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Droit Déontologie & Soin 7 (2007) 464–476 Disponible en ligne sur www.sciencedirect.com Expertise judiciaire en soins infirmiers Chute d’une personne âgée et responsabilité au sein de l’équipe de soins Jérôme Chevillotte (Infirmier anesthésiste) , Laurence Venchiarutti (Infirmière libérale) 176, avenue de Verdun, 92130 Issy-les-Moulineaux, France Disponible sur Internet le 16 janvier 2008 Résumé Les chutes des personnes âgées sont un problème majeur de la vie en établissement de santé, et par là même, un facteur essentiel de la mise en cause de la responsabilité. Ces faits, qui relèvent du quotidien, peuvent être analysés sur le plan pénal, indemnitaire ou disciplinaire. L’avis de l’expert infirmier peut s’avérer précieux. © 2007 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés. 1. Introduction La chute des personnes âgées est devenue une donnée majeure de santé publique. « La population fran¸ caise vieillit et cette tendance va se poursuivre au cours des prochaines années: les personnes âgées de 65 ans et plus représentent aujourd’hui environ 16% de la population totale et, selon les projections de l’Insee, représenteront plus de 29% de la population en 2050. Selon les données de l’Institut de veille sanitaire (InVS), environ une personne âgée sur trois chute chaque année. Les conséquences de la chute sont variables mais elle est le principal motif d’hospitalisation ou de recours chez le médecin généraliste et constitue la troisième cause de mortalité (toutes causes confondues) pour cette population ». 1 En France, chaque année, les personnes âgées de 65 ans et plus sont victimes de 550 000 accidents de la vie courante. Les chutes constituent 84 % des mécanismes à l’origine de ces accidents. 2 Ce risque de chute s’accroît avec l’augmentation de la dépendance liée à l’âge. La prise en charge de résidents Auteur correspondant. Adresse e-mail : [email protected] (J. Chevillotte). 1 Philippe Lamoureux « Mettre en place une approche globale de prévention » In: Dossier spécial « Mieux prévenir les chutes chez les personnes âgées », La santé de l’homme n o 381 – janvier-février 2006. 2 Bulletin épidémiologique hebdomadaire n 37–38 du 02 octobre 2007 - institut de veille sanitaire. 1629-6583/$ – see front matter © 2007 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés. doi:10.1016/j.ddes.2007.10.002

Chute d’une personne âgée et responsabilité au sein de l’équipe de soins

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Droit Déontologie & Soin 7 (2007) 464–476

Disponible en ligne sur www.sciencedirect.com

Expertise judiciaire en soins infirmiers

Chute d’une personne âgée et responsabilitéau sein de l’équipe de soins

Jérôme Chevillotte (Infirmier anesthésiste) ∗,Laurence Venchiarutti (Infirmière libérale)

176, avenue de Verdun, 92130 Issy-les-Moulineaux, France

Disponible sur Internet le 16 janvier 2008

Résumé

Les chutes des personnes âgées sont un problème majeur de la vie en établissement de santé, et par làmême, un facteur essentiel de la mise en cause de la responsabilité. Ces faits, qui relèvent du quotidien,peuvent être analysés sur le plan pénal, indemnitaire ou disciplinaire. L’avis de l’expert infirmier peut s’avérerprécieux.© 2007 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés.

1. Introduction

La chute des personnes âgées est devenue une donnée majeure de santé publique. « Lapopulation francaise vieillit et cette tendance va se poursuivre au cours des prochaines années :les personnes âgées de 65 ans et plus représentent aujourd’hui environ 16 % de la populationtotale et, selon les projections de l’Insee, représenteront plus de 29 % de la population en 2050.Selon les données de l’Institut de veille sanitaire (InVS), environ une personne âgée sur troischute chaque année. Les conséquences de la chute sont variables mais elle est le principalmotif d’hospitalisation ou de recours chez le médecin généraliste et constitue la troisième causede mortalité (toutes causes confondues) pour cette population ».1 En France, chaque année,les personnes âgées de 65 ans et plus sont victimes de 550 000 accidents de la vie courante.Les chutes constituent 84 % des mécanismes à l’origine de ces accidents.2 Ce risque de chutes’accroît avec l’augmentation de la dépendance liée à l’âge. La prise en charge de résidents

∗ Auteur correspondant.Adresse e-mail : [email protected] (J. Chevillotte).

1 Philippe Lamoureux « Mettre en place une approche globale de prévention » In: Dossier spécial « Mieux prévenir leschutes chez les personnes âgées », La santé de l’homme no 381 – janvier-février 2006.

2 Bulletin épidémiologique hebdomadaire n◦ 37–38 du 02 octobre 2007 - institut de veille sanitaire.

1629-6583/$ – see front matter © 2007 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés.doi:10.1016/j.ddes.2007.10.002

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dépendants nécessite, de la part des professionnels de santé, des mesures de précaution adaptéesnotamment en cas d’utilisation de contentions. Ces mesures ne sont malheureusement pastoujours respectées et peuvent mener à l’accident, voire au décès de la personne âgée dépendanteet, de ce fait, entraîner la responsabilité de l’équipe de soin.

Dès lors qu’il s’agit d’avoir un avis d’expert sur les soins prodigués à un patient, toutesles composantes du soin doivent être prise en compte : les actes médicaux, les actes de soinsinfirmiers et l’organisation paramédicale. Pour que chaque expert puisse répondre dans le domainede compétence qui est le sien, la nomenclature des rubriques expertales3 a prévu l’intégrationd’infirmiers au sein des experts judicaires des cours d’appel (Rubrique F.8.2).

L’expert judicaire, collaborateur occasionnel du service public de la justice, a pour objectifd’apporter un éclaircissement au juge sur un domaine dont il a une compétence reconnue. C’estun technicien qui répond aux questions qui lui ont été posées par le juge et ne doit jamais porterd’appréciation d’ordre juridique4. Ce texte se veut pratique. Après un examen détaillé des faits(2), seront exposés les divers types de recours ouverts à la famille (3) avant de donner un avisd’expert (4). L’estimation du résultat des procédures n’est pas de notre domaine de compétence,et il n’en sera dit que quelques mots pour conclure.

2. Les faits

Mme Gilberte5 est une patiente de 78 ans qui vit dans un établissement d’hébergementpour personnes âgées dépendantes (EPHAD) depuis cinq ans, à la date des évènements ayantentraîné son décès. Considérée comme grande dépendante, Mme Gilberte se déplace seule dansun fauteuil roulant dans lequel elle est attachée afin d’éviter les chutes quotidiennes. Le 13 avril2006, alors qu’elle déambulait dans le couloir du deuxième étage où se trouvait sa chambre, MmeGilberte s’est rapprochée des escaliers et est tombée au niveau de l’interpalier. Dès la chute deMme Gilberte, les proches ont été prévenus et se sont rendus dans l’établissement où elle setrouvait. Ils ont demandé l’hospitalisation de Mme Gilberte, qui a été refusée par le médecincoordinateur. Au fils des jours, le fils de Mme Gilberte constate que l’état de sa mère se dégradeavant d’apprendre son décès, la nuit du 18 avril 2006. C’est dans ce contexte que la familleenvisage un recours.

2.1. Données générales et environnementales

Les faits se déroulent en avril 2006 au sein d’un établissement d’hébergement pour personnesâgées dépendantes. Créé en 1992, l’établissement a été médicalisé en 2001 et a obtenu l’agrémentpour l’hébergement de personnes âgées en 2005.

L’immeuble est composé d’un rez-de-chaussée et de trois étages desservis par deux ascenseurset un escalier central. Les résidents accèdent aux différents étages et à la salle à manger enutilisant les ascenseurs ou les escaliers, avec ou sans accompagnement par le personnel, selonl’état physique des personnes âgées.

Il a une capacité d’hébergement de 94 lits par 84 chambres réparties sur trois niveaux. Leschambres ont une surface de 20 à 30 m2. Elles sont toutes équipées d’une salle de bain adaptée àtout type d’handicap.

3 Arrêté du 10 juin 2005 relatif à la nomenclature prévue à l’article 1 du décret no 2004-1463 du 23 décembre 2004.4 Article 238 du Nouveau Code de procédure civile.5 Ce cas pratique est réel mais les dates, noms, et lieux ont été modifiés.

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Au rez-de-chaussée, se trouvent des locaux communs : salon d’animation, restaurant, biblio-thèque, boutique, salon de coiffure. Les pensionnaires qui le peuvent se déplacent « librement »dans les parties communes des étages. Les repas sont concus sur place et adaptés auxrésidents qui les prennent dans la salle à manger ou dans leur chambre en fonction deleur état.

2.2. L’organisation des soins

La prise en charge des personnes âgées dépendantes est liée à la charte des droits etlibertés de la personne âgée dépendante6 : « Les soins comprennent tous les actes médicaux etparamédicaux. . . ; ces soins visent aussi à rééduquer les fonctions et compenser les handicaps.Ils s’appliquent à améliorer la qualité de vie en soulageant la douleur, à maintenir la lucidité etle confort du malade, en réaménageant espoirs et projets ».

La maison de retraite étant un établissement privé, c’est un contrat qui lie les résidents àl’établissement. Celui-ci stipule dans son article 5 – Surveillance médicale et perte d’autonomie :« L’établissement assure une surveillance médicale régulière et tient à jour le dossier médical dechaque résident ;

Le résident fait appel au médecin ou à l’auxiliaire paramédical de son choix ;L’établissement peut décider en coordination, et sur avis médical traitant, si l’affection dont

souffre le résident peut être soignée sur place ou nécessite une hospitalisation ;La décision de transfert éventuel est prise en fonction de l’urgence et en concertation avec la

famille ou le représentant légal du résident. »Les soins paramédicaux sont assurés par un personnel qualifié grâce à la présence d’une

infirmière le matin, une l’après-midi et une la nuit. L’infirmière est assistée par des aides-soignanteset des auxiliaires de vie.

Le projet général des soins ainsi que l’organisation du suivi médical des pensionnaires estassuré par un médecin coordinateur. Celui-ci, spécialisé en gériatrie, a la charge – de faconréglementaire7 – de donner un avis sur les admissions notamment en fonction de la compatibilitéde l’état de santé de la personne avec les ressources de l’établissement, d’évaluer et de valider l’étatde dépendance des personnes âgées et de veiller à l’application de bonnes pratiques gériatriques.

2.3. Connaissance de la personne

Mme Gilberte est une femme de 78 ans ; elle vit à la maison de retraite depuis le 27 avril 2001(cinq ans à la date de l’évènement).

Pendant l’été 2001, Mme Gilberte a subi une splénectomie qui a été compliquée d’un retourne-ment de l’estomac nécessitant une nouvelle intervention chirurgicale. Au cours de cette secondeintervention, Mme Gilberte a fait un arrêt cardiaque qui a été récupéré mais la plongeant dans uncoma végétatif de plusieurs semaines.

À l’issue de son réveil et de sa prise en charge réanimatoire, elle est placée en maison deconvalescence où elle reprend la marche avec aide. La coordination s’affine mais sa fonctionneurologique n’est que partiellement récupérée. C’est dans cet état fonctionnel et neurologiquequ’elle intègre la maison de retraite en l’absence de toute évaluation de son état de dépendance.

6 Fondation nationale de gérontologie – 1999 – ministère de l’Emploi et de la Solidarité.7 Décret no 2005-560 du 27 mai 2005 relatif à la qualification, aux missions et au mode de rémunération du médecin

coordonnateur.

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En janvier 2003, son fils est informé par la maison de retraite que l’état de santé deMme Gilberte nécessite une prise en charge dans les actes de la vie quotidienne. La priseen charge de ces besoins étant assurée par le personnel de l’établissement, il y avait lieu deréviser le classement des groupes isoressources (GIR) qui permet d’évaluer l’autonomie dela personne. Sur un classement de 1 (perte totale de l’autonomie nécessitant une présencecontinue et indispensable d’intervenants) à 6 (autonomie totale pour les actes de la viecourante), Mme Gilberte est classée à un niveau GIR 4 c’est-à-dire de dépendance corporellepartielle.

En mars 2003, un médecin spécialiste en gériatrie établit un certificat précisant : « Je confirmeque Mme Gilberte présente un état psychique qui nécessite qu’elle ait besoin d’être conseillée etcontrôlée dans les actes de la vie civile. Une mise sous tutelle me semble justifiée ». En octobre,le Tribunal d’instance prononce un jugement d’administration légale désignant son fils en qualitéde tuteur pour exercer les fonctions d’administrateur légal.

Entre 2003 et 2005, Mme Gilberte perd progressivement son autonomie. En 2006, elle adésormais besoin d’une tierce personne pour se laver, s’habiller et se mobiliser. En avril 2006,le niveau de classification GIR est passé à 2 c’est-à-dire à un niveau de grande dépendance avecnécessité d’aide et de prise en charge dans la quasi-totalité des actes de la vie courante.

Mme Gilberte a une bonne connaissance de l’établissement. Malgré ses problèmes d’autonomieet une désorientation temporospatiale, elle se déplace seule à l’étage de sa chambre en utilisant– depuis 2001 – un fauteuil roulant acheté dans une société de matériel médical et paramédical.Lorsque Mme Gilberte désire se déplacer à un autre étage, elle est accompagnée par un membrede l’équipe soignante.

Avec la dégradation de son état et la majoration du risque de chutes, Mme Gilberte est depuisfévrier 2006 attachée de facon préventive à son fauteuil à l’aide de contentions, lui permettant decontinuer à déambuler seule dans le couloir.

2.4. Éléments chronologiques des faits relevés à partir du dossier du patient

Début avril 2006, Mme Gilberte est hospitalisée dans une clinique pour des problèmes der-matologiques. Cette hospitalisation est de courte durée mais elle revient perturbée à la maison deretraite.

Le jeudi 13 avril 2006, comme tous les jours, Mme Gilberte est suppléée pour la toilette,l’habillage et la mise au fauteuil. Comme tous les jours, elle se déplace seule, dans le couloir, àl’aide de son fauteuil.

Vers 14 h 00, une auxiliaire de vie – Mme Berton – est prévenue par une collègue de la chutede Mme Gilberte dans l’escalier menant du deuxième au premier étage. Arrivée sur place, elletrouve Mme Gilberte, au bas des cinq premières marches sur un petit interpalier, attachée à sonfauteuil roulant, lui même renversé sur elle.

Mme Gilberte est passée au travers de la porte à double battant qui est la porte de sécuritépare-feu donnant sur l’escalier en question. La porte était ouverte ce jour-là.

L’infirmière de l’établissement, Mme Claver, prévenue par l’auxiliaire de vie arrive rapidementsur les lieux. Elle constate que Mme Gilberte répond aux questions en gémissant ; elle se plaintd’une douleur à l’épaule gauche et présente une plaie à l’arrière de la tête. Après ce rapide constat,elle fait appel au médecin coordinateur présent dans l’établissement ce jour-là pour une réunionadministrative.

Le médecin coordinateur, M. Goulard, examine rapidement Mme Gilberte avant de faireamener son lit près des escaliers afin de l’installer. Ramenée dans sa chambre, il réexamine

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Mme Gilberte, s’assure de l’absence d’urgence vitale et suture la plaie. Il prescrit un proto-cole de surveillance (prise de tension artérielle, rythme cardiaque, conscience, hydratation,alimentation et température) qui est réalisé par l’infirmière toutes les demi-heures jusqu’à20 h 30.

La famille de Mme Gilberte, prévenue par l’infirmière, demande son hospitalisa-tion. Cette demande rejetée par la directrice qui justifie sa décision par le fait que lemédecin venait de réaliser les premiers soins et que celui-ci n’avait pas jugé utile unehospitalisation.

Au cours d’une de ses visites, vers 17 h 00, l’infirmière constate que Mme Gilberteest somnolente, qu’elle a les lèvres cyanosées et qu’elle vient de présenter un épisode devomissements. Elle réagit aux stimulations de type pincements et voix. Le médecin coor-dinateur prévenu, prescrit une mise sous oxygène et un traitement antivomitif. Il revient,vers 20 h 00, examiner Mme Gilberte, celle-ci est consciente et se plaint de son épaulegauche.

Le lendemain, vendredi 14 avril, le médecin repasse voir Mme Gilberte et lui prescrit uneradio de la clavicule – réalisée dans un cabinet de radiologie de la ville le jour même, cette radiomet en évidence une fracture – ainsi qu’une prise de sang pour le lendemain.

La surveillance mise en place la veille est poursuivie. Mme Gilberte reste alitée toute lajournée et est légèrement somnolente.

Apres avoir examiné Mme Gilberte et vu ses résultats sanguins, le médecin laisse le samedi sesconsignes écrites pour le week-end : « Maintien de la surveillance neurologique et cardiaque ».L’état de Mme Gilberte reste stationnaire.

Le lundi 17 avril, le médecin vient voir Mme Gilberte vers 7 h 45 ; elle prend son petit-déjeuneret répond normalement au médecin. Vers 9 h 00, Mme Gilberte présente un malaise. Le médecin,encore sur place, constate qu’elle est essoufflée et a ses pulsations cardiaques légèrement accélé-rées. Sa tension et son examen neurologique sont normaux. Suspectant une embolie pulmonaire,il lui prescrit un traitement correspondant à son diagnostic. L’état de santé de Mme Gilberte restestationnaire toute la journée. Le soir, son fils constate que sa mère ne lui répond pas lorsqu’il luiparle. Vers 21 h 00, le médecin avise téléphoniquement son fils que de l’état de santé de sa mèreest préoccupant, sans élément plus précis, en l’informant qu’il la reverra le lendemain matinà 7 h 30.

Dans la nuit du lundi au mardi, vers 4 h 00 du matin, l’infirmière de nuit appelle le médecincoordinateur pour l’aviser du décès de Mme Gilberte qui a eu lieu une demi-heure auparavant.Le médecin constate le décès à 7 h 45 et remplit le certificat de décès en présence de sonfils.

2.5. Autopsie médicolégale

L’examen du corps de Mme Gilberte confirme les points de suture réalisés par le médecin auniveau temporal gauche. Il y a également la présence d’un hématome important au niveau del’épaule gauche et une fracture de la clavicule retrouvée à la mobilisation du bras. L’autopsie meten évidence « un traumatisme crânio-encéphalique majeur avec une fracture du crâne de 20 cm,des lésions intracrâniennes associant une hémorragie méningée. . . la mort de Mme Gilberteest en rapport indiscutable avec ce traumatisme crânio-encéphalique. . . les lésions constatéessont en concordance avec la dégradation rapide de l’état de la malade (somnolence, difficultésrespiratoires) mais a priori ces lésions n’avaient aucune caractéristique d’accessibilité à un actechirurgical ».

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2.6. Dires des différents protagonistes et étude sur pièces

Les dires des différents protagonistes et l’étude sur pièces sont présentés ci-dessous :

• Madame Trusac, directrice de l’EHPAD : « Mme Gilberte était une personne qui connaissaitbien l’établissement et qui se déplacait seule dans son fauteuil au deuxième étage où se trouvaitsa chambre. Elle était accompagnée pour descendre à la salle à manger et au jardin. À chaqueétage, l’accès à l’escalier peut-être protégé par une double porte fermée ». Elle précise que cesportes sont maintenues en permanence ouvertes pour suivre une directive de conformité de lacommission de sécurité ;

• Madame Berton, auxiliaire de vie : « C’est moi qui ai trouvé, suite à l’appel de ma collègue,Mme Gilberte à terre avec son fauteuil renversé sur elle. J’ai tout de suite appelé l’infirmière.Mme Gilberte était attachée à son fauteuil pour éviter les chutes ». Elle confirme que les portesdonnant sur l’escalier étaient ouvertes et qu’elles devaient, à sa connaissance, le rester car ils’agissait de portes coupe-feu. Elle précise que cette règle est valable pour le rez-de-chaussée,le premier et second étage. Le troisième étage accueille des personnes dépendantes et les portesdoivent à cet étage rester fermées pour des raisons de sécurité ;

• Madame Claver, infirmière présente au moment de la chute : « Dès que j’ai constaté queMme Gilberte était consciente et qu’elle saignait à l’arrière de la tête, j’ai fait prévenir le méde-cin. Celui-ci est arrivé moins de cinq minutes après. Ensuite j’ai suivi ses instructions. Je suispassée toutes les demi-heures dans sa chambre pour assurer ma surveillance. Quand à 17 h 00,je me suis rendue compte que Mme Gilberte somnolait, avait les lèvres cyanosées et avait eudes vomissements, j’ai tout de suite appelé le médecin. Celui-ci m’a prescrit un traitement etdemandé de poursuivre la surveillance ». Dans ses déclarations, elle précise : « Mme Gilberteétait une personne désorientée, elle n’avait plus de repères espace-temps. Elle était toujoursen fauteuil roulant mais se déplacait seule quand elle le souhaitait. Au mois de février 2006, ilavait été décidé de l’attacher dans son fauteuil de facon préventive afin d’éviter les chutes » ;

• Monsieur Goulart, médecin coordinateur de l’EHPAD : « Dès que l’on m’a averti, je me suisrendu auprès de Mme Gilberte. Il était environ 14 h 10, je suis resté auprès d’elle jusqu’à 15 h 30le temps de l’examiner et de suturer une plaie à l’arrière du crâne. Son état ne m’inspiraitpas d’inquiétude. La maison de retraite étant médicalisée avec présence permanente d’uneinfirmière, je n’estimais pas nécessaire son hospitalisation. À chaque fois que l’infirmière m’aappelé, j’ai répondu ; je suis allé voir Mme Gilberte et j’ai prescrit les traitements qui mesemblaient adaptés. En cas de modification de l’état de santé de Mme Gilberte, la conduite àtenir avait été expliquée et écrite ». Il précise que la dernière hospitalisation de Mme Gilbertel’avait perturbée quelques jours mais qu’humainement et médicalement, il avait estimé pouvoirassurer les soins posthospitalisation dans la maison de retraite qui était devenue son domicile.

2.7. Doléances de la famille

La famille de Mme Gilberte ne comprend pas le décès subit de leur proche. S’ils ne remettentpas en cause le risque et l’éventualité d’une chute, ils ne comprennent pas la prise en charge quis’en est suivie. Ils se demandent pourquoi elle n’a pas été transférée en structure hospitalière,pourquoi les portes donnant sur l’escalier n’étaient pas fermées alors que Mme Gilberte étaitreconnue dépendante, donc comme personne à risque de chutes. Ils reprochent à l’établissementde ne pas avoir mesuré la gravité de la chute de leur parent et de ne pas avoir effectué en ce sensles surveillances et examens suffisants qui auraient pu éviter ce décès.

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3. Le droit

3.1. Aspect pénal

Le dépôt d’une plainte entraîne l’ouverture d’une enquête qui détermine s’il y a eu unefaute et/ou négligence ayant entraîné le dommage, et s’il y a matière à caractériser celle-ci surle plan pénal. C’est au procureur de la République – aux termes de l’article 40-1 du Code deprocédure pénale – de décider d’entamer des poursuites ou non lorsque les faits sont portés à saconnaissance.

Le texte de référence est l’article 121-3 du Code pénal, qui traite des infractions involontaires,et expose : « Il y a également délit, lorsque la loi le prévoit, en cas de faute d’imprudence, denégligence ou de manquement à une obligation de prudence ou de sécurité prévue par la loiou le règlement, s’il est établi que l’auteur des faits n’a pas accompli les diligences normalescompte tenu, le cas échéant, de la nature de ses missions ou de ses fonctions, de ses compétencesainsi que du pouvoir et des moyens dont il disposait ».

Est-ce que le fait d’avoir laissé Mme Gilberte dans sa chambre, au deuxième étage, dès lorsqu’elle était considérée comme grande dépendante, donc avec une majoration du risque de chute,est un délit par imprudence et/ou négligence ?

Les personnes physiques n’ayant pas commis directement le dommage, mais qui ont contribuéou créé la situation ayant entraîné le dommage ou qui n’ont pas pris les mesures permettantde l’éviter sont responsables pénalement, s’il est établi qu’elles ont manifestement violéune obligation de prudence ou de sécurité prévue par la loi ou le règlement. Cette violationde cette obligation a exposé autrui à un risque d’une gravité qu’elles ne pouvaient ignorer.Aussi tous les soignants, ainsi que la directrice et le médecin de l’établissement, qui avaientconnaissance de la dépendance de Mme Gilberte sont susceptibles d’être poursuivis sur le planpénal.

Depuis la loi du 10 juillet 2000 dite loi Fauchon,8 cette responsabilité pénale est engagée dansdes conditions plus restrictives. La loi requiert, quand le lien est indirect, une faute qualifiée.La causalité indirecte est définie par la notion d’ « auteur indirect » c’est-à-dire une personneayant créé ou contribué à créer la situation qui a permis la réalisation des faits ; et d’ « auteurmédiat » en tant que personne n’ayant pas pris les mesures permettant d’éviter le dommage. Lafaute pénale est la violation d’une obligation particulière de prudence.

En l’espèce, Mme Gilberte a été exposée à des risques dans sa prise en charge depuis qu’ellea été qualifiée GIR 2 : personne en grande dépendance. Elle déambulait seule attachée à sonfauteuil roulant dans une zone non protégée : portes coupe-feu ouvertes sur un escalier. Cetteexposition au risque a entraîné le dommage représenté par les blessures à la tête ayant entraînéson décès, comme il a été constaté à l’autopsie.

Pour pouvoir définir les auteurs indirects ou médiats incriminés dans cette faute involontairepar négligence ou imprudence, un complément d’information est nécessaire dans la prise encharge quotidienne de Mme Gilberte ainsi que dans le fonctionnement et l’organisation del’établissement et de l’étage où se trouvait la chambre de Mme Gilberte.

Le juge demandera l’avis de personnes compétentes et spécialisés, ayant connaissancede la science médicale et infirmière. Il désignera une coexpertise réalisée par un méde-cin expert et un expert infirmier. Le médecin aura pour mission de donner un avis sur

8 Loi no 2000-647 du 10 juillet 2000 tendant à préciser la définition des délits non intentionnels.

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les pratiques et choix médicaux réalisés, tandis que l’avis infirmier permettra un éclairagesur les pratiques de soins ainsi que sur l’organisation de soins. Un expert sera égale-ment missionné pour analyser un éventuel dysfonctionnement du fauteuil roulant utilisé parMme Gilberte.

3.2. Aspect indemnitaire

Une fois la phase de la condamnation passée ou si la famille renonce à exercer une actionpénale, s’ouvrira celle de l’indemnisation.

Dans le cas d’une infraction involontaire, l’indemnisation de la victime se fait par l’assureur del’auteur incriminé. Dans le cas de pluralités d’auteurs, ils sont condamnés solidairement ; chacunsera tenu d’indemniser la victime pour le tout (à charge pour celui qui a tout réglé de se retournercontre les autres). Si le coupable ne peut pas payer, le Fonds national de garantie des infractionsévalue le fonds à donner à la victime ou ses ayants droits. Il paye les indemnités par le biais ducomité d’indemnisation des victimes.

En l’absence de faute pénale non intentionnelle au sens de l’article 121-3 du Code pénal,l’article 4-1 du Code de procédure pénale permet l’exercice d’une action devant les juridictionsciviles, à condition que l’existence de la faute, au sens de l’article L. 1142-1 du Code de la santépublique, soit établie.

Mme Gilberte était hébergée dans une structure privée ; il existait entre eux un contrat. Laresponsabilité contractuelle peut être engagée en cas d’une faute entraînant un dommage lié parun lien de causalité. Ce lien est, soit la faute, soit l’aléa thérapeutique. La responsabilité est fondéesur les obligations découlant du contrat de soins et de séjour.

Mme Gilberte a-t-elle été exposée à un risque anormal pour sa sécurité ? Étant évaluée GIR2, elle se déplacait à sa guise dans un espace non sécurisé : porte coupe-feu à l’étage de sadéambulation ouverte sur un escalier. C’est à cet endroit qu’a eu lieu sa chute. Son décès est-ildû à une insuffisance de surveillance dans ses déplacements au quotidien ou seulement dans lesheures qui ont suivi l’accident ?

Un complément d’informations sur la prise en charge de Mme Gilberte et sur l’organisationdes soins dans l’établissement est nécessaire pour apprécier si cette insuffisance de surveillancea été causée par négligence ou imprudence.

L’expert prendra connaissance du dossier de soins infirmiers de Mme Gilberte et de tous lesdocuments s’y rattachant, recherchera toutes les informations, en vue de préciser si les soinsprodigués sont en lien avec une mauvaise exécution des soins et de leur surveillance et préciserasi une autre organisation des soins ou un autre aménagement des locaux aurait pu permettred’éviter le décès de Mme Gilberte.

Il s’agira aussi de réunir les éléments sur le fonctionnement et l’organisation del’établissement, nécessaires pour évaluer la mise en cause de l’établissement dans le décès deMme Gilberte.

Au lieu d’entamer une procédure judiciaire, les ayants droits de Mme Gilberte peuvent déposerun dossier auprès de la Commission régionale de conciliation et d’indemnisation. Cette procé-dure a de nombreux avantages : gratuit, l’avis de cette Commission est rapide (environ six mois).Cette Commission va émettre un avis sur les circonstances, les causes, la nature et l’étendue desdommages. Elle va émettre un avis sur le régime d’indemnisation applicable. Cet avis d’uneCommission d’experts sur l’évaluation du dommage subi va permettre aux ayants droitsd’envisager une demande d’indemnisation qui sera pris en charge par l’établissement et sesassureurs, si la faute est établie dans le dommage subi par Mme Gilberte.

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3.3. Responsabilité disciplinaire

Les personnes employées par cet établissement privé ont la qualité de salarié. Étantdonné l’insuffisance d’informations sur les personnes impliquées dans le dommage subi parMme Gilberte, il est difficile d’évoquer la procédure en cas de sanction disciplinaire tel que leprévoit le Code du travail.

C’est, après le pénal et l’indemnisation, le troisième volet de la responsabilité. Le comporte-ment des agents est apprécié au regard des règles professionnelles. L’avis de l’expert peut éclairerle directeur sur l’organisation des soins en vue de déterminer les agents impliqués dans un man-quement à leurs devoirs et obligations professionnels. À ce titre, il prendra connaissance de tousles éléments du dossier de soins infirmiers et aura pour mission de dire si les soins prodigués ontété réalisés dans des conditions conformes à la législation en vigueur au moment des faits.

Le Code du travail dans ses articles L 122-40 à L 122-44 régit la protection des salariés et ledroit disciplinaire. Quand l’employeur décide de prendre une sanction contre le salarié, il doit leconvoquer en lui indiquant le motif de la convocation, sauf s’il s’agit d’un avertissement ou d’unesanction n’ayant pas d’incidence sur la présence dans l’entreprise, la fonction, la carrière ou larémunération du salarié.

La sanction est définie par toute mesure, autre que les observations verbales, prise parl’employeur à la suite d’un agissement du salarié considéré par lui comme fautif. Au coursde l’entretien, le salarié peut se faire assister par une personne de son choix de l’entreprise.L’employeur recueille les informations du salarié et expose la sanction prévue.

La sanction intervient entre un jour après l’entretien et le mois qui suit. En cas de litige, leconseil des prud’hommes apprécie la régularité de la procédure. Il peut annuler une sanction qu’iltrouve irrégulière dans la forme, injustifiée ou disproportionnée.

4. L’avis d’expertise

Au regard du dossier exposé et des griefs reprochés, la question de la responsabilité résulte del’examen de deux problèmes :

• la prise en charge thérapeutique de Mme Gilberte, de sa chute à son décès : est-ce que les soinsprodigués ont été attentifs, conformes aux données actuelles de la science ?

• la prise en charge globale de Mme Gilberte au sein de l’établissement : pourquoi Mme Gilbertese déplacait-elle seule au sein du service ? Quelle était la surveillance de Mme Gilberte sachantque celle-ci, une fois levée, était attachée à son fauteuil ? Quelles sont les mesures spécifiquesde sécurité de l’établissement ?

4.1. La prise en charge thérapeutique

La lecture des auditions des personnes concernées montre une prise en charge rapide deMme Gilberte peu de temps après sa chute. En effet l’auxiliaire de vie s’est immédiatementrendue au point de chute de Mme Gilberte dès qu’elle a été prévenue. L’infirmière a suivi ; sontemps d’arrivée sur les lieux non précisé apparaît comme étant dans un laps de temps court, demême que celui du médecin dont la présence sur l’établissement – au moment de la chute – apermis une prise en charge médicale rapide.

Par ailleurs, on peut noter qu’une surveillance régulière de la patiente a été réalisée dès sa chuteet ce, pendant les heures qui ont suivi. Cette surveillance a permis de déceler des signes – tels les

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vomissements – qui ont été notés par l’infirmière et permis, après information et évaluation parle médecin, de réajuster la prise en charge médicale. Ainsi, chaque soin réalisé par l’infirmièrel’a été au regard d’une prescription médicale et selon un protocole établi par le médecin.

Enfin, sur la question de la capacité de l’établissement à pouvoir assurer la prise en charge d’uneurgence et notamment des soins de surveillance immédiate après une chute, il faut noter que larésidence est médicalisée depuis 2001, qu’elle dispose du personnel qualifié, à savoir médecin etinfirmières. Même en l’absence du médecin, le décret de compétence permet au personnel infirmerde faire face à ce type de problème en stipulant que : « En l’absence d’un médecin, l’infirmier oul’infirmière est habilité, après avoir reconnu une situation comme relevant de l’urgence ou de ladétresse psychologique, à mettre en œuvre des protocoles de soins d’urgence, préalablement écrits,datés et signés par le médecin responsable. Dans ce cas, l’infirmier ou l’infirmière accomplit lesactes conservatoires nécessaires jusqu’à l’intervention d’un médecin. . . En cas d’urgence et endehors de la mise en œuvre du protocole, l’infirmier ou l’infirmière décide des gestes à pratiqueren attendant que puisse intervenir un médecin. Il prend toutes mesures en son pouvoir afin dediriger la personne vers la structure de soins la plus appropriée à son état »9.

Au regard de cette analyse, on peut dire que la prise en charge de Mme Gilberte, de sa chute à sondécès, s’est faite au regard de la réglementation et que les soins infirmiers réalisés correspondentaux données actuelles de la science infirmière conformément à la réglementation qui régit laprofession.

4.2. La prise en charge globale

4.2.1. La dépendanceLa définition de la dépendance a été donnée en 1998 par le Comité des ministres du Conseil

de l’Europe : « État dans lequel se trouvent des personnes qui pour des raisons liées au manqueou à la perte d’autonomie physiques, psychiques ou intellectuelles ont besoin d’une assistance etou d’aides importantes afin d’accomplir les actes courants de la vie ».

« La dépendance est définie comme le besoin d’aide des personnes de 60 ans ou plus pouraccomplir certains actes essentiels de la vie quotidienne. Elle est liée non seulement à l’état desanté de l’individu, mais aussi à son environnement matériel »10.

Il existe de nombreuses grilles d’évaluation pour mesurer la dépendance. Celle retenue dansla discussion de ce cas est la grille AGGIR fondée sur l’observation des activités quotidiennesqu’effectue seule la personne âgée. Les groupes isoressources permettent de classer les personnesâgées en fonction de leur perte d’autonomie à un moment donné. Cette évaluation est révisableune fois par an. Elle permet de moduler la tarification des prestations dans les établissementsde personnes âgées ainsi que les allocations versées par les organismes sociaux. Outre ce liende tarification, cette classification permet une réelle évaluation des besoins de prise en chargenotamment en termes de moyens et de soins médicaux et paramédicaux. Les établissementsagréés pour l’accueil et l’hébergement des personnes âgées acceptent leurs résidents en fonctionde leur état et besoins.

Mme Gilberte a été admise avec des déficits neurologiques, qui pouvaient faire penser à laprésence de troubles temporaux-spatiaux, ou tout moins, auraient pu conduire à une évaluation

9 Article R. 4311-14 du Code de la santé publique.10 La dépendance des personnes âgées, une projection en 2040 Michel Duée, Cyril Rebillard - Données sociales – La

société francaise – Édition 2006.

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plus précise de la part du médecin coordinateur de la maison de retraite mais également parl’infirmière comme notre décret de compétence le prévoit, aux termes de l’article R. 4311-2 duCode de la santé publique « Les soins infirmiers. . . ont pour objet, dans le respect des droits de lapersonne . . . de participer à l’évaluation du degré de dépendance des personnes ». L’identificationdes besoins de la personne, la mise en place d’actions de prise en charge adaptées ainsi que leurévaluation relèvent du rôle propre infirmier.

Mme Gilberte présente de nombreux facteurs prédisposant aux accidents qui sont les suivants :

• des déficits neurologiques liés au coma prolongé précédant son admission en maison de retraiteet ayant pour répercussion une dépendance à la mobilité ;

• une contention physique à son fauteuil roulant depuis février 2006. Ce risque est rappelé dansle rapport « Recommandations de bonnes pratiques de soins en EHPAD » : « Les contentionsentraînent un déconditionnement physique et souvent une confusion mentale qui sont à l’origined’un risque plus élevé de chute ».11

Mme Gilberte était reconnue comme une personne présentant des troubles de désorientationtemporospatiale. L’infirmière, madame Claver a déclaré que « Mme Gilberte était une personnedésorientée, elle n’avait plus de repères espace–temps ». De plus Mme Gilberte, à la suite de sadernière hospitalisation peu de temps avant sa chute, avait été perturbée quelques jours. Ce troubleavait été notifié par le médecin et l’équipe soignante.

Les périodes suivant les retours à domicile après un changement de lieu de vie sont despériodes à haut risque de chute comme le rappelle le rapport sur les « Bonnes pratiques de soinsen établissement d’hébergement pour personnes âgées dépendantes ». Devant ces facteurs, lastructure se doit d’adopter des comportements de prudence supplémentaires.

Une meilleure évaluation de la part du médecin et de l’équipe paramédicale aurait permis :

• de prévenir cette chute car « la chute est rarement liée à une étiologie unique. Elle résulte le plussouvent de l’interaction de facteurs de risque intrinsèques ou prédisposants en partie réversibleset de facteurs de risque précipitants occasionnels ou liés à l’environnement » ;

• de placer Mme Gilberte au troisième étage de l’EHPAD où, les résidents étant plus dépendants,les portes donnant sur l’escalier sont fermées.

En corrigeant ces facteurs prédisposants et précipitants, la chute de Mme Gilberte aurait puêtre évitée. Les personnes âgées dépendantes sont fragiles et nécessitent une prise en chargeparticulière dans un environnement sécurisé. Ces éléments sont repris dans l’article 9 - Droitaux soins, de la charte des droits et libertés de la personne âgée dépendante : « Les institutionsd’accueil doivent disposer des locaux et des compétences nécessaires à la prise en charge despersonnes âgées dépendantes ». Ces éléments de droit de la personne âgée sont connus de lamaison de retraite, puisque intégrés dans la charte du groupe dont dépend l’EHPAD où vivaitMme Gilberte.

On peut dire que la prise en charge de Mme Gilberte a été inadaptée et que la chute est due àune insuffisance de surveillance liée à une négligence du personnel soignant.

11 Dr Ankri et Pr Berthel « Recommandations de bonnes pratiques de soins en EHPAD » (CHRU Strasbourg – Départe-ment de gériatrie) – ministère de la Santé et des Solidarités, 2004.

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4.2.2. La liberté de déplacement des personnes âgéesLa charte des droits et libertés des personnes âgées dépendantes a pour objectif de reconnaître

la dignité de la personne âgée dépendante et de préserver ses droits. L’article 1 précise : « Toutepersonne âgée dépendante garde la liberté de choisir son mode de vie. Elle doit pouvoir profiter del’autonomie permise par ses capacités physiques et mentales, même au prix d’un certain risque.Il faut l’informer de ce risque et en prévenir l’entourage. La famille et les intervenants doiventrespecter le plus possible son désir profond ».

Ce droit fondamental pour la personne âgée a été respecté par la maison de retraite où vivaitMme Gilberte. En effet, dès son admission, cette dame a bénéficié d’un fauteuil roulant permettantson déplacement au sein de la structure. L’étude de l’organisation des soins a montré qu’elle étaitlevée et installée au fauteuil tous les jours. À aucun moment, sa famille n’a désapprouvé cetteorganisation.

La déambulation est bénéfique mais elle s’accompagne très souvent de risques tels que leschutes avec traumatismes divers ou l’égarement du fait de la désorientation. L’analyse des donnéesliées à la dépendance de Mme Gilberte et de son environnement aurait permis d’autoriser unedéambulation sécurisée : « La sécurité des installations est une obligation. Le manquement à cetteobligation se lie à l’existence d’un dysfonctionnent du matériel ou des équipements. Celui-ciconstitue un risque anormal pour la sécurité des personnes »12.

Étant donné que la sécurité de Mme Gilberte s’est trouvée menacée et compromise, par cesconditions d’organisation et de fonctionnement, la responsabilité civile de l’établissement peut-être mise en cause.

4.2.3. La contention chez les personnes âgéesLes investigations et auditions réalisées permettent d’établir clairement que Mme Gilberte

était attachée à son fauteuil toute la journée et que celle-ci déambulait sans surveillance ausein du service où se trouvait sa chambre. La contention mise en place par le personnel soi-gnant était justifiée du fait du risque élevé de chutes. « La contention doit être réalisée surprescription médicale. Elle est motivée dans le dossier du patient » comme le reprécise le rap-port « Recommandations de bonnes pratiques de soins en EHPAD ». Elle est toujours réaliséeaprès une appréciation pluridisciplinaire. Une fois mise en place, une surveillance doit êtreprogrammée.

Une des recommandations, parue dans le rapport précité, traite de la contention physique selonles bénéfices et les risques : « La contention, si elle est justifiée, demande une surveillance etune évaluation car elle doit présenter des garanties de sécurité et de confort pour la personneâgée ». L’usage des contentions physiques doit être limité et codifié. Les contentions entraînentun déconditionnement physique et souvent une confusion mentale associée qui sont à l’origined’un risque élevé de chute.

Mme Gilberte était attachée dans son fauteuil depuis février 2006, comme le précise l’infirmièrelors de son audition. Mais à aucun moment, elle ne signale de mesures de surveillance mis enplace ainsi que les répercussions de cette contention sur Mme Gilberte.

Le dossier de soins étant vide d’informations infirmières, il est difficile de justifier une priseen charge adaptée de Mme Gilberte. La pratique infirmière permet d’évaluer la situation aprèsrécolte de données. Notre décret de compétence précise que :« . . . l’infirmier identifie les besoinsde la personne, pose un diagnostic infirmier, formule des objectifs de soins, met en œuvre les

12 Cour d’appel de Paris, 5 mars 1999, Thevenon ; cour d’appel de Versailles, 21 juin 1997.

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actions appropriées et les évalue. . . Il est chargé de la conception, de l’utilisation, et de la gestiondu dossier de soins infirmiers ».13

Les soins réalisés par l’infirmière, l’aide soignante ou l’auxiliaire de vie doivent être consignésdans le dossier de soins infirmiers.

Ce manquement a contribué à un défaut de prise en charge globale de Mme Gilberte et entraînéune majoration du risque de chutes.

5. Conclusion

La nature des faits en cause justifie un recours, mais la plainte pénale qui pouvait être envisagéepar la famille n’est sans doute pas la mieux adaptée : si les fautes existent, il n’est pas sûr qu’ellesatteignent le degré de la faute pénale, et la procédure pourrait sembler, au total, peu adaptée.Surtout, le pénal suppose un degré de certitude dans la preuve, et l’une des difficultés à prévoirsur ce plan est le partage du travail dans l’équipe, amenant à un flou sur la certitude des liens decausalité : des fautes sont commises, mais est-on sûr que ces fautes-là ont participé au décès ? Etil peut être très difficile d’imputer un défaut de surveillance.

Aussi, la voie la plus rationnelle et la mieux adaptée est la voie civile, c’est-à-dire l’actionengagée contre l’établissement, qui répond des fautes de ses salariés, quitte à engager, s’il l’estimeopportun, une action disciplinaire contre des salariés négligents.

13 Article R. 4311-3 du Code de la santé publique.