginaire de Memphis, maisconsidérait Chicagopratiquement comme sa ville.Les cheveux brûlés par le soleilet les yeux couleur d'ambre, ildégageait une impression deforce et de puissance. À justetitre.

Il pénétra dans le bureau.— À ce qu'il paraît, vous

avez un problème. J'ai penséque vous pourriez avoir besoinde mon aide.

Les nouvelles se répandaient

vite, parmi les surnaturels. Enl'occurrence, mon grand-pèreavait dû transmettre lemessage que je lui avaisenvoyé à Jeff, qui en avaitensuite parlé à Gabriel. Jesavourai le changementd'expression sur le visaged'Ethan : l'espoir et la joieéclairèrent ses traits. Peut-êtrepour la première fois, ilsemblait sérieusementenvisager une issue à cettesituation.

Passant outre auxconventions, il se dirigea versGabriel et le gratifia d'une

chaleureuse accolade.— N'en fais pas trop, mon

vieux, sinon Chaton va êtrejalouse, plaisanta Gabriel enlui tapotant le dos. (Il croisamon regard par-dessus l'épauled'Ethan.) Salut, Chaton.

Gabriel avait pris l'habitudede me surnommer ainsi engrande partie pour se moquerde moi, les chatons figurantparmi les animaux les plusfaibles en lesquels pouvaientse transformer lesmétamorphes.

— Gabe. Bienvenue à la fête.— C'est très important pour

nous que tu sois là, déclara

Ethan tandis qu'ilscontournaient la table deconférence.

— Oui, bon, ne crois pas queje fais ça uniquement pour toi,ironisa-t-il avant d'étudier lespersonnes présentes,s'attardant sur MichaelDonovan. Je ne suis pas sûr deconnaître tout le monde.

Quand Ethan eut procédéaux présentations, l'assemblées'installa autour de la table.

— Oh, encore une petitechose, dit Gabriel avant des'asseoir, laissant tomber unsac à dos noir d'un mouvementd'épaule.

Il l'ouvrit et en sortit unpaquet entouré d'aluminiumqu'il me tendit. Une odeur debarbecue se répandit dans lapièce.

— Mallory te transmet sesamitiés, ajouta-t-il. Enm'offrant de la viande parl'intermédiaire de Gabriel ?Pour sûr, c'était une bellepreuve d'amitié.

— Maintenant que Merit ade quoi manger, ce quiconstitue clairement notreprincipale préoccupation, nouspouvons passer aux chosessérieuses, se moqua Ethan.

Je posai le paquet devant

moi, sans toutefois l'ouvrir. Cen'était pas le moment.

— Nous disposons du peu detemps qui nous reste ce soir etde la nuit prochaine pourdécouvrir le moyen deconserver la Maison etempêcher le PG de détruire ceque nous avons construit danscette ville, déclara Ethan,debout à l'extrémité de latable. L'échec n'est pas uneoption, ajouta-t-il en regardanttour à tour chacun desmembres de l'équipe detransition. Je me fiche que lasolution prenne la forme d'un

contrat légal ou d'une bonnevieille bagarre; nous devonsélaborer un plan assurant quela Maison demeurera entre nosmains. Bien, dit-il ens'asseyant. Mettons-nous autravail. (Il posa les yeux surPaige, puis sur lebibliothécaire, qui se trouvaità côté de moi.) Le contrat ?

— Le contrat comporte cequi équivaut à une clause debonne conduite, déclara lebibliothécaire en tendant àEthan un dossier contenantune feuille marquée d'unsignet. En substance, elle

stipule que la Maison s'engageà agir d'une manière conformeaux valeurs du PG. En cas denon-respect de cette règle, lePG est en droit de réclamer undédommagement.

Ethan feuilleta lesdocuments, lisant leurcontenu en diagonale.

— Est-ce qu'il est préciséquelque part que cedédommagement inclut laMaison ?

— Non. Mais les termesutilisés restent vagues, desorte qu'il est difficile desavoir comment un tribunalles interpréterait. (Il haussa les

épaules.) Mais ce n'est quemon opinion, et je ne suis pasavocat.

— Et que disent nosavocats ? demanda Ethan àMalik.

— Ils sont en train d'étudierla question. Ils ont indiquéqu'ils ne pourraient sans doutepas fournir de réponsedéfinitive avant le lever dusoleil, mais ils nourrissenteffectivement quelquesinquiétudes au sujet del'interprétation judiciaire.

— Comme toujours, répliquaEthan. Le principal problèmeétant que nous devrions

traduire le PC devant letribunal, à supposer qu'ilexiste une juridiction traitantdes litiges des vampires. Cette« solution » entraînerait desannées de procédures, ce quine nous permettrait pasd'atteindre l'objectif que je mesuis fixé, qui consiste àrésoudre cette crise avant queDarius parte pour Londres. (Ils'adressa ensuite à Luc.) Etune démonstration de force ?

— Nous pourrions affronterles fées, mais tu sais commentelles se battent : jusqu'à lamort. Sinon, elles estiment

que ça n'en vaut pas la peine.Elles préfèrent se faire hara-kiri plutôt que perdre, si bienqu'un conflit impliquerait auminimum la mort de toutes lesfées et de nombreux vampires.

Gabriel siffla.— Ça ne plairait pas à la

ville de Chicago.— Non, approuva Ethan. Et

c'est une solution que je nepeux pas accepter. Et j'ai toutde même peine à croire queDarius cautionnerait de telsagissements.

— Il pense que tu n'iras pasjusque-là, intervint Laceydepuis l'autre bout de la table,

regardant Ethan par-dessusplusieurs piles de documents.Il sait que tu ne tolérerais pasde risquer la vie de tesvampires pour sauver unbâtiment et suppose que tut'inclineras avant de prendredes mesures aussi extrêmes.

— Pourquoi vouloir mettre lamain sur Cadogan ?interrogeai-je. S'intéressent-ilsau symbole, ou à l'édifice ?

— Les deux, répondit Laceydu tac au tac, s'arrogeant lerôle de spécialiste desmotivations du PG, ce qu'elleétait sans doute. D'unemanière symbolique, cela

démontre le pouvoir duPrésidium. Il prouve par là queles Maisons tombent sous soncontrôle et que le non-respectdes règles les laissera assezlittéralement sans ressources.

— Et l'édifice définit quinous sommes, ajouta Ethan,les yeux posés sur moi. Noussommes unis par le nom dePeter, mais c'est la Maison quinous fédère. Si nous nesuivons pas la ligne deconduite qu'il a fixée, Dariusbrisera le lien qui nousrassemble.

Gabriel se pencha en arrièresur sa chaise, la faisant

grincer sous son poids.— C'est un sacré numéro

que vous avez là.— Nous en sommes très

fiers, lâcha Ethan d'un tonsec.

Gabriel se redressa pours'adresser à Ethan :

— Nous sommes amis, maisje ne peux pas offrir dessoldats pour l'instant. Pasalors qu'il existe un autremoyen.

Il voulait dire : pas alorsqu'il nous restait la possibilitéd'éviter le combat en quittantla Maison. Ethan ne parut pasravi d'apprendre que la Meute

refusait de se battre à noscôtés - les métamorphesreprésentaient, et de loin,notre plus important grouped'alliés en dehors des vampires-, mais il accusa le coup avecdignité.

— Je comprends ta position,assura-t-il. Cela ne m'enchantepas, mais, si j'étais à ta place,je prendrais sans doute lamême décision. (Il considératour à tour le reste desmembres de l'équipe detransition.) D'autres idées ?

— Du chantage ? suggéraPaige. Je ne connais pas biences vampires, mais saurait-on

quelque chose sur l'un d'euxque nous pourrions utiliserpour les faire changer d'avis ?

J'échangeai un regard avecEthan. Nous avions appris parle passé qu'Harold Monmonthavait commis un meurtre aunom de Célina, mais je doutaisque ce crime touche Darius etles autres représentants du PG.Ils jugeaient en général lesvies humaines indignes de leurconsidération. Un assassinatperpétré plusieurs sièclesauparavant ne soulèverait pasun grand intérêt.

— Pas à ma connaissance,répondit Ethan.

— Nous ne pouvons pas lescorrompre, ajouta Malik. Nousn'avons plus d'argent.

— Et l'œuf ? demandaGabriel.

Tous les regardsconvergèrent vers lui.

— Comment ça, l'œuf ?interrogea Ethan.

— C'est la clé de toute cettehistoire. Les fées le veulent.Darius l'a en sa possession. Jesuppose qu'il ne leur a pasencore donné et ne le fera pasavant qu'elles aient honoréleur promesse de vousattaquer. Si vous parvenez à lerécupérer...

— Alors, le trophée seraentre nos mains et les fées semoqueront des ordres du PG,compléta Ethan. (Il s'appuyaau dossier de sa chaise etregarda Michael.) Qu'est-ce quetu en penses ?

— C'est une idée, approuvale consultant. Assouvir le désirdes fées résoudrait la questionimmédiate de la Maison, maispas le problème de fond.Darius ne se contentera pasd'une tentative. S'il veutCadogan, il essaiera encore.

— C'est juste, admit Ethan.Mais tâchons de nousconcentrer sur les cartes que

nous avons en main pourl'instant. Où l'œuf pourrait-ilse trouver ?

— Darius et les autresmembres du PG séjournent auDandridge, avança Malik.Peut-être l'ont-ils emporté là-bas.

— Je n'en suis pas si sûr,objecta Luc. Ils misent gros,sur ce coup, et ils doiventavoir prévu qu'on se poseraitcette question. Cet endroit meparaît trop évident.

— Trop évident, et tropdifficile à infiltrer, de toutemanière, intervins-je. Descélébrités et des sénateurs

logent au Dandridge. Pourfouiller les chambres, ilfaudrait déjà déjouer lasécurité, et je ne suis pascertaine que nous yréussirions.

— Je crois que nous pouvonssans risque partir du principequ'ils l'ont dissimulé àChicago, déclara Michael.

Ils n'ont pas pu l'emportertrop loin. Ils n'auraient pas letemps d'aller le chercher pourle remettre aux fées.

J'étais prête à parier qu'ilavait raison. Hélas, Chicagoétait une grande ville.

— Il faut le retrouver,

affirma Ethan. On engage lesrecherches tout de suite. (Il setourna vers Malik.) Commencepar interroger les Seconds desautres Maisons. Demande-leurce qu'ils savent et s'ils ont desinformations sur l'endroit oùl'œuf pourrait avoir été caché.

— Ils refuseront peut-être denous aider, objecta Luc. C'estexactement le genre decomportement anti-PG queDarius réprouve.

— Possible, convint Ethan.Tâche tout de même de lesconvaincre. Quelqu'un détientla solution à notre problème ;je veux la connaître ce soir.

Malheureusement, son

souhait ne fut pas exaucé.Deux heures plus tard, mêmeaprès avoir partagé la viandeque Gabriel avait apportée,nous n'avions toujours pasavancé. Aucun des dirigeantsdes autres Maisons n'avait deproposition à offrir quant à lalocalisation de l'œuf, hormis leD a n d r i d g e . Et encores'étaient-ils montrés réticentsà nous faire part de cettesuggestion, aussi inutile fût-elle. Leur mutisme ne mesurprenait pas outre mesure.

Ni Navarre ni Grey nesouhaitaient s'impliquer plusque nécessaire. C'était cetteattitude qui leur avait permisd'échapper au radar du PG parle passé, et la menacenucléaire que Darius laissaitplaner sur nous n'avait faitque les inciter à poursuivredans cette voie.

— L'aube approche, déclaraEthan en se passant la mainsur le visage. Nous nousréunirons de nouveau aucrépuscule. (Il s'adressa àGabriel.) Merci de nous avoirconsacré du temps.

Un sourire carnassier s'étira

sur les lèvres du métamorphequi répliqua :

— Mieux vaut un mal connuqu'un mal inconnu. Je préfèrevous voir vous dans cetteMaison plutôt qu'une bande detrous du cul du PG.

Là, nous ne pouvions pas lecontredire.

Quelques minutes avant que

le jour se lève, Ethan,exténué, vint chercher leréconfort dans mes bras. Lapeur me rongeait. Lacey et cequ'elle savait de ma rencontreavec Jonah. Le mystérieuxtueur qui rôdait dans les rues.

Les menaces qui pesaient surnotre Maison.

Nous étions allongés dans lenoir, nos corps entrelacés,tandis que l'aube pointait àl'horizon. Tandis que lesminutes et les heures qui nousrestaient à vivre dans notresanctuaire s'envolaient, lesunes après les autres.

— Je ne peux pas perdrecette Maison, murmura Ethand'une voix ensommeillée. Jene peux pas... les décevoir.

Je brûlais d'envie d'apaiserses souffrances et me jurai del'aider à lutter pour conserverCadogan, mais même l'amour

se révélait incapable d'arrêterla course du soleil.

12 La première règle du

Fright Club J'émergeai lentement du

sommeil après avoir rêvé quej'avais dû repasser unentretien pour mon poste deSentinelle et qu'Ethan nem'avait pas jugéesuffisamment compétente. Iln'était pas difficile de deviner

l'origine de cette peur, à savoirqu'une femme amoureuse demon petit ami me faisaitchanter et que ma Maisonrisquait d'être anéantie d'icipeu de temps.

Ethan s'était déjà levé et lesilence régnait dans lachambre. Je remontai lesdraps au-dessus de ma tête parindulgence à mon propreégard, prétendant qu aucunemenace ne planait sur moi.

Je n'avais aucune envie delui en parler. D'ailleurs, jen'étais pas censée lui enparler. Après tout, quelle étaitla première règle de la GR ?

« Il est interdit de parler de laGR. »

L'organisation avait pourbut de surveiller les Maîtres etle PG afin de les empêcherd'agir de manière dictatorialeet d'éviter qu'ils maltraitentdes vampires. Objectif difficileà remplir une fois qu'on vousavait identifié comme unespion. Oserais-je dénoncer laGarde Rouge à un Maître ?Oserais-je faire payer à Jonahmon manque de discernementet l'attirance obsessionnelle deLacey pour Ethan ? Si jeconfessais où je m'étais

rendue, n'allais-je pas anéantirles minutieux efforts déployéspar la GR pour demeureranonyme, ruiner des dizainesd'années de travail et trahirtous les membres qui avaientconsacré vingt années de leurvie à son service ?

N'allais-je pas tromper laconfiance de Jonah ?

D'un autre côté, je nepouvais pas laisser Lacey toutdévoiler à Ethan. Il n'était riencensé connaître de monengagement, certes, mais nedevrait certainement pasl'apprendre de sa bouche à elle.D'autant qu'elle avait

l'intention d'utiliser ce qu'ellesavait pour s'interposer entrenous.

Peut-être m'étais-je montréetrop optimiste, trop ambitieuseen voulant intégrer la GR touten sortant avec rien de moinsqu'un Maître vampire. Peut-être cela marquerait-il la fin denotre relation. De notreamitié, de notre complicité, denotre amour.

Je m'effrayais déjà de laconversation à venir. J'étaispersuadée qu'Ethan se mettraiten colère et se sentirait trahi,exactement comme l'avaitprédit Lacey. En bonne

Sentinelle, j'analysai lesrisques, envisageant toutes lesconséquences potentielles dema confession...

1. Ethan, éperdu d'amourpour moi, m'avouerait être fierque j'aie choisi de servir lesvampires en intégrant la GR.

2. Il me plaquerait au coursd'une cérémonie spécialedevant tous les vampiresCadogan.

3. Il m'expulserait de laMaison au cours d'unecérémonie spéciale devanttous les vampires Cadogan.Des tee-shirts commémoratifsportant l'inscription « J'ai

survécu à l'excommunicationde Merit » circuleraient parmimes camarades.

4. Il accomplirait les points2 et 3, puis tuerait Jonah.

5. Il se murerait dans lemutisme avant d'éclater dansune rage silencieuse maismeurtrière, qui entraînerait ladestruction de la MaisonCadogan et de la majeurepartie de Hyde Park. DianeKowalczyk accuserait notrepatrimoine génétique. Catcheraccuserait l'amour.

Ces scénarios n'avaient riende rassurant, car, dans tous lescas, Ethan découvrait la

vérité, et Jonah finissaitdémasqué.

Quoi que je choisisse, jeperdais ; je n'appelais pasvraiment cela un choix.

Je détestais les remords, etpourtant, c'était ce quej'éprouvais à cet instant. Pastant le regret d'avoir dit oui àJonah que de ne pas m'êtremontrée plus prudente la veilleet d'avoir provoqué Lacey aupoint de la pousser auchantage.

Malheureusement, geindreen restant assise ne résoudraitrien du tout. Un tueur rôdaittoujours dans la ville, et ma

Maison était censéedésamorcer une bombe àretardement. Quelqu'un devaitse battre pour Oliver, Eve etCadogan, aussi écartai-je lesdraps et m'extirpai-je du lit.Arriverait ce qui devait arriver.Je préférais affronter lasituation comme un soldat, latête haute et sans peur, plutôtque me cacher sous unecouverture.

Je trouvai un message deJonah sur mon téléphone :« Me mets en rapport aveccontact GR au sujet Cadogan.Te tiendrai au courant. »

J'ignorais la fiabilité de ce

contact. Cependant, il avait vujuste au sujet de la clause ducontrat. Peut-être serait-il enmesure de nous aider. Ce seraitvéritablement une aubaine.

Pendant qu'Ethan et l'équipede transition tentaientd'infléchir notre destin en bas,je pris une longue douchechaude en réfléchissant auxmeurtres que je n'avaistoujours pas réussi à élucider.Nous savions qu'Oliver et Eveavaient été tués après s'êtrerendus au bureaud'enregistrement. Leurs corpsavaient été retrouvés dans un

entrepôt de Little Italy, et deséclats de tremble jonchaient lesol à proximité, provenantpeut-être d'une arme conçuepar McKetrick.

Nous savions égalementqu'un 4x4 noir avait participéà leur enlèvement et nousavait suivis près de la Maison,un véhicule du même genreque ceux que McKetrick avaitdéjà utilisés par le passé pournous terroriser.

Bien sûr, à Chicago, ontrouvait des 4 x 4 noirs à lapelle. Et McKetrick avait niétoute implication dans cesmeurtres, rejetant notamment

la possibilité que quelqu'un sesoit servi de son arme. Et puis,après tout, s'il était persuadébénéficier d'une immunitépolitique totale, pourquoiaurait-il menti ? Pourquoin'aurait-il pas avoué soncrime, sachant que personnene me croirait si je l'accusais ?

Je ne me sentaiscertainement pas prête à rayerMcKetrick de la liste dessuspects, mais je commençaisà penser que l'affaire était pluscomplexe qu'il n'y paraissait.

Une fois propre et habillée,mes cheveux noués en unchignon de ballerine, je bus

autant de sang que je pus enavaler - sans que Lacey fasseaucune apparition dans lacuisine, grâce au ciel - etdescendis l'escalier.

Je trouvai Ethan seul dansson bureau, assis à son meublede travail. Il portait unechemise blanche dont il avaitretroussé les manches etdéboutonné le col. Il semblaitprêt à s'attaquer à une longuenuit de labeur, mais paraissaitépuisé. Il n'avait sans doutepas bien dormi.

— Bonjour, dit-il.Aucune colère ne perçait

dans sa voix, ce qui me

conduisit à penser que Laceyne lui avait encore pas révéléle secret qu'elle croyait avoirdécouvert. Je respirai un peuplus facilement.

— Bonjour, lançai-je à montour en m'asseyant sur unechaise devant son bureau. Dunouveau ?

— Rien de notable. Leshumains montent la gardedehors, et la journée s'estdéroulée sans incident. Je suisagréablement surpris queDarius ne les ait pas achetés,eux aussi.

— La corruption faitclairement partie de ses

méthodes. Rien de neuf nonplus au sujet des meurtres. Entout cas, je n'ai reçu aucunmessage de l'Agence demédiation.

— Le tueur a bien effacé sestraces, commenta Ethan. Cequi ne signifie pas qu'il n'a paslaissé un indice quelque part.

C'était exactement la raisonpour laquelle je ne voulais pasrenoncer. Pas encore.

— Je vais demander à toutle monde de préparer sesaffaires, ajouta Ethan.

Je le dévisageai, submergéepar une vague dedécouragement. Il croyait que

nous allions échouer. Quenous ne parviendrions pas àrésoudre cette crise etperdrions la Maison. Que jedormirais sur le canapé demon grand-père le joursuivant.

Son regard vaincu me fitmonter les larmes aux yeux.

— Il nous reste encore cettenuit et une bonne partie de lanuit prochaine. On trouveraune solution.

—Vraiment ? demanda-t-il.Sans faire couler le sang ?

J'ouvris la bouche, puis larefermai, manquant d'unerepartie appropriée.

Quelqu'un frappa à la porte.Lacey apparut, vêtue d'unélégant tailleur noir au liseréblanc. Elle adressa un sourireà Ethan avant de me décocherun regard noir.

— Lacey, la salua Ethan. Uncafé ?

— Oui, merci, dit-elle enentrant.

— Et toi ? me proposa-t-il.— Non merci, répondis-je en

observant Lacey.Ethan appela Margot pour

lui demander deux expressos.Pendant qu'il passaitcommande, Lacey s'avançavers moi, son expression de

plus en plus glaciale à chaquepas.

— Est-ce que tu lui asparlé ?

Nous nous trouvions àmoins d'un mètre du bureaud'Ethan, et mon cœur se mit àbattre la chamade. Il ne faisaitaucun doute que, dans quelquepartie primitive de soncerveau, elle pensait avoirdébusqué une traîtresse etespérait que me dénoncer larapprocherait d'Ethan.

Mais je n'avais pasl'intention de la laisserdétruire mon couple, quellesque soient ses motivations. Je

plissai les yeux et rétorquai :— Il n'y a rien à dire, et j'ai

plus important à faire que minquiéter de ce que vouscroyez avoir vu.

— J'en ai assez vu, affirma-t-elle à voix basse enobservant Ethan, qui bavardaitavec Margot au téléphone.

— Vous ne pourriez pas vousconcentrer sur la crise quenous devons gérer au lieu d'eninventer une nouvelle ?

— Inventer ? cracha-t-elleen me fusillant d'un regardargenté qui me donna la chairde poule. Je suis là, chuchota-t-elle avec ferveur, dans cette

ville, parce que tu n'es qu'unegamine incapable de se rendrecompte de la gravité de lasituation. Parce que tu nepeux pas lui donner ce dont ila besoin.

— Je lui donne exactementce dont il a besoin.

— Non. Tu es facilementaccessible, c'est tout.

Je me retins de gronder.— S'il le souhaitait

vraiment, il serait avec vous.Mais ce n'est pas le cas. A lafin de la nuit, c'est moi qu'ilvient rejoindre dans le lit.

Mon franc-parler m'avaitdéjà attiré des ennuis par le

passé, et c'était précisémentce qu'il ne fallait pas dire àune femme qui me menaçaitde révéler à Ethan ce qu'elleavait découvert en me suivantà l'autre bout de la ville.

— Mesdemoiselles ? s'enquitEthan en nous observantdepuis l'autre côté du bureau,le téléphone reposé sur sonsocle. Que se passe-t-il ?

Impossible de ne pasremarquer la tension et lamagie qui planaient dansl'atmosphère.

— C'est au sujet de Merit.Ma poitrine se souleva alors

que j'essayais d'aspirer de l'air

pendant que mon ennemielançait l'assaut et déplaçaitses pions sans me laisser letemps d'élaborer ma proprestratégie.

J'aimais Ethan. Mais Jonahétait mon partenaire. Je devaisles protéger tous les deux.J'espérais juste me montrerassez intelligente pour yparvenir.

Ethan braqua son regard surmoi.

— Merit ?Avant que j'aie pu prononcer

le moindre mot, Lacey donnal'offensive :

— Elle a une aventure avec

Jonah.J'écarquillai les yeux.

C'était donc ça qu'ellepensait ?

— Je n'ai aucune aventureavec Jonah.

Ethan parut confus... etsceptique.

— Jonah ? Le Capitaine dela Maison Grey ?

— Lui-même, réponditLacey. La nuit dernière, elle apris sa voiture. J'ai trouvé soncomportement, son départsuspects. Alors, je l'ai suivie.

— Tu l'as suivie, répétaEthan, l'air encore plussoupçonneux.

Lacey me lança un regardmi-accusateur, mi-provocateurpar-dessus son épaule.

— Elle est allée jusqu'auport, où la sécurité l'a laisséeentrer. Elle a retrouvé Jonahsur la jetée. Ils étaient seuls.(Elle releva le menton, prête àassener le coup fatal.) Il yavait une odeur de sang dansl'air. (A ces mots, les yeuxd'Ethan virèrent à l'argenté.)Elle ne t'est pas fidèle. Ilfallait que tu le saches. Jedevais te le dire.

— Lacey, laisse-nous, s'il teplaît.

Mais elle ne l'écoutait pas.

Elle le fixait d'un regardpaniqué. Elle venait de jouerses dernières cartes - les seulesqu'elle avait en main - et sedemandait si elle avait gagné.

— Tu ne vois pas ce qu'ellete fait ? s'écria-t-elle, danstous ses états. Ce qu'elle t'afait, et ce qu'elle a fait à laMaison ?

— Lacey, dehors ! aboyaEthan.

— Ethan...Il la fusilla d'un regard non

moins redoutable que celuiqu'il m'avait réservé. Certes,elle m'avait accusée de letromper, mais elle venait

également de moucharder. Onne pouvait guère qualifier soncomportement de louable.

Elle obéit et sortit de lapièce, claquant la portederrière elle.

Ethan se leva et s'approchade moi, un millier de questionsdans les yeux.

— Dis-moi la vérité,m'intima-t-il. Tout de suite. Neme laisse pas douter, Merit. Neme laisse pas mettre notrecouple entre les mains deLacey.

Je réprimai une vague depanique. Je ne m'étais paspréparée à ça, à la supposition

qu'avait émise Lacey. Qu'étais-je censée faire, à présent ?

Je ne pouvais tout de mêmepas faire croire à Ethan que jele trompais. Ce n'était pas lecas. Je ne ferais jamais unechose pareille, ni à lui ni àquiconque.

Ne voyant aucune issuehonorable, il ne me restaitqu'à opter pour la stratégie lamoins offensive : me montrerhonnête, prier pour qu'il mepardonne, en espérant queJonah me pardonnerait aussi.

Je rassemblai tout moncourage, ce qui suffit à peine àforcer les mots à franchir la

barrière de mes lèvres :— J'ai rejoint la Garde

Rouge.Ethan blêmit, les yeux

écarquillés. Il me considéraavec incrédulité, et j'eusl'impression que mon cœurcessait de battre.

— Tu... Tu..., balbutia-t-il,l'intensité de sa fureurl'empêchant de parler. Tu asfait quoi ?

Je me raclai la gorge,m'efforçant de retrouver mavoix et de me rappelerpourquoi j'avais pris cettedécision en premier lieu. Parcequ'on m'en a offert

l'opportunité, et que j'étaissûre défaire le bon choix.

— J'ai rejoint la GardeRouge. Je fais partie desmembres, maintenant.

Il resta là à me dévisager,tandis que les secondes, lesminutes, ou peut-être lesheures passaient. J'attendis,sur des charbons ardents,pendant qu'il jaugeait monhonnêteté, et sans doute lavalidité de notre relation. N'ytenant plus, je finis par briserle silence :

— Tu étais parti, et le PGnous détruisait de l'intérieur.Les membres de la Garde

Rouge m'ont proposé de lesrejoindre, et j'ai accepté, pourla Maison, pour ce quisubsistait de nous après tadisparition.

Il porta la main à sapoitrine.

— Pour ma Maison, tu asintégré une organisation dontl'unique but est de nousespionner ?

— Nous ne sommes pas desespions, insistai-je. C'était labonne décision. Et ça le reste.Tout s'écroulait autour denous, et on ne peut pas direque la situation se soitarrangée. Je suis vraiment

désolée. Je m'en voulais de tele cacher, Ethan. Vraiment.Mais je ne pouvais pas t'enparler.

— Je ne veux pas connaîtretes motivations, assena-t-il enme jetant un regard noir. (Ils'humecta les lèvres etdétourna les yeux.) Tu as étéintronisée ?

La peur m'étouffait, et il mefallut un moment pour meressaisir. Il n'était pluspossible de revenir en arrière,à présent ; pour aucun de nousdeux.

— Oui. Lacey m'a vue. Ellem'a suivie jusqu'au point de

rendez-vous.— Et Jonah est ton

partenaire ? demanda-t-il, lamâchoire crispée.

Je me recroquevillaiintérieurement, redoutant quema réponse scelle mon destin.Si je n'avais pas couru lerisque de perdre Ethan, je meserais tue. Mais il aurait étéirrespectueux de lui mentir.

— Oui, finis-je par admettre.— Tu te fous de moi ?Un éclair argenté illumina

ses yeux, et une décharge demagie brûlante, furieuse,épaissit l'atmosphère.

Je déglutis. Le torse d'Ethan

se gonflait au rythme de sarespiration, la stupeur et lacolère se mêlant sur sonvisage. Il semblait sedemander s'il devait crier oupleurer, hurler sa souffranceou maudire les dieux.

— Tu étais parti, répétai-je.Il aboya un rire.— C'est bien ça le hic, non,

Merit ? Je suis revenu. Je suislà depuis un mois, et tu n'aspas pris la peine de m'enparler. (Il avança d'un pasmenaçant.) Et c'est comme çaque je dois le découvrir, parl'intermédiaire d'un autreMaître, Merit ? D'une vampire

que j'ai formée ? Une vampirevisiblement plus honnêteenvers moi que ma proprepetite amie.

— Je ne pouvais pas t'enparler. Peut-être que tun'approuves pas ma décision,mais tu sais pourquoi cetteorganisation existe. Ce qu'elledéfend.

Le droit et la justice, pensai-je.

Mes propos ne semblèrentpas produire le moindre effetsur lui.

— Tu as partagé ton sangavec lui ?

— Juste une goutte. Sur une

lame. Personne n'a bu. Je te lejure.

Un voile de tristesse envahitsoudain ses yeux, une ombrequi me peina plus que tout lereste et me brûla comme unfer rouge. Il n'était passeulement en colère ; il étaitblessé.

— Je suis vraiment désolée.Je ne voulais pas que ça nouséloigne l'un de l'autre.

— « Ça », Merit, est uneorganisation qui présume queje ne sais pas faire montravail, que je mérite d'êtresurveillé, que je ne vaux pasmieux que ce foutu Présidium

de Greenwich, qui essaie en cemoment même de me prendrema Maison.

Je me redressai un peu ; sesarguments abondaient dansmon sens.

— C'est exactement laraison pour laquelle j'aiaccepté, Ethan. Parce que lesmembres du PG sont destyrans. Et c'est ce contre quoilutte la Garde Rouge. Je suisdésolée de ne pas t'en avoirparlé. Que ce soit bien ou mal,ce n'était pas à moi de révélerce secret.

Toujours aussi furieux,Ethan secoua la tête.

— Tu m'as dit que Jonaht'avait rendu service pendantque j'étais parti. Il s'avère quece n'était pas un hasard.

— Il m'a aidée à résoudrecette affaire de raves pendantque tu étais occupé à gérer lesproblèmes de la Maison. Etquand tu as disparu, nousavons travaillé ensemble etavons fini par découvrir ce quetrafiquait Mallory.

— Est-ce que tu as d'autresmensonges à m'avouer ?

Sa question me fit l'effetd'une gifle.

— Je ne t'ai pas menti.— Tu as menti par omission.

Quoi qu'il en soit, tu vasdémissionner.

— Quoi ?— Tu vas démissionner. (Il

décrocha son téléphone et mele tendit, des flammes dans lesyeux.) Tu vas appeler Jonahtout de suite pour lui dire quetu as commis une erreur et quetu démissionnes.

— Je ne démissionnerai pas,affirmai-je, soutenant sonregard. J'ai fait une promesse,et je compte la tenir.

Ses yeux s'embrasèrent denouveau.

— Tu as prononcé unserment qui te lie à moi. À

cette Maison.— C'est pour ça que j'ai pris

cette décision ! Ethan, nousavons besoin de la GardeRouge, maintenant plus quejamais. Nous avons besoin detenir le PG à l'œil. Nous avonsbesoin de vampires capables devoir au-delà de ce qu'affirme lePG et de penser de manièrecritique. Nous avons besoind'aide.

— Nous avons besoin d'uneSentinelle loyale.

Je m'avançai d'un pas. Jecédais à mon tour à la colère,mais, bon sang, je préféraismille fois cela à la culpabilité

et la peur.— Je suis Sentinelle de cette

Maison, et ma loyauté esttotale, assenai-je en pointantun doigt sur ma poitrine. Monboulot consiste à agir demanière appropriée, et, d'aprèsmoi, c'est ce que j'ai fait.

— Tu as intégré uneorganisation secrète dont lebut est de saper mon autoritéet de me déstabiliser !

Il paraissait sidéré.— Non, j'ai intégré une

organisation secrète poursurveiller les sales types quidéstabilisaient - et continuentà déstabiliser - tes vampires.

— Et tu vas démissionner.— Certainement pas.Les quelques doutes que je

nourrissais encore au sujet demon appartenance à la GR sedissipaient rapidement, endépit des efforts qu'Ethandéployait pour me prouver quej'avais tort.

Il frémissait de rage, peuaccoutumé à ce qu'on luitienne tête.

— Je suis le Maître de cetteMaison.

Ah, nous nous retrouvionsenfin en territoire familier.

— Et je suis la Sentinelle decette Maison. Ethan, si la GR

te proposait de rejoindre sesrangs demain, tu accepteraissans hésiter. Oui, j'ai pris unedécision difficile. J'ai pris unedécision qui te fait clairementdouter de ma loyauté, ce que jeregrette vraiment. Mais c'étaitla bonne décision pour laMaison, je le maintiens. Et situ arrêtais de t'appuyer sur despréjugés et commençais àréfléchir - sérieusement - auxavantages que cela nousapporte, tu en arriverais à lamême conclusion que moi.

— Je t'ai confié ma Maison,mon honnêteté et mon cœur,

Merit. Était-ce la bonnedécision ?

Comme pour répondre à maplace, mon portable sonna. Jen'esquissai pas le moindregeste pour m'en saisir, ce quin'empêcha pas Ethan de meconsidérer avec un airsoupçonneux.

— Qui est-ce ?— Ethan...— Sors ce fichu téléphone,

Merit.Je l'extirpai de la poche de

ma veste d'une maintremblante et consultail'écran. Je fermai les yeux.

— Qui est-ce ? demanda-t-il,

autant une question qu'uneaccusation.

Je rouvris les paupières et leregardai droit dans les yeux,mon irritation supposant à saméfiance.

Pendant ce temps, lasonnerie de mon téléphoneretentissait toujours, nouvellebande-son de notre bataille.

— C'est Jonah.Quand Ethan crispa la

mâchoire, mon cœurs'emballa.

— Réponds, m'intima-t-il,les dents serrées.

— On est en plein milieude...

— Oh, non, rétorqua-t-il.Nous en avons terminé.Décroche, Merit. Voyons ce quiamène notre intrépideCapitaine à ta porte.

Je n'appréciais guère sonton insultant et chargé desous-entendus, mais n'insistaipas. Ce débat était clos.J'avais pris ma décision ; ildevrait vivre avec.

À moins qu'il s'y refuse. Jeme répétai les paroles qu'ilavait prononcées : « Nous enavons terminé. » Qu'avait-ilvoulu dire par là ? Que nousen avions terminé tous lesdeux ? Que tout était fini

entre nous ?Je portai le téléphone à mon

oreille, m'efforçant demaîtriser le tremblement dema main.

— Je sais que le moment estmal choisi, commença Jonah,me conduisant à penser que dequelconques facultéspsychiques lui avaient permisde capter notre dispute. Vousavez une crise à régler au sujetde votre Maison. Mais on a unproblème.

— Qu'est-ce qui s'est passé ?Ethan me dévisagea un

instant en silence. Voyantl'inquiétude se peindre sur mes

traits, son expression seradoucit un peu.

— Deux des vampires deMorgan sont morts. Décapités,comme Oliver et Eve. Ils ontété retrouvés au crépuscule. LeCapitaine de la Garde deNavarre vient de m'appeler.Mais cette fois, Merit, c'estencore pire : le meurtre a étécommis à l'intérieur de laMaison.

Je sentis le sang quittermon visage tandis que je medemandais pourquoi Morgan nenous en avait pas informésd'abord. Mais je connaissais laréponse : à cause de moi, de

Morgan et de notre futilehistoire qui provoquaittoujours chez lui uncomportement étrange.

— D'accord, dis-je. Je vaisvoir ce que je peux faire.

— Je suis à Navarre. Viensdès que possible.

Je raccrochai et glissai denouveau mon téléphone dansma poche. Je lisais sur levisage d'Ethan le débatintérieur qui l'agitait :« Devrais-je lui montrercombien je suis blessé etfurieux par un commentairecinglant, ou me calmer et luidemander ce qui ne va pas ? »

— Que s'est-il passé ? finit-ilpar demander d'une voix qu'ilprit soin de rendre neutre.

— Deux des vampires deMorgan sont morts. Ils ont étéretrouvés à l'intérieur de laMaison Navarre au crépuscule.

Ethan écarquilla les yeux.— Le tueur était dans la

Maison ? (Je confirmai d'unhochement de tête.) Tu devraisen parler à ton grand-père,conseilla-t-il en se passant lamain dans les cheveux d'ungeste distrait. Il pourra lesaider à gérer les procédures,l'enquête... tout ce qui seranécessaire.

J'acquiesçai de nouveau.— Désolée que ça soit arrivé

maintenant. Je sais que cen'est vraiment pas le moment.Je ne voulais pas que tul'apprennes... au sujet de laGR.

Pour la deuxième fois de lasoirée, j'avais prononcéexactement les mots qu'il nefallait pas. Je venais de luirappeler ce que j'avais fait, lesraisons de sa colère.

Il s'empara de sa vestesuspendue au dossier d'unechaise et l'enfila.

— Où tu vas ?—Je croyais que tu l'aurais

deviné, Sentinelle, déclara-t-ilen glissant son téléphone danssa poche. Je t'accompagne.

— Et la Maison ?— Il nous reste plusieurs

heures, et les avocats étudientla question. Peut-être que, sil'occasion se présente, jepourrai échanger quelquesmots avec ton partenaire.

L'expression qu'il affichaitlaissait peu de doutes quantaux propos qu'il comptait luitenir.

Ethan avisa Malik de notre

départ. Ce dernier semblasurpris, mais, après avoir

scruté nos visages quelquesinstants, il prit la sagerésolution de ne pas discuter.

Ethan lui relata les meurtrescommis à la Maison Navarre etle chargea d'en informer Luc.J'attendis ensuite un momentpendant qu'Ethan s'entretenaiten tête à tête avec Lacey, sansdoute pour lui conseiller de nepas ébruiter ce qu'elle avait vuet lui garantir que sesaccusations d'infidélité étaientinfondées.

J'imaginais qu'il ne lui avaitpas parlé de la Garde Rouge,mais préférai ne pas prendre lerisque de poser la question.

La Maison Navarre étaitsituée près du lac dans lequartier de Gold Coast, aunord de Hyde Park. J'yemmenai Ethan en Volvo,notre moyen de transport pardéfaut.

Le trajet se déroula dans lesilence le plus total. Ethan,furieux contre moi, nedécrocha pas un mot.D'ailleurs, je n'avais pasparticulièrement envie de luiparler. Je m'étais compromisepour protéger Cadogan du PG.A ma place, il aurait fait lamême chose.

Et puis, vous savez quoi ? Si

j'avais été du genre à medésengager de mon devoir pourplaire à mon petit ami, Ethanne se serait jamais intéressé àmoi.

Aussi, je me concentrai surma conduite afin d'éviter quemon irritation monte encored'un cran.

Quand j'arrivai à proximitéde la Maison Navarre, unimposant manoir blancflanqué d'une tourelle, je megarai sur la première place queje rencontrai.

Ethan se tourna vers moi etdéclara avec froideur :

— Si Jonah t'a appelée, je

suppose que Scott est aucourant des meurtres.

Scott Grey était le Maître dela Maison du même nom, latroisième Maison vampire deChicago.

— Je pense. Noah a dû leprévenir.

— Il sait, pour la GR ?—Non. Juste Jonah et moi.

Et maintenant toi.— C'est pour ça que Jonah

t'a contactée ?— Je ne crois pas. Il sait

qu'on enquête sur l'assassinatdes Solitaires. Ethan...

Je prononçai son prénom,ignorant comment poursuivre,

mais certaine que nousdevions parler. À cet instant, illeva la main pourm'interrompre. Très bien. Il nem'entendrait plus avant unmoment.

— Contentons-nous d'y aller,lança-t-il.

13

Démence J'empruntai l'allée au côté

d'Ethan. Son langage corporell'indiquait clairement : noustravaillions ensemble, rien deplus. Du moins tant que nousn'aurions pas vraiment parlé.

Et ce n'était pas le moment.Personne ne se tenait

derrière le bureau d'accueil

situé à l'entrée de la MaisonNavarre. Les trois jolies brunesqui recevaient habituellementles visiteurs avaient disparu.

On pénétra plus avant dansla demeure, où régnait unsilence sinistre chargé detristesse. Chaque Maisonpossédait son style propre.Grey évoquait un loft urbain,Cadogan dégageait un charmeeuropéen, tandis que Navarrese caractérisait par un décorlisse et moderne. Alors quel'extérieur de la bâtisseressemblait davantage à unchâteau de princesse qu'à un

antre de vampires, l'intérieurs'apparentait à une galeried'art. Les murs et le sol, demarbre luisant, se paraient çàet là de meubles et d'œuvresd'art.

Une foule de vampiress'étaient rassemblés au rez-de-chaussée, tous amassésderrière une ligne invisibleménageant un espace entreeux et les Maîtres, MorganGréer et Scott Grey. Les deuxhommes avaient les cheveuxbruns. Tandis que Scott, avecson torse puissant, sa tailleétroite et ses lèvres soulignées

d'un bouc, ressemblait à unancien athlète, Morgan avaitl'allure d'un top modelmasculin. Ses cheveux onduléslui arrivaient à présent auxépaules, et son beau visageaux pommettes hautes, aumenton volontaire et aux yeuxbleu foncé était à cet instantfigé en un masque de chagrin.

Notre relation ne s'était pasrévélée des plusépanouissantes, mais cen'était pas le moment des'attarder sur nos disputesmesquines. Il souffrait, et nousferions tout notre possible

pour l'aider. De plus, ladernière fois que Morganm'avait parlé, c'était pour mesauver la vie. Le soutenir encet instant était vraiment lamoindre des choses.

Jonah se tenait légèrementà l'écart. À l'instar de sonMaître, il portait un polo bleuet jaune, l'un des vêtements desport que Scott avait préférésaux médaillons pour identifierles vampires de sa Maison. Unhomme blond que je neconnaissais pas, mais que jesupposai être le Capitaine de laGarde de Navarre,

accompagnait le groupe.Ethan les salua d'un signe

de tête, traitant Jonah avecune royale indifférence, avantde déclarer :

— Toutes nos condoléances.Lorsque Jonah me jeta un

coup d'oeil interrogateur, jeme sentis incapable desoutenir son regard. Un poidsme pesait sur l'estomac. Je medisputais avec mon petit amiau sujet de mon nouveléquipier, lequel se trouvaitjuste devant nous.

— Que s'est-il passé ?demanda Ethan.

Morgan s'écarta, révélant les

corps de leurs camaradesgisant à côté de l'escalier,dans une mare de sang. Ils lesavaient recouverts d'un drap,leur rendant la dignité dont lesavait privés l'assassin.

— Deux de mes vampiresont été tués, annonça Morgan.La première s'appelle Katya.C'est la sœur de ma Seconde.

Mes lèvres s'entrouvrirent.Je ne connaissais pas Katya,mais j'avais déjà brièvementrencontré la Seconde deMorgan, Nadia, une femmemagnifique au chic européen.

— Je suis désolée, dis-je.Morgan accueillit mon

témoignage de sympathie avecun signe de tête.

— La deuxième victime estZoey, l'une des membres denotre équipe administrative.Elles étaient amies.

— Quand les avez-vousretrouvées ? s'enquit Ethan.

— Au crépuscule. C'est Will,notre Capitaine, qui les adécouvertes, ajouta Morgan enesquissant un geste endirection du blond auxcheveux bouclés qui se tenaità côté de lui.

— Peut-on les voir ?demanda Ethan en désignantles corps.

Will hocha la tête, l'airgrave, puis mit un genou àterre et repoussa le drap. Je nereconnaissais pas ces jeunesfemmes, mais, après tout,hormis Morgan et, autrefois,Célina, je n'avais guèrefréquenté les vampiresNavarre.

Katya avait des courbes plusgénéreuses que Nadia, de longscheveux noirs et des traitsangéliques. Elle portait ce quiressemblait à une tenue denuit, un négligé de satin rosepâle et des pantoufles àfourrure blanche. Zoey aussi

était vêtue d'un pyjama,composé d'un pantalon decoton et d'un débardeurassorti. Elle avait la peaufoncée et des cheveux plussombres encore, courts etfrisés.

Comme dans le cas d'Eve etOliver, le tueur avait séparé latête des victimes de leur corpsà l'aide d'une lame. Elles setenaient la main, leurs doigtstachés de sang entrelacés.

— Merci, dit Ethan.Will recouvrit les deux

jeunes femmes, mais leursvisages éteints restaientgravés dans mon esprit. Peut-

être devenais-je insensible, carle sang et la violence de lascène m'affectaient moins queles pantoufles aux pieds deKatya. Leur douceur et leurcôté enfantin inspiraient lacompassion et accentuaientd'une certaine manière labrutalité du meurtre.

— S'étaient-elles comportéesde manière étrange la nuitdernière ? Ou bien s'étaient-elles absentées un moment ?demanda Ethan à Will.

— Elles sont sorties,répondit Will. Elles ont passéla soirée au Red (il s'agissaitdu bar officiel de la Maison

Navarre) avec des amis puissont rentrées. Elles occupaientla même chambre. Personnen'a rien remarqué d'anormaljusqu'à ce qu'on les retrouveau coucher du soleil.

— Et leur chambre ?demandai-je doucement,m'attirant tous les regards. Jeveux dire, elles sont enpyjama. Soit on les a forcées àsortir, soit elles sont venuesici pour une raison ou pourune autre.

Will esquissa un légerhochement de tête, commepour approuver monraisonnement, avant de

préciser :— Leurs lits étaient défaits,

et la porte était entrouverte.La cuisine de la Maison setrouve ici, au rez-de-chaussée.Il est possible qu'elles soientdescendues pour chercherquelque chose à boire ou àmanger.

— Et le tueur attendait, endéduisit Ethan. (Willacquiesça.) Est-ce que voussavez si elles étaient mortesdepuis longtemps quand vousles avez retrouvées ?

Will se racla la gorge,visiblement mal à l'aise.

— Les corps étaient encore

tièdes. Le meurtre s'était doncproduit peu de tempsauparavant.

— Vous avez des caméras ?demandai-je.

— Nous avons un système devidéosurveillance, mais aucunenregistrement n'est effectué,répondit Morgan d'une voixque le chagrin rendait atone.Et nous n'avons pas depersonnel de sécurité externepermanent. Nous n'en avonspas besoin.

Il n'avait toutefois pas à sejustifier auprès de moi. Dureste, on ne pouvait pasvraiment affirmer que notre

sécurité externe s'acquittait àmerveille de sa tâche, cesderniers temps.

— Il semblerait donc que lemeurtre ait été perpétré justeaprès le crépuscule, conclutEthan. De quel genre desécurité disposez-vous à laporte ? Qui aurait pu entrer ?

— C'est un systèmebiométrique, répondit Will. Ilétait enclenché, et nous avonsobtenu la confirmation qu'ilfonctionnait. Aucuneeffraction n'a été signalée.

— Ce système garde-t-il enmémoire l'identité de ceux quipénètrent dans la Maison ?

s'enquit Ethan.— Non. Il n'enregistre pas

les informations. Il marche àla manière d'un verrou. Si vosdonnées correspondent à cellesdu serveur, la porte s'ouvre.

— C'était le choix de Célina,précisa Morgan. Elle ne voulaitpas que ses vampires aientl'impression de vivre dans unétat policier.

Ou alors, elle ne voulait pasque l'on puisse suivre les alléeset venues de ses amants et deses alliés secrets, songeai-je.

— Qu'analyse exactement lescanner ? demandai-je. Lesempreintes digitales ?

rétiniennes ?— Il est programmé pour

reconnaître les vampiresNavarre, répondit Morgan.

En dépit de son ton égal, ilvenait de prononcer des proposlourds d'implications. Et mêmetrès lourds. Les éclats detremble que nous avionsdécouverts sur le sol del'entrepôt nous avaientconduits à suspecterMcKetrick. Mais ce dernierétait humain, comme ledémontrait la conférence depresse qu'il avait tenue avec lemaire en plein jour, et, detoute évidence, il

n'appartenait pas à la MaisonNavarre.

Quatre vampires étaientmorts, assassinés par l'un desleurs... ce qui signifiait quenous avions affaire à un tueuren série muni de crocs.

J'échangeai un regardinquiet avec Ethan. Dieumerci, la colère qu'il éprouvaità mon égard ne nousempêchait pas de travaillerensemble. Ce constat suffit àme faire ressentir un éland'amour pour lui.

— Aucun membre de laMaison Navarre ne ferait unechose pareille, affirma Morgan,

comme s'il lisait dans nospensées.

— Sans vouloir te manquerde respect, si votre système desécurité fonctionne, seul unvampire Navarre a pucommettre ce meurtre, objectaScott.

Alors que Morgan ouvrait labouche pour protester, deséclats de voix s'élevèrent dansl'entrée.

Nadia, Seconde de Morgan etsœur de Katya, se précipitadans la pièce. Les joues rosiespar le froid, elle portait unjean, des bottes et un longsweat ample sous un manteau

qu'elle n'avait pas pris la peinede boutonner.

— Katya ! cria-t-elle entredeux sanglots en s'élançantvers le corps de sa sœur.

Morgan arrêta sa course enl'enlaçant étroitement et luimurmura à l'oreille quelquesmots qui m'évoquèrent durusse.

Depuis quand Morganparlait-il le russe ?

— C'est ma sœur ! hurlaNadia en se débattant. Lâche-moi !

Morgan ne desserra pas saprise sur elle, et elle finit parse blottir contre lui, sa rage se

muant en chagrin tandis qu'ill'embrassait sur la tempe,tâchant d'apaiser ses plaintesdéchirantes.

A ce qu'il semblait, Morganet sa Seconde étaient plusproches que je ne le pensais.

— Je l'emmène en haut,déclara Morgan avantd'escorter Nadia en directionde l'escalier.

Will les observa s'éloigner,puis se tourna de nouveau versnous, le désespoir gravé sur sestraits.

— Vous savez qui a fait ça ?Vous avez découvert qui a tuéces deux Solitaires ?

Je jetai un coup d'oeil àEthan, qui me donna sonassentiment d'un hochementde tête.

— Ces meurtres ressemblentà ceux d'Oliver et Eve,reconnus-je. Le modeopératoire est identique, et lescorps ont été positionnés de lamême manière. Oliver et Eveaussi se tenaient la main.

— Sauf que, cette fois, letueur n'a pas emmené lesvictimes dans un autre lieu,ajouta Jonah.

— Nous avons un momentsuspecté McKetrick, lenouveau Médiateur, avouai-je.

Mais c'est un humain, pas unvampire. Et si seuls desvampires Navarre peuventpénétrer dans la Maison...

— ... vous êtes dans de salesdraps, termina Scott.

Je n'appréciai pasparticulièrement sonintervention ni le ton qu'ilavait employé, d'autant qu'iln'avait pas vraiment participéà l'enquête ni proposéd'assistance. Heureusementque son Capitaine se montraitplus disposé à nous aider.

— Nous devons nous appuyersur les informations dont nousavons connaissance, ajouta

Ethan.— Vous allez vous en

occuper ? s'enquit Scott en setournant vers lui.

Ethan le considéra ensilence un moment avant dedemander :

— Will, pouvez-vous nousexcuser un instant, s'il vousplaît ?

Ce dernier hocha la tête ets'éloigna, nous laissant seuls,Ethan, Scott, Jonah et moi.Ethan s'approcha de nous,s'assurant que personned'autre n'entendrait sesparoles.

— Pourquoi ne pas

encourager Morgan à appelerla police ?

— Parce que la police faitpartie de l'administration qui aengagé McKetrick, répliquaScott, apparemment surpris dela proposition. Tu crois qu'ilsnous réserveraient untraitement équitable ? Tu nepenses pas plutôt qu'ils nousaccuseraient de raconter desinepties et sauteraient surl'occasion pour nous oppresserdavantage ? Ou encore qu'ilsen profiteraient pour répandrele bruit que c'est probablementun vampire qui a commis ces

crimes ?Je savais d'expérience que la

police de Chicago comptait desindividus tout à faithonorables, parmi lesquelsmon grand-père, mais Scottmarquait un point. Si Morganne se trompait pas enaffirmant que seuls desmembres de Navarre avaient lapossibilité d'entrer, celasignifiait que le meurtrierappartenait à la Maison. Ceque je trouvais presquedommage, car nous nedisposions d'aucune autrepreuve suggérant l'implication

d'un vampire Navarre.— Nous mettrons tout en

œuvre pour confondre le tueur,assura Ethan. Cela étant, nousne sommes pas là pour noussalir les mains à ta place et àcelle de Morgan. Nous avonsassez souffert desconséquences de cette ligne deconduite. Tu as une detteenvers notre Maison, etj'espère bien que tu vas t'enacquitter.

Le visage de Scott se crispad'une colère évidente ; il nedevait pas souvent subir detelles critiques. Mais Ethan nefaisait pas partie des Novices

de la Maison Grey. C'était déjàun vampire - et un Maître -alors que Scott n'était pasencore né.

Je pensais depuis longtempsque la mort prématuréed'Ethan l'avait transformé.L'avait rendu plus audacieux,peut-être. Son attitude actuelleprouvait que j'avais vu juste.Et puis, étant donné qu'il avaitcent pour cent raison, je nepouvais qu'approuver. Cadogann'avait pas pour fonction deservir Grey ou Navarre, et,même si nous désirions plusque tout arrêter le meurtrier,

j'appréciais qu'ils prennentnote que nous ne ferions plustout le travail à leur place.

Je décelais autre chose dansl'expression de Scott. Durespect. Il me donnaitl'impression d'être un hommedroit, franc et direct. S'iln'aimait pas particulièremententendre des véritésblessantes, une partie de luiadmirait peut-être la sincéritéd'Ethan.

— D'accord, finit-il par dire.— Dans ce cas, nous

laissons la Maison prendre sesdispositions, conclut Ethan.Nous te préviendrons, ainsi

que Morgan, si nous apprenonsde nouvelles informations.

Scott hocha la tête,acceptant le marché.

Sans accorder le moindreregard supplémentaire auMaître de Grey et à sonCapitaine, il tourna les talonset se dirigea vers la porte. Aumoins, il avait réussi à seretenir de défier Jonah ausujet de mon entrée dans laGarde Rouge. Je remerciaiintérieurement le ciel de cemiracle.

On quitta la Maison Navarreet le voile de deuil et de colèrequi l'assombrissait.

Malheureusement, cesémotions lugubres noussuivirent jusqu'à Cadogan.Ethan restait muté dans lesilence, et mon agacement nefaisait que monter. Monenrôlement dans la GardeRouge se justifiait tout à faitet était censé demeurer secret.En parler à Ethan aurait réduità néant l'intérêt de faire partied'une organisationclandestine.

Non que je ne comprennepas sa réaction. J'avaislonguement hésité à rejoindrela GR pour la raison exacte qui

expliquait sa colère : parce quece serait perçu comme unetrahison d'Ethan et de laMaison. Ce qui n'était pas lecas. J'en étais plus sûre quejamais. Mais cela ne diminuaiten rien la culpabilité qui mefaisait l'effet d'une pierre dansl'estomac.

Une fois sorti de la voiture,Ethan m'attendit pourfranchir le portail de la MaisonCadogan, sans toutefoism'adresser la parole.

— Tu informeras Luc ?demanda-t-il en pénétrantdans le hall.

— Bien sûr, répondis-je.

Avec un signe de tête, etsans un mot de plus, ils'éloigna vers son bureau.

Et moi qui croyais quel'atmosphère s'était détendue.Je supposai que la cessationdes hostilités ne s'appliquaitqu'au contexte des enquêtes demeurtre, et pas à celui de ladestruction de la Maison pardes subtilités contractuelles.

Mon estomac se noua àcette pensée, mais chaquechose en son temps. ANavarre, je n'avais pas eul'occasion de révéler à Jonahce qui s'était passé, et il devaitêtre mis au courant. Je sortis

donc sous le porche pourcomposer son numéro, décidéeà aller droit au but.

—Allô ?—Ethan est au courant pour

la GR. (Le silence s'installa aubout du fil, et je sentis ladéception de Jonah irradier àtravers mon téléphone.) J'aiété forcée de le lui dire. LaceySheridan m'a suivie jusqu'auphare.

— Elle t'a suivie ? Maispourquoi ?

— Parce qu'elle estamoureuse d'Ethan et chercheun moyen de se débarrasser demoi.

— Et alors, elle l'a trouvé ?— Je ne sais pas, confiai-je.

Il est en colère. La GRreprésente une sorte d'insultepour les Maîtres, et il l'a priscomme un affront.

— Ça explique les regardsmauvais qu'il n'arrêtait pas deme lancer à la Maison Navarre.

— Oui.— Merde, Merit. La nuit

s'annonçait déjà assez difficilecomme ça.

— Je sais. J'aurais préférééviter ça. Je ne démissionnepas, assurai-je. Je me suisengagée envers toi et la GR, etje suis sûre d'avoir pris la

bonne décision.— Et Ethan ?Il ne s'agissait pas vraiment

d'une question, mais je savaisexactement ce qu'il sedemandait : « Va-t-il nousdénoncer ? »

— Il ne révélera rien,affirmai-je. Il n'a personne àqui se confier, de toutemanière. Il ne va pas appelerDarius. Je lui ai dit que je nedémissionnerais pas. Je pensequ'il finira par se calmer - tu leconnais, il réfléchit toujoursen termes de stratégie -, maisil faut patienter un peu.

Une boule se forma dans

mon ventre tandis quej'envisageais le pire scénariopossible, à savoir qu'Ethann'accepte pas monengagement et mette un termeà notre relation.

Je rejetai toutefois cetteéventualité. Ethan m'aimait ;il n'allait pas me quitter justeparce qu'il désapprouvait l'unede mes actions, d'autant quecelle-ci était motivée par denobles intentions et visait àaider la Maison.

Malheureusement, Ethann'était pas la seule personneimpliquée dans ce mélodrame.Lacey s'y était insinuée.

J'espérais que sa colère ne lepousserait pas à entreprendreavec elle quelque chose qu'ilregretterait plus tard.

— Et Lacey ?— Elle croit que toi et moi

sommes amants. Ethan a euune petite conversation avecelle ce matin. Je suppose qu'ila essayé de la détromper.

— Il faudra que j'en parleaussi à Noah, ajouta Jonah.En théorie, tu as étédémasquée. Etant donnéqu'Ethan ne fait plus partie duPG, ça ne posera peut-être pastrop de problème. Mais nousdevons évaluer les risques.

Un poids m'oppressa lapoitrine. Il ne m'avait pastraversé l'esprit que ce queLacey avait vu ou ce quej'avais confessé à Ethanpourrait me valoir d'êtreexclue de la GR.

Cette nuit s'annonçait demieux en mieux.

— Merit, attends uneminute, d'accord ?

A peine avait-il terminé saphrase que j'entendis un «clic»,puis plus rien. Jonah avait dûprendre un autre appel. Quinzeou vingt secondes s'écoulèrentavant qu'il revienne vers moi :

— J'ai peut-être une solution

pour votre Maison.Une bouffée d'espoir

m'envahit.— Ah bon ? Laquelle ?— Le contact de la GR qui

m'a donné le tuyau au sujet ducontrat affirme que les choixde Darius soulèvent pas mal decritiques. La situation estdélicate, très délicate, maiselle y travaille.

— Elle y travaille ?Comment ça ?

— On a quelqu'un àl'intérieur du PG.

Mes yeux devaientressembler à des soucoupes.

— Vous... Quoi ?

— Un membre bienveillant ànotre égard, mais c'est tout ceque je peux te révéler pourl'instant. Laisse-moi discuterde tout ça avec elle, et je t'endirai davantage plus tard. Je terappelle dès que possible.

— D'accord. Et je suisdésolée. Pour tout.

— Ce sont des choses quiarrivent. Après, il faut seressaisir et repartir au combat.

Il avait tout à fait raison.Une fois que j'eus raccroché,

je retournai à l'intérieur de laMaison. Une partie de moibrûlait d'envie de courir dansle bureau d'Ethan pour le

supplier de me pardonner.Cependant, il ne m'avait pasinvitée à le suivre, et je nem'attendais pas à être labienvenue. Il avait sans doutesuffisamment de problèmes àgérer pour ne pas vouloiraffronter la trahison présuméede sa petite amie.

J'optai pour une visite à lasalle des opérations, maism'arrêtai en haut de l'escalieren entendant mon nom. Je meretournai. Michael Donovan setenait dans le couloir, près dubureau d'Ethan.

— Vous allez bien ? medemanda-t-il, les sourcils

froncés. Vous semblez pâle.Enfin, plus pâle qued'habitude.

— La nuit a été longue. Jesuppose que vous êtes en pleinbrainstorming ?

Il souleva une bouteille deSang pour sang.

— Oui. On étudie lescontrats en espérant trouverun moyen de déjouer lesprojets de Darius.

Je hochai la tête.— Je dois descendre. Bon

courage.— Bon courage à vous,

répliqua-t-il en agitant la mainavant de disparaître dans le

bureau d'Ethan.Quand je franchis le seuil de

la salle des opérations,l'ambiance me sembla presqueaussi maussade que ma proprehumeur.

Juliet et Luc, assis côte àcôte à la table de conférence,vérifiaient les procéduresd'évacuation de la Maison.Malheureusement, celan'indiquait rien de très positifquant à nos chances derésister à Darius quand ilreparaîtrait avec sa bande demercenaires.

Lindsey, installée devantl'une des stations

informatiques, tourna vers moiun regard inquiet quand jepassai la porte. Je présumaique je dégageais une magiedésagréable, compte tenu demon état d'esprit.

— C'était comment ?s'enquit Luc.

— Comme tu peuxl'imaginer quand deuxvampires ont été assassinés.

Je me dirigeai vers letableau blanc, sur lequelj'ajoutai les noms de Katya etZoey, m'excusantintérieurement de ne pas avoirarrêté le tueur avant que safolie s'abatte sur elles.

— Le nombre de victimes adoublé, et ni Navarre ni Greyne sont vraiment en mesure denous aider.

— Il faudrait déjà qu'ils leveuillent, maugréa Luc,remarque qui m'arracha unpetit sourire.

— Tu seras sans doute ravid'apprendre que Scott s'est faitremonter les bretelles parEthan pour nous laisser fairetout le sale boulot.

Luc s'appuya au dossier desa chaise, l'air satisfait.

— Bien. Il l'a cherché. Dis-moi ce que tu sais sur cesmeurtres.

J'acquiesçai.— Je vais appeler Jeff pour

que nous analysions les faitsensemble, proposai-je avant decomposer son numéro sur letéléphone de la table deconférence.

— Milady, répondit-il.— C'est Merit et le gang de

la salle des opérations.— Chaque fois que tu

m'appelles de la salle desopérations, c'est pourm'annoncer de mauvaisesnouvelles.

—Triste, mais vrai,reconnus-je en m'asseyant entailleur sur ma chaise. (Si je

devais me sentir pitoyable,autant être confortablementinstallée.) Deux vampiresNavarre ont été tuées. La sœurde Nadia, Katya, et son amieZoey. Elles ont été retrouvéesce soir au rez-de-chaussée dela Maison Navarre. Elles ontété décapitées toutes les deux,et elles se tenaient la main.

Un silence suivit ceténoncé. Luc effectua un signede croix, comme pour honorerla mémoire des victimes.

— Ça ressemble à notrehomme, déclara Jeff.

— En effet, approuvai-je. Lamême méthode a été

appliquée, jusqu'à ladisposition des corps.

— Il tue toujours par paire ?s'étonna Luc.

— Il semblerait, répondis-je.— Mais ses proies ne sont

pas toutes de la mêmeaffiliation, précisa Lindsey ense détournant de sa stationinformatique. Deux Solitairesd'abord, puis deux vampiresNavarre.

— Cela étant, il a choisi sesvictimes au hasard danschacun de ces groupes,ajoutai-je. Je veux dire, rienne suggère qu'il ait visé cespersonnes en particulier.

— Il visait les groupes, endéduisit Juliet.

—Peut-être, concédai-je avecun haussement d'épaules.J'ignore si ça a unequelconque importance, maisle meurtre de la MaisonNavarre ne semble pas lié àune procédured'enregistrement. Katya etZoey se trouvaient à l'intérieuren pyjama quand elles ont ététuées. Ça ne correspond pas auprofil d'un vampire qui auraitvoulu punir Eve et Oliver àcause de leur choix de se faireficher. Oh, et les membres de

Navarre sont les seuls à êtreautorisés à pénétrer dans laMaison en dehors des horairesd'ouverture. La porte d'entréeest munie d'un système desécurité biométrique.

— Biométrique ? répéta Jeff.C'est sophistiqué. Du moinspour une Maison.

— Doit-on comprendre quetu ne sais pas comment cesystème fonctionne ? demandaLuc.

— En général, ce genred'appareil scanne lesempreintes digitales ourétiniennes, mais dans ce casprécis, je ne suis pas sûr. Cela

dit, en théorie, Merit a raison :l'identification biométriquereprésente une solide mesurede sécurité. Je veux dire, il estplus facile de voler ouéchanger un passe qu'un œil.

— Donc seul un vampireNavarre a pu commettre cemeurtre, en déduisit Luc.

— On dirait bien, approuvaJeff. Mais je vais contacterNavarre.

— Merci, déclara Luc. Nousverrons bien ce qu'ilsfournissent commeexplication, mais si c'est unvampire Navarre qui a fait lecoup, ça lève les soupçons sur

McKetrick.— Pour le meurtre,

reconnus-je. Il n'en demeurepas moins que nous avonsretrouvé du tremble sur lapremière scène de crime.

— Il n'y avait pas de trembleà Navarre ? s'enquit Luc, lessourcils froncés.

— Je n'en ai pas vu. Et ilaurait été difficile de lesmanquer, sur le marbre. Letremble ne se trouvait pas làpar hasard, à l'entrepôt. Si cen'est pas McKetrick qui acommis les meurtres, peut-êtrequ'il entretient des liens avecle tueur ? Et s'ils étaient

complices ?— Cela paraît peu probable,

si l'assassin est un vampireNavarre, objecta Luc.McKetrick n'aime pas lesvampires.

— Et personne n'aime lesvampires Navarre, marmonnaLindsey. (Renonçant à fairesemblant de travailler, ellequitta sa station informatique,tira une chaise et s'assit avecnous à la table de conférence.)Peut-être que le tueur est unvampire qui déteste McKetrick.Si ça se trouve, il a mis lamain sur cette arme et prendautant de plaisir à

compromettre McKetrick queMcKetrick en prend à nouscompromettre.

Je hochai la tête. Sonraisonnement paraissaitlogique. Hélas, nous n'avionsaucune preuve pour l'étayer.

— J'ai fait quelquesrecherches pendant que vousdiscutiez, intervint Jeff. J'aidécouvert des informations quidémontrent que ce n'est pasMcKetrick qui a commis cesmeurtres. Du moins pas enpersonne.

— Ça, c'est du rapide,commenta Luc.

— Je suis allé faire un tour

sur son site Internet officiel,juste pour me marrer, et il setrouve qu'il a un alibi. D'aprèsles nombreuses photos qu'ilsont postées sur le web sansaucune sensibilité artistique, ilassistait à un pince-fesses debienfaisance avec DianeKowalczyk.

— Aucune chance que lesphotos aient été truquées ?

— Laisse-moi vérifier,répondit Jeff. Je vais les faireanalyser par un programmequi détecte la manipulationd'image. Bip bip bop bop.

J'échangeai des regardsperplexes avec Luc, Juliet et

Lindsey, puis plissai les yeuxdevant le téléphone etdemandai :

— Pardon, Jeff, mais est-ceque tu viens de dire « bip bipbop bop » ?

— Effets sonores del'ordinateur, répondit-il,comme s'il énonçait uneévidence. Voilà. C'est terminé.Bon, je n'en ai vérifié qu'une,mais je peux d'ores et déjàaffirmer que Diane a subiquelques petites retouchesnumériques.Malheureusement, les portraitsde McKetrick n'ont pas étémodifiés. Ce ne sont pas des

copier-coller rajoutés àl'image, ce qui signifie qu'il setrouvait bel et bien là avecelle. Désolé.

— Attends, quel genre deretouches ? demanda Lindsey.

Elle adorait les potinsmondains et avait déjà fait lacouverture d'un tabloïd deChicago à cause de son stylebranché. Ce qui n'avait pas dutout amusé Luc.

— Restons concentrés,reprit Luc. Et ne t'excusejamais d'avoir découvert desfaits. Nous nous posions desquestions sur le rôle joué parMcKetrick, et tu viens de nous

aider à écarter cette piste.Étant donné qu'il possède unalibi, nous ne perdrons pasnotre temps à creuser danscette direction. C'est biendommage, pourtant. J'auraisvraiment aimé l'épingler pourun bon vieil homicide.

Si Luc n'avait pas été unvampire âgé d'une centained'années, j'aurais dit qu'ilboudait, à en juger d'après sonexpression.

— Ça nous laisse sanssuspect, déclara Juliet.

— C'est vrai, concédai-jeavec regret.

— Qu'est-ce qu'on sait ?

s'enquit Luc en étudiant letableau blanc.

— Est-ce qu'on aurait déjàrepéré un individu louche ausein de la Maison Navarre ?interrogea Lindsey enexaminant elle aussi leséléments que nous possédions.

— Pas pour l'instant,répondis-je. Mais on encherche un. Quelqu'un quichoisit ses victimes par paire,qui utilise toujours le mêmemode opératoire et dispose lescorps de la même façon. Lefait qu'il s'en soit pris à desvampires non affiliés, puis àdes vampires affiliés, semble

montrer qu'il veut dépasser lafrontière Maisons-Solitaires.

— Ou alors, qu'il va de plusen plus loin, suggéra Jeff.

Luc acquiesça, satisfait denotre conclusion.

— Bon raisonnement. Unprofil ?

Je réfléchis, les sourcilsfroncés. Si j'étais ce type etavais commis ces crimes, quelgenre de personne serais-je ?

— Il est intelligent,répondis-je. Et il a tendance àse mettre en avant. Il acommencé par tuer dans unbâtiment abandonné, puis àl'intérieur de la Maison

Navarre, en laissant les corps àla vue de tous. Il estméthodique. Il aime mettre enscène.

Luc tapota sur la table dubout des doigts.

— Ça me semble un bonprofil, sauf que nous n'avonsaucune information pour leconfirmer ou l'infirmer. (Ilabattit sa main sur la table.)Et c'est notre boulot. Trouvez-moi des éléments avant qu'ildécide de s'en prendre à laMaison Cadogan. Je vaiscontacter Will à Navarre. Jene pense pas que nouspourrons obtenir des

entretiens avec les vampiresNavarre étant donnél'ambiance qui règne là-bas,mais ça vaut le coup dedemander. Et peut-être qu'ilpourra nous indiquer quelquesNovices mentalement instablessusceptibles de correspondre ànotre profil. MonsieurChristopher, je crois que nousavons terminé pour l'instant.Merci de ton aide.

— Pas de quoi, répondit Jeffavant de raccrocher.

Je me tournai vers letableau, puis me levai pourrayer McKetrick de notre listede suspects. J'ignorais dans

quelle direction nous devionschercher à présent, maisj'avais le mauvaispressentiment que d'autrescorps seraient retrouvés avantque nous découvrions l'identitédu meurtrier.

Quand j'eus contemplé le

tableau pendant plus d'uneheure, tracé et effacé deslignes droites et en pointillésentre des faits qui semblaientliés, Luc me suggéra de faireune pause pour rendre unepetite visite à Ethan. Ilparaissait convaincu que nousavions besoin d'une bonne

discussion et pensait que lemilieu d'une crise était lemoment approprié.

— D'ailleurs, tu veux biennous dire ce qui a bien pu sepasser entre notre Maître adoréet toi ce soir ? me demanda-t-il.

Tous les yeux de la salle desopérations se tournèrent versmoi. Mes jouess'enflammèrent.

— Je ne vois pas de quoi tuparles.

Luc me dévisagea unmoment, puis secoua la tête :

— Sentinelle, ne joue pas àça avec moi.

— C'est un adage cow-boy ouune réplique de film ?

Luc adorait le cinéma etn'arrêtait pas de citer despassages de ses films préférés.

— C'est un adage filmique,répondit-il avec dédain. Et à laprochaine soirée ciné, tu vast'asseoir et regarderRoadhouse comme une bonnepetite vampire, sinon jemettrai un joli blâme dans tondossier. (Il agita la main,signifiant que notreconversation était terminée.)Quoi qu'il en soit, je maintiensce que j'ai dit. Va lui parler.

— On est en pleine dispute.

Lindsey poussa un soupiravant de déclarer :

— Sans vouloir te vexer,Merit, le gros nuage chargéd'ondes négatives qui plane au-dessus de cette Maison nousl'avait déjà clairement faitcomprendre.

Je grimaçai.— Un gros nuage chargé

d'ondes négatives ?— Il y a une puissante

alchimie entre Ethan et toi,mais vous dégagez aussiénormément de magie. Quandtout va bien, c'est-à-dire quandvous le faites régulièrement, etne me regarde pas comme ça,

une atmosphère agréable etjoyeuse règne dans la Maison.Quand vous êtes énervés, ungros nuage noir nous arrosed'ondes négatives qui nousmettent le moral à zéro.

— Je crois que tu exagèresun peu.

Elle secoua la tête, sûred'elle.

— Tu dis ça parce que tu nele sens pas. Tu baignes déjàdans l'angoisse existentielle.Le problème, c'est que tu nouséclabousses. (Elle fit semblantde frissonner.) On croiraitnager dans le torrentémotionnel d'une crise d'ado.

— Et tu penses vraiment quela cérémonie du PG et le risquede perdre la Maison n'ont rienà voir là-dedans ?

—Seulement à hauteur detrente-cinq ou quarante pourcent, répondit Luc. Tout lereste, c'est vous.

Le fait qu'ils me jugentresponsable de soixante pourcent de la morosité ambiantene m'apparaissait pas vraimentcomme une marque deconfiance. Cela étant...

— Quoi qu'il en soit, ilstiennent un conseil de guerre,là-haut. Ils sont totalementconcentrés sur la Maison et la

recherche de solutions pour nepas la perdre. Je préfère ne pasdéranger Ethan tant que ceproblème n'est pas résolu.

— Très bien, soupira Luc.Laisse-le se calmer, si tupenses que ça vaut mieux.Occupons-nous des meurtresici en bas pendant que lesautres planchent sur la Maisonen haut. (Il gloussa, puis melança un regard curieux.) Tesparents ont de l'argent, non,Sentinelle ? Quand tu étaispetite, est-ce que vous viviez àl'étage, au-dessus desdomestiques ?

Mon père, directeur de Merit

Properties, comptait parmi lesplus puissants promoteursimmobiliers de Chicago. Nousentretenions des relationsexécrables, notamment parcequ'il aurait souhaité avoir unefille différente de celle quej'étais.

Et aussi parce qu'il avaitsoudoyé Ethan pour leconvaincre de me transformeren vampire.

Ethan avait décliné sonoffre, mais la manœuvre demon père, typique de son styledictatorial, n'avait pascontribué à nous rapprocher.

En général, je détestais que

l'on évoque mes parents, maisles mots de Luc déclenchèrentune réaction en moi. Un flashse produisit dans mon esprit,et je dévisageai Luc un longmoment.

— Oh, désolé, Sentinelle,s'excusa-t-il avec une grimace.Je sais que c'est un sujetdélicat.

— Je ne suis pas fâchée,assurai-je avant de me tournervers le tableau blanc. Jepensais à l'immobilier.

Nous avions identifié lesendroits où Oliver et Eveavaient été vus pour ladernière fois - le centre

d'enregistrement - et où leurscorps avaient été retrouvés -l'entrepôt. Mais nous n'avionspas creusé davantage.

— Le bâtiment où Oliver etEve ont été découverts, dis-jeen l'entourant sur le panneau.L'entrepôt. Jeff n'a pas réussià dénicher le nom dupropriétaire.

— Alors ?Je rebouchai mon marqueur,

avec lequel je tapotai letableau.

— Oliver et Eve ont ététrouvés dans une pièce secrète.James, l'un des amis de Noah,n'a localisé cet endroit que

grâce à l'odeur du sang. Maiscomment le tueur pouvait-ilavoir connaissance de cettecachette ? Peut-être a-t-il unlien avec l'entrepôt.

— Il semble peu probableque quelqu'un se débarrassed'un corps sur un terrain quilui appartient, sachant qu'ilest facile de remonter jusqu'aupropriétaire.

— C'est vrai, convins-je.Mais l'assassin n'est pasforcément le propriétaire. Cepourrait être un ancienemployé devenu vampire.

— Vampire Navarre, précisaLuc.

— Encore mieux. La listedes personnes associées à cebâtiment et membres deNavarre ne doit pas être bienlongue.

— D'accord, approuva Luc.Mais Jeff a affirmé qu'iln'avait pas retrouvé d'actes depropriété.

— C'est vrai, mais ilsexistent forcément, même siJeff ne peut pas y accéder.D'un autre côté, je suis prête àparier que mon père peutobtenir à peu près tout ce qu'ilveut. Je pourrais aller luiparler.

Le silence s'abattit sur la

salle tandis que les autresconsidéraient la gravité de maproposition.

— Tu es sûre d'en avoirenvie ? insista Lindsey avecune grimace.

— Je suis sûre de ne pas enavoir envie, mais il faut bienque je fasse quelque chose. Jene veux pas rester les brascroisés à me demander si onva perdre la Maison demain...ou si un autre meurtre va êtrecommis.

— Tu sais, Sentinelle, si onm'avait dit que tu tourneraisaussi bien, je ne l'aurais pascru.

Me prouvant son amitié,Lindsey lui donna un coup depoing dans le bras qui luiarracha un cri de douleur.

14

Patronage parental Mon père et ma mère

vivaient à Oak Park, banlieuede Chicago réputée pour sesconstructions conçues parl'architecte Frank LloydWright et ses belles demeures.Le domicile de mes parentsn'appartenait pas à cettedernière catégorie, du moins

d'après moi. Il s'agissait d'unbloc de béton posé comme uneverrue au beau milieu debâtisses de brique et de boispoli de style Prairie. Jecomprenais parfaitementpourquoi les voisins avaientpiqué une crise quand mesparents leur avaient montréles plans.

Ce soir-là, brisant le calmeet la tranquillité habituels duquartier après le crépuscule,des hommes vêtus de tee-shirts« J & fils déménagement »transportaient hors de lamaison quelques-uns des

meubles de la collectionfamiliale en direction de leurcamion.

— Vous déménagez ?Le rire de ma mère tinta à la

manière d'un carillon.— Bien sûr que non. On

change juste un peu ladécoration.

Ça ne m'étonnait pas outremesure. Mon père possédaitbeaucoup d'argent, et ma mèreadorait le dépenser.

— La nuit ?— Ils avaient deux heures de

retard, et j'ai dit à leurresponsable que je ne leslibérerais pas tant qu'ils

n'auraient pas terminé.Et voilà à quoi ressemble la

vie des riches, pensai-je. Lascène témoignait également dela quantité de meubles quemes parents avaient amassée àl'intérieur de leur cube debéton.

— Pourquoi Pennebakern'est-il pas dehors ?

Pennebaker était lemajordome maigre et vieux jeude mon père. C'était sansdoute la personne que j'aimaisle moins dans cette maison, cequi en disait long à son sujet.

— Il se trouve qu'il est àl'opéra, ce soir. C'est son

anniversaire. Je suppose quetu n'as pas pensé à lui envoyerune carte ?

— Non.L'air pincé de ma mère

m'indiqua très précisément lejugement qu'elle portait surcette entorse à l'étiquette. Elletourna les talons pour entrerdans la demeure, et je la suivisdocilement.

— Pourquoi est-ce que vousrefaites la décoration ?

— Parce qu'il est temps.Rien n'avait changé depuisquinze ans, et j'avais envied'insuffler un peu de vie àcette maison. (Elle s'arrêta

pour me regarder.) Est-ce quetu es au courant que Robert etsa femme attendent un autrebébé ?

Robert était mon frère,l'aîné des enfants Merit.

— Non, je ne savais pas. Tules féliciteras de ma part.Quand la naissance est-elleprévue ?

— En juin. C'est trèsexcitant. Et cette maison n'estpas vraiment l'endroit idéalpour accueillir des petits-enfants, tu ne crois pas ?

Elle posa les mains sur seshanches et regarda autourd'elle. Elle n'avait pas tort :

cette maison n'était pasl'endroit idéal pour accueillirdes petits-enfants.Monochromatique, elle étaitexclusivement composée debéton et regorgeait d'anglessaillants. Cela étant, les autrespetits-enfants de mes parentsl'avaient toujours connueainsi, et ils avaient survécu.

— Si tu le dis, répondis-jesans la contredire. Est-ce quepapa est là ? Il faut que je luiparle.

— Il est là, oui, et il seraheureux de te voir. Nous nevivrons pas éternellement, tusais. Tu devrais songer à lui

donner une chance.Je lui avais donné de

multiples chances. Certes,avant qu'il essaie de corrompreEthan, mais là n'était pas laquestion.

— Je dois juste lui parler,me contentai-je de dire, nesouhaitant pas m'engageroutre mesure.

Elle m'accompagna dans lecouloir muré de béton jusqu'aubureau de mon père, où lesvelléités de changement de mamère avaient déjà laissé leurtrace.

La maison, autrefois bastionstrict et stérile du

modernisme, évoquait àprésent le décor des pagescentrales d'un magazine dedesign italien. Une moquettepâle couvrait le sol de cimentet un chandelier de verreteinté éclairait la pièce. Despeintures contemporainesornaient les murs. Mon pèrepossédait sans doute cestableaux avant que ma mèretransforme cet endroit, maisils apparaissaient sous un journouveau dans cet espace àprésent plus lumineux et plusgai.

Mon père, en revanche,

détonnait dans ce décor.En dépit de l'heure tardive,

il portait un costume noir. Ilse tenait au milieu de la pièce,courbé au-dessus d'un club degolf sans aucun doute hors deprix et conçu sur mesure.Quelques mètres plus loin, unverre de cristal était posé ausol, prêt à recevoir la balle.

Il prépara son coup puis,d'un mouvement fluide,décrivit avec ses bras un arcde cercle parfait, envoyant laballe traverser la moquette endirection du trou à l'extrémitédu green imaginaire. Dans untintement, elle percuta les

parois intérieures du verre.Ce n'est qu'une fois qu'il se

fut penché pour prendre laballe dans le creux de sapaume qu'il leva les yeux surmoi.

— Regarde qui est là,Joshua, dit ma mère enexerçant une pression sur mesépaules. (Elle saisit une tassede café qui traînait sur lebureau avant de se diriger versla porte.) Je vous laissediscuter.

— Merit, me salua mon père.— Papa.Il glissa la balle dans sa

poche.

— Que puis-je faire pourtoi ?

Je fus agréablementsurprise. D'habitude, ilcommençait ses conversationsavec moi par des insultes oudes accusations.

— J'aurais besoin d'unservice.

— Ah bon ?Il plaça son club dans un

grand vase en céramique quise dressait dans un coin de lapièce.

— Je me demandais si tupouvais obtenir desrenseignements au sujet d'unentrepôt de Little Italy.

Après avoir rangé ses jouets,mon père s'assit derrière unénorme bureau qui semblaitcomposé de débris de boisrecyclés.

— Qu'est-ce que tu veuxsavoir ?

Cartes sur table, songeai-je.— Il est possible que le

propriétaire ou un individu liéà ce bâtiment soit impliquédans le meurtre de deuxvampires.

— Et tu n'as pas trouvécette information surInternet ?

— Non.Il me décocha un regard

sceptique.— Je considère la

responsable du cadastrecomme une amie, et je netiens pas spécialement à luicauser du tort en utilisant lesrenseignements qu'elle meconfie pour accuser quelqu'unde meurtre.

J'insistai :— Elle n'a pas besoin de

savoir à quoi va nous servir cerenseignement.

— « Nous », répéta-t-il. Toi etEthan ?

Je hochai la tête. Mon pèreet moi n'avions pas parléd'Ethan - ni de quoi que ce soit

d'autre - depuis que ce dernierétait revenu d'entre les morts.

— J'en déduis qu'il va bien.— Oui.— Tant mieux. Je suis

heureux de l'entendre.Son soulagement semblait

sincère. Étant donné quec'était lui qui avait suscitél'animosité entre Célina etEthan qui avait abouti audécès brutal de celui-ci, il sesentait sans doute coupable,du moins quelque part au fondde lui.

Ce n'était pas que je croyaismon père insensible; il n'étaitpas indifférent aux sentiments

de ses semblables, mais était siabsorbé par ses propres désirsqu'il manipulait les genscomme des pions afin d'obtenirce qu'il voulait... même s'ilétait persuadé agir dansl'intérêt des autres.

Il leva les yeux sur moiavant de déclarer :

— Toi et moi n'avons pasparlé. De ce qui s'est passé, jeveux dire.

— Nous en avonssuffisamment parlé.

Mon estomac se noua,comme souvent lorsque monpère suggérait que nousdevions discuter. Ce genre de

conversations se terminaitrarement bien pour moi.

— Avons-nous suffisammentparlé pour que tu apprennescertains faits ? Peut-être. Maistoute la vérité ? Probablementpas.

Il contempla une rangée deportraits disposés sur sonbureau et s'empara d'un petitcadre argenté. Je savais quellephoto il contenait : celle de lapetite fille que j'aurais dû avoirpour grande sœur, la premièreCaroline Evelyn Merit.

— Elle n'avait que quatreans, Merit. Ça a été un miracleque ta mère et ton frère

réussissent à s'extirper de lavoiture après l'accident, maisce miracle n'a pas suffi à lasauver, elle. (Sa voix étaitchargée de mélancolie.) C'étaitune enfant si gaie... si joyeuseet pleine de vie... Quand elle adisparu, je crois qu'une partiede nous s'est éteinte avec elle.

Je compatissais. J'imaginaiscombien il devait être difficilede perdre un enfant, de le voirmourir, surtout si jeune.

Mais Charlotte et Robertavaient traversé cette épreuve,eux aussi, et ils avaient eubesoin de mes parents.

— Quand tu es née, nous

étions si heureux... Nousavons essayé de te donner lavie que nous n'avons pas pu luioffrir.

Mon père était animé del'intime conviction qu'ilpouvait contrôler et façonnerle monde qui l'entourait. Ilavait grandi dans la privation,pensait-il, car mon grand-pèrene rapportait à la maisonqu'un salaire de policier. Lasolution ? Créer l'une des pluspuissantes entreprises deChicago.

Je représentais le remède àla mort de Caroline. J'étaisdestinée à me substituer à elle,

jusqu'à porter son nom, raisonpour laquelle je me faisaisencore à ce jour appeler Meritau lieu de Caroline. Mais cefardeau était injuste, et bientrop lourd pour une petite fille.

— Je ne la remplaceraijamais. Je n'ai jamais pu. Ettu as décidé de faire de moiune immortelle... sans medemander ce que moi, jevoulais.

Il reposa la photo et medévisagea avec un regard quiavait retrouvé une certainefroideur.

— Tu es obstinée, commeton grand-père.

Je ne relevai pas soncommentaire, ne leconsidérant pas comme uneinsulte.

Mon père rangea leséléments de son bureau afin deles aligner de façon parfaite.

— Je devrais pouvoir obtenirl'information que tu medemandes, ajouta-t-il.

Le soulagement mesubmergea.

— Merci, dis-je avec gravité,espérant qu'il ne douterait pasde ma gratitude.

Je m'emparai d'un stylo etd'un calepin sur son bureauafin d'écrire l'adresse de

l'entrepôt, puis les reposai.Mon père contempla le bloc-

notes en silence quelquesinstants, la tête penchée,comme s'il était en proie à undébat intérieur.

— Garde cependant à l'espritque j'approche de la retraite,Merit. Ton frère prendrabientôt la relève. Je ne comptepas le condamnerimmédiatement à l'échec endisposant les pions de cetteville contre lui. Alors,j'aimerais que tu me rendes unservice, toi aussi.

Je trouvai sa demandepresque rassurante. Cette

requête - comme tant d'autreschoses - me rappelait que,concernant mon père, rienn'était gratuit. Nous étions deretour en terrain familier,avions retrouvé un schémabien défini.

— Quel genre de service ?— Il y a quelque temps, tu

as affirmé être d'accord pourrencontrer Robert. J'aimeraisque tu donnes suite à cettepromesse.

Je connaissais également cerefrain. Mon père étaitpersuadé que nouer desrelations avec une Maisondonnerait à Robert plus de

chances d'assurer le succès del'entreprise familiale.

— D'accord.Mon père haussa les

sourcils.— C'est tout ? Aucune

protestation ?— C'est mon frère, me

contentai-je de répondre. Et tuas raison : je m'y étaisengagée. Mais si tu escomptesdes bénéfices politiques, jepréfère te prévenir que ce n'estpas en rencontrant desvampires qu'il s'attirera lesbonnes grâces des humains.Nous ne sommes pas trèspopulaires, en ce moment.

— Peut-être pas, déclara-t-il.Mais tu es populaire parmiceux de ton espèce.

— Et quelle est « monespèce », exactement ?

— Les surnaturels et toutça, répondit-il avec un gestedésinvolte.

Je me mordis la langue pourne pas réagir à ce stéréotype.Après tout, il nous accordaitune faveur.

— Existe-t-il un marchépour toi parmi les populationssurnaturelles ?

— Je n'en suis pas sûr.Cependant, étant donné quecette ville semble abriter un

nombre non négligeable desurnaturels, nous pensons quecela vaut la peine de nous yintéresser.

Je ne lui confiai pas quetous les vampires vivant à laMaison Cadogan chercheraientpeut-être de nouveauxlogements dans un futur trèsproche. D'ailleurs, il fallait queje me remette au travail.

— Je ne te dérange pas pluslongtemps, déclarai-je. Dis àRobert de m'appeler, s'il teplaît.

Je quittai son bureau sansme retourner pour voir si unsourire victorieux flottait sur

ses lèvres. Mais j'aurais pariéune belle somme là-dessus.

Je considérais ma visite au

camp Merit comme un succès,mais il n'entraînerait pas derésultats immédiats. Même simon père dénichait desrenseignements sur lapropriété, rien n'assurait queceux-ci se révéleraient utiles.

De plus, il se faisait tard ; leservice du cadastre devait êtrefermé depuis longtemps.

Après avoir dit au revoir àma mère, je m'engouffrai dansma voiture et restai unmoment devant le domicile

familial pour réfléchir auxdémarches à entreprendreensuite, indifférente au faitque ma vieille Volvo orangedevait déprécier la valeur de lamaison à chaque minute quipassait. Je pouvais retourner àla salle des opérations et ausentiment d'inutilité qui yrégnait, ou alors au bureaud'Ethan, qui ne débordait pasnon plus d'espoir à cet instant.

Vérifiant mon téléphone, jene trouvai aucun message, cequi me serra un peu le cœur.Je ne m'attendais certes pas àce qu'Ethan évacue soudain

toute colère et se réjouisse quej'aie intégré une sociétésecrète, mais un petit motm'aurait fait plaisir. Même sije savais bien que d'autressoucis l'accaparaient. LaMaison, par exemple.

Et peut-être que là résidaitla solution.

La GR jouait un rôleprécieux. J'en étais persuadée.J'avais vu ses membres enaction. Ils m'avaient plusieursfois tirée du pétrin et nousavaient fourni une informationcruciale sur la manière dont lePG comptait nous attaquer,même s'ils avaient sous-estimé

la scélératesse desreprésentants de cetteorganisation.

Si mes relations avec la GRpermettaient de sauver laMaison, cela ne résoudrait-ilpas tous nos problèmes ? Sij'aidais les vampires Cadogan àconserver leur foyer de cettefaçon, peut-être Ethanprendrait-il conscience de lanécessité et de l'honorabilitéde la GR et ne la verrait pluscomme un groupe déterminé àsaper son autorité. Alors, il neconsidérerait plus le fait quej'aie rejoint les rangs de la

Garde Rouge comme unetrahison.

Je fermai les yeux etappuyai ma tête contre ledossier de mon siège. Oui, etpeut-être que, comme Malloryme l'avait dit un jour, desleprechauns chieraient desarcs-en-ciel sur mon oreiller.Nous parlions de vampires,d'individus tous aussi têtus lesuns que les autres... commemon grand-père.

Mais je devais essayer.Sinon, je ne servirais ni la GR,ni la Maison, ni Ethan.

Je commençai par Jonah.Il m'accueillit par un

sarcasme :— Est-ce que tu m'appelles

pour m'apprendre que tu asinvité Ethan à notre prochaineréunion de la GR ?

— Tu es hilarant.Malheureusement, j'ai encorede mauvaises nouvelles.McKetrick a un alibi pour lemeurtre de Navarre, donc,même dans l'hypothèse où lesystème biométrique n'auraitpas fonctionné, ce n'est pas luiqui est entré.

— Au moins, on peutéliminer cette piste.

— C'est exactement ce quenous nous sommes dit. Rien de

neuf au sujet d'un éventuelcoup de pouce à la MaisonCadogan ?

— Pas encore. Notre contactau sein du PG est nerveuse. Età raison : si jamais sescollègues découvrent qu'elle atransmis des informations à laGR, elle risque le pieu dans lecœur.

— Tant pis, Jonah. C'est maMaison qui est en jeu. Dis-lui...Dis-lui que je veux juste larencontrer. Demande-lui si elleserait d'accord.

— Merit, c'est impossible.Je n'étais prête à accepter

aucun refus, et, en bonne

petite vampire, j'avais lu monCanon.

—Tu as dit « elle ». Il n'y aque deux femmes dans le PG,Jonah. La Norvégienne,Danica, et l'Anglaise, Lakshmiquelque chose. Ce qui signifieque j'ai cinquante pour cent dechances de deviner laquelle estton contact.

Il marmonna un juron. Iln'avait pas pensé que jerelèverais la subtilité.

—Ce n'est pas aussi simple.—Elle ne nous aide pas

assez, Jonah. On est au pieddu mur. Soit Darius nousprendra Cadogan, soit il

déclenchera une guerre entrefées et vampires, juste parorgueil. Quelle solution est-ceque tu préfères ? La prochainefois que Scott fera quelquechose qui déplaît à Darius, dequelle manière voudras-tu quele PG gère le problème ? On nepeut pas tolérer ça, ni en tantque membres de la GR, ni entant que Solitaires ou quoi quece soit d'autre. On ne peut paspermettre à Darius de détruiretout ce que nous avonsconstruit pour la simple raisonqu'on a décidé de se passer delui.

Jonah marqua une pause.— C'est Lakshmi Rao. Je

vais lui parler.— Merci, Jonah. Je ferais la

même chose pour toi, tu sais.— Je sais. Et c'est ce qui me

fait peur.Il raccrocha.Je démarrai le moteur et

montai le chauffage, toujoursgarée devant chez mesparents. Les voisins netarderaient sans doute pas àprévenir la police qu'une fille àl'air louche dans un vieuxtacot « surveillait » la maison,mais je n'avais pas envie deretourner à l'intérieur pour

attendre une réponse. Peut-être mon père et moi avions-nous amorcé un processus depaix ; peut-être se sentait-ilsimplement d'humeurnostalgique. Quoi qu'il en soit,je savais quand m'éclipser.

Mon téléphone sonna àpeine une minute plus tard.

— Allô ?— Elle est d'accord pour te

rencontrer, mais c'est tout.— C'est suffisant. Merci.— Il y a un bar à donuts près

de la station State et VanBuren, sous la ligne de métro.Le Donut Dirigeable, à côté dela bibliothèque.

— Je connais, lui assurai-je.Le fast-food se trouvait près

de la bibliothèque HaroldWashington, et n'était pas trèséloigné du Dandridge, l'hôteloù séjournaient les membresdu PG.

— Retrouve-nous là-bas dansune heure. Et n'en parle àpersonne, pas même à Ethan.Considère qu'il s'agit de tapremière mission en tant quemembre de la Garde Rouge :empêcher la destruction de laMaison Cadogan.

Au lieu d'alourdir le poidsqui pesait sur mes épaules, cequi aurait paru logique, ces

paroles ne firent que renforcerma détermination.

— À tout à l'heure, lui dis-jeavant de boucler ma ceinture.

Peut-être ma tactique de jeumanquait-elle d'élégance, maisseul comptait le résultat final.

À cette heure tardive, le

calme régnait au Loop. Je megarai sur Van Buren, un peuloin à mon goût, puis suivis laligne de métro jusqu'à StateStreet, là où se trouvait leDonut Dirigeable que notreréticente membre du PG avaitchoisi comme lieu de rendez-vous.

Le logo argenté de la chaînede fast-food brillait dansl'obscurité. Il représentait unballon dirigeable sur le flancduquel était écrit « Donuts » enlettres cursives roses quiclignotaient.

Quand j'ouvris la porte, desarômes de sucre et de levurem'assaillirent. Le restaurant,de taille modeste, était désert,à l'exception de l'adolescentaux traits tirés qui se tenaitderrière le comptoir et deJonah, assis à une table rosedans un coin, les yeux rivéssur son téléphone.

Lorsqu'il m'avisa, il se leva

pour venir à ma rencontre.— Elle devrait arriver d'une

minute à l'autre.Je hochai la tête, les

paumes soudain moites. Cettefemme détenait le pouvoir desauver ou briser la MaisonCadogan rien qu'en claquantdes doigts, ou peut-être englissant les paroles appropriéesà Darius West.

D'ailleurs, à en juger d'aprèsson apparence, elle détenait lepouvoir de sauver ou briserbien des rêves.

Lakshmi Rao franchitl'entrée d'une démarchemajestueuse. Comme la

plupart des vampires - grâce auprocessus de sélection -, elleétait sublime. Grande etmince, elle avait de longscheveux noirs et raides, unepeau couleur caramel et degrands yeux verts pailletés debrun. Elle portait une robedrapée haute-couture à tissuimprimé sous un long manteaude cachemire, les piedschaussés de talons aiguilles.

Je l'avais vue à la Maison,en formation avec sesconfrères, mais elle ne m'étaitalors apparue que comme unemembre du PG parmi les

autres. Là, elle rayonnait detoute sa prestance. Àl'évidence, elle était unevampire, et une vampirepuissante. En dépit del'absence des traitscaractéristiques - crocsallongés et yeux argentés -, lamagie irradiait d'elle en ondesvibrantes. J'avais beaubénéficier d'une immuniténaturelle au pouvoir deséduction vampire, je sentis lesien glisser dans la pièce eteffleurer le garçon deboutderrière le comptoir. Ildétourna la tête d'un air rêveur

et se mit à compter à voixhaute les donuts qui setrouvaient dans les casiers àcôté de lui.

Mais le plus intéressant, cefut quand Lakshmi aperçutJonah : elle le couva du regardcomme si c'était le premierverre d'eau qu'elle voyait aprèsdes mois passés dans le désert.

Lui, en revanche, affichaitune expression tout à faitprofessionnelle.

Ainsi, Mme Rao, uneambassadrice du PG originairede la même patrie que Darius,en pinçait pour Jonah,Capitaine de la Garde et

membre d'une organisationsecrète chargée de la tenir àl'œil. Et cette attirance, à cequi semblait, n'était pasréciproque.

Une intrigue parfaite pourun feuilleton à l'eau de rose.

Elle se tourna vers moi etme jaugea d'un rapide regard.

— Vous devez être Merit.Je n'avais aucune idée de

l'étiquette à respecter.Comment étais-je censéem'adresser à un membre du PGdans ces circonstances ? Riende mieux ne me venant àl'esprit, j'optai pour un simple« oui ».

— Enchantée de vousconnaître, dit-elle avec unsourire avenant. Désolée queça se produise en pareilcontexte.

— Avez-vous été suivie ?s'enquit Jonah.

— Je ne pense pas. Et sic'était le cas, je sèmerai mespoursuivants en rentrant àl'hôtel. Malheureusement, jene dispose que de très peu detemps. J'ai bien peur de nerien pouvoir faire pour vousaider.

Tous mes espoirss'envolèrent d'un seul coup.

— Rien ? Comment ça,

rien ? Le Présidium est sur lepoint de nous prendre notreMaison !

— Moins fort, murmuraJonah en jetant un coup d œilau serveur, qui était cependanttoujours absorbé par sescomptes.

— Je ne suis que l'une desmembres du Présidium, Merit,et ma position ne représentepas du tout la majorité. Dariusa prononcé une sanction bientrop sévère, mais je n'ai pas lepouvoir de le défier. Je suisdésolée.

— Il est sur le point dedéclencher une guerre,

insistai-je.— Seulement si Cadogan se

rebelle, et nous savons tousqu'Ethan n'ira pas jusque-là. Ilne prendrait pas le risque demettre en péril la vie de sesvampires... ou la vôtre.

Je supposai que la rumeurde ma relation avec Ethans'était répandue parmi lesmembres du PG.

— Nous ne pouvons pasperdre la Maison. Ce serait uneinsulte à Peter Cadogan, àEthan, à toutes les Maisonsqui ont fait de leur mieuxdepuis que Célina a révélénotre existence au public.

Lakshmi lança un coupd'œil à Jonah, qui hocha latête.

— Merit, reprit-elle, je vousen prie, croyez-moi... J'ai déjàsoulevé la question - d'unemanière détournée, bien sûr -,mais il n'y a tout simplementaucun moyen d'infléchir ladécision de Darius. (Son regardexprimait un regret évident, cequi ne m'apporta qu'uneconsolation minime.) Je suisdésolée, mais c'est impossible.Je ne suis pas en mesure del'amener à changer d'avis.

— Et l'œuf de dragon ?Lakshmi marqua une pause.

— Comment cela, l'œuf dedragon ?

— Je suppose que Darius nel'a pas encore donné aux féeset n'en fera rien tant qu'iln'aura pas l'assurance qu'ellesrempliront leur part ducontrat. Savez-vous où il setrouve ?

Elle me considéra unmoment avec intensité.

— Je ne connais pasl'endroit exact.

— Je vous le revaudrai,persistai-je. Je suis prête àvous faire une promesse, àm'engager à vous rendreservice, tout ce que vous

voulez. Je vous supplierai, s'ille faut. S'il vous plaît, je vousen prie, ne le laissez pass'emparer de ma Maison,Lakshmi. C'est chez moi. Pourla première fois de ma vie, jeme sens quelque part chezmoi.

Cette pensée - et prise deconscience - me bouleversa.

— Je suis désolée, répéta-t-elle. Tout ce que je sais, c'estqu'il a été caché en haut lieu.

Je me détournai pouressuyer une larme qui avaitcoulé sur ma joue. Je merefusais à pleurer devant monéquipier et une membre du PG.

Peut-être que, comme Dariusl'avait reproché à Ethan,j'étais moi aussi trop humaine.

— Je devrais y aller, déclaraLakshmi. Je vous souhaitebonne chance. (Son regards'attarda sur Jonah.) J'ai étéheureuse de vous revoir. Jesuis désolée que cela ait dû seproduire en de tellescirconstances.

Sur ce, elle franchit le seuilet s'évanouit dans la nuit.

J'avais envie d'éclater ensanglots. De m'asseoir et delaisser libre cours à meslarmes ou, encore mieux,engloutir quelques-unes des

dizaines de donuts que leserveur inventoriait avecméticulosité pour soulagermon chagrin.

— Sortons, proposa Jonahen me guidant vers la porteavec douceur.

L'air frais m'apaisa, toutcomme le grondement régulierdu métro aérien au-dessus denos têtes.

Jonah m'accompagnajusqu'à l'angle de la rue, nonloin de là où je m'étais garée,et resta un moment à côté demoi dans l'obscurité.

— Elle est amoureuse de toi,déclarai-je.

Il se racla la gorge avecnervosité avant de dire :

— Je sais.— C'est pour ça qu'elle a

accepté ce rendez-vous, je metrompe ? C'est ce qui t'apermis de la convaincre devenir ? (Il confirma mesconjectures d'un imperceptiblehochement de tête.) On estvraiment dans la merde. Jesuppose que ce serait déplacéde ma part de te suggérer dejouer à « sept minutes auparadis » avec elle pourl'inciter à nous rendre cetœuf ?

Il me jeta un regard en biais.

— Tu voudrais que j'offremon corps pour sauver taMaison ?

J'esquissai un petit sourire.— Oui, qu'est-ce que tu en

dis ?— Non. Et tu devrais

rentrer. Tout le monde va sedemander où tu es passée.

Ça, j'en doutais. Accablée par un sentiment

de défaite, je retournai à laMaison. Je trouvai la porte dubureau d'Ethan entrebâillée,aussi risquai-je un coup d'œil àl'intérieur, m'attendant àl'apercevoir en pleine

réflexion, penché sur descontrats, en compagnie deMichael Donovan.

Je ne vis cependant nulletrace du consultant ensécurité, ni de Paige ou dubibliothécaire.

Ethan et Lacey étaientseuls, un concerto de piano enfond sonore, une bouteille devin sur la table. Ils étaientassis côte à côte sut le canapédu coin salon. Ethan, lesjambes négligemment croisées,étudiait une liasse dedocuments. Lacey, ses bottesposées par terre, ses piedsramenés sous elle, travaillait

sur une tablette numérique.Ils paraissaient détendus, et

même très à l'aise, à tel pointque je sentis mon estomac senouer et qu'un sentimentd'insécurité digne d'uneadolescente s'empara de moi.

Toutefois, d'autres émotionslivraient bataille en moi. Jevenais de supplier une membredu PG de sauver cette Maison,j'avais même pleuré devantelle, et je revenais pour trouverça ? Ethan était peut-êtrefurieux, mais moi aussi.

Percevant sans doute letsunami magique quim'accompagnait, Ethan leva

les yeux lorsque je pénétraidans la pièce.

— Oui ? lança-t-il d'un tonégal, signifiant qu'il éprouvaitencore de la colère.

Alors, nous étions deux, vuque j'interrompais ce quis'intitulerait dans le prochainchapitre du journal intime deLacey « l'agréable soirée quej'ai passée avec Ethan Sullivanet une bouteille de merlot ».

Je la détestais. Vraiment.— Pourrais-je te parler, s'il

te plaît, Sire ?Ethan m'observa quelques

instants avant de poser sesdocuments.

— Lacey, tu peux nousexcuser un moment ?

Elle me regarda avec unpetit sourire satisfait qu'Ethanne vit pas, puis déplia lesjambes et se leva du canapéavec grâce.

— Bien sûr. Un peu d'airfrais me fera du bien.

Elle se dirigea vers la porte,laissant ses bottes à côté dudivan, indiquant sanséquivoque qu'elle avaitl'intention de revenir.

Le contraire m'auraitétonnée.

— Le temps nous estcompté, Sentinelle. De quoi

souhaitais-tu me parler ?En fait, je n'avais rien de

précis à lui dire. Je voulaisjuste que Lacey quitte cettepièce et peut-être profiter del'occasion pour assainirl'atmosphère.

Cependant, refroidie parl'attitude distante d'Ethan, jedus fournir un effort pour meretenir d'émettre uncommentaire cinglant pourcritiquer la présence de Laceydans son bureau et lui rappelerqu'elle nourrissait le projetévident de l'attirer dans sesfilets.

— Est-ce que vous avez

avancé ? demandai-je.— Pas vraiment. Nos

avocats ont préparé unemotion d'urgence pour contrerles actions du PG, mais,comme nous nous en doutions,il est difficile de convaincreles juges que ce litigeparticulier relève de leurjuridiction. Aucune despersonnes que j'ai connues aucours de ma très longueexistence ne possède aucunedonnée concernant unchantage tel que celui auquelnous soumet le PG, et Michaela découvert que la tour de

Claudia a été placée sous garderenforcée, ce qui signifie qu'ilest inutile d'essayer d'implorerles fées.

Ses traits étaient tendus. Ilparaissait profondémentinquiet, ce que je ne pouvaislui reprocher.

— Et toi ? s'enquit-il.— Nous avons confirmé que

McKetrick n'a pas tué Katya etZoey. Il se trouvait à unesoirée de bienfaisance avecMme Kowalczyk la nuit dumeurtre.

— Ce qui ne nous laisse pasbeaucoup de pistes.

— Et même aucun suspect.

Nous savons juste que les fillesont été assassinées par unvampire Navarre. Jeffs'intéresse de plus près ausystème de sécuritébiométrique, et Luc comptedemander à Will s'il n'auraitpas remarqué des vampires aucomportement étrange,récemment.

— Hmm, marmonna-t-il entirant un fil invisible au genoude son pantalon avant de leverles yeux sur moi. Tu as parlé àJonah de ces derniersdéveloppements ?

— Oui.— Forcément. Vous êtes

proches, tous les deux.Sa voix trahissait une colère

redoutable ; peut-être était-elleprovoquée par la peur ou lajalousie, mais l'unique aspectqui m'importait, c'était qu'elleétait dirigée contre moi.

Je devinais sans peine quece changement d'attitude étaità mettre sur le compte de lavampire blonde que j'avaischassée de la pièce. Ellesemait le doute dans notrerelation, et j'étais prête àparier que plus elle passeraitde temps avec Ethan, plus lasituation s'envenimerait.

— Nous ne sommes pas

proches de la façon que tusuggères. Pas de la façon queLacey t'a suggérée. Et ça n'arien à voir avec cette enquête.

— Et tu es disposée à fixercette limite ?

— Est-ce que tu es disposé àfixer des limites entre Lacey ettoi ? Elle semblait plutôt àl'aise, sur le canapé.

— C'est complètementdifférent.

— Pourquoi ? Parce queJonah sait que toi et moientretenons une relationsérieuse, mais qu'elle n'en estpas convaincue ?

Il se raidit.

— Es-tu en train d'insinuerque je t'ai été infidèle ? lança-t-il.

— Est-ce que toi, tu insinuesque je t'ai été infidèle ?

— Est-ce le cas ?Je tressaillis.— Comment oses-tu me

poser cette question ?— Il y a des rumeurs qui

circulent au sujet des membresde la Garde Rouge, Merit. Ilparaît que ceux qui font équipeensemble travaillent...disons... en très étroitecollaboration.

Il avait adopté un toncondescendant, et je me sentis

soudain comme une petite filleréprimandée par son père aprèsavoir commis une quelconquebêtise. Ethan était en colère,et je regrettais qu'il éprouve lesentiment que les serments meliant à la Garde Rouges'opposaient à ceux quim'attachaient à la MaisonCadogan ou aux obligationsque j'avais envers lui. Mais jeconnaissais Jonah et savaisles craintes d'Ethan infondées.Je croyais toujours à la causedéfendue par la GR, et je necomptais pas me répandreéternellement en excuses.

Mes yeux virèrent àl'argenté, mon cœur s'emballa,et le sang battit contre mestempes sous l'effet duressentiment qui enflait enmoi.

— On travaille ensemble.C'est tout, il n'y a rien de plus.

Il arqua un sourcil avecarrogance, ce qui ne fit quem'irriter davantage. Peut-êtrece mouvement le caractérisait-il, il n'en restait pas moinsqu'il représentait une réponseridicule. Une réponseridicule... à une querelle quil'était tout autant. Étions-nousvraiment en train de mettre en

doute notre fidélité ? Dieu saitque j'aimais cet homme, maisce n'était qu'une tête de mule,un orgueilleux qui éprouvait lebesoin obsessionnel de toutcontrôler et avait le don dem'exaspérer.

— Ethan, nous valonsmieux que ça, déclarai-je.J'ignore ce qu'elle te raconte,mais tu sais bien que je ne tetromperais jamais. Elle temanipule. Elle essaie dedresser un mur entre nous, etpas par intérêt pour cetteMaison, mais parce qu'elle ades sentiments pour toi.

— Personne ne me

manipule.Son affirmation manquait

de conviction, mais il semblaitinutile de poursuivre ce débat.

— Très bien, dis-je.Un affreux silence chargé de

gêne plana quelques instants.— Je me sens trahi, confia-

t-il.Je me mordis la lèvre pour

réprimer un soudain accès delarmes.

— Je sais. Et j'en suisdésolée. (Il hocha la tête, maisne prononça pas un mot.) Bon.Je devrais retourner au travail.

Je me dirigeai vers la porte,oppressée par la tristesse et la

colère.— Où est-ce que tu vas ?—Je ne sais pas encore.

Mais je crois qu'il vaut mieuxque je parte avant qu'on nedise des choses que nousfinirions par regretter.

A supposer que ce ne soitpas déjà fait.

15 Des mecs, du bœuf,

de l’alcool et des gages Quinze minutes plus tard, je

roulais sur Lake Shore Drive,le lac à ma droite, lesimposants gratte-ciel deChicago à ma gauche.Malheureusement, cettepromenade en voiture n'avaitpas vraiment contribué à

m'apaiser. Malgré le calmeambiant, mon esprit et moncœur fonctionnaient à touteallure.

Peut-être Lacey et Ethanavaient-ils travaillé. Peut-êtreles avais-je surpris alors qu'ilss'offraient une pause après unelongue et pénible nuit delabeur. Mais sans doute aurait-il pu passer ce temps-là avecmoi, s'il n'avait pas été aussien colère.

Il avait préféré la compagnied'une amie, d'une personnesusceptible de le conforterdans ses sentiments.

Il n'aurait pu choisir

meilleure complice, même s'ilavait eu un catalogue àdisposition.

Elle était tout ce que jen'étais pas : gracieuse, stylée,capable de garder son sang-froid en toutes circonstances.Elle ressemblait plus à Ethanque moi. Lindsey m'avait unjour affirmé que c'étaitexactement la raison pourlaquelle Ethan avait besoin demoi. Je représentais le feu quipouvait faire fondre sa glace.Lacey ne provoquerait sansdoute jamais sa colère, maiselle ne l'enflammerait jamais

non plus.Cependant, cette réflexion

ne m'apporta aucunsoulagement. Cela ne suffisaitpas, à cet instant.

Je frappai le volant des deuxmains jusqu'à ce que mespaumes me brûlent et que lacolonne de direction ait dujeu. Pauvre Volvo. Ce produitperfectionné de l'ingénieriesuédoise n'était pas conçupour résister aux mauvaistraitements d'un vampire.

Je ne voyais qu'une seuleoption.

Je bifurquai vers UkrainianVillage et le tripot que la

Meute des Grandes Plainesconsidérait comme sa base, dumoins à Chicago, un petit barde motards du nom de LittleR ed . Il se trouvait que cetétablissement servait l'une desmeilleures viandes fumées dela ville ; j'étais bien placéepour le savoir.

En dépit des températuresglaciales, plusieursmétamorphes traînaientdehors, le long de la rangée deHarley-Davidson et d'Indianqui occupaient le trottoirdevant l'entrée. Je leuradressai un sourire poli en les

dépassant, même si ces grandscostauds bourrus se fichaienttotalement d'une petitevampire maigrichonne commemoi, malgré ma tenue en cuirluisante et bien ajustée.

Dès que je pénétrai dans lebar, je fus assaillie par TheClash et une odeur aigre dechou cuit. Ça devait être unesoirée spéciale « fabrication deconserves de choucroute ».

Je trouvai Berna dans saposition préférée, deboutderrière le comptoir, vêtued'un tee-shirt trop étriqué pourson imposante carrure. Maiscette fois, elle avait une

acolyte.À côté de Berna, Mallory, ses

cheveux au dégradé de bleurelevés en deux chignons surles côtés - genre fille de ferme-, s'entraînait à verser del'alcool dans une rangée deverres à liqueur.

Les instructions de Bernaparvinrent à mon oreilleTandis que je m'approchais :

— Non. Tu dois aller vitepour pas mettre à côté. Jemontre. Je montre.

Elle poussa Mallory d'uncoup de coude, s'empara de labouteille d'alcool dépourvued'étiquette qu'elle tenait dans

la main, puis remplit les sixverres d'un mouvement fluideet rapide, sans répandre lamoindre goutte sur lecomptoir.

Mallory hocha la tête àcontrecœur.

— Je ne suis pas certaine det'apprécier, déclara-t-elle avecfranchise. Mais il faut bienadmettre qu'en matière deviande et d'alcool, tu t'yconnais.

— Ce qui fait deux desquatre groupes alimentaires,intervins-je en m'asseyant aubar. Les Mallocakes et lespizzas formant les deux

autres.Mallory n'était certes pas

parfaite, et nous marchionsencore sur des œufs, toutes lesdeux, mais il lui suffit d'unregard pour comprendre lasource de mes soucis... et leverles yeux au ciel.

— Qu'est-ce que tu as encorefait ?

— Pourquoi est-ce que tusupposes que j'ai fait quelquechose ?

— Parce que tu te trouvesdans ce bar, de l'autre côté dela ville, alors que tu as biendes problèmes à gérer.

— Tu as parlé à Catcher ?

Cette nouvelle me faisaitplaisir. Elle indiquait - ou dumoins suggérait - que lasituation s'arrangeait.

— On a parlé, oui. On separle. On ne fait que ça,parler, échanger,communiquer, discuter. (Ellemima les mouvements d'unebouche du pouce et de l'index.)Mais tu n'es pas là pour parlerde nous.

Elle m'observa en plissantles yeux, et je ressentis unléger picotement magique quicessa quand Berna lui pinça lebras.

— Aïe ! s'écria Mallory en

frottant la marque rouge quiapparaissait déjà sur sa peau.Bon sang, Berna! Il a dit que jepouvais m'en servir un petitpeu.

— Avec modération, décrétala métamorphe avantd'esquisser un geste dans madirection. Regarde. Ellevampire toute maigre.Amoureuse, mais loin du chéri.Pas besoin de magie pourcomprendre. (Elle se tapota latempe.) Besoin d'yeux.

Elles me dévisagèrent toutesles deux. Je hochai la tête,penaude.

— On dirait que tu as vu

juste, déclara Mallory. Et étantdonné qu'il a pris un pieu à saplace, ce qui tend à prouverqu'il tient à elle, je pariequ'elle a elle-même provoquéses problèmes, je me trompe ?

Je détestais sonraisonnement. Non parce qu'ilétait faux, mais parce que je lejugeais humiliant. J'avaisvingt-huit ans et étais destinéeà vivre éternellement. Étais-jecondamnée à demeurermaladroite pour toujours, dumoins en ce qui concernaitl'amour ?

Et combien de fois avais-jetout gâché sans qu'elle le

sache ?Mallory se tourna vers Berna

avant d'annoncer :— Je prends quinze minutes

de pause, et on va poursuivrecette conversation en haut.

— Vous pouvez rester ! Jen'écouterai pas.

— Tu écouteras, affirmaMallory, et tu répéteras tout àtes copines du club de lecture.

— Est Twilight en vrai !protesta la métamorphe.Étincelles et tout !

Mais Mallory me tirait déjàpar la main en direction de laporte.

— Ne fais pas attention aux

métamorphes à moitié à poil,m'avertit-elle.

Avant que j'aie pu luidemander de quoi elle parlait,nous traversions au pas decourse l'arrière-salle du bar, oùtrois ou quatre métamorphes -je n'eus pas le temps de lescompter -, la plupart torse nu,jouaient aux cartes, assis à lavieille table en Formica.J'étais certaine que Gabrielfaisait partie du lot.

L'instant d'après, je metrouvais dans la cuisine, lesrétines brûlées par l'éclat detous ces pectoraux etabdominaux reluisants, et

Mallory me traînait derrièreelle dans l'escalier en directionde la minuscule chambrequ'elle occupait depuis qu'elleavait commencé le traitementdestiné à la guérir de sonaddiction à la magie noire,celui-ci reposant sur un durlabeur, la supervision desmétamorphes etl'accomplissement demultiples tâches ménagèresdans une ambiance quasimilitaire.

Mallory claqua la porte et selaissa tomber sur le lit deuxplaces adossé au mur.

— Oh, bon sang, Merit, je

crois que je vais la tuer !— S'il te plaît, n'en fais rien.

Ça n'améliorerait pas lesrelations entre les sorciers etles métamorphes de Chicago.

— Elle fourre son nezpartout ! Et elle me dit sansarrêt ce que je dois faire !

—Un peu comme les parentsque tu n'as jamais eus ?

Elle leva les yeux etdemanda :

— C'est à ça que çaressemble ?

— J'ai bien peur que oui,répondis-je en m'asseyant entailleur par terre.

— Bon, très bien. Je ne la

tuerai pas. Pour l'instant. Etmaintenant qu'on a un peud'intimité, pourquoi necracherais-tu pas le morceau ?Qu'est-ce que tu as fait ?

Cette partie s'annonçaitdélicate, vu le serment deconfidentialité que j'avaisprononcé et déjà trahi malgrémoi.

— Je ne peux pas te révélertous les détails. Disons justequ'Ethan a découvert quelquechose dont j'aurais dû luiparler avant. Et qu'il l'a plusou moins appris de la bouchede Lacey Sheridan.

Mallory plissa les yeux,

comme elle était censée lefaire. Elle se souvenait deLacey, qu'elle avait rencontréelors de son dernier séjour àChicago.

— Qu'est-ce qu'elle fait là ?— Elle est venue apporter

son aide dans le cadre de latransition. Elle s'entend bienavec Darius et Ethan espéraitqu'elle réussirait à l'amadouerun peu. Vu que le PG al'intention de nous prendre laMaison, on ne peut pas direque ça ait vraimentfonctionné.

— Oui, Catcher m'en aparlé. Quel rapport avec ton

histoire ?Je m'efforçai de trouver le

moyen de lui révéler leprincipal sans dévoiler monsecret.

— Pendant qu'Ethan étaitparti, j'ai confidentiellementaccepté d'aider un ami demanière à rendre aussi serviceà la Maison. Et j'ai continuéquand Ethan est revenu. Saufque je ne lui en ai pas parlé, etque Lacey l'a découvert et lelui a raconté à ma place. Il n'apas été ravi.

L'expression de son visagene me consola pas vraiment.

— Tu l'as trahi.

— Je ne l'ai pas trahi. Jecomprends qu'il ait cetteimpression, mais j'ai agi selonce qui me semblait juste. Ceque je croyais, et croistoujours, juste.

— Est-ce que ça a quelquechose à voir avec ce type, là,Jonah ?

Je la dévisageai, les yeuxécarquillés.

— Comment est-ce que tu leconnais ?

— Catcher, répondit-elled'un ton acerbe. Il est enpleine phase « autopsie decouple ». C'est un genre demécanisme de défense bizarre,

sans doute provoqué par cesfoutus navets qu'il regardetout le temps. (Elle marquaune pause.) Est-ce que je t'aidéjà parlé de la fois où il apassé une audition pour jouerdans un de ces films ? Avantle Nebraska, je veux dire.

Curieux comme cette simplephrase compartimentait notreamitié. « Avant le Nebraska »et « après le Nebraska ».« Avant le Maleficium » et« après le Maleficium » auraitété plus juste, mais je n'avaispas très envie d'utiliser unacronyme comme « av. M-C »

pour me référer à une périodede notre relation.

— Catcher a passé uneaudition pour jouer dans unfilm à l'eau de rose ?

— Eh, oui. Ils cherchaientdes figurants pour une scèned'une comédie romantiquequ'ils tournaient au Loop. Iln'a pas décroché le rôle, ce quine l'a clairement pas fâchéavec cette « forme d'art » (ellemima les guillemets). Bref, ilm'avait dit que tu traînaisavec ce Jonah après ladisparition d'Ethan. Qui est-ce ?

— Le Capitaine des gardes

de la Maison Grey. C'est justeun ami. Il m'a aidée à gérercertains problèmes - dont letien - après la mort d'Ethan. Ilse trouvait au Midway la nuitoù...

Je ne terminai pas maphrase, peu désireuse de luirappeler qu'elle avait faillibrûler tout le quartier. Ce soir-là, elle n'avait sans douteguère prêté attention à monéquipier, de toute manière.

— Ah, lâcha-t-elle,visiblement gênée.

— Comme tu dis. Ah.Je me recoiffai. Je n'en

avais pas vraiment besoin,

mais je ne savais toutsimplement pas quoi faire demes mains. Je ne me sentaisencore pas tout à fait à l'aiseavec Mallory.

— Lacey lui mettra legrappin dessus dès qu'elle enaura l'occasion.

— Et tu crois qu'il offriraitune prise à son grappin ?

Bonne question. J'avais lacertitude qu'il m'aimait, maisil était blessé, en colère, et sedemandait sans doute si j'étaisdigne de confiance.

— Mets-toi à la placed'Ethan. Si tu te sentais trahiet qu'une jolie jeune femme

venait te consoler ent'assurant qu'elle est la seule àvraiment se préoccuper de toi,à comprendre exactement cedont toi et ta Maison avezbesoin, est-ce que tu telaisserais convaincre ?

Comme elle ne répondaitpas, je levai la tête, et fusfrappée par la tristesse qui sepeignait sur son visage. Monestomac se noua quand je prisconscience de mon erreur.

— Oh, non, ne me dis pasque Catcher a... tu sais, trouvéquelqu'un d'autre ?

— Non, et puis, je veux dire,après ce que j'ai fait, je ne

mérite même pas qu'ilm'adresse la parole, et c'estpareil pour toi, d'ailleurs. C'estjuste que... je comprendrais s'ilavait... tu sais, s'il avait faitça. (Elle s'empressa d'essuyerles larmes qui lui embuaientles yeux.) Je l'ai planté aumilieu d'une crise que j'avaisprovoquée. Bien sûr qu'il avaitbesoin de réconfort, d'uneépaule sur laquelle s'appuyer.On ne peut pas dire que j'ai étéprésente pour lui.

Je poussai un soupir.— Franchement, tu crois

qu'on sera capables un jour dene pas foutre en l'air nos

relations avec les autres ? Est-ce qu'on est destinées à faireça le restant de nos vies ?

— Tout bousiller ?— Tout bousiller, vivre sous

la surveillance permanente desmétamorphes ou une conneriecomme ça, et en être réduitesà participer à des speedd a t i n g s parce qu'on estincapables de maintenir desrelations de couple saines.

— Quand tu seras vieille etque tu auras des cheveux gris,je serai honnête avec toi àpropos de tes racines.

— Les vampires nevieillissent pas et leurs

cheveux ne blanchissent pas.Je suis coincée avec les mienspour toujours.

Mallory se laissa retombersur le lit.

— Infortunée Merit, vampireimmortelle aux cheveux quine deviendront jamais gris,aux longues jambes et aucopain blond et sexy.

— Au copain parasité parune blonde sexy, tu veuxdire ?

Elle gloussa et se redressa.— Je crois que nous sommes

revenues à la case départ.— Qu'est-ce que je dois faire,

Mallory, sérieusement ?

— Tu t'es excusée ?(J'acquiesçai d'un signe detête.) Alors, tu fais la seulechose que tu puisses faire,celle qui explique que tu tetrouves ici. Tu attends.

— Franchement, il n'y arien de pire.

— Tu l'as dit.Le silence s'installa un

moment pendant que notrerire s'évaporait et que le poidsdu monde pesait de nouveaulourdement sur nos épaules.

— Pour en revenir auproblème de la MaisonCadogan, tu crois que Gabrielconnaîtrait des crasses sur

Darius qu'on pourrait utiliserpour le faire chanter ?

Un sourire sournois s'étirasur les lèvres de Mallory.

— Merit, petite maligne. Jesuis tellement fière que tu aiesposé cette question. C'est si...vampire. Mais, pour êtrehonnête, je n'en ai aucuneidée. Il est en bas, n'hésite pasà le lui demander. Cela dit, jete préviens : c'est soirée poker,aujourd'hui.

— Ce qui signifie ?— Ce qui signifie que si tu

veux parler à un métamorphe,tu dois jouer.

J'arquai un sourcil,

mouvement qui lui arracha unaffreux grognement.

— Bon sang, tu es déjàdevenue Mme Sullivan.Descendons.

Je consultai montéléphone ; aucun message. Jene voyais pas l'intérêt derentrer à la Maison sanssolution, donc autant rester.

— Il faut vraiment que jejoue au poker ?

— Oui. Heureusement, ilsjouent torse nu. Si tu aimesça. Ce qui n'est pas mon cas,bien entendu.

Nul besoin de magie pour

comprendre qu'elle m'avaitmenti en affirmant ne pasapprécier les joueurs de pokerà demi dénudés. Moi aussi, jesavais me servir de mes yeux.

Ils étaient quatre assis àtable. Tous des métamorphes,dont trois seulement torse nu,mais le spectacle valait ledétour.

Gabriel, le seul vêtu d'untee-shirt, battait un épaispaquet de cartes patinées.

— Chaton, me salua-t-il enme gratifiant d'un regard. Monfrère, Derek. Je crois que tu asdéjà rencontré Ben etChristopher.

Mme Keene avait prénomméses enfants en ordrealphabétique inverse,commençant par Gabriel,l'aîné. Adam, le plus jeune dela fratrie, avait été livré à lapolice après sa tentativeinfructueuse d'arracher laplace de Meneur de Meute àGabriel. Entre les deux, il yavait Ben, Christopher etDerek.

Ben et Christopher avaientles épaules puissantes et lescheveux bruns éclaircis par lesoleil de leur aîné. Ils étaientassis en face de Gabe, tandis

que Derek était positionné à sadroite. Ce dernier avait lesmêmes yeux d'ambre que songrand frère, mais des cheveuxplus sombres et des traits plusfins. Il avait sans doute héritédes caractères de l'autrebranche de la famille.

— Vampire ? lançaChristopher sans lever leregard de ses cartes. Tu gèresun foyer d'accueil poursurnaturels, frangin ?

— Je n'ai pas besoin de foyerd'accueil, lui assurai-je.

— Le chaton a des griffes,commenta Derek d'un tonappréciateur.

— Grrrr, lâchai-je.— Tu ne te bats pas contre

les fées, Chaton ? demandaGabriel.

— Non. Et c'est pourquoij'interromps ta partie.

Gabriel darda son regard surmoi, m'étudia un instant, puisreporta son attention sur sescartes.

— Asseyez-vous,mesdemoiselles.

Gabriel possédait une magiepuissante, et je me doutais queson coup d'oeil, quoique bref,n'en était pas moins lourd desens.

— Est-ce que je peux vous

poser une question au sujet devos tee-shirts ? demandai-je enm'installais en face de Mallory.Ou plutôt au sujet de l'absencede tee-shirts ?

—Non, répondit Christopher.— Mais si, bien sûr, rétorqua

Gabriel avec ironie. Une fois deplus, les chiots y ont laisséleur chemise, Chaton. Au sensfiguré comme au sens propre.(Derek marmonna quelquesmots peu flatteurs.) Baisse leton, ou je lance un nouveaupari, déclara Gabriel enfustigeant son frère d'unregard cinglant. Et on saittous les deux comment ça va

se terminer. (Il entreprit dedistribuer les cartes, enempilant sept devant chacunde nous.) On joue auNantucket.

— Qu'est-ce que c'est, leNantucket ?

— C'est juste une manièrede tricher, affirma Derek avecun sourire en buvant à petitesgorgées le verre d'alcooltranslucide posé devant lui. Nele laisse pas te berner.

— Je ne triche jamais,assura Gabriel. Il n'y a pas plushonnête que moi.

— Ni plus menteur, répliquaBen.

— Je ne suis pas unmenteur, rétorqua Gabe enprésentant le reste du paquet àChristopher.

Celui-ci le sépara en deux,transféra la moitié inférieuresur le dessus, puis le fit glisseren direction de Gabriel, qui ledivisa en trois piles au centrede la table. Il retourna ensuitela première carte des tasextérieurs : deux piques.

— Pique est la couleur àbattre, déclara-t-il.

Je n'avais pas le moindrepique en main, mais j'ignoraistotalement si je devais m'enréjouir ou non. Il fallait battre

les piques, d'accord, mais avecquoi ?

— Figure, premier tour,annonça Gabe en posant lareine de carreau sur l'un despiques, sans que je comprennevraiment pourquoi.

Ne sachant pas ce que jedevais jouer, je choisis la reinede cœur et la mis sur l'autrepique.

— Bien joué, me félicita-t-ilavant de se concentrer sur sescartes.

Chaque fois que j'avais lamain, je tentais d'orienter laconversation vers la Maison,mais Gabriel ne me laissa pas

placer un mot. Pas depolitique, en tout cas. Ils'écoula ainsi une heure, auterme de laquelle je n'étaistoujours pas certaine d'avoirsaisi les règles du Nantucket.J'abattais sans grandeconviction les cartes que jecroyais appropriées, tandis queles métamorphes posaient lesleurs avec une apparentenonchalance. Il ne faisaitaucun doute qu'ils auraientraflé la mise à une table depoker, à supposer qu'un casinoles laisse jouer assezlongtemps.

Derek finit par jeter sesdeux dernières cartes.

— Nantucket bec demouette, lâcha-t-il.

À ce signal, les autresmétamorphes retournèrent lesleurs.

— C'est terminé ? demandai-je à Gabriel.

Avant qu'il ait pu répondre,la porte du bar s'ouvrit etBerna passa la tête parl'entrebâillement.

— Clients ! s'exclama-t-elleen pointant sur Mallory undoigt arthritique. Tu sers !

Mallory demeura assisequelques instants, se massant

les tempes en silence.Visiblement, Berna mettait sapatience à rude épreuve.

— C'est un bon avant-goût,déclara Gabriel.

— Un avant-goût de quoi ?demanda-t-elle.

— De ce qui t'arrivera si tune tiens pas le coup quand tunous auras quittés. Là, elle teménage.

— Elle me ménage ? Tuplaisantes ?

— Est-ce qu'elle t'a déjà faitnettoyer le collecteur degraisse ? s'enquit Christopher.

— Non, lâcha Mallory avecprudence, la lèvre retroussée.

— Alors, elle te ménage,conclut-il avec un soupir.Tante Berna peut se montrerpeau de vache.

— Tante Berna ? répétai-jeen me tournant vers Gabriel.

Il esquissa un sourire, puisdésigna de la main la table enFormica, les posters de sériesB encadrés au mur et le linoqui s'écaillait au sol.

— Chaton, aurions-nousautorisé Berna à pénétrer dansce bastion du chic et del'élégance si elle ne faisait paspartie de la famille ?

— Il s'agit d'un compliment,ou d'une insulte ? demandai-

je.— L'un des deux,

indéniablement.Christopher, Ben et Derek

s'excusèrent avant dedisparaître dans la cuisine,sans aucun doute attirés parles boissons que Mallory étaitsupposée servir. Gabrielrassembla les cartes et lesbattit de nouveau. L'aubeapprochait, d'après la penduleà l'emblème d'une marque debière qui était fixée au mur, etje n'avais toujours obtenuaucune réponse.

— Au sujet de la Maison...,commençai-je.

— Oui ?— Je suis à court d'idées, les

avocats ne nous sont d'aucunsecours, nous n'avons pasretrouvé l'œuf et il estimpossible de contacterClaudia. Tu ne disposerais paspar hasard d'une informationsur les membres du PG quenous pourrions utiliser à notreavantage ?

— Tu parles de chantage ?lâcha-t-il avec un petit rire.

— Oui.— Désolé, Chaton, mais la

réponse est non. Je ne connaisle PG que de réputation, ce quisuffit à m'ôter l'envie d'en

apprendre davantage.Je posai les coudes sur la

table et me pris la tête entreles mains.

— Gabriel, nous sommes surle point de perdre la Maison.Le temps presse. Un NoviceNavarre déséquilibré courttoujours, tuant des vampiressans raison apparente, et jen'ai aucune idée de qui il peuts'agir. Qu'est-ce que je vaisfaire ?

— Tu me demandesconseil ?

Je ramenai quelques mèchesde ma frange derrière mesoreilles et levai les yeux sur

lui.— Oui, je crois.—Et tu ne consultes pas

Sullivan parce que... ?— Il est furieux contre moi.— Ah, dit lentement Gabriel.

Ça explique cette grisaille.Je me retins d'aller regarder

par la fenêtre pour vérifier letemps qu'il faisait àl'extérieur.

— La grisaille ?— La grisaille psychique. Les

mauvaises vibrations. Tu estriste.

— Je suis triste, c'est vrai.Et tu sais ce qui m'aiderait ?Un conseil. Tu n'en as aucun à

m'offrir ?— Eh bien, résumons la

situation : Darius veut laMaison, ou punir les vampires,ou les deux. Pour atteindre sesobjectifs, il a convaincu lesfées de vous faire sortir par laforce, quand, demain soir ?

— Oui.— Et il a acheté leurs

services en leur faisantmiroiter l'œuf de dragon, unobjet précieux qu'elles ontfabriqué mais vous ont ensuitedonné, et qu'elles réclament ànouveau, ou une connerie dugenre ?

— En gros, c'est ça, oui.

— Et où se trouve l'œuf dedragon ?

— Aucune idée. Le PG l'apris, mais nous ne l'avons pasretrouvé, et les autres Maisonsrefusent de coopérer.

— Bon, au risque de paraîtreun peu abrupt, si les féesreprésentent l'unique moyende pression que le PG a survous et qu'elles veulent l'œufde dragon, il faut que vousmettiez la main dessus.

— Plus facile à dire qu'àfaire.

—Vraiment ? Vous avezaffaire à des vampires et à unvol qui s'est produit dans un

laps de temps très court.Réfléchis.

Le paquet dans sa paume, ilcommença à retourner lescartes une par une sur la table.

Alors qu'il les avaitlonguement mélangées sousmes yeux, il dévoila le valet depique, puis la dame, le roi etl'as de la même couleur. À lasuite, sans que j'aie remarquéquoi que ce soit de suspect. Etpourtant, je l'avais bienobservé.

— Les vampires duPrésidium de Greenwich, queje ne tiens pas en hauteestime, ont réussi à dérober un

objet à l'intérieur de la MaisonCadogan, juste sous votre nez.Je trouve ça étrange.

— Comment ça, tu trouvesça étrange ? Tu ne crois pasqu'ils l'ont volé ?

Gabe posa le paquet sur latable.

— J'ignore s'ils l'ont volé ounon. À mon avis, le PGcomprend les vampires les plusmalins qui soient. Malins enraison de leur fourberie, nonde leur habileté. Celam'étonnerait qu'ils disposentdes talents de cambrioleurnécessaires pour s'emparerd'un objet juste sous le nez des

vampires de la MaisonCadogan, de leur Maître et deleur Sentinelle.

Il marquait un point, mêmesi cela ne m'indiquait pas oùl'œuf pouvait être caché.

Gabe jeta un coup d'œil à lapendule.

— Il va bientôt faire jour. Tudevrais rentrer.

Je hochai la tête et melevai.

— Merci pour ton aide.—Tout se résume à ça,

Chaton : ne te laisse pasguider par ta peur de Darius etdu PG, et surtout, ne les croispas plus doués qu'ils ne le

sont. Alors qu'il ne restait plus

qu'une demi-heure avantl'aube, je repris la route de laMaison, envahie par unsentiment d'échec.

La scène qui m'accueillitdans le hall suffit à me fairemonter les larmes aux yeux.Les décorations de Noëlavaient été enlevées ; desdizaines et des dizaines devalises noires lesremplaçaient.

D'accord, le soleil netarderait pas à pointer àl'horizon, mais avions-nous

vraiment baissé les bras ?Allions-nous céder la MaisonCadogan au PG sans mêmenous battre ?

Je descendis au sous-sol ettrouvai la salle des opérationsdéserte. Luc et les autresavaient dû partir se coucher.Ne me sentant pas prête àsubir une nouvelleconfrontation avec Lacey,j'évitai le bureau d'Ethan etmontai directement dans notreappartement.

Pour passer le temps enattendant Ethan, après avoirenfilé mon pyjama, j'étudiailes procédures d'évacuation de

la Maison consultables enligne. Luc avait fait preuved'une incroyable minutie,allant jusqu'à créer un manuelde sécurité comportantplusieurs chapitres émaillés demilliers de notes de bas depage. Le troisième encomprenait pas moins de centquarante-deux évoquant desleçons tirées de sa propreexpérience – « les râteaux nes'avèrent pas aussi efficacesque ce que l'on croit sur lesratons laveurs-garous » -, desanecdotes – « je me souviensde l'époque où un "message"

désignait une lettretransportée par un cheval » - etquelques trucs et astuces – « lemiel apaise de manière trèsefficace les griffures de plantecobra ».

Non content d'avoir rédigéles protocoles, Luc avaitégalement conçu des testsdestinés à évaluer nosconnaissances, comme lesuivant, que j'affectionnaistout particulièrement :

« Q : Quelle est la méthodela plus efficace pour maîtriserun centaure enragé ?

R : Ha ! Les centauresn'existent pas, espèce d'ignare.

Pose tes fesses sur une chaiseet lis ton Canon. »

Je ne préparai pas mesaffaires, cependant. Je m'yrefusai, m'interdis derenoncer. Seuls quelques raresobjets possédaient assez devaleur à mes yeux pour que jeles emporte : les perles de monhéritage familial, le médaillonCadogan que j'avais dissimulé,la balle de baseball qu'Ethanm'avait donnée, un jour. Maisils demeureraient à leur place,car les mettre dans une valises'apparenterait à un aveu dedéfaite. Et Ethan ne m'avait

pas appris à capituler sifacilement.

Je me brossai les cheveuxpour la seconde fois, puisrangeai le tiroir de ma table denuit, qui renfermait desmouchoirs, du baume à lèvreset des chaussettes pour lesfroides journées d'hiver.

Il ne restait plus quequelques minutes avant l'aube,et il n'avait toujours pasreparu.

Il reviendrait forcémentavant le lever du jour. Oùdormirait-il, sinon ?

Je me blottis dans sonfauteuil à oreillettes au salon

et écoutai la pendule égrenerles secondes de son absence.Les volets roulants occultèrentles fenêtres, et le soleil pointaà l'horizon. Mes paupières sefaisaient de plus en pluslourdes, mais la portedemeurait close.

Des craquements s'élevèrentdans l'appartement, lesgémissements d'une bâtisseancienne subissant les assautsdu vent.

Je résistai jusqu'à metrouver sur le point dem'effondrer de sommeil, puisme traînai vers la chambre etme glissai sous les

couvertures. Je grelottais, et jeme roulai en boule pourpréserver ma chaleur,ménageant un îlot de tiédeurdans la toundra de cotonrepassé qu'était devenu notrelit.

Je m'étais laissée entraînerdans une guerre d'usure, dedraps froids... et j'étais entrain de perdre.

16 Tours de passe-passe Je me réveillai seule dans le

lit, les draps froids à côté demoi.

Je m'assis, l'esprittourmenté par toutes sortes depossibilités, en particulier cellequ'il ait décidé de laisser Laceyle consoler. Mais avant quej'aie posé les pieds à terre, la

porte s'ouvrit. Ethan entra, enbras de chemise, sa veste à lamain.

Je prononçai une prièremuette pour remercier le ciel,soulagée qu'il aille bien et quel'assassin vampire ne se soitpas faufilé à l'intérieur de laMaison Cadogan pour le tuer.Mais ensuite, la colère refitsurface.

— La nuit a été longue ?demandai-je d'un ton aussicalme que possible.

— Une interminable sessionde stratégie, répondit-il. Nousavons travaillé jusqu'à l'aube,et je me suis endormi sur le

canapé dans mon bureau.— Et Lacey ?— Elle était là, se contenta-

t-il de dire.Il s'approcha pour étendre sa

veste sur le lit, puis ôta sesboutons de manchette et samontre.

— Et tout cela parce que tues en colère contre moi ?

— On travaillait, Merit,répliqua-t-il sans poser lesyeux sur moi.

— Jusqu'à l'aube ? Sansprendre le temps de revenir tecoucher dans ton lit ? Avecmoi ?

— Qu'est-ce que tu veux que

je te dise ?— Je veux que tu admettes

que tu es furieux contre moi.Que tu fais en sorte qu'elle tedésire, et que tu l'encouragesparce que tu es fâché.

— Tu es simplement jalouse,rétorqua-t-il avec dédain,comme s'il jugeait mesreproches puérils.

— Bien sûr que je suisjalouse. Vous êtes taillés dansla même étoffe, tous les deux.Et je crois qu'au fond de toi, tut'es toujours imaginé que tupartagerais ta vie avec unefemme comme elle.

— Plutôt qu'avec la brune

entêtée qui se trouve en facede moi ?

— Exactement, approuvai-jeavant de rassembler moncourage. Est-ce que tucherches sa compagnie pourme punir d'avoir intégré laGR ?

— Je n'ai pas le temps dejouer à ce genre de jeux.

— Tu m'évites.— Je suis occupé.— Tu es en colère.Le barrage céda. Il me

décocha un regard noir.— Bien sûr que je suis en

colère, Merit. Je suis fou derage que tu te sois engagée

dans une voie semée dedangers sans m'en avertir etque tu aies fait équipe tout cetemps avec lui sans m'enparler. (Il avança d'un pas.) Sije te disais que Lacey et moine travaillons pas ensembleuniquement en raison de notrevision commune, de notreformation commune, maisparce que nous sommes unispar un lien auquel tu n'as pasle droit de toucher, commentte sentirais-tu ?

Il avait raison ; je mesentirais affreusement mal.Rien que l'hypothèse me

rendait malade. D'un autrecôté...

— Je ne passe pas du tempsavec Jonah pour te blesser.

— Si c'est ce que tu penses,tu dois avoir oublié les défisauxquels est confrontée laMaison en ce moment même.

Il évita toutefois mon regarden prononçant ces paroles.Certes, je l'avais offensé, etd'autres soucis l'accaparaient,je n'en doutais pas. Mais ilsavait très bien ce qu'il faisaitet de quelle manière soncomportement m'affectait. Ilessayait de me faire mal,même s'il refusait de

l'admettre. Même s'il préféraits'imaginer au-delà de ce genrede bassesses humaines.

Il s'accouda à la commodepuis posa son front dans samain.

— Nous battre ne nousaidera pas.

Il avait raison. Nous noustrouvions dans une impasse,dont nous ne sortirions quequand l'un de nous deuxreculerait, convaincu de lafidélité de l'autre.

Il changea de sujet :— L'équipe de transition se

réunit dans une demi-heurepour réfléchir à notre réponse.

Nous croyons possible demettre en doute le contrat etla nécessité de payer le PGcompte tenu de soncomportement indigne. Nousavons aussi appelé la banque.Cela étant, si nous nedécouvrons pas une solutionau problème relatif à la Maisonen elle-même, nous devronsnous incliner.

— Ils espèrent nous détruire,soufflai-je, les larmes aux yeuxà la perspective de quitterCadogan.

— Ils s'attendent à ce quenous cédions.

Mais nous ne céderions pas.

Nous ne le pouvions pas. Lescolonies avaient résisté auxAnglais ; il me semblaitimpossible de ne pas en faireautant.

— Où en est l'enquête sur lesmeurtres ? s'enquit-il.

— Nous ne sommes pas plusavancés qu'hier. Je n'ai rien,Ethan. Rien du tout.

Et nous sommes si loin l'unde l'autre, songeai-je. Si loinque ça me tue. Bon sang, j'aibesoin de toi. J'ai besoind'aide, de quelqu'un qui meguide dans la bonnedirection. J'ai besoin d'uneréponse.

Je lui avais cependant déjàdemandé plus que ce qu'il étaitcapable de donner. Après avoirconsenti un bref au revoir, ildescendit retrouver son équipe.

De laquelle je ne faisaisapparemment plus partie.

Après m'être douchée,

j'enfilai mon ensemble en cuir,au cas où la transition serévélerait plus chaotique queprévu, puis m'adonnai à monrituel de beauté habituel : jedémêlai ma frange, rassemblaimes cheveux en queue-de-cheval et appliquai du brillantà lèvres.

Je descendis dans le hall, où

Je descendis dans le hall, oùla présence d'environ deuxcents valises appartenant auxquatre-vingt-dix et quelquesvampires qui vivaient à laMaison Cadogan semblait merappeler mon échec : si tuavais trouvé un moyen denous sortir de là, si tu avaisréussi à convaincre Lakshmide nous aider, nous neserions pas obligés de partir.

Je jetai un coup d'œil àl'intérieur du bureau d'Ethan,où j'aperçus tout un groupe devampires, dont Malik, Lacey,le bibliothécaire et MichaelDonovan, mais aucun objet de

décoration. En dépit de lacrise, ou à cause d'elle,quelqu'un avait rangé tous lesbibelots d'Ethan : trophées,photographies, souvenirsmatériels des années qu'ilavait vécues à la Maison.

Ce constat me déprima.Je passerais très

probablement le reste de lanuit en compagnie de messemblables. Mais à cet instant,j'avais envie d'un momentd'intimité avec la Maison, monfoyer, afin de lui dire adieu.Aussi, je dépassai le bureau ettraversai le couloir jusqu'à laporte de derrière, que j'ouvris.

Je fus aussitôt saisie par unfroid mordant que je trouvairevigorant, comme s'ilpossédait un pouvoir purifiant.J'empruntai le sentier menantau jardin où Ethan et moinous étions retrouvés àplusieurs reprises. L'eau de lafontaine avait été coupée pourl'hiver.

Je me retournai pourcontempler le manoir quibrillait d'un éclat doré dansl'obscurité de Hyde Park, avecses deux étages de pierre, desang et de souvenirs.

Deux étages témoins duproblème que nous n'avions

pas été capables de résoudreavec le PG.

De quatre meurtres que nousn'avions pas réussi à élucider.

D'une relation que j'avaisgâchée.

Et si je m'étais trompée ? Etsi, en rejoignant la GardeRouge, j'avais violé mesdevoirs envers la Maison ettrahi la confiance d'Ethan ?Et si j'avais jeté à la poubelle,sur un coup de tête, tout ceque ma vie comportait demeilleur : ma place à Cadogan,ma famille vampire et Ethan ?Et si je m'étais fourvoyée enpensant qu'intégrer la Garde

Rouge était la bonnedécision ? Et si j'avais commisune erreur qui m'avait coûtétout ce que je possédais ?

Pourquoi tout était-il sicompliqué ? La politique. Mesamitiés. Ma famille.

Mes amours.Cependant, aussi séduisante

l'idée d'une séance d'auto-apitoiement fût-elle, ce n'étaitpas le moment de céder auxregrets. A présent, je devaissavourer les souvenirs liés àcette Maison que je devraisbientôt quitter. Je m'assis surun banc, un peu plus loin, etme remémorai les instants que

je voulais garder gravés dansmon esprit. Le dîner partagéavec Mallory et Catcher dansle bureau d'Ethan. La premièrefois que j'avais pénétré dans labibliothèque.

La nuit de maRecommandation, quandEthan m'avait nomméeSentinelle.

Un battement d'ailes au-dessus de nia tête attira monattention. Un oiseau noir - uncorbeau, ou peut-être unecorneille - survola la propriétéavant de s'éloigner par-delà lesgrilles. Ne serait-ce pasagréable de pouvoir si

facilement fuir les drames etles mauvaises décisions ?

Je reportai mon regard surle jardin. En raison de l'hiver,la plupart des parterres nelaissaient voir qu'un sol brundénué de fleurs. Quelqu'un,sans doute Helen, avaitinstallé une bouleréfléchissante de l'autre côtédu banc, une sphère parfaitecomposée de verre bleu.Entourée de lampes enterrées,sa surface convexe renvoyaitune image déformée dupaysage.

Je me glissai le long dubanc et la contemplai, faisant

le vœu d'y trouver sagesse etlumière. La matière lisse melivra le reflet de mon visage,affublé d'un nez crochu et dejoues roses. Une visiondifférente de celle que j'étais...et de ce que j'étais devenue.Un soldat, peut-être, même sije ne triomphais pas toujours.

Je me levai et rajustai maveste. Si j'incarnais uneguerrière et que nous devionstous sombrer avec le bateausur lequel nous avionsembarqué, je préférais vivrecette épreuve avec mescompagnons, dans la Maison

où j'avais amassé tant desouvenirs, plutôt que seuledans le froid et l'obscurité dujardin.

Mon téléphone m'avertit de

la réception d'un nouveautexto au moment même où jefranchissais la porte.

Il provenait de Jonah.« Message de Lakshmi »,annonçait-il.

Mon cœur se mit à battre lachamade. « Et ? » luidemandai-je.

« Elle écrit : Merit me doitune faveur. »

Je me figeai en lisant ces

mots. La veille, j'avais proposéde lui rendre un service enéchange de la révélation de lacachette de l'œuf. Si elle secroyait en droit de medemander une faveur... était-ce parce qu'elle avait déjàrépondu à ma requête ?

« Elle ne répond pas à mesmessages », ajouta Jonah, cequi, d'après moi, signifiait quenous ne tirerions plus riend'elle.

Mes mains se mirent àtrembler sous l'effet del'adrénaline. Je fermai trèsfort les paupières pour mieuxme concentrer et tâchai de me

rappeler les paroles qu'elleavait prononcées au sujet del'œuf et de l'endroit où il étaitdissimulé. En hauteur ? Dansun lieu réputé ?

— Non, « en haut lieu »,chuchotai-je en rouvrant lesyeux.

Mais où cela pouvait-ilêtre ? Un « haut lieu » pouvaitindiquer toutes sortesd'emplacements, si elle avaitvoulu dire « élevé ». Chicago nemanquait pas de gratte-ciel,après tout. Le PG pouvait-ill'avoir caché dans la WillisTower ? Ou le HancockCenter ?

Que m'avait conseilléGabriel ? De ne pas surestimerleurs talents de cambrioleurs.

Les membres du Présidiumavaient très clairementcommis un vol : l'œuf ne setrouvait plus dans sa vitrine.Et si ce n'était qu'une illusion,à l'instar du tour de cartes deGabriel ?

Peut-être le moment était-ilvenu d'examiner ce qui s'étaitréellement passé pendant lacérémonie du PG.

Je rangeai mon téléphone etcourus jusqu'au bureaud'Ethan, où l'équipe detransition était installée

autour de la table deconférence.

Ethan se tenait debout,légèrement à l'écart, semblantobserver la scène composéedes vampires et des documentsempilés sur la table. Des outilsincapables de l'aider à résoudrele problème auquel il étaitconfronté.

Mais peut-être memontrerais-je utile.

Je me dirigeai vers lui etposai une main sur son bras :

— Je dois te parler dehors.Il me jeta un coup d'œil par-

dessus son épaule, doutantvisiblement de l'intérêt de ma

proposition.— Le temps presse, Merit. Ils

arriveront dans moins d'uneheure.

— Je te promets que ça envaut la peine.

Il me considéra un moment,clairement plus réticent qued'habitude à m'accorder saconfiance, mais il finit parhocher la tête et me suivitdans le couloir.

— Je crois que nousdevrions visionner les vidéosque les caméras de sécuritéont enregistrées pendant lacérémonie du PG. L'arrière dela Maison a dû être filmé.

J'aimerais voir exactement cequi s'est passé quand l'œuf aété volé.

Son expression demeuraimpassible ; je me rendais biencompte qu'il refusait de céderà l'espoir.

— Pourquoi ?Je m'humectai les lèvres

avec nervosité.— Je ne suis encore sûre de

rien, mais j'ai parlé avec lasource que tu désapprouves, etdisons simplement que j'estimeque ça vaut le coup de vérifier.

Il m'observa en silencequelques instants.

— Merit...

Je savais qu'il allait me direque je me trompais.

Mais ce n'était pas le cas.J'avais raison, j'en étaiscertaine. J'ignorais juste enquoi j'avais raison.

— Je te demande de me faireconfiance. Je sais que je nesuis pas très douée en tant quepetite amie, mais depuis quej'ai rejoint cette Maison -contre mon gré, je me permetsde le préciser -, j'ai fait de monmieux pour la protéger. Pourassurer sa sécurité.

— Contre ton gré ?— J'ai dit ça juste pour

détendre l'atmosphère,

répliquai-je avec un petitsourire. Mais revenons-en ànotre sujet. Accorde-moiquelques minutes, Ethan. S'ilte plaît.

Il se tapota la hanche dubout des doigts, hésitantvisiblement à concéder deprécieuses minutes à un planimpromptu plutôt que lesconsacrer à peaufiner ceuxqu'il avait déjà élaborés.

Sans un mot, il tourna lestalons et s'éloigna dans lecouloir. Je le suivis,découragée, me demandant s'ilavait refusé de me croire parcequ'il était toujours en colère

contre moi ou parce que monidée ne valait vraiment pas lapeine qu'on s'y attarde.

Contre toute attente, ilpassa devant son bureau pouratteindre l'escalier, puisdescendit au sous-sol.

La salle des gardesbourdonnait d'activité. Surl'écran du vidéoprojecteurs'affichait une série de photos,des portraits de vampiresNavarre, certains barrés d'unecroix, sans doute parce queLuc les avait éliminés de laliste des suspects.

Je ne fus guère surprise devoir tous les gadgets

électroniques encore en placeet fonctionnels. Il existaitégalement un plan d'urgenceconcernant la salle desopérations : il suffisaitd'appuyer sur la touche d'unetélécommande pour effacertoutes les données à distance.Luc n'avait pas à se soucier deranger et n'avait pas non plusà craindre que d'éventuelsnouveaux résidents de laMaison Cadogan s'emparentd'informations sensibles.

— Sire ? demanda Luc ennous regardant tour à tour.Est-ce que tout va bien ?

— Il faudrait que l'on

visionne la vidéo de lacérémonie du PG, déclaraEthan. Tu peux t'en occuper ?

—Euh, bien sûr. Je peuxsavoir de quoi il retourne ?

— Nous aimerions enapprendre davantage sur le volde l'œuf.

— OK, dit Luc enrecherchant les fichiersconcernés sur une tablettenumérique.

L'écran vira au noir, puis unfilm se déclencha. En dépit desimages en noir et blanc augrain grossier, les silhouettespostées dans le jardin sedétachaient de manière assez

nette. Les représentants du PGapparaissaient dans leurformation en Vcaractéristique.

— Des oies dans le jardin,lâcha Luc.

— Des oies ? répétai-je.— Cette organisation en V.

J'aime utiliser des termesdésobligeants pour nommer lePG chaque fois que j'en ai lapossibilité.

Ce n'était pas moi qui le luireprocherais.

— Ils sont tous là,commenta Ethan, balayantl'écran du regard tandis qu'ilcomptait les membres du

Présidium. Personne nemanque.

— Patience, dis-je, espérantque j'avais raison et que je nelui faisais pas perdre sontemps.

Sur la vidéo, Ethan etDarius s'admonestèrent, puisles fées apparurent pour selivrer à leur démonstration deforce. C'est alors que je le vis.

— Là ! m'exclamai-je enmontrant du doigt la dernièredes « oies », Harold Monmonth,l'acolyte de Célina, alors qu'ildisparaissait du champ de lacaméra.

— Ce petit merdeux, lâcha

Ethan. Avance un peu.Luc passa le film en

accéléré. Quatre minutes plustard, Harold Monmonth repritsa place à l'extrémité du V,comme s'il ne l'avait jamaisquittée.

— Zoome sur ses mains,recommandai-je, aussitôt obéiepar Luc.

Elles étaient vides.— Est-ce qu'on peut

s'assurer qu'il est entré dans laMaison ? s'enquit Ethan.

— Oui, répondit Luc. Il y aune caméra au-dessus de laporte de derrière.

Luc changea de vue et

rembobina un peu. Sanssurprise, Harold pénétra àl'intérieur de la Maison... etreparut quatre minutes plustard, les mains vides.

— Il est entré, puis ressorti,résumai-je. Il a dérobé l'œuf,mais ne l'a pas gardé sur lui.(Je reportai mon attention surEthan.) Les membres du PGsavaient qu'ils devraientrevenir à la Maison Cadoganavec l'œuf pour payer les fées,nous mettre dehors et prendrele contrôle. En fait, ilsespéraient que nousbaisserions les bras et

préférerions partir plutôt querisquer de faire couler le sang.Ils devaient égalements'attendre à ce que nouspassions la ville au peigne finpour le retrouver... sans penserà regarder ici, sous notre nez,à la Maison Cadogan.

— L'œuf de dragon se trouvedans la Maison, conclut-il avecstupéfaction. (Il me dévisageaavec émerveillement, puism'enveloppa dans une solideétreinte qui me réchauffa lecœur... et tout le reste ducorps.) Il est dans cetteMaison, bon sang !

— Ça alors, Sentinelle,

lâcha Luc en se levant avantde m'administrer une claquedans le dos. Tu m'as écoutée,on dirait.

Lui, une renégate du PG etun métamorphe. Mais luiaussi, c'était vrai.

— Il n'y a qu'un petitproblème, objecta Luc enconsultant la pendule fixée aumur. Il ne nous reste plusbeaucoup de temps avant leurarrivée, et la Maison est vaste.

— Est-ce que ta... source t'afourni un indice sur l'endroitoù il pourrait avoir été caché ?m'interrogea Ethan.

— En haut lieu. On m'a dit

qu'il se trouvait « en hautlieu ».

Heureusement, j'avais eu leréflexe de ne pas utiliser depronom féminin. Ethan et Lucéchangèrent un regard.

— Mes appartements ?proposa Ethan. Ou peut-être labibliothèque ?

—Le bibliothécaire n'a pasassisté à la cérémonie, précisaLuc. Il l'aurait su si quelqu'unétait entré. La salle de bal ?

Ethan hocha la tête.— Toi, tu restes ici. Je vais

voir dans la salle de bal. Merit,occupe-toi de notre suite.

J'acquiesçai avant de me

précipiter vers l'escalier et degravir les marches au pas decourse jusqu'au deuxièmeétage. J'ouvris les portes denotre appartement à la voléeet entrepris de fouiller lespièces. J'inspectai les tiroirsde tous les meubles, écartai lesrideaux, regardai derrière lesvêtements de la penderie.J'ôtai les housses des coussins,vérifiai sous les fauteuils etrampai sous le lit.

Je mis la suite sens dessusdessous, en vain.

Vaincue, je venais juste deregagner le couloir quandEthan surgit de l'escalier, le

souffle court.— Rien ?Je secouai la tête. Juste à

ce moment, son bipeur sonna.Poussant un soupir, il ledétacha de sa ceinture.

— Ils sont là, annonça-t-il.Les fées attendent dehors.

— Ce n'est pas terminé,Ethan, affirmai-je. Je le sais.

— Je ne peux pas leurpermettre de répandre le sangdans cette Maison, déclara-t-il,sa posture et son visagetrahissant son sentiment dedéfaite.

Il tourna les talons et sedirigea vers l'escalier... mais je

refusais de renoncer.— Haut lieu, marmonnai-je,

avançant d'un pas seulement.Haut lieu. Haut, commeprestigieux ? Commemémorable ? Comme lecontraire de bas ? (Je mefigeai.) Le contraire de bas.

Ethan me jeta un coup d'oeilpar-dessus son épaule.

— Merit ?— Un haut lieu, comme un

lieu élevé, déclarai-je, cetteconclusion se fondant à messouvenirs. Je sais où il estcaché. Vas-y, descends. Je terejoins. Je te le promets.

Il semblait sceptique, mais

je ne lui laissai pas le temps deprotester. Je fis demi-tour ettraversai le couloir en courantjusqu'à la porte qui menaitnon pas à une simple pièce,mais à un grenier... et au toitde Cadogan.

La chambre était vide àl'exception de l'escalierescamotable, que quelqu'unavait déjà déplié. Des boufféesd'air froid et poussiéreuxprovenant des combless'engouffraient par la trappe.Je gravis les marches à lahâte, pour émerger parmi leschevrons et l'isolant. Je jetai

un regard alentour, sans rienremarquer d'anormal.

Jusqu'à ce que je pose lesyeux sur la fenêtre donnantaccès au toit ; elle étaitouverte.

— Bon sang ! m'exclamai-jeen me précipitant vers lalucarne, par laquelle je mehissai sur l'étroit balcon ceintd'une rambarde en fer forgé,dans la noirceur de la nuit.

Je me mis à genoux etinspectai les bardeaux les unsaprès les autres dansl'obscurité, espérant sentirsous mes doigts l'objet d'or etd'émail que je m'attendais à

trouver... en vain. Je meredressai et regardai encontrebas les vampires et lesfées qui se rassemblaient dansle jardin alors qu'Ethan sortaitde la Maison.

Soudain prise de vertige, jetendis le bras pour assurermon équilibre... et rencontraiune bosse. Je soulevai le finbardeau déformé, glissai lamain par-dessous... et extirpaiun paquet entouré de soie.

— Je crois que vous avezquelque chose quim'appartient.

Je jetai un coup d'oeil par-dessus mon épaule. Harold

Monmonth, debout devant lafenêtre, me fusillait de sesyeux sombres, une expressionmenaçante sur le visage. Lesfées étaient arrivées, et lemoment était venu pour luid'offrir la récompense promise.

Mais j'avais d'autres projetsen tête.

— Vous vous trompez,répliquai-je.

Alors qu'il se ruait sur moi,je sautai sur la rambarde dubalcon, puis fis un pas dans lenéant.

Les vampires entretenaientavec la gravité une relationspéciale que j'avais appris à

exploiter.Une seconde plus tard, l'œuf

de dragon dans la main,j'atterris dans l'herbe, jambesployées, avec un bruit sourdqui attira sur moi tous lesregards.

Avec toute l'assurance dontj'étais capable, je me redressaiet me dirigeai vers Ethan, luiprésentant mon trophée.

— Sire, je crois que tucherchais ceci, déclarai-jeavec un sourire malicieux.

Une cacophonie de crisjaillit de la foule, lesacclamations joyeuses desvampires Cadogan se mêlant

aux grondements rageurs duPG et des fées. Quoique cesdernières se moquaient bien desavoir qui portait le trésor.Elles voulaient juste s'enemparer.

Sous les yeux de Darius,Harold, Lakshmi et des autresreprésentants du Présidium,Ethan balaya du regard lestroupes fées déployées dans lejardin, gonflé de fierté.

— Je suppose que vous êtesvenues récupérer l'œuf dedragon ?

— Il nous appartient,déclara l'une d'elles enavançant d'un pas. Nous

l'avons fabriqué de nos mains.— Peut-être, mais il a été

créé à l'intention de l'und'entre nous et nous a étéoffert par un membre de votreroyauté. Il nous revient dedroit. Même si, par vos actes,vous avez démontré que ledroit et la justice vousimportent peu. (Les fées legratifièrent d'une profusion deregards mauvais.) Mais ce soir,je vous propose un marché.Prenez notre œuf de dragon.En retour, vous devez nousjurer de ne plus jamais traiteravec le Présidium de

Greenwich ni menacer laMaison Cadogan, et nousconsidérerons que noussommes quittes.

Quittes, car nous nepouvions plus nous fier à ellespour garder la Maison,supposai-je.

Les fées se concertèrent unmoment, puis celle qui s'étaitadressée à Ethan hocha latête.

— Nous acceptons, dit-elleavant de prendre l'œuf dedragon.

Comme une arméesurnaturelle en déroute, ellesfirent volte-face, se mirent en

marche et franchirent leportail.

Ethan se tourna lentementvers Darius, un sourcil arquéd'un air impérial.

Je dus me mordre les lèvrespour ne pas sourire, et je suissûre que je n'étais pas la seuledans ce cas dans la foule.

— On dirait que votre plan aété... déjoué, déclara-t-il.

— Elles ne représentaientqu'un instrument, répliquaDarius. Vous nous avez faitdéfaut, et nous revendiquonstoujours votre Maison,indépendamment des bras dontnous sollicitons le concours.

— Eh bien, cette positionest aussi regrettablequ'erronée. Ce que vous n'avezpas anticipé, Darius, c'est quevotre petit jeu de pouvoir,votre levée d'armes contre laMaison et ses vampires,constitue une rupture trèsnette de votre contrat avecPeter Cadogan. (Le sourire deDarius s'évanouit, et Ethanglissa les mains dans sespoches.) Et vous savez ce quesignifie une rupture decontrat ? Selon les termes quecelui-ci stipule, les obligationsde la Maison Cadogan envers

le PC sont abrogées. (Ethanclaqua des doigts.) Annulées.Non seulement vous n'aurezpas la Maison, mais vousn'encaisserez pas non plusnotre chèque. Nous avonsappelé la banque, qui est plusque ravie de conserver nossubstantielles richesses bienen sécurité dans ses coffres.(Ethan croisa les bras etdévisagea Darius en arquantun sourcil.) Étant donné quevous avez perdu votre armée etcette bataille, je vous suggèrede foutre le camp de monjardin.

— Ce n'est pas terminé,Ethan, cracha Darius, lesdents serrées.

— J'en suis sûr, rétorquaEthan. En amour comme à laguerre, tous les coups sontpermis, après tout.

N'ayant d'autre choix que serésigner à leur défaite, Dariuset les membres du PGs'éclipsèrent tandis qu'Ethanse faisait submerger par unemarée de vampires Cadogancélébrant notre victoire sur lefil du rasoir.

Il chercha mon regard dansla foule, une promesse dans lesyeux.

— Tout le chocolat dum o n d e , me dit-il partélépathie.

Je supposai qu'il s'agissaitde ma récompense, mais cen'était pas grâce à moi quenous avions gagné. Je m'étaiscontentée de mettre à profitl'indice que l'on m'avaittransmis. Je croisai les yeuxde Lakshmi Rao par-dessus lamer de vampires. Campée surses jambes, les épaules droites,elle arborait une expressionjuste assez arrogante pourrépondre aux critères du PG.

Elle soutint mon regard, etje lus dans ses prunelles un

rappel très clair : « Vous medevez une faveur. »

Lorsqu'elle quitta la Maisonavec les autres, je frissonnai.

Chassés du jardin par lefroid, tous les vampiresCadogan se rassemblèrentdans le hall pendant qu'Helen,Margot et son équipedéballaient des flûtes encristal pour servir duchampagne.

— Novices, déclama Ethan,il serait naïf de ma partd'affirmer que nous vivonsdésormais dans un mondedénué de défis. Nous sommesdes Solitaires, et, si ce n'était

pas déjà le cas, nous noussommes indéniablement faitun ennemi du Présidium cesoir. Nos gardes recherchenttoujours un tueur qui rôdedans les rues de notre ville.Mais par-dessus tout, noussommes des vampiresCadogan. Buvons (il leva sonverre), puis remettons-nous autravail.

Un vrai chef, songeai-je avecun sourire.

Pendant quelques minutesde félicité, j'autorisai Luc àremplir mon assiette de bœufséché à plusieurs reprises,prétendant être aussi

compétente qu'il le laissaitentendre à tous ceux quiétaient assis autour de nous.Cependant, la découverte del'œuf offrait une leçon sur lanature humaine et vampire :mieux vaut se montrersympathique avec les autres -notamment les métamorphes -, car on ne sait jamais quandon aura besoin de leurslumières.

Au bout d'un moment, je melevai pour rejoindre Ethan. Ilfallait que je retourne autravail, mais nous devions toutd'abord parler. J'espérais lui

avoir démontré que la GardeRouge représentait un bénéficepour la Maison, et non unfardeau. Un lien quifonctionnait dans les deuxsens, et pour le bien de tousles vampires.

Je me dirigeai vers sonbureau, où je trouvai la porteentrouverte. Je jetai un coupd'œil par l'entrebâillement.Lacey et lui se tenaient deboutau centre de la pièce.

— Je te remercie d'êtrevenue, déclara Ethan d'un tonpoli. Tu es une excellenteMaîtresse, et encore meilleureex-Novice.

Il avait beau la taquiner, ellene se départissait pas de sagravité ; je devinais ce qu'elleavait en tête.

— Ethan, je me dois de te ledire : je crois qu'il est tempsque tu considères sérieusementta relation avec Merit.

— Lacey...— Il te faut quelqu'un de

fort, l'interrompit-elle.Quelqu'un d'honorable.Quelqu'un qui ne courra pasdans les bras d'un autrevampire en pleine crise. Tu asbesoin d'une femme digne decette Maison. Digne de toi.

Quelle que soit l'intensité

des sentiments qu'elleéprouvait pour lui, elle n'avaitpas le droit de diminuerl'importance de ce qu'il avaitfait - bondir au-devant d'unpieu pour moi - en suggérantque son geste n'avait pas étéintentionnel.

Il était grand temps de luimettre les points sur les « i ».Je poussai donc le battant etfranchis le seuil.

Dès que Lacey m'aperçut, etavant que je puisse prononcerun mot, elle empoigna Ethanpar le revers de sa veste... etl'embrassa avec ardeur.

— Bon sang ! s'exclama

Ethan en s'écartant avant des'essuyer la bouche de la main.Lacey, maîtrise-toi !

— Elle t'a laissé mourir !insista-t-elle. Elle ne t'a pasprotégé, elle a failli à sa tâche.Est-ce que tu as une idée dumal que ça nous a fait ? Àtous ?

Pensant qu'il valait mieuxréduire au minimum le nombrede témoins de ce drame, jefermai la porte, qui claquaderrière moi avec bruit.

Ethan se retourna, les yeuxécarquillés, se demandantprobablement ce que j'avaisvu.

— Si vous voulez m'insulter,ayez au moins la décence dene pas le faire dans mon dos,déclarai-je d'une voix calme,mais assez forte pour qu'elleporte jusqu'à l'autre bout de lapièce.

L'espace d'une fraction deseconde, je décelai de la peurdans le regard de Lacey.L'instant d'après, elle avaitdisparu, remplacée par uneinsupportable arrogance.

— C'est comme ça que tuformes ta Sentinelle ? Tu luiapprends à interrompre lesconversations ? A se montrerdésobligeante ? Elle te trompe,

Ethan, et elle te ment enaffirmant le contraire. (Elleplongea la main dans sapoche, d'où elle sortit lamédaille à l'effigie de saintGeorge que m'avait donnéeJonah.) J'ai trouvé cette piècepar terre, dans tonappartement, et elle pue laMaison Grey à plein nez.

Mes yeux s'agrandirent, et jeme retins juste à temps devérifier si ma médaille étaittoujours dans ma poche. Detoute évidence, je l'avaisperdue ; elle avait dû tomberde ma veste.

Un mélange de fureur, de

déception et de stupeur sepeignit sur les traits d'Ethan.

— Tu es entrée dans monappartement ?

— Oui, parce que j'ai raison,Ethan. J'ai toujours eu raisonà son sujet. Peu importe quiest son père. Elle estmalhonnête, et elle te fait dumal.

Je me demandai si Ethanappréciait l'ironie de lasituation : deux de sesétudiantes vampires avaientpris des initiatives sans leconsulter, poussées par laconviction de faire ce qu'ilfallait. J'avais agi pour le bien

de la Maison. Quant à Lacey...Avait-elle en tête les intérêtsd'Ethan ? Ou les siens ? Mecroyait-elle vraiment aussidangereuse qu'elle leprétendait, ou n'avait-ellesimplement pas trouvé demeilleur prétexte pours'immiscer entre nous ?

Et puis, cette pique sur monpère m'avait franchementdéplu. C'était un pointsensible ; elle devait le savoir.

Percevant la colère quienflait en moi, Ethan leva lamain pour me dissuader deparler :

— Le fait que tu sois entrée

chez nous sans ma permissionest inacceptable.

« Chez nous. » Ces deuxpetits mots me procurèrent untel soulagement que les larmesme montèrent aux yeux, maisje les retins. Je n'avais aucuneenvie de pleurer devant Lacey.

Elle blêmit.— Je l'ai fait pour t'aider,

Ethan. Je t'assure. (Ellebrandit de nouveau satrouvaille.) Regarde ! Regardeça ! Ça prouve ce que je viensde te dire !

— Merit n'a aucune raisond'avoir honte de cettemédaille. Et tu n'as aucune

raison de t'en préoccuper.Attendez... Ethan venait-il

de me défendre ? Moi... et laGR ?

— Tu l'avais déjà vue ?demanda-t-elle.

Ethan ne répondit pas. Il secontenta de tendre la mainjusqu'à ce que Lacey se résigneà lui remettre la pièce. Puis, ilse tourna vers moi et me larendit.

— Je suppose que tu aségaré ceci, Sentinelle ? lança-t-il avec un regard insondable.

— Euh, oui, dis-je avant dela fourrer de nouveau dans mapoche.

— Je crois qu'il est tempsque tu rentres à San Diego,déclara Ethan en reportantson attention sur Lacey.

Cette fois, il ne parlait passur le ton d'un Maîtres'adressant à un collègue, maiscelui d'un Maître réprimandantun Novice qui l'avait déçu.

— Ethan...— Lacey, je n'aime pas être

manipulé. Nous entretenonsune relation de longue date, etj'apprécie les services que turends à cette Maison, mais, aunom de cette relation, tu doisclore ce chapitre. Si tu ne t'enmontres pas capable, je m'en

chargerai à ta place.Elle esquissa un bref signe

de tête, les yeux embués delarmes.

— Sire, dit-elle avant detourner les talons et se dirigervers la porte, par laquelle elledisparut, laissant le battantentrouvert.

Je me demandai si elle avaitintentionnellement négligé dele fermer, espérant peut-êtrequ'Ethan change d'avis et larappelle.

Il posa le regard sur moi.Pour la première fois depuisdes jours, je vis une ombre desourire flotter sur ses lèvres.

— Saint George ?— C'est un cadeau que j'ai

reçu de la GR, en tant quenouvelle membre. Merci dem'avoir couverte.

— La dernière chose dontnous ayons besoin, c'est queLacey croie que Jonah et toifomentez un complot pourvous emparer de la Maison.

J'acquiesçai.— Je suis désolée pour toute

cette histoire. Je suis désoléeque Lacey et la GRs'interposent entre nous. Cen'était pas comme ça que jevoulais que ça se passe.

— Je comprends que tu te

sentes attirée par la GardeRouge, avoua-t-il. C'est enraison de ce que tu es. De tonhumanité, de ta nature rebelle,de ton mépris de l'autorité. Et,comme nous avons pu leconstater ce soir, ton lien avecla GR représente une défensetrès efficace contre lePrésidium.

— Je te l'avais dit.— Tu aurais une crise

cardiaque si je t'obligeais àdémissionner, je me trompe ?

— Oui, parce que tun'aimerais pas m'y obliger, etque je ne pourrais pas merésoudre à t'obéir. Ce genre de

comportement ne teressemblerait pas, Ethan, et çane me ressembleraitcertainement pas. Si tu m'asnommée Sentinelle de cetteMaison, ce n'est pas pour rien.Tu m'as choisie parce que tusavais que je ne suivrais pasaveuglément tous tes diktatsou ceux du PG.

— En effet, il y a peu dechances que ça arrive,rétorqua-t-il avec sarcasme.

Je pris ses mains dans lesmiennes.

— Si j'étais capable depenser rien qu'une secondequ'il fallait que je rejoigne la

GR pour te tenir à l'œil et fairede toi un meilleur Maître, nousne serions pas ensemble. Tum'as appris à être unevampire, un soldat, à défendreceux qui ne sont pas entenduspar les politiciens de notremonde. Même si tu n'as pascette impression, la GRreprésente un hommage à tesconvictions, et non unemenace.

Il sonda mon regard, etsembla satisfait par ce qu'il ylut.

— Suis ton instinct, Merit.Si tu crois que la GR faitpartie de ton chemin de

vampire, va jusqu'au bout.Mais rappelle-toi que lapriorité, c'est nous.

Alors qu'un sourire s'étiraitsur ses lèvres, je me hissai surla pointe des pieds etl'embrassai.

— Bien sûr, dis-je. Je t'aime.— Je t'aime aussi. J'accepte

que tu serves la GR parce queje te connais. Je sais que tuferas en sorte d'améliorerl'existence des vampires decette ville. Mais notre époqueest ce qu'elle est. Le fait que jetrouve cela tolérable nesignifie pas que les autresréagiront de même. Qui est au

courant, à part moi ?— Personne. Enfin, tous les

vampires de la Maison saventque nous nous sommesdisputés, mais pas à quel sujet.Mallory aussi. (Ethan étrécitles yeux.) Quoi ? Il fallait bienque j'en parle à ma copine.

— Et qu'en a-t-elle dit ?— Elle a pris ton parti.À ces mots, il adopta une

expression suffisante.— Essaie de ne révéler à

personne d'autre ton affiliationtop secrète, si tu le peux.

— Je ferai de mon mieux. Etsi jamais je l'annonçais parinadvertance au Sun-Times,

rappelle-toi que, au moins, onest ensemble.

— C'est vrai. J'accepte quetu fasses partie de la GR. Maissi jamais tu partages denouveau ton sang avec Jonah,tu devras me rendre descomptes.

Ses yeux étaient devenusargentés et il me dévisageaitavec intensité.

Le mélange entêtant de peuret de désir qui flottait dansl'air me faisait tourner la tête.

— Tu m'as affirmé que tun'étais pas jaloux, objectai-jeen reculant d'un pas. Que toiet moi, c'était inéluctable.

— C'était avant quej'apprenne que tu t'étais liéepar le sang à un homme d'uneautre Maison, Sentinelle.(Soudain, sans me laisser letemps de répliquer, il agrippale revers de ma veste etm'embrassa avec fougue.) Tues à moi, à moi seul, et ilsemblerait que tu aies besoind'un rappel. Je te suggère deretourner à notre appartement.Sinon, je te sauterai dessus icimême, avec la porte ouverte.

Je le dévisageai alors quetoute rationalité me quittait etque toutes les protestations

que j'aurais pu formulers'évanouissaient de monesprit. J'étais reconnaissanted'être en vie, et j'avais en facede moi Ethan dans toute sasplendeur, vampire, alpha etprédateur. Le spectacle étaitgrisant. Ce qui ne voulait pasdire que je renonçais à ledéfier. Je savais que mes yeuxavaient viré à l'argenté et qu'ils'en était aperçu, lui aussi,mais fis comme si de rienn'était.

— Tu n'oserais pas.Il se baissa, effleurant mon

oreille de ses lèvres. Mon sangs'échauffa par réflexe, et je

renversai la tête en arrière, luioffrant l'accès à mon cou.

— Ne me tente pas,Sentinelle.

— Ethan, susurrai-je.M'entendre murmurer son

nom lui fit perdre pied.— Trop tard, souffla-t-il

avant de se diriger vers laporte du bureau, qu'il claqua,puis ferma à clé.

Avant que j'aie pu émettre lamoindre objection, il merejoignit et s'empara de meslèvres en un baiser passionné,ses mains revendiquantchaque parcelle de mon corpstandis qu'il retirait ma veste et

la laissait tomber au sol.— Tu es affamé, plaisantai-

je.Il s'approcha pour se plaquer

contre moi, puis prit monmenton dans sa paume.

— Je t'aurai tout entière.Corps, esprit et âme. Et je nete partagerai avec personne.

Il incarnait à présentl'archétype du mâle dominant,possessif et autoritaire.

J'avais beau être une femmeintelligente, bien éduquée etdiplômée, cela ne diminua enrien l'effet de son désir primalet prédateur. S'il m'avaitdemandé de me mettre à

genoux et de ramper à sespieds, j'aurais obéi.

Heureusement, il n'en fitrien.

Agrippant sa chemise parl'ourlet, je la relevai et lapassai par-dessus sa tête,prenant tout mon temps poursavourer le spectacle de sapeau lisse, éternellementdorée, et de ses muscles fins.Je le caressai de la taille à lapoitrine, me délectant de soncontact. Il recula puis leva lesbras pour passer les mainsdans ses cheveux blonds. Cemouvement fit saillir sesmuscles obliques et contracter

son ventre plat.— Frimeur. (Avec un sourire

espiègle, il m'invita àapprocher d'un signe du doigt.)Je ne joue pas sur commande.(Il défit le premier bouton deson jean.) Espèce de tricheur.

Je me mordis la lèvre deplaisir en observant l'ancien,présent et futur Maître deCadogan dans un état de totalabandon : chemise au sol, jeandéboutonné offrant la preuveévidente de son excitation.

Sans pudeur, il prit ma mainet la guida vers son érectionavant de la faire aller et venirsur son jean tendu. Les yeux

fermés, il renversa la tête enarrière, les dents serrées, larespiration saccadée, ondulantdes hanches à la rencontre dema main.

Fascinée, je le regardai unmoment, contemplai ses traitsse tordre sous l'intensité dessensations, de la sensualité del'instant. Puis, il ouvrit lespaupières, retroussa les lèvres,et plongea les yeux dans lesmiens tandis que je lecaressais, attisais son désir,l'amenais aux portes de lapassion.

Lorsqu'il jugea que celaavait assez duré, il m'embrassa

de nouveau, puis enroula mesjambes autour de sa taille etme fit reculer jusqu'à ce quemes cuisses heurtent sonbureau et que je me retrouveperchée au bord.

— Tu as envie de moi, dit-il.— Je n'ai jamais cessé

d'avoir envie de toi, et cedepuis le moment où je suisentrée pour la première foisdans cette Maison, il y a desmois.

Il se figea un instant, peut-être choqué par cet aveu, puisreprit une expressionimpérieuse.

— Enlève ton haut, intima-

t-il.Cependant, je n'avais pas

vaincu Ethan Sullivan - etréciproquement - en jouant àla petite mijaurée exécutanttous ses ordres de prédateuralpha. Je redressai le menton.

— Je ne t'appartiens pas.— Ah non ?Devant mon refus, il

s'avança et empoigna l'ourletde mon tee-shirt. Effleurantma peau de ses doigts, il lesouleva, de plus en plus haut,jusqu'à ce qu'il ait dévoilé monsoutien-gorge. Puis tee-shirt etsous-vêtement disparurent, etil savoura des yeux mes seins

nus.Il me titilla à l'aide de sa

bouche et de ses dents jusqu'àce que le désir m'embrase, etm'ôta ensuite tous mes autresvêtements. Ses mainsenflammaient mon corps, mesoumettaient totalement à savolonté. Chacune de mescellules brûlait d'impatience.Quand je l'implorai partélépathie, il passa enfin auxchoses sérieuses.

Il ne perdit pas de temps enpréliminaires ; je n'enéprouvais d'ailleurs pas lebesoin. D'un coup de reins, ilme pénétra, m'arrachant un

gémissement étranglé et mecoupant le souffle.

— Regarde-moi, m'ordonna-t-il. (Quand j'enfouis ma têtecontre son cou, il prit monmenton dans sa main ettourna mon visage vers lui.)Merit. Regarde-moi, bon sang.

Ses iris, déjà argentés,étaient traversés de tourbillonsévoquant du métal en fusion.Ses yeux rivés aux miens, ilaccéléra la cadence de sesmouvements, nos cœurs et noscorps battant à l'unisson, puis,envoûtée, intimidée et enmême temps terriblementexcitée, j'observai ses pupilles

se contracter et ses lèvrestrembler alors qu'il atteignaitle paroxysme du plaisir.

En contemplant ladélicieuse agonie s'imprimersur son visage, je songeai queje n'avais jamais rien vud'aussi mémorable, d'aussimarquant que son expression àce moment-là, et la gravai auplus profond de mon âme.

Mais, dans toute histoire, unchapitre cède la place à unautre.

Deux heures plus tard, nous

nous trouvions dansl'appartement, nus, étendus

dans une pose langoureuse surle lit que nous nous étionsréappropriés en y témoignantde notre amour.

J'étais couchée sur leventre, Ethan allongé à moncôté, me caressant le dos dubout des doigts tandis quel'aube approchait.

— Alors, tout va bien ?demandai-je.

— En tout cas, moi, je vaistrès bien.

Je lui flanquai une tape surl'épaule.

— Tu sais ce que je veuxdire.

— Tout va bien, confirma-t-

il. Et si jamais Jonah ose neserait-ce que poser la main surtoi, il ne vivra pas assezlongtemps pour le regretter.

— Tu ne serais pas un peuprésomptueux ?

Il esquissa ce sourire léonin,arrogant et profondémentmasculin que je luiconnaissais bien.

— Ça n'a rien deprésomptueux, si c'est justifié.Tu veux que je te montre àquel point c'est justifié,Sentinelle ?

Loin de moi l'idée de refuser.

17

Never Gonna GiveYou Up1

Lorsque je me réveillai,

l'esprit encore embrumé,j'aperçus Ethan nouer sescheveux avec un ruban de cuirde l'autre côté du lit. Il étaittorse nu, mais portait unpantalon de kimono.

— Où tu vas ?

— M'entraîner. J'aiaccumulé beaucoup detension, ces derniers jours. J'aibesoin de me défouler.

Je me hissai sur un coude,un sourire aux lèvres.

— Et hier soir, tu ne t'es pasassez défoulé ?

—Ça ne m'a pas épuiséautant que toi, même si jebénis le jour où tu as décidé dedevenir une ballerine ettravailler ta souplesse.

1 . Never gonna give you up estune chanson de Rick Astley datantdes années 1980 dont le titrepourrait être traduit par « Je seraitoujours là pour toi ». (NdT)

Je me sentis rougirjusqu'aux orteils.

Ethan se dirigea vers lafenêtre. Je m'enveloppai d'undrap et le rejoignis, une traînede coton égyptien derrière moi.

Dehors, des nuages sombress'amoncelaient dans le cielnocturne, présageant unetempête hivernale.

— Il va neiger cette nuit,affirma Ethan.

— On dirait bien, approuvai-je avant de poser les yeux surlui. Qu'est-ce que tu as deprévu après tonentraînement ?

— Je dois travailler avecMichael sur nos protocoles desécurité. Etant donné qu'unmembre du PG a réussi àentrer et ressortir en un tempsrecord, nous avonsapparemment des lacunes àcombler.

— C'est vrai, dis-je, même sije ne voyais pas vraiment cequi nous aurait permisd'empêcher cet incident,hormis des alarmes à chaquechambre et des camérasintérieures.

— Je suppose que tudescendras à la salle desopérations une fois que tu

seras prête ?— C'est ce que j'avais en

tête. Luc a passé les vampiresNavarre en revue ; j'espère qu'ila découvert quelque chose.J'aimerais aussi appeler Jeffpour savoir s'il a du nouveau.Et j'ai rendu visite à mon père.

Ethan me dévisagea,visiblement stupéfait.

— Quand ?— Pendant notre escalade de

tension.— Qu'avait-il à dire ?— Il s'est excusé d'avoir

voulu faire de moi unevampire, du moins à samanière. Je lui ai demandé de

se renseigner sur lepropriétaire du bâtiment oùOliver et Eve ont été tués. Jeffn'a rien trouvé, et peut-êtreque ça ne mènera à rien, maisj'ai pensé que ça valait lapeine d'essayer.

— C'est une bonne idée,Sentinelle. Peut-être que tuvas enfin découvrir une piste.Je te vois plus tard.

Il m'embrassa sur la joue etse dirigea vers la porte, sespieds nus heurtant leplancher. Une crise en moins àl'esprit, mais une autre,substantielle, à résoudre, jelaissai tomber le drap et me

glissai sous la douche. Jesavourai le jet d'eau brûlante,remerciant le ciel de metrouver toujours sous le toit dela Maison Cadogan et nondans un hôtel à l'autre bout dela ville en train dereconsidérer mon avenir devampire, avec pour uniquebagage une valise.

Quand je pénétrai dans lasalle des opérations, tout lemonde paraissait absorbé parsa tâche. Je ne vis Luc nullepart. En fait, seuls Lindsey etquelques-uns des intérimairesétaient là.

— Où sont-ils tous passés ?

m'étonnai-je.— Je crois que tu ferais

mieux d'aller à côté, réponditLindsey. Ethan et Jonah sonten train de se battre.

— Oh, tu n'es pas sérieuse,lançai-je, certaine qu'elleplaisantait.

Mais non, elle ne plaisantaitpas du tout.

Ils se faisaient face aumilieu du tatami, tous deuxtorse nu et en pantalon dekimono. La magie, mêlée àl'odeur de la transpiration etdu sang, épaississait l'air.

Pendant que je me préparaispour descendre au sous-sol, ils

s'étaient copieusement tapédessus, et, de toute évidence,sans retenir la force de leurscoups. Jonah avait un œiltuméfié, la lèvre fendue etenflée. Ethan boitait, son piedgauche visiblementdouloureux, et sesarticulations étaient écorchéeset ensanglantées.

Jonah essuyait une traînéeécarlate sur sa mâchoirequand j'entrai. Il donna uncoup de coude à Ethan, qui seretourna.

Je croisai les bras et ledévisageai.

— Jonah s'est déclaré

volontaire pour un petit dueld'entraînement, se justifiaEthan.

Le menteur.Mais Jonah, qui avait

imaginé ce prétexte avec lui,hocha la tête :

— L'ancien voulait se battre.Je me suis dit que c'était unebonne idée, alors je me suisporté candidat.

Je levai les yeux vers lebalcon, qui grouillait devampires ravis du spectacle.

— Vous pourriez nousexcuser un moment ? leurdemandai-je.

Comme je n'avais aucune

autorité sur eux, ils setournèrent tous vers Ethan,qui acquiesça. À ce signal, ilssortirent de la salle les unsaprès les autres. Quand ilsfurent tous partis, je reportaimon attention sur Ethan etouvris le feu :

— Un assassin vampire sévità Chicago, et je ne dirais pasnon à un peu d'aide. Qu'est-cequi se passe, bon sang ?

— Il fallait détendrel'atmosphère, déclara Ethan,ses yeux argentés lançant deséclairs à Jonah.

Ce dernier, arborant un airétonnamment serein, approuva

d'un signe de tête.— A propos de quoi ?— De toi, répondirent-ils en

chœur.Le fait que deux hommes

adultes - et même plus quecela, chronologiquementparlant - perdent leur temps àéchanger des coups de poingme sidérait.

— Et c'est le meilleur moyenque vous ayez trouvé ?

— Oui, dirent-ils encore unefois à l'unisson.

Je posai les mains sur meshanches et fermai les yeux.

— C'est totalement ridicule,et insultant au possible.

— C'était nécessaire,grommela Ethan, les dentsserrées. Nous devions fixer leslimites.

— Comme s'il existait lemoindre risque de les dépasser,objecta Jonah.

La magie enflait denouveau, indiquant de manièreévidente qu'ils n'avaient rienfixé du tout.

— Tu te considères commeson « partenaire », rétorquaEthan.

— Dans la GR. Tu es sonpartenaire amoureux.

— Exactement. Tu serascapable de t'en souvenir ?

Jonah étrécit les yeux, nonen raison d'une quelconquejalousie, songeai-je, mais parcequ'Ethan avait porté atteinte àson honneur.

— C'est ma partenaire parcequ'elle a accepté de se battre àmon côté pour protéger lesvampires de cette ville,déclama Jonah. Si tu ne peuxpas comprendre ça ni lerespecter, c'est toi qui as unproblème, pas moi.

— Hé ! les interrompis-je. Jene suis pas un jouet qu'on sedispute. (Je pointai le doigt surJonah.) Je suis sa collègue (jedésignai ensuite Ethan), et sa

petite amie. Voilà les limites,et elles ne bougeront pas.

— Nous avions besoin denous en assurer, ajouta Ethan.

— Vous aviez besoin de faireles coqs et de comparer vosmuscles, le corrigeai-je avantde considérer Jonah.J'apprends toujours à teconnaître, et tu es monpartenaire. J'apprécie que tu temontres prêt à recevoir descoups pour moi. (Jem'approchai d'Ethan et lefusillai du regard.) Mais tudevrais avoir honte, EthanSullivan.

Je marchai à grandes

enjambées vers la porte, puis,jetant un coup d'œil derrièremoi, j'aperçus Ethan quitendait la main. Au bout d'unmoment, Jonah la serra.

Les mecs... Laissant Ethan et Jonah

conclure leur duel detestostérone, je regagnai lasalle des opérations pourétudier notre tableau blanc.Hélas, aucun indice n'étaitmiraculeusement apparu dansla journée.

— On dirait que tu as bientravaillé, déclarai-je.

Les photos des vampires

Navarre affichées sur l'écrandu vidéoprojecteur parlaientd'elles-mêmes : elles avaienttoutes été barrées d'une croix.

— Oui, mais pour de bienmaigres résultats, affirma Lucen effectuant un tour completsur sa chaise pivotante avantde reprendre sa place devant latable. J'ai appelé Will. Il n'y apas un seul suspect valabledans le groupe. Soit ilspossèdent un alibi, soit ilsn'ont aucun mobile.

Je fronçai les sourcils.— Mais comment est-ce

possible ? On sait que c'étaitun vampire Navarre, non ?

L'un d'entre eux est forcémentle tueur.

Luc se passa la main dansles cheveux.

— C'est aussi ce que je medisais. Mais à moins que Willait menti, ce dont je doutefortement, ils sont tous horsde cause. Je grimaçai.

— Est-ce qu'il y a unechance pour que Will soitl'assassin ?

— Il y a une chance pourtout ce que tu peux imaginer,Sentinelle, déclara Luc,m'offrant une leçon dephilosophie. Ce qui ne veut pasdire que cette chance soit bien

grande.— Et le système

biométrique ? s'enquitLindsey. Est-ce que Jeff nous adonné des nouvelles à cesujet ?

— Non, répondis-je enm'emparant du téléphone.Appelons-le.

Jeff décrocha presqueimmédiatement, mais ilrégnait en fond sonore unetelle cacophonie de musique etde piaillements que jel'entendais à peine.

— Baisse le son ! hurlai-je enécartant l'écouteur de monoreille jusqu'à ce que le bruit

retombe à un niveauapprochant celui d'une rixe debar. Qu'est-ce qui se passe ?

— On fête l'anniversaired'une nymphe ! cria-t-il par-dessus le tapage résiduel.

Je levai les yeux au ciel.— Tu ne pourrais pas

sortir ?— Oh, si, bien sûr !Quelques instants plus tard,

j'entendis la porte-moustiquaire claquer et levacarme diminuaconsidérablement.

— Désolé. Ça fait partie demes obligations envers lesnymphes. Je comptais vous

appeler dès que ce seraitterminé.

— Tu as du nouveau sur lesystème biométrique ?

— En fait, oui. Il se trouveque c'est un appareil ultraperfectionné. Il ne scanne niles empreintes digitales ni lesrétines, mais le sang.

— Le sang ? Comment ? Etpourquoi ?

— Avec une toute petitepiqûre, répondit-il. Une sortede minuscule aiguilletransperce la peau et recueilleune goutte de sang. Ce n'estpas le groupe ou les rhésus quisont analysés, mais l'hérédité.

Le système ne laisse entrer queles vampires créés par Célina.

Bingo.— Alors, pour passer, il ne

faut pas forcément appartenirà la Maison Navarre. Il suffitd'avoir été transformé parCélina.

— Tu as tout pigé.— Merci, Jeff. C'est super.

Amuse-toi bien.— À plus, Merit.Il raccrocha et je reposai le

combiné avec gratitude en mefrottant l'oreille. J'étais prêteà jurer que je venaisd'entendre Rick Astley à unniveau de décibels capable de

percer les tympans, uneexpérience que j'espérais bienne jamais renouveler. Jamais.

— Du nouveau ?— L'une des nymphes fête

son anniversaire, et le scannerbiométrique de Navarreidentifie les vampiresengendrés par Célina.

Luc siffla.— Un petit bijou de

technologie. Et ça élargitnotre liste de suspects.

Il se dirigea vers le tableaublanc, où il effaça « vampireNavarre » du bout du doigtavant d'inscrire à la place« engendré par Célina ».

— Il y a beaucoup devampires créés par Célina quin'appartiennent pas à laMaison Navarre ?

— Aucune idée. J'auraistendance à dire non, mais,avec Célina, difficile d'affirmerquoi que ce soit. Impossible desavoir exactement commentelle gérait sa Maison.

Pas très bien, à mon avis,étant donné que nous devionsidentifier un tueur qu'elle avaitengendré.

Un peu plus tard, l'équipe

me chargea d'aller chercher uncasse-croûte en cuisine. Même

si je ne souhaitais à personned'avoir à enquêter sur uneaffaire de meurtre, je trouvaisagréable d'être de retour dansla salle des opérations et detravailler à peu prèsnormalement.

Après avoir pris lescommandes des uns et desautres, je gravis l'escalieravant de traverser le couloirdu rez-de-chaussée. Voyant laporte du bureau d'Ethantoujours close, je supposai qu'ilrévisait encore nos plans desécurité avec Michael.

Je jetai un coup d'oeil dansla cuisine, m'assurant au

préalable que personne nes'apprêtait à foncer dans laporte battante avec un chariotchargé de vaisselle. La piècebourdonnait d'activité et ilsemblait qu'on s'y préparait àréaliser une expérience defusion nucléaire froide.

Les comptoirs en inoxétaient couverts de fioles, debéchers et d'éprouvettesassociées à d'autres élémentsde laboratoire pour former desassemblages complexess'élevant sur une cinquantainede centimètres.

— Qu'est-ce qui se passe,ici ? m'étonnai-je à haute

voix.Margot, qui avait assorti sa

veste blanche de chef à unpantalon de la teinte la pluscriarde que j'avais jamais vue -un vert chartreuse électriquedouteux qui paraissait presqueradioactif - tourna la tête versmoi et esquissa un sourire.

— On réalise desextractions, expliqua-t-elle.On réduit la nourriture à sescomposants chimiquesessentiels pour obtenir le cœurde la saveur.

— Cool, commentai-je,même si j'avais toujourspréféré les hamburgers aux

aspics, mousses et autresélixirs que j'avais eu l'occasionde goûter chez mes parents.

— Oui. Je me suis dit quec'était le soir idéal pouressayer des trucs, déclara-t-elled'une voix plus posée etchargée de gravité. C'estcomme si on s'apprêtait àentrer dans une nouvelle ère,tu vois ?

— Crois-moi, je vois trèsbien.

Margot m'aida à garnir unplateau d'en-cas et deboissons, sans oublier le jus desalsepareille dont raffolait Luc.

J'avais traversé la moitié du

couloir quand Ethan - àprésent vêtu d'un jean et d'untee-shirt manches trois-quarts- sortit de son bureau.

— Ça te dirait d'aller dîner ?Je baissai les yeux sur le

plateau que je tenais dans lesmains.

— J'ai déjà de quoi dîner.— Je pensais à un vrai

repas, avec des tables et desserveuses. Je meurs de faim, etje n'ai aucune envie degrignoter devant mon bureau.J'aimerais manger quelquechose vite fait, juste àquelques minutes de la Maison.Tu ne connaîtrais pas un

restaurant, par hasard ?Bien sûr que je connaissais

un restaurant, et même destas. Si seulement il me posaittoujours des questions aussisimples que celle-ci.

— Qu'est-ce qui te feraitenvie ? demandai-je.

Il se passa la main dans lescheveux.

— Un hamburger, peut-être?Rien de trop branché ni tropexotique. Je ne veux pas debœuf élevé sous couvertforestier, de salademacrobiotique ou deconsommé de betterave,ajouta-t-il, reflétant mes

pensées.— Du bœuf élevé sous

couvert forestier. Marrant.Je réfléchis un instant aux

options qui s'offraient à nous.Chicago présentait denombreuses possibilitésquestion gastronomie. Le bœufélevé sous couvert forestier enfaisait partie ; tout comme lesmousses modernistes, le photraditionnel et les fast-foodsoù une serveuse vous proposaitdes donuts tout frais dès quevous franchissiez le seuil. Loinde moi l'intention de hisserChicago sur un piédestal.Cette ville connaissait

indéniablement son lot deproblèmes, dont la pauvreté, lecrime et les querelles entregens ou communautés - ycompris les vampires - quis'accusaient mutuellementd'être « différents ». Maisfranchement, sur lanourriture, il n'y avait rien àredire.

— Je conduis, décrétai-jequand je me fus décidée pourun restaurant.

— On ne peut pas faireautrement, je n'ai plus devéhicule, me rappela-t-il. Celaétant, par curiosité, pourquoifaudrait-il que tu conduises ?

— Parce que je t'emmènedans un endroit exclusivementfréquenté par les locaux.Discret. Bonne cuisine.Ambiance agréable. Si tuempruntais une voiture, tuchoisirais un modèleforcément... trop.

— En dépit du fait que jevivais déjà dans cette villeavant la naissance de tous lesmortels qui y habitentaujourd'hui, tu as peur qu'onme prenne pour un touriste.

— Tes voitures sont toujourstellement voyantes !

— Et la tienne esttellement... orange.

Sa voix trahissait sanséquivoque son dégoût. Cela dit,il n'avait pas tout à fait tort.

— Et totalement à moi, ettotalement payée. Je conduis.(Je soulevai mon plateau.) Jeleur apporte ça en bas. Prendston manteau.

Il marmonna quelquesprotestations, maisuniquement parce qu'il savaitque j'avais gagné. EthanSullivan préférerait mourirplutôt que me laisser avoir ledernier mot.

Au-dessus du trottoir, une

enseigne lumineuse indiquait

Le GRILL de CHRIS. Quandj'ouvris la porte, le tintementd'une énorme cloche en laitonannonça notre arrivée. Ledécor, simple et chaleureux,comprenait de petites tables,des chaises en plastique et unerangée de box composés debanquettes en vinyle orange lelong d'un des murs.

— Asseyez-vous, nousenjoignit une jeune femmevêtue d'une robe noire et d'untablier blanc en passant au pasde course devant nous, les braschargés de ce qui ne pouvaitêtre qu'une manne divine.

Je ne voyais pas les plats,

mais ils dégageaient un fumetdélicieux.

— Allons-y, proposa Ethanen posant une main dans mondos pour me guider vers unbox.

Nous n'étions installés quedepuis une quinzaine desecondes quand une serveuseblonde avec une queue-de-cheval nous apporta des verreset des menus plastifiés.

— Désirez-vous boirequelque chose ?

Ethan ne répondit pas, déjàtotalement absorbé par lalecture de la carte.

— Juste de l'eau, merci, dis-

je.Elle sourit avant de

s'éloigner, nous laissant letemps de réfléchir à notrecommande.

Chacun de nous étudia lemenu en silence pendant queles rares clients qui occupaientla salle savouraient leur dînertardif.

La cloche de l'entrée tinta etdeux policiers en uniformefranchirent le seuil. Ils sedirigèrent vers le comptoir, oùils s'assirent avant d'engagerla conversation avec laserveuse.

— Qu'est-ce que tu me

conseilles ? demandafinalement Ethan,interrompant le débat quifaisait rage en moi.

— Le croque-burger aufromage, répondis-je en lemontrant du doigt sur lemenu. Avec des frites. C'estleur spécialité.

— Et apparemment, j'ai ledroit d'ajouter toutes sortesd'ingrédients. Beurre decacahouète. Œufs.Cornichons. (Il leva le regardsur moi.) Qu'est-ce que c'est,un jalapeno farci ?

— Quelque chose quimanque à la culture générale

d'un vampire de quatre centsans, visiblement. C'est unpiment fourré au fromage.

— Ah. Ça semble... gras.— Je n'avais pas terminé.

C'est aussi pané et frit.Il écarquilla les yeux de

manière comique. Un jour, jedevrais vraiment l'emmener àla foire et lui montrer l'un deces stands qui ne servent quede la nourriture frite présentéeen brochettes. Rien que la vuelui causerait sans doute uneattaque cardiaque.

— Prends le croque-burger,recommandai-je en continuantd'étudier mon menu.

Que valait-il mieux mangerquand on essayait de ne paspenser à un crime qu'onn'arrivait pas à résoudre ? Unesalade ? Le plat d'abnégationpar excellence. Un pain deviande ? Avec la charge deprotéines et de glucides qu'ilcomportait, c'était moins unmets de pénitence que decomplaisance.

Pour finir, j'optai pourquelque chose de simple. Unplat qui ne me pèserait pas surl'estomac, même si cetteaffaire de meurtrecontinuerait, elle, à peser sur

ma conscience.— Un matinal maison, dis-je

à la serveuse quand ellereparut avant de lui tendre lemenu.

— Je crois que je vaisprendre le croque-burger,ajouta Ethan en adressant unsourire à la jeune femme avantde lui rendre à son tour sacarte.

— Tout ce que tu voudras,chéri, lança-t-elle avec un clind'œil.

Elle tapota les menus contrela table pour les aligner puisdisparut dans l'arrière-salle. Jeme demandai si une Mallory

travaillait dans les cuisines duGrill de Chris, une sorcière endisgrâce s'efforçant de seracheter en faisant la plongeet en éminçant des oignons.

Je saupoudrai la nappe d'unpeu de sel, sur lequel je plaçaimon verre d'eau.

— Qu'est-ce que tu fais ?J'esquissai un petit sourire.— C'est censé empêcher le

verre de coller à la table quandon n'a pas de sous-verre. Jen'en connais pas les principesscientifiques et je ne saismême pas si ça fonctionnevraiment. Je l'ai juste déjà vufaire.

— Ah bon, dit-il avant dem'imiter et de verser un peu desel devant son assiette.Testons la théorie, nousverrons bien ce que ça donne.(Il reporta son attention surmoi.) Tu vas bien ?

— Oui. Je suis fatiguée, c'esttout.

Je décelais également unecertaine lassitude dans sesyeux. C'était la fin d'une ère,et sans nul doute la fin de lapolitique telle qu'Ethan lapratiquait.

— Tu es nostalgique, je metrompe ?

— Nostalgique ? répéta-t-il.

— Tu es triste d'avoir quittéle PG, de ne plus être impliquédans toutes sortes d'intriguesinternationales. Ton monde,celui de la Maison, se réduit.Ça ne t'enchante pas.

— Je suis très fort en Strat',répliqua-t-il.

Les vampires divisaient leurscompétences en catégories -psychiques, physiques,stratégiques - et en niveaux -très faible, faible, fort et trèsfort. Il n'y avait pas plusstratège qu'Ethan, au senslittéral.

— A partir de maintenant, lapolitique ne présentera plus la

même forme, admit-il avant demarquer une pause pendantque la serveuse déposait nosassiettes sur la table.

Chacun lorgna le plat del'autre. Il m'apparut assez vitequ'Ethan convoitait ma pile debeignets de pomme de terreaccompagnés de crackers et dejus de viande. Et, pour êtrefranche, son croque-burger memettait l'eau à la bouche.

— On échange ? proposai-je.— Je savais que je ne

t'aimais pas pour rien, lâcha-t-il avant de me donner sonassiette et de se jeter sur lesbiscuits et la sauce avec

l'abandon d'un homme affamé.Non qu'il y ait quoi que ce

soit à reprocher à son croque-burger. Il était chaud ethuileux, et contenait juste cequ'il fallait de sel et defromage.

Je soulevai le pain de monsandwich et arrosai la viandede Ketchup ; une abominationpour certains, mais un délicepour moi. J'en versaiégalement un peu dans monassiette pour y tremper mesfrites. Une fois la bouteille desauce reposée et mon burgeren main, je pris une bouchée,puis une autre, puis une autre.

On mangea dans un silencecomplice, deux vampiresépuisés reconstituant leursréserves d'énergie.

Quand j'eus avalé la moitiéde mon sandwich, je détachaiune feuille de ma serviette enpapier, que je pliai dans le sensde la longueur. J'enroulaiensuite la fine bande obtenueet nouai les extrémités demanière à former un anneau.Je le tendis à Ethan.

— Comme ça, tu garderasun souvenir de ce merveilleuxdîner au grill de Chris.

— Sentinelle, tu m'offresune bague ?

— Juste une baguetemporaire.

Après avoir consulté la note,Ethan extirpa son minceportefeuille allongé de la pocheintérieure de sa veste et ensortit des billets qu'il posa surla table. Quelques minutesplus tard, nous avions reprisplace dans la voiture etroulions en direction de laMaison.

À peine nous étions-nous

gâtés que Lindsey accourait ànotre rencontre sur le trottoir.

— Vous devez rentrer tout desuite, intima-t-elle. Margot est

blessée.Poussée par une décharge

d'adrénaline, je m'élançai dansl'allée, Ethan sur les talons.

Quand je franchis le seuil dela Maison, je m'arrêtai net.Malik se tenait au centre duhall, Margot dans les bras. Elleavait les yeux fermés et unetraînée écarlate courait autourde son cou.

Retenant un cri, je mecouvris la bouche de la main.

Malik porta Margot dans lesalon et la déposa avecdélicatesse sur le canapé,écartant les cheveux quiretombaient sur son visage. Sa

veste blanche était rougie parle sang qui coulait de la plaie àson cou.

— Est-ce que Délia est là ?s'enquit Ethan.

— Délia ? répétai-je.— Elle est médecin, précisa

Malik. C'est une amied'Aaliyah. (Il faisait référenceà sa femme.) Ses horaires detravail sont variables. Je nesais pas si elle est à la Maison.

— Que quelqu'un aille lachercher ! ordonna Ethan.

— J'y vais, proposa l'un desvampires derrière nous avantde sortir de la pièce encourant.

— Qu'est-ce qui s'est passé ?interrogeai-je enm'agenouillant à côté ducanapé.

Quelqu'un me tendit unfoulard, que je pressai contrele cou de Margot afin dejuguler l'hémorragie.

Mon cœur battait lachamade. La peur et l'anxiétéque je ressentais n'étaientégalées que par la fureur quej'éprouvais. Quelqu'un avaitblessé Margot. Mon amie. Monalliée culinaire.

Pas seulement blessé ;quelqu'un avait tenté de lasupprimer. Et, au vu de la

plaie qu'elle portait - unedécapitation manquée ? -,notre tueur en série était lesuspect numéro un.

— Il y a quelques minutes àpeine, je lui parlais dans monbureau, déclara Malik. Elle medemandait si elle pouvait allercueillir du chou frisé. Elledisait qu'il y avait des légumesd'hiver dans le jardin et qu'ellevoulait en prendre quelques-uns. J'ignore ce qui s'est passéensuite, mais elle s'estécroulée peu après devant maporte.

Les yeux d'Ethan virèrent àl'argenté.

— Quelqu'un l'a attaquéeici ? Dans ma Maison ? Noncontent d'être lié à Navarre,notre assassin se réclamaitégalement de Cadogan ?

— Je suis là, annonça Déliaen entrant dans la pièce avecle vampire qui était allé lachercher.

Grande, la peau sombre,Délia avait de longs cheveuxnoirs qui lui retombaient surles épaules. Elle portait uneblouse bleu pâle et dessandales.

— Je m'apprêtais à prendreune douche. Qu'est-ce qui s'estpassé ?

— Elle a été agressée dans lejardin, révéla Ethan. Elle aune coupure à la gorge.

Je m'écartai afin de luipermettre d'accéder au sofa.

— Quelqu'un a appliqué unepression sur la plaie,remarqua-t-elle. Bien. (Ellesouleva avec précaution lefoulard dont je m'étais servieet esquissa une légèregrimace.) C'est une entailletrès nette, ce qui indiquel'utilisation d'une armetranchante. Ce genre delésions se referme souventmoins bien que celles qui sontplus irrégulières. Compte tenu

de la profondeur de la blessure,le processus de guérisonprendra un peu de temps,mais, si nous pouvons luidonner du sang, son étatdevrait se stabiliser, et elledevrait se rétablircomplètement. (Regardant par-dessus son épaule, elle avisaHelen dans un coin du salon.)Est-ce que vous pouvez allerme chercher la troussemédicale d'urgence, de l'eau,des serviettes propres et uncouteau ? J'aimerais nettoyerla plaie afin qu'elle cicatrisecorrectement et ne laisse pas

de marque.Avec un hochement de tête,

Helen disparut.— Un couteau ? s'étonna

Ethan.— Il nous faut un donneur

de sang, annonça Délia. Toutle monde n'aime pas déchirersa peau avec les dents.

— Elle est venue à moi,déclara Malik. Quand elle a étéblessée, elle est venue à moi.Je lui donnerai mon sang. Etje n'ai pas besoin de couteau.

Sans attendre l'approbationde Délia, il se mordit lepoignet. Aussitôt, les arômessucrés et puissants du sang

mêlés à la magie emplirentl'atmosphère. Je fermai lesyeux, savourant ce parfumavant que Délia se racle lagorge et nous chasse d'ungeste.

— On ne peut pas dire quel'environnement soit stérile, etvotre présence n'arrange rien.Partez, s'il vous plaît. Je voustiendrai au courant.

Son ton autoritaire nesouffrant aucune protestation,tout le monde se dirigea versla sortie tandis que Malikportait son poignetensanglanté aux lèvres deMargot.

— Une coupure à la gorge,commenta Luc. Toujours lemême mode opératoire, si onsuppose que le tueur n'a pas eule temps de terminer sa tâche.

— C'est ce qu'on peutpenser, renchérit Ethan.Vérifie les vidéos des camérasde surveillance. Je veux savoirexactement ce qui s'est passédehors. Partons de l'hypothèsequ'il s'agit d'un nouvel acte deviolence de notre assassin.Personne ne quittera cetteMaison tant qu'il n'aura pasété arrêté. Pas sans lapermission de l'un des

dirigeants. Je me fiche quenos vampires aient envied'aller travailler, dîner, boireun verre au bar ou jouer aubon samaritain.

Luc esquissa une grimace.— Sire...— Pas d'excuses,

l'interrompit Ethan. Je neveux pas entendre en quoic'est impossible. Dis-moiplutôt comment tu comptes lerendre possible. Trouve unesolution. Fais-leur clairementcomprendre qu'ils n'ont pas lechoix. Cet enfoiré s'en est prisà l'un de mes vampires, ce quisignifie qu'il tombe désormais

sous mon autorité.— D'accord, concéda Luc

avant de partir en trottinantvers le sous-sol.

Ethan posa sur moi unregard qui trahissait sonsentiment d'impuissance. Nulbesoin de paroles pour devinerce qu'il éprouvait : il se sentaitcoupable de ne pas avoirempêché l'agression de Margot.

— Qu'aurions-nous pu fairedifféremment ?

— Je ne sais pas, répondis-je. Mais nous le découvrirons.La porte d'entrée s'ouvrit et sereferma derrière nous. Je meretournai.

Mon père se tenait dans lehall, vêtu d'un élégantcostume, un épais rouleau depapier dans les mains. Lesgardes l'avaient sans douteautorisé à franchir les grillesen raison de nos liensfamiliaux. J'espéraissincèrement qu'il nousapportait un indice.

— Merit. Ethan, nous salua-t-il.

— Joshua, dit Ethan. Qu'est-ce qui vous amène ?

— Meredith et moi rentronsà la maison. Nous étions aucentre-ville et j'en ai profitépour aller chercher ceci.

— Je suis heureux de vousvoir, mais, si vous voulez bienm'excuser, je retournem'occuper de cette affaire.

Ethan disparut. Au vu dudrame qui se jouait dans lesalon, je préférai guider monpère vers la porte.

— Et si nous discutionsdehors ?

Les sourcils froncés, il jetaun regard par-dessus sonépaule en sortant.

— Est-ce que tout va bien ?— Malheureusement, non.

L'une de nos vampires a étéattaquée, probablement par lerueur que nous recherchons.

Qu'est-ce que tu as apporté ?Il déroula les documents,

révélant plusieurs feuillesgrand format. Y figuraient unplan de bâtiment, plusieurscontrats et une cartecadastrale représentantplusieurs dizaines de parcelles,pièces de puzzle carrées etrectangulaires quis'assemblaient pour formerune partie de Cook County.

Je pensai tout d'abord qu'ilavait découvert quelque choseau sujet de la propriété deLittle Italy, mais je nereconnaissais pas le site sur lacarte. Les limites étaient

tracées de manière étrange, etje ne distinguais aucuneconstruction.

— Qu'est-ce que c'est ?Il désigna un point sur la

carte à l'aide de son doigt.— Là, c'est l'adresse que tu

m'as indiquée. Ces parcellessont détenues par une sociétéà responsabilité limitée. Cetteentreprise est rattachée à uneautre société à responsabilitélimitée, et ainsi de suite. Enremontant la chaîne, onaboutit à un propriétaireunique : Carlos AnthonyMartinez.

— Qui est-ce ?

— Je n'en ai aucune idée.J'ai pensé que tu leconnaîtrais peut-être.

Hélas, ce n'était pas le cas.Mon cœur se serra. Je m'étaisaccrochée à l'espoir quel'entrepôt se révéleraitappartenir à un certainvampire H. Tueur ou un noméquivalent qui m'auraitaussitôt évoqué quelque choseet lancée sur une piste.

Mon père me considéra unmoment, puis esquissa unimperceptible hochement detête.

— Ce terrain a de la valeur.Si tu as découvert qu'il s'y

tramait des activitésrépréhensibles...

— Tu peux sauter surl'occasion, acheter le terrainpour une bouchée de pain àl'actuel propriétaire et letransformer en autre chose.

— Il est bien situé, ajouta-t-il. Le quartier est agité, maisprometteur. Il pourrait s'agird'une bonne affaire.

Et voilà comment opéraitmon père, ce qui expliquaitsans doute son succès. Pourlui, il y avait toujours unmarché à conclure, de l'argentà gagner. Quand uneopportunité se présentait, il

fallait la saisir, sans laisser demenus détails tels qu'unmeurtre - ou une relationtendue avec sa fille - freiner sacroissance économique.

— Merci pour cetteinformation. Si ça mène àquelque chose, je te le feraisavoir.

Mon père parut appréciercette marque de gratitude,qu'il méritait compte tenu del'effort qu'il avait fourni. Leproblème, c'était que je meretrouvais sous le porche avecune carte et une référence àun mystérieux individuprénommé Carlos. Qu'étais-je

censée faire de cesrenseignements ?

18

Derniers baisers J’enroulai de nouveau la

carte puis me dirigeai vers lebureau d'Ethan ; inutile deretarder plus que nécessairel'annonce de mauvaisesnouvelles. Je trouvai la porteouverte, mais Ethan étaitparti. Michael Donovan setenait devant le bar.

— Est-ce qu'Ethan est dansle coin ? demandai-je. Michaelleva les yeux.

— Il est allé voir Helen dansson bureau. Ils devaientdiscuter des dispositions àprendre au sujet de Margot.Est-ce que vous voudriez boirequelque chose ?

Je poussai un soupir.— Pourquoi pas ? La même

chose que vous.— Je savais que je vous

aimais bien, déclara-t-il avecun sourire.

Il ouvrit l'une des carafesd'Ethan et remplit deux verresde scotch. Il m'en tendit un.

J'avais beau ne pas être unegrande amatrice de whisky, jel'acceptai sans faire la finebouche. Je bus à petitesgorgées, savourant la chaleurprovoquée par l'alcool qui mebrûlait la gorge. L'ambianceétait imprégnée d'une violencetelle que même un vieuxscotch ne pouvait y remédier,ce qui n'en rendit pas lasensation moins agréable pourautant.

— Comment avance votretravail sur les procédures desécurité ?

— Lentement. Nous nousoccupons en ce moment des

caméras. Nous étudions leurdisposition de manière àcouvrir davantage de zonestout en préservant l'intimitédes vampires.

— Je comprends que ce soitdifficile, admis-je avec unsourire. Nous aimons préservernotre intimité.

Michael s'assit sur l'un desfauteuils du coin salon etm'invita à le rejoindre d'ungeste.

— Qu'est-ce que vous avezlà ? interrogea-t-il en croisantles jambes.

— Des cartes cadastralesque mon père m'a données.

J'espérais qu'elles nousaideraient à identifier le tueur,mais j'ai bien peur qu'elles nenous mènent nulle part.

Ethan entra alors que letéléphone de Michael semettait à sonner. Fronçant lessourcils, ce dernier s'excusaavant de quitter la pièce,commençant à parler avec soninterlocuteur.

— Tu as des nouvelles deMargot ? demandai-je à Ethan.

— Je viens de passer la voir.Elle n'a pas encore reprisconnaissance, ce qui n'a riend'anormal compte tenu de lagravité de sa blessure, mais

elle se rétablit très vite. Délias'attend à une guérisoncomplète.

— Bien, soufflai-je, traverséepar une vague de soulagement.

Margot était une fille extraet une amie, sans oublier unechef de talent. C'étaitégalement un potentieltémoin, ce qui pourraits'avérer utile pour prévenird'autres attaques.

— Qu'est-ce que c'est ?s'enquit Ethan.

Baissant les yeux, je merendis compte que j'avaistoujours les rouleaux dedocuments à la main.

— Des informations sur lapropriété de Little Italy.

Michael reparut sur le seuil :— Ethan, si tu veux bien

m'excuser, j'ai un problèmepersonnel à régler. Je nedevrais pas en avoir pourlongtemps.

— Bien sûr, acquiesçaEthan.

Après m'avoir saluée d'unsigne, Michael disparut dans lecouloir.

Le téléphone fixe d'Ethansonna. Je posai mes cartes surla table de conférence,espérant que le nom de notremystérieux propriétaire lui

évoquerait quelque chose. Jem'assis pour patienter le tempsqu'il termine sa conversation,et mon regard se porta sur unepile de documents comportantle même genre de cachet decire écarlate que Malik avaitutilisé au cours de lacérémonie de passation depouvoirs.

J'avais toujours adoré lessceaux. Je leur trouvais uncharme désuet et mystérieux.J'effleurai la paraffine du boutdes doigts, m'attendant àsentir le relief de la marque dela Maison Cadogan. Au lieu de

quoi je découvris une surfacelisse, à l'exception de troispetites empreintes.

Piquée par la curiosité, jetournai vers moi le document,qui ressemblait à un plan de laMaison. Le sceau se composaitd'un cercle entourant troislettres : C.A.M.

Mon cœur cognant dans mapoitrine, je dépliai la carte duquartier de l'entrepôt que monpère m'avait transmise.

Là, en bas de la page,figurait le nom dupropriétaire : Carlos AnthonyMartinez. C.A.M.

Troublante coïncidence.

Quand Ethan eut raccroché,il s'approcha de moi et posaune main sur mon épaule. Ilavait dû sentir la magie.

— Qu'est-ce qui ne va pas ?— Ce sceau, répondis-je en

levant les yeux sur lui. À quiappartient-il ?

Ethan se pencha pourobserver les documents.

— Ce sont des plans queMichael a préparés pourtravailler sur le placement descaméras. C'est le vieux cachetqu'il utilise. Il prétend aimer lecôté mystérieux de la chose.

— Que signifient lesinitiales ?

Les sourcils froncés, Ethanexamina la marque avecattention.

— Je n'en ai aucune idée.C'est pratique, cela dit. Leslettres sont gravées sur sachevalière. Pourquoi cettequestion ?

Je fis pivoter la carte demanière qu'il puisse la lire.

— L'entrepôt de Little Italyoù Oliver et Eve ont été tuésappartient à un individu dunom de Carlos AnthonyMartinez. Et Michael utilise unsceau portant les initialesC.A.M.

Ethan blêmit.

— Carlos Anthony Martinez? Tu en es sûre ?

— Oui, pourquoi ?— Carlos était le Second de

Célina, le prédécesseur deMorgan.

Bien sûr. J'avais entenduparler de lui, mais uniquementen de rares occasions, etpersonne n'avait jamaismentionné son patronymedevant moi.

— Michael a affirméconnaître Célina. Tu en saisdavantage ?

Ethan secoua la tête.— Non. Sauf qu'il n'a jamais

fait partie de la Maison

Navarre.— Oui, c'est ce qu'il m'a dit.

Que sais-tu du travail effectuépar Carlos en qualité deSecond ?

Ethan s'appuya d'une mainsur la chaise à côté de lui,l'autre posée sur sa hanche,tandis qu'il fouillait dans samémoire, le front plissé.

— Il a été exclu pour avoirété impliqué dans un scandale.J'ignore toutefois les détails del'affaire. Célina ne m'en ajamais parlé. À l'époque, elle setenait sur la réserve. Ce n'estque plus tard qu'elle s'est prised'intérêt pour la notoriété.

Il composa un numéro sur letéléphone de la table deconférence.

— Bibliothèque, réponditune voix masculine dans lehaut-parleur.

— Carlos Anthony Martinez,déclara Ethan. Qu'est-ce quetu sais de lui ?

— Second de la MaisonNavarre avant Morgan.Destitué, présumé mort parempalement, mais je n'aijamais rien lu d'officiel leconfirmant.

— Pourquoi a-t-il étérenvoyé ? demandai-je.

— Il n'existe aucune donnée

à ce sujet, affirma lebibliothécaire. Cela étant, jeconnaissais bien l'archiviste dela Maison Navarre il y aquelques années, er elle m'alaissé entendre qu'il auraitengendré des vampires encatimini.

—Engendré des vampires ?répétai-je. Tu veux dire qu'iltransformait des gens sansl'accord de Célina et à soninsu ?

— Exactement. Autrechose ?

— Non, merci, déclaraEthan.

Il raccrocha, puis posa les

yeux sur moi.— Nous devons parler à

Morgan, affirmai-je. Même si jerépugne à l'interroger dans lescirconstances actuelles.

— Malheureusement, jepartage ton sentiment. Il n'enreste pas moins que çaconcerne sa Maison. Cettediscussion est indispensable.Cela dit, j'essaierai d'y aller endouceur, et pas « les fusils aupoing », comme dirait Luc.

Ethan retourna à son bureauet rechercha des fichiers surson ordinateur. Au bout d'unmoment, il ouvrit un portraitde Michael Donovan. Il

s'agissait d'un cliché trèsprofessionnel sur fond blanc,sans doute réalisé à des finscommerciales pour sonentreprise.

Ayant trouvé ce qu'ildésirait, Ethan composa unnuméro sur son téléphone fixe.Morgan décrocha rapidement.

— Oui ?— Je vais te faire parvenir la

photo d'un vampire. Est-ce quetu peux me dire si tu lereconnais ?

— Pourquoi ? demandaMorgan, laissant transparaîtredans ce simple mot unextrême épuisement.

— Question de contexte,répondit Ethan. Ça nousaidera dans le cadre del'enquête sur les meurtres.

Sans attendre sa permission,Ethan envoya le fichier par e-mail. Il y eut une pause àl'autre bout de la ligne.

— Bien reçu, déclaraMorgan. Il s'appelle StephenCaniglia. Je ne l'ai jamaisrencontré en personne, maisson visage ne m'est pasinconnu.

— C'était un vampireNavarre ? s'enquit Ethan.

— Pas exactement. Il n'apas été intronisé. Qu'est-ce que

vous savez sur Carlos ?Ethan croisa mon regard.— Dis-nous tout, le pressa-t-

il.-—Carlos était le premier

Second de Célina. C'est elle quil'a transformé en vampire ;c'est l'un des premiers qu'elle acréés. Je n'ai pas vraiment eul'occasion de le connaître.Carlos n'est pas resté trèslongtemps dans la Maisonavant que le scandale éclate.

— Au sujet des vampiresengendrés clandestinement ?interrogea Ethan.

— Oui. Carlos avait recrutédes gens qui n'étaient pas tout

à fait sûrs de vouloir devenirvampires. Il insistait et leschangeait contre leur gré. J'airemplacé Carlos peu après.

— Et que lui est-il arrivé ?— Je n'ai jamais rien lu

d'officiel, mais j'ai entendudire qu'elle l'avait faitsupprimer. Pour être franc, çane me surprendrait pas. Ellen'a pas vraiment apprécié qu'iloutrepasse son autorité.

— Et quel est le lien avec levampire de la photo que noust'avons envoyée ? demandaEthan, les sourcils froncés.

— Il fait partie des quelquesinfortunés que Carlos a

transformés de force. Célinalui a proposé d'intégrer laMaison, mais il a décliné sonoffre.

La fureur d'Ethan sematérialisa dans la pièce sousla forme d'un nuage de magie.Je l'avais déjà vu en colère parle passé, mais jamais comme àcet instant.

— Carlos ne possédait-il pas,par hasard, une chevalière surlaquelle étaient gravées sesinitiales ? s'enquit Ethan.

— Euh, il se trouve que si,répondit Morgan d'un tonsurpris. Une grosse bague enor. Il la portait à l'auriculaire

comme s'il faisait partie de laMafia.

— Merci, dit Ethan avant deraccrocher sans cérémonie.

Pendant un moment, ildemeura immobile, secontentant de respirer,prenant la mesure de ce quenous avions appris.

Ainsi, Michael Donovanavait été changé en vampirepar Carlos contre son gré. Ilutilisait à présent la chevalièrede son sire, et quelqu'un -Michael ?- avait abandonnédeux cadavres dans unbâtiment appartenant àCarlos, ou plutôt à ses

héritiers, désormais. Maispourquoi ?

— Pourquoi MichaelDonovan s'intéresserait-il à cetentrepôt ?

— Je l'ignore, reconnutEthan. Ce lieu doit êtreimportant pour lui, d'unemanière ou d'une autre. Sinon,il aurait choisi une solutionplus simple pour dissimuler lescorps.

— Et comment a-t-il réussi às'introduire dans la MaisonNavarre ? D'après Jeff, lesystème de sécuritébiométrique identifie lesvampires engendrés par

Célina, et non les membres dela Maison.

—Michael Donovan a ététransformé par Carlos, quiavait été lui-même changé parCélina. Il doit donc présenterla même altération chimiqueque les autres vampiresNavarre, la même mutation.(Si c'était vrai, MichaelDonovan pouvait bien êtrenotre tueur.) Ce fils de pute !Je lui ai ouvert les portes denotre Maison, Merit. Je lui aidemandé conseil et j'ai partagénos protocoles de sécurité aveclui. Comment ai-je pu me

montrer aussi stupide ? Aussinaïf ?

— Oh non, lâchai-je. Je luiai parlé de la carte, puis tu esarrivé, et il est parti. Est-cequ'il sait ? Est-ce qu'il se douteque nous avons compris ?

— Bon sang ! s'exclamaEthan, bondissant de son siègepour courir en direction de laporte d'entrée. (Je le suivisdehors tandis qu'il seprécipitait vers le portail àprésent surveillé par deshumains.) Le vampire auxcheveux bruns, dit-il avantd'indiquer sa taille d'un geste.Est-ce qu'il est passé ?

Les gardes échangèrent unregard.

— Il est parti, annonça celuide droite, une femme. Il y aenviron cinq minutes. (Elleporta la main à son revolver.)Il y a un problème ?

— Nous ne savons pasvraiment. Quel véhiculeconduisait-il ?

— Un 4x4 noir.Le même modèle que la

voiture qui avait attiré Oliveret Eve dans la ruelle et cellequ'Ethan et moi avionsrencontrée lors de notrejogging quelques nuitsauparavant.

Ethan proféra un nouveauchapelet de jurons, incluantcette fois des mots que jen'avais encore jamaisentendus ; de fait, certainsd'entre eux devaient être dusuédois.

— Réunis l'équipe,Sentinelle. Je crois qu'il esttemps d'élaborer un plan pourarrêter Michael Donovan.

Il ne fallut pas longtempspour rassembler Luc, Malik etles gardes. Après leur avoirprésenté notre théorie,j'organisai une réuniontéléphonique au pied levé avecCatcher, Jeff, mon grand-père

ainsi que Jonah, en qualité demandataire de Scott. J'hésitaiun moment à appeler Morgan,mais jugeai préférabled'attendre que nous ayonsfinalisé une stratégie pour lecontacter.

Quand tous les vampiresCadogan eurent pris placeautour de la table de la salledes opérations, Ethan selança :

— Nous croyons que leconsultant en sécurité que j'aiengagé, Michael Donovan, estl'auteur des meurtres d'Oliver,Eve, Katya et Zoey. Il aégalement blessé un membre

de ma Maison. (Il marqua unepause pour laisser à sesinterlocuteurs le tempsd'exprimer la stupeur et lechoc provoqués par cettenouvelle.) Morgan Gréer aconfirmé que Michael Donovanavait été transformé envampire par Carlos AnthonyMartinez, Second de Célinaavant la nomination deMorgan. Malheureusement,Carlos a agi contre la volontéde Michael, et en passantoutre aux objections que celui-ci a pu soulever. Carlos estprésumé mort. Nous pensons

que Michael a tué Oliver etEve dans un entrepôtappartenant autrefois à Carlos.Nous avons appris qu'ilestampillait ses documents àl'aide d'une chevalière portantles initiales C.A.M., bague quepossédait Carlos. Le fait queCélina ait créé Carlos et quecelui-ci ait ensuite changéMichael nous semble expliquerqu'il ait pu pénétrer dans laMaison Navarre en dépit desmesures de sécurité en place.

— Jeff, tu penses que c'estpossible ? demandai-je.

— Sans l'ombre d'un doute,répondit-il avec gravité. Le

vampirisme affectant legénome, les marqueursgénétiques de Célina sont laclé. Ils doivent être présentschez tous les vampires qu'ellea engendrés ou qui l'ont étépar l'un de ceux qu'elle atransformés.

Ethan m'adressa un signe detête. Il avait vu juste.

— Nous savons égalementque Michael conduit un 4 x 4noir correspondant à ladescription du véhicule qui aattiré Oliver et Eve dans laruelle et qui nous a suivis,Merit et moi.

— Notre théorie actuelle,

c'est que Michael Donovan aété changé contre son gré,expliqua Luc. Il prend çapersonnellement, peut-êtrequ'il prépare une vendettacontre les vampires qui l'ontprivé de son humanité et ainside suite. C'est sans doute unconnard rempli de haine desoi, mais on a déjà vu desindividus tuer pour moins queça.

— Et tout ça parce qu'il enveut toujours à Carlos, ajoutaJeff, incrédule.

Je comprenais la surprise deJeff, mais également unepartie de la colère de Michael.

Ethan m'avait transformée envampire contre mon gré. Mêmes'il l'avait fait dans le but deme sauver la vie, j'avais passémes premières nuits dans lemonde surnaturel à ressasseravec frustration tout ce à quoije devrais renoncer.

— Le fait qu'il utilise lachevalière et les initiales deCarlos tend à montrer qu'ilnourrit un certainressentiment, déclara mongrand-père. Dans un sens, ilrevit son expérience chaquefois qu'il commet un meurtre,sauf que, à présent, c'est lui

l'agresseur.— Il a tué Oliver et Eve dans

une pièce secrète d'un entrepôtappartenant à Carlos,poursuivis-je. Nous ne savonstoujours pas pourquoi il achoisi ce bâtiment ou cettepièce en particulier, mais iln'est pas difficile d'imaginerque ce lieu a un rapport avecCarlos.

— Peut-être que c'est là qu'ila été changé en vampire,proposa Catcher. C'est unendroit qu'il n'a sans doute pasoublié.

— C'est une idée, approuvaEthan. Nous vérifierons auprès

de Morgan.— Après Oliver et Eve, il

s'enhardit, repris-je. Ils'aventure jusque dans laMaison Navarre et commet unmeurtre alors que tout lemonde dort.

— Là, la connexion estfacile à établir, déclara Luc. Ilse venge de la Maison qui acréé le monstre dont il a étévictime.

— Et ce soir, il attaqueMargot dans le jardin.

— Malheureusement, lavidéo ne nous est d'aucuneutilité, cette fois, déplora Luc.Il se trouve justement que

suite à la cérémonie du PG,Michael nous a recommandéde modifier la disposition descaméras de manière à couvrirune zone plus étendue, et noussommes en plein dans lesbranchements. Nous n'avonspas de film de l'arrière de laMaison.

Luc ne paraissait pas amer,non. Pas du tout. Je vis uneombre de regret voiler leregard d'Ethan. C'était lui quiavait engagé Michael, et il s'enmordait les doigts.

— Pourquoi Cadogan ?s'enquit Jonah. Quel est le lienavec Carlos ?

— Nous ne savons pasvraiment, reconnut Ethan.Peut-être que ça participed'une sorte d'escalade. Aprèsavoir rué des Solitaires, puisdes vampires Navarre, il s'enprend à un vampire Cadogan.

— Pour ensuite s'attaquer àla Maison Grey ? demandaJonah.

— Possible, admit Ethan.— Je ne le laisserai pas

faire, affirma Jonah.Comment allons-nous agir ?

— Il se doute certainementque nous l'avons démasqué,déclarai-je. Mon père est passépour me donner la carte

cadastrale sur laquelle figurel'entrepôt, et je l'aimentionnée à Michael. Aprèsça, il a très vite quitté laMaison.

— Dans ce cas, il sedévoilera peut-être, à en jugerd'après sa manière théâtrale dedisposer les corps. Il voudraqu'on sache qui il est et cequ'il fait.

Le téléphone d'Ethan sonna.Lorsqu'il consulta l'écran, lasurprise se peignit sur sestraits.

— Qui est-ce ?— Diego Castillo. C'est un

membre du PG, ajouta-t-il à

l'intention des non-vampires.Un représentant du Mexique.

Une sensation désagréablem'oppressa la poitrine.Pourquoi un membre duPrésidium appelait-il Ethan ?Ce dernier décrocha :

— Ethan Sullivan.J'aurais pu mettre à profit

mes sens aiguisés de vampirepour espionner laconversation, mais, après lesremous liés à la GR, je jugeaiqu'il valait mieux attendrequ'Ethan nous apprenne ceque nous devions savoir.

Cependant, quand il seraidit, mon cœur s'emballa.

— Ethan ? l’interrogeai-jeen silence.

Il ne répondit pas.— Diego, je suis avec mon

équipe. Je vais brancher lehaut-parleur. (Ethan posa sontéléphone sur le bureau etappuya sur un bouton.) Allez-y.

— Darius et Lakshmi ont étéenlevés, annonça Diego d'unevoix dont l'accent mélodieuxn'atténuait pas la fermeté.

Une onde de magieangoissée traversa la pièce.

— Enlevés ? répéta Luc.Comment ça ?

— Nous attendions le taxiqui devait nous conduire à

l'aéroport dans le hall duDandridge. Darius est sortifumer une cigarette etLakshmi l'a rejoint. (Je merappelai que Darius appréciaitles cigarettes aux clous degirofle, et le souvenir trèsprécis de leur odeur poivréeresurgir dans ma mémoire.)Par la fenêtre, j'ai vu unvéhicule s'arrêter au bord dutrottoir. Le conducteur estdescendu pour discuter avecLakshmi et Darius. J'ai penséqu'il s'agissait d'un vampire,même si je ne l'avais jamaisrencontré.

— Les cheveux bruns ?s'enquit Ethan. Plutôt minceet athlétique ?

— S i . Vous connaissez cethomme ?

— C'est possible. Que s'est-ilpassé ensuite ?

— Notre limousine estarrivée et nous sommes sortis,mais la voiture avait disparu,ainsi que Darius et Lakshmi.

— Quel genre de véhiculeétait-ce ? interrogea Ethan.

— Je ne sais pas. Un grosmodèle. Noir, avec des vitresteintées.

Ethan plissa les yeux,laissant deviner sans peine la

teneur - et la violence - de sespensées.

— Attendez, intervint Lucen se penchant au-dessus dumicro du téléphone. Leconducteur a forcé Darius etLakshmi à monter dans savoiture ? Comment ?

Sans doute de la mêmemanière qu'il avait convaincuEve et Oliver de le suivre,songeai-je.

— Il possède une armechargée de munitions entremble, annonçai-je. Un tir àbout portant, et ils sont morts.

— Aucun humain n'a assistéà la scène ? s'enquit Jonah.

— Les portiers se trouvaientà l'intérieur, répondit Diego,une pointe de culpabilité dansla voix. Ils nous aidaient àrassembler nos bagages.

— Quand cela s'est-il passé ?demanda Ethan.

— Il y a sept ou huitminutes.

— Nous les retrouverons,promit Ethan. Restez àl'intérieur de l'hôtel, au milieudes humains, et ne sortez pasavant que je vous rappelle.

Sans attendre la réaction deDiego, il raccrocha, puisreporta son attention sur nous.Il semblait soudain harassé.

— Il les tuera tous les deux,dis-je à voix basse. Si on nel'arrête pas, il les tuera tousles deux.

— Cela ne fait pas l'ombred'un doute, approuva Ethan.Je ne porte pas le PG dansmon cœur. Nous sommesennemis, mais ça n'a aucuneimportance, à cet instant.Nous ne pouvons pas lesabandonner aux mains d'unmeurtrier. (Il se tourna versLuc.) De plus, si on ne lesretrouve pas, il est fortprobable que le PG nous renderesponsables de leur mort.

Luc acquiesça d'un

hochement de tête.— Il faut les retrouver,

concéda Jonah.Ses motivations différaient

quelque peu de celles d'Ethan.Lakshmi était une amie, unealliée qui avait trahi son camppour aider à sauver laMaison... et à qui je devais unefaveur.

— Pourquoi Darius etLakshmi ? s'interrogea Jeff.Quel intérêt pour lui ?

— Quel intérêt avait-il à tuerles autres ? répliqua mongrand-père. Il cherchel'apaisement moral,l'absolution ou autre chose que

la violence ne lui permettracertainement pas de trouver.Ce qui ne l'empêchera pas decontinuer.

— À cet instant, peu importece qui le pousse à agir,intervint Ethan en se levant.La mission de sauvetagecommence tout de suite. OùMichael ira-t-il ?

— Il avait choisi l'entrepôt,répondit Luc. Mais maintenantque nous avons établi le lienqui l'unit à cet endroit - etqu'il le sait -, il n'y retournerapas.

— Tu as raison, concédai-je.Mais il visera peut-être un

autre lieu important pour lui.Je reviens tout de suite.

Je gravis l'escalier au pas decourse puis me précipitai dansle bureau d'Ethan pour prendreles documents que mon pèreavait apportés. Une fois deretour au sous-sol, je lesdéroulai sur la table deconférence.

Heureusement, mon pèrefaisait preuve d'une grandeminutie.

— Dites-nous ce qui sepasse, intima Catcher.

— On étudie les documentsque Joshua nous a fournis,déclara Ethan en parcourant

les papiers des yeux. Il nous adonné des informations surtoutes les propriétés de CarlosAnthony Martinez.

Je m'emparai du contrat etle lus en diagonale.

—Il y en a trois : l'entrepôt ;le Comstock, un immeuble quise trouve quelques centainesde mètres au nord deStreeterville...

— Ce n'est pas loin de laMaison Navarre, commentaJonah.

— C'est vrai. Et latroisième... (je fis glisser mondoigt sur le document, quicomportait une police de

caractères minuscule) est unesorte de centre commercial quise situe à Roseland.

— À l'opposé, remarquaEthan. Se dirigerait-il plutôtvers le nord, ou vers le sud, enpartant du Dandridge ?

— Il lui faudrait plus detemps pour aller à Roseland,avança mon grand-père. Letrajet retarderait l'acte qu'ilest si impatient d'accomplir :le meurtre. Je ne suis pas sûrqu'il opterait pour unedestination si éloignée.

— Très bien, conclut Ethan,sa décision prise. (Il feuilletales documents, sans trouver ce

qu'il cherchait.) Nous n'avonspas de plan du Comstock.

— Jeff, tu pourrais nousdonner des détails sur cetimmeuble ? demandai-je dansle micro du téléphone.

— Je suis en train dechercher, déclara Jeff. C'estun gratte-ciel de vingt étages.Ceux du bas sont occupés pardes commerces, ceux du hautpar des appartements.

— Comment allons-nous lesretrouver dans un gratte-cielde vingt étages ? soupirai-je.

— Scanners thermiques,répondit Jeff. On peut utilisercertains satellites pour obtenir

l'image thermique du bâtimenten recherchant la gamme detempérature des vampires, cequi nous donnera une idée del'endroit où il se cache.Fastoche.

— Ça ne me semble pas si« fastoche », répliqua Ethan enconsidérant le téléphone d'unair sceptique. Tu dis ça pournous rassurer ou tu le pensesvraiment ?

— Je n'ai pas dit que c'étaitlégal, juste que ce serait facile,précisa Jeff.

De manière étrange, je mesentis soulagée.

— Le problème, c'est que le

scanner détectera tous lesautres vampires du bâtiment,objecta Jonah.

— Oui, mais quelles sont lesprobabilités de découvrir unecabale vampire dans leComstock ? reprit Jeff. Si ontrouve un groupe de troisvampires, ce seracertainement eux.

— Donc, on scannel'immeuble, on entre, onélimine Michael et on ramèneDarius et Lakshmi sains etsaufs, résumai-je.

— J'aimerais avoir une idéede l'intérieur, déclara Ethan.C'est possible ?

— Je me suis connecté ausite du gestionnaireimmobilier, annonça Jeff. Jesuis en train de sortir desdocuments... Voilà. Je vous lesenvoie.

Luc appuya sur quelquestouches et le plan d'unbâtiment apparut à l'écran.

— Est-ce je peux tedemander comment tu asréussi à t'infiltrer dans lasection privée du siteInternet ?

— Mieux vaut que tu t'enabstiennes. Rappelle-toisimplement ceci : « 123kitty »pas un puissant mot de passe

ne fait.— Noté.— J'irai avec Merit, dit

Ethan en se levant.— Il vous faudra être plus

nombreux que ça, surtout sides vampires sont blessés,déclara Jonah. Je vaisdemander à Scott lapermission de vousaccompagner.

Ethan considéra son offreen silence quelques instants,hésitant.

— C'est moi qui commande,déclara-t-il finalement. On suitmes ordres. Personne ne joueau héros.

— Je n'en avais pasl'intention.

— Excellent.— Heureux de l'entendre.Tout le monde se tut lorsque

Jeff siffla.— Vampires, s'il vous plaît,

lança-t-il. Il va me falloir dutemps pour obtenir les imagesthermiques. Je les aurai, maisje dois d'abord réquisitionnerun satellite, ce qui vanécessiter un coup de fil etquelques autorisations desécurité.

— Tu avanceras pendantnotre trajet jusque là-bas,affirma Ethan.

—J'y travaille. Mettez-vousen route, je vous rappelle dèsque possible.

— Luc, technologie ?— J'arrive.Il courut en direction d'un

placard duquel il sortitquelques-uns des gadgets qu'iladulait, de minusculesappareils combinant micro etoreillettes qui nouspermettraient de communiquerà l'intérieur du bâtiment.

— En voici un chacun, ditLuc en nous les distribuant.J'en ai un supplémentaire pourJonah. Nous coordonnerons lacommunication d'ici, en

assurant la liaison avec Jeff etCatcher.

Ethan hocha la tête avantde glisser l'écouteur dans sonoreille, geste que j'imitai.

— On les retrouve, onrécupère Darius et Lakshmi eton élimine Michael, répétaEthan. Des objections à ceplan ?

En période de stress, moninstinct me poussait à émettredes commentairessarcastiques, mais je parvins àme retenir de demander sinous recevrions des tee-shirtsen souvenir de cette missionune fois que nous aurions

terminé, ou peut-être unephoto de groupe, comme leproposaient de nombreusesattractions de Chicago.

— Aucune objection, affirmaJonah d'un ton grave.

Sabre au poing, oreillette enplace, je montai avec Ethanau rez-de-chaussée avant desortir. Sur la ville tombaientde gros flocons qui avaientdéjà formé une coucheblanche sur le gazon.

— La neige arrive,remarquai-je.

— En effet, reconnut Ethantandis que nous franchissionsla grille.

Il s'installa derrière levolant; Jonah nousretrouverait là-bas.

Alors que nous bouclionsnotre ceinture, la voix de Lucs'éleva dans nos oreilles :

— Vous m'entendez ?— On t'entend, affirma

Ethan. En route. Nousl'arrêterons.

J'espérais que l'avenir luidonnerait raison.

19

Chasse à l'homme Dix minutes plus tard, nous

foncions sur Lakeshore Drive,ma Volvo lancée au maximumde ses capacités. Luc avaitrelié Jeff et Jonah - qui n'avaitpas encore d'oreillette - à notreréseau de communication afinde nous permettre de finalisernotre stratégie en chemin.

— J'ai une bonne et unemauvaise nouvelle, annonçaJeff. Et comme on n'a pas letemps de débattre, je vousdonne d'abord la mauvaise : leComstock doit être démolidemain matin. Le site Internetque j'avais trouvé n'était pas àjour. Le bâtiment a changé demains et le nouveaugestionnaire immobilier adécidé de transformer lapropriété.

Mon cœur tambourina dansma poitrine sous l'effet de lapeur. Des vampires meurtriersétaient une chose ; l'explosion

d'un gratte-ciel en était uneautre.

— L'immeuble sera gardé,mais il y a de grandes chancesqu'une partie des explosifs etdes câbles soient déjà en place,intervint Jonah.

— S'il y a des gardes,Michael les a sans doute déjàtués, avançai-je. Il n'hésiterapas à abattre des humains.

— Je partage cet avis,approuva Ethan. Tu disais quetu avais une bonne nouvelle,Jeff ?

— Deux, en fait. Lapremière, c'est que je suis enroute avec Catcher. J'ai dû le

laisser prendre le volant, vuque je dois pianoter sur monclavier magique, mais on apensé que vous auriez besoind'un peu d'aide. Et ladeuxième, c'est que l'immeublen'est plus qu'une coquille vide,ce qui va nous simplifier latâche. Cloisons,aménagements intérieurs, touta été enlevé en prévision de ladémolition.

— Ce qui facilitegrandement le travail duscanner thermique, commentaJonah.

— Exact. J'ai piraté lessatellites - vous pouvez

remercier Big Brother etquelques gentils hackers - etj'ai les images thermiques.Mais il n'y a aucun vampiredans le bâtiment.

— Merde, marmonna Ethan.Est-ce que ça veut dire qu'iln'est pas encore arrivé, ou qu'ilest allé ailleurs ?

— Je ne sais pas. Jecherche. Je suis en train deme connecter aux systèmes devidéosurveillance existantentre le Dandridge et leComstock.

— Merde ! répéta Ethan entapant du poing sur le tableaude bord.

— Hé ! protestai-je. C'estl'unique moyen de transportque nous ayons pour l'instant.

Regardant la route, Ethanrepéra une sortie. Le doutes'imprima sur son visage.

— Nous pourrions reprendrela direction du sud, versRoseland. Il est peut-être là-bas.

— Il n'y serait pas encore,objectai-je. Tu as pensé d'abordau Comstock, et je suisd'accord avec toi. C'est plusproche du Dandridge, etMichael est pressé decommettre son meurtre. Iltuera plus vite s'il va au

Comstock.Voyant qu'il ne paraissait

guère convaincu, j'insistai,exactement comme il l'avaitfait pour moi :

— Tu te souviens de ce quetu m'as dit ? Fais confiance àton instinct.

Le regard d'Ethan se durcit,et il appuya plus fort surl'accélérateur... passant entrombe devant la sortie qui luiaurait donné une chanced'accéder à l'autre site.

Ouf.— Je l'ai ! s'écria soudain

Jeff. (Ethan poussa un soupirde soulagement.) Je vérifie en

même temps les vidéos desécurité et les imagesthermiques. Un 4x4 noir estgaré en face du Comstock.Trois vampires sont àl'intérieur du bâtiment... et ilsse déplacent.

— Tu avais raison, affirmai-je en pressant la maind'Ethan. Maintenant, allons-y.Vite.

Dix minutes et de multiples

infractions au code de la routeplus tard, Ethan s'engageadans la rue du Comstock, oudu moins de ce qu'il en restait.Il ne ressemblait plus qu'à un

squelette de béton couvert debâches qui claquaient dans levent. Le quartier avait déjà étébarré en vue de la démolition.

L'avantage, c'était que lesplaces de parking nemanquaient pas.

Jonah nous attendaitdevant le bâtiment. Catcher etJeff n'étaient pas encorearrivés. Je donnai sonoreillette à Jonah, puischacun passa son katana à laceinture tandis que la neigetombait autour de nous. Je nevoyais aucun garde, mais uneodeur de sang flottait dansl'air. Selon toute probabilité,

ils avaient été sacrifiés surl'autel de la mission diaboliquede Michael.

—Jeff ? appela Ethan enportant les doigts à sonécouteur. Qu'est-ce que tuvois ?

— Deux vampires sur le toit.Un autre au quinzième étage.

— Il ne les aurait passéparés, intervins-je. Ce n'estpas normal.

— Oh, merde, souffla Jeff.Celui du quinzième est entrain de changer de couleur.

— Changer de couleur ?répéta Jonah.

— Sa température baisse,

précisa Jeff. Il est en train demourir.

Mon estomac se noua et deslarmes m'embuèrent les yeux.Nous étions si proches...

— Entrons, proposa Jonah.Ethan, occupe-toi du vampireau quinzième. Merit et moimontons sur le toit.

— Pas question, objectaEthan.

— Je ne te laisserai pasapprocher d'un fusil à tremble,affirmai-je en lui décochant unregard déterminé. Ne discutepas. Va voir qui est cevampire. Il n'est pas encoremort. Sauve-le.

— Escaladons la grille,reprit Jonah. Ensuite, allons àl'intérieur. Tenez-vous prêts àutiliser votre sabre.

Je hochai la tête, et onpassa à l'action.

La barrière, constituée degrillage, se révéla facile àfranchir. On sauta de l'autrecôté, où régnait un silenceinquiétant. De la neigerecouvrait déjà le sol, de sorteque le gratte-ciel semblaitsurgir du néant. Cetteimpression n'avait rien derassurant.

— Le toit ? demandai-je enlevant les yeux. Est-ce qu'on

peut y accéder, au moins ?— L'équipe de démolition

doit pouvoir utiliser leséchelles et les escaliers,affirma Jonah. Monter neposera pas de problème.

Après avoir traversé un hallfantomatique, sale etpoussiéreux, on s'engagea dansla cage d'escalier. On gravit lesmarches jusqu'au quinzièmeétage, où Ethan nous quitta.

— Sois prudente, m'intima-t-il en silence.

— Je te le promets, luiassurai-je.

Puis il disparut dans lecouloir.

— Concentre-toi, me pressaJonah.

Repoussant mes craintespour la sécurité d'Ethan, je lesuivis, poursuivant la lenteascension en direction dusommet du gratte-ciel.

On émergea dans une sortede sas muni d'une porte surlaquelle était écrit « Toit ». Jeravalai une bouffée denervosité.

— Tu es prête ?— A trois, répondis-je.— Un... deux... trois,

articula-t-il de manière muetteavant d'ouvrir la porte à lavolée.

Un vent glacial nous saisitde l'autre côté. À cettehauteur, il soufflait en deviolentes rafales, transperçantma veste, et mes doigts serrésautour de la poignée de monsabre ne tardèrent pas às'engourdir.

Le toit, encore couvert d'unrevêtement noir rugueux,ressemblait à tous ceux quej'avais eu l'occasion de voirdans des films policiers : unesurface plane hérissée decanalisations, d'antennes et delucarnes. Un parapet de bétonl'entourait, destiné à empêcher

les gens qui s'aventuraient làde chuter dans le vide.

J'espérais sincèrement quenous n'en aurions pas besoin.

La voix d'Ethan s'élevasoudain dans mon oreillette :

— J'ai trouvé Lakshmi. Ellesaigne, mais j'essaie de freinerl'hémorragie. Je vais la fairesortir. Luc, appelle Délia etdis-lui de se tenir prête àintervenir.

— Je m'en occupe, assuraLuc.

— Michael et le deuxièmevampire sont au nord dubâtiment, annonça Jeff.

J'avançai avec précaution.

La neige tombait toujours,mais elle fondait au contactdu matériau noir couvrant letoit, formant une gadoueglissante.

— Derrière moi, intimaJonah.

La surface était parseméed'abris et d'extracteurs d'airqui n'avaient pas étédémontés. Nous progressionsd'obstacle en obstacle, tâchantde nous approcher le pluspossible de Michael sansdévoiler notre présence... ouprendre le risque qu'il tueDarius avant que nous l'ayonsatteint.

— Six mètres, déclara Jeff.Je m'arrêtai à côté de Jonah

derrière une rangée declimatiseurs.

Baissant la garde, jedéployai mes sens à larecherche de la magie. J'endétectai en abondance : unnuage autour de nous, et unebouffée émanant de l'autrecôté des aérateurs. Elleindiquait la position deMichael, que je signalai àJonah.

— Je passe devant pour fairediversion, murmura-t-il. Toi,fais le tour pour le surprendrepar-derrière. J'attendrai dix

secondes avant de bouger.Je hochai la tête.— Sois prudent.Je me glissai en position

accroupie le long desinstallations d'air conditionnéjusqu'à ce que je dépasseMichael, me faufilai derrièreun énorme extracteur d'air etjetai un coup d'œil de l'autrecôté.

Michael Donovan se tenait àcôté d'un ensemble de tuyauxqui perçaient la surface dutoit, son long manteau noirvirevoltant dans le vent.

Il avait forcé Darius às'agenouiller, le menaçant

d'un katana d'une main, d'unfusil de l'autre. L'armeressemblait à celle queMcKetrick avait tentéd'utiliser contre moi ; sansdoute Michael s'en était-ilservi pour intimider Eve etOliver.

Les balles de tremble enfaisaient un engin mortel.

— Il a fallu que vous fuyiez,dit Michael à Darius. Alors quej'essayais de vous placercorrectement, vous êtes partien courant. Et maintenant,elle est en bas toute seule.

Michael brandir son sabre.Jonah avança de manière à

pénétrer dans le champ devision du tueur :

— Michael, vous êtes cerné.Lâchez votre arme et éloignez-vous de Darius.

Surpris, Michael sursauta etlança un regard nerveuxautour de lui. Je contournaidiscrètement la bouched'aération et entrepris de mefaufiler dans sa direction enlongeant le parapet.

Mais il n'avait pasl'intention d'abandonner aussifacilement.

— Je ne peux pas vouspermettre de m'interrompre,déclara-t-il. Vous voyez bien

que je n'ai pas terminé.— Vous allez devoir appuyer

sur « pause », rétorqua Jonah.J'ai des gardes sur le toit ettout autour du bâtiment.

— Tant mieux, répliquaMichael. Vous ne verrez doncaucun inconvénient à ce queje fasse ceci.

Jonah bondit, mais troptard : Michael abattit sa lame,qui entailla la gorge de Darius.Le sang gicla, emplissant l'airde l'odeur entêtante de lamagie vampire.

Alors que mes yeux viraientà l'argenté, Jonah vola ausecours de Darius.

Une diversion parfaite. Je

Une diversion parfaite. Jebrandis mon katana et, sansque Michael ait le temps deréagir, je portai un coup versl'avant, entamant le dessousde sa main gauche. Quoiquesuperficielle, la plaie suffit à ledécontenancer. Par réflexe, illâcha son fusil, que j'écartai dela pointe de ma lame, imitantune mauvaise frappe de base-ball. Au lieu d'atterrir auxpieds de Michael, l'arme tombaà cinq mètres de là puis glissasous l'une des unités deventilation, hors de portée.

Le sourire de Michaels'évanouit. Il fit un pas en

arrière, son katana toujours àla main.

Darius gémit tandis queJonah tentait d'endiguer leflot de sang qui s'échappait desa gorge. J'avançai encore versMichael, le forçant à reculer erà s'éloigner des deux hommes.

À présent que nous nousbattions à armes égales, il neme restait plus qu'à le vaincre.Mais avant toute chose, ilfallait qu'il réponde à certainesquestions.

— Vous avez tué quatrevampires, affirmai-je, tenantmon katana au niveau de moncœur. Vous avez assassiné

Oliver et Eve.— Qui ça ? demanda

Michael, l'air confus.— Les vampires que vous

avez décapités dans l'entrepôtde Carlos.

— Je ne connaissais mêmepas leurs noms. C'étaient lespremiers vampires que j'aicroisés.

Il venait d'admettre avoircommis un meurtre - et mêmeplusieurs meurtres en série -comme il aurait déclaré êtrearrivé à court de lait ou avoiroublié de voter un jourd'élection.

Michael glissa un regard à

Darius à côté de lui. Il arboraitune expression glaciale,comme s'il était agacé queJonah ait contrarié ses projets- et empêché la mort deDarius.

— Pourquoi les avoir tués àl'entrepôt ?

— Ça me semblait aussi bienqu'ailleurs.

Sa nonchalance étaitforcément feinte. S'il avaitchoisi de commettre sescrimes dans différents endroitsliés à son histoire et mis lescorps en scène, ce ne pouvaitêtre par hasard. Peut-être semoquait-il d'Oliver, Eve, Katya

ou Zoey, mais il accordait unegrande importance au meurtre.

Il est temps de faire sortirl’ours de sa tanière, pensai-je.

— Alors comme ça, Carlosvous a transformé envampire ?

Michael reporta sonattention sur moi. Un éclaird'inquiétude traversa sonregard, pour disparaîtreaussitôt. Cependant, cettebrève lueur me suffit.

Fouillant dans ma mémoireà la recherche des souvenirs dela nuit où j'avais été changéeen vampire, je me replongeaidans les sentiments de peur,

d'horreur, de brutalité quej'avais ressentis, et les utilisaicontre lui.

— Vous n'en aviez pas envie,je me trompe ? Vous nevouliez pas devenir unvampire. Ce genre de vie nevous attirait pas. Mais Carlosvous a trouvé. Choisi. Et ilvous a maîtrisé. Menacé, peut-être ? Puis il vous a mordu.

Michael darda sur moi unregard argenté.

— Vous ne savez absolumentpas de quoi vous parlez.

Ce n'était plus Michael leconsultant en sécurité quej'avais en face de moi, mais sa

face sombre, hantée par lacolère qu'il avait retenuependant des années... avantd'y laisser libre cours.

Cela étant, il ne fallait pasque j'attise sa fureur, mais queje le pousse à céder à sesfêlures.

Je continuai à le provoquer :— Vous êtes sûr que vous ne

le vouliez pas ? Que vous neconvoitiez pas, au fond devous, l'immortalité ? Laforce ? Êtes-vous certain queCarlos ne vous a pas donnéexactement ce que vousdésiriez ?

Michael montra les crocs en

sifflant et fendit l'air de sonkatana. J'esquivai la pointe desa lame d'un bond puis ripostaid'un coup de sabre qui déchirale bord de son manteau.

— Vous n'avez aucune idéede ce que c'était. Le sang.L'obscurité. Il était malade.

L'obscurité, relevai-je. Unmot important pour lui, non ?

— La pièce de l'entrepôt.Aucune fenêtre, pas delumière. Le noir total. C'est làqu'il vous a transformé envampire ?

Michael décrivit un arc decercle autour de moi et medécocha un coup de pied. En

dépit de sa rapidité, sesmouvements étaient moinsprécis que lors du duel quil'avait opposé à Ethan. La peuret la colère brouillaient saconcentration.

J'évitai son coup sansdifficulté.

— Il m'a forcé à pénétrerdans cette pièce, avoua-t-il.

— Je n'en doute pas. Et vousvous êtes vengé, non ? Vousavez supprimé Oliver et Evedans cette même pièce.

— J'ai éliminé des vampires.— Et à la Maison Navarre ?— C'est elle qui l'avait créé,

répondit Michael. Elle l'avait

transformé, et elle fermait lesyeux sur ce qu'il faisait.

« Elle », supposai-je, serapportait à Célina. Il n'avaitpas pu la tuer, vu que je m'enétais déjà chargée.

— Pourquoi la MaisonCadogan ? Pourquoi Darius etLakshmi ? Qu'ont-ils à voiravec Carlos ?

— Rien. C'était juste pourl'argent. Leur prix était bienplus élevé.

Je me figeai, le sabre devantmoi, les mains tremblant denervosité, de peur et de froid.

— Quel prix ?— Le prix que me paie

McKetrick pour éliminer desvampires.

— Putain de merde ! s'écriaLuc dans mon oreillette,indiquant qu'il avait entenducette confession. Sentinelle, tuavais raison.

Quoi qu'il en soit, je gardaimon regard braqué sur MichaelDonovan.

— McKetrick vous a payé ?Pourquoi ?

Ma surprise dut aiderMichael à se ressaisir. Il seredressa et raffermit sa prisesur son katana.

— Il voulait semer le chaos,répondit-il. Il hait les

vampires. Et, pour être franc,je ne l'en blâme pas.

—Et le fusil à tremble ?— Un test. McKetrick m'a

proposé de l'essayer. J'aitrouvé que le résultatmanquait d'élégance.

— Vous préférez l'acier.Il plissa les yeux.— Les fusils constituent un

bon moyen d'intimidation,mais les vampires devraientmourir par leurs propresarmes.

Le fait qu'il soit lui aussi unvampire ne semblait pas entreren ligne de compte. Mais peut-être n'en était-il pas un, d'un

point de vue émotionnel. Mapropre Transition s'étaitrévélée difficile ; la siennen'avait sans doute pasressemblé à une partie deplaisir. Ethan m'avait sauvé lavie, alors que Carlos avait volécelle de Michael Donovan.

— Oliver et Eve se tenaientla main. Tout comme Katya etZoey. Pourquoi ?

La lèvre de Michael tremblasous l'effet de la colère.

— Je n'étais pas le seul.Nous étions nombreux, dansl'entrepôt. Nous savions qu'ilviendrait nous prendre tôt outard. Le monstre dans le noir.

(Carlos avait enfermé d'autreshumains, compris-je.) Ils nevoulaient pas se transformer.Ils ne voulaient pas del'immortalité. Du blasphèmeque représente la vie d'unvampire. Alors, cette nuit-là,au lieu d'attendre son arrivée,ils se sont suicidés. Ils ont buquelque chose, une sorte depoison, je ne sais pas quoi aujuste. (Il chassa ce souvenird'un geste.) J'étais déjà unvampire, et je n'avais pas laforce de résister quand ilutilisait son charme sur moi.(Michael posa son regard sur

moi.) Je les ai trouvés étenduscôte à côte, main dans lamain. Il m'a obligé à medébarrasser des corps. (Ilsecoua la tête, comme pour serappeler ses propresmotivations.) Et maintenant,je me débarrasse des Carlos dece monde.

— Et votre mission deconsultant en sécurité ?

— Vous m'avez donné unefoule d'informations sur votresystème de protection que jeme ferai un plaisir de partageravec McKetrick, répondit-ilavec une ombre de sourire. Etquelle tête pourrait valoir plus

cher pour mon employeur quecelle du roi des vampires ?Darius.

— Et maintenant, quecomptez-vous faire ?demandai-je.

Michael plongea la maindans sa poche. Il en son il unepetite télécommande noiremunie d'un gros bouton rouge.

J'avais regardé quantité defilms d'action. En général,quand on pressait un boutonrouge, il ne se passait rien debon.

— Le détonateur, déclara-t-il. Les explosifs sont déjà enplace, et le garde avait la

télécommande. Ce gratte-cielappartenait à Carlos. Iloccupait un bureau, ici, voussavez. Un bureau dont Célinan'avait pas connaissance. (Ilhaussa les épaules.) Je nevoulais pas qu'ils le détruisent,pas sans moi. Et maintenant,je peux le faire moi-même. Jepeux détruire ce qu'il aconstruit. L'anéantir, toutcomme il m'a anéanti.

Michael s'approcha dugarde-fou, les mains tenduesen signe de pardon.

— Je suis désolé, Merit. J'aiété heureux de collaborer avecvous.

Il pressa le bouton, et dessirènes se mirent aussitôt àhurler, suivies par le son d'unevoix féminine qui résonnadans le silence, transmise parun haut-parleur :

— Explosion dans cinqminutes.

L'entreprise chargée de ladémolition avait dû installerun système d'avertissement.

— Bon sang, Michael,grondai-je en brandissant denouveau mon katana. Vousallez tuer d'autres innocents.

— Non, rétorqua-t-il, sonregard vide ne trahissantaucune émotion. Le quartier a

déjà été évacué. Tout ce quireste, ce sont des vampires etleur héritage. Vous avez unchoix à faire, à présent, Merit.Soit vous me suivez pouressayer de m'arrêter, soit vousaidez vos amis à porter leursfardeaux. Pour être franc, sij'analyse la situation d'unpoint de vue purementstratégique, vos chances deréussir me paraissent bienminces dans les deux cas.

— Allez vous faire foutre.Il claqua la langue, jeta la

télécommande et glissa sonsabre dans son fourreau. Puisil courut vers le parapet, sauta

dessus, étendit les bras etplongea dans le vide.

Je m'agrippai à la rambardeet regardai en contrebas. Lahauteur me donna le vertige -je détestais l'altitude -, maismon malaise se dissipa assezvite pour que je le voiepercuter le trottoir avec uneforce telle qu'un creux dequatre mètres de diamètre seforma dans l'asphalte. Le soltrembla sous l'impact, maisMichael se redressa, commes'il avait à peine senti le choc.

— Catcher ? Jeff ? appelai-je dans mon micro. Vous êteslà ? Michael Donovan vient de

sauter de l'immeuble. Iltravaille pour McKetrick et acollecté des informations surla sécurité de la Maison. On nepeut pas le laisser les donner àMcKetrick. Vous pouvezenvoyer quelqu'un ? (Quelquessecondes s'écoulèrent.) Hé ?Jeff ?

Je n'obtins aucune réponse.Michael Donovan leva les

yeux, prenant le temps derajuster son manteau et dem'adresser un souriretroublant.

Je pouvais sauter, mais jen'avais jamais effectué unbond d'une telle hauteur. Et

loin s'en fallait. Contrairementà Michael, je n'étais pas sûrede survivre à la chute. Malgréla force indéniable desvampires, rien ne garantissaitde réussir l'atterrissage.

D'un autre côté, n'étais-jepas obligée de sauter ? Je nepouvais pas le laisser s'enfuir.

Tremblant comme unefeuille, l'estomac chamboulé,j'agrippai le garde-corps etcommençai à m'y hisser. Àquoi bon être venue sur cetoit, avoir promis d'affrontermes peurs er d'aider mesvampires, si je n'étais pasprête à joindre l'acte à la

parole... et me jeter dans levide ?

Mais avant que j'aie effectuéle moindre mouvement, unéclair blanc traversal'obscurité en direction deMichael. Une silhouetteallongée, pâle et velue.

Je dus cligner des yeux pourm'assurer que je ne rêvais pas :un tigre massif mesurant troismètres du nez à la queue,blanc avec des rayures noires,galopait en plein centre deChicago.

— Qu'est-ce que c'est queça ? murmurai-je en observantla scène qui se déroulait en

contrebas.Michael s'enfuit, mais le

fauve courait bien plus viteque lui. Pattes avant, pattesarrière, pattes avant, pattesarrière... Puis il bondit.

Il renversa Michael er leplaqua à terre, mais le vampireavait bien l'intention de sedéfendre. Il repoussa le tigreen arrière d'un coup de pied,s'écarta d'une roulade et sereleva.

Avant qu'il puisse dégainerson sabre, le prédateur attaquade nouveau. S'élançant sur sespattes postérieures, il frappaMichael Donovan au visage. Je

me trouvais trop loin poursentir l'odeur du sang, maisj'étais persuadée que le tigreen avait fait couler.

Michael se ressaisit trèsvite. Il tira son katana de sonfourreau et l'abattit sur le dosde l'animal, entre les épaules.Celui-ci poussa unrugissement, mais ne perditrien de son ardeur au combat.

Ils ne cessaient d'échangerdes coups, le fauve frappant desa patte, Michael ripostant deson sabre dès qu'il en avait lapossibilité, mais, en face d'unadversaire aussi imposant, ils'épuisait rapidement. Lorsqu'il

brandit de nouveau sonkatana, le tigre le lui arrachades mains d'un coup de patte.Paniqué, désarmé, Michaeltituba. Profitant de ce momentd'hésitation, l'animal s'élançadans les airs et se jeta sur lui.

Sous le poids du fauve,Michael fut déséquilibré ettomba en arrière sur un tas deplanches cassées hérissées depics qui avaient sans doute étéextraites du bâtiment. Le boisdevait contenir du tremble, carMichael poussa un cri, puisdisparut, laissant place à uncône de cendres.

Le tigre recula, le souffle

saccadé. Les oreilles rabattuessur la tête, montrant les crocs,il émit un rugissementguttural et puissant quidéchira la nuit et fit vibrer lesfondations de l'immeuble enmême temps que mes os.

Mes bras se couvrirent dechair de poule.

Alors, en l'espace d'uninstant, le tigre semétamorphosa. J'avais beauavoir déjà assisté à cephénomène par le passé, celan'en rendit pas le spectaclemoins impressionnant pourautant. Un éclair illumina lesténèbres tandis que la magie

tourbillonnait autour du fauve,et le prédateur se transformaen... Jeff Christopher.

Il agita les bras et lesjambes, puis secoua la têted'avant en arrière, commepour s'étirer la nuque. Lorsqu'illeva le regard pour croiser lemien, je lus dans les yeux dece jeune homme souventmaladroit, parfois costumé,toujours dragueur, un mondede compréhension,d'expérience et de maturité.

Je n'en doutais certes pasauparavant, mais JeffChristopher était unemerveille.

— Explosion dans troisminutes.

Non que j'aie le temps del'admirer.

— Merit ? Tu es là ?demanda une voix par-dessusles « bips » réguliers del'alarme. Sors d'ici, et vite !

Je portai le doigt à monoreillette, tâchant d'améliorerla réception.

—Ethan ? C'est toi ?— Oui. Je suis au

quinzième. Fiche le camp decet immeuble.

Je ne partirais certainementpas sans mon équipe. Jetraversai le toit en courant et

rejoignis Jonah, qui sedirigeait vers la porte, Dariusdans les bras. Le chef duPresidium était blême etparaissait très faible, mais ilrespirait encore.

— Tu m'aides un peu ?demanda Jonah.

— J'arrive.Je me précipitai vers la

porte et l'ouvris pour céder lepassage à Jonah.

Il descendit les marches entrottinant avec maladresse,ployant sous le poids du chefdu Presidium. Il avait beauêtre doté d'une grande force,comme tous les vampires,

avoir fait don d'une partie deson sang à Darius l'avaitépuisé.

— Explosion dans deuxminutes trente, annonça lavoix dans les haut-parleurs.

— Ce sera juste,marmonnai-je, agrippant larambarde de l'escalier tandisque nous dévalions lesmarches aussi vite quepossible en direction duquinzième étage.

Une fois sur le palier,j'ouvris la porte à la volée,pour me retrouver face à lapointe acérée du sabred'Ethan.

— C'est moi, déclarai-je enécartant la lame. Où est-elle ?

Lakshmi gisait dans uncoin, inconsciente, les brasenchaînés à un tuyau quiperçait le sol à la verticale.

— Je la ferai sortir, affirmaEthan. Vous, partez d'ici.

Jonah apparut sur le seuilderrière moi, le visage blême.Ses yeux s'écarquillèrent desurprise lorsqu'il avisaLakshmi.

— Michael l'a attachée parcequ'ils tentaient de s'enfuir, endéduisis-je. C'est pourquoiDarius a réussi à monterjusqu'au toit.

— Et tu as embauché cesalopard ? lança Jonah àEthan, posant Darius au solavant de courir vers Lakshmi.

— J'ignorais que c'était unsalopard, à l'époque, grommelaEthan.

Ensemble, ils tirèrent sur lachaîne dans des directionsopposées afin de la briser. Sousl'intensité de l'effort, la sueurperla sur leur front.

— Katana, dis-je. Je vaisfrapper l'un des maillons. Vousdeux, écartez Lakshmi.

— Ta lame ne résistera pas,assura Jonah.

— Je l'ai trempée avec mon

sang, objectai-je. Ellerésistera.

J'ignorais si j'avais raison,mais avais-je le choix ? Ilfallait bien tenter quelquechose.

— Explosion dans deuxminutes, annonça la voixféminine.

Sans leur laisser le temps deprotester, je levai mon sabreen l'air. Prenant conscience dusérieux de ma proposition, ilsagrippèrent chacun un bras deLakshmi et se préparèrent àtirer.

— Un, deux, trois ! criai-je.M'excusant en silence

auprès de ma lame, j'abattismon katana de toutes mesforces.

Des étincelles et desparticules de métal jaillirent,et j'entendis un craquementqui, j'étais prête à le jurer,provenait de l'épaule deLakshmi, mais la chaîne serompit, et la captive futprojetée contre Ethan.

— Explosion dans uneminute quarante-cinqsecondes.

— Je hais cette voix,maugréa Jonah en aidantEthan à soulever Lakshmi.Sortons d'ici.

Il jeta un coup d'oeil àEthan, puis au parapet duquinzième étage, qui sedressait face aux ténèbres.

— Allons par là, proposaEthan.

Je courus jusqu'au garde-fouet regardai en contrebas. Decette hauteur, le sol semblaittrès éloigné.

— Explosion dans uneminute trente secondes.

— On saute, affirma Jonah.Je secouai la tête, envahie

d'une brusque bouffée depanique.

— C'est trop loin. Je n'aiencore jamais sauté d'aussi

haut.— Tu y arriveras, assura

Ethan. Jonah t'a appris àsauter, et je t'ai vue le faire auNebraska. Tu en es capable,Merit. Fais-moi confiance.

Il pivota vers moi, et jecroisai son regard. Promesses,espoirs et rêves tournoyaientdans ses yeux, au milieu d'unocéan de peur. Mais nousdevions essayer.

— Explosion dans uneminute quinze secondes.

— Je t'aime, déclara-t-il.Des larmes m'embuèrent les

yeux, me brouillant la vue. Jeles essuyai du revers de ma

manche.— Je t'aime aussi.— C'est le moment, les

enfants ! hurla Jonah.— Saute ! me pressa Ethan.Chassant toute hésitation,

je pris mon élan, courus àtoute vitesse vers le parapet etbondis par-dessus pour mejeter dans le vide. Jonah fit demême, Darius dans les bras,imité par Ethan, qui portaitLakshmi.

Nous tombions.L'espace d'une fraction de

seconde, la ville tout entières'étendit devant nous,l'horizon incurvé par la

courbure de la Terre. Puis,comme si la gravité sesoumettait à nous et non lecontraire, le monde ralentit, etce saut gigantesque devint unsimple pas.

Mais un simple pasaffreusement accéléré.

Je percutai le sol, formantun creux dans l'asphalteautour de moi. Mes genouxsouffrirent sous la force del'impact, mais nous étionstous debout.

Des détonations retentirentderrière nous.

— Courez ! hurla Ethan.Douleur et peur

s'évanouirent. Nousn'obéissions plus qu'à notreinstinct de survie, au besoind'échapper au souffle brûlantdes explosions qui seproduisaient déjà derrièrenous. On s'élança avec unevitesse qui nous aurait rendusflous aux yeux de toutéventuel spectateur, puis onbondit par-dessus le grillagealors que la chaleurs'intensifiait. A peine avions-nous franchi quelques mètresque l'onde de choc nousprojeta vers l'avant. Jonah etEthan nous plaquèrent au sol,

Darius, Lakshmi et moi, etnous couvrirent de leurs corpspendant que la terre tremblaitsous la violence desdéflagrations.

J'avais déjà vécu desséismes magiques et naturels,mais l'explosion d'un gratte-ciel représentait unphénomène d'une magnitudebien différente. Ma poitrinevibrait sous l'effet dessecousses et le vacarme mevrillait les tympans. Lesdétonations se succédèrentdurant une éternité. Et quandelles cessèrent enfin, le

bâtiment s'effondra derrièrenous dans un fracasépouvantable.

Une minute plus tard, lestremblements s'atténuèrent.Un épais nuage de poussièreflottait dans l'air imprégné dubruit des chutes résiduelles deterre, d'acier, de verre et degravier.

— Tout le monde va bien ?s'enquit Jonah au-dessus demoi.

— Ça va, affirmai-je.Ethan ? (Il grogna, ce que jeconsidérai comme un bonsigne.) Comment va Lakshmi ?

Un autre grognement.

— Elle vient de me donnerun coup de coude, donc jepense qu'elle va bien.

Je ne pris pas la peine dedemander comment allaitDarius.

20 Laissez-les s'envoler

Une fois que l'on fut rentrés

à Cadogan, victorieux etcouverts de poussière, Ethanme remercia avec un steak etdu chocolat. Les membres duPrésidium de Greenwich enbonne santé nous exprimèrentleur gratitude avec emphase,nous promettant qu'ils

prenaient bonne note des actescourageux consentis par laMaison à l'égard du PG.

Je suppose que seules desexpériences de mortimminente pouvaient leurdémontrer que nous n'étionspas de vulgaires criminels.

Cependant, après la criseque nous avions traversée, cesquelques éloges ne suffirentpas à faire remonter lePrésidium dans mon estime.Même si nous avions cette foisfrappé les esprits, avant desauver la vie de Darius etLakshmi, notre Maison avaitaccompli d'autres actions

louables dont le PG n'avait pastenu compte.

En outre, Darius n'était pasencore rétabli ; restait à voirs'il avait vraiment changéd'opinion à notre sujet.

Mais nous nous soucierionsde tout cela plus tard. Aprèsnous être lavés, on dévalisa lacuisine avant de retrouvernotre chambre - et notre lit.

— Tu vas bien ? demandai-jeà Ethan.

— Je m'en veux d'avoir étéaveugle à ce point. De ne pasavoir vu qui était MichaelDonovan. Mais rien ne sert derevenir là-dessus, à présent.

— Tu te sentirais mieux si jete tapais dans le bras ?

Il me considéra en arquantun sourcil. Typique deSullivan.

— Et en quoi celam'aiderait-il ?

— Ça me ferait du bien,donc ça te ferait du bien,expliquai-je avec unhaussement d'épaules.

Il plissa les yeux, puis, sansautre signe d'avertissement, ilbondit. Je poussai un cri aiguquand il me plaqua sur lematelas, mais pas parce quej'avais mal.

— Tu sais, on doit encore

s'occuper de McKetrick,déclarai-je.

— Et de son immunitépolitique ? Oui, je sais.Dommage que le principaltémoin des méfaits deMcKetrick ait pris une trèsmauvaise décision à proximitéd'un métamorphe en colère.

Cela dit, Michael ne s'enserait sans doute pas mieuxtiré face à des Solitaires ou desvampires Navarre qui auraient,eux aussi, adoré le mettre enpièces.

— Tu crois qu'arrivera unjour où tout redeviendranormal ? demandai-je, sourcils

froncés. Où les vampiresseront aimés ou haïs commen'importe qui ? Où nousmènerons une vie simple etpaisible ?

Ethan se hissa sur un coudeet repoussa une mèche decheveux de mes yeux de samain libre.

— Je ne suis pas sûr que tusois taillée pour une vie simpleet paisible, Merit. Tu ne mesembles pas du genre à êtrefemme au foyer.

Je comprenais ce qu'ilvoulait dire, mais soncommentaire me renditsoudain mélancolique.

— J'aurais aimé avoir desenfants un jour, confessai-je.

Cela ne m'arriverait pas ;aucun vampire n'avait jamaisporté d'enfant.

— Je l'ignorais, avoua-t-il,décontenancé. Tu ne mel'avais pas...

— Je sais que c'estimpossible, repris-je en meforçant à sourire. Et je n'ypense pas vraimentsérieusement. Mais je medemande tout de même ce quece serait de devenir parent.D'aborder le monde au côtéd'une petite personne quicommence tout juste à le

comprendre. D'apprendre avecelle tout ce qui fait que la vievaut la peine d'être vécue.

Les yeux d'Ethan, verts etinsondables, semblèrents'agrandir.

Je repensai un bref instant àune prophétie qu'avait un jourénoncée Gabriel. Aux yeuxverts qu'il avait entrevus dansmon avenir, des yeux quiressemblaient à ceux d'Ethan,tout en étant différents. Je nepouvais pas avoir d'enfant,mais cela soulevait unequestion : qui avait-il vu ?

— Vous êtes une femmeremarquable, Caroline Evelyn

Merit, déclara Ethan en mecaressant la joue.

— J'essaie. Mais c'estépuisant.

— Je suis ton Maître etserviteur. Demande-moi ce quetu veux.

— Serre-moi juste dans tesbras, dis-je en me blottissantcontre lui.

Il se figea.— Ce n'est pas tout à fait ce

que j'avais à l'esprit.— Nuit difficile, Sentinelle

fatiguée.Il m'enlaça et posa son

menton sur ma tête.— Dans ce cas, essaie de

m'arrêter.Ce furent les derniers mots

que j'entendis avant que l'aubeme force à fermer les yeux.

Le soir suivant, Ethan nousréunit dans le jardin autour dufoyer en pierre. Il avaitreconstitué la réserve de boisque le PG avait utilisée pour lacérémonie, et un feu crépitait,irradiant une merveilleusechaleur.

Ethan tourna vers nous sonvisage éclairé par lesflammes :

— Nous avons pris unedécision que personne avantnous n'avait prise. Nous avons

choisi la liberté et le respectde nous-mêmes. Darius et lePG ont entrepris les rituels enlesquels ils croient. Je suisd'avis qu'il est important quenous ayons nos propres rituels.Des rituels qui nous rappellentqui nous sommes et pourquoinous optons pour une voiedifficile au lieu de laisser lesautres justifier leur ignoranceet décider à notre place. Helen.

À son injonction, cettedernière s'avança, un carré depapier fin dans les mains. Ellele tendit à Ethan.

— Il y a de cela des siècles,poursuivit-il, nous avons reçu

la visite d'un samouraï, Miura,qui nous a appris à manier lesabre. À nous battre avechonneur. Il nous a égalementtransmis la tradition deslanternes volantes.

Helen et Ethan tirèrentdélicatement sur les côtésopposés du papier, qui s'ouvritpour former une sorte delampion cubique.

Tandis qu'Ethan tenait lalanterne par un petit anneaufixé au sommet, Helen plongeaune longue allumette dans lefeu et la retira une fois qu'ellese fur enflammée.

— La lanterne est

symbolique, reprit Ethan.Avec précaution, Helen

alluma la mèche qui setrouvait dans le lampion. Laflamme s'éleva à l'intérieur,échauffant l'air et gonflantlégèrement les parois. Lalanterne brillait d'une pâlelueur blanche et vacillait dansla brise, de toute évidenceéprise de liberté, alorsqu'Ethan la retenait d'unemain ferme.

— Nous mettons nosinquiétudes et nos problèmes àl'intérieur de cette lanterne,expliqua Ethan. Nous lachargeons du poids de nos

peurs... puis la laissonsprendre son envol.

Il ouvrit la main et lelampion flotta dans les airs,s'élevant lentement au-dessusde la Maison telle une étoileprenant son essor.

En dépit de sa simplicité,cet acte était très beau, remplid'espoir et de promesses.J'essuyai une larme etentendis des reniflements dansla foule derrière moi. Je n'étaispas la seule à être émue, ce quiavait sans doute été l'intentiond'Ethan.

J'observai la lanternemonter de plus en plus haut

dans le ciel, étoile portée parle vent qui s'éloignait desdoigts toujours tendusd'Ethan. Puis elle disparut, laflamme éteinte par unebrusque rafale glacée.

— Nos peurs s'envolent,déclara Ethan, rompant lesilence qui s'était installé.Nous les affrontons, puis lesenvoyons dans les airs jusqu'àce qu'elles s'évanouissent. (Ilreporta son attention surnous.) Ce soir, mes chersNovices, nous embarquonspour un nouveau voyage. Nousdécidons de notre avenir de

vampires, de celui de notreMaison. Et nous faisons cechoix nous-mêmes,indépendamment del'interférence politique du PG.Nous nous engageonsvolontairement dans cettevoie, sans peur, car nousavons déjà livré nos craintesau souffle du vent. Bonne nuit,mes frères et mes soeurs, etpuisse le crépuscule nousapporter chaque jour paix etprospérité.

Il ne s'agissait pas d'uneprière, pas vraiment.

Il s'agissait d'une promesse.