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Répertoire de droit international Arbitrage (CIRDI) Charles LEBEN Professeur à l'Université Panthéon-Assas (Paris II) mars 2010 Table des matières Généralités, 1 - 4 Chapitre 1 - Compétence des tribunaux CIRDI, 5 - 145 Section 1 - Compétence ratione personae : (1) Un différend avec un État contractant (ou telle collectivité publique ou tel organisme dépendant de lui qu'il désigne au Centre), 6 - 18 Art. 1 - Différend avec un État contractant, 8 - 11 Art. 2 - Différend avec une collectivité publique ou un organisme dépendant de l'État, 12 - 18 Section 2 - Compétence ratione personae : (2) Un différend avec le ressortissant d'un autre État contractant, 19 - 53 Art. 1 - Nationalité d'une personne physique : article 25, 2, a, 21 - 28 Art. 2 - Nationalité d'une personne morale, 29 - 53 § 1 - Principes, 31 - 39 § 2 - Hypothèse d'une société locale contrôlée par des intérêts étrangers, 40 - 53 Section 3 - Compétence ratione materiae, 54 - 82 Art. 1 - Différend d'ordre juridique, 55 Art. 2 - Différend en relation directe avec un investissement, 56 - 82 § 1 - Difficultés à établir la relation directe, 56 - 58 § 2 - Difficultés quant à la définition de l'investissement, 59 - 82 Section 4 - Consentement donné à l'arbitrage, 83 - 145 Art. 1 - Modalités du consentement, 84 - 107 § 1 - Consentement écrit, 84 - 89 § 2 - Consentement irrévocable, 90 - 93 § 3 - Consentement exclusif, 94 - 107 Art. 2 - Extension jurisprudentielle du consentement, 108 - 145 § 1 - Différenciation entre requêtes concernant des violations du contrat (contract claims) et requêtes concernant des violations du traité (treaty claims), 110 - 124 § 2 - Extension de la compétence ratione materiae par une clause de respect des engagements (umbrella clause), 125 - 138 § 3 - Jeu de la clause de la nation la plus favorisée, 139 - 145 Chapitre 2 - Litige devant les tribunaux CIRDI, 146 - 269 Section 1 - Questions de recevabilité, 148 - 167 Art. 1 - Négociations préalables et épuisement des voies de recours internes, 149 - 157 Art. 2 - Clauses de règlement judiciaire étatique préalable et clause d'option irrévocable (clause electa una via), 158 - 162 Art. 3 - Existence dans le contrat et le traité de clauses d'option contradictoires, 163 - 167 Section 2 - Demande d'arbitrage, 168 - 269 Art. 1 - Saisine du centre, 169 - 178 § 1 - Saisine sur le fondement de la Convention de Washington, 170 - 177 § 2 - Saisine sur le fondement du Règlement du mécanisme supplémentaire, 178 Art. 2 - Constitution du tribunal arbitral, 179 - 192 § 1 - Nomination des arbitres, 180 - 184 § 2 - Remplacement et récusation des arbitres, 185 - 192 Art. 3 - Questions procédurales, 193 - 208 § 1 - Défaut d'une partie, 194 - 198 § 2 - Exception d'incompétence, 199 - 201 § 3 - Mesures conservatoires, 202 - 207 § 4 - Règlement du mécanisme supplémentaire, 208 Art. 4 - Sentence arbitrale, 209 - 269 § 1 - Droit applicable au litige, 209 - 230 § 2 - Forme et contenu de la sentence, 231 - 236 § 3 - Phase postérieure à la sentence, 237 - 269 Bibliographie J. FOURET et D. KHAYAT, Recueil des commentaires des décisions du CIRDI, Bruxelles, 2009, Bruylant. - E. GAILLARD, La jurisprudence du CIRDI, Paris, 2004, et t. II, 2010, Pedone. - E. GAILLARD & Y. BANIFATEMI, Annulment of ICSID Awards, The IAI Series on International Arbitration, New York, 2004, Juris Publishing. - M. HIRSCH, The Arbitration Mechanism of the International Centre for the Settlement of Investment disputes, Dordrecht, 1993, Martinus Nijhoff. - Ph. KAHN et T. WÄLDE, Les aspects nouveaux du droit international des investissements, Académie de droit international de La Haye, Leiden, 2007,

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Répertoire de droitinternational Arbitrage (CIRDI)

Charles LEBEN

Professeur à l'Université Panthéon-Assas (Paris II)

mars 2010

Table des matières

Généralités, 1 - 4

Chapitre 1 - Compétence des tribunaux CIRDI, 5 - 145

Section 1 - Compétence ratione personae : (1) Un différend avec un État contractant (ou telle collectivité publique ou telorganisme dépendant de lui qu'il désigne au Centre), 6 - 18

Art. 1 - Différend avec un État contractant, 8 - 11Art. 2 - Différend avec une collectivité publique ou un organisme dépendant de l'État, 12 - 18

Section 2 - Compétence ratione personae : (2) Un différend avec le ressortissant d'un autre État contractant, 19 - 53Art. 1 - Nationalité d'une personne physique : article 25, 2, a, 21 - 28Art. 2 - Nationalité d'une personne morale, 29 - 53

§ 1 - Principes, 31 - 39§ 2 - Hypothèse d'une société locale contrôlée par des intérêts étrangers, 40 - 53

Section 3 - Compétence ratione materiae, 54 - 82Art. 1 - Différend d'ordre juridique, 55Art. 2 - Différend en relation directe avec un investissement, 56 - 82

§ 1 - Difficultés à établir la relation directe, 56 - 58§ 2 - Difficultés quant à la définition de l'investissement, 59 - 82

Section 4 - Consentement donné à l'arbitrage, 83 - 145Art. 1 - Modalités du consentement, 84 - 107

§ 1 - Consentement écrit, 84 - 89§ 2 - Consentement irrévocable, 90 - 93§ 3 - Consentement exclusif, 94 - 107

Art. 2 - Extension jurisprudentielle du consentement, 108 - 145§ 1 - Différenciation entre requêtes concernant des violations du contrat (contract claims) et requêtes concernant desviolations du traité (treaty claims), 110 - 124§ 2 - Extension de la compétence ratione materiae par une clause de respect des engagements (umbrella clause), 125- 138§ 3 - Jeu de la clause de la nation la plus favorisée, 139 - 145

Chapitre 2 - Litige devant les tribunaux CIRDI, 146 - 269

Section 1 - Questions de recevabilité, 148 - 167Art. 1 - Négociations préalables et épuisement des voies de recours internes, 149 - 157Art. 2 - Clauses de règlement judiciaire étatique préalable et clause d'option irrévocable (clause electa una via), 158 -162Art. 3 - Existence dans le contrat et le traité de clauses d'option contradictoires, 163 - 167

Section 2 - Demande d'arbitrage, 168 - 269Art. 1 - Saisine du centre, 169 - 178

§ 1 - Saisine sur le fondement de la Convention de Washington, 170 - 177§ 2 - Saisine sur le fondement du Règlement du mécanisme supplémentaire, 178

Art. 2 - Constitution du tribunal arbitral, 179 - 192§ 1 - Nomination des arbitres, 180 - 184§ 2 - Remplacement et récusation des arbitres, 185 - 192

Art. 3 - Questions procédurales, 193 - 208§ 1 - Défaut d'une partie, 194 - 198§ 2 - Exception d'incompétence, 199 - 201§ 3 - Mesures conservatoires, 202 - 207§ 4 - Règlement du mécanisme supplémentaire, 208

Art. 4 - Sentence arbitrale, 209 - 269§ 1 - Droit applicable au litige, 209 - 230§ 2 - Forme et contenu de la sentence, 231 - 236§ 3 - Phase postérieure à la sentence, 237 - 269

Bibliographie

J. FOURET et D. KHAYAT, Recueil des commentaires des décisions du CIRDI, Bruxelles, 2009, Bruylant. - E. GAILLARD, Lajurisprudence du CIRDI, Paris, 2004, et t. II, 2010, Pedone. - E. GAILLARD & Y. BANIFATEMI, Annulment of ICSID Awards, TheIAI Series on International Arbitration, New York, 2004, Juris Publishing. - M. HIRSCH, The Arbitration Mechanism of theInternational Centre for the Settlement of Investment disputes, Dordrecht, 1993, Martinus Nijhoff. - Ph. KAHN et T. WÄLDE, Lesaspects nouveaux du droit international des investissements, Académie de droit international de La Haye, Leiden, 2007,

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tribunal étatique), op. cit. p. 189.

W. BEN HAMIDA, L'arbitrage transnational unilatéral, thèse, Paris II, 2003. - C. CRÉPET-DAIGREMONT, La clause de la nationla plus favorisée, thèse, Panthéon-Assas, 2009.

Sigles utilisés pour désigner les différents types de jugement des tribunaux du CIRDI : Sent. : sentence ; DC : décision surla compétence (si la compétence est rejetée) et SC sentence sur la compétence (si la compétence est acceptée) ; DCAH :décision d'un comité ad hoc ; ARB/02/04 : no d'enregistrement de l'affaire (ici : année 2002, affaire no 4) ; ARB(AF) : affairedans le cadre du Mécanisme supplémentaire. Les références complètes d'une affaire sont données lors de sa premièrecitation seulement.

Généralités

1 . La création du Centre international pour le règlement des différends relatifs aux investissements entre États etressortissants d'autres États (CIRDI), par la Convention de Washington du 18 mars 1965 (entrée en vigueur le 14 oct.1966, JO 31 déc. 1967 ; le texte de cette convention et les règlements CIRDI sont consultables surhttp://icsid.worldbank.org/ICSID/StaticFiles/basicdoc-fra/CRR_French-final), est un des événements majeurs du droit desrelations économiques internationales du XXe siècle et certainement un des événements les plus décisifs dans ledéveloppement du droit international des investissements. La convention conçue au début des années 1960 par leconseiller juridique de la BIRD (A. BROCHES) et négocié entre les administrateurs de la Banque mondiale (d'où l'intérêt duRapport des administrateurs pour l'interprétation du traité), avait pour objectif d'établir un mécanisme de règlement desdifférends offrant aux investisseurs des garanties d'indépendance, d'impartialité et d'efficacité. Ces garanties devaientpermettre aux entreprises d'investir dans des États étrangers dont ils pouvaient craindre les actions unilatérales et, toutparticulièrement, les expropriations directes ou indirectes, déclarées ou rampantes.

2. C'est l'échec de la stratégie du « Nouvel ordre économique international » réclamé par les pays en développement, échecpatent dès le milieu des années 1980, qui va donner à la Convention de Washington tout son intérêt. Celle-ci qui n'avaitencore été ratifiée que par un nombre peu important d'États du Tiers-Monde va voir les ratifications se multiplier, mêmed'États qui furent longtemps parmi les plus opposés à l'arbitrage international (en particulier, les pays d'Amérique latine, lespays arabes, et les pays communistes). À la date du 1er juillet 2009, 156 États avaient signé la Convention de Washington,144 l'avaient ratifiée et 2 l'avaient dénoncée : la Bolivie en 2007 et l'Équateur en juillet 2009. La Convention regroupepresque tous les pays qui comptent dans les relations économiques internationales, à l'exception notable de la Russie qui asigné la Convention en 1992, mais qui ne l'a pas encore ratifiée. Le nombre d'affaires enregistrées depuis la création duCIRDI se montait, en juillet 2008, à 268 et le nombre d'affaires en cours à 128. On peut noter encore que 48 instancesnouvelles ont été introduites en 2008, chiffre record depuis le début de fonctionnement du CIRDI (Rapport annuel 2008,p. 5).

3. On ne dira rien ici du CIRDI, dont le fonctionnement est réglé par les articles 1er à 24 de la Convention de Washington quien détaillent les caractéristiques juridiques, en tant qu'organisation internationale appartenant au groupe de la Banquemondiale (ou Banque internationale pour la reconstruction et le développement [BIRD]) Les deux organes du Centre sont leconseil administratif et le secrétariat. Le Centre jouit d'une pleine personnalité juridique internationale (art. 18) et bénéficiedes immunités et privilèges conférés généralement aux organisations internationales (pour une étude générale etapprofondie du CIRDI : C.H. SCHREUER, w ith L. MALINTOPPI, A. REINISCH et A. SINCLAIR, The ICSID Convention. ACommentary, 2e éd., Cambridge, 2009, University Press).

4 . La convention met en place à la fois un mécanisme de conciliation (art. 28 à 35) et un mécanisme d'arbitrage (art. 36 à55). On se cantonnera ici à la description de celui-ci en tant qu'il domine aujourd'hui le règlement des différends entre Étatset investisseurs étrangers. On procédera à cette étude en examinant d'abord les conditions de compétence des tribunauxarbitraux CIRDI (V. infra, nos 5 s.), et on abordera ensuite l'étude du litige tel qu'il se déroule devant le tribunal d'arbitrage(V. infra, nos 146 s.).

Chapitre 1 - Compétence des tribunaux CIRDI

5 . L'article 25, 1 de la Convention de Washington énonce : « La compétence du Centre s'étend aux différends d'ordrejuridique entre un État contractant [ou telle collectivité publique ou tel organisme dépendant de lui qu'il désigne au Centre]et le ressortissant d'un autre État contractant qui sont en relation directe avec un investissement et que les parties ontconsenti par écrit à soumettre au Centre. Lorsque les parties ont donné leur consentement, aucune d'elles ne peut leretirer unilatéralement ». Après avoir donné des indications sur la compétence ratione personae concernant un différendentre un État contractant et le ressortissant d'un autre État contractant (V. infra, nos 6 s) ou un différend avec leressortissant d'un autre État contractant (V. infra, nos 19 s.), on étudiera la compétence ratione materiae (V. infra, nos 54 s.) puis le consentement donné à l'arbitrage (V. infra, nos 83 s.).

Section 1 - Compétence ratione personae : (1) Un différend avec un État contractant (ou telle collectivité publique outel organisme dépendant de lui qu'il désigne au Centre)

6. La toute première condition pour avoir accès à la procédure du CIRDI est que soient en présence un État contractant quiaccueille l'investissement et un investisseur ressortissant d'un État qui lui aussi est un État contractant de la Convention deWashington. Cependant pour élargir les possibilités d'accès au mécanisme arbitral du CIRDI, le Conseil administratif duCentre a adopté le 27 septembre 1978 le Règlement du mécanisme supplémentaire (texte consultable surhttp://icsid.worldbank.org/ICSID/StaticFiles/facility-fra-archive/ICSID_Addl_French.pdf) qui permet d'établir un arbitrageadministré par le secrétariat du CIRDI lorsque toutes les conditions énoncées à l'article 25 de la Convention de Washingtonne sont pas remplies, en particulier lorsque le litige oppose des parties dont l'une n'est pas un État contractant ou l'autre le

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ressortissant d'un État contractant. Ce mécanisme supplémentaire a été utilisé à plusieurs reprises dans le cadre del'ALÉNA (Accord de libre-échange nord-américain (signé le 17 déc. 1992 à Washington, Ottawa et Mexico, ILM 1993, p. 605)où, jusqu'en 2008, seuls les États-Unis étaient parties contractantes à la Convention de Washington.

7 . S'agissant du mécanisme de la Convention de Washington, l'article 25, 1 à 3 de celle-ci prévoit qu'un investisseur peutsaisir le CIRDI à propos d'un différend d'ordre juridique l'opposant à un État contractant (V. infra, nos 8 s.) ainsi qu'à descollectivités publiques ou organismes dépendant de l'État (V. infra, nos 12 s.).

Art. 1 - Différend avec un État contractant

8. C'est la première hypothèse, celle pour laquelle la Convention a été rédigée en premier lieu et qui vise à répondre auxproblèmes principaux du contentieux entre un État et un investisseur étranger. Conçue au sein de la BIRD, la Conventionest ouverte à la signature des États membres de la Banque mondiale (Convention de Washington, art. 67 qui prévoitégalement une autre voie, mais rarement utilisée, pour la signature de celle-ci).

9 . Après la signature, l'adhésion à la Convention de Washington se fait par dépôt d'un instrument de ratification,d'acceptation ou d'approbation. Elle entre en vigueur trente jours après la date du dépôt (art. 68, 2). On remarquera quel'article 69, dans une volonté de donner une efficacité maximale à la Convention énonce que : « Tout État contractant doitprendre les mesures législatives ou autres qui seraient nécessaires en vue de donner effet sur son territoire auxdispositions de la présente convention ».

10. Il est possible pour un État d'accepter la compétence du Centre, dans un contrat, un traité ou une loi, comme on leverra, alors même qu'il n'est pas encore partie à la Convention de Washington. Il suffit que son adhésion survienne avantqu'une requête de règlement d'un différend le concernant soit présentée devant le secrétaire général du CIRDI pourenregistrement (S. MANCIAUX, Investissements étrangers et arbitrage entre États et ressortissants d'autres États. Trenteannées d'activité du CIRDI, Dijon, CREDIMI, Paris, 2004, Litec, p. 114 ; C.H. SCHREUER & alii, op. cit., p. 143, § 131, et p. 164,§ 178).

1 1 . Un État peut exclure au moment de son adhésion certaines catégories de différends qu'il veut soustraire à lacompétence du Centre (V. Convention, art. 25, 4, et les exemples donnés par C.H. SCHREUER [The ICSID Convention. ACommentary, Cambridge, 2001, Cambridge Universiy Press, p. 344, § 926], citant la Jamaïque, la Papouasie-Nouvelle-Guinée, l'Arabie Saoudite, la Turquie, la Chine, le Guatemala). D'ailleurs, cette possibilité n'est pas limitée au moment del'adhésion de l'État à la Convention de Washington, mais existe également « à toute date ultérieure » (art. 25, 4). C'est àce titre que l'Équateur a notifié, le 4 décembre 2007 au secrétaire général du CIRDI, sa décision d'exclure de la compétencedu Centre les questions relatives « au traitement des investissements étrangers qui dérivent des activités économiquesrelatives à l'exploitation de ressources naturelles comme le pétrole, le gaz, les minerais ou autres » (ILM 2008. 162). Par lasuite, l'Équateur a dénoncé la Convention de Washington. Cette exclusion ne s'applique pas seulement, selon lanotification, aux investissements futurs mais également aux investissements existants avec effet immédiat, et seulements'ils ne font pas l'objet d'un litige en cours.

Art. 2 - Différend avec une collectivité publique ou un organisme dépendant de l'État

12. Comme l'article 25, 1 le prévoit (V. supra, no 5), le Centre peut donc, dans certains cas, être saisi d'un différend neconcernant pas l'État d'accueil lui-même mais une de ses entités que l'article désigne par les expressions « collectivitépublique ou tel organisme dépendant de lui [l'État] ». On considère en général que l'expression « collectivités publiques »désigne les collectivités territoriales de l'État (États fédérés, provinces, régions, etc.). Par « organismes de l'État » (agencyen anglais), il faut comprendre l'une quelconque des mille et une formes de contrôle de l'État sur des organismes quidépendent de lui (établissements publics, entreprises publiques, sociétés de droit privé, mais contrôlées par l'État, ettoutes autres sortes « d'émanations » ; C.H. SCHREUER & alii, op. cit., p. 149 s. ; S. MANCIAUX, op. cit., p. 114 ; W. BENHAMIDA, L'arbitrage transnational unilatéral, thèse, Paris II, 2003, p. 213). Le caractère vague de l'expression estcompensé par le fait que l'article 25, 1 et 3 permet aux parties de lever tout doute sur la relation entre ces organismes etl'État selon une double modalité :

13. D'une part, l'État contractant devra avoir désigné cette entité au Centre. La désignation peut être faite de quelquefaçon que ce soit, et il n'y a pas de formalisme en la matière (C.H. SCHREUER & alii, op. cit., p. 156). Elle peut l'êtreégalement à tout moment jusqu'à ce que la requête d'arbitrage ait été présentée. L'entité publique devra montrer qu'elle afait l'objet d'une désignation de la part de l'État (V. Règlement d'introduction des instances, art. 2, b).

14. Mais, en outre, le consentement de l'entité publique à l'arbitrage ne pourra être donné qu'avec l'approbation de l'Étatcontractant auquel elle est rattachée, sauf si celui-ci a indiqué au Centre que cette approbation n'est pas nécessaire(art. 25, 3). Ces deux conditions doivent être réunies pour assurer la compétence du CIRDI (Sent. 13 janv. 1997, aff.no ARB/95/2, Cable Television of Nevis Ltd c/ Féd. Saint-Christophe-et-Niévès, § 2 ; E. GAILLARD, La jurisprudence du CIRDI,Paris, 2004, Pedone, p. 460).

15. Il faut distinguer la participation d'une entité publique à un arbitrage CIRDI sur la base de l'article 25, 1 et 3, ce que l'onvient de voir, avec un tout autre problème qui est celui de la mise en jeu de la responsabilité d'un État pour des actescommis par une entité distincte et qui peuvent lui être attribués dans les conditions prévues par le droit internationalgénéral de la responsabilité, tel que codifié en grande partie par la Commission du droit international (CDI, art. 4, 5 et 8 ;A. COHEN SWEETNY, State Responsibility and Attribution : When is a State Responsible for the Acts of a State Enterprise ? EmilioAgustin Maffezini vs the Kingdom of Spain, dans T. WEILER, International Investment Law and Arbitration. Leading Cases fromthe ICSID, NAFTA, Bilateral Treaties and Customary International Law, Londres, 2005, Cameron May ; J. CRAWFORD, Les

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articles de la CDI sur la responsabilité de l'État, introduction, texte et commentaire, Paris, 2003, Pedone, p. 112).

16 . Et ici, en effet, la personne qui est en cause n'est pas l'entité dépendante, mais bien l'État lui-même. Dans cetteoptique, les actes des « collectivités publiques » - si on désigne par là les collectivités territoriales de l'État - sont, dans lesprocédures mettant en cause la responsabilité de l'État d'accueil de l'investissement, attribuables à l'État lui-même (oncitera par exemple la sentence du 21 nov. 2000, aff. n o ARB/97/3, Compaña de Aguas de Aconquija et Compagnie généraledes eaux [Vivendi] c/ République argentine ; et DCAH [décision du Comité ad hoc] 3 juill. 2002). Il s'agissait d'un litigeportant sur l'exécution d'un contrat de concession entre une filiale argentine de la CGE (devenue Vivendi) et la provinceargentine de Tucumán (E. GAILLARD, op. cit., p. 719). La sentence arbitrale a souligné : « [e]n droit international, les actionsdes organes du gouvernement central et des autorités provinciales sont imputables à l'État - en l'espèce, la Républiqueargentine […] » (E. GAILLARD, op. cit., p. 723 ; DCAH préc., § 14, b). Et, de même, le Comité ad hoc a déclaré que « le fait quel'investissement concerne un contrat de concession conclu avec la province de Tucumán, une province d'Argentine qui n'apas fait l'objet d'une désignation séparée au CIRDI conformément à l'article 25, 1, n'implique pas que le litige n'entre pasdans le champ d'application du BIT [TBI] […] » (E. GAILLARD, op. cit., p. 739 ; DCAH préc., § 75 ; V. infra, nos 115 s.).

17 . Il est clair que la saisine du CIRDI par un investisseur pour le règlement d'un litige avec une entité publique estsusceptible de soulever des difficultés (V. la longue étude de C.H. SCHREUER & alii, op. cit., p. 149 s.). On pourrait d'ailleurspenser que c'est un problème qui se présente de façon fréquente, puisqu'un grand nombre (sans doute une majorité) decontrats d'investissement sont signés avec des entités publiques. Il n'en est rien, et ceci peut s'expliquer par le fait que lesaffaires qui arrivent aujourd'hui devant le CIRDI sont fondées, dans la très grande majorité des cas, sur un traité deprotection que l'investisseur accuse l'État (et non une quelconque entité publique) d'avoir violé (S. MANCIAUX, op. cit.,p. 114).

18. Dans quelques rares cas, on voit un État ou une entreprise d'État saisir le CIRDI (V. infra, no 172).

Section 2 - Compétence ratione personae : (2) Un différend avec le ressortissant d'un autre État contractant

19. Il s'agit ici d'un différend entre une partie privée, l'investisseur, et l'État d'accueil de l'investissement (nous ne traiteronspas ici de la difficulté qui peut se présenter lorsque l'investisseur est un organisme public contrôlé par son État : DC[décision sur la compétence, quand celle-ci est rejetée] 24 mai 1999, aff. no ARB/97/4, CSOB c/ Slovaquie ; E. GAILLARD, op.cit., p. 577).

20. L'article 25, 2 requiert que l'investisseur soit un « ressortissant d'un autre État contractant », ce qui soulève la questionde la nationalité de l'investisseur, qu'il s'agisse d'une personne physique (V. infra, nos 21 s.) ou d'une personne morale (V.infra, nos 29 s.).

Art. 1 - Nationalité d'une personne physique : article 25, 2, a

2 1 . L'investissement international se fait d'ordinaire par l'intermédiaire de sociétés plutôt que par celui de personnesphysiques. Cependant, on trouve plusieurs affaires dans lesquelles ce sont des individus qui investissent, puis saisissent leCIRDI de leur litige avec l'État d'accueil (F. YALA, La notion d'investisseur, Cah. arb. 2004/2, 2 e partie, p. 19 ; W. BENHAMIDA, La notion d'investisseur : les nouveaux défis de l'accès des personnes physiques au CIRDI, Cah. arb. 2007/4,p. 31).

2 2 . L'alinéa a de l'article 25, 2 précise que, par « ressortissant d'un autre État contractant », il faut entendre « toutepersonne physique qui possède la nationalité d'un État contractant autre que l'État partie au différend ». Deux conditionssont donc requises : 1) ne pas avoir la nationalité de l'État d'accueil de l'investissement ; 2) avoir la nationalité d'un Étatcontractant.

23 . Pour ce qui est de la première condition, le Rapport des administrateurs est très clair : « Une personne physiquepossédant la nationalité de l'État partie au différend ne sera pas admise à être partie aux procédures établies sous lesauspices du Centre, même si elle possède en même temps la nationalité d'un autre État. Cette exclusion est absolue et nepeut être écartée même si l'État au différend y consent » (Rapport des administrateurs, § 29 ; DC 21 oct. 2003, aff.no ARB/02/9, Champion Trading & Cts Wahaba c/ Égypte, Cah. arb. 2004/2, 2e partie, p. 19, obs. F. Yala).

24. L'idée, sans doute, est qu'il serait peu réaliste de demander aux États de soumettre des différends avec leurs propresnationaux à une juridiction internationale (C.H. SCHREUER & alii, op. cit., p. 271, § 441).

2 5 . S'agissant de la deuxième condition, l'application de l'article 25, 2, a suppose qu'on détermine la nationalité del'investisseur pour savoir s'il peut bénéficier de la Convention de Washington. Mais celle-ci ne dit pas ce qu'elle entend parnationalité de la personne physique. Les arbitres doivent donc se rabattre sur la définition donnée par chaque droit internede la nationalité des personnes physiques, sous réserve des règles coutumières de droit international public en la matière.Mais si les arbitres consultent le droit interne, plusieurs décisions ont affirmé qu'ils ne sont pas tenus de le suivre et qu'ilsconservent la liberté d'apprécier les documents qui leur sont soumis afin de déterminer la nationalité d'une personne auregard de la Convention de Washington et, éventuellement, au regard du traité de protection de l'investissement (DC21 oct. 2003, aff. no ARB/02/9, Champion Trading c/ Égypte, Cah. arb. 2004/2, 2e partie, p. 19 ; Sent. 7 juill. 2004, Soufrakic/ Émirats arabes unis, ibid. p. 22 ; solution confirmée à la suite de la procédure en annulation : DCAH 5 juin 2007, JDI 2008.335, chron. E. Gaillard ; W. BEN HAMIDA, article préc., Cah. arb. 2007/4, p. 31).

26. Une difficulté courante vient du fait que l'individu soutient qu'il a perdu la nationalité de l'État d'accueil pour en avoiradopté une autre qui lui permet de bénéficier de la protection de son nouvel État national. C'était le cas dans les affaires

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Champion Trading contre Égypte, Soufraki contre Émirats arabes unis et Waguih Elie George Siag et Clorinda Vecci contreÉgypte (DC 11 avr. 2007, aff. n o ARB/05/15). Là aussi, les arbitres ont affirmé qu'ils avaient toute liberté de rechercherquelle était la nationalité effective ou dominante de l'investisseur (W. BEN HAMIDA, article préc., Cah. arb. 2007/4, p. 31).

27. De même, si l'investisseur est le national à la fois d'un État contractant et d'un autre État non contractant, la conditionde nationalité est en principe remplie. Une difficulté peut apparaître si la nationalité de l'État non contractant est lanationalité effective alors que celle de l'État contractant ne le serait pas (DC 8 août 2000, aff. no ARB/98/5, Eudoro A. Olguinc/ Paraguay, sur un double national américano-péruvien, présentant une requête contre le Paraguay, ICSID Rev. 2003.163 ; S. MANCIAUX, op. cit., p. 135).

2 8 . Une autre condition concerne la date à laquelle la nationalité, dont se réclame l'investisseur, doit exister.L'article 25, 2, a requiert que cette nationalité ait existé « à la date à laquelle les parties ont consenti à soumettre ledifférend à la conciliation ou à l'arbitrage ainsi qu'à la date à laquelle la requête a été enregistrée » (V. aussi Règlementd'introduction des instances, art. 2, 1, d). Il ne semble pas, sur la base de la Convention, qu'existe la nécessité d'unecontinuité de la nationalité entre ces deux dates, comme cela est en principe requis en droit international pour la protectiondiplomatique. Dans l'affaire Loewen contre États-Unis, le tribunal arbitral a considéré, en l'absence de dispositionsconventionnelles en sens contraire, que le principe coutumier du droit international public, requérant une nationalitécontinue, était maintenu (Sent. 26 juin 2003, aff. no ARB(AF)/98/3 [mécanisme supplémentaire], § 225 s. ; E. GAILLARD, op.cit., p. 784, et sa critique p. 788 ; C.H. SCHREUER & alii, op. cit., p. 276, § 684).

Art. 2 - Nationalité d'une personne morale

29. C'est là que se situent les difficultés principales. L'article 25, 2, b renvoie à deux situations. La première est semblable àcelle de l'alinéa a qui est la détermination de la nationalité d'une personne (physique dans l'alinéa a, morale dansl'alinéa b), lui permettant de saisir le CIRDI en tant que ressortissante d'un État ayant adhéré à la Convention deWashington.

30. La seconde est propre aux personnes morales (sociétés et associations de toutes sortes, à l'exception des entités quin'ont pas de personnalité propre). Alors que la personne physique ne peut pas saisir le CIRDI si elle possède la nationalitéde l'État d'accueil de l'investissement, l'article 25, 2, b énonce que la requête d'arbitrage peut, sous certaines conditions,être présentée par des sociétés qui ont cette nationalité.

§ 1 - Principes

31. Le droit international général ne comportant que peu de règles sur l'attribution de la nationalité (J.-F. REZEK, Le droitinternational de la nationalité, Rec. cours La Haye 1986-III, p. 341), il faut se reporter aux conventions internationaleslorsqu'elles existent. Ici il ne s'agit pas seulement de la Convention de Washington (V. infra, nos 32 s.), mais aussi destraités de protection des investissements (bilatéraux ou multilatéraux) lorsqu'ils prévoient la compétence du CIRDI en casde différend (V. infra, nos 35 s.).

A. - Nationalité de la personne morale au regard de la Convention de Washington

32. La nationalité d'une personne morale ne soulève pas de difficultés dans la majorité des cas. Quand problème il y a, il nesemble pas difficile à résoudre, car le droit international général comporte une règle qui énonce, en cas de non-détermination de la nationalité d'une société sur le plan international (par traité, par exemple), que c'est le droit interne del'État dont une personne se réclame qui doit être appliqué. C'est ce que les arbitres ont réaffirmé dans l'affaire SOABIcontre Sénégal (DC 1er août 1984, aff. no ARB/82/1), « la Convention [de Washington] ne contient pas de définition duterme “nationalité”, ce qui a pour conséquence de laisser à chaque État le pouvoir de déterminer si une société possède ounon sa nationalité […] Une “personne morale qui possède la nationalité de l'État contractant partie au différend”,expression utilisée à l'article 25, 2, b de la Convention, est donc une personne morale qui, selon la système juridique del'État en question, a son siège social dans l'État où elle a été créée en application de son droit des sociétés » (DC, § 29;E. GAILLARD, op. cit., p. 38 ; V. aussi A. BROCHES, The Convention on the Settlement of Investment Disputes between Statesand Nationals of Other States, Rec. cours La Haye 1972-II, p. 361).

33. Mais, comme pour les personnes physiques, les arbitres ne sont pas strictement tenus par les qualifications nationaleset peuvent apprécier par eux-mêmes la nationalité des personnes morales qui se présentent devant eux. La tâche,cependant, s'est révélée plus difficile qu'il ne semblait du fait que les critères « classiques » de la nationalité des sociétéspeuvent aboutir à des solutions différentes et parfois paradoxales (V. les observations de E. GAILLARD sur les décisionsAmco c/ Indonésie et SOABI c/ Sénégal, op. cit., p. 58).

34. La jurisprudence a paru hésitante dans ses débuts, mais finira par se diriger vers une solution médiane, donnant créditd'abord aux critères utilisés par l'État, mais en vérifiant aussi que ces critères permettent d'établir un lien effectif et sérieuxentre l'investisseur et l'État dont il se réclame. Ainsi dans l'affaire Autopista Concesionado de Venezuela (Aucauven) contreRépublique bolivarienne du Venezuela (DC 27 sept. 2001, aff. n o ARB/00/5 ; E. GAILLARD, op. cit., p. 682), le tribunal seprononça de la façon suivante : « […] pour déterminer si les exigences objectives [quant à la nationalité d'une personnemorale] sont satisfaites dans une affaire, il est nécessaire de se référer à la propre compréhension ou définition desparties. Tant que les critères choisis par les parties pour définir ces exigences sont raisonnables, c'est-à-dire tant que lesexigences ne sont pas dépourvues de signification objective, le choix des parties n'a aucune raison d'être écarté » (DCpréc., § 99 ; E. GAILLARD, op. cit., p. 683).

B. - Nationalité des personnes morales dans les traités de protection des investissements

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35. La question de la nationalité des personnes morales ne peut pas être étudiée à l'heure actuelle sans l'examen destraités de promotion et de protection des investissements. Dans tous ces traités (2676 fin 2008 selon la CNUCED), desdispositions précisent quelles sont les personnes morales protégées qui peuvent saisir les instances d'arbitrage prévuespar ces traités (dans un grand nombre de cas le CIRDI). S'agissant des sociétés, la plupart de ces traités font référence auxcritères habituels de nationalité, mais en y ajoutant presque systématiquement le critère du contrôle. Ainsi, dans les traitésbilatéraux conclus par la France, il est indiqué en général : « Le terme de “sociétés” désigne toute personne moraleconstituée sur le territoire de l'une des parties contractantes, conformément à la législation de celle-ci et y possédant sonsiège social, ou contrôlée directement ou indirectement par des nationaux de l'une des parties contractantes […]constituées conformément à la législation de celle-ci » (traité France-Chili du 3 nov. 1995, JO 8 nov., art. 1 er) ; V. aussi lesnombreux exemples donnés par W. BEN HAMIDA, thèse préc., p. 270).

36. Certains tribunaux arbitraux se sont montrés réticents sur le critère du contrôle. C'est ainsi que, dans l'affaire SOABIcontre Sénégal, le tribunal, après avoir invoqué le critère du siège social ou de l'incorporation comme critères fréquents dedétermination de la nationalité d'une société précise : « Par contre, la nationalité des actionnaires, ou le contrôle exercé pardes étrangers autrement qu'en raison de leur participation au capital, n'est pas normalement un critère pour la nationalitéd'une société, étant entendu que le législateur peut mettre ces critères en jeu pour des cas d'exception » (DC 1er août1984 [supra, no 32], § 29 ; E. GAILLARD, op. cit., p. 38).

37 . Le contrôle étranger n'est donc pas a priori un élément que ces tribunaux CIRDI prennent en considération pourdéterminer la nationalité des sociétés qui les saisissent (en ce sens : DC 29 avr. 2004, aff. n o ARB/02/18, Tokios Tokelésc/ Ukraine ; W. BEN HAMIDA, La notion d'investisseur, Cah. arb. 2005/3, p. 33) : « Nous refusons de regarder au-delà de [ouà travers] la demanderesse pour prendre en compte ses actionnaires […] [En effet] la seule considération pertinente est desavoir si la demanderesse est établie selon les lois de la Lituanie [l'État d'incorporation des investisseurs] » (ibid. p. 22).

38. Rien n'empêche cependant les États, que ce soit dans un traité bilatéral ou multilatéral de protection, de convenir qu'ilsn'accorderont pas les avantages du traité à des sociétés dont le rattachement avec leur cocontractant leur paraîtinsuffisant. C'est ainsi que, dans le TBI conclu entre la Corée et la Suisse, il est prévu que « chaque partie peut se réserverle droit de refuser les avantages de la présente convention à toute société contrôlée par des ressortissants ou société d'unpays tiers » (W. BEN HAMIDA, thèse préc., p. 274 ; V. aussi Traité sur la Charte de l'énergie du 17 déc. 1994, JOCE,no L 380, 31 déc., art. 17 ; V. Énergie ; Sent. 16 sept. 2003, Génération Ukraine Inc c/ Ukraine ; DC 8 févr. 2005, aff.no ARB/03/24, Plama Consortium Ltd c/ Bulgarie ; Sent. 29 mars 2005 [Institut d'arbitrage de la chambre de commerce deStockholm], aff. no ARB/126/2003, Petrobart c/ République kirghize ; V. également le commentaire de W. BEN HAMIDA, Lanotion d'investisseur, Cah. arb. 2005/3, p. 33).

39 . Mais cette question du contrôle des sociétés fait, en outre, l'objet d'une disposition spéciale de la Convention deWashington : l'article 25, 2, b.

§ 2 - Hypothèse d'une société locale contrôlée par des intérêts étrangers

40. L'article 25, 2, b précise qu'une personne morale ayant la nationalité de l'État d'accueil peut recourir au mécanisme derèglement des différends du CIRDI si « les parties sont convenues […] de considérer [cette personne morale] commeressortissant d'un autre État contractant en raison du contrôle exercé sur elle par des intérêts étrangers » (V., surl'historique de cette disposition, C.H. SCHREUER & alii, op. cit., p. 190, § 375).

41. La raison de cette disposition est claire. Lorsqu'une société souhaite investir dans un État, elle constitue, la plupart dutemps, une filiale chargée de réaliser et de gérer l'investissement en question. Dans bon nombre de cas, c'est l'Étatd'accueil lui-même qui demande que l'investissement se fasse par l'intermédiaire d'une société locale.

42. L'inconvénient de cette pratique est qu'elle empêcherait toute saisine du CIRDI, puisque la société locale par laquellel'investissement est opéré possède la nationalité de l'État d'accueil. Pour éviter cette conséquence fâcheuse, la Conventionpermet, si les deux parties (l'État d'accueil et l'investisseur) en sont d'accord, de considérer que la filiale est laressortissante d'un autre État contractant (celui de la société mère), et qu'elle est donc autorisée à saisir le CIRDI.

43. Cet article soulève de nombreux problèmes délicats (V. infra, nos 44 s.), mais son importance est aujourd'hui réduite dufait de l'évolution jurisprudentielle en cours (V. infra, nos 51 s.).

A. - Difficultés soulevées par l'article 25, 2, b

4 4 . La première porte sur la nature du contrôle qui doit s'exercer sur la société locale. Lors de la négociation de laConvention de Washington, il a été suggéré qu'une société était contrôlée par une autre lorsque celle-ci possédait « desintérêts suffisamment importants pour bloquer des changements majeurs dans la société » (Historique de la convention,vol. II, p. 447, texte repris dans Sent. 16 févr. 1994, aff. no ARB/92/1, Vacuum Salt c/ Ghana, § 43 ; E. GAILLARD, op. cit., t. 1,2004, p. 398). C'est là une question de fait que le tribunal doit déterminer d'une façon totalement pragmatique. Comme ledit le tribunal arbitral dans cette même affaire : « […] le contrôle étranger au sens de l'article 25(2)(b) ne requiert ni nesuppose aucun pourcentage particulier d'actions. Chaque espèce soulevant la question de cette disposition doit êtreenvisagée dans son contexte propre sur la base des faits et circonstances. Il n'existe aucune “formule” » (Sent. préc.,§ 43).

45. Mais le contrôle doit-il être seulement direct - une société en contrôlant directement une autre ? - ou indirect également- une société en contrôlant une autre par l'intermédiaire d'une ou de plusieurs sociétés interposées, comme cela estcourant dans le monde des affaires ? La question est capitale au regard de la Convention de Washington, car, selon la

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réponse donnée, il sera possible ou non de rattacher une société à un État contractant. Il apparaît cependant que lajurisprudence des tribunaux CIRDI en la matière n'est pas encore fixée (S. MANCIAUX, op. cit., p. 166).

46 . Ainsi, dans l'affaire Amco contre Indonésie (DC du 25 sept. 1983, aff. no ARB/81/1, E. GAILLARD, op. cit., p. 17), unesociété indonésienne (PT Amco) était contrôlée par une société américaine (Amco Asia), elle-même contrôlée par une sociétéde Hong-Kong (Pan American), détenue totalement par un actionnaire néerlandais. L'Indonésie plaidait l'incompétence dutribunal du fait qu'elle n'avait pas été informée de cette chaîne de sociétés en concluant le contrat d'investissement. Letribunal arbitral déclara que la Convention de Washington n'imposait nulle part de révéler les personnes contrôlant lasociété locale au deuxième ou au troisième ou énième degré et qu'il suffisait de prendre en compte le contrôle immédiatexercé par la société américaine sans avoir à remonter toute la chaîne des participations (E. GAILLARD, op. cit., p. 23)

47. À l'inverse, dans l'affaire SOABI contre Sénégal (E. GAILLARD, op. cit., p. 37), le Sénégal contestait la compétence dutribunal CIRDI du fait que la société SOABI était contrôlée par une société rattachée à un État non contractant. Le tribunalarbitral rejeta l'argument selon lequel l'article 25, 2, b imposait de se limiter au seul contrôle immédiat : « […] le Tribunal nepeut pas accepter une telle interprétation qui va à l'encontre de l'objet de l'article 25, 2, b in fine » (DC 1er août 1984 [supra,no 32], § 35 ; E. GAILLARD, op. cit., p. 39 ; S. MANCIAUX, op. cit., p. 167).

48. De façon plus générale, le tribunal arbitral, dans l'affaire Autopista Concesionada de Venezuela CA [Aucoven] contreVenezuela (DC 27 sept. 2001 ; E. GAILLARD, op. cit., p. 682), déclara que, s'agissant du niveau auquel on devait s'attacherpour déterminer la société à prendre en considération pour l'application de l'article 25, 2, b, la Convention avait laissé auxparties « une grande latitude pour déterminer selon quelles circonstances une société pourra être traitée comme uneressortissante d'un autre État contractant en raison de son contrôle étranger » (DC, § 97 ; E. GAILLARD, op. cit., p. 683 ;S. MANCIAUX, op. cit., p. 168).

49. L'article 25, 2, b précise encore que la date à laquelle le contrôle doit exister est celle à laquelle les parties ont consentià soumettre le différend à l'arbitrage (V. sur ce point S. MANCIAUX, op. cit., p. 162 ; C.H. SCHREUER & alii, op. cit., p. 329,§ 871).

50. Une autre difficulté concerne l'accord par lequel les parties conviennent entre elles de considérer une société commeressortissant d'un autre État contractant du fait du contrôle étranger exercée sur elle. Cet accord n'est soumis, selonl'article 25, 2, b à aucun formalisme, et ce en opposition à l'article 25, 1 qui, lui, requiert un acte écrit pour consentir à lacompétence du CIRDI. Mais cela signifie-t-il qu'il n'est pas nécessaire d'avoir un accord exprès et qu'un accord simplementtacite serait suffisant ? La doctrine en débat (S. MANCIAUX, op. cit., p. 172 ; C.H. SCHREUER & alii, op. cit., p. 300, § 775). Laquestion a été soulevée à plusieurs reprises. Si, dans l'affaire Holiday Inns contre Maroc (DC 1er juill. 1973, aff.no ARB/72/1 ; P. LALIVE, The First World Bank Arbitration [Holiday Inns vs Morocco]. Some Legal problems, BYBIL 1980. 123,spéc. p. 141, § 33), le tribunal arbitral s'est prononcé pour un accord explicite sauf exception, dans les affaires postérieures,les tribunaux arbitraux, notant que l'article 25, 2, b in fine ne disait rien sur ce point, ont considéré qu'un accord tacite étaitsuffisant (V. les affaires Amco [ supra, no 46], Klöckner [infra, no 222], Letco [infra, no 98], Cable Television c/ St Kitts etNevis [supra, no 14] ; et, pour une doctrine dans un sens favorable : S. MANCIAUX, op. cit., p. 173 ; C.H. SCHREUER & alii,op. et loc. cit.).

B. - Évolution jurisprudentielle

5 1 . Une double évolution jurisprudentielle est venue amoindrir la fonction que l'article 25, 2, b assurait en tantqu'instrument d'extension de la compétence du CIRDI.

52. La jurisprudence que l'on vient d'évoquer ne concernait que les affaires portées en arbitrage sur la base d'une clausecompromissoire à partir de laquelle un consentement au moins tacite peut-être reconnu. En revanche, si la saisine se faitsur le fondement d'une législation nationale ou d'un traité de protection, ce qui est aujourd'hui l'hypothèse de loin la pluscourante, l'État ne connaît pas a priori la société qui va saisir son offre d'arbitrage, et il ne peut donc y avoir d'accord tacitequant à la nationalité étrangère de la société locale (S. MANCIAUX, op. cit., p. 175).

53. Mais en outre, et ceci est encore plus important, les tribunaux CIRDI ont régulièrement considéré que les actionnairesétrangers d'une société locale (et même s'ils sont minoritaires) peuvent avoir un accès direct au Centre en tant que leurparticipation constitue un investissement protégé dans la plupart des traités de protection (V. par exemple, DC 17 juill.2003, aff. no ARB/01/8, CMS Gas Transmission Company c/ République argentine, § 49 s. ; E. GAILLARD, op. cit., p. 800 ; V. laliste des sentences dans C.H. SCHREUER & alii, op. cit., p. 126, § 150 ; S. LEMAIRE, La compétence ratione personae etl'intérêt pour agir : le problème de l'actionnaire minoritaire, in La procédure arbitrale relative aux investissementsinternationaux : aspects récents, colloque du 3 avr. 2008, École normale supérieure, Paris, Institut des hautes étudesinternationales). Dans ces conditions, il n'est nul besoin, pour une société mère étrangère d'une filiale locale, de conclure unaccord spécifique avec l'État d'accueil de l'investissement pour pouvoir accéder directement à l'arbitrage CIRDI.

Section 3 - Compétence ratione materiae

54. Par compétence ratione materiae, on entend un différend soit d'ordre juridique (V. infra, no 55), soit en relation directeavec un investissement (V. infra, nos 56 s.).

Art. 1 - Différend d'ordre juridique

55. Il faut donc au départ un différend portant sur un investissement. L'article 25, 1 précise qu'il doit s'agir d'un différend« juridique », souvenir sans doute de l'article 36, paragraphe 2, du statut de la CIJ. S'agissant de l'arbitrage CIRDI, leparagraphe 26 du Rapport des administrateurs précise qu'il s'agissait de montrer « que si les conflits de droit relèvent de la

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compétence du Centre, il n'en est pas de même de simples conflits d'intérêts ». Le même paragraphe 26 explicite la notionde différends d'ordre juridique, en précisant qu'il s'agit de différends qui concernent « soit l'existence ou l'étendue d'un droitou d'une obligation juridique, soit la nature ou l'étendue des réparations dues pour rupture d'une obligation juridique ».C'est ainsi que, dans l'affaire CSOB contre Slovaquie, le tribunal précise : « [b]ien qu'il soit exact que les différends enmatière d'investissements auxquels un État est partie comportent fréquemment une dimension politique ou impliquent desactions gouvernementales, de tels différends ne perdent pas pour autant leur nature juridique, dès lors qu'ils concernentdes droits ou obligations ou les conséquences de leur violation » (DC 24 mai 1999 [supra, no 19], § 61 ; E. GAILLARD, op.cit., p. 591).

Art. 2 - Différend en relation directe avec un investissement

§ 1 - Difficultés à établir la relation directe

5 6 . Selon l'article 25, 1 de la Convention de Washington, le différend doit être « en relation directe » avec uninvestissement. Nous verrons plus loin (V. infra, no 59) le problème de la définition de l'investissement. Il ne s'agit ici quede s'interroger sur l'expression « en relation directe ».

57 . Que faut-il entendre par là ? La question est délicate, car un investissement est souvent une opération qui peuts'effectuer par le truchement de plusieurs contrats, comme on le voit dans diverses affaires (comme par exemple, HolidayInns c/ Maroc [supra, no 50], SOABI c/ Sénégal [supra, no 32], Amco c/ Indonésie [supra, no 46], Tradex c/ Albanie [infra,no 93], Fedax c/ Venezuela [infra, no 62], CSOB c/ Slovaquie [supra, no 19]). Retenons un passage de cette dernièresentence où le tribunal relève ce qui suit : « Un investissement est fréquemment une opération complexe, composée dediverses opérations étroitement liées, dont chaque élément, pris séparément, pourrait ne pas toujours être considérécomme un investissement. De ce fait, un différend porté devant le Centre doit être considéré comme étant en relationdirecte avec un investissement, même lorsqu'il est fondé sur une opération qui, prise individuellement, ne peut êtrequalifiée d'investissement au sens de la Convention [de Washington], dès lors que l'opération fait partie intégrale d'uneopération susceptible d'être qualifiée d'investissement » (DC 24 mai 1999, CSOB c/ Slovaquie [supra, no 19], § 72 ;E. GAILLARD, op. cit., p. 593).

58. Certains suggèrent, pour éviter les difficultés, que les parties, en saisissant le Centre, déclarent elles-mêmes que leurdifférend est en relation directe avec un investissement. On préconise aussi qu'elles incluent dans le contrat, support del'investissement, une clause indiquant que les litiges qui apparaîtraient dans le futur seront des litiges en relation directeavec un investissement. Il est clair cependant que les arbitres conservent in fine la compétence de qualifier le différend quiest porté devant eux. Eux seuls ont en effet la compétence de la compétence et il leur revient de dégager de la Convention,par leur interprétation, les conditions de leur compétence (C.H. SCHREUER & alii, op. cit., p. 106, § 83 ; S. MANCIAUX, op. cit.,p. 50 ; L. REED, J. PAULSSON & N. BLACKABY, Guide to ICSID Arbitration, La Haye, 2004, Kluwer, p. 14).

§ 2 - Difficultés quant à la définition de l'investissement

59. De toutes les questions relatives à l'arbitrage CIRDI, c'est celle qui a peut-être donné lieu aux interrogations les plusnombreuses, aussi bien dans la jurisprudence que dans la doctrine, au point qu'un auteur a pu parler à son propos, et auvu de l'incertitude s'attachant encore à cette expression, de « notion maudite du système CIRDI » (W. BEN HAMIDA, Lanotion d'investissement : la notion maudite du système CIRDI ?, Cah. arb. 2007/4, p. 33).

A. - Silence de la Convention de Washington

60. La difficulté principale porte sur la qualification de l'opération économique à propos de laquelle le litige apparaît. Cetteopération, pour bénéficier du mécanisme arbitral de la Convention CIRDI, doit avoir la nature d'un investissement. Or, laConvention de Washington, une fois de plus, ne définit pas ce qu'elle entend par cette notion qui est l'objet même dumécanisme qu'elle met en place. Les négociateurs du traité, n'ayant pas réussi à se mettre d'accord sur ce qui constitue uninvestissement, ont cru pouvoir tourner le problème en déclarant qu'il n'existait pas (V. Rapport des administrateurs sur laConvention CIRDI, § 27).

61. En réalité il y a bel et bien un problème sérieux, mais il n'est apparu clairement que lorsque le fondement de la saisinedu Centre cessa d'être contractuel pour devenir, très majoritairement, conventionnel. Les tribunaux arbitraux, saisistardivement de ce problème (à partir de DC 23 juill. 2001, aff. no ARB/00/4, Salini c/ Maroc), ont élaboré une jurisprudenceconséquente sur le sens à donner au mot « investissement » dans l'article 25 de la Convention de Washington.

62. La question, en fait, ne soulève guère de difficultés dans la grande majorité des cas, et aucune des parties ne contestela qualification d'investissement de l'opération à propos de laquelle le différend est apparu (création de filiales ou desuccursales dans le pays, contrats de concession minière ou pétrolière, etc.). C'est seulement dans l'affaire Fedax contreVenezuela (DC 11 juill. 1997, aff. no ARB/96/3 ; E. GAILLARD, op. cit., p. 469, § 25) que le tribunal arbitral s'est trouvé devantune vraie difficulté : l'acquisition de bons à ordre du gouvernement du Venezuela pouvait-elle être considérée comme uninvestissement ? La réponse fut positive, parce que « les prêts sont des investissements qui relèvent de la compétence duCIRDI » et que « les billets à ordre constatent l'existence d'un prêt » (E. GAILLARD, op. cit., p. 471, § 29).

63. Un autre problème majeur est celui des « nouvelles formes d'investissement » dans lesquelles il n'y a pas de filiales ousuccursales créées, mais diverses formes de relations contractuelles rémunérées (C. OMAN, Les nouvelles formesd'investissement dans les pays en voie de développement, Paris, 1989, OCDE ; W. BEN HAMIDA, Les contrats BOT à l'heuredu nouveau droit des investissements internationaux, in Ph. KAHN et T. WÄLDE, Les aspects nouveaux du droit internationaldes investissements, Académie de droit international de La Haye, Leiden, 2007, Martinus Nijhoff, p. 275 s.).

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64. Ces types de contrats permettent à l'État de récupérer, à la fin de l'opération qui s'étale souvent sur plusieurs années,un ensemble industriel au sens le plus large du terme (usine, centrale électrique, barrage hydraulique, mais aussiuniversité, hôpital, etc.) qui contribue au développement économique du pays, ce qui est une des fonctions essentielles del'investissement (sur les contrats de génie civil, V. les observations et les références données par E. GAILLARD, encommentaire de l'affaire no ARB/00/4, Salini c/ Maroc, op. cit., p. 638).

65. En fait, quelle que soit l'appréciation théorique qu'on peut porter sur ces différents types de contrat, ils sont tous visés,la plupart du temps, dans les traités de promotion et de protection des investissements.

B. - Apport des traités de promotion et de protection des investissements à la définition d'investissementprotégé

6 6 . La plupart des TBI (traités bilatéraux en matière d'investissement) ne donnent pas une définition générale del'investissement (sur cette question, V. supra, nos 56 à 82), mais énoncent, dans une liste non exhaustive, quels sont lesinvestissements qui bénéficient de leur protection. Ces listes sont très extensives et visent à peu près tout ce qui a unevaleur économique, que ce soit des biens ou des droits.

67. C'est ainsi, pour ne donner qu'un seul exemple, que le TBI entre le Maroc et l'Italie, invoqué dans l'affaire Salini contreMaroc (DC 23 juill. 2001 [supra, no 61] ; E. GAILLARD, op. cit., p. 631), dispose dans son article 1er : « Au sens du présentaccord, 1) le terme “investissement” désigne toutes les catégories de biens investis après l'entrée en vigueur du présentaccord par une personne physique ou morale y compris le gouvernement d'une Partie contractante, dans le territoire del'autre Partie contractante conformément aux lois et règlements de ladite partie. Le terme “investissement” comprendnotamment mais pas exclusivement : a) Les biens meubles et immeubles […], b) Les actions titres et obligations […], c) Lescréances capitalisées […] ainsi que les droits à toute prestation contractuelle ayant une valeur économique, d) Les droitsd'auteur, marques de fabrique, brevets, procédés techniques et autres droits de propriété intellectuelle et industrielle […],e) Tout droit de nature économique conféré par la loi ou par contrat […] f) Capitaux […] employés pour le maintien et/oul'accroissement de l'investissement […] ».

68. L'extension de la notion d'investissement, par les traités de protection, a fait l'objet de critiques de la part d'une partiede la doctrine, du fait qu'elle vise les biens en général, et non pas des investissements stricto sensu, et qu'on assiste doncà une dérive et à une « dilution de la notion d'investissement » (P. JUILLARD, Chronique de droit international économique,AFDI 1986. 626, note 192 ; S. MANCIAUX, op. cit., p. 79 et 84, qui se demande si on doit « réellement considérer touteopération économique ayant quelque envergure comme un investissement ? » ; W. BEN HAMIDA, thèse préc., p. 300).

69. Lorsque le CIRDI est saisi à la fois sur le fondement d'un traité de protection et de la Convention de Washington, sepose la question des rapports entre la notion d'investissement telle qu'elle ressort du traité de protection et telle qu'elleressort de la Convention CIRDI. La question est difficile puisque cette dernière ne dit rien, comme on l'a vu (V. supra, nos 60et s.). On est donc amené à rechercher dans la jurisprudence des tribunaux CIRDI, et par une démarche inductive, ce queserait la définition CIRDI de l'investissement que l'on pourra comparer ensuite à la définition présentée dans les traités deprotection.

70. Que se passerait-il si la définition de l'investissement protégé donnée dans le traité de protection était différente decelle qui résulterait de la jurisprudence portant sur l'article 25 de la Convention de Washington (ce qui pour l'instant nes'est jamais produit) ? On peut cependant imaginer une telle situation. Dans l'affaire Petrobart contre République kirghize(Sent. 29 mars 2005 [Institut d'arbitrage de la Chambre de commerce de Stockholm], aff. no ARB/126/2003 [supra, no 38],Cah. arb. 2005/3, p. 24, obs. F. Yala), l'opération en question était la vente de produits gaziers sans présence ni activité dePetrobart au Kirghizstan. Le tribunal arbitral a cependant qualifié les ventes de gaz comme étant l'« exercice d'une activitééconomique dans le secteur de l'énergie » visé à l'article 1er, 5 du Traité sur la Charte de l'énergie (préc. supra, no 38), et aconsidéré qu'un « droit conféré par contrat pour entreprendre une activité économique concernant la vente de gaz […] estun investissement au sens du Traité. Ceci inclut également le droit d'être payé pour cette vente » (ibid. p. 25 s.). On peut sedemander si un tribunal CIRDI, tenu par l'article 25 de la Convention de Washington, aurait accepté d'étendre aussi loin sapropre notion d'investissement.

71. Dans quel ordre de préférence le tribunal devrait-il examiner l'opération économique qui lui est soumise pour déterminersa qualité d'investissement protégeable par les traités ?

72. Si la définition de l'investissement de la Convention de Washington (du moins telle qu'elle résulte de la jurisprudencedes tribunaux CIRDI) et celle donnée par le traité de protection diffèrent, c'est logiquement le traité le plus restrictif quidevra s'imposer. Par exemple, si le la définition de l'investissement donnée par le traité est plus large que celle du CIRDI(opération constitutive d'un investissement pour le TBI, mais pas pour le CIRDI, par exemple si le TBI protège égalementdes opérations de vente), c'est la définition du CIRDI qui l'emporte. Inversement, si c'est la définition du TBI qui est la plusrestrictive, c'est elle qui l'emporte (mais V. sur ce point les sentences contradictoires CSOB c/ Slovaquie [ supra, no 19 ;E. GAILLARD, op. cit., p. 471, § 29 et 30] et Salini c/ Maroc [supra, no 61 ; E. GAILLARD, op. cit., p. 631, § 43]).

C. - Jurisprudence des tribunaux arbitraux CIRDI

73. Tant que le CIRDI a été saisi sur la seule base contractuelle, la question de la définition de l'investissement ne s'est pasvraiment posée. C'est seulement après que la jurisprudence AAPL contre Sri Lanka (Sent. 27 juin 1990, aff. no ARB/87/3) aaccepté la saisine sur la seule base d'un traité de protection des investissements que les tribunaux arbitraux ont étéamenés à élaborer une jurisprudence portant sur la notion d'investissement, susceptible de bénéficier du mécanisme duCIRDI. Depuis cette date, un nombre relativement important de décisions arbitrales (une quinzaine de sentences ou

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décisions entre juin 2004 et mai 2008) et une doctrine abondante se sont attelées à la tâche de définir cette condition« existentielle » de la compétence du CIRDI, à savoir que le litige soumis aux arbitres du Centre doit concerner uninvestissement, notion qui, on l'a vu (V. supra, nos 60 s.) n'est pas définie par la Convention de Washington (pour ladoctrine : C.H. SCHREUER & alii, op. cit., p. 114, § 113 ; W. BEN HAMIDA, thèse préc., p. 296 ; S. MANCIAUX, La compétencematérielle : actualité de la notion d'investissement international, in La procédure arbitrale…, colloque préc. ; I. FADLALLAH,La notion d'investissement : vers une restriction à la compétence du CIRDI ?, dans Global Reflections on International Law,Commerce and Dispute Resolution, Liber Amicorum in Honour of Robert Briner, Paris, 2005, G. Aksen éd., 2005, ICC Publishing,p. 259 ; V. les commentaires sur les différentes affaires dans E. GAILLARD, op. cit., et sur la décision P. Mitchell au JDI 2007.365 ; V. aussi F. YALA, La notion d'investissement dans la jurisprudence du CIRDI, in C. LEBEN [sous la dir. de], Lecontentieux arbitral…, 2006, op. cit., p. 281 ; N. RUBINS, The Notion of Investment in International Investment Arbitration,dans N. HORN [sous la dir. de], Arbitrating Foreign Investment Disputes, 2004, La Haye, Kluwer, p. 289 ; G.L. WALTERS, TheMeaning of 'Investment' in Treaty Disputes : Substantive of Jurisdictional, JWIT 2007. 175).

74 . L'examen, même partiel, de la jurisprudence CIRDI depuis une dizaine d'années révèle qu'elle reste divisée en lamatière. La décision du CIRDI du 23 juillet 2001 (Salini c/ Maroc [supra, no 61] ; E. GAILLARD, op. cit., p. 621) a eu uneinfluence toute particulière à cet égard, même si elle-même s'est inspirée en partie des décisions antérieures (DC 11 juill.1997, Fedax c/ Venezuela [supra, no 62] ; 24 mai 1999, CSOB c/ Slovaquie [supra, no 19] ; E. GAILLARD, op. cit., p. 577).

75 . Dans l'affaire Salini contre Maroc, il s'agissait d'un contrat entre une société nationale marocaine et deux sociétésitaliennes, pour la construction d'une autoroute reliant deux villes marocaines. Le Maroc soutenait qu'il ne s'agissait pasd'un investissement, ni au sens du traité de protection entre l'Italie et le Maroc ni au sens de la Convention de Washington.Le tribunal allait énoncer quatre conditions nécessaires pour qu'on se trouve en présence d'un investissement (les fameuxquatre critères de Salini) : un investissement suppose non seulement « des apports, une certaine durée d'exécution dumarché et une participation aux risques de l'opération », mais il doit également contribuer « au développement économiquede l'État d'accueil de l'investissement », et ceci sur le fondement du Préambule de la Convention de Washington qui invoque« la nécessité de la coopération internationale pour le développement économique » (DC 23 juill. 2001 [supra, no 61],§ 52).

76. Dans la jurisprudence qui a suivi, la plupart des tribunaux arbitraux ont retenu les trois premiers critères de la décisionSalini : « Des apports, une certaine durée d'exécution du marché et une participation aux risques de l'opération ». Enrevanche, le quatrième critère, la participation au développement économique du pays d'accueil, a été accueilli par certainset rejeté par d'autres.

77 . Dans de nombreux cas, les arbitres ont pris en compte les quatre critères de Salini et ont accepté ou décliné leurcompétence, selon qu'ils jugeaient que ces critères étaient présents ou non. On peut citer, entre autres, outre la décisionSalini elle-même : les décisions Bayindir contre Pakistan (DC 14 nov. 2005, aff. n o ARB/03/29, une affaire de constructiond'autoroute comme dans l'affaire Salini), Jan de Nul N.V. contre Égypte (DC 16 juin 2006, aff. n o ARB/04/13, portant sur uncontrat de dragage du canal de Suez), Joy Mining Machinery Ltd contre Égypte (DC 6 août 2004, aff. no ARB/03/11, contratde fourniture d'équipements miniers avec assistance technique sur plusieurs années), Patrick Mitchell contre Congo (DCAH1er nov. 2006, aff. n o ARB/99/7, la création d'un cabinet d'avocats), Saipem Spa contre Bengladesh (DC 21 mars 2007, aff.no ARB/05/07, construction d'un pipeline), Malaysian Historical Salvors et alii contre Malaisie (DC 17 mai 2007, aff.no ARB/05/10, contrat de récupération d'épaves), Noble Energy Inc et alii contre Ecuador et Consejo Nacional de Electricidad(DC 5 mars 2008, aff. no ARB/05/12, construction et exploitation d'une centrale électrique).

78. Dans d'autres cas, le tribunal arbitral va conserver les trois premiers critères Salini, mais rejeter le quatrième. Ainsi,dans l'affaire Consortium groupement Lesi-Dipenta S.p.A. contre Algérie (Sent. 10 janv. 2005, aff. n o ARB/03/08, JDI 2006.237, chron. E. Gaillard, Cah. arb. 2005/3, p. 23, obs. F. Yala), le tribunal a déclaré : « Il paraît conforme à l'objectif auquelrépond la Convention qu'un contrat, pour constituer un investissement au sens de la disposition [de l'article 25 de laConvention CIRDI], remplisse les trois conditions suivantes : il faut a) que le contractant ait effectué un apport dans le paysconcerné, b) que cet apport porte sur une certaine durée, et c) qu'il comporte pour celui qui le fait un certain risque. Il neparaît en revanche pas nécessaire qu'il réponde en plus spécialement à la promotion économique du pays, une condition detoute façon difficile à établir et implicitement couverte par les trois éléments retenus » (§ 13 ; V. dans le même sens DC8 mai 2008, aff. no ARB/98/2, Victor Pey Casado et Fondation président Allende c/ Chili).

7 9 . Il est intéressant de noter que, si la prise en compte des quatre critères de Salini a pour elle une partie de lajurisprudence, elle se heurte au scepticisme d'une bonne partie de la doctrine pour des raisons bien résumés parP. JUILLARD, qui écrit qu'il s'agit là d'un « facteur […] d'une si grande généralité qu'il ne permet guère […] de donner sonfondement à une quelconque définition de l'investissement international (Chronique droit des investissements, AFDI 1984.778 ; W. BEN HAMIDA, La prise en compte de l'intérêt général et des impératifs du développement dans le droitinternational des investissements, JDI 2008. 999), et par I. FADLALLAH, qui note : « Le développement est une exigencepolitique : il n'est pas nécessaire d'en faire une condition juridique » (article préc., in Mélanges Briner, p. 259 ; V. de mêmeE. GAILLARD, obs. sur la décision P. Mitchell, JDI 2007. 365 ; S. MANCIAUX, article préc., in La procédure arbitrale…, colloquepréc., § 26, pour qui un investissement est simplement « un apport à une entreprise dont la rémunération sera fonction dela réussite de ladite entreprise », § 30).

8 0 . En faveur de la prise en compte du critère de la contribution au développement économique on peut citerC.H. SCHREUER (op. cit., 1re éd., p. 140, § 122 ; G.R. DELAUME, Le Centre international pour le règlement des différendsrelatifs aux investissements, JDI 1982. 805 ; N. RUBINS, The Notion of Investment…, article préc., p. 289).

81. Qu'il existe des divergences d'opinion en jurisprudence et en doctrine, sur un point aussi complexe et sur un laps de

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temps relativement bref, n'est pas pour surprendre. Mais cela se répercute fâcheusement sur le caractère prévisible dessolutions juridiques en cas de litige. C'est ainsi qu'on a vu, dans la jurisprudence dont il vient d'être rendu compte,qu'étaient acceptées comme investissements la construction et l'exploitation d'une centrale électrique (Sent. 19 janv. 2007,aff. PSEG Global c/ Turquie ; Sent. 31 juill. 2007, MCI Power Group c/ Equateur ; Sent. 12 oct. 2009, Noble Venturec/ Roumanie), la construction et la gestion d'un hôtel (DC 17 oct. 2006, Helnan c/ Egypte) mais ne l'étaient pas une venteclés en main d'un système d'exploitation minière (Joy Mining, supra, no 77) ou une construction de barrage (Consorzio Lesi-Dipenta c/ Algérie, supra, no 78), ce qui surprend pour le moins, car chacune de ces opérations correspond à la mêmecatégorie des « nouvelles formes d'investissement » répertoriée depuis longtemps par les économistes.

82. Notons pour terminer que, dans la sentence Mihaly International Corporation contre Sri Lanka, les arbitres ont refuséde qualifier d'investissements les dépenses précontractuelles faites par une entreprise en vue de la conclusion d'un contratqui, in fine, ne sera pas signé (Sent. 15 mars 2002, aff. no ARB/00/2, § 50 s. ; E. GAILLARD, op. cit., p. 686).

Section 4 - Consentement donné à l'arbitrage

83. Deux points sont d'une importance primordiale pour le mécanisme d'arbitrage : comment se donne le consentementnécessaire à la mise en route de la procédure (V. infra, nos 84 s.) et quelle en est la portée (V. infra, nos 108 s.).

Art. 1 - Modalités du consentement

§ 1 - Consentement écrit

84. L'article 25 parle d'un différend « que les parties ont consenti par écrit à soumettre au Centre ». Dans la pratique duCIRDI, jusque dans les années 1990, le consentement a été donné la plupart du temps dans une clause compromissoirecontenue dans le contrat d'investissement. Telle était du moins la pratique lorsque la compétence du Centre découlaitentièrement d'un rapport contractuel entre un État d'accueil et un investisseur. Tel n'est plus le cas aujourd'hui où la trèsgrande majorité des affaires ne sont plus portées devant le Centre sur une base contractuelle, mais sur la base d'un traitéde protection, bilatéral ou multilatéral, et accessoirement sur la base d'une législation nationale.

85. Cette façon de procéder a été acceptée par la jurisprudence Southern Pacific Properties [SPP] contre l'Égypte (DC [2]14 avr. 1988, aff. n o ARB/84/3 ; E. GAILLARD, op. cit., p. 347), en ce qui concerne une législation nationale, et par lajurisprudence AAPL contre Sri Lanka (Sent. 27 juin 1990 [supra, no 73], confirmée par une jurisprudence constante ;21 févr. 1997, AMT c/ Zaïre [ infra, no 194] ; E. GAILLARD, op. cit., p. 323 et 425), s'agissant d'un traité de protection desinvestissements. Notons cependant que rien n'empêche les parties au traité de protection d'exclure cette solution (V. TBI du27 août 1999 entre l'Argentine et la Nouvelle-Zélande, art. 12.4).

86. Dans le cas où la possibilité existe de porter une affaire devant le CIRDI sur la base d'un traité bilatéral ou multilatéral(ou sur la base d'une législation nationale), le consentement des parties se fait en deux étapes : le consentement estd'abord donné par l'État d'accueil de l'investissement, dans sa législation ou dans un traité de protection, dans lesquels ilénonce qu'il accepte d'aller devant le Centre pour tout ou partie de ses investissements. Dans un deuxième tempsl'investisseur qui peut se prévaloir de la législation ou du traité (dans ce cas, un ressortissant de l'État d'origine del'investissement), va saisir le Centre pour voir son litige avec l'État d'accueil réglé selon le mécanisme de règlement desdifférends de la Convention de Washington. La rencontre des volontés, celle de l'État qui accepte la compétence du CIRDIdans sa loi ou dans un traité et celle de l'investisseur, se fait lorsque celui-ci saisit le Centre d'une requête d'arbitrage,acceptant ainsi et du même coup la compétence du Centre.

87 . Ce type d'arbitrage à partir d'un consentement décalé des deux parties a été appelé en anglais arbitration withoutprivity (J. PAULSSON, Arbitration without Privity, ICSID Rev. 1995/2, p. 232). Diverses expressions ont été proposées enfrançais : arbitrage transnational unilatéral (W. BEN HAMIDA, thèse préc., p. 15), arbitrage sans lien contractuel ou arbitragesans consentement spécifique ou sans accord spécifique (B. STERN, Le consentement à l'arbitrage CIRDI en matièred'investissement, in Souveraineté étatique et marchés internationaux à la fin du XXe siècle, À propos de 30 ans derecherche du CREDIMI, Mélanges offerts à Philippe Kahn, 2000, Litec, p. 223).

88 . Ces deux décisions ont provoqué une certaine sensation et ont soulevé diverses critiques (G. BURDEAU, Nouvellesperspectives pour l'arbitrage dans le contentieux économique intéressant les États, Rev. arb. 1995. 3). Mais la possibilitéd'exprimer le consentement de façon décalée était expressément prévue au paragraphe 24 du Rapport desadministrateurs : « […] un État hôte pourrait offrir, dans le cadre d'une législation destinée à promouvoir lesinvestissements, de soumettre à la compétence du Centre les différends résultant de certaines catégoriesd'investissements, tandis que l'investisseur pourrait donner son consentement en acceptant l'offre par écrit » (V. aussi dansle même sens, celui qui a été l'instigateur et l'architecte de la Convention de Washington, A. BROCHES, article préc., Rec.cours La Haye 1972-II, p. 333 ; P. REUTER, Réflexion sur la compétence du Centre créé par la Convention pour le règlementdes différends relatifs aux investissements entre États et ressortissants d'autres États, in Investissements étrangers etarbitrage entre États et personnes privées, Paris, 1969, CREDIMI, p. 14 ; C.H. SCHREUER & alii, op. cit., p. 205, § 427 ;S. MANCIAUX, op. cit., p. 193 ; W. BEN HAMIDA, thèse préc.).

89. Il faut souligner que ce mécanisme en deux temps implique, d'une part, que tant qu'un investisseur n'a pas saisi l'offrefaite par l'État celui-ci peut la révoquer et que, d'autre part, la seule ratification de la Convention de Washington ne permetpas la saisine du Centre (V. Préambule à la Convention de Washington).

§ 2 - Consentement irrévocable

90. Le caractère irrévocable de l'engagement découle de deux articles de la Convention de Washington. L'article 25, 1, tout

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d'abord, énonce que, « lorsque les parties ont donné leur consentement, aucune d'elles ne peut le retirerunilatéralement ». Certes, une partie peut bien prévoir de mettre fin à son consentement (art. 71), mais l'article 72 précise :« Aucune notification par un État contractant en vertu des articles 70 et 71 ne peut porter atteinte aux droits et obligationsdudit État, d'une collectivité publique ou d'un organisme dépendant de lui ou d'un de ses ressortissants, aux termes de laprésente convention qui découlent d'un consentement à la compétence du Centre donné par l'un deux antérieurement à laréception de ladite notification par le dépositaire ».

91. Si la compétence découle d'une clause compromissoire dans un contrat, l'État ne peut revenir dessus unilatéralement(art. 25, 1). S'il s'agit d'un consentement donné dans un traité de protection des investissements ou dans une loi nationale,tous les différends déjà nés concernant des investissements antérieurs à la décision unilatérale de l'État seront encorecouverts par la Convention d'arbitrage existante au moment où ils ont saisi le CIRDI (S. MANCIAUX, La Bolivie se retire duCIRDI, Rev. arb. 2007. 351 ; CIRDI, Rapport annuel 2008, p. 5).

92. De même, un État contractant, comme l'Équateur dans sa notification du 4 décembre 2007 (ILM 2008. 162), peut faireconnaître au Centre les catégories de différends qu'il considère comme ne pouvant plus être soumis au Centre, comme l'yautorise l'article 25, 4. Il ne pourrait pas, cependant, profiter de cette limitation de son consentement pour ne pas accepterla compétence du Centre s'agissant d'un litige déjà né avant que l'État ne vienne limiter son acceptation. C'est dans cesens que tranchèrent les arbitres dans les trois arbitrages jamaïcains (DC 6 juill. 1975, aff. no ARB/74/2, Alcoa Mineralsc/ Jamaïque, Yearbook of Comm. Arb. 1979. 206 ; DC 6 juill. 1975, aff. n o ARB/73/3, Kaiser Bauxite c/ Jamaïque, ICSIDReports, vol. 1, p. 296 ; DC 6 juill. 1975, aff. no ARB/74/4, Reynolds Metals Co. c/ Jamaïque ICSID Reports vol. I. 296).

93. Dans l'affaire SPP contre Égypte (supra, no 85), l'Égypte soutenait que la loi égyptienne no 43 de 1974, permettant auxinvestisseurs de porter leur différend avec l'Égypte à l'arbitrage, ne s'appliquait plus au projet SPP dont l'autorisation avaitété retirée par les autorités égyptiennes. Le tribunal répondit que : « Si la loi no 43 contenait une offre d'arbitraged'accepter la compétence du Centre, avant l'annulation du projet de l'oasis des Pyramides, cette offre n'a pas été retirée duseul fait du retrait du projet. L'annulation du projet ne supprime pas le fait qu'un investissement a été réalisé en applicationde la loi no 43. En conséquence, le Tribunal estime que le loi no 43 est applicable au contentieux relatif à l'investissement encause » (DC [1] 27 nov. 1985, § 66 ; E. GAILLARD, op. cit., p. 348 ; V., sur un éventuel effet rétroactif du consentement del'État, DC 24 déc. 1996, aff. no ARB/94/2, Tradex Hellas c/ Albanie ; E. GAILLARD, op. cit., p. 496).

§ 3 - Consentement exclusif

94. L'article 26, première phrase, de la Convention énonce que « [l]e consentement des parties à l'arbitrage dans le cadrede la présente Convention est, sauf stipulation contraire, considéré comme impliquant renonciation à l'exercice de toutautre recours ». Néanmoins, l'article 26 précise, dans une deuxième phrase que « [c]omme condition à son consentement àl'arbitrage […] un État contractant peut exiger que les recours administratifs ou judiciaires internes soient épuisés ». Celaenlève évidemment à l'arbitrage une grande partie de ses avantages et ne se rencontre que dans un nombre minoritaire decas (C.H. SCHREUER & alii, op. cit., p. 403, § 1878 ; W. BEN HAMIDA, thèse préc., p. 114 ; S. MANCIAUX, op. cit., p. 565 ;P. PETERS, Exhaustion of Local Remedies Ignored in Most Bilateral Investment Treatises, Netherland Review of International Law1996. 233).

95. En dehors de cette hypothèse, l'article 26, première phrase, implique une présomption en faveur de l'arbitrage commele précise le Rapport des administrateurs dans son paragraphe 32 : « On peut présumer que quand un État et uninvestisseur s'entendent pour recourir à l'arbitrage et ne se réservent pas le droit de recourir à d'autres modes derèglement ou n'exigent pas l'épuisement préalable d'autres voies de recours, l'intention des parties est de recourir àl'arbitrage, à l'exclusion de tout autre mode de règlement ».

96. La clause de l'article 26 n'a pas soulevé de difficultés trop importantes tant que la saisine de la juridiction CIRDI sefaisait sur le fondement de la clause compromissoire insérée dans le contrat d'investissement avec l'État d'accueil. Les deuxcontractants acceptaient clairement de soumettre le litige à un tribunal CIRDI, choix exclusif qui devait être accepté par lesjuridictions étatiques si l'une des parties les saisissait également.

97. Les problèmes devaient apparaître lorsque la compétence du tribunal CIRDI allait être fondée sur un traité bilatéral oumultilatéral de protection des investissements.

98. Dans un cas de figure assez fréquent (Sent. 8 août 1980, aff. no ARB/77/2, Benvenuti & Bonfant c/ Congo ; 31 mars1986, aff. no ARB/83/2, Letco c/ Liberia ; Amco c/ Indonésie, supra, no 46 ; CSOB c/ Slovaquie, supra, no 19), la partie quis'adresse aux tribunaux nationaux peut demander au tribunal CIRDI de suspendre sa procédure en raison du fait quel'affaire est pendante devant ceux-ci (V. Amco c/ Indonésie, cité dans C.H. SCHREUER & alii, op. cit., p. 387, § 134). La saisinedu CIRDI se fait donc alors qu'il existe déjà un contentieux devant les tribunaux de l'État ou même devant d'autresjuridictions arbitrales que le CIRDI. Le tout peut donner lieu à un imbroglio procédural dommageable à la rapidité et à lasimplicité qui doivent, en principe, s'attacher à la juridiction arbitrale et tout particulièrement à celle du CIRDI (W. BENHAMIDA, L'arbitre transnational face au désordre procédural : la concurrence des procédures et les conflits de juridiction, inF. HORCHANI [sous la dir. de], Où va le droit de l'investissement ? Désordre normatif et recherche d'équilibre, Paris, 2007,Pedone, p. 125 ; V. la table ronde W. BEN HAMIDA, I. FADLALLAH, P. MAYER et A. MOURRE L'enchevêtrement des procédures,in La procédure arbitrale…, colloque préc.).

99. Dans certaines affaires, un tribunal CIRDI a été saisi après qu'une décision étatique a été rendue. On est dans ce casdevant une double difficulté. D'une part, le tribunal CIRDI ne peut être tenu par la décision du tribunal interne qui n'est pourlui qu'un pur fait (Sent. 20 nov. 1984, Amco c/ Indonésie, § 177 ; E. GAILLARD, op. cit., p. 143). En effet, toute autre solutionaboutirait à la fin de la juridiction internationale. Mais, d'autre part, le tribunal arbitral ne doit pas être une juridiction

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d'appel offerte aux investisseurs mécontents des résultats des procédures internes.

100. Une situation de ce type se présentait dans l'affaire Mondev contre États-Unis. Le tribunal a réaffirmé que son rôleconsiste uniquement à vérifier si les parties étatiques respectent leurs obligations au titre du traité de protection. Dans lecas où la mesure contestée par l'investisseur est le jugement d'un tribunal de l'État, la seule possibilité qui lui est offerteest de faire vérifier que le jugement ne constitue pas un déni de justice ou un traitement injuste et inéquitable(Sent. 11 oct. 2002, aff. no ARB(AF)/99/2 [mécanisme supplémentaire], § 127 ; C. CRÉPET, La détermination du droitapplicable, Cah. arb. 2003/2, 2e partie, p. 17).

101. Dans l'affaire (hors CIRDI) CME contre République tchèque, le tribunal a ajouté qu'il n'était pas tenu d'attendre lesrésultats d'une procédure interne, sauf dans l'hypothèse où l'investisseur doit au préalable avoir épuisé les voies desrecours internes, « la compétence du tribunal international n'est pas affectée par des procédures pendantes dans l'ordrejuridique interne » (Sent. partielle 13 sept. 2001, § 415). Dans certains cas cependant, le tribunal arbitral a suspendu laprocédure pour attendre le jugement des tribunaux nationaux.

102. C'est ce qui s'est produit dans l'affaire SGS contre Philippines (DC 29 janv. 2004, aff. n o ARB/02/6 ; E. GAILLARD, op.cit., p. 865). Le contrat de service entre la société suisse SGS et les Philippines comportait une clause (art. 12) decompétence exclusive en faveur des juridictions régionales de Makati ou de Manille. La société suisse, à la suite du non-paiement allégué de ses prestations, saisit le CIRDI, sur le fondement du TBI entre les Philippines et la Suisse, en invoquantla violation du contrat aboutissant à une expropriation indirecte, ainsi que l'absence de traitement juste et équitable et laviolation de la clause de respect des engagements. Les Philippines plaidaient l'incompétence du tribunal CIRDI. Le tribunalarbitral s'est reconnu compétent, mais a précisé que son intervention était subordonnée aux jugements des tribunauxrégionaux. C'était à eux de dire si le contrat avait été violé et, le cas échéant, d'allouer des indemnités à SGS. C'estseulement si le jugement de ces tribunaux était tel qu'il aboutissait à une expropriation indirecte ou un traitement injuste etinéquitable que la société SGS pourrait revenir devant le tribunal CIRDI. En attendant celui-ci suspendait sa procédure(contra la « déclaration » de l'arbitre A. CRIVELLARO : E. GAILLARD, op. cit., p. 893).

103. Outre ces concurrences de procédure pouvant se produire entre la juridiction CIRDI et les tribunaux de l'État, il peut yavoir concurrence entre deux procédures arbitrales l'une CIRDI et la deuxième devant un tribunal arbitral autre. C'était lecas dans l'affaire MINE contre Guinée (Sent. 6 janv. 1988, aff. n o ARB/84/4), où une procédure existait à la fois devant leCIRDI et devant l'American Arbitration Association (E. GAILLARD, op. cit., p. 297). La règle de l'article 26 s'applique ici aussi : laConvention de Washington impose sa priorité par rapport à tout autre mécanisme arbitral.

104. De façon générale, l'article 26 implique qu'un tribunal national doit surseoir à statuer tant que le tribunal arbitral CIRDIa été correctement saisi (C.H. SCHREUER & alii, op. cit., p. 386, § 132). Mais le tribunal national peut, quant à lui, avoir uneopinion contraire de la priorité et demander au tribunal CIRDI de surseoir à sa procédure (dans l'affaire Attorney Generalc/ Mobil Oil NZ Ltd, citée par C.H. SCHREUER & alii, op. cit., p. 392, § 154, le gouvernement néo-zélandais avait entamé uneprocédure devant un tribunal national après que le CIRDI avait été saisi ; la Haute Cour de Nouvelle-Zélande tranchafinalement en faveur de la priorité donnée à l'arbitrage CIRDI). Dans le cas, cependant, où l'État d'accueil poursuivrait laprocédure devant ses tribunaux alors qu'une procédure sur la même affaire serait en cours devant un tribunal CIRDI, il yaurait un différend sur l'interprétation à donner de l'article 26 de la Convention de Washington, et l'État dont l'investisseurest le ressortissant tout comme d'ailleurs l'État d'accueil de l'investissement pourraient saisir la Cour internationale dejustice pour statuer sur ce point (Convention, art. 64).

105. Outre ces concurrences de procédure entre la juridiction CIRDI et les tribunaux de l'État, il peut y avoir concurrenceentre deux procédures arbitrales, l'une CIRDI et la deuxième devant un tribunal arbitral autre. C'était le cas dans l'affaireMINE contre Guinée (Sent. 6 janv. 1988, supra, no 103), où une procédure existait à la fois devant le CIRDI et devantl'American Arbitration Association. La règle de l'article 26 s'applique ici aussi : la Convention de Washington impose sapriorité par rapport à tout autre mécanisme arbitral (C.H. SCHREUER & alii, op. cit., p. 381, § 114).

106. Notons que ne s'est pas encore présentée devant le CIRDI une situation semblable à celle de l'affaire Lauder contreRépublique tchèque (Sent. CNUDCI du 3 sept. 2001) où deux procédures ad hoc sur règlement CNUDCI avaient étéengagées, l'une par une société CME, incorporée aux Pays-Bas et détenant des parts d'une société tchèque de télévision,sur le fondement du TBI entre les Pays-Bas et la République tchèque (Sent. 14 mars 2003), et l'autre par M. Lauder principalactionnaire de CME sur le fondement du TBI entre la République tchèque et les États-Unis (Sent. 3 sept. 2001). Les faits etles demandes étaient les mêmes, ce qui n'empêcha pas les deux tribunaux arbitraux d'aboutir à des solutions strictementopposées (C. CRÉPET, article préc., Cah. arb. 2003/2, 2 e partie, p. 17). Chaque tribunal considéra qu'il agissait sur lefondement d'un traité différent (l'un avec les États-Unis, l'autre avec les Pays-Bas) et que les demandeurs étaient différents(l'un une société néerlandaise CME, l'autre une personne privée ressortissant américain).

107. Cela n'empêche nullement que, lorsqu'une opération d'investissement se traduit par plusieurs contrats, chacun de cescontrats peut prévoir son propre mécanisme de règlement des différends. Cela peut certes soulever des problèmes decoordination entre les divers fors, mais c'est inévitable dans la mesure où le CIRDI n'est compétent que dans des conditionsstrictes (par exemple, il faut que le litige soit avec un État) qui ne sont pas toujours réunies (V. aussi W. BEN HAMIDA, Laconsolidation des procédures arbitrales, Cah. arb. 2006/3, p. 30).

Art. 2 - Extension jurisprudentielle du consentement

108. Il n'y a de compétence du tribunal arbitral que celle qui a été acceptée par les parties. C'est là une vérité simple, maisqui a connu depuis l'instauration du CIRDI et la jurisprudence de ses tribunaux des développements inattendus, au point

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qu'on a pu parler à leur propos d'une « marginalisation du consentement » (B. STERN, Un coup d'arrêt à la marginalisationdu consentement dans l'arbitrage international, Rev. arb. 2000. 403 s. ; A. NEWCOMBE, L'extension jurisprudentielle de lacompétence des tribunaux arbitraux, in Ph. KAHN et T. WÄLDE, op. cit., p. 489, à qui nous reprenons une partie de son titre).

109. Et, en effet, une jurisprudence arbitrale dynamique (qu'on s'en réjouisse ou qu'on le déplore) a, en deux décennies,donné au consentement de l'État une portée bien plus importante que ce que les rédacteurs de la Convention deWashington pouvait imaginer (mais c'est là une histoire qui se répète pour tous les droits et pour presque toutes lesépoques). Cette extension a emprunté trois voies : la distinction devenue majeure dans la jurisprudence CIRDI entre lesrequêtes concernant les violations du contrat (contract claims) et celles concernant la violation du traité (treaty claims ;V. infra, nos 110 s.). Une autre voie passe par l'interprétation donnée par les tribunaux de la clause de respect desengagements (umbrella clause) susceptible de donner une valeur internationale à des engagements purement contractuels(V. infra, nos 125 s.). Enfin, une portée nouvelle reconnue à la clause de la nation la plus favorisée (clause NPF) participeelle aussi à la « marginalisation » (mais l'expression nous semble exagérée) de ce consentement (V. infra, nos 139 s.).

§ 1 - Différenciation entre requêtes concernant des violations du contrat (contract claims) et requêtes concernant desviolations du traité (treaty claims)

110. La création du CIRDI avait pour objet d'aider au règlement des différends contractuels entre investisseurs et Étatsd'accueil. Cette mission est toujours d'actualité, puisque les litiges portés devant le CIRDI, dans leur grande majorité,trouvent encore leur origine dans des différends contractuels entre un État d'accueil et un investisseur (C. CRÉPET, Treatyclaims/contract claims, Cah. arb. 2004/2, 2e partie, p. 23, no 61). Cependant, on a dit (supra, no 88) que, dès les premierstemps de la Convention, il avait été entrevu que le consentement à la juridiction du CIRDI pouvait être donné par la voied'une loi interne ou par la voie d'un traité, ce que la jurisprudence allait constamment confirmer à partir des sentences SPPcontre Égypte (supra, no 85) et AAPL contre Sri Lanka (supra, no 73). La situation nouvelle qui en découle est quel'investisseur n'a plus besoin d'avoir un contrat avec l'État comportant une clause compromissoire renvoyant au CIRDI poursaisir celui-ci. Il faut, et il suffit, qu'il puisse se prévaloir d'une violation d'un traité de protection existant entre son Étatnational et l'État d'accueil de son investissement.

111 . Mais cette hypothèse (absence de tout contrat) ne soulève pas en fait de difficultés majeures. Celles-ci sontapparues, en revanche, lorsque l'État d'accueil et l'investisseur étaient bel et bien liés par un contrat, mais de naturepurement interne, et que celui-ci comportait une clause exclusive de juridiction prévoyant le règlement des différendscontractuels par une juridiction de l'État d'accueil ou par un arbitrage local.

112. Cette situation, tout à fait courante, allait donner naissance dans la jurisprudence arbitrale à la différenciation entreles contract claims et les treaty claims, c'est-à-dire les requêtes de l'investisseur fondées sur la violation alléguée du contratpar l'État, par opposition aux requêtes fondées sur la violation alléguée du traité de protection de l'investissement. En effet,si le contrat avec l'État est un contrat purement de droit interne et soumis aux juridictions internes, l'investisseur pourracraindre que son litige avec l'État ne soit pas traité de façon satisfaisante. Il préférera alors tenter de passer par la voieinternationale que lui offre le CIRDI (ou un autre centre d'arbitrage international), en invoquant un grief distinct portant surla violation du traité de protection des investissements.

113. Une fois accepté le principe d'une saisine du CIRDI, sur la seule base d'un traité de protection des investissements,les litiges portés devant le CIRDI allaient soulever le problème de l'articulation des clauses de règlement des différendsprévues dans les contrats avec celles prévues dans les traités.

114. Plusieurs affaires ont été portées devant les tribunaux CIRDI où l'investisseur invoquait la violation du TBI conclu entreson État d'origine et l'État d'accueil, alors même qu'il existait dans le contrat qui le liait avec celui-ci une clause attributive dejuridiction donnant compétence exclusive aux tribunaux internes. La réponse de principe a été donnée très tôt, et enparticulier dans l'affaire Salini contre Maroc (DC 23 juill. 2001, supra, no 61), où le tribunal a affirmé sa compétence pour« les violations du contrat qui constitueraient en même temps, à la charge de l'État, une violation de l'Accord bilatéral » (DCpréc., § 62, E. GAILLARD, op. cit., p. 641 ; V. aussi Tradex Hellas c/ Albanie, supra, no 93, E. GAILLARD, op. cit., p. 502).

115. Dans l'affaire Vivendi contre République argentine (Sent. 21 nov. 2000, DCAH 3 juill. 2002, supra, no 16 ; E. GAILLARD,op. cit., p. 719), le tribunal arbitral avait distingué deux niveaux.

116. Au premier niveau le contrat de concession de gestion et de traitement de l'eau, entre la province argentine deTucumán et Vivendi, comportait une clause qui donnait une compétence exclusive aux tribunaux administratifs de la provincede Tucumán. Au deuxième niveau, l'article 8 du TBI entre la France et l'Argentine prévoyait la possibilité pour l'investisseurde saisir le CIRDI.

117. Le tribunal arbitral adopta une position restrictive concernant sa compétence : il s'est reconnu compétent pour tout cequi concerne les violations éventuelles du traité de protection entre la France et l'Argentine, mais renvoya aux tribunauxadministratifs prévus par le contrat pour tout ce qui concerne les problèmes d'interprétation et d'exécution du contrat. C'estseulement si l'investisseur souffrait d'un déni de justice devant ces tribunaux étatiques que le tribunal CIRDI seraitcompétent pour traiter aussi des questions contractuelles (Sent. préc., § 80).

118. La sentence a fait l'objet d'une demande en annulation devant un comité ad hoc sur le fondement de l'article 52 de laConvention de Washington. Parmi les griefs invoqués, certains portaient spécifiquement sur le refus du tribunal arbitral dese reconnaître compétent pour statuer sur des questions liées à l'exécution du contrat. Les réponses données par le comitéad hoc sonnent comme autant de correctifs à la sentence arbitrale. Contrairement à celle-ci, le comité ad hoc, s'appuyant enparticulier sur la sentence Salini contre Maroc (supra, no 61) et sur des sentences hors CIRDI, délimite soigneusement le

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domaine couvert par le contrat et les juridictions internes, et celui couvert par le traité de protection et les juridictionsCIRDI, chacun de ces domaines pouvant se recouvrir mais devant donner lieu à un traitement spécifique.

119. C'est ainsi que le comité ad hoc souligne : « La qualification du fait de l'État comme internationalement illicite relève dudroit international. Une telle qualification n'est pas affectée par la qualification du même fait comme licite en droit interne »(§ 95). « Conformément à ce principe général [qui reflète sans doute le droit international général], la détermination del'existence d'une violation du BIT [TBI] et celle d'un manquement au contrat sont deux questions distinctes. Chacune d'ellessera déterminée par application du droit qui lui est applicable - dans le cas du BIT [TBI], le droit international ; dans le casdu contrat de concession, le droit applicable au contrat […] » (DCAH, 3 juill. 2002, aff. no ARB/97/3, § 96 ; E. GAILLARD, op.cit., p. 744). Ce à quoi le comité ad hoc ajoute encore « qu'[un] État ne peut s'abriter derrière une clause attributive decompétence exclusive d'un contrat pour éviter la qualification de son comportement comme internationalement illicite enapplication du traité » (§ 103 ; E. GAILLARD, op. cit., p. 747).

120. Le comité en conclut que le tribunal arbitral « a manifestement excédé ses pouvoirs en n'examinant pas au fond lesdemandes concernant les actes des autorités de la province de Tucumán en vertu du BIT [TBI], et sa décision est annuléepour ce qui les concerne » (DCAH préc., § 119, c ; E. GAILLARD, op. cit., p. 751).

121. La question des treaty claims et des contract claims a continué d'être régulièrement posée devant les juridictions duCIRDI (C. CRÉPET, article préc., Cah. arb. 2004/2, 2 e partie, p. 23). La question se complique souvent du fait de l'existenced'une clause de choix définitif dans les contrats (clause dite fork in the road) ou d'une clause de respect des engagements(umbrella clause, V. infra, nos 125 s.). Ce qui semble acquis, cependant et au-delà des complexités qui s'attachent àchacune des affaires, est qu'il existe bien, selon cette jurisprudence, deux types de fondement dans le contentieux desinvestissements : certaines actions sont fondées sur la violation alléguée d'un contrat et les autres sur la violation alléguéed'un traité de protection de l'investissement. De sorte que, s'il existe à un moment donné un recours devant des juridictionsinternes de l'État, « cela n'empêche pas de soumettre à l'arbitrage [CIRDI] les réclamations fondées sur le Traité [deprotection] » (DC 17 juill. 2003, CMS c/ Argentine [supra, no 53], § 80 ; E. GAILLARD, op. cit., p. 807).

122. Cependant des voix s'élèvent en doctrine pour dénoncer le caractère « artificiel » de la distinction et, parmi elles,I. FADLALLAH (La distinction treaty claims/contract claims et la compétence de l'arbitre [CIRDI : faisons-nous fausse route ?],Cah. arb. 2004/2, 2e partie, p. 3) et aussi P. MAYER ( Contract claims et clauses juridictionnelles des traités relatifs à laprotection des investissements, JDI 2009. 71).

123. Ces auteurs, se plaçant du point de vue de l'arbitre international, critiquent le dépeçage « artificiel » d'un litige enfonction de la demande selon qu'elle est fondée sur un contrat ou sur un traité. Pour I. FADLALLAH : « Dès lors que le BIT[TBI] permet le recours à l'arbitrage CIRDI pour les litiges relatifs aux investissements, la compétence des arbitres s'étend àtous ces litiges. Il n'existe pas de principe de division du travail entre l'arbitre CIRDI [gardien du respect du droitinternational] et l'arbitre du contrat à qui serait dévolue la tâche moins noble de vérification de la bonne exécution descontrats » (article préc., Cah. arb. 2004/2, 2e partie, p. 6).

124. À cela, l'auteur ajoute que la tendance jurisprudentielle qui se dégage dans les sentences CIRDI est que seules desviolations importantes d'obligations substantielles d'un contrat sont susceptibles d'être considérées comme aboutissant àune violation du traitement juste et équitable, et donc portées au niveau du droit international (article préc., loc. cit.). Onnotera qu'on retrouve ici, paradoxalement, la vieille règle du droit international général selon laquelle une violation d'uncontrat par un État n'engage pas sa responsabilité, sauf si elle constitue en même temps un délit international. Dans lanouvelle version de cette règle, le délit international serait constitué par la violation du traité de protection (V. aussiY. NOUVEL, La compétence matérielle : contrat, traité et clauses parapluie, in La procédure arbitrale…, colloque préc.).

§ 2 - Extension de la compétence ratione materiae par une clause de respect des engagements (umbrella clause)

125. Il est courant, dans les traités de protection, de trouver une clause rédigée plus ou moins de la façon suivante,l'exemple donné ici étant pris dans le TBI entre la Suisse et le Pakistan du 11 juillet 1995 (art. 11) : « Chacune des Partiescontractantes assure à tout moment le respect des engagements assumés par elle à l'égard des investissements desinvestisseurs de l'autre Partie contractante ». Ou encore, pour citer un traité multilatéral, l'article 10, 1, dernière phrase, duTraité sur la Charte de l'énergie (supra, no 38) : « Chaque partie contractante respecte les obligations qu'elle a contractéesvis-à-vis d'un investisseur ou à l'égard des investissements d'un investisseur d'une autre partie contractante ».

1 2 6 . On désigne les traités qui comportent de telles clauses de « traités de couverture », ou en anglais umbrellaagreements, et ces clauses sont appelées umbrella clauses ou, en français, clauses de respect des engagements (W. BENHAMIDA, La clause relative au respect des engagements, in C. LEBEN [sous la dir. de], Le contentieux arbitral transnationalrelatif à l'investissement, Louvain, Paris, 2006, Anthemis, LGDJ, p. 53 ; Y. NOUVEL, article préc., in La procédure arbitrale…,colloque préc.). Grâce à la clause de respect des engagements, les obligations contractuelles énoncées dans le contratentre l'État d'accueil et l'investisseur seraient métamorphosées en obligations conventionnelles internationales.

127 . Le consentement donné par l'État à la présence d'une telle clause dans un traité de protection vaudrait doncconsentement à la compétence du tribunal arbitral prévu par ce traité, pour toutes les questions contractuellesd'interprétation et d'exécution, même si le contrat prévoit un règlement des différends contractuels par les tribunaux del'État d'accueil ou par des arbitrages locaux avec application du droit interne.

1 2 8 . Une telle analyse peut se réclamer d'une doctrine éminente. C'est ainsi, par exemple, que P. WEIL écrit :« L'intervention du traité de couverture transforme les obligations contractuelles en obligations internationales et assureainsi, comme on l'a dit, “l'intangibilité du contrat sous peine de violer le traité” ; toute inexécution du contrat, serait-elle

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même régulière au regard du droit interne de l'État contractant, engage dès lors la responsabilité internationale de cedernier envers l'État national du cocontractant » (Problèmes relatifs aux contrats passés entre un État et un particulier, Rec.cours La Haye t. 128, 1969, p. 130).

129. C'était là également l'avis de F.A. MANN (British Treaties for the Promotion and Protection of Investments, BYBIL 1981.246, implicitement), de l'ancien conseiller juridique de la BIRD (I. SHIHATA, Applicable Law in International Arbitration : SpecificAspects in the Case of the Involvement of State Parties, dans The World Bank in a Changing World, vol. 2, 1995, p. 595) etd'E. GAILLARD (op. cit., p. 832 et 900 ; et, ultérieurement, sa critique acérée sur DC 27 avr. 2006, aff. n o ARB/03/15, El PasoEnergy International Company c/ République argentine, JDI 2007. 288 s. ; A. NEWCOMBE, article préc. [supra, no 108],p. 489). Il existe cependant une doctrine défavorable à ce mécanisme d'internationalisation des obligations contractuellespar la umbrella clause (P. MAYER, La neutralisation du pouvoir normatif de l'État, JDI 1986. 36 ; W. BEN HAMIDA, thèse préc.,p. 579 ; E. TEYNIER, Les umbrella clauses, Cah. arb. 2004/2, 2e partie, p. 29 ; Umbrella clauses : le temps se couvre, Cah.arb. 2006/3, p. 38).

130. Cette question des effets de la clause de respect des engagements insérée dans les traités de protection a donnélieu, depuis 2003, à une dizaine de sentences arbitrales ou de décisions sur la compétence du CIRDI. Cela en fait un dessujets les plus débattus du droit des investissements. Et, en effet, l'examen des affaires depuis cette date montre qu'aucunconsensus jurisprudentiel ne s'est pour l'instant manifesté. On peut distinguer trois courants dans la jurisprudence surcette question.

1 3 1 . En premier lieu, on trouve des arbitres extrêmement réticents à faire produire à la clause de respect desengagements l'effet de transmutation d'obligations contractuelles en obligations conventionnelles de droit international.C'est le cas du tribunal CIRDI dans l'affaire SGS contre Pakistan (DC 6 août 2003, aff. no ARB/01/13 ; E. GAILLARD, op. cit.,p. 815). Le TBI entre la Confédération suisse et la république islamique du Pakistan comportait un article 11 qui prévoyaitque : « Chacune des Parties contractantes assure à tout moment le respect des engagements assumés par elle à l'égarddes investissements des investisseurs de l'autre Partie contractante ».

132. Alors que la société suisse invoquait cet article pour internationaliser les obligations contractuelles du Pakistan, letribunal se refusa à suivre l'investisseur dans son interprétation donnée à la clause de respect des engagements. Et, eneffet, selon lui, « les conséquences juridiques que la demanderesse nous demande de faire produire à l'article 11 du BIT[TBI] sont d'une portée tellement large, d'une application tellement automatique, inconditionnelle et radicale, et d'un impactpotentiel si lourd pour une Partie contractante, [que] nous estimons qu'une preuve claire et convaincante doit êtrerapportée par la demanderesse […] que telle était effectivement l'intention partagées par les Parties contractantes auTraité bilatéral de protection des investissements entre la Suisse et le Pakistan en insérant l'article 11 dans le BIT [TBI] »(DC préc., § 167 ; E. GAILLARD, op. cit., p. 820).

1 3 3 . Se rattache également à ce courant restrictif la sentence sur la compétence Joy Mining Machinery Ltd contreRépublique arabe d'Égypte du 26 février 2003 (E. GAILLARD, Chronique des sentences arbitrales, JDI 2005. 174, § 81). Demême encore, la sentence El Paso Energy International Co. contre République argentine (DC 27 avr. 2006, aff.no ARB/03/15, JDI 2007. 279, chron. E. Gaillard) se réclame de la jurisprudence SGS contre Pakistan et, en particulier, del'idée que, si une clause de respect des engagements avait pour effet la transmutation des obligations contractuelles enobligations conventionnelles internationales, il ne serait plus nécessaire d'inclure dans les traités des dispositions préciseset techniques permettant la mise en jeu de la responsabilité internationale de l'État pour, par exemple, violation du« traitement juste et équitable » ou pour ne pas avoir assuré la « pleine protection et sécurité » à l'investisseur. N'importequelle violation du contrat aurait le même effet sans avoir à remplir les conditions strictes attachées d'habitude àl'application des standards de traitement (DC préc., § 76, JDI 2007. 282, chron. E. Gaillard).

134. En deuxième lieu, un autre groupe d'arbitres est prêt à reconnaître l'effet de ces clauses, mais y apporte une conditionqui enlève une bonne partie de leur intérêt. C'est ainsi que, dans l'affaire SGS contre Philippines (DC 29 janv. 2004, supra,no 102 ; E. GAILLARD, op. cit., p. 865), le tribunal arbitral analyse et récuse les arguments invoqués par le tribunal del'affaire SGS contre Pakistan (DC 6 août 2003, supra, no 131, § 120 s. ; E. GAILLARD, op. cit., p. 875). Il conclut, à propos dela clause de respect des engagements contenue dans le TBI Suisse contre Philippines à l'article X, 2, que celui-ci « considèrecomme une violation du traité le fait, pour l'État d'accueil, de ne pas respecter les engagements obligatoires, y compris lesobligations contractuelles qu'il a prises à l'égard d'investissements spécifiques » (DC préc., § 128 ; E. GAILLARD, op. cit.,p. 878).

1 3 5 . On a donc bien ici l'acceptation du mécanisme de transsubstantiation. Mais celui-ci ne s'applique pas à ladétermination des obligations de chacune des parties au regard du contrat. C'est au juge du contrat, éventuellement unjuge interne ou un tribunal arbitral interne, appliquant le droit prévu au contrat, éventuellement un droit interne, querevient la tâche de juger du différend et de statuer sur les obligations de chacun, par exemple prononcer une condamnationaccompagnée du paiement de tel montant de dommages et intérêt. Et c'est seulement ce jugement ou cette sentence quirevêt la qualité d'obligation de droit international au titre de l'article X, 2 du Traité (DC préc., § 128), à condition cependantque ces décisions juridictionnelles ne soient pas rendues dans des conditions telles qu'elles constitueraient un déni dejustice. Sous cette réserve, les parties sont renvoyées à la juridiction prévue par le contrat.

136 . En troisième lieu, par la suite, plusieurs tribunaux CIRDI ont pleinement fait jouer à la clause de respect desengagements l'effet d'élévation des obligations contractuelles au niveau du droit international. C'est le cas de l'affaire NobleVentures contre Roumanie (Sent. 12 oct. 2005, aff. n o ARB/01/11, JDI 2006. 326, chron. E. Gaillard). Les arbitres après avoiranalysé minutieusement les affaires précédentes, et avec un évident souci jurisprudentiel et doctrinal, concluent leurexamen de la façon suivante : « […] deux États peuvent introduire dans un traité bilatéral relatif aux investissements une

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disposition selon laquelle pour satisfaire l'objet et le but du traité, l'État d'accueil peut voir sa responsabilité internationaleengagée sur le fondement d'un manquement contractuel à l'égard d'un investisseur privé de l'autre Partie », et le tribunalsouligne bien que dans ce cas c'est « le manquement contractuel [qui est] ainsi “internationalisé”, c'est-à-dire assimilé àune violation du traité » (Sent. préc., § 54).

137. Dans l'affaire soumise à leur examen, les arbitres ont considéré que les parties « avaient [effectivement] l'intentiond'assimiler les obligations contractuelles régies par le droit interne à des obligations conventionnelles internationalesrésultant du BIT [TBI] » (Sent. préc., § 61). Par conséquent, le Tribunal a décidé de statuer « à partir de l'hypothèse quetout manquement [contractuel] constitue une violation du BIT [TBI] » (Sent. préc., § 62 ; V. aussi, dans le même sens, Sent.hors CIRDI 19 août 2005, rendue par le Tribunal ad hoc CNUDCI Eureko c/ Pologne, JDI 2006. 343 ; 11 mai 2005, aff.no ARB/02/16, Sempra c/ Argentine, § 101 ; décision de principe sur la responsabilité 3 oct. 2006, aff. no ARB/02/1, LG&EEnergy Corp et alii c/ République argentine, § 175, JDI 2007. 319, chron. E. Gaillard).

138. On constate, en fin de compte que la jurisprudence n'est pas encore établie de façon homogène sur cette question quivoit s'affronter des sensibilités différentes en jurisprudence et en doctrine, s'agissant des effets plus ou moins importantsde la clause (et de l'engagement de l'État). On notera que le Traité sur la Charte de l'énergie (supra, no 38) envisageexpressément, dans son article 10, la transformation possible des obligations contractuelles en obligations conventionnellesinternationales.

§ 3 - Jeu de la clause de la nation la plus favorisée

139. La plupart des traités de protection des investissements comportent une clause de la nation la plus favorisée (ci-aprèsclause NPF) qui vise à étendre au traitement des ressortissants d'un État partie à un traité les avantages accordés auxressortissants d'un autre traité de protection conclu avec un autre État partie. Plusieurs affaires ont porté sur lefonctionnement de la clause en ce qui concerne les avantages substantiels contenus dans les TBI : traitement national,traitement juste et équitable, conditions d'expropriation, etc. (C. CRÉPET, de la nation la plus favorisée, Cah. arb. 2004/2,2e partie, p. 36, avec les affaires suivantes : Sent. 29 mai 2003, aff. no ARB(AF)00/2 [mécanisme supplémentaire], Tecmedc/ États-Unis du Mexique ; DC 16 juill. 2001, aff. no ARB/00/6, Consortium RFCC c/ Maroc ; DC 3 août 2004, aff. no ARB/02/8,Siemens A.G. c/ République argentine ; Sent. 25 mai 2004, aff. no ARB/01/7, MTD Equity et alii c/ Chili).

140 . La question qui s'est posée à un moment donné a été de savoir si la clause NPF s'appliquait également auxprocédures de règlement des différends prévues dans les traités de protection des investissements. Autrement dit, est-ilpossible de considérer que tel traité qui comporte une clause de règlement des différends avec un arbitrage obligatoire,mais dans des conditions restrictives, pourrait néanmoins bénéficier, par le jeu de la clause NPF contenue dans ce mêmetraité, de conditions plus favorables existant dans un autre traité (pour une étude approfondie de la question : C. CRÉPET-DAIGREMONT, La clause de la nation la plus favorisée, thèse, Panthéon-Assas, 2009).

141. Une telle opération semblait impossible du fait de la règle coutumière ancienne dite de l'ejusdem generis, réaffirmée,en particulier, par la Cour internationale de justice dans l'affaire de l'Anglo-iranian Oil Co. (CIJ 22 juill. 1952, Royaume-Unic/ Iran, Rec. CIJ, p. 109). Selon cette règle, le mécanisme de la clause NPF ne pouvait jouer qu'entre deux traités de mêmenature et des dispositions elles-mêmes de même nature (V. affaire Siemens c/ République argentine [ supra, no 139], JDI2005. 142 et 160, chron. E. Gaillard).

142. Cependant, d'une façon remarquable, qui a été critiquée par une partie de la doctrine, il a été admis dans plusieursdécisions sur la compétence que les modalités plus favorables de recours à l'arbitrage pouvaient être importées d'un traitéà l'autre. Dans la première affaire du genre (DC 25 janv. 2000, aff. n o ARB/97/7, Maffezini c/ Espagne, ICSID Rev. 2001. 212,JDI 2005. 161, chron. E. Gaillard), l'investisseur argentin obtint des arbitres, sous certaines conditions, de pouvoir bénéficierde la clause de règlement des différends du TBI entre l'Espagne et le Chili (qui prévoyait un délai de saisine de six mois) à laplace de celle insérée dans le TBI entre l'Espagne et l'Argentine (pour lequel le délai était de dix-huit mois ; E. GAILLARD,Chronique des sentences arbitrales, JDI 2007. 313 ; J. KURTZ, The Delicate Extension of MFN Treatment to Foreign Investors :Maffezini vs Kingdom of Spain, dans T. WEILER, op. cit., p. 523).

143. Bien que critiquée par une partie de la doctrine, cette solution a été adoptée dans plusieurs décisions (comme, parexemple, Siemens AG c/ République argentine [supra, no 139] ; DC 17 juin 2005, aff. no ARB/03/10, Gas Natural SDG SAc/ République argentine ; DC 16 mai 2006, aff. no ARB/03/10, Suez, and Sociedad General de Aguas de Barcelona SA et aliic/ République argentine ; Sent. CNUDCI, DC 20 juin 2006, National Grid c/ République argentine). La raison principale decette jurisprudence a été énoncée dès la décision Mafezzini contre Espagne dans les termes suivants : « […] il y a debonnes raisons de conclure qu'aujourd'hui les accords sur le règlement des différends sont liés de façon inextricable à laprotection des investisseurs […]. L'arbitrage international et les autres accords sur le règlement des différends […] sontessentiels […] à la protection des droits énoncés dans les traités pertinents » (DC 25 janv. 2000, § 54, ICSID Rev.2000. 20).

144. Autrement dit, pour ces tribunaux arbitraux, la clause de règlement des différends n'est plus aujourd'hui une clauseprocédurale, mais bien une clause substantielle qui garantit l'efficacité de toutes les autres clauses substantielles.Cependant, d'autres tribunaux continuent à traiter cette clause comme une clause procédurale insusceptible d'être« aspirée » par le mécanisme de la clause NPF (DC 8 févr. 2005, Plama Consortium Ltd c/ république de Bulgarie, JDI 2006.251, chron. E. Gaillard ; SC [sentence sur la compétence, quand celle-ci est acceptée] 13 sept. 2006, aff. no ARB/04/15,Telenor Mobile Communication AS c/ république de Hongrie, JDI 2007. 298, obs. E. Gaillard ; W. BEN HAMIDA, La clause de lanation la plus favorisée : le show continue, Cah. arb. 2008/4, p. 29 s.).

145. On est donc en présence, ici encore, d'une opposition jurisprudentielle et doctrinale sur un point essentiel du droit de

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l'arbitrage CIRDI. D'un côté, les arbitres des sentences Plama et Telenor ainsi que B. STERN (ICSID Arbitration and the State'sIncreasingly Remote Consent : A propos the Maffezini Case, dans S. CHARNOVITTZ, D.P. STEGER & P. VAN den BOSSCHE [sousla dir. de], Law in The Service of Human Dignity. Essays in Honour of Florentino Feliciano, Cambridge, 2005, CambridgeUniversity Press, p. 246) et de l'autre (mais souvent avec prudence) E. GAILLARD (International Arbitration Law : EstablishingJurisdiction Through a Most-Favored-Nation Clause, New York Law Journal 2 juin 2005, p. 3), C. CRÉPET (Traitement national ettraitement de la nation la plus favorisée dans la jurisprudence arbitrale récente, in C. LEBEN [sous la dir. de], Le contentieuxarbitral…, op. cit., p. 107), W. BEN HAMIDA (Clause de la nation la plus favorisée et mécanique de règlement des différends :que dit l'histoire ?, JDI 2007. 1127), J. CAZALA (Clauses de la nation la plus favorisée, Cah. arb. 2007/4, p. 39), N. RUBINS(MFN Clauses. Procedural Rights and Return to the Treaty Text, dans T. J. GRIERSON & T. WEILER, Investment Treaty Arbitrationand International Law, New York, 2008, Huntington, p. 213).

Chapitre 2 - Litige devant les tribunaux CIRDI

146. Le CIRDI offre, comme tous les grands centres d'arbitrage (la Cour d'arbitrage de la CCI, l'Institut d'arbitrage de laChambre de commerce de Stockholm, la Cour permanente d'arbitrage, etc.), une réglementation détaillée de la procédurequi permet aux parties de faire régler leur différend de la façon la plus efficace et par les arbitres les plus qualifiés. Parrapport aux autres centres d'arbitrage, celui du CIRDI est spécialement conçu pour les litiges relatifs aux investissementsdans lesquels des États sont parties prenantes. Il est aussi un des rares centres d'arbitrage permanents créé par un traitéinternational, ce qui le situe clairement dans l'ordre juridique international et qui annonce dès le départ le tropisme enversle droit international public, qui marque de plus en plus la jurisprudence de ses tribunaux arbitraux.

1 4 7 . On étudiera ici les différentes étapes de la procédure arbitrale telle qu'elle est réglée par la Convention deWashington et le Règlement de procédure relatif à l'introduction des instances de conciliation et d'arbitrage (ci-aprèsRèglement d'introduction des instances) ainsi que par le Règlement de procédure relatif aux instances d'arbitrage (ci-aprèsRèglement d'arbitrage). Ces règlements ainsi que le Règlement administratif et financier ont été amendés en 2006 et sontentrés en vigueur le 10 avril 2006 (JDI 2007. 368, textes disponibles sur le site du CIRDI). Après avoir examiné lesquestions de recevabilité (V. infra, nos 148 s.), on abordera la demande d'arbitrage (V. infra, nos 168 s.).

Section 1 - Questions de recevabilité

148. Avant d'examiner les conditions qui régissent la requête d'arbitrage (V. infra, nos 168 s.), il faut dire un mot desconditions préalables (V. infra, nos 149 s.) qui, dans certains cas, doivent être respectées avant que l'une des parties, enfait presque toujours l'investisseur (mais V. infra, no 172), puisse saisir le Centre d'une demande d'arbitrage.

Art. 1 - Négociations préalables et épuisement des voies de recours internes

149. Il est courant de rencontrer dans les traités de protection des dispositions prévoyant une période de négociationentre les parties avant que la saisine du CIRDI soit possible (V., pour ne citer qu'un seul exemple, TBI entre la France etl'Argentine du 3 juill. 1991, JO 5 juin, art. 8 : « 1. Tout différend relatif aux investissements […] entre l'une des Partiescontractantes et un investisseur de l'autre Partie contractante, est autant que possible réglé à l'amiable entre les deuxparties concernées. 2. Si le différend n'a pu être réglé dans un délai de six mois à partir du moment où il a été soulevé parl'une ou l'autre des Parties concernées, il est soumis… [suivent différents types de règlement judiciaire ou arbitral] ».

1 5 0 . S'agissant de l'épuisement des voies de recours internes, c'est là la condition nécessaire posée par le droitinternational coutumier, lorsqu'un État désire exercer sa protection diplomatique à l'égard d'un de ses ressortissants. Undes apports les plus importants de la Convention de Washington est qu'elle permet la saisine d'un tribunal arbitral parl'investisseur sans que celui-ci soit obligé d'épuiser les voies de recours internes. C'est du moins ce qui se passe dans unegrande majorité de cas. La convention, cependant, n'exclut pas la possibilité, pour un État, de maintenir cette condition.L'article 26 énonce en effet : « [c]omme condition à son consentement à l'arbitrage dans le cadre de la présenteConvention, un État contractant peut exiger que les recours administratifs ou judiciaires internes soient épuisés » (V., surtoute cette question, C.H. SCHREUER & alii, op. cit., p. 402, § 187 ; W. BEN HAMIDA, thèse préc., p. 114 ; S. MANCIAUX, op.cit., p. 565 ; V. aussi I. FADLALLAH, article préc., Cah. arb. 2004/2, 2e partie, p. 3, note 19 ; E. GAILLARD, op. cit., p. 666).

151. Un très petit nombre de clauses de ce type ont été formulées dans les adhésions des États à la Convention deWashington (C.H. SCHREUER & alii, op. cit., p. 404, § 195, qui cite Israël de 1983 à 1991, le Costa Rica et le Guatemala).L'État peut aussi faire inscrire cette condition dans une clause compromissoire d'un contrat, ou dans sa législation nationalesur les investissements étrangers ou encore dans un traité de protection de l'investissement, mais là aussi la pratique estpeu abondante (V. les exemples donnés par C.H. SCHREUER & alii, op. cit., p. 405, § 199).

152. On notera que l'article 27, qui interdit l'exercice de la protection diplomatique dans le cas d'un différend qui est visépar la Convention de Washington, énonce, dans son alinéa 1er dernière phrase, que cette interdiction est levée si « l'autreÉtat contractant ne se conforme pas à la sentence rendue à l'occasion du différend ». Dans cette hypothèse, on serait eneffet en présence d'un différend entre les deux États parties à la Convention qui pourrait alors être porté, selon l'article 64,devant la CIJ à la demande de toute partie au différend.

153. Il résulte de l'article 26 que, en dehors du cas où un État émet cette condition à son consentement à l'arbitrage CIRDI,l'investisseur peut saisir directement le Centre de son différend avec l'État d'accueil. Une jurisprudence ultérieure,cependant, a semblé réintroduire une obligation d'épuisement des voies de recours internes dans un cas de déni de justicede la part d'une juridiction interne. Dans l'affaire Loewen contre États-Unis (DC 9 janv. 2001, aff. n o ARB(AF)98/3[mécanisme supplémentaire], et Sent. 26 juin 2003 [supra, no 28] ; E. GAILLARD, op. cit., respectivement p. 648 et p. 775),un investisseur canadien (Loewen) avait été condamné de façon tellement inéquitable par une juridiction de l'État duMississippi que le tribunal CIRDI, saisi par la suite, qualifia le jugement de « clairement inapproprié et déshonorant » (Sent.

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préc., § 137, E. GAILLARD, op. cit., p. 778).

154. Les arbitres CIRDI jugèrent néanmoins le recours irrecevable, du fait que l'investisseur canadien disposait de voies derecours au sein de l'ordre juridique américain lui permettant de mettre fin au véritable déni de justice commis par le premierjuge (Sent. préc., § 217, E. GAILLARD, op. cit., p. 784 ; V. plus généralement J. PAULSSON, Denial of Justice in InternationalLaw, Cambridge, 2005, Cambridge University Press ; T. PORTWOOD et L.C. DELANOY, La responsabilité de l'État pour dénide justice, Rev. arb. 2005. 603). Les États-Unis ont défendu cette jurisprudence, en soutenant qu'il ne s'agissait pas danscette affaire d'une obligation d'épuisement des voies de recours internes, mais d'une question de responsabilitéinternationale de l'État pour un déni de justice commis par une de ses juridictions. Dans ce cas, et sur la base du droitinternational coutumier de la responsabilité de l'État pour fait internationalement illicite, l'État ne peut assumer uneresponsabilité en raison de la déficience de ses juridictions que si les moyens de redresser le jugement fautif n'existent pasou s'ils ne peuvent être mis en oeuvre pratiquement (E. GAILLARD, op. cit., p. 791).

155. La sentence Loewen (supra, nos 28 et 153) a été très largement critiquée (V. les observations de E. GAILLARD, op.cit., p. 786 ; S. MANCIAUX, op. cit., p. 564 ; Don WALLACE Jr, Fair and Equitable Treatment and Denial of Justice, dansT. WEILER, op. cit., p. 669). Dans la pratique actuelle, où la plupart des recours se font sur la base d'un traité de protectiondes investissements, c'est celui-ci qu'il faudra consulter pour savoir ce qu'il en est de la question de l'épuisement des voiesde recours internes. Certains traités l'imposent (W. BEN HAMIDA, thèse préc., p. 116, citant les TBI conclus par laRoumanie ; L. REED, & alii,op. cit., p. 57). D'autres mettent une limite temporelle à l'épuisement des voies de recoursinternes afin de ne pas enfermer l'investisseur dans des procédures qui peuvent parfois dépasser une décennie (V. parexemple, Traité conclu entre le Maroc et la France en 1977, art. 19 ; W. BEN HAMIDA, thèse préc., p. 117).

156 . D'autres traités prévoient expressément que la saisine du tribunal arbitral peut se faire sans avoir recours aupréalable aux juridictions internes (V. le traité de l'Union belgo-luxembourgeoise avec le Cameroun, W. BEN HAMIDA, thèsepréc., p. 117). L'hypothèse qui pose problème est celle où le traité ne dit rien. Dans ce cas, et si l'on se trouve devant untribunal CIRDI, celui-ci est juge de la recevabilité de l'affaire portée devant lui en fonction du traité d'investissement et de laConvention de Washington. Si le premier ne dit rien, la seconde énonce dans son article 26 que « le consentement desparties à l'arbitrage dans le cadre de la présente convention est, sauf stipulation contraire, considéré comme impliquantrenonciation à l'exercice de tout autre recours ».

157. Si, donc, la partie étatique veut que ses voies de recours internes soient au préalable épuisées, elle doit ou bienl'indiquer explicitement au moment où elle adhère au traité de Washington (ou même plus tard) ou le faire inscrire dans lestraités de protection qu'elle conclut. Sinon, il faut présumer, et c'est la tendance générale depuis une vingtaine d'années,qu'elle a accepté la saisine directe du tribunal arbitral.

Art. 2 - Clauses de règlement judiciaire étatique préalable et clause d'option irrévocable (clause electa una v ia)

158. Deux types de dispositions peuvent encore faire obstacle à la recevabilité d'une demande d'arbitrage, aussi biendevant un tribunal CIRDI que devant un autre tribunal arbitral. Il s'agit tout d'abord de la clause dite d'option définitive ouirrévocable (ou clause fork in the road,supra, no 121, ou encore clause electa una via), qui met l'investisseur devant unchoix : entamer une procédure devant un tribunal national, et dans ce cas renoncer à toute action devant le tribunal arbitralinternational, ou, au contraire, saisir celui-ci et renoncer à une action devant un tribunal interne (sur cette question :E. GAILLARD, op. cit., p. 860 ; C. SANTULLI, Recevabilité de l'action arbitrale conventionnelle : clause electa una via et clausede règlement judiciaire national préalable, in La procédure arbitrale…, colloque préc. ; W. BEN HAMIDA, thèse préc., p. 374 ;A. NEWCOMBE, article préc. [supra, no 108], p. 498).

159. On ne citera qu'un seul exemple de ce type de clause, celle contenue dans le traité du 3 juillet 1991 entre la France etl'Argentine (JO 5 juin 1993 p. 8164, supra, no 149). L'article 8, paragraphe 2, du TBI énonce : « Si le différend n'a pu êtreréglé dans un délai de six mois […] il est soumis à la demande de l'investisseur soit aux juridictions nationales de la Partiecontractante impliquée dans le différend, soit à l'arbitrage international […] Une fois qu'un investisseur a soumis le différendsoit aux juridictions de la Partie concernée, soit à l'arbitrage international, le choix de l'une ou l'autre de ces procéduresreste définitif ».

160. Cette clause peut jouer, par exemple, dans l'hypothèse où un investisseur souhaite saisir un tribunal interne alorsqu'il a déjà engagé une procédure devant un arbitre international. Dans ce cas, il faut d'abord déterminer si toutes les voiesinternes lui sont encore ouvertes. L'article 1121, 1, b de l'ALÉNA ( supra, no 6), par exemple, n'autorise la saisine d'untribunal arbitral international que si « […] l'investisseur et l'entreprise renoncent à leur droit d'engager ou de poursuivre,devant tout tribunal administratif ou juridiction constitués conformément au droit d'une Partie ou en application de toutesautres procédures de règlement des différends, toute procédure se rapportant à la mesure prise par la Partie contestanteet qui est présentée comme constituant un manquement visé à l'article 1116 ».

161. On considère en général, cependant, que l'investisseur conserve la possibilité de saisir le tribunal interne pour obtenirdes mesures provisoires. L'article 1121 de l'ALÉNA cite, comme faisant exception aux effets du renoncement au juge interne,les procédures d'injonction, les procédures déclaratoires ou d'autres recours extraordinaires. De même, l'investisseur peutparaître devant ce tribunal pour éviter des conséquences juridiques fâcheuses qu'entraînerait son absence.

162 . Inversement, l'investisseur peut saisir un tribunal arbitral alors qu'une action est en cours devant les tribunauxnationaux et que l'État d'accueil fait valoir que l'option a été exercée en faveur des tribunaux internes. Dans tous les cas, laclause d'option définitive ne peut jouer que si l'affaire portée devant une des catégories de tribunaux est exactement lamême du point de vue des faits évoqués, des parties en litige et du point de vue du fondement juridique invoqué (Sent.

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CNUDCI 3 sept. 2001, Lauder c/ République tchèque [supra, no 106] ; W. BEN HAMIDA, thèse préc., p. 374 ; autreexemple : Sent. 25 juin 2001, aff. no ARB/99/2, Genin c/ Estonie). Tout particulièrement, si le juge interne est saisi du litigecontractuel entre l'État et l'investisseur, celui-ci conserve la capacité de saisir le CIRDI du litige - en principe distinct - quil'oppose à l'État quant au manquement dont serait coupable celui-ci à l'égard du traité de protection le liant à l'Étatd'origine de l'investisseur (Sent. 21 nov. 2000, DCAH 3 juill. 2002, Vivendi c/ République argentine, supra, no 16).

Art. 3 - Existence dans le contrat et le traité de clauses d'option contradictoires

163. Un des points les plus délicats, dans la mise en oeuvre du mécanisme d'arbitrage de la Convention de Washington,concerne l'incompatibilité possible entre des clauses de règlement des différends présentes dans les contratsd'investissement et celles insérées dans les traités de protection de cet investissement. Cette question s'est posée dansplusieurs affaires et n'a pas encore abouti à une jurisprudence tout à fait cohérente.

164. Dans l'affaire Vivendi contre Argentine (supra, nos 16, 115 et 162), le contrat de concession, signé avec la provinceargentine du Tucumán, disposait dans son article 16.4 que la résolution des litiges contractuels serait soumise à lacompétence exclusive des juridictions administratives de la province de Tucumán (E. GAILLARD, op. cit., p. 721). La partiefrançaise, cependant, ne saisit pas ces juridictions, mais le CIRDI sur le fondement de l'article 8 du TBI entre la France etl'Argentine du 3 juillet 1991 (supra, no 149). Cet article énonce que tout différend relatif aux investissements entre unePartie contractante et un investisseur d'une autre Partie contractante qui n'a pu être réglé à l'amiable dans un délai de sixmois peut être soumis à la demande de l'investisseur soit aux juridictions nationales de la Partie contractante impliquéedans le différend soit à un arbitrage en vertu de la Convention CIRDI ou encore à un tribunal ad hoc.

165. Le tribunal CIRDI formé à la suite de la demande de la société Vivendi, après avoir constaté que tous les actesreprochés à la province du Tucumán étaient nés de différends portant sur l'exécution par celle-ci de ses obligationscontractuelles, en conclut que « les demanderesses [les sociétés françaises] auraient dû d'abord contester les actions desautorités de la province du Tucumán devant ses juridictions administratives » et que c'est seulement dans un cas de dénide justice procédural ou matériel que les investisseurs auraient pu se prévaloir du traité de protection (DC, § 33 ; Sent.préc., § 33 ; E. GAILLARD, op. cit., p. 729).

166. Les sociétés françaises demandèrent l'annulation de cette sentence, sur le fondement de l'article 52 de la Conventionde Washington, pour excès de pouvoir manifeste du fait que le tribunal arbitral n'avait pas examiné les actes des autoritésde Tucumán au regard du traité bilatéral entre la France et l'Argentine. Le comité ad hoc affirma que la violation du traitédevait être distinguée de la violation du contrat, que les deux violations pouvaient aller de pair ou être distinctes (DCAH3 juill. 2002, § 95, E. GAILLARD, op. cit., p. 744). Il introduisit alors la notion de « fondement essentiel de la demande »d'une partie, et présenta l'analyse suivante : « Dans une affaire dans laquelle le fondement essentiel d'une action devantun tribunal international est la violation d'un contrat, le tribunal donnera effet à toute clause de juridiction valable ducontrat » (§ 98). Mais, en revanche, si « le fondement essentiel de la demande est un traité qui énonce une règle autonomeà l'égard de laquelle le comportement des parties doit être apprécié, l'existence d'une clause attributive de compétenceexclusive dans un contrat entre le demandeur et l'État défendeur ou l'une de ses collectivités publiques ne peut avoir poureffet d'empêcher l'application d'une règle du traité » (§ 101).

167. Le Comité ad hoc en conclut que le tribunal avait effectivement « excédé ses pouvoirs en n'examinant pas au fond lesactes des autorités de la province de Tucumán en vertu du TBI et sa décision est annulée en ce qui les concerne » (DCAH,§ 119 ; E. GAILLARD, op. cit., p. 751).

Section 2 - Demande d'arbitrage

168. Les règles procédurales de l'arbitrage CIRDI sont énoncées dans trois textes : la Convention de Washington, auxarticles 36 à 63, le Règlement d'introduction des instances et le Règlement d'arbitrage. À cela, il faut ajouter le Règlementdu mécanisme supplémentaire (V., sur tous ces points, C.H. SCHREUER & alii, op. cit., p. 455 ; L. REED, & alii,op. cit., p. 74).

Art. 1 - Saisine du centre

169. Il faut distinguer selon que le CIRDI est saisi d'une requête sur le fondement de la Convention de Washington(V. infra, nos 170 s.) ou sur le fondement du Règlement du mécanisme supplémentaire (V. infra, no 178).

§ 1 - Saisine sur le fondement de la Convention de Washington

170. L'article 36, 1 de la Convention énonce : « Un État contractant ou le ressortissant d'un État contractant qui désireentamer une procédure d'arbitrage doit adresser par écrit une requête à cet effet au secrétaire général, lequel en envoiecopie à l'autre partie ».

171. L'article 1er du Règlement d'introduction des instances ajoute que la requête doit indiquer s'il s'agit d'une demande deconciliation ou d'arbitrage. Cette requête doit aussi être rédigée dans une des langues officielles du Centre : l'anglais, lefrançais ou l'espagnol.

172. Les deux parties, dans un litige portant sur le contrat, peuvent saisir le Centre, mais dans la très grande majorité descas la saisine est l'oeuvre de l'investisseur (C.H. SCHREUER & alii, op. cit., p. 458, no 8, qui citent deux affaires où c'est l'Étatou une émanation [agency] de l'État d'accueil qui a effectué la saisine : ord. 27 févr. 1978, aff. n o ARB/76/1, Gabon c/ StéSerete SA ; Sent. 12 juill. 2001 ; aff. no ARB/98/8, Tanzania Electric Supply Co. Ltd c/ IPTL ; ainsi qu'une affaire où c'est unecollectivité territoriale qui a saisi le CIRDI d'un litige contractuel avec un investisseur : aff. no ARB/07/3, Government of theProvince of East Kalimantan [Indonésie] c/ PT Kaltim Prima Coal and others).

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173. Dans le cas d'un litige portant sur le respect d'un traité de protection c'est, comme on l'a vu, l'investisseur qui, ensaisissant le CIRDI, se saisit également de l'offre d'arbitrage de l'État et fonde ainsi la compétence du centre d'arbitrage.

174. La demande d'arbitrage (ou la requête, les textes emploient les deux expressions) doit comporter un certain nombrede précisions permettant d'identifier exactement les parties et leur litige (V. le long article 2 du Règlement d'introduction desinstances qui vient élargir à cet égard ce que prévoit l'article 36, 2 de la Convention de Washington).

175. La requête est envoyée au secrétaire général accompagnée de cinq copies supplémentaires (art. 4). Le secrétairegénéral doit en accuser réception dès qu'elle lui parvient. Une fois le droit pour le dépôt de la requête acquitté, le secrétairegénéral transmet une copie de la requête et des documents s'y rapportant à l'autre partie (art. 5).

176. Intervient alors une étape cruciale : l'enregistrement par le secrétaire général de la requête qui est la reconnaissanceofficielle de l'existence du différend et sa réception dans le mécanisme de règlement des différends du CIRDI. C'est ainsique « toute instance […] est réputée avoir été introduite à la date à laquelle la requête a été enregistrée » (art. 6, 2).Néanmoins, le secrétaire général joue un rôle de filtrage minimal dans la procédure d'enregistrement. Il peut refuserd'enregistrer la demande d'arbitrage et doit avertir les parties des raisons de son refus, « s'il estime au vu des informationscontenues dans la requête que le différend excède manifestement la compétence du Centre » (art. 6, 1, b). Les raisonspeuvent en être que, au vu des documents fournis, l'État partie au litige n'a pas adhéré à la Convention de Washington ouque l'investisseur n'a pas la nationalité d'un État contractant, ou qu'il n'y a pas d'accord écrit pour aller à l'arbitrage, ou qu'ilne s'agit pas de façon évidente d'un investissement comme c'était le cas dans l'affaire Asian Express contre GreaterColombo Economic Commission, en 1985, où il s'agissait d'une demande portant sur un contrat de vente (E. GAILLARD, op.cit., p. 478).

177. En cas de doute, le secrétaire général enregistrera la requête en laissant le soin au tribunal arbitral de statuer sur lesquestions de compétence ou de recevabilité. Dans certains cas, la partie requérante pourra être amenée, dans un échangeavec le secrétaire général, à corriger les déficiences techniques de sa requête. Il va de soi que l'enregistrement opéré par lesecrétaire général n'a aucune conséquence sur les décisions à venir du tribunal arbitral dans la suite de la procédure.

§ 2 - Saisine sur le fondement du Règlement du mécanisme supplémentaire

178. L'article 2 du Règlement du mécanisme supplémentaire donne la possibilité de recourir à ce mécanisme principalementdans deux hypothèses : a) si l'État d'accueil de l'investissement ou l'État dont l'investisseur est le ressortissant n'est paspartie à la Convention de Washington ; ou b) si le différend n'est pas en relation directe avec un investissement, pourvuque l'État qui est partie au différend ou l'État dont le ressortissant est partie au différend soit un État contractant. L'article 4du Règlement accorde un rôle important au secrétaire général, lorsqu'il s'agit de la mise en oeuvre du mécanismesupplémentaire. Les conditions selon lesquelles celui-ci peut donner son approbation à une demande d'arbitrage font l'objetde trois paragraphes denses (§ 2, 3 et 4) qui diffèrent selon qu'on se trouve dans l'hypothèse a) ou b).

Art. 2 - Constitution du tribunal arbitral

179. La constitution du tribunal arbitral CIRDI est régie par les articles 37 à 40 de la Convention de Washington et, defaçon très détaillée, par les articles 1er à 12 du Règlement d'arbitrage. On n'indiquera ici que les points les plus importantsde ce processus.

§ 1 - Nomination des arbitres

180. Elle doit être faite rapidement, puisque l'article 37, 1 de la Convention requiert que le tribunal arbitral soit constitué« dès que possible après enregistrement de la requête » et que l'article 1er, 1 du Règlement d'arbitrage demande « toute ladiligence possible ». Le tribunal doit être constitué soit par un arbitre unique, soit par un nombre impair d'arbitres(art. 37, 2, a). Les parties doivent communiquer au secrétaire général leurs dispositions concernant la nomination desarbitres. Elles peuvent choisir des arbitres appartenant aux listes établies par le Centre, conformément aux articles 12 à 16de la Convention, mais elles restent libres de choisir des arbitres en dehors de ces listes. Ceux-ci doivent cependant remplirles qualités requises par l'article 14 de la Convention, et en particulier jouir d'une « haute considération morale », êtrereconnus en matière juridique, commerciale, industrielle ou financière et offrir toute garantie d'indépendance dans l'exercicede leurs fonctions.

181. Si les parties se sont entendues au préalable sur une procédure de nomination des arbitres, celle-ci est suivie, saufincompatibilité avec certaines dispositions de la Convention ou du Règlement d'arbitrage. C'est ainsi que l'article 37, 2, a dela Convention requiert un nombre impair d'arbitres, et l'article 39 comporte une disposition quant à la nationalité desarbitres : « Les arbitres composant la majorité doivent être ressortissants d'États autres que l'État contractant partie audifférend et que l'État contractant dont le ressortissant est partie au différend ». Cependant, cette disposition ne s'appliquepas si les parties ont nommé tous les arbitres d'un commun accord (V. aussi Règlement d'arbitrage, art. 1er, 3 et 4).

182. Dans le cas où les parties ne se sont pas entendues au préalable sur le nombre des arbitres et leur mode denomination, l'article 37, 2, b énonce que « le Tribunal comprend [alors] trois arbitres ; chaque partie nomme un arbitre et letroisième, qui est le président du Tribunal, est nommé par accord des parties ». L'article 2 du Règlement d'arbitragecomporte des dispositions détaillées quant au mode de constitution du tribunal en l'absence d'accord antérieur. On y trouveen particulier l'indication de délais qui doivent être respectés par les parties pour que le tribunal soit effectivement constituéavec toute la diligence possible. C'est ainsi que, si les parties n'ont pas réussi à s'entendre, dans un délai de quatre-vingt-dix jours à partir de l'enregistrement de la requête, sur le troisième arbitre chargé de présider le tribunal, chaque partiepeut adresser une demande au président du conseil administratif par l'intermédiaire du secrétaire général aux fins de

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nomination de l'arbitre faisant fonction de président du tribunal (ou éventuellement d'un arbitre d'une partie si celle-cirefuse de le nommer). Le président du conseil administratif devra donner suite à cette requête dans les trente jours aprèsavoir consulté les parties dans toute la mesure du possible (art. 4). On est ainsi assuré qu'aucune partie n'est en positionde bloquer la procédure arbitrale.

183. Chaque arbitre doit accepter sa nomination (Règlement d'arbitrage, art. 5). Dès que le secrétaire général dispose detoutes les acceptations, le tribunal est réputé constitué et il le notifie aux parties (art. 6, 1). Le Règlement comporteplusieurs autres dispositions concernant les arbitres. Ainsi, chaque arbitre doit avant la première session du tribunal signerune déclaration certifiant qu'il n'existe aucun empêchement à siéger dans l'affaire en question, qu'il respectera laconfidentialité requise et qu'il jugera « de façon équitable, conformément au droit applicable », sans accepter aucune sorted'instructions extérieures (art. 6, 2).

184. Ajoutons que chaque partie peut remplacer son arbitre tant que le tribunal n'a pas été constitué (art. 7).

§ 2 - Remplacement et récusation des arbitres

185. La convention cherche à assurer, chaque fois que c'est possible, l'immutabilité du tribunal arbitral, gage d'une bonneadministration de la justice. L'article 56, 1 énonce que : « [u]ne fois […] qu'un tribunal a été constitué et la procédureengagée, sa composition ne peut être modifiée ». Néanmoins, il existe des hypothèses où l'on est amené à devoir changerd'arbitre. L'article 56, 1 cite le décès d'un arbitre, son incapacité ou sa démission. Il faut ajouter la récusation prévue àl'article 57 de la Convention.

186. En cas de décès, un nouvel arbitre est nommé selon les règles ordinaires de nomination des arbitres. S'agissant del'incapacité éventuelle d'un arbitre à pouvoir assurer ses fonctions, la procédure à suivre est la même qu'en cas derécusation (Règlement d'arbitrage, art. 8, 1 ; V. aussi art. 9 infra, no 188). Un arbitre qui souhaite démissionner doitsoumettre sa démission aux autres membres du tribunal ainsi qu'au secrétaire général (art.8, 2, première phrase). La suitepeut paraître étonnante : « [s]i cet arbitre a été nommé par l'une des parties, le tribunal considère sans délai les raisons desa démission et décide s'il y a lieu de l'accepter. Le tribunal notifie sa décision sans délai au Secrétaire général ».

187. L'idée, semble-t-il, est de pouvoir faire face à la tactique d'une partie faisant pression sur l'arbitre qu'elle a nommépour qu'il démissionne, bloquant ainsi la procédure. S'il s'agit cependant d'une raison légitime de démissionner, les autresmembres du tribunal l'accepteront, et la partie dont l'arbitre a démissionné nommera une nouvelle personne selon lesrègles habituelles de nomination. Mais, si le reste du tribunal n'admet pas les raisons avancées (DC 1er juill. 1973, HolidayInns c/ Maroc [supra, no 50], cité dans C.H. SCHREUER & alii, op. cit., p. 1196, § 43), c'est au président du conseiladministratif du CIRDI qu'il reviendra alors de pourvoir à la vacance en nommant un nouvel arbitre.

188. L'article 57 de la Convention envisage deux hypothèses de récusation. La première est la récusation justifiée par « undéfaut manifeste des qualités requises par l'article 14, alinéa 1 ». La seconde est que « l'arbitre ne remplit pas lesconditions fixées au chapitre IV section 2 de la Convention pour la nomination au tribunal arbitral » (par exemple, lesconditions de nationalité de l'article 39 ; V. Règlement d'arbitrage, art. 9). Le nouvel article 6, 2 du Règlement (2006)demande à chaque arbitre de signer, avant la première session du Tribunal, une déclaration certifiant qu'il n'existe, à saconnaissance, aucune raison susceptible de l'empêcher de faire partie de ce tribunal.

189. L'article 14, 1 de la Convention requiert des arbitres d'être des personnes de haute considération morale, d'unecompétence reconnue (particulièrement en matière juridique) et d'une indépendance totale. Des demandes de récusationd'arbitres pour des raisons de conflit d'intérêts, et donc d'absence d'indépendance, ont été présentées dans plusieursaffaires. Dans l'affaire Amco Asia contre Indonésie (DC 25 sept. 1983, supra, no 46) par exemple, l'Indonésie mettait endoute l'indépendance d'un arbitre pour la raison qu'il avait eu des contacts professionnels dans le passé avec l'investisseur(C.H. SCHREUER & alii, op. cit., p. 1202, § 21, et plusieurs autres affaires citées). Les deux autres arbitres rejetèrent lademande en expliquant que la simple apparence de partialité n'était pas une base suffisante pour disqualifier un arbitre. Lemanque d'indépendance devait être « manifeste » ou « hautement probable », et non pas seulement possible (la décisionn'a pas été publiée, mais est citée par W. TUPMAN, Challenge and Disqualification of Arbitrators in International CommercialArbitration, ICLQ 1989. 44).

190. De même, dans l'affaire Vivendi contre République argentine (Sent. 21 nov. 2000, supra, nos 16, 115 et 162), lesdeux arbitres rejetèrent la demande de récusation en expliquant qu'il fallait « un risque réel d'impartialité reposant sur desfaits et non pas seulement des spéculations ou des suppositions » (décision sur la demande de récusation du président dutribunal arbitral 3 oct. 2001, ICSID Rev. 2002. 180, § 25).

191. Quelle que soit la raison de la vacance au sein du tribunal, le secrétaire général la notifie aux parties ainsi qu'auprésident du conseil administratif, et l'instance est suspendue (Règlement d'arbitrage, art. 10). La vacance doit être remplie« sans délai », selon les mêmes règles que la nomination initiale des arbitres. Cependant, le président du conseiladministratif peut être amené à nommer lui-même un arbitre figurant sur la liste CIRDI des arbitres dans deux cas :a) lorsque la vacance résulte de la « démission, sans l'assentiment du tribunal d'un arbitre nommé par l'une des parties [ou]b) toute autre vacance, à la demande de l'une ou l'autre des parties, si aucune nouvelle nomination n'est faite et acceptéedans le délai de 45 jours après notification de la vacance par le Secrétaire général ». En toute hypothèse donc, la mauvaisevolonté de l'une des parties pourra toujours être surmontée, et la procédure pourra repartir dans des délais relativementbrefs.

192. Des dispositions du même ordre se retrouvent dans le mécanisme supplémentaire.

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Art. 3 - Questions procédurales

193. Les questions procédurales se trouvent être traitées aussi bien dans la Convention de Washington (art. 41 à 47), quedans le Règlement d'introduction des instances et le Règlement d'arbitrage. Il n'est guère possible d'examiner ici l'ensemblede ces questions, et on choisira quelques points qui sont d'un intérêt général.

§ 1 - Défaut d'une partie

194. Il n'existe que quelques cas de défaut dans l'histoire du CIRDI (Kaiser Bauxite c/ Jamaïque [supra, no 92], Letcoc/ Liberia [supra, no 98], Benvenuti & Bonfant c/ Congo [supra, no 98] ; Sent. 21 févr. 1997, aff. n o ARB/93/1, AMT c/ Zaïre,cités dans C.H. SCHREUER & alii, op. cit., p. 712, § 14).

1 9 5 . La Convention de Washington comporte un article 45, sur le défaut d'une partie, complété par l'article 42 duRèglement d'arbitrage. L'article 45, 2 de la Convention (à compléter par l'article 42, 1 du Règlement d'arbitrage) prévoit que,si « l'une des parties fait défaut ou s'abstient de faire valoir ses moyens à tout moment de la procédure, l'autre partie peutdemander au tribunal de considérer les chefs de conclusions qui lui sont soumises et de rendre sa sentence […].

196. Mais, l'article 45, 1 de la Convention (V. aussi Règlement d'arbitrage, art. 42, 3) précise que si « l'une des parties faitdéfaut ou s'abstient de faire valoir ses moyens, elle n'est pas pour autant réputée acquiescer aux prétentions de l'autrepartie ».

197. Il n'est donc pas question d'adjuger les conclusions à la partie coopérative : le tribunal CIRDI doit examiner lesmoyens qui lui sont présentés en tenant compte des arguments qui pourraient leur être opposés par la partie défaillante.L'article 42, 4 du Règlement d'arbitrage énonce ainsi que : « [l]e tribunal examine si le différend est ou non de lacompétence du Centre et de la sienne propre et, dans l'affirmative, décide si les conclusions sont fondées en fait et en droit[…] ».

198. Dans certains cas, le défaut est clair et net, l'une des parties (en pratique, l'État dans la quasi-totalité des cas) serefusant à tout contact avec le Centre et ignorant la procédure arbitrale en cours (cas de la Jamaïque, dans le contentieuxdes années 1970, ou du Liberia dans l'affaire Letco [supra, no 98]). D'autres cas sont plus délicats : l'État tantôt coopère ettantôt non, ignore les délais de procédure et fait preuve de mauvaise volonté en recourant à des manoeuvres dilatoires(V. les affaires Benvenuti & Bonfant c/ Congo [ supra, no 98], AMT c/ Zaïre [supra, no 194], citées dans C.H. SCHREUER& alii, op. cit., p. 714, § 24). Il arrive alors que le tribunal arbitral sanctionne spécifiquement ce manque de coopération del'État. Ainsi, dans l'affaire Benvenuti & Bonfant contre Congo, le tribunal, après avoir accepté que les coûts de l'arbitragesoient partagés également entre les parties, décida qu'il était cependant équitable que le Congo paie en outre une sommede quinze mille dollars US pour tenir compte des frais supplémentaires découlant de son attitude peu coopérative (Sent.15 août 1980, ICSID Report, vol. 1, p. 65, § 4, p. 129 ; V. aussi Sent. 31 mars 1986, aff. n o ARB/83/2, Letco c/ Liberia, où letribunal mit tous les frais de l'arbitrage à la charge du Liberia, en prenant en compte la mauvaise foi dont ce pays avait faitpreuve pendant toute la procédure ; C.H. SCHREUER & alii, op. cit., p. 1230, § 22).

§ 2 - Exception d'incompétence

199 . Une des défenses, en quelque sorte naturelle, d'un État qui se trouve attrait devant le CIRDI est de plaiderl'incompétence du Centre, si bien que les « décisions » sur la compétence sont nombreuses et constituent une étapedésormais banale dans la procédure devant un tribunal CIRDI. Ce d'autant plus que la contestation de la compétence peutconcerner aussi bien les conditions de compétence, énumérées par l'article 25 de la Convention, que celles des traités deprotection des investissements.

200. L'article 41, 1 de la Convention pose le principe traditionnel suivant lequel « [l]e tribunal est juge de sa compétence ».Le Règlement d'arbitrage, également dans un article 41, 1, précise que le déclinatoire de compétence doit être soulevé« aussitôt que possible [… et] au plus tard avant l'expiration du délai fixé pour le dépôt du contre-mémoire ». La questionde la compétence pourrait d'ailleurs être soulevée par le tribunal de sa propre initiative (art. 41, 2). L'article 41, 3 prévoit,dès qu'un déclinatoire de compétence est officiellement soulevé, que la procédure sur le fond soit suspendue et que leprésident du tribunal fixe aux parties de nouveaux délais pour déposer leurs observations sur ce déclinatoire. L'article 41, 2de la Convention précise qu'un déclinatoire de compétence « doit être examiné par le tribunal qui décide s'il doit être traitécomme question préalable ou si son examen doit être joint à celui des questions de fond » (V. aussi Règlement d'arbitrage,art. 41, 4). Dans la majorité des cas, c'est la première hypothèse qui prévaut, et une procédure spécifique écrite et orale estengagée. Cependant, dans une minorité d'affaires, la question est jointe au fond comme cela a été le cas dans les affairesSOABI (supra, no 32), Tradex (supra, no 93) et Klöckner (infra, no 222).

201. Si le tribunal considère qu'il est incompétent, il rend à cet effet une « décision » en ce sens - décision définitive, maisqui peut être soumise aux procédures de révision ou d'annulation des articles 51 et 52 de la Convention. En revanche, si letribunal se considère compétent, sa décision (dans ce cas, on parle de « sentence sur la compétence ») n'est pascontestable par le biais des articles 51 et 52, car il ne s'agit pas d'une sentence au sens de l'article 48, 3 de le Conventionmais, jointe au fond, elle est incorporée dans la sentence finale qui peut, elle, être soumise aux recours des articles 51et 52.

§ 3 - Mesures conservatoires

202. L'article 47 de la Convention énonce que « [s]auf accord contraire des parties, le tribunal peut, s'il estime que lescirconstances l'exigent, recommander toutes mesures conservatoires propres à sauvegarder les droits des parties ». Cettequestion fait l'objet d'un traitement très ample dans l'article 39 du Règlement d'arbitrage auquel on doit renvoyer.

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203 . De telles mesures conservatoires ont été recommandées dans plusieurs affaires traitées devant le CIRDI. Ellesportaient, par exemple, sur la production de documents nécessaires à la procédure arbitrale (Sent. 30 nov. 1979, aff.no ARB/77/1, AGIP c/ Congo), plus rarement sur la cessation de la procédure portée devant les tribunaux de l'État (DC27 sept. 2001, aff. no ARB/84/1, Triton c/ Guinée ; MINE c/ Guinée, supra, no 103 ; CSOB c/ Slovaquie, supra, no 19 ; SGSc/ Pakistan, supra, no 131 ; C.H. SCHREUER & alii, op. cit., p. 784, § 99 ; L. REED, & alii,op. cit., p. 86).

204. Les mesures ne sont que « recommandées » et ne posséderaient donc pas, en principe, un effet obligatoire pour lesparties, ce que confirmerait l'examen des travaux préparatoires. Mais, à plusieurs reprises, les tribunaux arbitraux CIRDI ontaffirmé le caractère obligatoire des mesures recommandées (V. décision sur une requête en mesures conservatoires 28 oct.1999, Maffezini c/ royaume d'Espagne, § 9 ; ord. 1er juill. 2003, Tokios Tokelés c/ Ukraine, § 4 ; décision sur les mesuresconservatoires 17 août 2007, Occidental Exploration and Production Co. c/ Équateur, § 58 ; R. ZIADÉ, Mesuresconservatoires [tribunal arbitral et tribunal étatique], in La procédure arbitrale…, colloque préc. ; C.H. SCHREUER & alii, op.cit., p. 768, § 31).

205. En outre, le tribunal arbitral, dans l'affaire Victor Pey Casado et Fondation président Allende contre Chili (décision surles mesures conservatoires 25 sept. 2001, ICSID Rev. 2001. 578), a repris à son compte le dictum de la Cour internationalede justice, dans l'affaire LaGrand (CIJ 27 juin 2001, Allemagne c/ États-Unis d'Amérique, Rec. CIJ, p. 503, § 102), selonlequel : « […] le pouvoir d'indiquer des mesures conservatoires emporte le caractère obligatoire desdites mesures, dans lamesure où le pouvoir en question est fondé sur la nécessité, lorsque les circonstances l'exigent, de sauvegarder les droitsdes parties ».

206. La recommandation, cependant, n'est pas une sentence et ne bénéficie pas des dispositions de la Convention sur larévision ou l'annulation (art. 51 et 52), ou sur la reconnaissance et l'exécution (art. 53 et 54). L'article 39, 5 du Règlementd'arbitrage énonce que les dispositions sur les mesures conservatoires « ne font pas obstacle, dans la mesure où lesparties en ont convenu dans l'accord contenant leur consentement, à ce que les parties demandent à toute autoritéjudiciaire ou autre d'ordonner des mesures conservatoires soit antérieurement à l'introduction de l'instance ou en coursd'instance en vue de protéger leurs droits et intérêts respectifs ».

207. « L'accord contenant leur consentement », c'est-à-dire leur accord exprès, pour saisir une juridiction étatique d'unedemande de mesures provisoires, peut être la clause compromissoire, un compromis, une législation nationale ou un traitéde protection des investissements. Les parties à cet accord doivent à chaque fois décider si elles désirent ou non que desmesures conservatoires puissent être demandées aux tribunaux nationaux et en tirer les conséquences au regard del'article 39, 5. Parmi les mesures conservatoires demandées et obtenues, on notera les demandes de suspension deprocédures nationales ou arbitrales parallèles (V. MINE c/ Guinée [ supra, no 103], CSOB c/ Slovaquie [supra, no 19], TokiosTokelés c/ Ukraine [supra, no 37], SGS c/ Pakistan [supra, no 131] ; R. ZIADÉ, article préc., in La procédure arbitrale…,colloque préc.).

§ 4 - Règlement du mécanisme supplémentaire

208. S'agissant du mécanisme supplémentaire, il existe un Règlement d'arbitrage spécifique dont les dispositions sont engénéral proches du Règlement d'arbitrage CIRDI. Parmi les différences, on peut retenir que l'article 46 du Règlementd'arbitrage (Mécanisme supplémentaire), qui prévoit la possibilité du tribunal arbitral de recommander des mesuresconservatoires, énonce, dans son paragraphe 4, que cela n'empêche nullement les parties de demander à d'autresinstances judiciaires (par exemple nationales) d'ordonner des mesures provisoires et que cela ne sera « considéré nicomme une violation de l'accord d'arbitrage ni comme une atteinte aux pouvoirs du tribunal ».

Art. 4 - Sentence arbitrale

§ 1 - Droit applicable au litige

209. La question du droit applicable par un tribunal arbitral CIRDI à un litige entre un État d'accueil et un investisseur aconnu une évolution remarquable, tant lorsque le tribunal est saisi sur le fondement d'une clause compromissoire contenuedans un contrat d'investissement (V. infra, nos 210 s.) que lorsque le tribunal est saisi sur le fondement d'un traité deprotection (V. infra, nos 227 s.).

A. - Droit applicable au contrat d'investissement : l'article 42, paragraphe 1er

210. S'agissant du droit applicable à un litige né d'un contrat d'investissement conclu entre un État et une personne privéeétrangère, l'article 42, 1 de la Convention de Washington prévoit deux hypothèses. Dans une première phrase, il entérine larègle de l'autonomie de la volonté des parties en énonçant que « [l]e tribunal statue sur le différend conformément auxrègles de droit adoptées par les parties ». Dans une deuxième phrase, il ajoute : « [f]aute d'accord entre les parties, leTribunal applique le droit de l'État contractant partie au différend - y compris les règles relatives aux conflits de lois - ainsique les principes de droit international en la matière ».

211. Le droit international ne semble intervenir ici que de façon tout à fait secondaire. En réalité cependant, l'évolution dela jurisprudence du CIRDI va donner au droit international une place prééminente par rapport aux autres sources de droitapplicable. Ceci peut être montré en examinant les différentes hypothèses d'electio juris que l'on rencontre dans lescontrats (pour un développement plus complet sur cette question : C. LEBEN, La théorie du contrat d'État et l'évolution dudroit international des investissements, Rec. cours La Haye t. 302, 2003, p. 201, spéc. p. 276 ; C.H. SCHREUER & alii, op. cit.,p. 550 ; S. MANCIAUX, op. cit., p. 267 ; W. BEN HAMIDA, thèse préc., p. 491 ; R.H. KREINDLER, The Law Applicable toInternational Investment disputes, dans N. HORN [sous la dir. de], op. cit., p. 401 ; O. SPIERMANN, Applicable Law, dansP. MUCHLINSKI, F. ORTINO & C. SCHREUER, The Oxford Handbook of International Investment Law, Oxford, 2008, Oxford

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University Press, p. 89).

a. - Cas où c'est le droit interne seul qui est choisi par les parties

212. De façon assez courante, les contrats d'investissement se réfèrent exclusivement au droit de l'État d'accueil, même sil'hypothèse n'est pas très représentée dans la jurisprudence du CIRDI (DC 4 mai 1989, aff. no ARB/87/2, Mobil Oilc/ Nouvelle-Zélande ; SOABI c/ Sénégal [supra, no 32] ; Letco c/ Liberia [supra, nos 98 et 198]). La question est de savoirsi, dans ce cas, on a affaire à de simples contrats de droit interne semblables aux autres. En réalité, à partir du moment oùle contrat donne compétence au CIRDI pour régler les différends, et même s'il prévoit que le droit applicable sera le droit del'État d'accueil de l'investissement, le règlement va être soumis à la logique internationaliste qui découle de la Conventionde Washington.

213. Serait-il envisageable, en effet, de voir un tribunal CIRDI accepter dans un litige une solution contraire au droitinternational, pour la raison que le droit applicable au contrat choisi par les parties est le droit interne de l'État contractant ?Ce serait certainement contraire à la raison d'être de la Convention de Washington. En effet, si on interprète la référenceau seul droit de l'État contractant comme signifiant une interdiction totale faite aux arbitres de prendre en considération ledroit international, l'investisseur se trouverait alors dans l'impossibilité d'invoquer même la violation des règles coutumièressur le standard minimal de traitement des étrangers. Ainsi, en cas de confiscation de biens ou de déni de justice de la partde l'État, le tribunal CIRDI, constatant que le droit applicable au contrat est le droit de l'État, s'interdirait toute appréciationde l'action de celui-ci au regard du droit international. Cela est peu concevable et peu compatible avec l'objet même de laConvention de Washington.

214. En outre, l'article 27 de la Convention de Washington, qui interdit à l'État national de l'investisseur d'exercer saprotection diplomatique lorsqu'un différend est soumis à l'arbitrage sur le fondement de cette convention, n'a de sens quesi l'investisseur peut exercer les mêmes droits à l'égard de l'État d'accueil que son propre État, si celui-ci recourait à laprotection diplomatique. L'investisseur devrait donc, en toute hypothèse, pouvoir invoquer la violation des règlesinternationales sur le traitement des étrangers (V. dans ce sens DCAH 16 mai 1986, Amco c/ Indonesia, § 21 ; E. GAILLARD,op. cit., p. 178).

215 . Et comment un État quelconque pourrait-il accepter de reconnaître une sentence rendue dans le cadre de laConvention de Washington et lui assurer l'exécution sur son territoire comme s'il s'agissait d'un jugement définitif de sespropres tribunaux (Convention, art. 54), si cette sentence méconnaissait des règles fondamentales du droit international ?

216 . C'est pourquoi, il faut reconnaître avec C. SCHREUER que : « Les règles obligatoires du droit international, quifournissent un standard international minimal de protection des étrangers, existent indépendamment de tout choix d'undroit pour une transaction spécifique. Elles constituent un cadre d'ordre public à l'intérieur duquel ces transactionsopèrent » (C.H. SCHREUER & alii, op. cit., p. 587, § 114, notre traduction).

217. Si l'on examine la jurisprudence CIRDI, on s'aperçoit que les arbitres, dans la plupart des cas, ne s'en tiennent pas àl'examen du seul droit interne, mais effectuent, explicitement ou implicitement, un contrôle par rapport au droitinternational. Si ce contrôle ne révèle aucune contrariété, le droit de l'État sera appliqué, comme cela a été le cas dansl'affaire Letco contre Liberia (supra, nos 98 et 198 ; E. GAILLARD, op. cit., p. 204). Dans le cas contraire, il serait totalementincohérent, par rapport à la Convention de Washington, de faire prévaloir le droit interne sur le droit international (dans cesens : Sent. sur le fond 20 mai 1992, SPP c/ Égypte, § 84, E. GAILLARD, op. cit., p. 365 ; DCAH 5 févr. 2002, Wena Hotels Ltdc/ Égypte, § 40 s., E. GAILLARD, op. cit., p. 697).

218 . En outre, certains arbitres ont considéré que, du fait que le droit interne d'un État intègre les règles de droitinternational, tout particulièrement les règles conventionnelles, il n'y a pas de contradiction pour un tribunal arbitral àappliquer le droit international, alors même que c'est le droit interne de l'État qui est le droit applicable. Ainsi, dans ladécision du 5 février 2002 du Comité ad hoc dans l'affaire Wena Hotels Limited contre Égypte, le Comité a affirmé que : « […]lorsqu'un tribunal fait application des dispositions d'un traité auquel l'Égypte est partie, il n'applique pas des règlesétrangères au droit interne de ce pays. Ce raisonnement peut également valoir à l'égard d'autres sources du droitinternational, telles que celles énoncées à l'article 38, 1 du Statut de la Cour internationale de justice » (DCAH Sent. 5 févr.2002, § 44 ; E. GAILLARD, op. cit., p. 698).

b. - Cas où les parties n'ont pas choisi de droit applicable ou ont choisi plusieurs sources de droit applicable

219. Lorsque les parties n'ont pas choisi le droit applicable au contrat, l'article 42, paragraphe 1er (2e phrase), énonce (V.supra, no 210) que « le Tribunal applique le droit de l'État contractant partie au différend - y compris les règles relativesaux conflits de lois - ainsi que les principes de droit international en la matière ».

220. Il y a donc ici plusieurs sources de droit applicable, ce qui correspond bien à la pratique contractuelle lorsqu'on laconnaît (V. la publication des Basic Oil Laws & Concession Contracts de la Barrows Co, http://www.barrowscompany.com).Dans la pratique, en effet, on voit les parties choisir une combinaison de sources de droit applicable, et la plupart du tempsune combinaison du droit de l'État contractant et du droit international, auxquels on ajoute parfois « les principes de droitinternational tels qu'appliqués par les tribunaux internationaux » (ce qui n'est rien d'autre en fait que le droit international),ou « les principes généraux de droit reconnus par les nations du monde » (nouvelle formulation du Statut de la CIJ, art. 38,al. 1er, c), ou les traités de protection des investissements conclus par l'État contractant, ou encore « les principesgénéralement acceptés de l'industrie pétrolière internationale » (C. LEBEN, article préc., Rec. cours La Haye t. 302, 2003,spéc. p. 270).

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221. Certaines clauses contractuelles et certaines dispositions des traités de protection prévoient la primauté du droitinternational en cas de contradiction avec le droit interne (V. le TBI entre le Canada et le Costa Rica de 1998 qui enjoint auxarbitres de prendre en compte le droit interne de l'État d'accueil « dans la mesure où ces règles de droit interne n'entrentpas en conflit avec l'Accord [le TBI] ou les principes de droit international » ; C. LEBEN, article préc., Rec. cours La Hayet. 302, 2003, spéc. p. 271).

222. Cependant, dans les cas les plus nombreux, il n'existe pas de dispositions contractuelles ou conventionnelles quirèglent le problème qui est alors laissé à la décision des tribunaux arbitraux. Ceux-ci, dans le cadre du CIRDI, ont d'abordeu une attitude prudente. Dans l'affaire Klöckner contre Cameroun (DCAH 3 mai 1985, aff. no ARB/81/2), les arbitres ontestimé que l'article 42, 1 (2e phrase) donne aux principes de droit international « un double rôle, soit complémentaire [encas de “lacune” du droit de l'État], soit correctif, au cas où ce droit étatique ne serait pas en tous points conforme auxprincipes du droit international » (DCAH, § 69 ; E. GAILLARD, op. cit., p. 166 ; dans le même sens : DCAH 16 mai 1986, Amcoc/ Indonésie, § 20 ; E. GAILLARD, op. cit., p. 178).

223. Néanmoins, dans la deuxième sentence sur le fond de l'affaire Amco contre Indonésie, le tribunal arbitral, présidé parR. HIGGINS, s'est prononcé d'une façon plus vigoureuse quant à la primauté du droit international : « L'article 42, 1 seréfère à l'application du droit de l'État d'accueil et du droit international. S'il n'existe aucune disposition pertinente du droitde l'État d'accueil sur une question, il convient de rechercher les dispositions pertinentes du droit international. S'il existedes dispositions applicables du droit de l'État d'accueil, elles doivent être appréciées au regard du droit international quiprévaut en cas de conflit. Ainsi, le droit international est pleinement applicable et qualifier son rôle de “seulementcomplémentaire et correctif” est une distinction vaine. En toute hypothèse, le Tribunal estime que sa tâche est d'appréciertoute prétention juridique dans cette affaire d'abord au regard du droit indonésien et ensuite au regard du droitinternational » (Sent. 5 juin 1990, § 40 ; E. GAILLARD, op. cit., p. 302).

224. Il est vrai que d'autres sentences sont moins claires, mais ce qu'on peut retenir, au bout du compte, c'est quel'engagement de l'État dans un contrat soumis à un tribunal arbitral du CIRDI est, la plupart du temps, régi en dernièreinstance par le droit international qui doit prévaloir en cas de contrariété avec des dispositions de droit interne (V. aussi,dans ce sens, A. BROCHES, article préc., Rec. cours La Haye 1972-II, p. 392). On doit même considérer que la primauté dudroit international existe, devant une juridiction internationale, même quand elle n'est pas prévue dans la clause d'electiojuris elle-même ou dans une disposition d'un traité de protection des investissements (V. en ce sens P. WEIL, Écrits de droitinternational, Paris, 2000, PUF, p. 417).

B. - Droit applicable à un litige portant sur l'application d'un traité de protection des investissements

225. Comme on l'a vu, la grande majorité des affaires portées aujourd'hui devant le CIRDI l'est sur le fondement d'un traitébilatéral et, en moindre mesure, d'un traité multilatéral de protection des investissements (en particulier l'ALÉNA et le Traitésur la Charte de l'énergie). Le tribunal arbitral saisi devra rechercher le droit applicable au litige. Il faut distinguer ici selonque l'investissement n'est pas porté par un contrat entre l'investisseur et l'État (V. infra, no 226) ou si, au contraire, un telcontrat existe (V. infra, nos 227 s.).

a. - En l'absence de tout contrat entre l'investisseur et l'État

226. C'était la situation dans l'affaire AAPL contre Sri Lanka (Sent. 27 juin 1990, supra, no 73), où non seulement il n'y avaitpas de clause contractuelle, mais où il n'y avait pas non plus de clause de droit applicable dans le TBI entre le Sri Lanka etle Royaume-Uni. Le tribunal a déduit de l'attitude des parties au cours de la procédure arbitrale qu'elles s'accordaient pourconsidérer que les dispositions du TBI était la source principale de droit applicable. Ce à quoi le tribunal a rajouté le droitinternational général et le droit interne du Sri Lanka (Sent., § 20 ; E. GAILLARD, op. cit., p. 324) Là aussi, il est clair que c'estle droit international qui se trouve en position dominante.

b. - En présence d'un contrat entre l'investisseur et l'État

2 2 7 . Les traités bilatéraux ou multilatéraux de protection des investissements comportent très fréquemment desdispositions portant sur le droit applicable aux litiges susceptibles de se produire entre l'État d'accueil et les investisseurs.On peut citer par exemple (parmi mille autres) le TBI entre le Canada et le Costa Rica : « Le tribunal […] statue sur lespoints en litige sur le fondement de l'accord [le TBI], des règles applicables du droit international et de celles du droitinterne de l'État d'accueil dans la mesure où ces règles de droit interne n'entrent pas en conflit avec l'accord [le TBI] ou lesprincipes de droit international » (Traité, art. XII, b).

228. On peut également citer un traité multilatéral comme l'ALÉNA : « Un tribunal établi en vertu de la présente sectiontranchera les points en litige conformément au présent accord et aux règles applicables du droit international » (art. 1131,§ 1er).

229. De même l'article 26, paragraphe 4 g, du Traité sur la Charte de l'énergie (Lisbonne 1994) (supra, no 38) énonce que« le tribunal tranche le différend conformément au présent traité et aux règles et principes applicables du droitinternational ».

230. Si l'investissement comporte un contrat avec l'État d'accueil et que ce contrat comporte lui aussi une clause de droitapplicable, il faut déterminer comment cette clause s'articule avec la disposition du TBI qui peut exister entre l'Étatcocontractant et l'État national de l'investisseur. Une réponse consiste, comme on l'a vu ( supra, nos 110 à 124), àdistinguer les litiges purement contractuels qui sont régis par le droit prévu au contrat et les litiges qui portent surl'application du traité eux-mêmes régis par la clause d'electio juris de celui-ci. On considère aussi qu'en cas de contradictionla préférence doit être donnée à la clause contractuelle, du fait qu'elle est la lex specialis par rapport à la lex generalis du

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traité (F. POIRAT, L'article 26 du Traité relatif à la Charte de l'énergie (préc.) : procédure de règlement des différends etstatut des personnes privées, RGDIP 1998. 46). Cependant, et en toute hypothèse, il serait encore une fois totalementincohérent de faire prévaloir le droit interne de l'État contractant sur les dispositions « internationalistes » des clausesd'electio juris du traité.

§ 2 - Forme et contenu de la sentence

231. L'article 48 de la Convention (à compléter par l'article 47 du Règlement d'arbitrage) énonce : « (1) Le tribunal statuesur toute question à la majorité des voix de tous ses membres. (2) La sentence est rendue par écrit ; elle est signée par lesmembres du tribunal qui se sont prononcés en sa faveur. (3) La sentence doit répondre à tous les chefs de conclusionssoumises au tribunal et doit être motivée. (4) Tout membre du tribunal peut faire joindre à la sentence soit son opinionparticulière - qu'il partage ou non l'avis de la majorité - soit la mention de son dissentiment. (5) Le Centre ne publie aucunesentence sans le consentement des parties ».

232. L'article soulève diverses questions. Une des plus délicates concerne son paragraphe 3 et son équivalent dans leRèglement d'arbitrage (art. 47, 1, i) : « [l]a sentence […] contient : la décision du tribunal sur toute question écrite qui lui aété soumise, ainsi que les motifs sur lesquels la décision est fondée ». Il y a là deux obligations : la sentence doit répondreà toute question écrite et elle doit indiquer les motifs. En cas de non-respect de ces obligations la sanction peut être lanullité de la sentence sur le fondement de l'article 52, 1, e.

233. Dans les deux cas cependant il y a difficulté. S'agissant des questions auxquelles le tribunal doit répondre, il peut yavoir un simple oubli du tribunal ou une erreur de formulation. Dans ce cas, sont appliquées les dispositions de l'article 49du Règlement d'arbitrage (« Décisions supplémentaires et corrections »). Celui-ci prévoit que, dans les quarante-cinq joursdu prononcé de la sentence, chaque partie peut demander une décision supplémentaire ou la correction de la sentence. Elledoit mentionner de façon détaillée « i) toute question sur laquelle la partie requérante estime que le tribunal a omis de seprononcer dans sa sentence ; [et] ii) toutes erreurs dans la sentence dont la partie requérante demande la correction »(art. 47, 1, c). Le tribunal soumet la requête aux autres parties et décide s'il y a lieu à décision supplémentaire ou àrectification. Mais il ne peut s'agir ici que d'erreurs matérielles grossières. Une partie ne pourrait pas utiliser cette procédurepour transformer sa requête en une demande d'appel qui n'existe pas dans la procédure CIRDI. Elle peut en revanchedemander l'annulation de la sentence sur le fondement de l'article 52.

234. Faut-il, pour autant, que la sentence réponde littéralement à toutes les questions soulevées et à tous les argumentsprésentés ? Le Comité ad hoc, dans l'affaire Klöckner contre Cameroun, a considéré qu'il n'avait pas à répondre à tous lesarguments des parties, mais seulement aux « arguments essentiels », c'est-à dire ceux qui doivent être pris en comptepour arriver à la décision du tribunal (DCAH 3 mai 1985, Klöckner c/ Cameroun [supra, no 222], § 131 ; E. GAILLARD, op. cit.,p. 163 ; C.H. SCHREUER & alii, op. cit., p. 1019, § 420).

235. La sentence doit également contenir les motifs sur lesquels elle se fonde, et ce même s'il s'agit d'une sentence rendueex æquo et bono comme le permet l'article 42, 3 de la Convention (C. SCHREUER, Ex æquo et Bono under the ICSIDConvention, ICSID Rev. 1996. 37). On remarquera que le nouvel article 48, 4 (2006) impose au CIRDI de publier dans lesmeilleurs délais « des extraits du raisonnement juridique adopté par le tribunal », même si les parties refusent la publicationde la sentence. Les amendements de 2006 ont aussi introduit la possibilité pour le tribunal, sur demande d'une partie, dedécider rapidement qu'une demande est « manifestement dénuée de fondement juridique », soit sur le plan de lacompétence ou sur le fond, et de rendre une sentence dans ce sens.

236. Le défaut de motif est une des bases possibles pour l'annulation de la sentence. Là aussi, il existe des interrogations.Indiquer les motifs ne consiste pas à aligner des chaînes de raisonnements non pertinents, mais à présenter les motifs quisont la base même de la sentence (DCAH 3 mai 1985, Klöckner [supra, no 222], § 138 ; V. aussi, dans le même sens, DCAH16 mai 1986, Amco c/ Indonésie, ICSID Reports, vol. 1, p. 519 ; DCAH 22 déc. 1989, MINE c/ Guinée, ICSID Reports, vol. 4,p. 88).

§ 3 - Phase postérieure à la sentence

237. Les rédacteurs de la Convention ont cherché à établir un mécanisme arbitral sûr et efficace permettant un règlementaussi rapide que possible des différends entre des investisseurs et des États d'accueil de l'investissement. Cela supposait,à partir du moment où l'article 26 de la Convention de Washington impose aux parties la renonciation à l'exercice de toutautre recours que ceux du CIRDI, que soit prévu au sein du CIRDI un recours possible contre la sentence arbitrale, et c'estlà l'objet des articles 50 à 52 (V. infra, nos 238 s.). En outre, la sentence arbitrale ne peut demeurer toujours dans l'ordrejuridique créé par la Convention. Le régime CIRDI ne peut être entièrement auto-suffisant. En cas de difficultésd'application, il peut être nécessaire de chercher la reconnaissance et l'exécution de la sentence au sein des ordresjuridiques étatiques. C'est là le sens des articles 53 à 55 (V. infra, nos 259 s.).

A. - Procédures concernant la sentence

238. Il s'agit donc ici des procédures prévues par la Convention de Washington. On en distingue trois : les demandesd'interprétation (art. 50), de révision (art. 51) et le recours en annulation (art. 52). L'article 50 du Règlement d'arbitragedécrit la procédure à suivre pour présenter l'une quelconque de ces trois procédures, qui doit être adressée par écrit ausecrétaire général.

a. - Demande d'interprétation

239. L'article 50, 1 de la Convention énonce : « Tout différend qui pourrait s'élever entre les parties concernant le sens ou

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la portée de la sentence peut faire l'objet d'une demande en interprétation adressée par écrit au secrétaire général parl'une ou l'autre des parties ».

240. Il va de soi qu'une demande d'interprétation ne peut être une demande qui aboutirait en fait à revoir la sentencearbitrale au fond, alors même que la Convention n'a prévu aucune procédure d'appel contre la sentence. La distinction estfacile à concevoir, mais peut soulever en pratique bien des difficultés tant l'interprétation est un phénomène délicat. Unepremière demande d'interprétation a été présentée dans l'affaire Wena contre Égypte (décision sur demanded'interprétation, 31 oct. 2005).

241. On remarquera que l'article 50 ne pose aucune limite temporelle à la demande d'interprétation, qui pourrait donc êtreprésentée des années après le prononcé de la sentence. Il n'y a pas non plus de limitation au nombre de demandesd'interprétation présentées par les parties (C.H. SCHREUER & alii, op. cit., p. 872, § 21). L'article 50, 2 énonce : « Lademande est, si possible, soumise au tribunal qui a statué. En cas d'impossibilité, un nouveau Tribunal est constitué […]. LeTribunal peut, s'il estime que les circonstances l'exigent, décider de suspendre l'exécution de la sentence jusqu'à ce qu'il sesoit prononcé sur la demande en interprétation ».

b. - Demande de révision

242. Comme dans toute procédure judiciaire développée, la Convention CIRDI envisage la possibilité pour une partie dedemander la révision de la sentence « en raison de la découverte d'un fait de nature à exercer une influence décisive sur lasentence, à condition qu'avant le prononcé de la sentence ce fait ait été inconnu du tribunal et de la partie demanderesseet qu'il n'y ait pas eu, de la part de celle-ci, faute à l'ignorer » (art. 51, 1).

243. La demande doit être faite par écrit au secrétaire général et être introduite « dans les 90 jours suivant la découvertedu fait nouveau et, en tout cas, dans les trois ans suivant la sentence ». Comme pour l'article 50, la demande est adresséeau tribunal qui a statué, sinon un tribunal nouveau est constitué (art. 51, 3). Le tribunal peut également suspendrel'exécution de la sentence à titre provisoire (art. 51, 4). Cette procédure est extrêmement rare (L. REED, & alii,op. cit., p. 98,mentionnent une seule affaire jusqu'en 2003).

c. - Demande d'annulation

244. La sentence d'un tribunal CIRDI ne peut faire l'objet d'un appel sur le fond devant une juridiction étatique, mais doitêtre exécutée comme un jugement définitif d'une juridiction interne (V. infra, no 262, art. 54). Elle ne peut pas non plusfaire l'objet d'un appel dans le cadre de la procédure mise en place par la Convention de Washington. La seule contestationpossible est celle prévue à l'article 52 de la Convention et aux articles 50 à 53 du Règlement d'arbitrage (E. GAILLARD &Y. BANIFATEMI, Annulment of ICSID Awards, The IAI Series on International Arbitration, New York, 2004, Juris Publishing).L'exclusion de l'appel, tant au niveau étatique qu'au niveau de la sentence, vise à éviter les procédures à répétition et àdonner ainsi aux sentences CIRDI une autorité immédiate. C'est ce qu'exprime l'article 53, 1 de la Convention lorsqu'ilindique que : « La sentence est obligatoire à l'égard des parties et ne peut être l'objet d'aucun appel ou autre recours, àl'exception de ceux prévus à la présente Convention. Chaque partie doit donner effet à la sentence conformément à sestermes […] ».

245. Demeure cependant la possibilité de demander une annulation de la sentence non pas dans le droit interne des Étatset sur son fondement, mais sur le fondement même de la Convention de Washington. Celle-ci énonce dans son article 52, 1que : « Chacune des parties peut demander, par écrit, au Secrétaire général l'annulation de la sentence pour l'unquelconque des motifs suivants : a) vice dans la constitution du Tribunal ; b) excès de pouvoir manifeste du Tribunal ;c) corruption d'un membre du Tribunal ; d) inobservation grave d'une règle fondamentale de procédure ; e) défaut demotifs ».

246. La demande doit être faite dans les cent vingt jours qui suivent la date de la sentence (en cas de corruption, le délaicourt à partir de la découverte de celle-ci) et l'examen de la demande est soumis à un comité ad hoc constitué de troismembres nommés par le président du conseil administratif (Convention de Washington, art. 52 ; et, pour les conditions denomination des membres, V. plus particulièrement art. 52, § 3).

247. Contrairement à la constitution du tribunal arbitral, les parties n'interviennent pas dans la nomination des membres ducomité ad hoc. On notera de même, à la différence de ce que l'on a vu pour les demandes de révision ou d'interprétation,que c'est un tribunal nouveau qui est constitué et qui devra statuer sur le fait de savoir si la sentence est affectée d'un desvices graves énumérés à l'article 52, 1 et uniquement de ceux-ci. Le Comité peut, de lui-même ou sur demande de la partieen cause, accorder la suspension de l'exécution de la sentence (art. 52, 5). La suspension peut être subordonnée à laconstitution d'une garantie bancaire à première demande permettant l'exécution immédiate de la sentence dans le cas où lademande d'annulation est rejetée. La pratique des comités ad hoc sur ce point est diverse, et il n'y a pas nécessairementoctroi d'une telle garantie bancaire si elle est demandée (E. GAILLARD, Chronique des sentences arbitrales, JDI 2008. 322).

248. L'annulation, si elle est prononcée, peut porter sur la totalité de la sentence ou sur une partie seulement. Si lasentence est annulée, le différend sera soumis, à la demande de la partie la plus diligente, à un nouveau tribunal arbitralCIRDI (art. 52, 6). En cas d'annulation partielle, la partie non annulée conserve la force d'une res judicata (C.H. SCHREUER& alii, op. cit., p. 1087, § 674). Ce nouveau tribunal n'est d'ailleurs pas tenu d'accepter les motifs de l'annulation prononcéepar le comité ad hoc (DCAH 21 mars 2007, MTD Equity Sdn Bhd et MTD Chile SA c/ Chili, JDI 2008. 326).

249. L'existence de ce type de recours est tout à fait justifiée, car il faut prévoir l'hypothèse d'une sentence qui seraitaffectée d'un des défauts majeurs qui conduit, dans tous les systèmes juridiques qui connaissent l'arbitrage, à l'annulation

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du jugement. À partir du moment où la Convention interdit toute contestation dans les ordres juridiques internes, elle sedevait d'organiser elle-même une procédure d'annulation. L'autorité immédiate de la sentence peut être de ce fait mise enéchec, et le danger existe qu'une partie perdante ait toujours le réflexe de demander l'annulation de la sentence, quandbien même les conditions d'une telle annulation ne seraient clairement pas réunies.

250. On constate aussi que les premiers recours en annulation, dans les affaires Klöckner (supra, no 222) et Amco (supra,nos 46, 99, 214 et 223) ont donné lieu à une cascade de procédures où l'on a vu une première sentence annulée par uncomité ad hoc, puis une deuxième sentence elle-même annulée, après constitution d'un deuxième tribunal arbitral.Cependant, les demandes d'annulation n'ont concerné qu'une quinzaine d'affaires depuis le début des activités du CIRDI àcomparer aux 268 affaires dont le Centre a eu à connaître jusqu'au 1er janvier 2008 (142 affaires conclues et 126 en coursau 20 juill. 2008). Il est vrai cependant que pas moins de cinq décisions de comités ad hoc ont été rendues pour la seuleannée 2007 (E. GAILLARD, Chronique des sentences arbitrales, JDI 2008. 317).

251. Sur les cinq causes d'annulation envisagées par l'article 52 (V. supra, no 245), seules la deuxième (excès de pouvoirmanifeste) et la cinquième (défaut de motifs) ont donné lieu à une jurisprudence importante (avec quelques affaires oùl'inobservation grave d'une règle fondamentale de procédure a été évoquée : DCAH 3 mai 1985, Klöckner c/ Cameroun[supra, no 222] ; E. GAILLARD, op. cit., p. 169, § 91 ; DCAH 8 janv. 2007, Repsol YPF Ecuador c/ Empresa Estatal Petroleosdel Ecuador [Petroecuador], JDI 2008. 320).

252. L'excès de pouvoir manifeste du tribunal arbitral soulève immédiatement la question de ce qui est manifeste au sensde l'article 52, 1, b. Dans la décision Repsol YPF précitée, le comité explique (§ 36, JDI 2008. 319) qu'un excès de pouvoir estmanifeste « quand il est évident par lui-même à la simple lecture de la sentence, c'est-à-dire même avant tout examendétaillé de son contenu », et il renvoie à la décision Wena (DCAH du 5 févr. 2002 [ supra, no 217], § 25) et au commentairedu professeur SCHREUER pour qui « un excès de pouvoir est manifeste s'il peut être décelé sans grand effort et sans uneanalyse approfondie » (op. cit., p. 938, § 135, notre traduction).

253 . Certains considèrent qu'un excès de pouvoir portant sur la compétence du tribunal arbitral doit toujours êtreconsidéré comme manifeste, et donc susceptible de donner lieu à une procédure d'annulation du fait de l'importancecapitale des questions de compétence dans l'arbitrage (E. GAILLARD, obs. sur DCAH du 5 juin 2007, Soufraki c/ Émiratsarabes unis, JDI 2008. 342). Cet auteur considère cependant que, les conditions de compétence étant loin d'être simples, ilfaut maintenir, même pour ces questions, la distinction entre ce qui est manifeste et ce qui ne l'est pas.

254. À le supposer manifeste, en quoi consiste l'excès de pouvoir du tribunal arbitral ? Cela ne peut pas être une erreurdans l'application, et donc dans l'interprétation du droit applicable, car cela entraînerait le comité ad hoc dans l'appréciationau fond de la sentence. La jurisprudence des comités est constante à cet égard et distingue l'erreur de droit, qui n'est pasune cause d'annulation, de la non-application du droit qui, elle, est constitutive de l'excès de pouvoir (DCAH 3 mai 1985,Klöckner [supra, no 222], § 60 ; 16 mai 1986, Amco [supra, no 214], § 23 ; 22 déc. 1989, MINE [supra, no 236], § 5.05 ;8 janv. 2007, Repsol [supra, no 251], § 36, JDI 2008. 319, chron. E. Gaillard).

255. Une partie de la doctrine considère cependant qu'un excès de pouvoir peut porter sur la façon dont le tribunal arbitrala mal interprété le droit applicable dans une affaire. Certaines législations (par exemple celles inspirées des lois modèles dela CNUDCI) prennent en compte cette hypothèse (DCAH 21 mars 2007, MTD Equity Sdn Bhd et MTD Chile SA c/ Chili, JDI2008. 328, § 54). Mais, dans le cadre de la Convention de Washington, les comités ad hoc ne peuvent retenir ce typed'excès, qui reviendrait à substituer leur propre interprétation du droit à celle du tribunal arbitral se comportant ainsi enjuges d'appel, ce qui leur est interdit.

256. L'autre grande cause d'annulation est l'absence de motifs, cause qui paraît plus simple que la précédente, mais qui serévèle en fait être une mine de problèmes, ne serait-ce que pour ce qui concerne les rapports entre excès de pouvoir etabsence de motifs. On peut établir deux bornes entre lesquelles évolue l'interprétation à donner à cette cause del'article 52, 1, e . D'un côté, une absence complète de motivation doit entraîner l'annulation de la sentence. À l'opposé, lefait, pour un tribunal arbitral, de motiver sa sentence d'une façon qui paraît non correcte au comité ne peut faire l'objetd'une annulation puisque l'article 52, 1, e ne vise que l'absence de motifs.

257. Mais la distance entre ces deux bornes n'est pas aussi grande qu'il y paraît. Dans l'affaire Soufraki (DCAH 5 juin 2007,§ 122 et 125 s.), le comité déclare que peut être annulée une sentence qui donne des motifs « frivolous [superficiels,manifestement inadaptés] ou contradictoires ou insuffisants ou inadéquats pour parvenir à la solution donnée par lasentence ou inadéquate pour expliquer le résultat auquel le tribunal est arrivé » (E. GAILLARD, obs. JDI 2008. 339). Onperçoit immédiatement que les frontières se brouillent et que les deux causes d'annulation, absence de motivation etmotivation incorrecte, entretiennent des liens entre elles, puisqu'une motivation contradictoire peut être équivalente à uneabsence de motivation (V. aussi DCAH 5 sept. 2007, Lucchetti c/ Pérou, § 127 ; DCAH 25 sept. 2007, CMS c/ Argentine, § 54et 57, JDI 2008. 343, obs. E. Gaillard).

258. En fait, la jurisprudence n'est pas fixée sur ce point. Certains comités ad hoc (les deux premiers, Klöckner [supra, no 222], § 120, Amco [supra, no 214], § 44 ; mais aussi plus récemment Patrick Mitchell [supra, no 77], § 21) n'ont pas hésitéà exercer un certain contrôle sur la pertinence des motifs énoncés par les arbitres. D'autres ont clairement énoncé qu'ilsn'avaient pas à apprécier si les motifs étaient « justes ou non, convaincants ou non » (DCAH 5 févr. 2002, Wena [ supra, no 217], § 79), ou que la justesse des motifs était sans pertinence (DCAH 3 juill. 2002, Vivendi [supra, nos 16, 115 et 162],§ 64). On a cru voir une évolution qui irait d'un certain contrôle de la pertinence des motifs, dans les premières années defonctionnement de la procédure, à la simple vérification de leur existence par la suite. Mais, dans la décision CMS GasTransmission Co. contre République argentine (DCAH 25 sept. 2007, aff. ARB/01/8, §125 s.), le comité ad hoc a longuement

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examiné des questions de fond pour faire valoir que le tribunal arbitral avait commis plusieurs erreurs de droit quiaboutissaient à une mauvaise motivation de la sentence (JDI 2008. 357). Cependant, il ne dispose que d'une compétencestrictement limitée par l'article 52, ne peut pas « substituer sa propre interprétation du droit et sa propre appréciation desfaits », comme le ferait une juridiction d'appel, et il doit conclure qu'il n'y a pas eu d'excès de pouvoir manifeste du tribunalarbitral (JDI 2008. 358, § 135).

B. - Reconnaissance et exécution de la sentence (art. 53 à 55)

259. L'article 53, 1 affirme le caractère obligatoire et définitif de la sentence CIRDI, sous réserve des seuls recours internesau CIRDI qu'on vient d'examiner : « La sentence est obligatoire à l'égard des parties et ne peut être l'objet d'aucun appelou autre recours, à l'exception de ceux prévus à la présente Convention. Chaque partie doit donner effet à la sentenceconformément à ses termes, sauf si l'exécution en est suspendue en vertu de la présente Convention ».

2 6 0 . La Convention de Washington a probablement été pionnière dans l'établissement d'une procédure arbitraleinternationale aussi déconnectée que possible des interférences des lois étatiques. Cela est vrai pour tout ce qui concernela reconnaissance de ses sentences dans les ordres juridiques internes (art. 54) (V. infra, nos 261 s.). Mais elle n'a pu allerjusqu'au bout de sa logique, car il était encore impossible dans les années 1960 de remettre en cause ce que certains ontappelé par la suite le dernier bastion de la souveraineté de l'État, à savoir l'immunité d'exécution (V. infra, nos 265 s.).Celle-ci a également évolué, même si c'est de façon plus lente que l'immunité de juridiction.

a. - Reconnaissance de la sentence

261. La sentence ne met pas toujours fin au litige, et celui-ci peut se prolonger du fait qu'une des parties (l'État en général,dans le domaine des investissements internationaux) refuse de se plier à ses obligations, ce qui se produit seulement dansune minorité de cas (E. BALDWIN, M. KANTOR & M. NOLAN, Limits to Enforcement of ICSID Awards, JIA 2006. 1 s., spéc. p. 4).Dans cette hypothèse, l'investisseur cherchera à faire reconnaître la sentence CIRDI au sein d'un ordre juridique étatiqueavec la perspective, si l'État d'accueil persévère dans son refus de la sentence, de la faire exécuter d'office en faisant saisirdes biens appartenant à l'État.

262. S'agissant du statut de la sentence CIRDI dans le droit étatique d'un État contractant, l'article 54, 1 pose un principeaussi clair que possible quant à l'assimilation des sentences CIRDI à des jugements nationaux : « Chaque État contractantreconnaît toute sentence rendue dans le cadre de la présente Convention comme obligatoire et assure l'exécution sur sonterritoire des obligations pécuniaires que la sentence impose comme s'il s'agissait d'un jugement définitif d'un tribunalfonctionnant sur le territoire dudit État […] ».

263. S'agissant donc des obligations pécuniaires (et de celles-là seulement), et dans l'hypothèse où l'une des partiesrefuse d'exécuter spontanément la sentence - en fait dans la plupart des cas l'État -, celle-ci peut faire l'objet d'uneprocédure dans un ordre juridique interne. Dans ce cas, d'après l'article 54, 1, la sentence doit être accueillie et exécutéedans l'ordre juridique étatique sans aucun autre contrôle que celui de l'existence même de la sentence. L'article 54, 2prévoit que la partie qui se prévaut de la sentence « doit en présenter copie certifiée conforme par le Secrétaire général autribunal national compétent ou à toute autre autorité que ledit contractant aura désigné à cet effet […] ».

264. Si, à ce stade de la procédure, l'État accepte d'exécuter la sentence, les choses s'arrêtent là, et c'est ce qui se passedans la grande majorité des cas, puisque jusqu'en octobre 2007 on n'avait recensé que quatre affaires dans lesquelles lapartie privée avait cherché à faire exécuter la sentence sur les biens de l'État dans divers ordres juridiques internes(E. BALDWIN, M. KANTOR & M. NOLAN, article préc., JIA 2006. 1 s., spéc. p. 5).

b. - Exécution forcée des sentences : la question de l'immunité souveraine de l'État

265. L'article 54, 3 précise que, même si un État contractant doit reconnaître la sentence CIRDI comme un jugement internedéfinitif, la question de l'exécution de cette sentence demeure « régie par la législation concernant l'exécution desjugements en vigueur dans l'État sur le territoire duquel on cherche à y procéder ». Et l'article 55 vient immédiatementpréciser quel est le problème visé par l'article 54, 3 : « Aucune des dispositions de l'article 54 ne peut être interprétéecomme faisant exception au droit en vigueur dans un État contractant concernant l'immunité d'exécution dudit État ou d'unÉtat étranger ».

266. Lorsque la Convention de Washington a été négociée, au début des années 1960, l'évolution qu'allaient connaître lesdroits nationaux, faisant passer les immunités souveraines des États d'un régime quasi absolu à un régime plus restrictif,ne faisait que commencer : aucune des grandes lois nationales (la première loi en la matière, la FSIA américaine, date de1976), ni aucune évolution jurisprudentielle, ni aucune des conventions internationales en la matière n'étaient intervenues.

267. Il est remarquable de constater que, à la fin 2007, comme on l'a vu ( supra, no 264), il n'y avait eu que quatre affairesdans lesquelles le litige entre l'investisseur et l'État d'accueil avait été jusqu'à une procédure cherchant à saisir les biens del'État pour récupérer la somme dont cet État était redevable (E. BALDWIN, M. KANTOR & M. NOLAN, article préc., JIA2006. 1 s., spéc. p. 6). Il s'agit des affaires Benvenuti & Bonfant contre Congo (supra, no 98 ; TGI Paris, 13 janv. 1981, etParis, 26 juin 1981, JDI 1981. 365 et 843), SOABI contre Sénégal (supra, no 32 ; Paris, 5 déc. 1989, JDI 1990. 141 ; Civ. 1 re,11 juin 1991, JDI 1991. 1005), Letco contre Liberia (supra, nos 98 et 198 ; United States District Courts, 5 sept. 1986,12 déc. 1986, 16 avr. 1987, ICSID Reports, vol. 2, p. 383) et AIG Capital Partners contre Kazakhstan (High Court of Justice,Queen's Bench Division, Commercial Court 20 oct. 2005).

268. On ne peut entrer ici dans l'examen de ces affaires (C.H. SCHREUER & alii, op. cit., p. 1151). On notera seulement que,malgré l'évolution réelle des droits internes en matière d'exécution ainsi que celle du droit international avec la Convention

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des Nations unies sur les immunités juridictionnelles des États et de leurs biens du 2 décembre 2004 (actuellement en coursde ratification), la recherche d'une exécution forcée de biens appartenant à un État demeure un exercice périlleux qui seheurte à de nombreuses difficultés. Tout particulièrement, la distinction prévue, d'une façon ou d'une autre par tous lestextes et les jurisprudences, entre les biens détenus par l'État en sa capacité de souverain et ceux qui sont détenus en sacapacité d'opérateur du commerce international agissant selon les modes de gestion privés, aboutit la plupart du temps àmettre ces biens à l'abri de mesures de contrainte si l'on ne peut pas prouver la nature des biens que l'on veut saisir. C'estle cas tout particulièrement si les opérations financières transitent par les représentations diplomatiques qui bénéficient deleurs propres immunités ou encore par des banques centrales bénéficiant elles aussi d'une immunité forte.

269. Malgré cette limite ultime posée à l'efficacité des sentences arbitrales CIRDI, celles-ci jouissent d'un statut tout à faitexceptionnel dans la sphère du droit international.

Index alphabétique

ALENA 6, 228

Annulation de la sentence 244 s.

causes 251partielle 248

Arbitre

démission 185 s.devoirs 183incapacité 185 s.nationalité 181qualités requises 180

V. Tribunal arbitral

Banque internationale pour la reconstruction et le développement (BIRD) 3

Banque mondiale 1 s.

Centre international de règlement des différends relatifs aux investissements (CIRDI) 1 s.

création 1personnalité juridique 3

Clause compromissoire 151 s.

Clause electa una via 158 s.

Clause de la nation la plus favorisée 139 s.

Clause d'option irrévocable 158 s.

Clause de règlement judiciaire étatique préalable 158 s.

Clause de respect des engagements 125 s.

Collectivité publique 12

Compétence rationae materiae 54 s.

différend d'ordre juridique 55différend en relation directe avec l'investissement 56 s.

Compétence rationae personae 6 s.

différend avec le ressortissant d'un autre État contractant 19 s.nationalité d'une personne morale 29 s.nationalité d'une personne physique 21 s.

différend avec un État contractant 8 s.matières exclues au moment de l'adhésion d'un État 11

différend avec une collectivité publique ou un organisme dépendant de l'État 12 s.

Compétence des tribunaux CIRDI 5 s.

consentement 83 s. V. ce motrationae materiae 54 s. V. Compétence rationae materiaerationae personae 6 s. V. Compétence rationae personae

Conciliation 4, 171

Confidentialité 183

Consentement 83 s.

clause de la nation la plus favorisée 139 s.clause de respect des engagements 125 s.

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en deux temps 86 s.écrit 84 s.exclusif 94 s.

double procédure, incidence 98 s.sursis à statuer 104 s.

irrévocable 90 s.modalités 84 s.requête concernant des violations du contrat 110 s.requête concernant des violations du traité 110 s.

Contract claims 110 s.

Contrat

violations, requête 110 s.

Contrôle

sociétés 35 s.

Convention de Washington pour le règlement des différends relatifs aux investissements entre États etressortissants d'autres États (18 mars 1965) 1 s.

adhésion 9 s.signature 8

Défaut d'une partie 194 s.

Différend 55 s.

d'ordre juridique 55en relation directe avec un investissement 56 s.

Droit applicable au litige 209 s.

droit applicable au contrat d'investissement 210 s.cas du droit interne choisi par les parties 212 s.cas où aucun droit applicable n'a été choisi 219 s.cas où plusieurs sources de droit applicable ont été choisies 219 s.

droit applicable à un litige portant sur l'application d'un traité de protection des investissements 225 s.en l'absence de tout contrat entre l'investisseur et l'État 226en présence d'un contrat entre l'investisseur et l'État 227 s.

Écrit 84 s.

Épuisement des voies de recours internes 149 s.

Exception d'incompétence 190 s.

Excès de pouvoir manifeste 251 s.

Exécution de la sentence 265 s.

Garantie bancaire 247

Historique 1 s.

Immunité de l'État 265 s.

Interprétation de la sentence 239 s.

Investissement 56 s.

critères de Salini 75 s.définition 59 s.nouvelles formes 63 s.traité de protection 35 s., 66 s.

Investisseur

nationalité 25 s.

Langue 171

Litige devant les tribunaux CIRDI 146 s.

demande d'arbitrage 168 s.constitution du tribunal arbitral 179 s. V. Tribunal arbitralquestions procédurales 193 s. V. ce motsaisine du Centre 169 s. V. ce motsentence arbitrale 209 s. V. ce mot

recevabilité 148 s. V. ce mot

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Mécanisme supplémentaire 6 s., 178, 208

Mesures conservatoires 202 s.

recommandation, portée 204 s.

Motivation 231 s., 235 s.

absence 256 s.

Nationalité

changement 26date d'appréciation 28effective 27d'une personne morale 29 s.

principes 31 s.au regard de la convention de Washington 32 s.au regard des traités de protection des investissements 35 s.société locale contrôlée par des intérêts étrangers 40 s.

d'une personne physique 21 s.

Nouvel ordre économique international 2

Nullité

sentence 232 s., 244 s.

Organisme dépendant de l'État 12 s.

Personne morale

nationalité 29 s.critères 35 s.principes 31 s.société locale contrôlée par des intérêts étrangers 40 s.

Personne physique

nationalité 21 s.

Procédure

V. Questions procédurales

Protection diplomatique 150 s.

Questions procédurales 193 s.

défaut d'une partie 194 s.exception d'incompétence 199 s.mesures conservatoires 202 s.règlement du mécanisme supplémentaire 208

Recevabilité 148 s.

clause electa una via 158clause de règlement judiciaire étatique préalable 158 s.clauses d'option contradictoire dans le contrat ou le traité 163 s.épuisement des voies de recours internes 149 s.négociations préalables 149 s.

Reconnaissance de la sentence 259 s.

Règlement du mécanisme supplémentaire 6 s., 178, 208

Requête 170 s.

contenu 174dépôt 175écrite 170enregistrement 176 s.langue 171

Responsabilité de l'État 15 s., 124, 154

Révision de la sentence 242 s.

Saisine du Centre 169 s.

sur le fondement de la Convention de Washington 170 s.sur le fondement du Règlement du mécanisme supplémentaire 178

Sentence arbitrale 209 s.

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contenu 231 s.correction 233demande d'annulation 244 s.demande d'interprétation 239 s.demande de révision 242 s.droit applicable au litige 209 s.ex aequo et bone 235exécution 265 s.forme 231 s.motivation 231 s., 235 s.nullité 232 s., 244 s.phase postérieure 237 s.publication 231reconnaissance 259 s.

Société

locale contrôlée par des intérêts étrangers 40 s.V. Personne morale

Souveraineté 265 s.

Statistiques 2

Sursis à statuer 104 s.

Traité

violation, requête 110 s.

Traité de protection des investissements 35 s., 66 s.

Treaty claims 110 s.

Tribunal arbitral 179 s.

nomination 180 s.récusation 185 s.remplacement 185 s.

V. Arbitre

Umbrella clause 125 s.

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