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Cinéma et vidéo documentaires Cinéma et vidéo documentaires COURS N°1 – 28 SEPTEMBRE 2006 1. Capter le « réel », en conserver la trace, la mémoire Réflexion à la place des films documentaires et styles adoptés par les cinéastes documentaires. Ainsi que les problèmes éthiques liés aux documentaires : comment sont traitées les personnes et quel est l’impact du fait de filmer leur vie. On réfléchira aussi sur ce qu’est un documentaire. Pour l’examen : nous allons recevoir des consignes chez Flash-copy avec un dossier de lecture. Il faut assister au cours et voir les films montrés. Il faut aussi connaître les notes du cours ainsi que le portefeuille de lecture (à faire avant le cours). Pour l’évaluation finale, on a le choix soit entre un examen, soit un travail ; carnet de bord sur les films du cours ou dans les suggestions dans la liste. Heures de permanences : jeudi matin, de 10 à 12 h. Un grand classique de l’histoire du film documentaire : Nanook of the North, de Robert Flaherty (1922). Approche anthropologique du cinéma. Film souvent analysé. Qui est Flaherty ? C’est quelqu’un qui a été souvent présenté comme le père du cinéma documentaire et ethnographique. Il est né en 1984 dans le Michigan et au cours de son enfance, il a souvent accompagné son père (ingénieur des mines) en mission d’exploration dans le Nord du Canada. Flaherty raconte que ses expériences lui ont donné le goût de la nature ; il a fait des études de géologie et entre 1914 et 1916 il est devenu guide des expéditions cartographiques de William Mackenzie. A Hudson, Flaherty a pris une caméra et a filmé la vie quotidienne des esquimaux et a développé sa pellicule sur place et il s’est mis à essayer de monter son film. Pour la petite histoire, il fumait lorsqu’il montait son film ; son film a complètement brûlé. Il s’en est consolé en disant qu’il n’était pas bon. Il dit : « les gens regardaient mon film par amitié pour moi pour voir où j’avais été allé (...) je compris que je devais 1 Notes de cours d’Oubayda, revues et corrigées par Sébastien Varveris © 2005-2006 ● 2 ème Information & Communication

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Cinéma et vidéo documentaires

Cinéma et vidéo documentaires

COURS N°1 – 28 SEPTEMBRE 2006

1. Capter le « réel », en conserver la trace, la mémoireRéflexion à la place des films documentaires et styles adoptés par les cinéastes documentaires. Ainsi que les problèmes éthiques liés aux documentaires : comment sont traitées les personnes et quel est l’impact du fait de filmer leur vie. On réfléchira aussi sur ce qu’est un documentaire.

Pour l’examen : nous allons recevoir des consignes chez Flash-copy avec un dossier de lecture. Il faut assister au cours et voir les films montrés. Il faut aussi connaître les notes du cours ainsi que le portefeuille de lecture (à faire avant le cours). Pour l’évaluation finale, on a le choix soit entre un examen, soit un travail ; carnet de bord sur les films du cours ou dans les suggestions dans la liste.

Heures de permanences : jeudi matin, de 10 à 12 h.

Un grand classique de l’histoire du film documentaire : Nanook of the North, de Robert Flaherty (1922). Approche anthropologique du cinéma. Film souvent analysé.

Qui est Flaherty ? C’est quelqu’un qui a été souvent présenté comme le père du cinéma documentaire et ethnographique. Il est né en 1984 dans le Michigan et au cours de son enfance, il a souvent accompagné son père (ingénieur des mines) en mission d’exploration dans le Nord du Canada.

Flaherty raconte que ses expériences lui ont donné le goût de la nature ; il a fait des études de géologie et entre 1914 et 1916 il est devenu guide des expéditions cartographiques de William Mackenzie. A Hudson, Flaherty a pris une caméra et a filmé la vie quotidienne des esquimaux et a développé sa pellicule sur place et il s’est mis à essayer de monter son film. Pour la petite histoire, il fumait lorsqu’il montait son film ; son film a complètement brûlé. Il s’en est consolé en disant qu’il n’était pas bon. Il dit : « les gens regardaient mon film par amitié pour moi pour voir où j’avais été allé (...) je compris que je devais travailler autrement ». Flaherty essayait pourtant de montrer aux gens qui étaient les esquimaux ; les montrer tels qu’eux, les esquimaux, se voient eux-mêmes. Il a donc décidé de recommencer son film ; il a besoin d’argent. Il a trouvé son financement chez Révillon (compagnie française de fourrure ; les esquimaux fournissaient d’ailleurs la matière première des fourrures). C’est un film en quelque sorte d’entreprise. Flaherty est repartit dans le grand nord et y est resté quinze mois (1920–1921) et a réalisé Nanook of the North. Son objectif était de conserver la trace d’une culture qu’il savait en voie de disparition. Le film rend compte de la vie quotidienne des esquimaux et il témoigne de la dureté de leur existence, de la

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lutte pour leur survie. Flaherty a passé quinze mois sur le terrain et a noué des liens de proximités avec les esquimaux ; il connaissait leur langue, coutume et leurs pratiques. Flaherty, au fur et à mesure du tournage, a montré aux esquimaux ce qu’il filmait. Flaherty voulait connaître les réactions des esquimaux. On le voit comme le précurseur de l’anthropologie et l’observation participante. Jean Rouch ainsi que Luc de Heusch (anthropologue belge) on tous deux salué le film de Flaherty en raison de sa démarche anthropologique. « Nanook est pour moi le film qu’il faut montré à tous les étudiants en cinéma, à la bonne vitesse et avec le bon cadrage » (Jean Rouch).

Projection

Style documentaire : nous avons déjà vu des films des frères Lumière (certains films coloniaux). Quelle est la différence ? C’est le fait qu’il y a un récit, une narration, une histoire qui est racontée ; centrée autour de Nanook ; Flaherty le dit. Le film raconte l’histoire de la lutte pour la survie d’une famille. La deuxième caractéristique est le montage ; continuité, rythme et suspens. Flaherty se contente de contempler ce qui est devant ses yeux. En fait, c’est évidemment erroné d’affirmer cela car ce film est extrêmement nuancé. Tout d’abord, il n’avait pas beaucoup de mobilité, il devait donc mettre en scène. Cette mise en scène n’est pas seulement due à des raisons techniques, mais aussi pour captiver l’auditoire. Il y n’y a pas dramatisation, mais une volonté de recréer un monde qui avait disparu ; donc tout un travail de recréation du passé. Donc il leur a demandé de faire ce qu’ils ne faisaient plus. Donc ce film ne correspond pas du tout à ce qu’ils faisaient en 1922. Ici on voit que les esquimaux ne connaissent rien à la technologie, or c’est faux ; ils suivaient même dans les médias l’évolution des ventes de fourrures. Même le nom « Nanook » est inventé pour être plus facilement commercialisé.

Au moment où Flaherty a réalisé son film, les esquimaux avaient des fusils, mais on leur a demandé de recourir au harpon. La séquence de la chasse a entièrement été mise en scène. Flaherty « métamorphose » le monde. Il adoptera cette démarche pour d’autres films. Pour choisir ses personnages, il a procédé à un véritable casting ; il a choisi, pour constituer la famille, des gens beaux. De même lorsqu’il a réalisé L’homme d’Aran.

Comment faire des films qui décrivent la réalité et s’arranger pour que les gens le regardent ? Là est le problème.

La deuxième question est celle de l’image de l’autre. Quelle l’image que Flaherty donne des esquimaux ? Son film n’a pas eu tellement d’influence sur le cinéma ethnographique selon Jay Ruby. Marc Henri Piault lui dit plutôt qu’il est le père de l’exotisme colonial. Quelle est la représentation des esquimaux qu’il donne ? Tout d’abord la lutte incessante ; nature débrouillarde ; troc ; rapport entre occidentaux et esquimaux très bons, ce qui n’a pas toujours été le cas (pas mal d’occidentaux ont été massacrés par les esquimaux). Les esquimaux sont présentés comme de « gentils petits sauvages ».

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Les esquimaux sont toujours souriant, leur existence est pure et heureuse.

Lorsqu’ils sortent du kayak, on voit une dimension comique qui renvoie aux jeux de cirques et autres divertissements populaires.

Lorsqu’ils manquent la viande crue, il y a un rapport entre les esquimaux et les animaux. En fait, il y a sans arrêt une comparaison entre les esquimaux et leurs chiens.

Flaherty s’aligne ainsi sur les films coloniaux de son époque. Cf. Taxidermy and Romantic Ethnography. Robert Flaherty’s Nanook of the North, in The Thirol Eye, Durham, Dule University Press, 1996. Fatimah Tobing Rony.

Le danger de la mort hante constamment le film.

Ce film s’inscrit finalement dans tout un courant, une mode, un intérêt qui régnait envers les esquimaux. En Angleterre, leurs corps finissaient au musée et finalement ils en mourraient. Il y a un explorateur qui a exporté six esquimaux en Angleterre ; un seul, un jeune, avait survécu et s’est rendu compte plus tard que le squelette de son père est exposé au musée.

Flaherty a exposé dans ce film des valeurs qui lui étaient chères ; en l’occurrence des valeurs typiquement protestantes patriarcales, résistance, non corruption, indépendance, etc. Il donne l’image d’un sauvage mythique qui était de nature à plaire aux Américains blancs dans années vingt. Le film a été très largement loué et aussi critiqué par certains qui y ont vu un film romantique, rousseauique.

Dans le rapport à l’autre, le film a été critiqué et on y a vu un regard colonial. Et on a aussi critiqué le film pour le danger qu’il a fait courir aux esquimaux. Jusqu’où un cinéaste a le droit d’aller pour obtenir les images qu’il souhaite filmer. Il a dû par exemple faire courir des risques de santé à des femmes en les déshabillant dans le froid.

COURS N°2 – 5 OCTOBRE 2006

Style et fonction du documentaire. La première fonction qu’on assigne au documentaire, c’est de capter le réel et en conserver la trace. Nous verrons d’autres objectifs dans la suite du cours.

Dans les années 60, l’objectif est le même. Les cinéastes du début des années soixante sont les cinéastes du cinéma direct (ou cinéma vérité). Il s’est développé au Etats-Unis, au Canada et en France. Dans les deux premiers, il s’intitule cinéma direct et en France, c’est cinéma vérité (il a voulu se démarquer des deux premiers).

On met énormément l’accent sur le fait que la naissance du mouvement est née d’un progrès et d’une avancée technologique : la mise au point de la caméra légère et portée. Cette caméra légère aux yeux des gens de l’époque des années soixante ne l’est pas pour nous. Elle va permettre une grande liberté de mouvement qui va pouvoir suivre les personnages qu’il filme. Il y a aussi la mise au point du son synchrone qui permet d’enregistrer la voix des personnes filmées. Et la troisième

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évolution, c’est la mise au point d’une pellicule filmique plus sensible, qui permet de tourner dans des lieux moins éclairés. Néanmoins, le cinéma direct n’est pas né d’un progrès technologique ; cette vision techniciste est à éviter.

C’est une demande de retour à l’authenticité ; il y a une espèce d’aspiration à un accès direct, non médiatisé au monde. C’est cette volonté qui va être le moteur du cinéma direct. C’est par rapport aux documentaires classiques (trop lourd, trop contraignant) que le cinéma direct va se développer.

Par exemple, je suis persuadé, profondément persuadé de ce qui se passe au tribunal ; mais je n’ai jamais mis les pieds dans un tribunal.

Finalement, on ne connaît plus le monde ; on le connaît via le cinéma. Le cinéma direct va constituer une réponse à cela. Leur idée de retrouver une certaine virginité du regard et retrouver le monde tel qu’il est.

Les grands noms du cinéma direct aux Etats-Unis : Robert Drew Richard Leacock (qui a tourné avec Flaherty). (Primary,

film qui suit le président Kennedy. L’objectif était de montrer l’homme qui se cache derrière les micros ; il y a une idée de rompre avec l’image institutionnalisée).

Don Alan Pennebaker Albert et David Maysles

Du côté canadien : Pierre Perrault Arthur Lamothe

En France, le cinéma vérité : Jean Rouch Edgard Morin Agnès Varda Chris Marker Mario Ruspoli

Pour arriver à atteindre leur but, les cinéastes ont mis au point une démarche et ont définit un style documentaire. C’est tout d’abord un cinéma d’observation : on n’intervient pas, on arrive sur les lieux sans préjugés. Il ne faut surtout pas faire d’enquête ou de repérage sur le lieu du tournage. Arrivés là, laisser parler, accepter les hasards. Le caméraman doit être très professionnel pour trouver la bonne image au bon moment. Pas de musique non plus. Limiter au maximum le montage. Pas de mise en scène et pas d’interview. Une mère de famille a eu des quintuplé ; le mari a proposé de faire une petite mise en scène (en allant à son travail) car c’est un évènement médiatique. Or ce n’est pas du tout ce que veulent les cinéastes de vérité. Ces derniers vont tourner énormément ; leur travail e joue sur la durée.

Pour ce qui est du style, nous allons voir un extrait.

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Au niveau du style :

Spontanéité du tournage mêlée à des imperfections techniques.

Ici, il y a six caméramans. Au niveau des mouvements de caméra : usage intensif du zoom sans montage. Enormément de travellings (translation) et de panoramiques (rotation). Peu de montage ; beaucoup de plans séquence. Il y a une sorte d’instabilité de l’image qui va devenir un tic.

Il y a maintenant les rapports aux sujets filmés : dans Primary il s’agissait de filmer les coulisses de la vie de quelqu’un. En fait, il y a, chez les cinéastes du direct, la volonté de découvrir la personne réelle derrière leur image publique. Donc ils se sont d’abord tournés vers des gens célèbres, puis se sont intéressés à des gens normaux. Quand, autrefois, un cinéaste se présentait chez quelqu’un avec un appareillage très lourd, les gens étaient intimidés. Mais le cinéaste n’allait plus être le représentant des médias, mais un homme qui va à la rencontre d’un ami. On est dans un registre beaucoup plus fraternel. Leacock dit « Parfois même, j’étais seul. Par exemple lorsque j’ai film Humphrey dans sa voiture, il n’y avait pas de place de pour d’autre personne. Je ne pense pas que Humphrey m’ait reconnu ; il a du me prendre pour un de ses amis ». Filmer le réel sans que le réel ne se mette en scène. Le cinéma direct se fonde sur une éthique du respect du spectateur car il avait le sentiment que le documentaire avec la voix off disait aux gens ce qu’ils doivent penser. Alors que là, on leur montre les images et la parole des filmés, de laisser aux spectateurs de se faire leur propre idée. Il n’y a pas de violence, ni celle de l’interviewer, ni celle de la voix off.

Film réalisé sur Bob Dylan. Film réalisé avec peu des moyens et sans écriture de scénario. Pennebaker a accepté de tourner le film parce qu’à ce moment, Bob n’était pas encore important, mais qu’il sentait qu’il allait être connu. Il a filmé jusque 40 heures. Pennebaker a eu beaucoup de difficulté à réaliser ce film ; notamment parce que Bob n’était pas toujours en collaboration. Ce que Pennebaker a cherché à faire, c’est établir un rapport de proximité avec Dylan. L’équipe est très réduite.

COURS N°3 – 12 OCTOBRE 2006

Il a été tourné selon les méthodes du direct, avec une équipe réduite. Ce film est représentatif du type de portrait qu’on réaliser les cinéastes du direct. Le réalisateur a tourné pendant beaucoup de temps. Le montage est en principe réduit au minimum. Avec un usage important du panoramique et du travelling. Est-ce que l’image que Pennebaker a donnée de Bob est-elle vraie ? Pennebaker dit parfois que Dylan connaissait ses répliques et les répétait ; que c’était un Dylan qui jouait à être lui-même. Dans la période qui a suivi la sortie du film avait pour question de savoir si l’image donnée est authentique ou pas.

Jeanne Hall, dans Don’t you Ever Just Watch ? (American Cinema Verite and Don’t Look Back), analyse en disant que ce film assez innovateur pour l’époque (suivre une vedette depuis les coulisses jusque la scène ne se faisait pas à l’époque ; ça a été même parodié dans Bob Roberts), qui est soi-disant sans point de vue,

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affirmant qu’il se contente de montrer qui est Bob Dylan, est en fait un film porté par un point de vue très clair : il critique le fonctionnement des médias traditionnels. Quand on analysait la personnalité de Dylan, on disait qu’il était chaleureux sur scène et arrogant dans la vie quotidienne. Jeanne Hall dit que Dylan n’est pas désagréable avec tout le monde. Il est systématiquement arrogant avec la presse. C’est cette critique de Dylan envers la presse qui intéresse Pennebaker. Ce dernier veut montrer que le cinéma direct est plus authentique.

1. Première stratégie : Let Dylan Do It. A un moment, Bob rencontre un journaliste de Time et est désagréable avec lui. Pendant sept minutes que Pennebaker a toutes gardées (sur 90 minutes). Cela est significatif de l’intérêt. Surtout que Dylan a bien construit sa critique de la presse. Dylan va critique le journaliste en tant que personne (le journaliste n’est pas libre, il doit suivre une ligne éditoriale). Puis il fait une critique beaucoup plus structurelle de l’institution, en l’occurrence le journal Time. Il critique ce que la rédaction va faire des informations du journaliste. Il dénonce la prétendue objectivité des journaux. Le lectorat a des goûts suspects. Partant de la critique du journal Time en particulier, il critique les médias en général. Dylan a une conception assez simpliste de ce qu’est la vérité ; mais c’est dans la lignée de ce que préconisent les cinéastes du direct (ne parlez pas, regardez).

2. Une autre stratégie, c’est le fait de présenter Dylan et son entourage se moquer de ce que disent la presse d’eux.

3. Montrer, par l’image, le contraire de ce que Dylan dit au journaliste. Un moment, Dylan dit qu’il ne compose jamais lorsqu’il est en tournée ; or Pennebaker montre à un moment qu’il est en train d’écrire.

4. Avec le journaliste de la BBC ; il y a une séquence de préinterview, ce qui va à l’encontre de la spontanéité des images de presse. Dylan est assez gentil avec ce journaliste. Peut-être parce qu’il a de la sympathie envers ce journaliste africain. Ou alors parce qu’il était de bonne humeur.

5. Dylan parle, puis la parole est coupée et on le voit chanter dans un groupe Folk. C’est une façon de dire qu’il n’y a rien de mieux que l’image de Dylan. Pennebaker intervient pour faire passer son point de vue.

On se trouve là devant une démonstration assez convaincante du parti pris contre la presse par la mise en avant de la démarche du cinéma direct.

Malgré tout, la présence de la caméra influence sur le comportement d’une personne ; il y a une certaine mise en scène de soi-même. Leacock dit clairement que c’est impossible de tourner de manière authentique.

Pennebaker est un des cinéastes, avec Wiseman, le plus connu. Parmi ses films intéressants, il y a The War Room (sur Bill

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Clinton). En fait, ces films sur des stars du monde musical, sont ceux qui ont le mieux survécus car très vus.

Frederick Wiseman a réalisé un film en 1967 : Titicut Follies.

Le plus reconnu, c’est peut-être lui. C’était au départ quelqu’un qui venait d’un monde très loin du monde du spectacle ; il était juriste. Il a choisis des sujets très différents de ceux choisis par la plupart du cinéma direct. Wiseman va filmer les institutions américaines. Il a filmé une prison pour malade mentaux criminels, puis l’école, l’armée, l’aide sociale, la police, un monastère, un grand magasin. Il s’intéresse à différents milieux et à travers sa peinture de différents milieux montre ce qu’est la société américaine. C’est un cinéaste extrêmement prolifique et a obtenu des fonds de WNET (qui a la chaîne new-yorkaise de la chaîne américaine PBS), si bien qu’il a pu faire un film par an pendant une dizaine d’année. Au total, aujourd’hui, il compte à son actif plus de trente films. Ses films ont été montrés en Amérique, puis en Europe. A l’époque, il était professeur de droit et était chargé de donner cours à de futur responsable : il a voulu faire un film pour montrer à ses étudiants où ils allaient envoyer leurs criminels. Sa méthode s’apparente à certains égards à celle des cinéastes du direct : il y a un tout petit peu de repérage, mais l’immersion dans le milieu est là, le travail sur la durée aussi. C’est un démarche qui joue sur la temporalité. Il y a aussi une volonté de ne pas nécessairement ne s’intéresser qu’au moment spectaculaire ; il filme aussi les temps morts, même s’il ne respecte pas toujours cela. Il a tourné pellicule sensible 16mm, son synchro. Ce n’est pas lui qui tenait la caméra, c’était John Marshall. Wiseman était à la prise de son. Il dirigeait cependant le caméraman. Selon lui, ça fonctionnait mieux car il était plus attentif en regardant le milieu à l’œil nu, plutôt qu’à travers la caméra. Il veut être comme a fly on the wall, c’est-à-dire se faire oublier. C’est un film qui a fait l’objet d’une polémique (et il a été interdit pendant un très grand nombre d’année ; il n’a pu être diffusé qu’en 1991).

Projection

En quoi est-ce que l’esthétique de ce film peut être rapprochée de celle de Pennebaker ?

Points communs : Utilisation du zoom. Pour des raisons de clarté Pas d’interview, pas de commentaires et pas de musique. Il y a des raccords cut où on voit très fort le passage d’un

plan à un autre.

Différences : Montage beaucoup plus important. On a parfois parlé de

montage mosaïque à propos de Wiseman ; le spectateur peut être désorienté, mais ce qui intéresse Wiseman, c’est l’institution. La séquence la plus interpellante est celle où on nourrit de force un détenu (Malinowski) : il passe d’un plan du nourrissage d’un détenu et sa toilette mortuaire. Le fait de nourrir quelqu’un à la sonde possède une tension dramatique ; mais il ne s’arrête pas là, il va alterner avec le

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cadavre. Plus tard, Wiseman fera une petite critique de son propre travail.

On ne voit pas toujours bien la différence entre les docteurs et les patients.

Le film commence par nous montrer une séquence de la fête et d’abord cette séquence nous parait légère ; on ne voit pas très bien qui sont ces personnes. C’est une séquence qu’on ne comprendra qu’à partir de la séquence suivante ; on se rend compte que les gens qu’on a vu sont des gardiens et des prisonniers. Ca nous ramène à la notion de folie ; qui est le plus fou en final ? Il y a une confusion dans ce film. Puis il y a une séquence d’un entretien humiliant avec un pédophile alternée au processus de nettoyage et de vérification des détenus. Le fait d’alterner cela est un façon de dire qu’il y a non seulement une humiliation physique, mais aussi psychologique.

Wiseman passe beaucoup de séquence de tensions à des séquences détendues (nourrissage à la sonde suivi d’une fête d’anniversaire). Brian Winston a analysé le fonctionnement de l’hôpital, en commentant le film de Wiseman

L’idée que le montage est mosaïque est à nuancer donc, car il y a une ligne narrative et dramatique à ce film. Ce film a été beaucoup commenté parce qu’au moment de sa sortie, il a fait l’objet d’un litige. Wiseman a montré ce film aux responsables de l’institut psychiatrique et lorsque les critiques ont écrit sur le film et que les responsables ont lu les critiques, ils ont été extrêmement mécontents car ils se sont aperçus que les gens portaient un jugement très négatif. Ils ont fait un procès à Wiseman, qui s’est défendu ; l’argumentation avancée par les responsables disait que ce film n’était pas respectueux de la vie des détenus et que Wiseman a utilisé une caméra cachée.

Finalement Wiseman a perdu son procès. Maintenant les détenus sont morts, le temps a passé et beaucoup de cinéastes ont été attaqués pour cela. Ce film est quand même un film qui montre que le cinéma documentaire peut donner lieu à un débat juridique où le doit au respect de la vie privée des sujets filmés entre en conflit avec la liberté créative du cinéaste. Est-ce que le cinéaste a le droit de faire ce qu’il veut des images ? Les gens ont-ils un droit sur leur image et jusque quand ? Mais c’est aussi un problème éthique : la responsabilité du cinéaste envers les sujets filmés. Ici, le film pose un problème éthique ; en fait les questions qu’il pose : Est-ce que les détenus savaient à quoi ils s’engagent quand ils acceptent d’être filmés ? Est-ce que le cinéaste doit informer de la réaction qu’aura le public face à leur image ? Par exemple comme Hoop Dreams de Steve James (histoire de deux jeunes garçons cherchés dans les écoles de ghettos noirs américains emmenés dans une très bonne école de baseball) Le père est un dealer ; le jeune enfant joue à l’avant plan et derrière, il y a le père qui deal. Dans Hospital, il y a un jeune garçon homosexuel prostitué qui est filmé.

La question éthique est au cœur de la pratique documentaire ; l’argument que Wiseman a avancé est le droit de savoir du public ; le public a le droit d’être informé de ce qui se passe dans son pays. Il y a d’une part le droit des sujets filmés, le droit du

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public à être informé et le droit du cinéaste de créer son œuvre. Ces trois pôles sont conflictuels. Le film qu’on vient de voir est exemplaire de ce débat. Wiseman voulait montrer à ses étudiants où il voulait envoyer leurs détenus, mais plus loin de cela, il y a un portrait de la société américaine à travers ses institutions. Wiseman se donne le devoir d’informer le citoyen à propos de sa nation. L’image promue dans le pays est que chacun a sa place, chacun a sa chance ; ici, ce n’est pas comme ça ; certaines personnes sont dans des situations absolument désespérantes.

Il y a un ouvrage intéressant sur Frederick Wiseman de Atkins. Voir prochainement le dossier. La copie est mauvaise ; il faut savoir que beaucoup de films tournés en direct sont à l’origine, dans la pellicule, de mauvaise qualité.

COURS N°4 – 19 OCTOBRE 2006

Chroniques d’un été est réalisé par Jean Rouch et Edgard Morin. Le but était de faire un film sur la manière dont les Français vivaient la fin de la guerre d’Algérie. Mais ce n’est qu’en 62 que la guerre est terminée. Alors finalement ils ont fait un autre film « Comment vis-tu ? ». La façon dont les Parisiens des années 60 vivaient au quotidien ; comment ils se débrouillaient avec leur existence. Ce qu’ils ont fait, c’est essayer de transposer une démarche ethnologique dans sa propre société. Regarder avec l’œil d’un ethnologue la société qui était la leur. Ce film ne traite pas seulement de la façon dont les gens vivent leur propre vie ; il aborde d’autres problématiques : la guerre d’Algérie et l’indépendance du Congo. Mais en ce qui concerne ces problèmes politiques, il faut mettre l’accent sur deux choses :

Pendant la guerre d’Algérie, il y avait censure ; il était interdit de faire allusion à cette guerre dans les films. Rouch et Morin ont été très prudent. Le petit soldat de Godard a été censuré par exemple. Le thème politique n’est pas pour autant creusé ; mais en fait les Français n’ont pas l’air plus préoccupés que cela ; c’était une déception pour Rouch et pour d’autres intellectuels. Il interpelle les Parisiens sur la guerre d’Algérie et il se rend compte que ça ne les préoccupe pas.

D’autres thèmes se sont rajoutés : un interrogation sur le travail et sur les rapport sociaux. Chronique d’un été est né de la fascination de Morin pour le Free Cinema (œuvre de Karel Reisz, Lindsay Anderson, Lionel Roqosin – In the Bowery, dans lequel Lionel suit un clochard dans ses déambulations dans un quartier ; ce film a beaucoup influencé Morin et ce qui l’intéressait c’est que ce film ouvrait la porte à un cinéma où le rapport entre le cinéaste et son sujet est différent). Morin est un sociologue ; il a un regard sur la société de l’après guerre ; société où se posait la question de l’aliénation du sujet contemporain. Le discours sociologique de l’époque disait que les gens étaient étrangers à eux-mêmes. La véritable communication était brisée au sein des êtres. Et l’utopie de Morin, c’est d’essayer de rétablir la communication via les médias. Il a tenté ce film avec ses amis et il a fait l’expérience du cinéma du questionnement sur ce que c’est qu’être heureux.

Il faut voir deux choses :

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Cinéma et vidéo documentaires

Quel est le type de rapport entre la caméra et le sujet filmé ? C’est un peu différent des films de cinéma vérité de l’époque.

Comment est-ce que les cinéastes sont représentés dans ce film ?

Qu’est-ce qui caractérise le cinéma vérité français ?C’est un film qui met en avant le travail du cinéaste, qui montre le cinéaste, (on les voit), on les voit parler du film, on le voit dialoguer avec les sujets du films. Rouch et Morin ne se cachent pas, ils ne sont pas derrière la caméra. Il y a un côté d’expérience dans le film : on laisse de la liberté au gens. Il y a une importance considérable donnée à la parole, au témoignage. On assiste à la construction d’un film ; depuis l’idée de départ jusqu’à la discussion avec les sujets, puis la discussion entre Rouch et Morin. Ils font le bilan et se rendent compte que ça n’a pas tout a fait marché.

La séquence de Saint-Tropez est vécue comme des « vacances ». Il y a l’idée que le spectateur n’est pas guidé, mais ils sont guidés. Par exemple, lorsque Marceline dit qu’elle a été déportée en camp de concentration, la caméra se tourne pour filmer la réaction. Ca s’apparente à un entretien psychanalytique. Il y a des séquences par conter pus sociologiques (où on parle du travail, du logement, etc.)

Le choix des intervenants n’est pas innocent : ils ont choisi des personnes qu’ils connaissent.

Rouch et Morin récusent l’idée d’un effacement du cinéaste et qu’en fait pour faire surgir la vérité, il ne faut pas que le cinéaste s’efface, mais il doit faire les deux : intervenir et s’effacer. Le cinéaste s’efforce d’être à l’écoute de ses sujets. Morin prend le temps, il laisse parler les sujets ; il y a un refus de la prise de pouvoir sur les sujets.

Il y a cette partie d’écoute, mais il y a aussi une partie de provocation ; il s’agit de susciter la parole des sujets filmés ; par l’interview, mais aussi par la caméra. A un moment donné, Marie-Lou ne veut pas parler, mais la caméra continue de filmer. Il y a une conception de la caméra comme catalyseur et exhibitrice de la parole. Les sujets sont influencés par la présence de la caméra. Rouch et Morin ont choisi de demander à Marceline de déambuler dans les rues ; c’était original à l’époque. Les halles suscitent chez Marceline la production du discours. On ne filme pas la parole en studio, mais en extérieur. On la suit avec une caméra dans une voiture.

Souvent les sujets ne sont pas filmés de dos, mais c’est quand même présent.

Comolli a beaucoup écrit sur le cinéma direct et il parle de l’invention du corps filmé parlant. Dans ce film, tout à coup on était attentif à la parole du personnage, mais aussi à ses mimiques (recherche de la spécificité de chaque parole, de la gestuelle, etc.). C’est très présent dans l’interview de Marie-Lou et de Marceline.

Aujourd’hui, les gens ont l’habitude d’être filmés ; il n’y a plus cette espèce d’innocence vis-à-vis de la caméra. On est au début

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du cinéma de l’expression de soi. Il y a quelque chose de fin dans ce film ; cette finesse tient au fait que Rouch et Morin connaissaient les sujets filmés ; ils sont sur la même longueur d’onde qu’eux. Il y a une vraie intimité entre Morin et Marie-Lou ; on sent que cette intimité n’est pas seulement cinématographique. Le cinéaste peut soit être extérieur (hors-cadre) ou alors il s’intègre avec le sujet ; et il se met à pied d’égalité avec le sujet.

Lansman a fait une interview avec Abraham qui coupait les cheveux des femmes avant qu’elles n’entrent dans la chambre à gaz. Il traque jusque dans ses moindres détails ce qui s’est passé ; il veut des détails, des choses précises, du concret. Mais ici il force vraiment la parole par l’interview et le fait qu’il n’arrête pas de filmer. Ici, l’autorité est bien plus évidente et forte. Il y a un côté très paternel chez Morin et on peut dire qu’il en est de même chez Lansman. Il y a aussi la mise en situation : alors qu’Abraham était à la retraite, on la ramener dans un salon de coiffure pour que ça l’aide à parler.

Lansman a été beaucoup critiqué pour cette séquence, car c’était perçu comme un manque de respect du sujet filmé.

2. Informer, éduquer, convaincre, documentaire et propagande

COURS N°5 – 26 OCTOBRE 2006

Retour sur le commentaire de la semaine dernière.

Reprise des différents éléments abordés au cours précédent. On peut dire de ce film qu’il est un film réflexif, qui s’interroge sur sa démarche, qui énonce tout de lui-même. Les cinéastes se mettent en scène, apparaissent à l’écran, ils mettent à l’épreuve leur conception d’un cinéma documentaire différent, un cinéma du dialogue et de la communication : ils concluent que ça ne va pas tout à fait bien. Soulignons l’intervention des cinéastes soit via la voix off, soit une mise à l’écran. Ils mettent en avant le travail de construction du film en en faisant un rapport éthique, le cinéaste se doit de parler du rapport au sujet filmé. Ça a été un des premiers exemples d’anthropologie partagée. Cette façon de se mettre à l’écran est devenu presque un maniérisme dans le vocabulaire de l’anthropologie

Cette façon de mettre en avant le travail des cinéastes est devenu une sorte de maniérisme et beaucoup de cinéastes aujourd’hui se dispensent de ça. Ils ne se sentent pas toujours obliger de revenir sur le fait qu’un film est toujours le point de vue particulier d’un cinéaste.

On a insisté dans les années 70, 80 sur ce rapport du sujet filmé.

Il est contemporain du débat du cinéma direct et le cinéma vérité et il prend parti contre l’idée d’un effacement de la caméra et d’un cinéma de l’observation pure et simple. Au contraire la caméra doit jouer un rôle de catalyseur, elle provoque et fait surgir la parole.

Troisièmement : ce film met en évidence à travers le débat qu’il y a lieu entre les différents protagonistes, les différents

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problèmes liés à la pratique du témoignage au cinéma. Les sujets filmés ont tendance à verser dans le psychodrame lorsqu’on leur demande de parler de leur existence. Une contrainte est exercée sur eux de façon implicite et qui les amène à dramatiser leur situation. Problème, les sujets filmés sont alors mal jugés par le spectateur, c’est pour ça que le film est un échec pour Morin qui voulait faire aimer les sujets filmés, or, ils ont été critiqués par les membres du groupe.

Morin a choisit ses amis pour réaliser le film, des gens qui faisaient partie des mouvements de gauche en France. De plus Régis de Bray est parmi les intervenants dans le cadre du film : ce sont des gens regroupé autour de Morin écrivant dans la revue « socialisme et barbarie ». Donc on peut aborder cela sous cet angle, le reflet d’une certaine fraction de la gauche française des années 60.

Une américains a commenté ce documentaire. Mais comme Nanook, ce film se trouve dans pratiquement tous les ouvrages sur l’anthropologie du cinéma. Ce film a eu une importance extrême dans l’histoire, autant du documentaire que l’histoire anthropologique.

Étonnement : les films vivent avec nous ; elle connaît ce film depuis 20 ans et selon les époques, elle l’aime ou pas. La semaine dernière elle le trouvait long. Elle a relu un texte de Valérie Mréjen qui a réalisé Pork and Milk (2004), elle a fait une critique très dure de ce film et a fait la critique du questionnement non dirigé.

Michel Brow qui était le caméraman, c’est un canadien car le mouvement du cinéma direct s’est développé en même temps en France, USA, Canada. Rouch pensait que personne n’était un caméraman compétant à part lui donc il fait venir ce canadien exprès.

La pédovision : caractéristique que Rouch donne de son film.

La démarche du cours : on aborde le documentaire sous divers angles, parce qu’un documentaire peut être pensé en fonction de diverses réalités, donnés. Le film documentaire est d’abord un film produit, quelqu’un finance de film, soit produit par une institution, soit un organisme public ou une maison de production. Il peut être produit par la télévision, les ateliers de production du WIP de liège, ....

Le fait que le documentaire soit produit fait qu’il est soumis à des contraintes. La plupart des documentaires français des années 50 sont des documentaires institutionnels dont on s’attend qu’ils aient un discours favorable sur les institutions qui les financent.

Le documentaire est donc soumis à des contraintes en terme de contenu émanant du producteur et en terme de durée. La télévision impose une certaine longueur, pas de film de plus d’une heure et demie.

Le film doit répondre aux contraintes imposées par l’organisme producteur. Le film est aussi l’expression des désirs, intérêts du cinéaste.

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Chronique d’un été : il y a Rouch et Morin.

Morin voulait plus des confessions et Rouch voulait des séquences plus sociologiques. On voit la patte de l’un et de l’autre. Le film, c’est ça aussi. Il est soit le produit d’une commande, soit l’expression de l’univers personnel d’un cinéaste.

Le film s’inscrit aussi au sein d’un champ qui est celui du cinéma documentaire, plus particulièrement par exemple au sein du champ plus restreint du cinéma direct. Un film se positionne par rapport aux autres films réalisés par lui dans un autre champ, avant lui ou dans un autre pays. C’set un territoire et ce film se situe dans ce territoire. Il se positionne à travers les déclarations des cinéastes et les textes qui vont présenter le film, les annonces publicitaires, les affiches. Le film dit ce qu’il est, il invite à une lecture particulière du film. ce discours sur le film peut se situer en dehors du film, mais en général c’est dans els articles de presse qu’on en parle

Shoah, Ansmann en a beaucoup parlé et il s’est positionné dans un champ qui était celui du documentaire ou des films qui représentent la chose.

4e facteur : il dépend aussi de la réception du public, des critiques, l’attention aussi qui est accordé au film par les analystes et les historiens du cinéma. Les réactions du public vont contribuer à la carrière du film. Les réactions des analystes aussi, ou des historiens. Certains films vont être épinglés, considérés comme grands films et on leur donne un statut important.

On épingle chronique, Nanook, et à côté, des films tombent dans l’oubli ; ces discours sur le film font aussi un film, si personne n’en parle, le film n’existe lus et on n’en parle pas. Les gens qui font la promotion du film le savent et les gens des ministères aussi : si le film n’est plus commenté, il n’existe plus.

Le film peut avoir diverses vies en fonctions des interprétations qu’on donne du film. Nanook fait de nombreuses publications.

Triomphe de la volonté : il a fait l’objet de nombreuses publications, d’abord loué, puis critiqué, puis réhabilités. Il y a divers discours divergents sur un film, discours variable.

Surtout, ce sont souvent (point de vue féministe) des hommes qui ont fait l’histoire du cinéma, donc l’histoire du cinéma est une histoire d’homme, de cinéastes homme. Alors que des femmes ont fait aussi du cinéma intéressant comme : Shirley Clarke, Portrait of Jason (1967) et des films dans la lignée du direct, et on ne parle pas tellement de ces films. Il y a un rapport proche pourtant avec le film de Rouch et Morin.

Question de disponibilité du film : dans les universités, dans les écoles de cinéma, ... si on parle un film, on va le ressortir en DVD. On commente ce qu’on a de disponible. Il faut être conscient de la façon dont notre regard est orienté par la disponibilité des films. Dans les vidéostores, les films, pratiquement tous les mêmes sont ceux qu’on nous fait voir constamment.

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Mise au point pour voir quels sont les différents angles d’approche que l’on peut adopter par rapport à un documentaire, ainsi que notre méthode de travail.

L’école documentaire anglaise et le document américain des années 30.

On sort du direct et on rendre dans une autre partie du documentaire : persuader, convaincre.

On se retrouve dans les années 30, en Angleterre puis aux USA.

Réalisation de l’école documentaire anglaise : Night Mail 1936.

Ce film est un film non sous-titré, comme la plupart des films aujourd’hui. Ce film nous montre le voyage du train postal d’un bout à l’autre de l’Angleterre. On nous raconte le travail du postier, depuis le tri, comment il ramasse le courrier et les renvois dans les différentes villes par le train postal.

Ensuite on aura un poème de William Auden sur une musique de Benjamin Britten. Ce texte va nous parler du travail des postiers et de leur importance mais sur une forme poétique.

Voici le train de la poste de nuit franchissant les confins de l’écosse, des lettres aux riches, aux pauvres, ... 8 ans qu’on traîne pour un courrier ponctuel.

Qu’est-ce qui frappe dans ce film ?

C’est un film d’entreprise. Qui a produit le film ? Le General Post Office, la poste.

Est-ce une pub ?

C’est un film effectivement qui vante le service postal qui est efficace. C’est utile pour les gens, un postier reprend les lettres, il est déjà dans le train posta, on nous montre de façon précise le travail des postiers. Voilà comment on le trie, on le met dans des sacs, on le noue, puis on l geste dans le filet, recueillit par les posters sur place, c’est toute une démarche didactique : on nous explique ce que fait la poste pour assurer la distribution du courrier. Il veut que le citoyen ait confiance dans la poste.

Au niveau du style ?

Il y a un rythme. La forme sert le propos qui est de montrer le caractère rapide de la forme. La vitesse du train, le rythme du train et la vitesse du montage accentue celui du train. Il y a un rythme au niveau visuel et un rythme au niveau sonore.

Les réalisateurs ont fait appel à Alberto Cavalcanti, français d’origine brésilienne qui s’est occupé du son.

Comment qualifier l’esthétique, le son.

Une abstraction est faite par le montage, le cadrage.

La ligne générale d’Eisenstein, c’est le modèle des cinéastes soviétiques qui a servit de modèle pour ces réalisateurs là, ils

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sont fasciné par le montage des réalisateurs soviétiques : Eisenstein comme montagiste.

Cavalcanti se penche aussi sur l’expérimentation sonore, sur le son ; c’est quelque chose qui n’a pas été assez étudié mais caractéristique de l’école du documentaire anglaise.

Ça rejoint le manifeste, persuader, convaincre.

Il y a quand même une recherche de la vérité mais sur d’autres modalités.

Mais le premier objectif est persuadé de l’efficacité du dispositif.

Ça justifie et persuade les gens de l’utilité du service.

En fait il y a quelque chose d’important : leur recherche esthétique. Et en fonction de cela, John Grierson a été l’un des porte parole du documentaire. Il a définit le documentaire comme une approche particulière du réel et qui le différencie de l’actualité. La différence est que le documentaire fait une recherche esthétique.

Pour Grierson, le documentaire doit avoir une volonté d’informer le public et un souci esthétique. Si on réfléchit à ce type de documentaire, à quoi est-ce que ça nous fait penser ?

C’est le modèle du documentaire télévisuel classique tel qu’on peut le trouver sur la BBC. Qu’est-ce qui différentie ce documentaire des autres documentaires.

C’est monté, recherche esthétique, il y a une vision orientée sur les choses via le cadrage et le montage.

Mais à la différence du cinéma direct : le commentaire ici est très présent, il est didactique. C’est cette fameuse voix du maître d’école ou de Dieu qui dit au public ce qu’il faut penser, comprendre des images qu’on nous montre. C’est le modèle du documentaire qui aura une longue vie et que l’on retrouve dans le documentaire télévisuel et contre lequel le documentaire va réagir.

Quelques informations complémentaires sur John Grierson. Il est souvent présenté comme le chef de fille de l’école du documentaire anglais. Elle est contestée par les analystes britanniques du documentaire anglais : Alan Lovell & Jim Hillier. Il conteste la position de Grierson tandis que Niné reprend la position classique sur Grierson.

Grierson est un cinéaste d’origine écossaise né en 1898. C’est la même année qu’Eisenstein. Il a fait dans les années 20 un voyage aux USA, quand il est allé aux USA, il a été frappé par l’impact que les médias, la publicité et le cinéma avaient sur le public.

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Grierson est revenu de ce séjour aux USA en Angleterre, faisait partie du Labour et a voulu transposer ses idées au sein de la société britannique. Il a rencontré l’intérêt de diverses personnes mais qui mettaient déjà en place l’usage préconisé par Grierson, notamment Sir Stephen Tallents, responsable de l’Epire Marketing Board.

Grierson a obtenu de Tallents la possibilité de réaliser un film : Drifters (porte sur la pèche du hareng en mère du nord). C’est un sujet peu passionnant, étonnant que Tallents en parle avec autant d’enthousiasme.

C’est le seul film que Grierson a réalisé. Il évoque la confrontation de l’homme et la nature comme Flaherty, mais alors que Flaherty voulait conserver les traditions, Grierson vente plutôt les produits du progrès. L’objectif de L’empire Marketing Board était la promotion des produits anglais. Montré à la London film society en 1929, montré en même temps que le Potemkine d’Eisenstein. Le film d’Eisenstein avait été mis au banc, censuré et c’était ici une grande occasion pour le voir. La réputation du film d’Eisenstein a débordée sur celui de Grierson. Après ça, Grierson a pu créer l’Empire Marketing Film Unit. Puis après il ne s’est plus occupé de production. Il avait un grand charisme, produisait très bien, avait un grand charisme et plaisait. Il a beaucoup écrit sur le cinéma documentaire. Pendant longtemps, l’école du documentaire britannique, c’était Grierson. L’idée de faire des documentaires pour les entreprises était déjà là, Grierson a pris le train en marche. À nuancer. Paul Rotha, intéressant mais n’avait pas autant de charisme. Grierson rassemble des jeunes et leur fait réaliser des films. La plupart des films n’ont pas été très vus, ils ont peu circulé et souvent dans des circuits parallèles. En 19 ?3, l’entreprise est dissoute et Grierson et Tallents ont alors fondé une unité de production au sein de l’unité postale. On y fait référence sous le nom de G.P.O. Film Unit.

Il y a beaucoup de cinéastes du documentaire connus qui ont travaillé dans de cadre dont : Basil Wright Arthur Elton, Edgar Anster, Harry Watt, et la production la plus connue, c’est Night Mail qu’on vient de voir. Mais il y en a aussi d’autres : un film sur le thé : Song of Ceylan.

C’est un film assez exotique, il devait parler du thé et de sa production dans les colonies anglaises, mais il est surtout une rêverie exotique sur le lieu, sur l’ailleurs. Ensuite il a continué sa carrière de producteur et a produit le film d’Arthur Eton : Housing Problems.

En 1938, Grierson quitte le GPO et part au Canada et fonde l’office nationale du film canadien. Là il travaille pendant longtemps, est allé en Nouvelle Zélande, en Australie et chaque fois a produit des offices de film financés par les gouvernements. Souvent il est présenté comme un contestataire. Il a beaucoup écrit sur le documentaire et a beaucoup contribué à donner cette image de lui-même. Mais Night Mail n’est pas un film sur la condition ouvrière, ce sont des films d’entreprise, et au service du gouvernement. Grierson n’est pas un socialiste révolutionnaire.

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Lecture d’un texte du dossier de lecture. Texte tiré de Grierson and documentary.

Premier principe : il va opposer le cinéma qu’il préconise aux films réalisés en studio : sortir le cinéma pour voir la vie même, photographier le décors vrai. A-t-il pu appliquer à fond ce principe ? Non.

Nightmail, la séquence du tri postal a été faite sur une plateforme mobile. C’est du studio. Une envie se manifeste déjà dans le texte de Grierson mais ne peut s’accomplir ici pour des raisons pratiques.

Second principe : il dit toujours en se plaçant par rapport à Hollywood, Grierson est un puriste et il n’aime pas le cinéma de divertissement, il faut avoir un regard social, c’est bien plus intéressant que ce qu’inventent les cinéastes hollywoodiens.

Troisième principe : on voit que pour Grierson, le cinéma a les moyens de nous faire mieux voir le monde. Idée selon laquelle le cinéma éclaire notre vision du monde, grâce à lui, nous le voyons mieux qu’à l’œil nu. On retrouve ici une idée exprimée par Vertov dans sa notion de ciné-œil, c'est-à-dire un œil plus perfectionné que l’œil humain. Grierson définit a place que le cinéma doit avoir dans la société, il doit avoir un rôle social, le cinéma du divertissement hollywoodien passe à côté de la véritable occasion du cinéma : celle d’éduquer, de convaincre, le cinéma est un instrument d’éducation, de formation à la société. Le cinéma est une chaire et je m’en sers en professeur pour...

Critique des cinéastes soviétiques à cause de leur trop grande préoccupation de la forme, il n’aime pas le cinéma pur, se préoccupant de la forme, Grierson ne s’intéresse qu’à la politique, dans et par le cinéma.

Pour lui, les poètes solitaires n’ont rien à apporter à la société ils ne doivent pas faire du cinéma.

Grieson met au point l’idée que le monde est là, qu’il se signifie par lui-même et que le cinéma doit respecter les décors naturels, le héros naturel. Il ne faut pas inventer, ajouter des choses, il ne faut pas fictionnaliser, ajouter trop de métaphores, il faut rester proche du réel et respecter son intégrité. C’est un discours aussi repris par les cinéastes néo-réalistes.

Il admirait les cinéastes soviétiques mais avec réserve. Il admirait Flaherty et l’a fait venir pour travailler avec lui, mais il lui reproche d’être passéiste et de ne pas s’occuper assez de l’homme de son temps, de se préoccuper de l’homme primitif.

Ici, on expérimente les débuts du parlant.

Ici, film sur l’expérimentation sonore. Grierson est très charismatique, mais quand il a terminé sa carrière comme professeur à l’université de McGill au Canada, il avait une affluence maximale à ses cours, 700 étudiants : il est un organisateur, un producteur et un chef d’école, personnalité très importante, mais aussi très contesté.

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Ce discours là est vraiment daté et accorder à Grierson la place qui est la sienne et ne pas en faire un révolutionnaire car ce n’est pas le cas.

Problems (1935) : on va nous montrer des taudis, et les gens qui y habitent vont nous parler de leurs conditions de vie. Leurs conditions de vie sont dégoûtantes, l’escalier n’est pas droit, il y a des rats, ...

On va voir de quoi souffrent ces habitants aux conditions difficiles. Ensuite on va voir la politique de l’état pour reloger ces habitants. Époque des années 30, où l’on reloge les populations. Crise économique. Il faut convaincre les gens qu’il est bon de quitter son logement pour un autre meilleur.

Qu’est-ce qui nous paraît intéressant dans ce film ? Quelle est la structure du film. Le film présente un problème, les gens dans les taudis et on présente la solution apportée par les autorités.

C’est une structure récurrente dans les films d’entreprise. On verra que dans les documentaires américains, c’est chaque fois la même structure, on expose le problème puis on montre celui apporté par l’état ou l’organisme qui subventionne.

On utilise la voix des sujets filmés comme voix off. Ça ressemble beaucoup au schéma télévisuel, une voix off, ...

Ce film joue fort sur la sentimentalité, la pitié pour faire réagir les gens. On donne à ces gens montrés dans le film, le statut de victime. Le texte du portefeuille : The tradition of the victim. On présente ces personnes comme des victimes, on s’apitoie sur leur sort, on a un commentaire d’abord qui présente la situation, on nous montre ces personnes.

On n’interroge des gens qui vont dans le sens du cinéaste, qui ont la même opinion. Ça essaye de nous faire croire que c’est spontané, mais ça ne l’est pas du tout.

Ils récitent un scénario qu’on leur a fait répéter avant et on sent que ce texte a été préparé. Ils sont assez droits et raides devant la caméra. Leur habit : ils sont pauvres et pourtant sont bien habillés spécialement pour le film. On est frappé par le côté guindé des personnages, on n’a pas affaire à des interviews, mais des allocutions, ils font un discours à destination des spectateurs.

Et ne pas oublier qu’on est en 1936, c’était un film expérimental, une des premières fois où on entend les voix des gens de la rue s’exprimer à l’écran, c’est une tentative très limitée par les techniques de l’époque.

Pour l’éclairage : dispositif lourd, on a du éclairer la maison par l’extérieur. On a parlé du fait qu’il y avait un commentaire, des témoignages.

Les temps de pose : l’image sert de preuve.

Il dit qu’il y a un problème : les gens sont contents, qu’ils se souviennent de leurs mauvaises conditions et le problème des taudis est le manque d’hygiène, les gens n’étaient pas soigneux.

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Mais le commentateur dit : si on les met dans des situations correctes, ils sont plus soigneux et soucieux de leur intérieur coquet.

La voix off : peu de temps est accordé au témoin et la voix off domine, elle nous dit ce qu’il faut penser de toute la situation et le témoignage des gens ne sert que d’appui, elle ne sert que de preuve.

On l’a souvent reproché au film, on fait semblant de leur donner la possibilité de s’exprimer mais on ne leur donne guère la possibilité.

On s’apitoie beaucoup sur les gens, on est dans la tradition de victime mais on se demande si les gens sont agents de leur propre vie : non, ils subissent leurs situation jusqu’à ce que l’état arrive et leur donne un autre logement. Les êtres sont passifs et les pauvres sont des êtres dépendants du bon vouloir de l’état et sans possibilité d’action sur leur propre vie.

Relative passivité destinée à faire un éloge de ce que l’état peut faire pour ses citoyens. Le film veut susciter une adhésion à l’état. Roosevelt veut faire passer son programme de réformes agraires et il va donc demander des films semblables : on va aider les citoyens les plus défavorisés.

L’image : beaucoup de panoramiques renforçant cette impression de taudis. Et les images de ruelles avec les enfants qui jouent sont assez belles et esthétiques.

Maurice Ivens : The Camera and I

Il a reproché un embellissement de la misère, il y a quelque chose de beau dans la misère.

Il s’interroge dans son film sur la façon dont il faut filmer les taudis pour ne pas verser dans une esthétisation de la misère. Certaines images du film sont belles, on veut en faire des photographies : c’est un problème.

Or ces taudis sont quand même des lieux de misère et de souffrance.

COURS N°6 – 9 NOVEMBRE 2006

On va parler sur une réalisatrice allemande. L’assistant travail sur le cinéma allemand d’après guerre.

Informer, éduquer, convaincre

On va étudier aujourd’hui le documentaire de propagande avec un film : triomphe de la volonté. Réalisé par Leni Riefenstahl en 1934.

On va se pencher sur une difficulté spécifique : la cohabitation entre cinéma documentaire & cinéma de propagande. Comment ces deux formes et critères de propagande peuvent cohabiter dans un film.

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Leni Riefenstahl naît n 1902 en Allemagne et débute sa carrière dans les milieux artistiques en tant que danseuse. Et son métier lui permet d’obtenir des rôles au cinéma dans des films de fictions qui contiennent toujours une longue séquence dansée, sorte de duo. Il y a souvent des personnages confrontés à la nature assez rude des montages. On dira que ces films sont des drames montagnards dans la lignée des films commerciaux allemands : les Heimatfilms, films de la patrie.

On sait peu de son passé dans la fiction, si ce n’est ce qu’on peut voir dans ses films et ce qu’elle livre dans son autobiographie, dans ses mémoires.

C’est un ouvrage dans lequel elle va se défendre au sujet de ses choix artistiques tout au long de sa carrière d’artiste et de réalisatrice. On ne se soutiendrait pas d’elle si elle n’était qu’actrice et danseuse, mais elle a fait un film de fiction qui a suscité l’admiration chez les spectateurs allemands, sont principalement un, un atout puis personnage assez encombrant : Hitler.

Il va voir le film de fiction qu’elle a fait dans un paysage rude, film qui ont aujourd’hui mal vieillit, on est dans la montagne, pauvre petite bergère, lutte avec les éléments naturels. Hitler va être subjugué, donc le film s’accompagne d’une critique intéressante dans les yeux d’Hitler. Site à cette admiration pour ce film, Hitler va proposer à Riefenstahl de participer à un grand congrès du parti nazi. Un congrès à l’époque était un grand meeting où se retrouvaient les sympathisants du parti nazi.

Ce film s’intitulera triomphe de la foi, en 1933, année de l’accession au pouvoir du parti national socialiste. Elle va se faire remarquer par différents aspects de son style, un cadrage innovant très dynamique, les points de vue qu’elle choisit, elle va frapper son public, mais aussi par un certain goût pour le majestueux, le culte du corps, le culte d’un chef unique, un Führer, Hitler, opposé à une masse d’individus obéissants et soumis. On imagine que ça plait à Hitler et c’est pourquoi il lui demande de réaliser un second documentaire en 1934 sur un congrès du parti national socialiste.

Elle va accepter cette commande, mais puisqu’elle est en position de force elle va exiger de Hitler des moyens colossaux pour tourner ce film ; c’est quelque chose que les films d’aujourd’hui ne peuvent plus se permettre, en nombre de caméras on est proche d’un tournage de formule 1. Avec 18 caméras elle filme ce meeting et fait 150 000 m de pellicule. Le film terminé fait une centaine de minutes, ça fait 3000 m de pellicule. Les rush = la bobine qu’on a tourné.

Elle passe 5 mois à monter le film et sort un film intitulé « triomphe de la volonté ».

À la suite de ce film qui va beaucoup plaire à Hitler et au public allemand (Joseph Goebbels), Riefenstahl va avoir une autre commande sur les jeux olympiques de Berlin. Ça a été une sorte d’immense parade nazie, tous les pays étaient là mais c’était une vitrine de la puissance nazi.

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Ce film, elle va l’intituler « les dieux du stade ».

Il est facile de critiquer Riefenstahl, mais à cette époque, ces films bénéficient aussi d’un succès international. Triomphe de la volonté a obtenu la médaille d’or au festival de Venise, et les dieux du stade a une médaille d’argent au festival de paris.

Elle entame un autre projet qu’elle devra reprendre dans les années 50 qui tome dans les oubliettes. Depuis la fin de la guerre, après avoir blanchi 2 fois par des tribunaux de dénazification, elle va passer son temps à gérer son passé nazi, elle va s’en sortir et devenir riche, un mythe se construit autour d’elle. À 74 ans, elle apprend la plongée sous-marine dans les caraïbes et devient une chef opératrice de prises de vue sous-marines.

Elle va les vendre à des magazines comme Geo ou National Geographic.

Elle réalise dans les années 70 un reportage photo sur la tribu africaine des Nuba.

Informations sur triomphe de la volonté 1934.

Il s’agit d’un film de commande d’Hitler en personne. Hitler lui donne des moyens gigantesques face à une configuration assez simple au niveau du tournage. On a un site immense à Nuremberg, grande plaine, grand stade. Nuremberg est la vitrine du nazi, d’où on y fera les procès d’après guerre ; le meeting tourne 2 jours, 18 caméras et autant de travellings et de machineries. Après ces deux jours, elle va réaliser ce qui est aujourd’hui un des documentaires les plus célèbres et controversés du cinéma.

Un de ses soucis majeurs était de réaliser un film dynamique, pas ennuyeux, se distinguant par ces qualités là de tous les autres films des actualités filmées montrant les meetings, les rencontres, les parades du parti nazi.

Vision : extrait de Triomphe de la volonté.

Faire attention aux procédés mis en place par la réalisatrice, comment filme-t-elle les choses, comment est-ce qu’elle les monte.

On a vu ce qu’était ce film. La première séquence se caractérise par une forme particulière.

Pour commencer l’examen de ce film, on va revenir à la séquence d’ouverture qui débute le film.

On débute par une vue aérienne, qui doit être peu courante à l’époque. Est-ce qu’il y a plus qu’une vue aérienne ?

On montre la supériorité du Fuhrer qui descend du ciel.

Dans cette séquence l’entrée dans le film est frappante. Leni Riefenstahl film et monte, dote d’un accompagnement musical des images de cette arrivée comme pour nus montrer que Hitler

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n’est pas un être humain attaché à la terre, mais quelqu’un descendant du ciel, des nuées. Il y a une qualité divine, supériorité accordée à Hitler.

Par l’esthétique qu’elle utilise, Riefenstahl adopte d’emblée un point de vue affirmant le côté parfait et unique du chef unique. Hitler est dans l’avion, on comprend que c’est lui qui va arriver avec cet avion et on ne voit pas la terre au début, on passe d’un paysage de nuages à un paysage de la ville de Nuremberg, c’est un dieu qui descend sur la terre.

Autre partie essentielle : celle concernant les discours de Hitler :

Ce film est tourné avec 18 caméras et une caméra était sur un discours, une autre sur un autre ambassadeur ce qui permet au montage de passer de l’un à l’autre. Mais ça montre la maîtrise que possède Leni Riefenstahl.

Maîtrise du montage.

De quel type d’images sont fondées les plans : des gros plans des visages, d’Hitler, ...

Dans les séquences des discours d’Hitler, on remarque que les séquences sont montées à partir de deux pôles s’opposant et juxtaposés.

D’un côté on a une ou deux caméras filmant sans interruption la foule. On ne voit pas que des images de masse, on voit aussi des visages individuels, mais les gros plans de la foule seront toujours multiples, nombreux : la foule est composée d’individus qui dans la somme du montage est réduite à des non individus. Hitler par contre est toujours seul. On reconnaît des dignitaires nazis, mais toujours Hitler sera représenté comme un personnage unique. La foule est toujours une accumulation d’individus. Une fois la somme des individus faite, la foule est composée de non individus.

Une seule personne (Hitler), n’est pas intégrée à la foule. Il est seul et cette façon de monter reproduit un des principes fondamentaux du fascisme : un peuple va suivre un chef unique parce qu’il est parfait, il est parfait parce qu’il est unique, il est unique parce qu’il est parfait.

Riefenstahl décide de mécaniser le rapport entre un chef, un individu et une foule de non individus. On a une prise de parole de Hitler qui dès qu’il cesse de parler est soutenu par les ris de la foule. Il suffit qu’il lève la main pour qu’il y ait un silence, il la baisse et la foule l’acclame. Cf. Le dictateur de Chaplin.

Avec le recul historique on ne peut qu’être effrayé par cette mécanique, des foules qui réagissent comme à la baguette aux ordres de hitler. Mais à l’époque personne ne sait ce que deviendra le national socialisme.

Tous les autres personnages parlent de travail, de paix, ... c’est moins effrayant, sauf un personnage qui parle de race pure.

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Les autres réalisateurs utilisaient déjà cette technique du gros plan de l’individu face à la foule. Ils opposent mécaniquement le führer à la foule

Cf. liens avec Fritz Lang et Abel gance. Dans l’autobiographie, Riefenstahl raconte son entretient avec Abel Gance. On pense aussi au cinéma soviétique, Eisenstein et Vertov

Walter Rutman, « Berlin, symphonie d’une grande ville ». Cette esthétique est à la mode à l’époque, gros plans de la foule, ...ce qui caractérise également les séquences de discours qui sont déjà en deux pôles, c’est le recours au montage alterné. (le passage d’un point de vue à un autre dans un même lieu diégétique. Passage d’une personne à un autre : on est dans un montage alterné. Il s’oppose au montage parallèle qui n’implique pas deux pôles).

Ici on a clairement un vas et viens depuis Hitler jusqu’à la foule.

Ça aide à suggérer une hiérarchisation autant qu’une opposition entre le chef et la foule. Le chef parle et la foule lui répond et est soumise. Ce film en recourant à ce type de montage donne aux spectateurs de l’époque l’impression de faire partie cette vaste masse d’allemands qui tous vont vivre sous le pouvoir d’un chef unique.

Ce film a été réalisé suite à une sorte de mutinerie interne dans le parti national socialiste. Le chef de la SA s’était rebellé contre Hitler, cette révolte avait été écrasé dans le sang par Hitler lui-même : la nuit des longs couteaux. Ce film est une réponse à cette insurrection et présente le parti national socialiste comme quelque chose d’unis face à la population allemande.

Il est important aussi de s’intéresser sur les conditions de productions d’un film, d’un documentaire.

Le point de vue adopté par un personnage, cadrant un personnage unique.

La caméra cadre souvent en contre plongée ce qui donne l’impression au spectateur un sentiment de soumission ou de supériorité du personnage filmé. Le spectateur dans le cinéma est dans la même position que la foule dans ce stade : il est en contre bas.

Hinz a déjà souligné que les esthétiques fascistes reprenaient souvent des esthétiques qui lui étaient antérieures tout en lui donnant de nouvelles orientations.

Le spectateur dans la salle de cinéma se trouve dans la posture proche d’un visiteur de Musée face à une statue de la Renaissance : le socle sur lequel se trouve la statue a une grande importance car surélève la statue par rapport au spectateur, donc le spectateur doit voir la statue d’un point de vue inférieure, ce qui implique un statut à priori inférieur du spectateur par rapport à la statue.

L’esthétique fasciste attribue ainsi de nouveaux aspects à d’autres aspects déjà existants.

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Ici on va utiliser cette technique du socle pour mettre en avant le dictateur.

Riefenstahl a dit qu’elle ne voulait pas faire un film ennuyeux comme celui des actualités filmées un moyen est le montage dynamique mais aussi le fait que la caméra ne cesse d’être en mouvement. Elle est tout le temps en mouvement même quand ce n’est pas nécessaire, surtout quand e n’est pas nécessaire. Elle fondamentalise quelque chose de statique. Elle pose des rails de travelling devant le podium et tourne constamment autour de la tribune, de Hitler. Elle interrompt donc le plan dans un mouvement et reprend à un autre endroit donnant une impression de saut perpétuel.

Anecdote : il a vu une publicité qui simule un documentaire. On la fait parler et dire avec un accent maîtrisé : cette poudre est fantastique.

Et pour faire un documentaire, on coupait chaque fois les phrases, juste pour que ça soit moins statique. On a repris une sorte d’esthétique, on la pousse jusqu’au bout car rien ne nécessite un tel surdécoupage. Ici on sent le raccord, ça donne au spectateur l’impression d’assister à un vrai documentaire autant sur Riefenstahl que dans le cas de cette pub.

En restant en perpétuel mouvement, Leni Riefenstahl arrive à s’affranchir du côté statique d’un discours.

On peut dire que Triomphe de la volonté essaye avant tout de transmettre son contenu propagandiste par une forme elle aussi propagandiste. Le contenu d’une certaine idéologie nazie, fasciste ne se retrouve pas que dans les discours mais dans l’esthétique elle-même du film. Ça nécessite le besoin d’être soumis au dictateur de ne pas se soustraire à son autorité.

C’est un film où on assiste au triomphe de la forme sur le contenu.

Question d’examen : pourquoi ce film se caractérise par un triomphe de la forme.

L’esthétique ici est surprenante, inhabituelle, où Riefenstahl fait plus appel aux sentiments du spectateur, y compris dans sa forme et absolument pas son intellect. Si on filme un discours et qu’on le saucissonne dans un montage dynamique, on est moins poussé à réfléchir et utiliser sa raison.

Un critique dira après la guerre que dans ce film, on peut retrouver dans sa forme un des fondements mêmes du national socialisme et de son antisémitisme. Ce que les nazis ont reproché aux juifs c’était que c’étaient des gens qui réfléchissaient trop, trop distants de leurs émotions, des citadins, ... trop critiques.

Car l’émotion s’oppose à toute forme de raison, de distance critique et donc une remise en question de l’idéologie fasciste elle-même. Si l’être humain remet en question, on discute et il y a débat, mais s’il y a débat s’en est fini de la confiance aveugle d’une foule envers un chef unique.

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Après la guerre, Riefenstahl a fait l’objet de nombreuses attaques par des critiques. On l’a accusée de mettre son esthétique au service d’une idéologie condamnable. Et ces reproches sont fondés mais elle s’est défendue en disant : elle n’a pas mis ses talents au service d’une idéologie et que ses films ont toujours été apolitiques. Preuve : son film triomphe de la volonté refuse toute réflexion politique.

Intéressant car cette réponse va se retourner contre la réalisatrice. C’est ce qu’on lui a reproché. Si son film avait été politique, dans son contenu il aurait permis au spectateur d’examiner avec un discours critique cette politique fasciste, or elle a fait le contraire, elle a voulu jouer uniquement sur les sentiments.

Vous ne revenez jamais sur les discours politiques, c’est donc une idéologie par les discours du spectateur et uniquement par celle-ci.

Après avoir passé en revue cette esthétique propagandiste dans la forme et le contenu du film, on va revenir sur 2 textes parlant de triomphe de la volonté.

Fascinating Fascism, par Suzanne Sontag

Son point de vue analyse au plus profond de la culpabilité : peut-on accepter moralement parlant qu’une pratique documentaire ; une esthétique, se mettre à ce point au service d’une idéologie condamnable.

Si on y réfléchit, ça ne touche pas à la pratique du documentaire de Riefenstahl mais l’idéologie nazie elle-même. Cette question répète que le nazisme est condamnable, pas la pratique artistique de Leni Riefenstahl. Le débat peut être rapidement solutionné : le nazisme doit être contesté mais pas une esthétique documentaire.

Exemple : critique l’esthétique d’un Michael Moore car l’idéologie qu’il véhicule serait contestable.

Néanmoins, le débat et la dispute qui vont avoir lieu, au cours de cette dispute, Riefenstahl va toujours répondre. Cette dispute nous apprend donc quelque chose sur le tournage de triomphe de la volonté

Directement Riefenstahl se pose en victime : de ses critiques et du régime nazi lui-même. Elle plaide toujours non coupable en disant qu’elle n’a pas voulu faire le film, qu’elle y a été obligée par Hitler en personne et qu’elle a souffert de l’opposition de tous les membres du parti nazi durant le tournage. Elle n’a jamais bénéficié de la collaboration des nazis. On ne la laissait pas passer les barrages.

À cela elle répond que ça doit être un mensonge car elle a réalisé 4 films qui vont tous dans le même sens : les dieux du stade, ...

Si ça c’était si mal passé, on n’aurait eu qu’un seul film. Ce film ne peut donc pas être un acte de résistance.

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Et quand on voit les moyens technique dont Riefenstahl a pu bénéficier pour son tournage, et aucun plan n’a été fait sans travelling, ...donc il est claire qu’elle a dû bénéficier de soutiens de la part du régime nazi : elle a eu tous les pouvoirs pour réaliser ce film.

Riefenstahl explique dans son autobiographie pour se décharger, qu’elle n’a jamais subi la censure nazie. Mais elle dit : jamais le film n’a pu être visionné par la censure et ne l’a jamais été fait car une heure avant la première projection elle était encore en train de le monter. C’est donc pour ça que la censure n’a jamais pu contrôler les films.

Elle fait donc une certaine résistance vis-à-vis du régime. Mais Suzanne Sontag, si on voit le contenu du film, on voit qu’il convenait tellement bien au régime qu’il convenait tellement bien au régime. Il n’a pas été censuré car il est commandé par le régime.

Riefenstahl va ruser en déplaçant le débat, elle ne va pas contester l’idéologie nazie elle-même, elle utilise toujours des anecdotes. Sinon elle ne serait pas très crédible.

Dans un autre volet de la critique, Sontag revient sur les drames montagnards, les films kitch qui contiennent dans leur esthétique et leur récit, une sorte d’apologie du protonazisme. Dans cette fiction, les histoires comportent une escalade qui est la métaphore d’un but supérieur, ultime, presque morbide (on n’est pas loin du thanatos omniprésent dans l’imagerie nazie, un beau et terrible, fascinant, auquel on est soumis, qui est la métaphore de Hitler en personne).

Seulement si l’on suit Riefenstahl, elle dit que cette critique est absurde car tous les alpinistes seraient des nazis

L’apparente authenticité du film. Riefenstahl se défend contre les attaques des détracteurs : ce n’est pas un film nazi car il ne contient aucune mise en scène ni commentaire. Rien ne peut donc être propagandiste car on n’a pas forcé le réel.

Dans l’interview dans les Cahiers du cinéma, elle ira jusqu’à dire que c’est proche du cinéma vérité : ça ne tient pas du tout la route. Elle conclut en disant que son film montre ainsi l’histoire telle qu’elle a été, telle qu’elle se fait sous les yeux de la caméra, pour elle son film fait partie de l’histoire, ce n’est pas de la propagande mais une source historique

Mais Sontag revient sur une autre déclaration de Riefenstahl. Elle écrit un livre sur le tournage de triomphe de la volonté : le meeting, le congrès ont été partiellement imaginé, mis en scène par elle-même : elle a collaboré à la disposition des foules, des dignitaires sur les podiums. Donc ces meetings sont déjà une mise en scène faite pour le film. Le congrès n’existe pas pour lui-même mais avant tout pour le tournage. Le meeting, cette grande plaine de manœuvre à Nuremberg peut être vu comme un immense plateau de cinéma divisé par la cinéaste elle-même.

Dès lors, si le film montre la réalité, il montre avant tout une réalité déjà transformée pour les besoins du film lui-même.

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L’histoire n’est donc plus simplement une chose à enregistrer en tant que tel, l’histoire est déjà spectacle mis en scène.

La réalité a donc été construite pour servir l’image, pour le documentaire. L’architecture de ce stade a été conçue pour les besoins du film. La disposition de la foule a été décidée en fonction des caméras et non l’inverse.

Tout est fait pour que Riefenstahl fasse un bon montage pour faire un film qui soit un documentaire authentique. Donc ici on est très loin du cinéma vérité.

À la fin de son texte polémique, Sontag met un accent à sa critique : triomphe de la volonté se caractérise par une maîtrise formelle cinématographique remarquable. Elle explique aussi pourquoi Riefenstahl est encore montrée dans les festivals, les écoles, ... l’esthétique du chef unique et l’exaltation des corps en bonne santé, la communauté des individus, cette esthétique n’est pas propre au fascisme mais fascine encore aujourd’hui.

Cette réponse de la foule face à un chef unique, cette réponse va se retrouver plus tard dans les années 70 dans la culture rock. On est au début des premiers concerts ultra violents. Elle fera remarquer que cette esthétique existe toujours et fascine encore les foules ; et cela donne à penser que lorsque nous critiquerons assez facilement cette foule d’allemands, on doit aussi remettre en compte notre propre attitude de spectateur dans un concert.

Film qui ressuscite cette idéologie pseudo pacifiste mais aussi d’un retour à la nature, une communauté d’individu, retour à la nature de l’être humain confronté à des évènements naturels.

Spot réalisé pour l’armée belge sensée recruter des jeunes gens enthousiastes rentrant dans l’armée. De film utilise le même type d’idéologie. On voit peu d’armes.

Dernier texte plus subtil : dans le portefeuille de lecture. À relire pour l’examen. Tous les textes du portefeuille sont matière d’examen.

Il s’agit d’un texte appelé Logistique de la perception de Paul Virilio.

Ce texte concerne le rapport entre cinéma et propagande et donc par là même le rapport entre cinéma et histoire. Ce texte est particulier car il apparaît hermétique dans la mesure où il ne construit pas un article structuré où il tenterait de répondre à une hypothèse, ...

C’est un long commentaire teinté de jeux de mots, d’anecdotes. Il le convoque comme au cours d’une sorte de déambulation intellectuelle. La première fois on a l’impression d’un avis, un documentaire érudit sur des films réalisés dans un moment de propagande, la 2e guerre mondiale.

Il y a une idée sous-jacente à comprendre, il faut dépasser l’aspect anecdotique et ludique.

Ici on ne va pas suivre l’ordre d’idée de l’auteur, on va justement les mettre en ordre.

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Il effectue des rapprochements d’évènements cinématographiques et filmographiques.

Il commence par une sorte d’anecdote de 1916, époque durant laquelle les états unis décident d’entrer en guerre. Ça déclenche une vaste campagne pour le refinancement de l’armée. Et Hollywood est activement associée à la récolte d’argent. Elle va se mettre au service de la récolte de fonds pour faire la guerre en Europe. Chaplin se rend à des meetings, prend la parole et ça incite les américains à débourser davantage.

Or, Virilio constate qu’à cette époque, la plupart des spectateurs n’ont même pas entendu ce qu’il disait car les moyens techniques, micro, ... ne permettaient pas de transmettre le discours à des milliers de personne. Si Chaplin était là, les gens étaient simplement plus généreux. Ce n’est donc pas le discours de Chaplin ni ce qu’il disait qui convainc les américains à devenir généreux pour entrer dans une logique de guerre, mais plutôt une impression pour les américains d’être un grand mouvement de l’histoire qui se met en place, une histoire qui est faite grâce à eux : mais il ne se rendaient pas compte de leur rôle dans l’histoire.

Les grands chefs de guerre du 20es, ne gouvernaient pas (Staline, Mussolini, Hitler), ne gouvernaient pas mais mettaient en scène. Les allemands en avaient ras le bol des privations et du sérieux de la vie ordinaire. Et à ce moment là après tant de brimade, ce qui importe c’est de participer à la grande fresque de l’histoire qu’il suffisait de mette en place. On ne gouverne pas, on met en scène. Et donc ce qui gouverne les masses, c’était les gigantesques mises en scènes de ce que devait être et allait devenir leur histoire, leur vie.

À partir de là, une grande partie du texte de Virilio se concentre sur une partie du texte de Riefenstahl. C’est une grande partie de la mise en scène qui fait mouvoir les masses.

Et l’atrocité des crimes nazis, la Shoah, ... ne doit pas être compris du point de vue des crimes, mais elle doit être comparée au radicalisme et au gigantisme du nazisme : c’est la mise en scène dans laquelle étaient entraînés les citoyens allemands qui lui ont permis de ne pas voir cette erreur.

La guerre dans laquelle s’est lancé le peuple allemand sera comprise comme une superproduction cinématographique à laquelle tout le monde a envie de participer. Ce n’est pas une guerre idéologique, c’est une guerre cinématographique car le citoyen allemand en suivant Hitler réalise une superproduction où il devient acteur.

Cette scène, ce sera le continent européen. Ce qui explique l’absurdité de cette guerre. Virilio voit ça comme un des premiers films mettent en avant la carte de la mise en scène : il faut entraîner le spectateur dans une fresque gigantesque et l’impression de participer au tournage d’un blocbuster.

Il revient sur des dires de Riefenstahl où elle disait que la mise en scène se soucie avant tout du tournage mais plus du tournage

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que du meeting lui-même. Virilio va dire que ça doit d’abord satisfaire le film avant de satisfaire le spectateur sur place.

Nœud de la pensée de Virilio : la mise en scène nazie cherchant à entraîner les masses, cette mise en scène repose sur un paradoxe : il est fait de deux pôles, l’un étant artifice de la mise en scène et deux : hyper réalisme de cette mise en scène.

Il y a un paradoxe entre

Le côté totalement reconstitué, joué, mis en scène d’un évènement

Et l’hyper réalisme, sur authenticité de l’évènement.

Ce qui intéresse l’allemand de 1934, c’est de sortir de son quotidien ennuyeux. Hitler propose de participer à cette grande fresque. Mais pour que l’histoire soit possible, il faut d’abord qu’elle se fasse. Pour qu’elle existe devant moi, il faut d’abord que je la fasse : paradoxe par rapport à une conception globale du documentaire. Et pour que le citoyen allemand ne prenne pas cette mise en scène, cette construction comme une preuve de la fausseté de cette construction (je n’y crois pas puisque c’est mis en scène), il doit nécessairement être intégré dans cette mise en scène comme un pion. Il n’aura plus la distance nécessaire pour dire : ce qu’on lui vend comme la réalité n’est en fait qu’une construction dont il n’est qu’un pion.

Virilio conclut en disant que la seule possibilité pour le citoyen allemand présent dans la salle ne se rende pas compte que c’est branlant, il doit lui-même être un pion, mais cette mis en scène doit elle-même être gigantesque : elle est ainsi la preuve dans son gigantisme que la transformation humaine est possible. Si je peux mettre quelque chose en scène, si elle est énorme et dépasse l’entendement, alors je ne vais plus voir que c’est une mise en scène.

COURS N°7 – 16 NOVEMBRE 2006

Gorin est un français qui au milieu des années 70 a émigré aux Etats-Unis, à San Diego, où il est devenu professeur de cinéma. Gorin a beaucoup travaillé avec Jean-Luc Godard ; ils ont ensemble fondé le groupe Dziga Vertov qui faisait du cinéma engagé. Après s’être engagé dans cette pratique cinématographique militante en France, il est parti aux Etats-Unis. En 76, il fait ce documentaire ; il est fidèle à ses prises de positions politiques par rapport au pouvoir intellectuel, scientifique, pédagogique.

Poto et Cabengo de Jean-Pierre Gorin

C’est l’histoire de deux petites filles dans les années 70 aux Etats-Unis. C’est un documentaire qui a une dimension analytique. Pour analyser le film, cf. Sixteen Ways to Pronounce ‘Potato’ : Authority

La première question qu’on se pose : quel est le type de matériau utilisé ce film ? On constate qu’il y a une grande diversité de matériaux : d’une part des séquences où Gorin filme la famille, les petites filles, les séances de thérapie ; des

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séquences où Gorin filme les enfants ; des sous-titres (par exemple les points d’interrogations) ; des intertitres qui souvent constituent un commentaire ironique sur les dires des linguistes et journalistes ; pas mal d’écran noirs où on entend des voix ; agrandissement de coupures de journaux ; seize façons de prononcer le mot « potato ».

Quel est l’objet de ce film ?Qu’est-ce que la compétence linguistique ? En fait, le film est porteur à la fois d’une réflexion sur sa propre utilisation du langage et d’une interrogation sur la responsabilité des gens qui exercent via leur maîtrise d’un langage une autorité sur leur entourage. Le film examine comment certaines personnes, parce qu’ils jouissent de compétence en matière de langage, sont susceptibles d’exercer une autorité sur ceux qui n’ont pas cette compétence.

Vivian Sobchack propose de recourir aux travaux du linguiste et philosophe marxiste Baktine, qui s’en prend au mythe de la langue universelle et homogène. Pour lui, elle ne l’est pas ; il y a une très grande diversité au sein d’une même langue ; la langue est diversifiée par les actes de paroles des différents interlocuteurs (différences liées au sexe, la profession, l’âge, la région, etc.) Par exemple, un adulte ne parle pas le même langage qu’un adolescent de 13 ans. Le français de Belgique n’est pas le même que celui du Canada. Baktine, pour désigner ces différenciations au sein d’une même langue a eu recours au concept d’hétérologie (terme qui désigne les différences linguistiques qui résultent de la diversité sociale). Le film est politique d’une certaine façon ; Baktin va analyser comment ça se passe au niveau de l’appropriation du langage ; il y a, selon lui, au sein d’une même langue des forces centrifuges qui tendent à la diversification et des forces centripètes qui tendent à la centralisation de langue et qui visent à la stabiliser.

On peut analyser Poto et Cabengo comme un film qui porte sur le langage verbal ; l’anglais, loin d’apparaître comme une langue uniforme, est rendu hétérogène par une multiplicité de voix aux accents et intonations différentes. Le film met à jour le fait que l’anglais n’est pas une langue homogène. Le film va plus loin que ça puisqu’il va s’interroger sur la dimension sociale du langage et va montrer comme les forces centripètes combattent les forces centrifuges. Le discours est rendu dialogique. D’abord ce film nous fait entendre divers discours d’autorité : le discours des linguistes, des thérapeutes, le discours scientifique, le discours pédagogique et aussi le discours capitaliste (celui de la société américaine traditionnelle parlée via la voix du père). Et puis il y a aussi les discours des jumelles qui défient ces différents discours établis : aucune instance sociale ou idéologique ne cautionne leur langage. C’est un discours non autorisé qui menace l’autorité des discours institutionnalisés. Il met à mal cette idée d’une langue homogène. C’est vraiment un film très novateur et d’avant-garde, parce que par la suite pas mal d’intellectuels vont contester l’idée de l’homogénéité de la langue anglaise. Il y a eu un mouvement de protestation : English Only Movement. On trouve déjà l’annonce de cette réflexion dans le film de Gorin. Ce que le film vise à nous dire c’est qu’une langue, une culture peut être dialogique à partir du

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moment où elle prend la coexistence possible de définitions contradictoires pour un même objet.

Le film de Gorin dénonce les mythes de langue unique et de langue cohérente. Gorin élucide l’énigme que constitue pour le monde extérieur le langage des deux fillettes ; le film s’en prend également à l’autorité discursive ; c’est pourquoi c’est un film politique aussi. Les jumelles et leur parler étrange sont le point de départ de Gorin sur le fait que le centre n’est pas stable et que le langage et la culture peuvent être changeant. Gorin lui-même a proposé cette analyse : c’est un film sur les discours non structurés entourés de discours structurés. En fin de compte, j’avais le sentiment que nous ne parlions pas, mais que nous sommes parlés. C'est-à-dire que ne nous pouvons pas créer lorsque nous parlons. Poto et Cabengo est un film qui rend hommage à la créativité des petites filles et qui montre combien l’imposition d’une certaine norme en matière linguistique est problématique plutôt que d’adhérer au principe d’imposition d’une norme.

Mais il va plus loin : il critique aussi à travers la langue le regard sur le monde qui est imposé via la langue ; il critique la façon dont le discours enferme les gens dans un certain mode de vie qui n’est pas nécessairement heureux. Le cas de ces petites filles est triste car limité par le rêve américain qui est appauvrissant. Notamment, le père emboîte tout de suite le pas de la célébrité que pourraient avoir ses deux petites filles. C’est un film très critique à l’égard d’une certaine vision du monde. Gorin met aussi en avant les limites du documentaire. Le film commence avec la voix de Gorin « Vous ne pouvez être étranger que dans une langue qui n’est pas la vôtre ». Les deux filles en sont l’exception, puisqu’elles sont étrangères dans leur propre langue. Dans ce film, une mise en rapport de la parole et du geste ; parfois, on entend sans voir. Il y a les inscriptions phonétiques, graphiques ; il y a les ponctuations orales, visuelles ; il y a les images filmées et l’absence d’image. Le film est décomposé dans tous ses matériaux visuels et acoustiques ; il est mis dans une sorte de dialectique. L’anglais qui est parlé dans le film est décentré et éclaté à une multitude voix aux accents diversifiés. Le processus de diversification de la langue n’est pas seulement le travail des deux filles ; il y a Gorin, puisqu’il ne parle pas l’anglais parfait (il a un accent français) ; son rythme n’est pas le rythme d’un américain ; l’accent tonique n’est pas où il devrait être.

Il y a aussi un extrait de bande dessinée allemande au début ; les personnages parlent l’anglais avec un fort accent allemand, écrit. Puis il y a une autre forme d’expression ; celle des scientifiques, des pédagogues. La pédagogue parle très lentement. Les jumelles ne font rien d’autre que mettre en avant la diversification. Plus on avance dans le film, plus on se rend compte qu’elles mettent en avant une diversification qui en chacun de nous.

C’est un film aussi qui dénonce le mythe américain ; il dénonce le discours idéologique du gagnant, le discours optimiste qui est un discours creux, vide et pathétique. Il y a un décalage entre le discours optimiste du père et la réalité de cette famille que le film nous montre.

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Le film est aussi un film qui s’interroge aussi sur le travail de représentation cinématographique, d’abord parce qu’il pose la question de la responsabilité du cinéaste envers ses sujets. En fait, Gorin nous raconte une histoire triste ; deux petites filles diagnostiquées au départ comme souffrant d’un retard mental. Les médias s’intéressent à quelqu’un et quand il n’y a plus besoin de s’intéresser, ils laissent tomber ; Gorin dénonce cela, mais il s’interroge lui-même sur sa propre fonction dans cette affaire ; est-ce qu’en faisant ce film, n’est-il pas responsable de l’affaire ? Gorin montre par ailleurs les limites de son projet ; il arrive à la conclusion selon laquelle que la vraie place des ces filles est leur famille. Tout ce qu’il a réussi à faire, c’est d’encourage l’illusion de la famille qui pouvait gagner de l’argent. Le film poste la question de savoir qui a autorité sur l’autre ? Il est conscient que le cinéaste a une autorité, et il essaie de minimiser cette autorité ; il essaie d’aller à l’encontre de ce qui lui parait comme une posture autoritaire ; tout d’abord il ironise sur lui-même. Il parle de sa maîtrise de la langue anglaise et puis on entend la marseillaise. Ensuite, le film met sans arrêt en évidence le travail de médiation de lui-même. Il veut montrer sans arrêt qu’on est dans la représentation. Les procédés : interpellation directe de la caméra, l’arrêt sur image, répétitions, phrases en boucle, etc. Ces stratégies pointent les limites.

La scène de la bibliothèque est représentative ; les filles ne lui obéissent pas. Il y a des limites dans le projet.

Il y a un rapport d’opposition entre ce qui est dit et ce qui est montré. Il y a différents niveaux de discours qui font que le spectateur est obligé de travailler, être actif et faire la synthèse de ce que lui proposait le cinéaste, de se rendre contre de la dialectique (cf. Eisenstein). Les images, dans ce film, ne l’emportent pas sur la parole ; il n’y a pas l’idée que l’image est plus fiable que les autres formes de discours. Insistons que le cinéaste ne cesse d’insister sur les limites de son projet.

En guise de synthèse, ce film critique les mécanismes de régulation et de normalisation du langage qui sont à l’œuvre au sein du corps social. Le cas des jumelles est un exemple manifeste d’une diversité linguistique réprimée par la société.

Deuxièmement, c’est un film qui pointe le travail opéré par différents types de discours institués (père, scientifiques, médias, etc.)

Troisièmement, c’est un film qui critique le rêve américain, celui d’acquérir des biens et de l’argent.

Quatrièmement, c’est un film qui met en avant le travail de représentation ; c’est un film dialectique qui requiert un spectateur actif.

Cinquièmement, c’est un film où le cinéaste refuse d’occuper une position d’autorité et donc dénonce la position d’autorité que peuvent adopter certains cinéastes documentaires.

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Nous avons parlé de la voix off du documentaire classique ; cette voix off est précisément le modèle d’une voix normée ; sans âge, sans accent, masculine, neutre et autoritaire. C’est contre ce modèle que vont se présenter, comme dans ce film, des voix off qui ne sont pas neutres.

COURS N°8 – 23 NOVEMBRE 2006

Leçon des ténèbres est réalisé par un cinéaste allemand : Werner Herzog. Cinéaste surtout célèbre du milieu des années 70 jusqu’aux années 80 pour ses films de fiction, avec son acteur fétiche Klaus Kinski. Les tournages de fiction sont connus pour avoir des tensions entre le réalisateur et cet acteur, même ça finissait bien. Le titre anglais est Lessons of Darkness (qui a été aussi traduit par Les feux de Satan) tourné au début des années 90, directement après la première guerre du golfe, au Koweït. Ce film permet d’aborder une nouvelle direction dans l’évolution du cinéma documentaire. Les différentes écoles se distinguaient les unes par rapport aux autres par leur façon d’approcher le réel. Avec ce film il y a une autre façon d’aborder la vérité, l’authenticité documentaire. Le titre de cette séance sera « exprimer »

Revenons sur deux écrits du réalisateur :

1) Extrait tiré d’un carnet de bord, de voyage qu’a publié Herzog en 1975. Ce carnet est une compilation de notes qu’il a prises dans une randonnée particulière car il apprend qu’une grande historienne du cinéma allemand est tombée malade à Paris. Il est à Munich ; il va partir à Paris à pied pour rejoindre le lit de mort de cette dame. Il commence par : « Un ami parisien m’a téléphoné à la fin novembre 1974, il m’a dit que Lotte Eisner était très malade et allait sans doute mourir ; j’ai répondu cela ne se peut pas ; pas maintenant, le cinéma allemand ne peut se passer d’elle (...) avec la certitude qu’elle vivrait si j’allais à elle à pied ; j’avais envie de me retrouver seul. » Manifestement le réalisateur part à pied parce qu’il sait qu’il y a urgence et est convaincu que son périple à pied va faire revivre la mourante. Il insiste sur la volonté de le faire seul. Il pense que son acte aura un impact sur le réel. Il y a d’emblée là une trace particulière du rapport au réel.

2) Texte publié en 1999, c’est-à-dire 7 ans après la réalisation de ce film et le titre de ce texte est le même que celui du film ; le sous-titre est « Vérités et faits dans le cinéma documentaire ». Dans cette déclaration, Herzog écrit entre autre que le cinéma vérité confond fait et vérité et pourtant des faits ont parfois un pouvoir étrange et bizarre qui rend leur vérité peu crédible ; « le fait crée des normes, la vérité crée l’illumination ». Herzog place la vérité à un autre niveau que les faits. Pour lui ce n’est pas simplement la conséquence logique de ce qui serait factuel. Pour Herzog, la vérité ne découle pas de la réalité. Il n’hésite pas à condamner le cinéma vérité et le cinéma direct en disant qu’il est stérile (un champ de pierres, selon son expression.)

Leçon des ténèbres de Werner Herzog

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Film difficile à trouver ; la voix off a été enregistrée par le réalisateur lui-même en allemand et en anglais. On est dans une autre mise en forme du réel. Nous avons commencé à questionner le rapport du réalisateur au réel. Quel est ce rapport ? On a déjà une partie de la réponse avec ce film.

Les engins de torture sont devenus comme des objets de musées. Les couleurs sont saturées, elles brûlent littéralement l’écran. Il y a un jeu de l’excès, accompagné de musique soit romantique, soit néoromantique.

Il y a deux passages du film qui ne transmettent pas ce qu’on considère comme la vérité. Le réalisateur ment au spectateur :

1. On voit des pompiers qui rallument un geyser de pétrole alors qu’ils viennent de l’éteindre. Herzog met ça sur une nécessité de vivre avec le feu ; cette interprétation résiste à la raison et dès le moment où on nous donne cette explication totalement improbable, nous spectateurs commençons à nous méfier par rapport à tout ce que nous avons vus. Herzog expliquera plus tard que ces pompiers on rallumé le feu pour signaler qu’il y a un lac de pétrole.

2. Plus tôt dans le film, une autre séquence pose problème : là c’est beaucoup plus difficile de s’en rendre compte. Lorsqu’il dit que cette femme qui a été torturé a perdu l’usage de la parole, c’est faux ; la femme répond dans un dialecte avec une diction approximative ; elle parle une langue, mais répète la même chose. Le réalisateur décide de ne pas traduire ces mots ; il préfère dire qu’elle a perdu la parole.

Il y a manifestement là une posture face au réel qui pose question puisque Herzog semble faire fi d’une prétendue authenticité du documentaire. Ici il enregistre non seulement en mettant en scène, mais en plus il donne une fausse information. Essayons de comprendre cette étonnante conception de l’authenticité du documentaire en analysant le film ; le film lui-même donne une justification de ses mensonges.

Le décor : manifestement le réalisateur nous montre un monde d’après guerre, dans lequel la paix semble se présenter comme une sorte d’apocalypse d’après-monde. Les critiques ont parlé de « documentaire de science fiction ». Il y a là donc un paradoxe. Pourtant, si on revient à la citation de Blaise Pascal affichée en début de film : « L’effondrement des mondes stellaires aura lieu dans une beauté grandiose comme dans la création », on comprend qu’il y a d’une part l’effondrement des mondes stellaires et d’autres par la genèse ; Pascal relie ces deux pôles sous un même critère : leur beauté grandiose. On ne sait plus si le monde dans le film renvoie à la genèse ou à l’apocalypse. A certains moments, il y a des résidus d’un monde passé ; c’est apocalyptique. La beauté en elle-même ne permet pas de distinguer les deux, puisqu’elle se trouve dans les deux, selon Pascal. Un des éléments qui nous oriente vers un monde d’apocalypse : un titre de chapitre est tiré de la Bible, précisément le prophète Jérémie. L’essentiel des lamentations du prophète Jérémie concerne une chute où Yahvé viendra frapper Jérusalem. Ces lamentations renvoient à une sorte de fin

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du monde, le dernier jour, le jour du jugement dernier. Cela nous oriente plutôt vers l’apocalypse. Il nous semble que le film montre à plusieurs reprises des carcasses animales ou de bâtiments : donc il s’agit d’un moment postérieur à une catastrophe. De plus, sur des images de Koweït City, il dit que personne ne se doute du malheur encore à venir. Toute la suite du film sera considérée comme apocalyptique ; pourtant quelques minutes après, la même voix off nous dit quelque chose de plus ambigu : la guerre ne dura que quelques secondes, après tout fut différent. Cette phrase nous oriente plutôt vers la chute originelle, comme si Koweït City est une sorte de paradis perdu qui va être frappé de façon violente par la chute originelle. Puis on nous montre un univers secoué de protubérance.

C’est encore bien plus clair lorsqu’on prend un autre titre de chapitre : les dinosaures en chemin (les dinosaures désignent les engins de chantiers) ; on est dans l’origine, là. Il présente les machines comme des êtres qui renvoient à l’origine, comme les dinosaures. Cette double direction se trouve même dans un extrait musical : c’est un détail, mais Herzog connaît très bien la musique classique. Les extraits sont tirés d’une symphonie de Gustav Mahler qui porte comme titre « Lumière originelle » alors que les premières paroles chantées sont « L’homme est dans la plus grande des misères, dans la plus grande des douleurs ». On peut là constater que le film présente une sorte d’indétermination temporelle, et parfois en tant que spectateurs nous sommes poussés à prendre ce monde comme une fin et parfois comme un début. Une autre citation est tirée de l’apocalypse selon Saint Jean. Par ailleurs, à d’autres moments, la voix off nous dit qu’à cause des fumées on ne fait plus la distinction entre ciel et terre ; si on prend la genèse, un des jours est consacré à la division entre ciel et terre. Le cadre temporel oscille entre deux pôles, donc : la genèse et l’apocalypse.

Le cadre spatial : les lieux qui constituent l’univers de ce film sont connus des spectateurs. Au début du film, par exemple, nous voyons des vues aériennes de Koweït City ; une tour célèbre nous permet d’identifier le film. Pourtant le titre de ce chapitre est « Une capitale ». Il aurait pu être « Koweït city », mais non, Herzog décide de mettre un article indéfini, une généralité. On assiste au même phénomène un chapitre plus loin, dans les images du bombardement nocturne ; ces images fonctionnent comme une véritable signature qui désigne la guerre du golfe, et pourtant le chapitre est « la guerre ». En allemand, dans l’emploi langagier, on sent le manquement. Il y a une opposition entre « la guerre » et la guerre montrée, qui constitue une signature en quelque sorte, vu qu’on la reconnait directement. De la même façon, jamais le film ne va parler de l’un ou l’autre camp impliqué dans cette guerre ; il sera question de soldats, et non de soldats américains, irakiens ou koweitiens. Ceci dit on peut supposer que les objets de tortures sont irakiens. Mais jamais ils ne seront cités. Le film s’ouvre sur une image rouge : « Une planète dans notre système solaire ». Herzog ne dit même pas que c’est la terre. Nous voyons donc grâce à ces éléments que tout comme il y avait une association ou hésitation temporelle, il y a une tension entre une reconnaissance totale du lieu filmé et l’indétermination ; le spectateur prend donc une distance, qui va provoquer une

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certaine « inquiétante étrangeté » liée à une sorte de perte de repères du spectateur. Cette perte de repère se retrouve très concrètement dans le film ; Herzog insiste sur le fait que la pétrole reflète le ciel ; même les oiseaux ne font plus la distinction entre ciel et terre, entre nuage et reflet de nuage. Dans la forme même du film, Herzog renforce encore cette perte de repère. A un moment donné on ne sait plus si on est perpendiculaire à la surface de l’eau ou si on est parallèle. Il met en place un univers qu’on a beaucoup de mal à placer dans le monde de référence ; mais ce monde est manifestement composé d’éléments connus, nous savons où nous sommes. Tout se passe comme si c’était un monde dans lequel les pompiers, un peu comme Sisyphe, rallument les feu chaque fois qu’ils les ont éteints, ou qui les éteignent chaque fois qu’il les ont rallumés.

Il y a une autre perte : cette perte concerne le langage et la transmission de sens. Plusieurs séquences dans le film sont très éloquentes à ce sujet. La toute première séquence nous montre un pompier qui fait mine de se trancher la gorge après avoir montré le lieu où il se trouve. La voix off commente de façon assez laconique : « la première créature que nous rencontrons tente de nous communiquer quelque chose ». Herzog provoque cette perte de signification ; il provoque une certaine interruption dans la transmission, dans la communication. Herzog dit au spectateur qu’il ne comprend pas ce que dit le pompier. Et là, dans une autre séquence, la traduction nous explique que l’enfant a perdu l’usage de la parole suite aux violences commises par les soldats. Là aussi, Herzog souligne une fin de communication. L’enfant lui-même dit qu’il ne veut plus apprendre à parler. Ce qui est une automutilation chez l’enfant. Puis il y a toute une série de radars détruis ; la transmission de sens n’est plus possible. On a là de nouveau une sorte de mise en scène de la fin de communication. Ca montre combien le temps qu’on trouve maintenant faisait parler ; on trouve des objets qui ont fait parler dans l’époque ancienne, mais ne font plus parler aujourd’hui ; il n’y a aucune association positive de la communication.

ConclusionsHerzog met en scène un monde d’après guerre qui pourrait être à la fois genèse et apocalypse. C’est un monde qui ne connaît plus la distinction entre ciel et terre ; c’est un monde peuplé de survivants qui ne savent plus parler ; parsemé de vestiges anciens qui soulignent dans leur destruction qu’autrefois la communication était possible. C’est enfin un monde dans lequel l’être humain est amené à reproduire le même geste. Le réalisateur développe une esthétique particulière pour raconter ce film, c’est une esthétique qui renforce la perte de repères, mais qui est totalement cohérente par rapport au monde mis en place par le réalisateur. Le documentariste ne doit plus transmettre ce qui est considéré comme la réalité ; dans ce monde, l’observation par un point de vue unique objectif n’a plus sa place. On peut dire que si le haut et le bas se confondent dans ce monde, si la parole est incompréhensible, si le lieu lui-même semble sortir du temps, alors il est vain que le documentariste essaie encore de transmettre ce monde par une esthétique objective. Si cela même qui fonde l’objectivité est privé d’un des deux pôles (le réel lui-même) il est impossible d’être objectif ; si le réel s’est effondré, il est absurde de le montrer d’une manière

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objective. A partir de ce constat, il essaie de développer une nouvelle esthétique : il faut qu’il choisisse une autre façon de montrer ce monde ; si l’objectivité absolue n’existe pas, la seule vérité dont on est sûr, c’est sa propre subjectivité. Herzog s’appuie donc sur sa vision des choses ; il assume totalement sa subjectivité. On est en plein dans la pensée de Descartes. Dès le moment où on en arrive à ne pas douter de sa subjectivité, on peut faire le choix radical de cette seule certitude, qui permet le mensonge documentaire. Ce qui définit le mensonge est la vérité, or la vérité n’existe pas, donc le mensonge n’existe plus. Il ne s’agit plus d’un mensonge, mais d’une fidélité absolue à la conception des choses. L’esthétique est totalement cohérente et se combine parfaitement avec le sujet ; elle traite d’un monde qui n’a plus de repères ; ce monde, on peut le raconter à partir de la subjectivité. Et donc, à ce moment là, à la fois dans son radicalisme de documentariste, il est autorisé aussi à signer du nom de Blase Pascal une citation qui est en fait de lui.

Anecdote : titre du film, aussi titre du manifeste. Leçons des ténèbres est le titre d’une œuvre musicale de François Couperin (charnière entre classique et baroque). Il a écrit une œuvre musicale Leçons des ténèbres du mercredi.

Un autre film de Herzog, Fata Morgana, contient un extrait de cette musique. On peut approcher cette œuvre musicale du film. Or si on prend les paroles chantées dans l’extrait utilisé, on se rend compte qu’elles sont extraites du livre de Jérémie ; et si on reprend exactement les paroles dans l’extrait de Fata Morgana ; c’est un extrait où on célèbre Jérusalem, on pleure le malheur de Jérusalem le jour du jugement et à la fin c’est Jérusalem elle-même qui parle en son propre nom. Le discours devient autonome de son propre discours ; on a là une autonomisation du réel. Et enfin, si on creuse un peu l’œuvre de plus près, cette œuvre musicale a été interprétée la nuit, dans une église éclairée par des bougies et l’œuvre étant assez longue, au fur et à mesure qu’on la jouait, le soleil se levait progressivement ; il était prévu qu’un moine éteigne progressivement les bougies de la chapelle. L’œuvre était finalement achevée lorsque le soleil était levé et que la lumière naturelle avait remplacé la lumière artificielle. On se rend compte que le passage où on est en train d’éteindre les dernières bougies ; ce moment là, l’humain cesse d’éclairer le monde.

COURS N°9 – 30 NOVEMBRE 2006

Présentation d’un texte essentiel, de Roger Odin : Film documentaire, lecture documentarisante.

Aide à la compréhension de ce texte : c’est un texte extrêmement important parce qu’il a donné une sorte de renouveau à l’étude du non fictionnel si bien qu’il est devenu un passage obligé à tout ceux qui veulent s’intéresser au documentaire. La question fondamentale qu’il pose est de savoir comment distinguer le documentaire de la fiction. On a longtemps tourné en rond dans la tentative de cette définition. Nous allons buter sur un problème fondamental : admettons que contrairement à la fiction, le documentaire montre le réel. Très vite, on se rend compte que c’est vague et en plus le détracteur pourrait rétorquer que la fiction peut montrer des choses qui

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sont bien réelles (prenons par exemple Apocalypse Now, tourné en décors réel ; si on voit ce film, on se rend compte qu’il nous donne des images bien réelles). Ce premier critère ne tient donc pas.

D’autres diront que là où la fiction raconte une histoire inventée (une romanciation de l’histoire de Napoléon), le documentaire tenterait de raconter quelque chose de vrai au sujet de la vie de ce même personnage. A nouveau, ce critère de distinction peut être anéanti lorsqu’on regarde l’histoire du cinéma truffée de documentaire remplis de mensonges (documentaires de propagande, par exemple) alors que la fiction peut être mise en scène de manière à retranscrire quelque chose de vrai.

Roger Odin, dans son texte, propose une sorte de nouvelle voie dans cette tentative de distinction et de définition de ce qu’il appelle l’ensemble documentaire. Pour explorer cette nouvelle voie, Odin procède à un déplacement : il propose de ne pas aller directement chercher dans le contenu des films ou dans les intentions des réalisateurs, mais vers la réception des spectateurs. Ceci est donc le point de départ essentiel de la pensée d’Odin. Pour lui, ce n’est pas le film en soi qui serait documentaire ou de fiction, mais la lecture qu’en fait le spectateur. En d’autres termes, un film ne sera pas a priori fiction ou documentaire ; il le sera aux yeux du spectateur. Il est assez facile de constater que si l’on essaie de s’observer en tant que spectateur si on est en train de regarder une fiction ou un documentaire. On a déplacé la question du film réel vers film spectateur. Il y a certainement des exceptions : par exemple ???

Puis Odin se pose la question de savoir comment et pourquoi nous nous trompons rarement dans la lecture du film. Il dira que généralement nous engageons soit une lecture documentarisante, soit une lecture fictionalisante. Là, le critère principal consiste à dire que généralement nous savons quelle lecture engager parce que nous entretenons un rapport particulier à l’auteur du film. Plus précisément, l’engagement dépend de l’image que nous nous faisons de l’auteur du film. Ce n’est pas un savoir du spectateur au sujet de ce qu’il voit, mais l’idée qu’il se fait de l’énonciateur qui constitue un critère. Si le spectateur présuppose que la personne qui lui parle est bien réelle, il pourra croire qu’il voit un documentaire. Si par contre il refuse de croire que les énonciateurs ne sont pas réels, à ce moment, le spectateur engagera une lecture fictionalisante du film. Il est évident qu’Odin nuance cette idée en disant que le spectateur peut passer dans un même film d’un moment à un autre. Dans un western face à une voix off d’un cow boy, lecture fictionalisante et face aux paysages, lectures documentarisante.

Si le spectateur est amené sans s’en rendre compte d’une existence réel (énonciateur, mais pas à prendre au sens stricte ; il ne s’agit pas du seul spectateur). A côté de la voix qui parle dans un film, l’énonciateur perçu comme réel peut être par exemple la caméra (tout ce qui se passe devant la caméra appellera chez le spectateur une lecture documentarisante). L’énonciateur peut être le responsable du discours tenu par le film. Imaginons un documentaire scientifique (par exemple un astronome qui explique ce qu’il est en train de faire ; l’astronome est le responsable du discours). Si un film de fiction

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où il y aurait un savant, on fera une lecture fictionalisante. Peut être considéré comme énonciateur la société qui produit le film ; tous ces films sont les résultats à un moment donné.

En principe, tout spectateur aura toujours la liberté de décider si oui ou non il peut engager une ou autre lecture. Mais il y a différents éléments dans le film qui peuvent orienter. Certaines institutions oriente a priori notre lecture d’un film. Dans un musée, la visite se termine par un documentaire ; mais déjà avant, le lieu invite déjà à ce type de lecture documentarisante. Dans le film, la périphérie du film oriente aussi (le générique). Ce sont parfois des éléments tout à fait marginaux. Enfin, Odin note encore que toute une série de films peuvent nous orienter vers une lecture documentarisante dans le système stylistique du film. De cette façon, quand on s’adresse à la caméra, c’est un signe vers une lecture documentarisante. Pour Odin, tout film contient des vecteurs qui orientent le spectateur vers une des deux lectures. Mais il existe des films hybrides qui réclament les deux lectures. Chez le spectateur, certains vecteurs peuvent entrer en contradiction. Dans C’est arrivé près de chez vous, les adresses à la caméra peuvent nous appeler vers une lecture documentarisante. Mais à certains moments du film, d’autres vecteurs vont faire basculer vers une lecure documentarisante. Ce film contient un conflit très maîtrisé entre les vecteurs documentarisants et vecteurs fictionalisant.

Errol Morris, réalisateur américain ; particulier puisqu’il réalise non seulement des documentaires, mais aussi de la publicité. Un peu comme Herzog, il a voulu renouveler le genre documentaire ; donc entrer en rupture radicale avec les cinéastes du direct. Morris n’est pas quelqu’un qui a fait une école de cinéma ; il est diplômé de philosophie. Et il a mis du temps à être reconnu dans le monde du cinéma. Il s’intéresse généralement dans ses films à des personnages et phénomènes marginaux ; par exemple Gates to Heaven (à propos de cimetière de chiens) et Fog of War, sur le politicien Mac Namara.

The Thin Blue Line d’Errol Morris

COURS N°10 – 7 DÉCEMBRE 2006

Errol Morris était diplômé de philosophie ; puis a gagné sa vie en tant que détective privé. Le film porte sur le dossier Adams. The Thin Blue Line est un titre qui fait référence à l’uniforme bleu des policiers.

Morris s’est penché sur les dossiers examinés par le docteur Drickson, surnommé Docteur Death parce qu’il envoyait tous ceux dont il analysait le dossier à la chaise électrique. Il a comparé Adams à Hitler. Morris a eu le sentiment que Adams a été renvoyé à tort à la chaise électrique. Donc ce qu’il a voulu faire, c’est démontrer l’innocence d’Adams. Donc il croit qu’en faisant un film on peut agir sur le monde. Ce film pose un problème. Morris a procédé à un décorticage par une série d’interviews. Mais il a opéré une série de reconstitutions en fonction des témoignages recueillis. Progressivement, la non culpabilité d’Adams s’est dégagée du film.

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Le film a été montré en 1988 à Dallas, puis des répétitions ont circulé. Est-ce que c’est le film qui a conduit à la libération d’Adams ? Non. Il y a contribué, mais il y avait déjà des démarches à ce propos. Etant donné que ce film a eu beaucoup de succès, Adams a fait un procès à Morris en disant qu’il a profité de sa vie pour gagner de l’argent. Ce film contient un très long travail d’enquête par Morris ; il a obtenu environ 200 heures d’interviews. Pendant des heures, il laissait parler les gens et c’est à partir de ce qu’il a obtenu qu’il a fait son film. Il plaçait toujours les personnes filmées sur le même tabouret, à la même distance de la caméra, à la même hauteur. Il y a dispositif identique pour tous les sujets. Les personnes filmées sont conscientes de la présence de la caméra.

« Il ne s’agit pas de faire oublier la présence de la caméra. D’une certaine façon, on peut dire que la personne filmée se met en scène. » Il vise les cinéastes du direct. Pour lui, le cinéma direct a fait reculer le cinéma documentaire de vingt ou trente ans. Il y a chez Morris une volonté de rompre avec le cinéma direct ; ça va se traduire par un formalisme très délibéré. Le film est extrêmement élaboré, très travaillé, pas de caméra portée, pas de tournage avec un éclairage ambiant, composition de l’image très recherchée.

Soulignons que cette rupture est plus que stylistique. Elle est idéologique : pour lui, l’image ne constitue pas une preuve. Il ne prétend pas atteindre la vérité, mais à une séries de vérités partielles. Morris croit en l’existence du référent, il croit en une vérité, mais le film ne peut l’atteindre. Il travaille à la recherche de cette vérité. Pour Morris, le documentaire se distingue de la fiction. Il va à l’encontre de ce qui se disait dans les années 80-90.

Tout d’abord, il refuse de montrer l’arme du crime. Il nous montre un dessin de l’arme. L’image, pour Morris sert davantage d’illustration que de document... Il n’y a pas de reconstitution intégrale du film ; il y a une série de reconstitutions partielles qui changent selon le point de vue des différents témoins. Ces reconstitutions sont hautement stylisées... Le spectateur est amené à être constamment conscient du fait qu’il n’a qu’une vision parcellaire. Il y a un travail sur la temporalité (avec des ellipses), travail sur le cadrage (qui bloque la vision). Il y a aussi l’utilisation du très gros plan. Puis un effet d’abstraction des objets filmés en très gros plan. Ce qui est intéressant à relever est le travail de citation (la peinture hyper réaliste d’Edward Hopper) et des références au film noir. Donc l’œuvre cite des genres ou des styles préexistants. Le film ne dit pas que toutes les vérités se valent. Il y a une vérité quelque part ; Adams est innocent et Harris est coupable.

La musique du film – signée par Phil Glass – a pour effet de renforcer ce sentiment d’oppression...

On entre dans ce qu’on pourrait qualifier de documentaire post-moderne. Il y a une sorte d’indicibilité. Il y a, au-delà de la similitude, une différence entre la démarche de Herzog et celle de Morris.

Il y a un peu d’humour. Mais c’est de l’humour noir.

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Roger & Me de Michael Moore (1989)

C’est un film qui est aujourd’hui assez connu. Michael Moore était très peu connu. Il a dû le réaliser avec très peu de moyens. Il a été souvent cité parce qu’il a été très rentable ; partant de rien, il a eu une grosse fortune. Le film présente un double fil narratif. Il traite un sujet malheureusement devenu à la mode. Celui de la fermeture de la General Motors Afflin et des conséquences de la fermeture de cette usine pour les habitants de la région. C’est un des fils narratifs du film, la problématique dépasse.

Le deuxième fil narratif, c’est la recherche de Roger, le directeur. Ce filme est un film anti-Bush et anti-Reagan. Moore va introduire de l’humour. Il a voulu rompre avec le documentaire militant. Il a dit avec ses termes, « je ne veux pas faire des films pour les militants, mais pour ceux qui mange des glaces et du pop corn au cinéma. »

Réfléchissons sur l’image de lui-même qu’il donne. Ce film est constitué de divers documents filmés, que ce soit des bandes annonces des années 50, des extraits de film, d’images d’actualité, d’image d’archives, des séquences en super 8, et même des séquences tournées exclusivement pour le film, à la manière du cinéma direct.

Ce film est un film qui a été fait avec peu de moyens, puis racheté par la Warner. Il a bénéficié d’une très large diffusion. Les documentaires circulaient plutôt dans le circuit télévisuel, ou dans les ciné-clubs.

Celui-ci a été reçu différemment. Il a introduit un humour très corrosif dans l’approche d’une problématique sociale. Il veut divertir le spectateur tout en le sensibilisant sur un phénomène social. Le film a été contesté parce qu’il n’est pas fidèle à la chronologie des évènements. Moore a disposé les évènements dans un ordre qui arrangeait sa démonstration.

Quelques preuves : quand Reagan a visité Flint, il n’était que candidat à la présidence. Les projets montrés avaient déjà échoué avant 86. Ensuite, Moore a été critiqué parce qu’il a exagéré le nombre de licenciements. Moore répond que son film est un film sur une ville ; l’ordre des évènements n’est pas grave.

Le statut du cinéaste : Moore est très présent dans le film, il exerce un triple rôle.

1. Commentateur : le commentaire donne au film sa cohérence. C’est Moore qui organise les différents éléments du récit. Ce commentaire est à la première personne, donc différent du commentaire du documentaire classique (anonyme, neutre). C’est en tant que cinéaste Michael Moore qu’il s’adresse. Il affirme la subjectivité de la situation. D’ailleurs cette subjectivité est indiquée par le titre du film Roger & Me.

2. Enquêteur : Moore est à la recherche de Roger, et il va chercher à l’interviewer et le poursuivre partout. C’est

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une quête impossible. On sait qu’il n’arrivera pas à lui parler réellement.

3. Interviewer : c’est lui qui trouve les gens et les interroge sur leur situation. Le cinéaste est au centre du film. C’est un héros. On a reproché à Moore d’être narcissique. Mais c’est plutôt un héros malchanceux. C’est l’histoire d’un échec répété. Le cinéaste est en situation d’échec. D’autre part, il se présente comme un homme du commun. Il n’est pas un homme de métier. Il veut donner une image d’un amateur. Dès le début du film, il y a une espèce d’autoportrait qui associe des images de famille et celles de General Motors. Il se présente donc comme quelqu’un de la ville ; qu’il est un homme du peuple, du côté des ouvriers. Il n’a pas de carte de visite. Il cultive un look un petit inadéquat et populaire. Il va se présenter comme quelqu’un qui fait partie de ce milieu là.

Pourquoi fait-il cela ? Pourquoi met-il l’accent sur sa gaucherie ? Parce que c’est un signe d’authenticité. Paul Arthur dit que dans les années 80, avec toute la réflexion menée dans le milieu universitaire sur les représentations et sur l’image de l’homme blanc, il était impossible d’exercer une position d’autorité. Il ne pouvait se faire entendre qu’en se présentant comme quelqu’un d’assez gauche. Le film est un film qui utilise des stratégies de dérision assez faciles. Il tourne en dérision : le choix d’interviewer des dames en train de jouer au golf : le contexte joue contre elles. Le travail sur le montage est évidemment assez facile. La fin montre des séquences d’éviction avec un discours de Noël de Roger. On lui reproche souvent de ne pas être respectueux des personnes interviewées. Notamment Miss America. Miss America se laisse piéger. Elle aurait dû refuser, car elle le peut. On a aussi reproché le traitement de lapins. Cette scène retentit sur l’image qu’on a d’elle et fait qu’elle a l’air bizarre.

C’est un film dont on a pu dire qu’il était réflexif. Le film parle de son processus de réalisation.

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