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Tout Prévoir — décembre 2015 - janvier 2016 n° 467 capteurs permettant de mesurer la fréquence cardiaque, la tension ou le poids. Ces données sont analysées par un algorithme qui va pouvoir émettre des alertes traitées par des infirmières spécialisées. Ces dernières peuvent ainsi appeler directement les patients au téléphone pour évaluer plus précisément le risque de décompensation. Les médecins traitants sont également tenus informés du suivi. Plusieurs projets de ce type sont d’ailleurs en cours d’expérimentation dans toute la France. Mais l’un des domaines où le suivi grâce à la télémédecine est presque déjà entré dans les mœurs est le diabète. Alors que les années précédentes le colloque annuel de Groupe Pasteur Mutualité était plutôt centré sur des thèmes liés à des problématiques de prévention, celui de 2015 a été l’occasion de se pencher sur un sujet émergent dans les pratiques médicales : la e-santé. « C’est un sujet qui s’impose à nous et qui est très large- ment débattu actuellement, a rappelé en introduction le Dr Michel Cazaugade, président de Groupe Pasteur Mutualité. C’est pourquoi nous avons voulu l’aborder du point de vue de la pratique pour que chacun puisse commencer à s’approprier ces nouvelles technologies qui vont changer le rapport entre soignants et patients ». Des interactions numériques qui vont probablement aussi modifier le système de santé dans son ensemble. « Le génie biomédical est né au XIX e siècle et il y a toujours eu des liens entre la culture du monde ingénieur et du monde médical, a souligné Patrick Malléa, directeur stratégie d’Accelis. Aujourd’hui, avec le développement de la télémédecine, nous devons continuer à construire des solutions ensemble ». Le 26 novembre dernier s’est tenu à la Maison de la Chimie à Paris le colloque annuel de Groupe Pasteur Mutualité consacré aux impacts du développement de la santé numérique sur les pratiques médicales. Retours d’expériences, témoignages d’experts et de spécialistes du numérique ainsi que des démonstrations technologiques sur un show room ont ponctué la journée. Compte-rendu par Véronique Hunsinger. Dr Samy Talha, cardiologie, CHRU de Strasbourg Patrick Malléa, directeur stratégie d’Accelis Pr Emmanuel Andrès, médecine interne, CHRU Starsbourg • Insuffisance cardiaque : détecter la décompensation À l’hôpital notamment, des usages de la e-santé ont déjà commencé à faire leurs preuves. Ainsi, par exemple au CHRU de Strasbourg, grâce au Pr Emmanuel Andrès, la télémédecine permet un meilleur suivi des patients insuffisants cardiaques à travers le projet E-care. « La philosophie de ce projet est de pouvoir détecter de façon précoce les situations à risques de décompensation cardiaque », a expliqué le Dr Samy Talha. L’objectif est d’expérimenter une plate-forme de suivi à distance des patients sur leur lieu de vie via notamment une série de Une pratique de plus en plus intégrée en milieu hospitalier • Colloque Groupe Pasteur Mutualité • La e-santé s’invite dans nos pratiques Dr Michel Cazaugade, président de Groupe Pasteur Mutualité 15 PERSPECTIVES COLLOQUE GPM

Colloque Groupe Pasteur Mutualité • La e-santé s’invite ... · Le 26 novembre dernier s’est tenu à la Maison de la Chimie à Paris le colloque annuel de Groupe Pasteur Mutualité

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capteurs permettant de mesurer la fréquence cardiaque, la tension ou le poids. Ces données sont analysées par un algorithme qui va pouvoir émettre des alertes traitées par des infirmières spécialisées. Ces dernières peuvent ainsi appeler directement les patients au téléphone pour évaluer plus précisément le risque de décompensation. Les médecins traitants sont également tenus informés du suivi. Plusieurs projets de ce type sont d’ailleurs en cours d’expérimentation dans toute la France. Mais l’un des domaines où le suivi grâce à la télémédecine est presque déjà entré dans les mœurs est le diabète.

Alors que les années précédentes le colloque annuel de Groupe Pasteur Mutualité était plutôt centré sur des thèmes liés à des problématiques de prévention, celui de 2015 a été l’occasion de se pencher sur un sujet émergent dans les pratiques médicales : la e-santé. « C’est un sujet qui s’impose à nous et qui est très large-ment débattu actuellement, a rappelé en introduction le Dr Michel Cazaugade, président de Groupe Pasteur Mutualité. C’est pourquoi nous avons voulu l’aborder du point de vue de la pratique pour que chacun puisse

commencer à s’approprier ces nouvelles technologies qui vont changer le rapport entre soignants et patients ». Des interactions numériques qui vont probablement aussi modifier le système de santé dans son ensemble. « Le génie biomédical est né au XIXe siècle et il y a toujours eu des liens entre la culture du monde ingénieur et du monde médical, a souligné Patrick Malléa, directeur stratégie d’Accelis. Aujourd’hui, avec le développement de la télémédecine, nous devons continuer à construire des solutions ensemble ». ■■

Le 26 novembre dernier s’est tenu à la Maison de la Chimie à Paris le colloque annuel de Groupe Pasteur Mutualité consacré aux impacts du développement de la santé numérique sur les pratiques médicales. Retours d’expériences, témoignages d’experts et de spécialistes du numérique ainsi que des démonstrations technologiques sur un show room ont ponctué la journée.

Compte-rendu par Véronique Hunsinger.

Dr Samy Talha, cardiologie, CHRU de Strasbourg

Patrick Malléa, directeur stratégie d’Accelis

Pr Emmanuel Andrès, médecine interne, CHRU Starsbourg

• Insuffisance cardiaque : détecter la décompensationÀ l’hôpital notamment, des usages de la e-santé ont déjà commencé à faire leurs preuves. Ainsi, par exemple au CHRU de Strasbourg, grâce au Pr Emmanuel Andrès, la télémédecine permet un meilleur suivi des patients insuffisants cardiaques à travers le projet E-care. « La philosophie de ce projet est de pouvoir détecter de façon précoce les situations à risques de décompensation cardiaque », a expliqué le Dr Samy Talha. L’objectif est d’expérimenter une plate-forme de suivi à distance des patients sur leur lieu de vie via notamment une série de

Une pratique de plus en plus intégrée en milieu hospitalier

• Colloque Groupe Pasteur Mutualité •

La e-santé s’invite dans nos pratiques

Dr Michel Cazaugade, président de Groupe Pasteur Mutualité

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où il faut pouvoir intervenir en moins de 4 h 30 pour que le traitement soit efficace », a expliqué le Pr Thierry Moulin, du CHU de Besançon. Dans plusieurs régions, comme la Franche-Comté, la Bourgogne et le Nord-Pas-de-Calais, des organisations en étoile ont été mises en place pour permettre notamment de mutualiser les gardes de neuroradiologie en transmet-tant les images pour une télé-expertise permettant de décider des thérapeutiques à mettre en place rapidement. Dans le domaine de la dermatologie, une organisation de télé-expertise a également été mise en place entre le CHU de Tours et Saint-Pierre-et-Miquelon. Sur ce TOM, la plupart des spécialités importantes sont représentées, à l’exception de l’ORL, et de la dermatologie pour lesquelles des missions sont effectuées plusieurs fois par an. Depuis 2014, des télé-expertises de dermatologie ont été créées. « Il suffit d’avoir un appareil photo et un dermatoscope, a expliqué le Pr Gérard Lorette, du CHU de Tours. Les patients se rendent à l’hôpital de Saint-Pierre où des infirmières prennent les clichés et remplissent des fiches de renseignements qu’elles nous envoient. Nous nous engageons à répondre dans les 48 heures en donnant un diagnostic assorti de son degré de certitude et les solutions à mettre en œuvre : biopsie, exérèse rapide ou prise de sang complémentaire par exemple ». Les dermatologues du CHU de Tours ont réalisé en 2015 entre 0 et 4 télé-expertises par jour.

• Diabète : améliorer l’observance et la qualité de vieLes diabétiques de type 1 sont de plus en plus nom-breux à être équipés de smartphones, permettant une télésurveillance. « Moins de 40 % des diabétiques sont équilibrés, a rapporté le Pr Alfred Penformis, chef du service d’endocrinologie du Centre hospitalier sud francilien de Corbeil-Essonnes. Tout ce qui peut les aider à être équilibrés avec le moins de contraintes possible est utile ». Ainsi, l’application Diabeo est téléchargeable sur smartphone et permet au patient de noter électroniquement ses données de glycémie et ses portions de glucides, le tout étant connecté sur un serveur. L’étude Telediab a montré une différence moyenne de 0,9 point du taux d’hémoglobine glyquée entre un groupe de patients utilisant le système Diabeo et un groupe témoin. Une autre étude est en cours afin de valider l’intérêt médical ainsi que l’impact médico-économique du télésuivi. « Le but de Télésage est de confirmer le gain métabolique à long terme sur une population large, a ajouté le Pr Penformis. Cela permettra aussi de réfléchir à des modes de financements pour ces suivis, éventuelle-ment sous la forme de forfaits ». Sur le marché, on trouve aussi désormais des glucomètres connectés permettant de transmettre directement les données.

• Maladie d’Alzheimer : diagnosticPlus surprenant peut-être, la télémédecine se déve-loppe également dans la prise en charge de la maladie d’Alzheimer. « Il est tout à fait possible de poser un diagnostic de maladie d’Alzheimer lors d’une consul-tation à distance avec le test mini-mental, a déclaré le Pr Fati Nourhashemi, du Gérontopôle du CHU de Toulouse. Cela se pratique déjà depuis longtemps dans des pays vastes comme les États-Unis, le Canada ou l’Australie ». À Toulouse, le service réalise ainsi des téléconsultations avec des ÉHPAD de la région. « Les équipes sont souvent très demandeuses de télé-consultations pour expertiser des troubles du compor-tement, a ajouté cette gériatre. Cela évite notamment les transferts inutiles et perturbants pour les patients. Ces téléconsultations durent en moyenne 30 minutes ». Un protocole de recherche est actuellement en train d’être mis en place pour démontrer l’intérêt de ces téléconsultations.

• Accidents vasculaires cérébraux : une aide à la prise en charge rapideLa e-santé ne concerne pas que les maladies chro-niques. L’exemple le plus connu est l’utilisation de la télémédecine pour la prise en charge des AVC. « La télémédecine est utile pour remédier aux manques de professionnels mais elle permet surtout d’améliorer le parcours de la prise en charge dans une pathologie

Pr Alfred Penformis, chef du service d’endocrinologie du CH sud francilien de Corbeil-Essonnes

Pr Fati Nourhashemi, du Gérontopôle du CHU de Toulouse

Pr Thierry Moulin, neurologie, CHU de Besançon

Ci-dessus à gauche : Pr Gérard Lorette, dermatologie, CHU de Tours. À droite : Pr Didier Mutter, chirurgie digestive et endocrinienne, IHU de Strasbourg

Enfin, dans le domaine de la chirurgie, l’utilisa-tion de l’imagerie date déjà de la fin des années quatre-vingt. À l’IHU de Strasbourg, les travaux portent actuellement sur la « manière d’obtenir une acquisition en temps réel des images afin de pouvoir fusionner des images pré-opératoires avec des images opératoires », a indiqué le Pr Didier Mutter.

Repenser le système de soin dans sa globalitéAu-delà de ces exemples particuliers d’utilisations abouties des outils de la télémédecine, le numé-rique commence à infuser l’ensemble des pratiques médicales. « Notre modèle a été construit sur les soins curatifs et la prise en charge des maladies

Ci-dessus de gauche à droite : Pr Olivier Guérin, gérontologie, CHU de Nice Christine Balagué, chaire Réseaux sociaux, Institut Mines-Télécom Dr Jacques Lucas, vice-président du Cnom

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aiguës et nous sommes moins bons sur la prévention et les pathologies chroniques, a rappelé le Pr Olivier Guérin, du service de gériatrie du CHU de Nice. Le numérique va avoir un impact sur nos façons de travailler et nous permettre de repenser le système ».

Withings est le champion français des objets connec-tés. « Nos objets sont d’abord destinés au grand public mais ils sont également de plus en plus repris par les profes-sionnels de santé », a déclaré Alexis Normand, responsable des relations avec les profes-sionnels de santé chez Withings. Les patients n’ont, en effet, pas attendu les médecins pour se lancer dans la brèche du numérique. « Les patients ont été les premiers à s’emparer du web, dès la fin des années quatre-vingt-dix, a fait valoir Yvanie Caillé, fondatrice de l’association digitale Renaloo. L’information médicale qui leur était inaccessible est subitement venue à leur portée. Du coup, on a assisté à une forme de rééquilibrage dans la relation entre le médecin et le patient ». Comme l’a bien montré Guillaume Marchand, psychiatre et président de Dmd santé, les années 2000 ont été carac-térisées par le développement des blogs et des forums de patients. Ainsi, Cancer contribution est une plate-forme web qui a vocation à réunir différents acteurs de la prise en charge du cancer. « Même si toute l’information médi-cale possible est disponible sur le web, tous les patients n’ont pas les mêmes capacités à se repérer et à critiquer ce qu’ils peuvent trouver, a souligné Giovanna Marsico, directrice de l’association née de cette plate-forme. C’est pourquoi le rôle des médecins est déterminant pour

rassurer les patients et les guider à travers les sites et aussi les applications mobiles ». Catherine Cerisey est également une « e-patiente ». « On constate encore une importante réticence du médecin à être prescripteur d’applications ou de sites alors que c’est la première personne en qui on a confiance, a-t-elle regretté. Chercher des informations dans le domaine de la santé sur le web est quelque chose qui s’apprend et cela pourrait être le rôle du médecin ». Et, pour Béate Bartes, de «Vivre sans thyroïde», « Loin d’éloigner le médecin et le patient, le numérique peut être également l’occasion d’un rappro-chement et la construction d’une nouvelle relation ». Pour le philosophe Maël Lemoine, « le domaine de la santé est en train de subir une deuxième révolution numérique. Une erreur serait de concevoir la numérisation comme une seule amélioration de la transmission de la donnée car le numérique transforme en réalité ces données ». Pour autant, comme l’a évoqué le Pr Bernard Devulder, coordonateur du colloque, ce n’est pas encore aujourd’hui que les ordinateurs posent les diagnostics tout seuls et que les algorithmes rédigent les ordonnances.

titulaire de la chaire « réseaux sociaux » à l’Ins-titut Mines-Télécom. Un train que le Conseil national de l’Ordre des médecins a pris en marche grâce à son vice-président, le Dr Jacques Lucas. « Les médecins ont toujours incorporé de nouvelles technologies dans leurs pratiques, a-t-il fait remarquer. Le Cnom pense que les objets connectés, par exemple, peuvent être intégrés à l’exercice médical à condition qu’ils soient prescrits par les médecins et que l’on sache ce qui est fait des données produites. Le médecin ne se transformera pas en simple interprétateur de données numériques ». Du côté de la Cnil, les préventions de l’Ordre sont partagées. « La vraie question est de savoir ce qu’on va faire de cette masse de données de santé qui est en train de se constituer, a analysé Éric Pérès, vice-président du Cnil. Dans le domaine de la santé, les données sont sensibles, il faut les encadrer ». Emmanuel Fraysse, fondateur de l’agence Digilian a rappelé qu’un grand nombre d’acteurs industriels s’intéressent à la santé, aux États-Unis comme en Chine. « Le numérique peut être particulièrement utile dans le domaine de la prévention car il est capable de repérer des signaux faibles à travers des éléments épars », a-t-il indiqué. ■■

Éric Pérès, vice-président du Cnil

Emmanuel Fraysse, agence Digilian

Ci-dessus à gauche : Pr Gérard Lorette, dermatologie, CHU de Tours. À droite : Pr Didier Mutter, chirurgie digestive et endocrinienne, IHU de Strasbourg

Ci-dessus de gauche à droite : Pr Olivier Guérin, gérontologie, CHU de Nice Christine Balagué, chaire Réseaux sociaux, Institut Mines-Télécom Dr Jacques Lucas, vice-président du Cnom

Les objets connectés et les réseaux sociaux ont déjà fait leur apparition dans le colloque singulier. « Nous ne pouvons plus parler de “révolution” numérique tant toutes ces nouvelles technologies sont aujourd’hui diffu-sées et leurs usages massifs », a noté Christine Balagué,

PROFESSIONNELS ET PATIENTS RESPONSABLES ET AVIDES DE PARTAGE

De g. à d. : Alexis Normand, Withings – Yvanie Caillé, Renaloo – Dr Guillaume Marchand, Dmd santé – Giovanna Marsico et Catherine Cerisey, Patients&Web – Béate Bartes, «Vivre sans thyroïde» – Maël Lemoine, faculté de médecine de Tours – Pr Bernard Devulder, coordonateur du colloque.

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