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DU SOUFFLE AU CRI, L'ART DE LA MORAVIE Quatuor à corps d'écrit de mise à nu Claude Maillard ERES | Insistance 2005/1 - no 1 pages 117 à 122 ISSN 1778-7807 Article disponible en ligne à l'adresse: -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- http://www.cairn.info/revue-insistance-2005-1-page-117.htm -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- Pour citer cet article : -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- Maillard Claude, « Du souffle au cri, l'art de la moravie » Quatuor à corps d'écrit de mise à nu, Insistance, 2005/1 no 1, p. 117-122. DOI : 10.3917/insi.001.0117 -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- Distribution électronique Cairn.info pour ERES. © ERES. Tous droits réservés pour tous pays. La reproduction ou représentation de cet article, notamment par photocopie, n'est autorisée que dans les limites des conditions générales d'utilisation du site ou, le cas échéant, des conditions générales de la licence souscrite par votre établissement. Toute autre reproduction ou représentation, en tout ou partie, sous quelque forme et de quelque manière que ce soit, est interdite sauf accord préalable et écrit de l'éditeur, en dehors des cas prévus par la législation en vigueur en France. Il est précisé que son stockage dans une base de données est également interdit. 1 / 1 Document téléchargé depuis www.cairn.info - univ_paris7 - - 201.214.60.73 - 06/07/2012 19h01. © ERES Document téléchargé depuis www.cairn.info - univ_paris7 - - 201.214.60.73 - 06/07/2012 19h01. © ERES

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DU SOUFFLE AU CRI, L'ART DE LA MORAVIEQuatuor à corps d'écrit de mise à nuClaude Maillard ERES | Insistance 2005/1 - no 1pages 117 à 122

ISSN 1778-7807

Article disponible en ligne à l'adresse:

--------------------------------------------------------------------------------------------------------------------http://www.cairn.info/revue-insistance-2005-1-page-117.htm

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Pour citer cet article :

--------------------------------------------------------------------------------------------------------------------Maillard Claude, « Du souffle au cri, l'art de la moravie » Quatuor à corps d'écrit de mise à nu,

Insistance, 2005/1 no 1, p. 117-122. DOI : 10.3917/insi.001.0117

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Distribution électronique Cairn.info pour ERES.

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DU SOUFFLE AU CRI, L’ART DE LA MORAVIEQUATUOR À CORPS D’ÉCRIT DE MISE À NU

Claude Maillard

INSISTANCE N°1 117

Reprendre. Réécouter, attendre. Du corps,comme un début d’histoire. Ne pas savoir d’avancede ce qui se dira, s’entendra. Laisser venir la paroled’un dessus/dessous d’écriture. Écrire.

Le corps se ploie, se redresse, s’instinctive. Et lesorganes tapis à l’ombre de la coupole diaphragmeprêtent vie à ce qui se déploie.

– Qu’écoutez-vous de ce qui ne s’entend, et quitravaille en bas bruit du larynx de mémoire. Hors lasoute à bagages. Là, juste au carrefour des bullesd’exigence et de l’oratorio des incertitudes.

Des profondeurs les plus sous-bassantes et lesplus lointaines des couches d’ouessant, ça souffle.

Le passeur est-il celui qui souffle. À pousserl’exigence, on en traduirait le manque. Alors, il yaurait comme il y avait eu un indice d’outre-lieu.Une familière attente.

Ne demeure que ce qui n’a pas eu lieu. Et c’estd’éveil et de retour à la mesure du corps, et à son dia-pason, que le ça s’origine dans la pulse du souffle.

Le souffle. S’y glisser, s’y prendre tournure. S’yétendre. Y concevoir ce sur quoi ça se re-pose.Souffle d’avant les mots. Bien avant, comme on ditbienheureux.

Souffle, aller le chercher. Là, à l’ombilic du rêve.À la source de la corde jumelle.

Souffle, bulles de l’ère archaïque faisant vaguesur l’amnios et sur les empreintes de l’avant-gardedes grands fonds abyssaux de la mère morte. C’estde ce fond que prend figure le féminin de l’hommeet de la femme.

Souffle à l’échappée du cadaver vivant. Quitte àlui faire faire le tour même de la trappe. Revenir parce souffle à la portée du chiffre. Y distinguer l’aigude ce sur quoi ça inscrit. Dans le décisif de l’instant.faire de l’instance ce qui fait insistance. Mouvementss’accompagnant de l’haleine de l’Autre.

L’attrape-souffle, tel le souffle du poème chinoisZhu li guan.

Wang Wei (701-761) est l’un des plus grandspeintres et poètes. Zhu li guan fait partie des poèmesles plus cités dans les articles sur le xiao comme surle qin ; repris dans de nombreuses anthologies, il aété souvent illustré. Je n’en connais en revanche pasde version chantée.

La gloriette aux bambous1

Assis seul à l’écart au milieu des bambousJe joue de la cithare et je chante à pleine voixDans la forêt profonde où les hommes m’ou-

blient,Seul un rayon de lune est venu m’éclairer.

1. Traduit parTch’eng Ki-hien etrévisé par Diény, inDemiéville 1976 :273.

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118 INSISTANCE N°1

2. Traduit parPatrick Carré

(1989 : 211).

VOIX, SOUFFLE

L’auberge des bambous2

Assis seul dans le secret des bambousLongtemps je siffle au chant de luth.Au bois profond nul ne me connaît.Je reflète la lune qui vient m’illuminer.

François Picard, Chine : Le Xiao, ou souffle sonorisé.

Le transfert emprunte ce souffle. S’y appuie. Sepeine à le regarder disparaître dans sa nébuleuseinsomnie. Sans ce souffle, pas de corps analyste.

Souffle en retenue de l’Autre. Dans l’ouvert d’unebrève douleur de jouissance.

Le souffle sans bruits travaille, au redouté dudoute et de la croyance. Y a-t-il quelqu’un qui souf-fle. L’énigme de l’homme est à son plus haut point ;elle le blesse, n’est-ce pas, mais l’humanise aussi. Lecorps descendrait-il encore de sa soupente qu’il yaurait alors et le fruit et l’exode.

L’ enfant de Jérusalem revient, sur le bord fait dusouffle de la promesse. Mais est-ce un enfant. Neserait-ce pas plutôt une réplique. Un état de fait. Unhaut lieu pour un point de retournement essentiel.Touchant à l’arché, l’origine.

Ça souffle dans les profondeurs de la langue. Dansl’écriture du dessous se désécrivant pour se réécrireautrement. Faisant entendre toujours autre chose.Une chose autre. De l’Autre, en mémoire illisible.

De ce souffle, aucune réponse aux questionshumaines. Ça soufflerait même sur les questionspour les indisposer, déplaçant les traces sans pourautant les effacer. À l’infini du souffle, nul n’estappelé. Ce souffle, à l’écouter dans ses flots d’outre-mère, dans ses résurgences palimpsestes. De l’infan-tile, ce souffle.

MISE À NU. Premier mouvement

Revenir au son sonore sonorisé. De dessus dessouset d’entre les mots, les arquant jusqu’en leurs creux etleurs aigus. Les instabilisant dans leur en-devenir. Leurprodiguant un cheminement inattendu. Retraçant enla dissipant leur origine. Offrant qu’ils s’absententpour mieux les ressaisir. L’a-sonore du corps est là,dans l’écoute de ses incalculables possibles.

Les tremblements sonores du souffle, les mobili-tés imprévisibles du son sonorisé. Ce jeu en alphabetd’images du son sonorisé du souffle en noir et blanccouleurs.

Aller à l’insonore du son. Vers le lieu où ruissellele souffle. Les mnésis du souffle dans leur champd’ombre et de lumière. Les imaginer à l’œuvre despossibles du corps. Des impossibles aussi.

Y a-t-il une image du souffle. Ne se produit-elle àl’entendre que dans le son sonore de l’imagine. Ceson irreproductible faisant défaillir la mémoire.

À la lisière du souffle, l’espace blanc du silence oùle son prend appui. Comme le corps dans son appuià la faille.

Le son parle du souffle. Lui parle, aussi. Dans lesilence qui ourle et désourle les mots.

Le souffle veille à bas bruit et impulse les trouéessonores. Que l’écoute le perçoive fait entendre lessilences et les profondeurs de la Chose. Son extrêmemise à demeure sans que rien ne puisse la déranger.En ce temps de la perte, elle est silence. Silencesonore, au cœur même de l’aridité la plus menson-gère. La plus solitaire, aussi. Celle d’un kalicarpa oùles baies seraient les vraies racines.

Saisir le silence sonore dans l’acoustique ducorps ; y repérer ses dissidences, ses contrepoints etses fausses notes, n’est-ce pas retourner au père par

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INSISTANCE N°1 119

voie de Genèse sans mots pour le dire. Naissanced’avant la naissance. Père, comme ascendant de lalettre. N’est-ce pas donner au souffle sa plus-valuede conséquence et son inéluctable responsabilité.

Véritable œuvre d’art que cette transhumancesouffle son vers l’investiture de l’Autre. De ce parlê-tre Autre.

Sur le silence au risqué du sonore repose le souf-fle et le son. En deçà d’un réel qui s’ignore. Mais qui,en quelque sorte, donne jeu au printemps de la nais-sance des mots.

Souffle sonore sonorisé d’avant la voix. Amenantles mots à se poser. Les y incitant. En quelque sorteleur faisant signe, d’entre l’en-dedans ça et le réel del’Autre. Mots s’imprimant à écrire et par bouffées desouffle, s’exprimant à dire.

La langue s’agite, à balbutier le non sens du sensdans le sonore du souffle. Bruissant l’inconnu dusilence d’où elle naît sans paroles, mais non pas sansradicelles de langues ; mais alors, de quelles langues.De ce « d’où » à la brèche de l’abîme ; topos de cessons silencieux.

N’y a-t-il pas un temps à retenir, loin en-deça duça, où la langue par le souffle traverse les strates del’archaïsme voire des palimpsestes d’origine. Tempsd’histoire sans mots d’un film muet grandeur natureretrouvé lors du dernier souffle.

MISE À NU. Deuxième mouvement

Alors voilà, ça parle. Là, juste au-dessus de laligne d’en-deça d’une parole inaudible, ne se prêtantpas à l’ouïr du dire, pas faite pour l’écoute de l’autre,des autres, à peine pour celle à soi, même si.

Cette parole filée – comme fil de soie se dérou-lant, mais d’où et de quel cocon – tire une ligne pres-

que illisible dans son invisibilité, même pour les yeuxdu dedans ; c’est une ligne d’écriture pour le moinsimphotographiable, apparaissant et disparaissantligne après ligne sur la même ligne, ce qui permet dedire : qu’entend-on de ce qui ne s’ouït pas et quis’écrit pour déjà se désécrire.

Écriture des dessous de la langue dans les pro-fondeurs stratifiées d’un livre sans feuillet – mais est-ce un livre.

Ce fil de cocon s’anime du désir qui l’invente. Sedévidant sans coupure ni blanc-seing en mouvementsondulatoires d’arrêts et de reprises. Et pouvant dispa-raître à tout instant dans la nuit noire du corps de là oùil est venu et d’où il s’est inscrit, en un lieu d’en-deçales profondeurs substantielles d’outre-mère.

Reviendrait-il, qu’il pourrait se présenter en unelinéarité d’un a-plat immobile. Forme d’un tracéantérieur en perte de son scribe. Temps d’attented’une sourde de muette apparence. D’une inéditeécriture. Ligne d’imprimante de la pulsion de mort.

Et puis voilà, de nouveau ça parle et ça écrit dansl’écoutille des deux royaumes du corps et du lan-gage. Imperceptiblement, la dictée revient. Reprend.Surpasse et surfile l’inouï inécrit qui s’invente. Aussiimprévisible que le rêve, cet écrit parole. N’endemeure pas moins lié à la nécessité absolue de lavie, mort comprise.

Si proche de la folie qu’on en ressent l’attraction,voire l’attirance maldive. Avec cette perception tangiblede vide et de vitesse. (D’où mon mot trouvaille de« videsse »). Mais à la différence de la folie, le vide n’estpas sans fond, et la vitesse n’est pas l’explosive ni la dis-séminante. Ça écrit à la frontière, et faisant frontière à.

Ce qui s’écrit illisiblement se déchiffre. Ce quis’entend inaudiblement se prête à voix. Rares les ins-tants de déchiffrage d’inconnaissance. Comme on ne

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rêve pas à volonté, on n’écrit pas de cet écrit d’écri-ture à volonté. S’y laisser conduire quand ça vientsans s’y laisser aller, engendre des mouvements d’ac-cueil de l’inexploré d’un temps in-actuel. Dans unchamp où Éros et Thanatos se font vis-à-vis ou profilà profil sans y croire. Mais il y a de l’Un et de l’Autreentre les deux fils de l’histoire, pour que ça continue.À écrire peut-être. Ou à s’y interdire. Tabou or nottabou d’écriture. Ne pas ou ne plus s’y autoriser àécrire de cet écrit. Ne dit-on pas « toucher » à l’écri-ture. Rituel, cérémonie, sacrifice… le meurtre de l’ob-jet n’est pas loin de la ligne, et les pourquoi commentn’arrivent ni à l’y soustraire, ni à la fonder. À l’enfoncédu cri d’écriture, nul n’est quitte.

Aller à l’écrit d’écriture. S’y approcher dans unedescente et remontée si singulière. Toucher à peine,et refleurir en émergences pouvant s’interrompre àtout moment. Pointer du père dans cette audienced’avant la mère. Phobie, obsession… c’est cela, aussi,l’écrit d’écriture. Qui ne s’y risque l’entend et ne s’yfourvoie. Mais l’autre qui écrit d’écriture s’y figure,acrobate d’un fil qu’il se tend à lui-même et qui sous-tend la parole absente en advenir de présence dansl’impulsé du corps.

D’où avance-t-il et d’où revient-il, celui quifunambule l’écriture. La prenant au pied de la lettredans l’inécrivable du corps s’inscrivant à la verticaledu vide et de l’énigme. Acrobate erectus dans sa cher-che et sa demande de filiation du chaos. C’est l’écritd’écriture qui érige l’homme et donne parole. Écritd’écriture, bien plus inconnu que le génome lui-même et qui fait de l’homme le parlêtre qu’il est.

Souffle la voix invocale. Celle placée plus hautque la ligne d’écrit. Voix de tête, au sens le plus pré-cis du terme, d’au-dessus le diaphragme mouvant lalangue dans le fil d’écrit, entre les lignes des sons et

des lettres, là où se joue un opéra que le sujet conçoiten même temps qu’il le déchiffre. Voix des inacheva-bles écrits et désécrits de l’écrit d’écriture. Dans le jeudu dé de la raison déraisonnable d’où le fil de coconse tient et se déroule.

Reprendre le mot scribe à l’inventé du voyage. Lelire en double fond de là d’où il réapparaît, s’étantmomentanément absenté.

Scribe. Le mot s’ironise. Une minute de scrispation.Du S barré dans les pas du cri. Le corps analyste semobilise. Doit-il se logiquer, s’araisonner, se reloquerde concepts, ou bien se dionyser et faire acte de danse.

Alors, l’art… À l’entendre, la marche ou plutôt ladanse qui ouvre et dessine la voie à l’affirmation pre-mière, à celle qui porte le nom d’Éros ou des pul-sions de vie.

De ce pas qui rétrograde pour arriver à s’élancer,l’élan de l’écart permettant à la vie de prendre le passur la mort.

MISE À NU. Troisième mouvement

Attendre encore. Pour y revenir à ce qui se déli-vre et se livre dans les profondeurs de l’Oreste. Là,où le silence d’écriture impressionne le corps. Là, oùne se posent ni les mots ni les choses mais où ils s’yvectorisent.

Se laisser aller à écouter comme de derrière uneporte l’abécédaire sans fond des plus rhizoméliquesorigines. Le faire, en retenant son souffle pour accé-der au plus près de ce qui s’est perçu et perdu à lafois. De ce qui s’est joué du cri de la mère morte,dans le mutisme d’un sublime abyssal, en un tempshors langage ou plutôt d’entre lui et le corps.

Les paroles de quel dialogue, de quelle sourceinconnaissable, se jouxent-elles entre qui et qui ;

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sans quoi ni qu’est-ce pour le dire ou y répondre.D’avant le cri, qu’y aurait-il, qu’y a-t-il eu. Et de quelcri se joue la vie.

De ce lieu mutique d’outre silence, corne l’abon-dance de la prise et de la déprise touchant en pureperte l’impossible.

Qu’avoir lu, par ce regard d’avant les yeux dudehors, dans l’épais palimpseste des écritures bienplus archaïques que les cunéiformes. Qu’en avoirentendu de cet alphabétisme d’avant la lettre. Le jouïrillettré du grand Autre est déjà là. Dans le temps cosi-gné de l’aventure humaine. Depuis l’ombre portéed’un à peine du partage qui accouche le cri.

Comment l’entendre dans ce qu’il entreprend etappelle. Comment ne pas continuer à le percevoir,même disparu. Le cri est là, dans sa permanenceabsolue, inaudible et sauvage. Hors question de letraduire, il est intraductible, comme le nom proprede la lignée maternelle dont il est la captive surprise.

Rares sont les moments où on retrouve le cri danssa force et son intime audace ; surtout qu’étant alorsmutique, il peut ne pas se présenter comme tel. Maistoujours il est coup de foudre, rappelant le doubleétat du sujet, indécidé entre la vie et la mort. Traceurinfatigable, il va de l’éveil au silence de l’être. Et c’estbien le champ de la parole qui le refoule.

Dans l’inconscient, il demeure. Toujours prêt àintervenir, il n’en est pas moins dans une mise enréserve qui touche à l’interdit mais aussi à la Chose.

Au cœur du cri, transitent jouissance etangoisse. Faisant entendre que ce cri n’est pas pas-sans-objet, et pas-sans-voix de l’Autre. Ce qui ne l’em-pêche pas pour autant de figurer en surplomb d’unvide inconnaissable.

Que de liens le constituent, qu’ils soient de gar-diennage ou de protectorat en vue du ça, du moi, du

surmoi, ou qu’ils soient de férocité en tout mal touthorreur pour la survivance du sujet. Que de mouve-ments jouent en lui, faits de glissements imperceptiblesà la manière du bûto, ou de soubresauts d’arrachementet de dérobade. Toujours imperturbablement, il est.Farouche à son dévoilement et à l’attente de ce pourquoi l’être-là le convie. Son signal, voire son signale-ment, n’en est que plus terrifiant.

Mais voilà le cri s’est refermé, forcluant le sensde la vie vers la mort. Pour une durée toujoursimprécisable. Oui, le cri s’est refermé sur lui-même.L’ombilication a joué. Le cri s’est ombiliqué. Lavomissure de la matière n’est pas venue aux lèvres.

Comme on ne rêve pas à volonté, on ne crie pas,de ce cri-là, à volonté. Ils surgent, l’un et l’autre, dulieu-dit inconscient, d’où s’engendre ce qui ne parlepas de l’homme en sa de natura rerum. Car ça se jouelà d’où est né et va s’éteindre le cri dans le temps dupas d’un pas du temps. Ouvert sur l’empreinte dupremier cri, ce dernier instant. Comme un trou demémoire. En noir sur l’écran de moravie.

Mais alors qu’y aurait-il. Et d’où entendre àl’écrire ce cri muet d’il n’y a. Et comment. Car il per-siste jusqu’au caput mortuum, sans sauvegarde et sansl’aléatoire de là d’où il s’abîme. Cri, qui n’est plus debouche mais de deux trous orbites. Étrange, leregard de ce cri hors voix au découvert du souffledans l’instant miroir de l’aperçu de ce qui se dit par« noir, la seule couleur ». Regard où tout de la jouis-sance disparaît, et où le sexuel de langue signifie unedernière fois encore dans l’éclat instante de la lettre.

MISE À NU. Quatrième mouvement

Ça parle, là où ça souffle. Et le cri est bien l’ensei-gne de vérité. Ainsi le corps, en le faisant raisonner

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jusqu’à l’aventure de ses limites et en l’entendant à lacroisée de l’imagine et du semblant.

Prenant gage à faire langue, le corps langage a leprivilège de ses discordes et l’appui de ses audaces.

De là d’où il naît et de bien avant d’un peut-être,qui est-il.

Un pli, un re-pli ; le corps de langue s’avance envagues successives d’intensité de mouvements, de ful-gurances d’étonnement plus que de tâtonnements, sousle regard du grand Autre dont le perçu d’écoute est toutà la fois la donne et le danger. Le trou d’appel de langues’ouvre et se ferme dans un champ hors limites où lededans est encore un dehors qui s’ignore et le dehorsqu’une vastitude sans fin. À ce moment de l’être, lecorps de langue n’est ni dehors ni dedans. Il est, en voieet instance d’incorporéité. Temps où l’être au monde estdans l’advenir de l’être parlant ; temps d’un à suivremarqué de pré-histoire où se danse la violence sansnom de l’impossible. À la lisière du corps, se joueraitalors l’annonce faite à l’homme de la parole vivante.

Glaise sans terre que ce littoral porteur d’abécédai-res et de glyphes à l’heure boréale de l’écriture laquelleest en marche bien avant la parole.

Qu’écrire de ce qui ne naît que de l’incertituded’être. Quel corps se relie à la lettre.

Dès ce début à l’œuvre, la mouvance langagière sedonne à lire et entendre dans les sons assujettis à l’Autreau monde. Avec sa matière insolite et sauvage, ouvertesur le registre d’une histoire à paraître, le champ pho-nétique se déploie dans une osmose sans limites.

Alors, le chant du copiste arriva. Il modulait dessons, lisant sur les lèvres de l’Autre ce qui, de ce sonore,pouvait prendre signifiance. Étonné que l’étrange pourlui ait un sens pour l’Autre. Qu’entendait-il. Inscrivantl’illisible de la lettre, il mémorisait la nuit d’un songeinconnu et qui le resterait.

La partition ouverte à ses yeux du dedanss’éclaira de signes écrits dès avant l’heure de n’être.

Coupure. Une dé-coupe ; le corps de langue faiticeberg dans le champ, immense à se perdre, de lamère. Il n’est plus temps de croire à ne pas croire oude ne pas croire à y croire. Le temps du pas d’un pasde temps se dessine, s’architecture. Se danse. Et lechant langagier risque l’aventure dans les mouvan-ces d’une pulsivité corporelle.

La partition en se découvrant s’invente.Respiratoire est le geste souffle des trouvailles. Aurythme des résonances, les mouvements des sonssonorisent le syntaxique qui sort ou s’extrait duchaos d’entre-corps, comme le diamant hors dusous-sol.

Il n’est de mots, n’est-ce pas, que de l’inventé dessons d’écoute se jouant in-anima dans le palimpsested’origine.

Ainsi, surge de la glaise, la passe à la lumière.Dans le faire mot, le S sujet apostrophe l’exil. Car,dès lors, il y a de l’exil. Et le sexuel est là au plus pro-che de la langue, pour étranger l’absence.

À revenir dans le champ du corps de langue, larefoule est à son affaire. D’autant que, dans le souf-fle, dort l’erreur de calcul, ce prôton pseudos d’untemps inéliminable.

Et voilà que le corps de langue se joue dans leslangages. Dans une passe de passage, non sans sedéplacer dans le jouir de jouissance. Les approches àl’Autre s’encourent au risque tout à la fois de la perteet de l’Absence. Grande est la torsion du mot et deses sens. In-sensé l’inconnu qui de ce jeu s’éprend.Et pourtant il y a à réentendre dans le lointain pro-fond la lecture de l’écrit palimpseste d’un toujoursmême déchiffrage impossible.

VOIX, SOUFFLE

122 INSISTANCE N°1

116-122.Maillard** 17/01/06 17:47 Page 122

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