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Mario Vargas Llosa dans L'Orgie perpétuelle (Gallimard, 1978) : « Un élément dramatique constant dans l'histoire d'Emma est le combat entre la réalité objective et la subjective. Emma ne fait pas de différence entre elles, elle ne peut vivre la réalité que de façon illusoire, ou, plutôt, elle vit l'illusion, elle tâche de la concrétiser. Illusion et réalité sont dans le roman les versions opposées d'une même chose, deux soeurs (l'une belle, l'autre laide) inséparables. La réalité découvre son aspect sordide par contraste avec l'image embellie qu'en trace — avec l'aide des romans romantiques — l'imagination d'Emma, et, parallèlement, cette réalité subjective révèle sa couleur, élévation et richesse (son caractère illusoire : son impossibilité) en étant confrontée à sa version objective, grise et mesquine. » (p. 143-44) « Elle, comme Don Quichotte ou Hamlet, résume en sa personnalité tourmentée et sa médiocre aventure, une certaine attitude vitale permanente, capable d'apparaître sous les habits les plus divers en différentes époques et lieux, et qui, en même temps qu'universelle et durable, représente une des quêtes les plus propres au genre humain, d'où sont issues toutes les prouesses et tous les cataclysmes de l'homme: la capacité de fabriquer des illusions et la folle volonté de les réaliser. » Mario Vargas Llosa, L'Orgie perpétuelle , p. 36 « L'auteur, dans son oeuvre, doit être comme Dieu dans l'univers, présent partout et visible nulle part. » (lettre à Louise Colet du 9 décembre 1852 Vladomir Nabokov : « La bourgeoisie, pour Flaubert, est un état d’esprit, pas un état de finances ». « Madame Bovary se donne ; emportée par les sophismes de son imagination, elle se donne magnifiquement, généreusement, d'une manière toute masculine, à des drôles qui ne sont pas égaux , exactement comme des poètes se livrent à des drôlesses... cette femme, en réalité est très sublime dans son espèce , dans son petit milieu et en face de son petit horizon... en somme, cette femme est vraiment grande , elle est surtout pitoyable , et malgré la dureté systématique de l'auteur, qui a fait tous ses

Citations Sur Mme Bov

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Citations de mme Bovary, Flaubert

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Page 1: Citations Sur Mme Bov

Mario Vargas Llosa dans L'Orgie perpétuelle (Gallimard, 1978) :« Un élément dramatique constant dans l'histoire d'Emma est le combat entre la réalité objective et la subjective. Emma ne fait pas de différence entre elles, elle ne peut vivre la réalité que de façon illusoire, ou, plutôt, elle vit l'illusion, elle tâche de la concrétiser. Illusion et réalité sont dans le roman les versions opposées d'une même chose, deux soeurs (l'une belle, l'autre laide) inséparables. La réalité découvre son aspect sordide par contraste avec l'image embellie qu'en trace — avec l'aide des romans romantiques — l'imagination d'Emma, et, parallèlement, cette réalité subjective révèle sa couleur, élévation et richesse (son caractère illusoire : son impossibilité) en étant confrontée à sa version objective, grise et mesquine. »  (p. 143-44)

« Elle, comme Don Quichotte ou Hamlet, résume en sa personnalité tourmentée et sa médiocre aventure, une certaine attitude vitale permanente, capable d'apparaître sous les habits les plus divers en différentes époques et lieux, et qui, en même temps qu'universelle et durable, représente une des quêtes les plus propres au genre humain, d'où sont issues toutes les prouesses et tous les cataclysmes de l'homme: la capacité de fabriquer des illusions et la folle volonté de les réaliser. »Mario Vargas Llosa, L'Orgie perpétuelle, p. 36

« L'auteur, dans son oeuvre, doit être comme Dieu dans l'univers, présent partout et visible nulle part. »  (lettre à Louise Colet du 9 décembre 1852

Vladomir Nabokov : « La bourgeoisie, pour Flaubert, est un état d’esprit, pas un état de finances ».

« Madame Bovary se donne ; emportée par les sophismes de son imagination, elle se donne magnifiquement, généreusement, d'une manière toute masculine, à des drôles qui ne sont pas égaux , exactement comme des poètes se livrent à des drôlesses... cette femme, en réalité est très sublime dans son espèce , dans son petit milieu et en face de son petit horizon... en somme, cette femme est vraiment grande , elle est surtout pitoyable , et malgré la dureté systématique de l'auteur, qui a fait tous ses efforts pour être absent de son œuvre et pour jouer la fonction d'un montreur de marionnettes, toutes les femmes intellectuelles lui sauront gré d'avoir élevé la femelle à une si haute puissance , si loin de l'animal pur et si près de l'homme idéal, et de l'avoir fait participer à ce double caractère de calcul et de rêverie qui constitue l'être parfait. »Charles Baudelaire, l'Artiste, 18 octobre 1857

 " L'histoire que Flaubert nous raconte est celle de la médiocrité ; et cette déception que nous

éprouvons , c'est le moment où nous découvrons que le réel est aussi le médiocre , l'ennui. mais

c'est aussi ce que nous rêvons d'abord. Et le romanesque réside en ce mouvement qui va du

rêve au réel de la rencontre, à l'échec, de ce que pourrait être notre vie à ce qu'elle est. Le roman

de Bovary n'est-il pas en fin de compte l'histoire du réel , c'est à dire le surgissement d'un éternel

ennui ? "

G Bollème, La Leçon de Flaubert, Julliard, 1964

Page 2: Citations Sur Mme Bov

 

Extraits de la correspondance de Gustave Flaubert

" J'ai le regard penché sur les mousses de moisissure de l'âme. Il y loin de là aux flamboiements

mythologiques et théologiques de Saint Antoine. Et de même que le sujet est différent, j'écris

dans un tout autre procédé. Je veux qu'il n'y ait pas dans mon livre un seul mouvement, ni une

seule réflexion de l'auteur."

A Louise Colet,  8 février 1852

 

" Toute la valeur de mon livre, s'il en a une, sera d'avoir su marcher droit sur un cheveu,

suspendu entre le double abîme du lyrisme et du vulgaire (que je veux fondre dans une analyse

narrative). "

A Louise Colet, 20 mars 1852

 

" Croyez-vous donc que cette ignoble réalité, dont la reproduction vous dégoûte, ne me fasse

tout autant qu'à vous sauter le coeur ? Si vous me connaissiez davantage, vous sauriez que j'ai

la vie ordinaire en exécration. Je m'en suis toujours, personnellement, écarté autant que j'ai pu. -

Mais esthétiquement j'ai voulu, cette fois, et rien que cette fois, la pratiquer à fond. Aussi ai-je pris

la chose d'une manière héroïque, j'entends minutieuse, en acceptant tout, en disant tout, en

peignant tout (expression ambitieuse). "

A Léon Laurent-Pichat, 2 octobre 1856

 

" On me croit épris du réel, tandis que je l'exècre. C'est en haine du réalisme que j'ai entrepris ce

roman. Mais je n'en déteste pas moins la fausse idéalité, dont nous sommes bernés par le temps

qui court. "

A Edma Roger des Genettes, 30 octobre 1856

 

Page 3: Citations Sur Mme Bov

" Madame Bovary n'a rien de vrai. C'est une histoire totalement inventée ; je n'y ai rien ni de mes

sentiments, ni de mon existence. L'illusion (s'il y en a une) vient au contraire de l'impersonnalité

de l'oeuvre. C'est un de mes principes, qu'il ne faut pas s'écrire. L'artiste doit être dans son

oeuvre comme Dieu dans la création, invisible et tout puissant ; qu'on le sente partout, mais

qu'on ne le voie pas. "

A Mlle Leroyer de Chantepie, 18 mars 1857

 

" Quand j'écrivais l'empoisonnement de Madame Bovary j'avais si bien le goût de l'arsenic dans

la bouche, j'étais si bien empoisonné moi-même que je me suis donné deux indigestions coup

sur coup, - deux indigestions réelles, car j'ai vomi tout mon dîner."

A Hippolyte Taine,  20 novembre 1866

 

Quelques citations de madame Bovary

" Qui donc écartait, à tant de distance, le matin d'avant-hier et le soir d'aujourd'hui ? Son voyage

à la Vaubyessard avait fait un trou dans sa vie, à la manière de ces grandes crevasses qu'un

orage, en une seule nuit, creuse quelquefois dans les montagnes "

première partie, Chapitre 9

 

"Quant à Emma, elle ne s'interrogea point pour savoir si elle l'aimait. L'amour, croyait-elle, devait

arriver tout à coup, avec de grands éclats et des fulgurations, -- ouragan des cieux qui tombe sur

la vie, la bouleverse, arrache les volontés comme des feuilles et emporte à l'abîme le cœur

entier. Elle ne savait pas que, sur la terrasse des maisons, la pluie fait des lacs quand les

gouttières sont bouchées, et elle fût ainsi demeurée en sa sécurité, lorsqu'elle découvrit

subitement une lézarde dans le mur. "

deuxième partie, Chapitre 4

 

Page 4: Citations Sur Mme Bov

" Il s'était tant de fois entendu dire ces choses, qu'elles n'avaient pour lui rien d'original. Emma

ressemblait à toutes les maîtresses ; et le charme de la nouveauté, peu à peu tombant comme

un vêtement, laissait voir à nu l'éternelle monotonie de la passion, qui a toujours les mêmes

formes et le même langage."

deuxième partie, Chapitre 12

 

" Vous profitez impudemment de ma détresse, monsieur ! Je suis à plaindre, mais pas à vendre !

"

troisième partie , Chapitre 7, Emma à Maître Guillaumin,

 

"...comme si la plénitude de l'âme ne débordait pas quelquefois par les métaphores les plus

vides, puisque personne, jamais, ne peut donner l'exacte mesure de ses besoins, ni de ses

conceptions, ni de ses douleurs, et que la parole humaine est comme un chaudron fêlé où nous

battons des mélodies à faire danser les ours, quand on voudrait attendrir les étoiles. "

deuxième partie, Chapitre 12

 

" car tout bourgeois, dans l'échauffement de sa jeunesse, ne fût-ce qu'un jour, une minute, s'est

cru capable d'immenses passions, de hautes entreprises. Le plus médiocre libertin a rêvé des

sultanes ; chaque notaire porte en soi les débris d'un poète. "

troisième partie, Chapitre 6

 

"Il ne faut pas toucher aux idoles : la dorure en reste aux mains "

troisième partie, Chapitre 6

« Quant à l’amour, ç’a été le grand sujet de réflexion de toute ma vie. Ce que je n’ai pas donné à

l’art pur, au métier en soi, a été là ; et le coeur que j’étudiais, c’était le mien. Que de fois j’ai senti à

mes meilleurs moments le froid du scalpel qui m’entrait dans la chair ! Bovary (dans une certaine

mesure, dans la mesure bourgeoise, autant que je l’ai pu, afin que ce fût plus général et humain)

Page 5: Citations Sur Mme Bov

sera sous ce rapport, la somme de ma science psychologique et n’aura une valeur originale que par

ce côté. En aura-t-il ? Dieu le veuille ! » (lettre à Louise Colet, 3 juillet 1852, Correspondance,

« Bibliothèque de la Pléiade », t. II, p. 124).

« Tantôt, à six heures, au moment où j’écrivais le mot attaque de nerfs, j’étais si emporté, je

gueulais si fort, et sentais si profondément ce que ma petite femme éprouvait, que j’ai eu peur moi-

même d’en avoir une » (lettre à Louise Colet, 23 décembre 1853, Corr., t. II, p. 483).

À l’inverse, on ne compte plus les déclarations qui démentent toute identification de l’homme à

son œuvre ou à son héroïne. En voici quelques-unes, classées par type de situation.

Pas de lien charnel

« Ce livre, tout en calcul et en ruses de style, n’est pas de mon sang, je ne le  porte point en mes

entrailles, je sens que c’est de ma part une chose voulue, factice » (lettre à Louise Colet, 21 mai

1853, Corr., t. II, p. 329).

« Ce qui fait que je vais si lentement, c’est que rien dans ce livre n’est tiré de moi  ; jamais ma

personnalité ne m’aura été plus inutile. Je pourrai peut-être par la suite faire des choses plus fortes

(et je l’espère bien), mais il me paraît difficile que j’en compose de plus habiles. Tout est de  tête »

(lettre à Louise Colet, 6 avril 1853, Corr., t. II, p. 297).

Pas de lien affectif

« La B[ovary] a été pour moi une affaire de parti pris, un thème. Tout ce que j’aime n’y est pas »

(lettre à Edma Roger des Genettes, 30 octobre 1856, Corr., t. II, p. 644).

« Avec une lectrice telle que vous, Madame, et aussi sympathique, la franchise est un devoir. Je

vais donc répondre à vos questions : Madame Bovary n’a rien de vrai. C’est une histoire totalement

inventée ; je n’y ai rien mis ni de mes sentiments ni de mon existence. L’illusion (s’il y en a une)

vient au contraire de l’impersonnalité de l’œuvre » (lettre à Marie-Sophie Leroyer de Chantepie,

18 mars 1857, Corr., t. II, p. 691).

Position d’extériorité

« Bovary, en ce sens, aura été un tour de force inouï et dont moi seul jamais aurai conscience :

sujet, personnage, effet, etc., tout est hors de moi. Cela devra me faire faire un grand pas par la

suite. Je suis, en écrivant ce livre, comme un homme qui jouerait du piano avec des balles de plomb

sur chaque phalange » (lettre à Louise Colet, 26 juillet 1852, Corr., t. II, p. 140).

« Bon ou mauvais, ce livre aura été pour moi un tour de force prodigieux, tant le style, la

composition, les personnages et l’effet sensible sont loin de ma manière naturelle. Dans Saint

Antoine j’étais chez moi. Ici, je suis chez le voisin. Aussi je n’y trouve aucune commodité » (lettre à

Louise Colet, 13 juin 1852,Corr., t. II, p. 104).

Saint Antoine

« J’ai été moi-même dans Saint Antoine le saint Antoine » (lettre à Louise Colet, 31 janvier

1852, Corr., t. II, p. 40).

« J’ai toujours péché par là, moi ; c’est que je me suis toujours mis dans tout ce que j’ai fait. À la

place de saint Antoine, par exemple, c’est moi qui y suis […] » (lettre à Louise Colet, 5-6 juillet

1852, Corr., t. II, p. 127).Frédéric Moreau

Page 6: Citations Sur Mme Bov

Premier scénario de L’Éducation sentimentale : « le mari, la femme, l’amant. Me Sch[lesinger]. –

Mr Sch. Moi » (scénario de 1862 ; Carnet de notes n° 19, f° 35).

« […] Frédéric, qui n’est autre que Flaubert […] », Maxime Du Camp, Souvenirs littéraires [1882-

1883], Aubier, 1994, p. 581.

P527 : « toute la valeur de mon livre, s’il en a une, sera d’avoir su marcher droit sur un cheveu, suspendu entre le double abîme du lyrisme et du vulgaire » (Flaubert 1852) P535 près de 2000 pages de brouillons, plusieurs scénarios… Il s’astreint, avant de rédiger, à un solide travail de préparation : plans et scénarios, de plus en plus développés et précis au fur et à mesure que le roman avance. Cela afin de ne jamais perdre de vue l’ensemble : «   les perles composent le collier, mais c’est le fil qui fait le collier   »   P535 On peut tout aussi bien amuser avec des idées qu’avec des faits, mais il faut qu’elles découlent l’une de l’autre comme des cascades. Flaubert revient constamment sur ce qu’il a écrit pour l’ajuster à l’ensemble, en perdant beaucoup de temps P538 Mon roman m’ennuie, je suis stérile comme un caillou. P577 La confrontation du réel et de l’imaginaire aboutit à des échecs répétés qui aggravent sa déception et exaspèrent sa frustration.   P589 «   Le seul moyen de supporter l’existence, c’est de s’étourdir dans la littérature comme dans une orgie perpétuelle.   »  

A moins d'être un crétin, on meurt toujours dans l'incertitude de sa propre valeur et de celle de ses oeuvres.

A un certain âge, les deux bras d'un fauteuil vous attirent plus que les deux bras d'une femme.

Ah! La faim! La faim! Ce mot-là, ou plutôt cette chose-là, a fait des révolutions; elle en fera bien d'autres!

Bien des choses s'éclaireraient si nous connaissions notre propre généalogie.

Chacun de nous a dans le coeur une chambre royale; je l'ai murée, mais elle n'est pas détruite.

Dans l'adolescence on aime les autres femmes parce qu'elles ressemblent plus ou moins à la première; plus tard on les aime parce qu'elles diffèrent entre elles.

Egoïsme: Se plaindre de celui des autres, et ne pas s'apercevoir du sien.

Il faut que les endroits faibles d'un livre soient mieux écrits que les autres.

Il faut une vanité peu commune pour qu'on ne s'aperçoive pas que vous en avez.

Il faut être assez fort pour se griser avec un verre d'eau et résister à une bouteille de rhum.

Il ne faut jamais penser au bonheur; cela attire le diable, car c'est lui qui a inventé cette idée-là pour faire enrager le genre humain.

Page 7: Citations Sur Mme Bov

Il y a des hommes n'ayant pour mission parmi les autres que de servir d'intermédiaires; on les franchit comme des ponts, et l'on va plus loin.

Il y a des outrages qui vous vengent de tous les triomphes, des sifflets qui sont plus doux pour l'orgueil que des bravos. 

Imbéciles: Ceux qui ne pensent pas comme nous.

J'ai toujours tâché de vivre dans une tour d'ivoire; mais une marée de merde en bat les murs, à la faire crouler...

Je dors comme un caillou, je mange comme un ogre et je bois comme une éponge.

L'art est la recherche de l'inutile; il est dans la spéculation ce qu'est l'héroïsme dans la morale.

L'artiste doit s'arranger de façon à faire croire à la postérité qu'il n'a pas vécu.

L'auteur dans son oeuvre doit être comme Dieu dans l'univers, présent partout et visible nulle part.

L'égalité, c'est l'esclavage. Voilà pourquoi j'aime l'art. C'est que là, au moins, tout est liberté dans ce monde des fictions.

La Critique est la dixième Muse et la Beauté la quatrième Grâce.

La censure, quelle qu'elle soit, me paraît une monstruosité, une chose pire que l'homicide; l'attentat contre la pensée est un crime de lèse-âme. La mort de Socrate pèse encore sur le genre humain.

La colère n'a pas de force, c'est un colosse dont les genoux chancellent et qui se blesse lui-même encore plus que les autres.

La courtisane est un mythe. Jamais une femme n'a inventé une débauche.

La manière la plus profonde de sentir quelque chose est d'en souffrir. 

La mort n'a peut être pas plus de secrets à nous révéler que la vie?

La parole est un laminoir qui allonge toujours les sentiments.

Le comble de l'orgueil, c'est de se mépriser soi-même.

Le crétin diffère moins de l'homme ordinaire que celui-ci ne diffère de l'homme de génie.

Le meilleur (des gouvernements) pour moi, c'est celui qui agonise, parce qu'il va faire place à un autre.

Le meilleur de la vie se passe à dire «il est trop tôt», puis «il est trop tard».

Le mot ne manque jamais quand on possède l'idée.

Le souvenir est l'espérance renversée. On regarde le fond du puits comme on a regardé le sommet de la tour.

Le style est autant sous les mots que dans les mots.

Page 8: Citations Sur Mme Bov

Les affections profondes ressemblent aux honnêtes femmes; elles ont peur d'être découvertes, et passent dans la vie les yeux baissés.

Les coeurs des femmes sont comme ces petits meubles à secret, pleins de tiroirs emboîtés les uns dans les autres.

Que nous sommes sots de toujours nous plaindre. Et d'ailleurs c'est si commun que ceux qui se piquent de quelque distinction devraient s'en abstenir.

Rien n'est humiliant comme de voir les sots réussir dans les entreprises où l'on échoue.

Tous les drapeaux ont été tellement souillés de sang et de m... qu'il est temps de n'en plus avoir du tout.

Tout amuse quand on y met de la persévérance: l'homme qui apprendrait par coeur un dictionnaire finirait par y trouver du plaisir.

Vieillard: A propos d'une inondation, d'un orage, etc., les vieillards du pays ne se rappellent jamais en avoir vu un semblable.

"Je ne crois rien et suis disposé à croire à tout, si ce n'est aux sermons moralistes."(Gustave Flaubert / 1821-1880 / sur son cahier de collégien)

"Quelle chose grandement niaise et cruellement bouffonne que ce mot qu'on appelle Dieu !"(Gustave Flaubert / 1821-1880 / Ecrits de jeunesse, Agonies / 1838)

"On a souvent parlé de la Providence et de la bonté céleste; je ne vois guère de raisons d'y croire. Le Dieu qui s'amuserait à tenter les hommes pour voir jusqu'à quel point ils peuvent souffrir, ne serait-il pas aussi cruellement stupide qu'un enfant qui, sachant que le hanneton va mourir, lui arrache d'abord les ailes, puis les pattes, puis la tête?"(Gustave Flaubert / 1821-1880 / Agonies, pensées sceptiques, 1838)

"Chaque jour vous dites sans scrupule : "faites le bien, évitez le mal, aimez Dieu, nous avons une âme immortelle", sans savoir ce que c'est que le bien et le mal, sans jamais avoir vu Dieu, sans savoir s'il existe, et vous en rapportant à la foi d'un vieux prêtre radoteur qui, comme vous, n'en savait rien ; pour l'âme, vous en êtes sûr, convaincu, persuadé, vous donneriez votre sang pour elle, et qui vous l'a démontrée ?"(Gustave Flaubert / 1821-1880 / Smarh /1839)

"La conception du paradis est au fond plus infernale que celle de l'enfer. L'hypothèse d'une félicité parfaite est plus désespérante que celle d'un tourment sans relâche, puisque nous sommes destinés à n'y jamais atteindre."(Gustave Flaubert / 1821-1880 / lettre à Louise Colet, 21 mai 1853)

"Il ne faut jamais penser au bonheur; cela attire le diable, car c'est lui qui a inventé cette idée-là pour faire enrager le genre humain."(Gustave Flaubert / 1821-1880 / lettre à Louise Colet, 21 mai 1853)

"Le bonheur est un mythe inventé par le diable pour nous désespérer."(Gustave Flaubert / 1821-1880 / Lettre à Louise Colet, 18 décembre 1853)

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"Il ne faut pas toucher aux idoles : la dorure en reste aux mains."(Gustave Flaubert / 1821-1880 / Madame Bovary / 1857)

"Je n'admets pas un bonhomme de bon Dieu qui se promène dans son parterre la canne à la main, loge ses amis dans le ventre des baleines, meurt en poussant un cri et ressuscite au bout de trois jours : choses absurdes en elles-mêmes et complètement opposées d'ailleurs à toutes les lois de la physique."(Gustave Flaubert / 1821-1880 / Madame Bovary / 1857)

"J'ai une religion, ma religion, et même j'en ai plus qu'eux tous, avec leurs mômeries et leurs jongleries ! J'adore Dieu, au contraire ! Je crois en l'Etre suprême, à un Créateur, quel qu'il soit, peu m'importe, qui nous a placés ici-bas pour y remplir nos devoirs de citoyen et de père de famille ; mais je n'ai pas besoin d'aller dans une église, baiser des plats d'argent, et engraisser de ma poche un tas de farceurs qui se nourrissent mieux que nous ! Car on peut l'honorer aussi bien dans un bois, dans un champ, ou même en contemplant la voûte éthérée, comme les anciens. Mon Dieu, à moi, c'est le Dieu de Socrate, de Franklin, de Voltaire et de Béranger ! Je suis pour la Profession de foi du vicaire savoyard et les immortels principes de 89 !"(Gustave Flaubert / 1821-1880 / Madame Bovary / 1857)

"Les sciences n’ont fait de progrès que du moment où elles ont mis de côté cette idée de cause. Le Moyen Age a passé son temps à rechercher ce que c’était que la substance, Dieu, le mouvement, l’infini, et il n’a rien trouvé, parce qu’il était intéressé, égoïste, pratique dans la recherche de la vérité.(Gustave Flaubert / 1821-1880 / lettre à Mademoiselle Leroyer de Chantepie, 19 décembre 1859)

"Tous les drapeaux ont été tellement souillés de sang et de merde qu'il est temps de n'en plus avoir, du tout."(Gustave Flaubert / 1821-1880 / Lettre à George Sand, 5 juillet 1869)

"Sans doute par l'effet de mon vieux sang normand, depuis la guerre d'Orient, je suis indigné contre l'Angleterre, indigné à en devenir Prussien ! Car enfin, que veut-elle ? Qui l'attaque ? Cette prétention de défendre l'Islamisme (qui est en soi une monstruosité) m'exaspère. Je demande, au nom de l'humanité, à ce qu'on broie la Pierre-Noire, pour en jeter les cendres au vent, à ce qu'on détruise La Mecque, et que l'on souille la tombe de Mahomet. Ce serait le moyen de démoraliser le Fanatisme."(Gustave Flaubert / 1821-1880 / Lettre à Madame Roger des Genettes / 12 ou 19 janvier 1878)

"J'en ai bientôt fini avec mes lectures sur le magnétisme, la philosophie et la religion. Quel tas de bêtises ! Ouf ! Et quel aplomb ! Quel toupet ! Ce qui m'indigne ce sont ceux qui ont le bon Dieu dans leur poche et qui vous expliquent l'incompréhensible par l'absurde. Quel orgueil que celui d'un dogme quelconque !"(Gustave Flaubert / 1821-1880 / lettre à Madame Roger des Genettes / 14 mars 1879)

"La manière dont parlent de Dieu toutes les religions me révolte, tant elles le traitent

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avec certitude, légèreté et familiarité. Les prêtres surtout, qui ont toujours ce nom-là à la bouche, m'agacent. C'est une espèce d'éternuement qui leur est habituel : la bonté de Dieu, la colère de Dieu, offenser Dieu, voilà leurs mots. C'est le considérer comme un homme et, qui pis est, comme un bourgeois."(Gustave Flaubert / 1821-1880 / lettre à madame Roger des Genettes / 18 décembre 1879)

"Le comte objecta que le christianisme, pas moins, avait développé la civilisation."Et la paresse, en faisant de la pauvreté une vertu.- Cependant, monsieur, la morale de l'Evangile ?- Eh ! eh ! pas si morale ! Les ouvriers de la dernière heure sont autant payés que ceux de la première. On donne à celui qui possède, et on retire à celui qui n'a pas. Quant au précepte de recevoir des soufflets sans les rendre et de se laisser voler, il encourage les audacieux, les lâches et les coquins."(Gustave Flaubert / 1821-1880 / Bouvard et Pécuchet / 1881)

"Si Dieu avait une volonté, un but, s'il agissait pour une cause, c'est qu'il aurait un besoin, c'est qu'il manquerait d'une perfection. Il ne serait pas Dieu."(Gustave Flaubert / 1821-1880 / Bouvard et Pécuchet / 1881)

"J'aime mieux l'athée qui blasphème que le sceptique qui ergote !"(Gustave Flaubert / 1821-1880 / Bouvard et Pécuchet / 1881)

"Il avait espéré l'accord de la Foi et de la Raison.Bouvard lui fit lire ce passage de Louis Hervieu :"Pour connaître l'abîme qui les sépare, opposez leurs axiomes :"La Raison vous dit : Le tout enferme la partie ; et la Foi vous répond par la substantiation. Jésus communiant avec ses apôtres, avait son corps dans sa main, et sa tête dans sa bouche."La Raison vous dit : On n'est pas responsable du crime des autres -- et la Foi vous répond par le Péché originel."La Raison vous dit : Trois c'est trois -- et la Foi déclare que : Trois c'est un.""(Gustave Flaubert / 1821-1880 / Bouvard et Pécuchet / 1881)

"Concupiscence : mot de curé pour exprimer les désirs charnels."(Gustave Flaubert / 1821-1880 / Dictionnaire des idées reçues)

"Crucifix : Fait bien dans une alcôve et à la guillotine."(Gustave Flaubert / 1821-1880 / Dictionnaire des idées reçues)

"Déicide : s'indigner contre, bien que le crime ne soit pas fréquent."(Gustave Flaubert / 1821-1880 / Dictionnaire des idées reçues)

"Jansénisme : On ne sait pas ce que c’est, mais il est chic d’en parler."(Gustave Flaubert / 1821-1880 / Dictionnaire des idées reçues)

"Prêtres : On devrait les châtrer. Couchent avec leurs bonnes et en ont des enfants qu'ils appellent leurs neveux. C’est égal, il y en a de bons tout de même."(Gustave Flaubert / 1821-1880 / Dictionnaire des idées reçues)

Page 11: Citations Sur Mme Bov

"Religion : fait partie des bases de la société. Est nécessaire pour le peuple, cependant pas trop n'en faut. "La religion de nos pères", doit se dire avec onction."(Gustave Flaubert / 1821-1880 / Dictionnaire des idées reçues)

"Science : un peu de science écarte de la religion et beaucoup y ramène."(Gustave Flaubert / 1821-1880 / Dictionnaire des idées reçues)

Autre particularité également remarquable ! parmi tous ces personnages très-réels et

très-vivants, il n'en est pas un seul qui puisse être supposé celui que l'auteur voudrait

être ; aucun n'a été soigné par lui à d'autre fin que pour être décrit en toute précision et

crudité, aucun n'a été ménagé comme on ménage un ami ; il s'est complètement

abstenu, il n'y est que pour tout voir, tout montrer et tout dire ; mais dans aucun coin du

roman on n'aperçoit même son profil. L'œuvre est entièrement impersonnelle. C'est une

grande preuve de force.

Sainte-Beuve,  Le Moniteur Universel, 4 mai 1857.

"Il y a en moi, littérairement parlant, deux bonshommes distincts : un qui est épris de gueulades, de lyrisme, de grands vols d'aigle, de toutes les sonorités de la phrase et des sommets de l'idée; un autre qui creuse et fouille le vrai tant qu'il peut, qui aime à accuser le petit fait vrai aussi puissamment que le grand, qui voudrait vous faire sentir presque matériellement les choses qu'il reproduit." Correspondance (1852) "Ce qui me semble beau, ce que je voudrais faire, c'est un livre sur rien, un livre sans attache extérieure, qui se tiendrait de lui-même par la force interne de son style (...) un livre qui n'aurait presque pas de sujet ou du moins où le sujet serait presque invisible, si cela se peut (...) il n'y a ni beaux, ni vilains sujets et (...) on pourra presque établir comme axiome, en se posant du point de vue de l'art pur, qu'il n'y en a aucun, le style étant à lui tout seul une manière absolue de voir les choses." Correspondance (Lettre à Louise Colet, 16 janvier 1852) "Extrayons (la poésie) de n'importe quoi car elle gît en tout et partout : pas un atome de matière qui ne contienne la pensée; et habituons-nous à considérer le monde comme une oeuvre d'art dont il faut reproduire les procédés dans nos oeuvres." Correspondance (27 mars 1853)

II. Un livre sur rien ? Madame Bovary est à certains égards un anti-roman. Il a l’apparence d’un roman, mais il est en rupture par rapport à la forme traditionnelle des romans de son époque. Flaubert remet en question l’intrigue et la psychologie telles qu’elles sont déployées habituellement dans les romans du 19ème siècle (par exemple Balzac…). Il ne met pas l’accent sur la psychologie en tant que telle : le narrateur ne fait pas de commentaires, ou très peu, sur les raisons, les motivations des comportements de ses personnages. Très discret, le narrateur n’intervient plus vraiment pour établir une relation avec le lecteur, pour juger d’une façon ou d’une autre le parcours de ses personnages. Quant à l’intrigue, Flaubert considère qu’il n’y a pas « de beaux sujets en littérature » : on peut faire histoire, roman de tout, on peut parler de n’importe quoi, n’importe quel fait divers peut devenir la matière d’un roman. Flaubert ne croit pas à la connaissance impersonnelle et objective : « Autant de verres colorés que de regards. » Le narrateur omniscient au sens traditionnel disparaît : il existe au début, mais s’efface au profit d’une succession de points de vue. Emma nous est d’abord présentée à travers le regard de Charles. C’est une vision fragmentaire que nous avons d’elle, celle du regard de Charles, de la découverte par Charles de la femme qu’il aimerait épouser. Puis nous

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changeons de perspective, pour voir les choses, les événements à travers le regard d’Emma, et parfois d’autres personnages, comme Léon au début de la deuxième partie, à partir de qui on découvre de manière critique certains personnages de Yonville. Flaubert procède dans ce roman comme s’il ne voulait pas intervenir dans son livre, en être absent : sa théorie, c’est que « L’auteur, dans son œuvre, doit être comme Dieu dans l’univers, présent partout, et visible nulle part. » Au-dessus des événements, il met en place une école du regard multiple : on ne voit que ce que tel ou tel observateur peut voir. La notion de narrateur omniscient n’est plus appropriée : elle est remplacée par une succession de points de vue. Le tour de force de Flaubert, c’est ce jeu de passer, 2 parfois insensiblement, d’une perspective à une autre. Il privilégie cette démarche par rapport à l’histoire, à l’intrigue en tant que telles.