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Christian Guay-Poliquin

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Christian Guay-Poliquin

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Sérigraphie de couverture : Jean-Noël Poliquin (1961)Conception graphique de la couverture : Dominic Prévost

© Tous droits réservés Christian Guay-Poliquin et le CANIF,Centre d’animation de français du cégep du Vieux Montréal. Mai 2004.

Renseignements : (514) 982-3437, poste 2164

Dépôt légal : mai 2004Bibliothèque nationale du Québec et Bibliothèque nationale du Canada

Infographie : Direction adjointe aux Communications, CVM (17072)Impression : Centre de reprographie, CVM

Cégep du Vieux Montréal255, rue Ontario Est, Montréal (Québec) H2X 1X6

et il y a de Christian Guay-Poliquin est le cinquante-neuvième recueil detextes publié dans la collection Prise I. Cette collection a été créée afin depermettre à des jeunes auteurs du cégep du Vieux Montréal de publierune première œuvre.

mercià tous ces voyageurs

qui partagent la marchela grande marche

tressant un bout de leur cheminavec le mien

et merci au filon de lumièrede ton aide si précieuise

catherine

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à celle et tous ceux là

« Je ne suis pas un homme de lettres,je suis un homme.» Réjean Ducharme

« Touttt est dans touttt.» Tout le monde

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parce qu’il y a tout ce qu’il y a. et parce qu’il y a plusencore. œil qui voit. tympan qui vibre.

parce qu’il y a mystères et merveilles. existence del’existence.

parce qu’il y a conscience. homme sachant qu’il nesait pas.

parce qu’il y a le rêve. créer. fiction fondamentale tiréedu néant. comme si, même dans le il n’y a pas, il yavait tant encore.

parce qu’il y a que nous sommes. parce qu’il y a le cri.parce qu’il y a l’univers. et parce que.

parce que peu importe ces mots, il y avait, il y aura.

et il y a

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je suis assisdans un train

qui traversequi déchire

qui fendla nuit

comme unrêve à toute

allure

je suis assisdans un trainoù le silence

grinceoù la ferraille

tinteoù le temps

tangue

dehorsc’est la

nuitc’est le

jouret il y a

longtemps queje ne sais plus

quand

devantdans

la fenêtremiroir

je ne me souviens plusdes deux points

entre lesquelsce train trace un

trait

la distance seconsume

et brûle tous cesarpents de forêt quidisparaissentderrière lesillon duvoyage

la nuitdéfile devantmoile temps ne ditrienet le trainle train sans cesseenfile desarbres cachésdans lafenêtre-miroir despaysagesà l’heure

et je fume macigaretteet macigarette mefumeet tout sepassetrès tranquillementtrès clairementsous mesyeux

dans la cabine du trainil y a les mursil y a lafenêtreil y amoiil y aun homme

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un vieil hommecasquette

barbe blanchejoues creuseset yeux bleus

profonds commeun espaceinexpliqué

il et je lesyeux

rivés surces paysages

qui filentces paysages

qui passentces paysages

qui fuientsur ces paysages

qui s’usent

puis encoreencore lejour et lanuit et lejour et la

nuitse suiventdessinant

une fois de plusla silhouette de l’aube

sur celle ducrépuscule

d’un coup levieil homme

me fixede ses yeux

si bleus que noirset il s’approche faisant

quelques pas

dans mes pupillesen me disant toutbas« l’esprit n’estlà que parenchantement»

le chuintement dutrainchuchote lapluiese cogne le nezcontre la vitreet saignegris sur le paysagejeregarde l’hommeet ses yeux sous de longscilscachent plusieurs vols denuit

puis il se penche versmoi en s’appuyant sur sesgenouxet me murmureà l’oreillecomme l’on garde unsecret d’une paniquegénérale :« ce train ne faitqu’aller»

je reste làsans tropsavoirles yeux sur leplancherpuis jelève le regardet le vieux

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vitesse follecourseécheveléele train accélèreet accélèrecomme une balle perduedans la brèchedans la failled’une équationéclatée

puis lemétalse froissese défroisseet sous le train lesrails zigzaguent ets’ouvrentdans l’impossible vecteurde ce voyagequittant le sol

le vieux mesouffle quelquesmotsque ne je ne peuxsaisiret il voit monregard se perdreinquiet dans levacarme dudéraillement

alors il me faitsigne des yeux« sortons d’ici »on se lève ilouvre la porteje traverse et

derechef par lehublot

regardese découdre

la toile dusoir

puis le trainsuit son arc

siffle dansla nuithalète

pantelantl’ailleurs

qu’il poursuitdans un cri

tranchant l’heurecomme l’oiseau

fendant l’air

le train fonce latôle frémit

l’infiniclapote aux

fenêtrespuis le plancher

tremble etle train défonce

l’espace d’une secondele mur du temps

avec une telle vitessequ’un quelque part

sembleimminent

« ..... le ..... tête...n’est pas.... le casse...

mais..... beaucoupplus...»

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comme çaaccalmie soudaine

nous sommesdebout en pleineforêt à l’ombre

d’arbres géantsqui dansent

du bout des doigtsle chant d’unsilence foliacé

alors qu’au loins’éloigne

le hennissement d’untrain

en démente cavale

j’ai des fougères comme de l’eau jusqu’aux genoux et le regard du vieux est toujours là profond comme la nuit dans la forêt des abîmes

puis soudaincomme une lueur

sortant du puits de sesyeux

il me tend sesmains

comme si elles contenaient

quelque chose deprécieux

puis sa voixs’élève douce maisses paroles résonnentlongtemps dans lahaute futaie :« Chaque casse-tête est lapièce d’un casse-tête plus

grand.»

je tendsà mon tour

mes mainsouvertes comme

les yeux d’un enfantouvertes comme

l’on s’ouvre aux grands secrets du monde

puis nos mains sejoignent

et lorsqu’il délie sesdoigts

rienne

tombe

paumes videsje lève la tête pour

rencontrer son regardalors qu’il me pointe

des yeux un imprécis

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quelque partje tourne la tête et fais

quelques pas dans cette direction

ne sachant tropne sachant pas

du toutavançant encoreje me retourne vers

le vieux mais il adisparu

je fais demi-tourune fois de plus

et la forêt n’est plus laforêt

en l’instant d’unsursaut

le décor achaviré

et je suis seuldebout

en pleine meren mer pleine

en plein océanen plein bleu de

bleucerné par des arbres

devenus horizonje suis deboutet j’ai de l’eau

comme desfougères

jusqu’aux genoux

ciel et merplein soleildeux fois

seul et océanje tente un pas

puis un autreje suis toujours là

au beau milieu desflots

mais que deux pieds d’eau partout

un pas puis unautreje marchel’océan

à moins que jene marche

que sur le mince filde mon chemin

suspendu entre deuxeaux

entre deuxpas

entre deuxabîmes

malgré tout jecheminevers un quelquehorizonet soudain je sens mes

mains lourdesjusqu’à caresser

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les eauxje les ramène

en ramant très fort à la hauteur de mon

visagepour voir dans mes

paumescomme des œufs de merles

dans un nidle bleu débordant

de tant pièces decasse-tête

comme éclosesd’une quelque

autre histoiredes pièces de

casse-têteinondent mes

mains jointespuis tombent

à l’eaucomme une pluie

de météoresj’observe la scène

et ne referme mes mains qu’au dernier moment sur l’ultime morceau de mystère jonglant avec

mes doigts

les autres morceaux dérivent

jusqu’à se perdre

jusqu’à me perdresur l’onde de l’onde

tandis qu’en moil’écho de quelques vagues bouillonsme dit d’un coup devent

pénétrant comme leregard

du vieux :« voici ce qu’il reste »

inlassablementje marche les

hauts fondslaissant dans les eauxla trace diluéela trace engloutiede mon passagevers un rivage

que je devinesachant très bien que

non

dans le creux de mamain

un je ne sais pasfragment

insolubleme fait continuerla marchecomme si en ces espaces

il y avait quelque chosequelque part

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puis s’ouvreéventrée de l’intérieuret le morceauet le dernier morceau de

moitombe dans l’eauet s’enfonce dansl’encre noire des profondeurs

jusque dans l’abysse impossible de mon naufrage

en hauts fonds

alors que plongeantdans le vertige la pièce de casse-tête me renvoie ses derniers

éclats de lumière

et je n’ose plus ni faire un pas encore

ni rester en placeni lever les

yeuxde ce gouffre

si en dessous demoi

qu’en dedans

sur les eaux comme dansun désert

la marche est longue et déjà le début

du pourquoi s’efface je marche clapotis

clapotis portant dans ma

main le cœur

battantde ce qu’il reste

puis au momentoù dans mes yeux

la toile d’unerive vague

mais rive quandmême

se dessinema main

tremblema main

brûlema main

s’échouedans la douleur

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parce qu’il y a le soleil.

parce que qu’il y a, en tous ces regards qui ne cherchentqu’à voir la moitié blanche de l’univers, l’infinie miseen abyme de leurs âmes nourrissant le soleil du feu deleurs propres yeux. soleils. sources de la source.

parce qu’il y a le mouvement. infini. inconcevable.respiration multidirectionnelle de l’espace. pendantqu’entre soleil et terre tout tourne jusqu’à perte de vue.

parce qu’il y a ce désir de comprendre. sans œillères.sans dérailler. comprendre comme l’on voit. chaquechose en chaque chose. vivre consciemment l’univers.l’incarnant comme on peut. sans trop s’y perdre.

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il ouvre les yeux comme si une porte avait claqué. seredresse dans le lit. se recouche. il ouvre les yeuxsur le nuage perdu des images de sa nuit. un océan.un océan s’efface dans l’ondoiement de la lueur dujour. ses pupilles se dilatent, la vapeur d’un mondes’y engouffre, nimbant les formes du songe de lapoussière de leur propre sublimation. au bout de sesdoigts; un morceau de casse-tête. morceau de rêvedisparaissant, sous le fracas d’une onde, dans un bleusi bleu que noir, dans le précipice de l’oubli. l’hommese tourne dans ses draps. les derniers vents, les der-nières couleurs secrètes de la nuit effleurent le noyaude sa conscience, tourbillonnent, puis s’en vont. soncœur bat. les secondes s’étirent. il tourne la tête; leréveil n’indique aucune heure. ce matin comme hiersoir ; demain est déjà derrière, ce matin comme hiersoir ; lumières allumées, lumières éteintes, un voiledevant le voir. le réveil n’indique aucune heure. rien.de nouveau dans l’espace d’une mince ligne sépa-rant deux mondes; tout se brouille. tout ce brouillardcomme le plus sombre des gouffres intérieurs. cematin comme hier soir ; nuits et jours sont confon-dus en un seul trait de temps. il ne sait plus où com-mence et où finit le rêve. il ne sait plus s’il ouvre ous’il ferme les yeux. écarter les rideaux. il se retournedans ses draps. il s’accroche au-dessus de l’abîmedes couleurs de sa nuit, au-dessus de la forêt de sesprofondeurs. somnambule, il se lève. la lumièrecomme un appel. un chant. elle déborde de chaquecôté du tissu et inonde tranquillement la pièce. ilouvre les rideaux et à travers la fenêtre de sa cham-bre jusqu’aux fenêtres de ses pupilles le jour cracheson premier rayon et remorque le navire dérivant desa conscience jusqu’au quai d’un autre monde.

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et il y aque nous sommes tousà vivre dans l’abstraittiraillés par quelques néantsà tirer les ficelles du rêvepour découdre la toile des joursà jongler avec des formes ouvertespour repousser les murset briser les fenêtres

nous sommes tousà vivre dans l’abstraitdebout dans le cadre de porteà regarder d’un côté les arbres possibleset de l’autre les soleils impossiblesà vouloir infinimentmarcher le jeu de lumière des distancesd’une forêtoù l’on n’est jamais seul à se perdre

nous sommes tousà vivre dans l’abstraitoù rien n’est noir sans être bleuoù ce que nous sommes s’ effaceet ce que nous ne sommes pas aussiprésence autre marchant à nos cotéssi près de nousque dans chacun de nos pasjusqu’au cœur même de laforêt des abîmes

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petit matin. silence. hors des couvertures le froid estmordant. attendre. matin. mer. ciel. alors qu’il atta-che sa barque aux pontons, comme à la frontière dedeux mondes, tout est bercé d’un léger mouvement.soleil. le soleil entre dans la pièce, la brume de lanuit se dissipe, les contours se définissent et com-me l’aiguille d’un horizon dans un paysage, l’aube sefraie un chemin dans les veines de l’homme. il sefrotte les yeux. reste là, le regard rivé sur le givre dela fenêtre, embrasé du feu de l’aube. rien ne bouge.tout semble à la fois d’une légèreté et d’un poidsinexorables. l’étouffement quotidien du réveil. le si-lence. le silence pèse. l’homme respire à tâtons. dansle clapotis du rêve qui se noie, l’homme cherche despoints d’appui. comme si le plancher basculait,comme si le décor chavirait : il cherche. il cherche enpleine mer, onirique mer pleine, parmi les débris flot-tants d’un quelque voyage, un peut-être morceau decasse-tête remonté des profondeurs. comme si le hautfond d’un océan cédait soudain pour faire place àl’abysse, il cherche, il cherche à s’accrocher à desbouées qui n’existent pas. sortir des eaux troubles.tranquillement, il s’extirpe des limbes du désordre etretourne derrière ses yeux comme si finalement ils’agrippait à une planche dérivant sur les flots, frag-ments épars du naufrage de l’éveil. la nuit s’éloignecomme tombant derrière le point de fuite. en lui ; lecasse-tête inachevé se défaisant dans sa chute. ré-cifs accores. les ramifications de l’oreiller impriméessur son visage. il regarde autour, 1+1 ne font plus ni1 ni 3, 1+1, échoué sur les rives de la raison, 1+1font 2. l’activité cérébrale reprend en lui comme lesengrenages d’une vieille machine lourde et usée parune soif trop grande. puis le tableau du rêve s’effacecomplètement, lavé par la marée du jour. café.

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et il y aque nous sommes tousà chercheren nous comme dans une

tempêtede rêves noirs bleusen nous où souffle le vent du nordon cherche tousdans la forêt des abîmesl’inaccessible étoilesource des vents duvent du nord

marcher avec dans la face levent del’évidence d’un big bangen chaque pasvent du nordfrette et drudans le blanc des yeuxdans le noir-bleu des pupillescomme un chemin à suivre

ainsi chute libreà longer les rivièresde la forêt des abîmesvers un quelque partqu’on ne sait pasqu’on ignorecomme aveuglantelumière du nord nordde l’étoile polaireentre en l’œilcomme le vent du nordnous rabat les images du rêve en plein visagequête de la quêteoù d’instinct de tempêtenous savons déjà que lejour de l’accalmienous n’aurons plus rien

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café à la main, il marche d’un pas lent. traverse etretraverse son appartement. d’une rive à l’autre de cemonde clos, à chaque pas, ses pieds s’enfoncent dansle prélart comme dans une neige boueuse. son loge-ment est plongé dans un épais silence. silence opa-que. choses, objets, et meubles semblent rivetés lesuns aux autres. immuables dans leur inexpression.sans dire un mot quelques plantes éparses font sem-blant de pousser. la vaisselle sale gît comme unecarcasse de voiture incendiée. et pas à pas l’hommes’enlise dans un couloir qui s’étire sans cesse jus-qu’à sembler long d’un mille marin. corr-rri-dor. ilavale sa salive: poignée de clou. la peau anémiquedes murs humides laisse transparaître la tête de quel-ques vis. un pied devant l’autre. dans la tempête deneige où chacun des cristaux pèse de son poids decristaux comme un mystère insoluble, absolu, indé-lébile. le plancher est incliné. les portes ne fermentpas tout à fait. rien ne bouge, rien ne dit mot, rienn’indique l’heure. panne d’électricité. tout est immo-bile, vissé sur le socle de sa propre présence. l’hommen’avance plus; il regarde. il regarde les saisons d’uninstant : chacune d’entre elles comme un différentversant de l’hiver, alors que devant lui, en gros flo-cons, la poussière n’en finit plus de retomber.

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et il y aque nous sommes tous

à deviner l’ invisiblecar

il y ail y a quelque chose quelque chose oui à trouver

quelque partque cela soit bleu ou

noir

on cherche ce qui secache

ou alors on construit desmurs des murs des murs à n’en plus finirpour cacher ce que l’on cherchecar on ne cherche pas ce que l’on chercheon déterre ce que l’on peut pour se déprendre les pieds

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avec l’âme rejetée d’un fantôme venu d’ailleurs,l’homme rôde entre les murs de son logement. murstranchants comme de l’ardoise. des murs comme descrans brisant les vagues, tandis que le va-et-vient duregard de l’homme se disloque au pied d’un grandcap. échouée sur la plage de galets de la cuisine gîtla dépouille d’un vieux navire: table. l’homme s’enapproche, tire une chaise, s’y assoit. devant lui lamarée d’encre, la marée noire, des journaux de lasemaine. il tourne quelques pages, çà et là. ses doigtss’entachent de noir. noir, comme s’il avait les mainscouvertes de la suie d’un grand brasier. toutefois aucentre des cendres: un bocal. un île d’eau. un oasis.un exil. un récif. une prison. poisson rouge. océande grandes pages noires, comme des ailes disloquéesd’oiseaux de mer noyés dans le pétrole des tempsmodernes.

la lente rumeur de la mort secoue les berges en lesprenant à la gorge. dérivant et se heurtant aux récifsdans le cliquetis des flots, tant et tant de pièces decasse-tête. des mots. des mots, des mots grimpantde leur course folle les uns sur les autres jusqu’às’effondrer sur eux-mêmes dans leur propre désas-tre naturel. marée noire.

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des mots comme des murs, dans l’excuse vaine dedéfinir l’espace. l’homme plisse les papiers. appro-che certaines feuilles de son visage, les secoue dansl’espoir que certains mots en tombent, puis les froissebruyamment. que des mots lobotomisés, dépecés del’intérieur, des mots qui avancent en rang, les yeuxau sol, sciant l’espace en deux, comme des pétro-liers fusils à l’épaule. des mots vides comme desdouilles. l’homme a beau tourner et retourner lesfeuilles de journaux, aucun de ces symboles ne luirépond plus. mots-labyrinthe. mots humains. desmots comme des ailes amputées de leurs oiseauxs’éparpillant sans corps.

doucement, comme appuyé par un certaindécouragement, l’homme laisse tomber les feuilles dejournaux qui, dans leur chute libre, épousent les stra-tes de l’air. des mots têtes basses, castrés, excisés,somnolents de désespoir marchent dans le long cou-loir blanc de l’abattoir. des mots qui ne sont que deschiffres, combien de morts? combien de morts? motsdes maux de l’humanité, mots des morts. morts defaim, morts de soif, morts de froid, morts d’idées,quelque part ou ailleurs dans une ruelle déserte dece monde.

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et il y aque nous sommes tousdans le délire decontinuer la marchede monts en monts et de voir vertigemiroir de l’hommepaysages et gouffrestalonnant tous nos pascomme l’écho de chaque seconde

ivresse de se pencherau-dessus des

abîmeset de voir l’espace de la chutecomme en chacunl’attente latented’un trainqui peut-être

entre océans et forêtstous deux abîmesd’un paysage trop profondtrain qui peut-êtren’est que le vacarmedu temps qui se défaità coups de désfaits de coups

fermerle triangle

mer terrée ciel orage volcan et lame de fond triangle de la voile pour qu’y souffle le vent dans ce qui était pour d’autres le drapeau blanc de leur dé ses poir

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il est assis, soudé sa chaise. ses bras sont étendussur la table comme s’ils trempaient dans l’eau. uncertain cri qui n’est pas tout à fait un cri cristallisel’instant. une présence. une douleur. une solitude.murs de verre et murs de briques. les parois du réel :toujours aussi étanches. horizons de verre, horizonsde briques. au centre de la table, se cognant le nez:le poisson rouge dans son bocal. comme un œil bor-gne. poisson-pupille tournant toujours, toujours tour-nant. toujours tournant, tournant toujours la mêmeidée dans sa tête. l’homme borné à une certaine noir-ceur, regarde le poisson indéfiniment heurter les faus-ses limites d’un monde. chaque assaut que porte lepoisson à sa prison vitrée élance en la tête del’homme, comme si l’on frappait de l’intérieur. en-fants aux questions sans réponses, ils se regardent,emmurés d’un espace défini. les yeux dans les yeux.chacun à travers les barreaux de son propre regard àvouloir repousser les murs, à vouloir retourner à lamer. silence. tranquillement le poisson se laisse ga-gner par l’immobilité de sa propre impuissance etsans combattre d’aucune façon se laisse reverser etcouler vers le fond. c’est alors que, dans la tête del’homme s’agite quelque chose. tourbillon. puiscomme pris d’un désespoir fou, cela vire et vire, pas-sant derrière ses yeux à la vitesse d’une couleur étour-die. puis avec comme seul espoir de se perdre dansl’océan intérieur, ses eaux se noient dans leur propretempête. et l’homme tremble soudainement sous lescrocs du froid. n’osant plus ni ouvrir grand, ni fermerles yeux l’homme ne sait plus où regarder. il saisitnerveusement sa tasse et d’un coup, boit son caféfroid.

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et il y aque nous sommes tousà marcherdans la tempêteen suivant une quelconquetrace effacée

et tout est noiret tout est bleublizzard menant jusqu’aucœur mêmede la forêt des abîmesoù tout arbre des mystèresincarne le souffle du vent dunordvent quelque abîme brûlant de l’espoir

haut de la carteétoile du NORDdépassés par la rose des ventsdes fragments de lumièredans l’affluent de l’œilcomme tant de regards dans l’univers

forêt des abîmesau nord nord de soidans les ventssempiternelsdes songes abîmés

remonter la rivièreaorte du gouffrevers la racinedu rêve-forêtoù l’on marcheoù l’on marchera toujoursseul et avec d’autresà chercher quelquesélans déracinés du vent du nord

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la main sur la table comme une roche pesantes’enfonce dans les eaux noires. les journaux se frois-sent, parcourus de l’onde de choc. il serre les poings.ses doigts craquent jusqu’à lui faire mal. il ne saitplus que faire. son cœur bat de plus en plus vite. ils’essouffle. panique. comme s’il était trop tard. troptard pour déplumer le réel et enfin voir la couleur desa peau. peau d’oiseau. oiseau mort. pour tirer lesplumes une à une, pour récupérer les morceaux d’uncerf-volant en loques, pour repêcher les mots. repê-cher les mots, les frapper à la tête et au cœur pourensuite les égorger. les égorger : les libérer de leurcarcan de non-sens. mots libres comme atomeslibres en plein vent, mots libres pour que les cho-ses, en un simple éclair de regard, se disent d’elles-mêmes.

l’homme étire le bras, ouvre un tiroir et saisit unepaire de ciseaux. puis comme un rêve déchire en lam-beaux le tissu de la nuit il prend une feuille de jour-nal et l’entaille d’un trait. en empoigne une autre et lafragmente rapidement en petites pièces. des phraseset des mots tombent épars sur la table, tranchants etnus comme des images insondables.

des formes nouvelles se sculptent le long des bergespar le remous et le branle-bas incessant des vaguesd’encre. l’homme regarde les phrases creusées à mê-me les galets de la grève. il regarde l’océan, regardeà l’intérieur de ses mains, regarde la plage d’ardoise,regarde l’océan, regarde le ciel, regarde le soleil puis,à la frontière de lui-même se regarde regarder etfrissonne de sa petitesse.

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et il y aque nous sommes tousdans un espaceoù peut-être une issue quelquese déchera de l’ obscuritécomme si tous les motsqui lisent le mondepouvaientd’un élan venu du nordpeut-êtrese mouvoir et se mettre en place d’eux-mêmesdans un ordre infiniment nouveauinconcevable pour l’ espritmais si clair pour l’ œilpour qu’ enfin se dessinece dont l’ hommene fait que l’ esquissetentant en vain de sonderle paysage dans lequel il se chercheà la lueur d’une allumette

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et il y aque nous sommes tousdes motsdes flèches décochéestrop fébriles pour le silencemais qui dans leurs élansconvergentvers un autremotun seulqu’on ne sait prononcerabsolue clé de toutes les portesdu langage

mot uniqueabîme de la forêt des abîmeset loin de toute majusculemot-ported’un infini indéniablecaché en luiau centre de son silence

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silence. il est là, assis à table. les yeux dans le vide, levide dans les yeux. soudain, ses oreilles sillent. un trainau loin. si loin qu’il ne sait pas s’il part ou s’il vient. leréel comme un chemin de fer traversant une forêtvierge. une entaille dans l’espace, une frange dans ledrapeau blanc. drapeau blanc. drapeau blanc. hisser ledrapeau blanc, attendre, puis tout recommencer. his-ser le drapeau blanc. mais tout cela sonne creux. in-concevable échec de la civilisation. d’un coup l’hommeplisse les yeux pour les écarter subitement. faire place.faire place aux formes nouvelles.

le drapeau blanc n’est pas le drapeau blanc mais bienla voile d’un grand navire. ouvrant les bras, comme lavoile se gonflant d’un vent soudain, il inspire parl'entrebaillement de ses yeux. puis joignant les bras, iltrace dans l’espace l’arc d’une tempête. il balaie d’ungrand coup la surface de la table. l’espace s’ouvre pourdevenir un espace éclaté. ciseaux, vaisselle, journaux,coupures et bocal dans leur chute libre figentun instant puis tombentsur le plancher dans un fracas de ferraille et de verre.comme si les journaux, se fracturant en éclats, n’étaientque d’opaques fenêtres. silence. espace éclaté. espacelibre. table rase. big bang dans un petit quatre et demi.big bang comme un vecteur supplémentaire dans lamyriade d’espaces fléchés de l’univers. sur le sol ago-nise le poisson rouge en quelques spasmes vains etdésespérés. l’homme le regarde. suffoque avec lui. re-cule sa chaise. se penche, le ramasse. la boucheouverte comme pour crier. le tranchant des ciseaux sousla gorge du poisson. ultime liberté. quelques gouttesde sang sur ses doigts et sur les journaux en tessons.table rase.

et l’homme est là. assis comme un œil ouvert oùconvergent les médianes de l’espace. rien ne bouge.comme si la poussière cessait finalement de tomber.comme si la tempête, le blizzard s’ouvraient un instant,pour que le regard, infini, se projette dans l’inconnu.l’homme est là. table rase. que les vérités sortent.l’homme est là, cartes sur table avec le silence.

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et il y aque nous sommes tousdans notre propre distanceà chercherdans l’abîme le plus profondà la pelleà la bêcheà la piocheà mains nuesà creuser un certain mystèreen se serrant les dentsen serrant les fessesen serrant très fortpour s’assurer qu’il est bien mystèreon chercheet on chercheen ouvrant les yeuxen ouvrant les brasen ouvrant très forton chercheà éé puà é pupurépurà épurrerpurerépurerà épurer l’acte de vivre

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tranquillement, tout se dévoile. des traits plus clairs setirent. le fond des choses se dessine. ses pensées re-tombent comme des feuilles mortes, comme une pous-sière fine. il respire. il respire l’espace. il attend sansrien attendre. il n’attend pas. il est là et le temps passe.il ne rêve pas. il voit. au loin, en lui, un point noir. noirlumière. un point bleu. un point blanc.

d’un geste instinctif, lucidité venue d’ailleurs, il tournela tête: fenêtre. elle lui répond d’un faisceau de blanc,d’un chatoiement de lumière. il y a le dehors. mais il ya une cloison. quelque chose endiguant l’espace. maisle dehors est là, de ses arbres nus. arbres qui se cour-bent et dansent avec le vent. le vent siffle, le ventsouffle, relevant la neige comme voulant l’empêcherd’atteindre le sol. vent du nord. à travers les branches,brouillé par la poudrerie, un espace semble possible.à travers les branches apparaît la profondeur d’un pay-sage urbain dans les beaux draps de l’hiver. hiver noirmonoxyde de carbone. par bourrasques gueulardes lavue se voile et au loin rien ne se voit et plus loin en-core rien ne se laisse voir. entre les élans du blizzard,comme une vague se retire pour en appeler une autre,une façade de béton mord le paysage. béton armé jus-qu’aux dents. mais plus loin encore, s’en venant à unevitesse imprécise, un point noir, noir lumière, un pointbleu, un point blanc.

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et il y aque nous sommes tousles yeux tellement rivés sur l’horizonqu’accrochés au lointain par chacun de nos paset comme le soleilsuit sa course dans le cielen nous: ce besoin fou de courirplus loin que soi

soif d’une liberté impossiblejusqu’à redevenir les atomes libresd’une quelque débâclerugissant la furie d’une volonté impondérabled’aller se fondre dans infinie la mer

en noussommes tous

océansommes tous

tempête

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l’homme, hypnotisé par l’éclat du dehors, ferme les yeuxun instant. bong!quelque chose vient de heurter quelque chose. il ouvreles yeux: noir. tout est sombre dans le logement. l’illu-sion de la clarté révélée par quelque chose qui s’estcogné contre le faux espace de la fenêtre. fenêtre noire.fenêtre opaque. jour de nuit. nuit sans songe. prisonde verre où le jour n’entre pas et où la nuit tourne ettourne comme un poisson rouge pris de la folie écra-sante des ornières du réel. l’homme ne sait plus. il fixela fenêtre comme un mur, comme un soleil noir. serreles poings. serre les poings comme si l’ombre, l’om-bre venait de plus profond encore. totale immobilité.puis l’homme, aveuglément coincé entre deux noir-ceurs, est pris en serre par l’étau du temps.

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ET IL Y A PAR UN MALQUE NOUS DE D E N T S P O I N T U E S’ EF FON DRESOM M E S PAR UNE RAGE QUE DEDANS ET S’ETTOUFFET O U S DE D E N T S QUE DERRIÈRE SOUS LE POIDSASSOMMÉS T E LL E M E NT L E S Y E U X DE L’ É L A N

COMME UNE F O U DE S E SET LES RÊVES INACHEVÉS SE DÉBATTENT CRAMPE MORD R Ê V E SUN PEU EN REMUANT  LA V O I X PUIS ET ÉLANCE COM I N A CH E VÉ SS’ACHÊVENT EUX-MÊMES EN PLONGEANT ME UN CŒURLA CORDE AU COU DANS UN GOUFFRE R A G E D EQUELQUE DE LA FORÊT DENTS JUSQU’À MORDRE LE DES ABÎMES VENT DU NORD DE NE PAS AVOIR SOUFFLÉ ASSEZ

FORT DANS LES YEUX DES HOMMES POUR QU’ ILSSOUVRENT ET VERSENT QUELQUES LARMES VÉRITABLES

RAGE DE DENTS CALISSE JUSQU’À MORDRE LA FOLIE DE LA COURSE CRISS POUSSANT LE NAVIRE À VOGUER ENCORE TABARNAK MALGRÉ ENVERS ET CONTRE TOUT L E P O I N G D A N S L E S A I R S C O M M E U N M A T D A N S L E V E N T

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et il y aque nous sommes tous

parfois à suffoquersur des pages blanches

où créer ne suffit plus

des fois oùnous sommes

pris en serres par les ombresemprisonnées en nous-même

des fois oùl’on se perd trop loin

pour disparaître dans une lumièreeffondrée

des fois oùau beau milieu

de l’embâclede notre cœur noué

sous le silencedes eaux refoulées

l’étau des faitsnous coince

jusqu’à ce quenous ne soyons plus

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cristallisé dans l’ombre, l’homme ne bouge pas. ils’enlise dans une noirceur qui n’est pas celle de lanuit. noir jusque derrière les yeux, comme un grandfeu qui se meurt et s’éteint. silence. silence jusqu’àce que brusquement il renverse la table, se redresseet prenne la chaise sur laquelle il était assis commes’il empoignait d’un coup toute sa rage et la lanceviolemment vers la fenêtre obscure. la vitre éclatecomme une poignée de sable au vent. petites billes,petits cristaux de verre, comme le rivage d’un océanoù l’espace s’ouvre enfin, où l’espace éclate, respi-rant l’infini. lumière. lumière. lumière. comme pourune première fois, le contact cru du monde commeun bain d’eau froide. il avance pas à pas vers la fe-nêtre. coi. fébrile. il se tient devant l’ouverturecomme devant la brèche d’un rêve, comme devantla fenêtre de la pièce manquante d’un grand casse-tête.

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et il y aque nous sommes tousle nœud coulantde la corde raide à vouloir rompre rompre à un tel point qu’il ne faut plus rompre rompre jusqu’à tellement qu’il faut renouer défaire les nœuds trop serrés et relier d’une grande boucle les deux côtés de l’abîme comme tant de pièces de casse-tête

qui nous ont glissé des doigts r o m p r e p o u r q u e l e s

rêves s ’ achèven ten

paix dans les eaux

libérées de la débâcle

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par terre, sous les éclats de verre remue un oiseau.assommé. assommé par l’illusion miroir d’unefenêtre, d’un espace. l’homme se penche. le prend.oiseau noir moiré de bleu. d’un bleu si intense quepresque bleu moiré de noir. l’homme hésite. ouvrirou resserrer l’étau de ses mains. mais l’oiseaubouge. remue le cou. étend ses ailes. et d’un bonddans le vide, l’oiseau reprend son envol, puis dis-paraît comme il est apparu. un point blanc. un pointbleu. noir lumière. un point noir. oiseau-soleil.

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et il y aque nous sommes tousle cœur de l’hommecomme le cœur d’une pommeune fois mise à nuau contact de l’air crusi vite oxydé et terni

cœur de l’hommeainsi jeté quelque part objet dérisoirese terrant dans le sol de l’ oublijusqu’à ce qu’il redevienne arbre

arbre poussantdans une forêt de peut-êtrearbre puisant le secretdes abîmespour l’extraired’un élan foliacécomme un printempsfait placeà tout ce qui s’est tusous les hivers accumulés

cœur de l’hommeen débâcle de couleursà la fleur du pommiercœur de l’hommeà fleur de la peaude toutes les libertés

à la débâcle desconscienceson ne peut plusfermer lesyeuxà la débâcle desconsciencesil y a un telespaceque l’on renaîtune fois de plus

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parce que le mot dieu est à l’embouchure de chaquephrase. comme un regard tourné vers le soleil. brûléd’émerveillement au delta de l’univers.

parce que dieu se dit comme l’on dit poésie. silence.cosmos. amour. il y a dieu dès qu’il y a. mais leDieu qui est Dieu d’un monde immuable et lourd,façonné à son image, et bien ce monde: Dieu leperd aux mains de dieu le frère.

parce qu’il y a en la vie l’instinct fondamentald’exister. incarner l’univers. s’inscrire. comme surl’écorce du bouleau infini.

parce qu’il y a l’homme à la démesure de l’homme.liberté.

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l’homme retient son souffle. par la fenêtre brisée, lefroid entre et l’agrippe avec les épines d’une ronce.espace. il est debout, immobile sur les eaux glacéesd’un détroit, d’un pont entre deux mondes. bourras-ques de lumière. au loin, un point noir, noir lumière,trace un grand arc dans le ciel, faisant table rase desnuages de l’azur. point bleu s’en venant, plongeant versl’homme à la vitesse d’un rêve. point blanc les ailesbattantes fonçant vers l’ouverture offerte par le cadrede la fenêtre. l’oiseau et entre dans le logement d’untrait accéléré. les cheveux de l’homme tourbillonnentet le vent s’engouffre dans l’appartement jusqu’à fairebomber les murs. oiseau-soleil. oiseau-soleil commeun éclat de feu blanc traversant toutes les pièces del’appartement. puis revenant du long couloir, l’oiseauarque soudainement le cou, repli de quelques plumesses longues ailes et, comme si tous les vents l’accom-pagnaient dans sa course, il fonce s’écraser contre leplafond de la cuisine. mais au moment de l’impact, brè-che soudaine sur une dimension inconnue, l’oiseau etle plafond disparaissent dans le tourbillon sourd de lalumière du soleil qui déjà plonge et pénètre avidementdans toutes les pièces et recoins de l’appartement. bleudu ciel. bleu du ciel. bleu du ciel. et déjà de l’herbepousse sur le plancher, les plantes débordent de leurspots et envahissent l’espace, les murs s’écroulent dou-cement, les cadres de portes redeviennent arbres, lelavabo redevient source, les meubles réintègrent le solou redeviennent pierres, autour tout s’espace, l’hivercède subitement, la glace craque, le printemps se gon-fle, éclate. au loin les hauts édifices redeviennent falai-ses, et l’homme au beau milieu de cette histoire voit lanature dévorer toutes lignes droites, et l’homme au beaumilieu de cette histoire redevient oiseau.

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cric

lesglaces

craquentles glaces

se cassent ensou bre sauts

soudains les silences se cambrentet s’arquent jusqu’à

fendre les glacesvibrent les glaces

tremblent comme les muscles d’un homme devant un

paysage trop grand tout se disloqueet d’un coup s’amorce l’irréversible

mouvement de l’aller puis le décor se brise chavire et dérive puis l’eau gicle d’entre

les fissures jusqu’à déborder vers les espaces ouvertsd’un printemps hélant les couleurs élan mystère élan poésie élan

vital élan bleu de l’instinct élan de la source retournant à la mer pourfaire tomber les murs menottant le vent du nord souffle de notre souffle

où plus aucune digue ne contient plus la forêt des abîmes comme une porte cède ets’ouvre sur l’espace infini de la lumière projetée par la pupille du rêve de notre propre

d é b â c l e

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