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www.snhf.org 31 QUE SAVONS-NOUS DE LA QUALITÉ DES SOLS DE JARDINS POTAGERS ? Christophe Schwartz INPL - Inra Nancy Les sols de jardins, aussi appelés anthroposols hortiques (Rossignol et al., 2008), sont localisés dans des environne- ments éminemment modifiés par les activités humaines, à l’interface d’usages agricoles, périurbains, urbains et indus- triels contrastés. Ces sols sont présentés soit comme des sols agricoles gérés de façon très intensive, soit comme des sols urbains à vocation de production végétale (Bechet et al., 2009 ; Schwartz, 2009). Il en résulte des sols à haute fertilité et d’une grande diversité, issus d’une infinité de pratiques de jardinage elles-mêmes définies par des contraintes et des convictions écologiques ou économiques contrastées. De plus, le constat est très clairement que nos contemporains montrent un engouement croissant pour le jardinage : plus de 12 millions de ménages français, toutes catégories sociales confondues, entretiennent 13,5 millions de jardins. Il faut alors englober sous le terme de sols de jardins, tous les sols supports de la pratique du jardinage sur lesquels les jardiniers produisent des plantes à vocation alimentaire et/ou des végé- taux ornementaux. Néanmoins, quelle que soit la définition retenue, les sols de jardins sont certainement les supports de production alimentaire les moins connus. Sols de jardins : supports fertiles d’une agriculture urbaine intensive Les sols de jardins peuvent être considérés comme des sols agricoles spécifiques ayant très souvent subi une fertilisation ancienne et/ou intense. En général, ils présentent un horizon de surface de 20 à 40 cm d’épaisseur, de couleur sombre. Leur teneur en matières organiques est en moyenne de plus de 4 % en comparaison de celle des sols agricoles cultivés qui varie entre 1 et 3 %. Les sols de jardins présentent, dans 70 % des cas, de très fortes teneurs en éléments nutritifs (e.g. N, P, K) en comparaison des sols agricoles, conséquence d’apports d’éléments nutritifs en général peu justifiés. En moyenne, les apports totaux en engrais azotés-phosphatés et potas- siques sont respectivement 3 et 5 fois supérieurs aux besoins des plantes potagères (Buwal-Suisse, 1992 in Girardin, 1994). À partir de travaux menés en Lorraine, les sols de jardins potagers présentent ainsi, en moyenne, une teneur en phos- phore total 10 fois supérieure à celle des terres de grandes cultures, la teneur en phosphore assimilable pouvant au maximum être 100 fois supérieure au seuil de carence pour les végétaux (Schwartz, 1993). La structure des sols de jardins est optimisée par des apports de matériaux et un travail du sol. L’activité biologique des sols est globalement favorisée. En résumé, les propriétés des hortisols sont fortement modi- fiées par la pratique du jardinage. Ces sols sont le lieu d’une agriculture très intensive, générant des sols à haute fertilité et de grande diversité, en fonction de l’infinité des pratiques (Crößman et Wüsteman, 1992 ; Schwartz, 1993). Sols de jardins : anthropisation synonyme de contamina- tion ? En synthèse des données fragmentaires disponibles, les sols de jardins potagers présentent des teneurs en métaux totaux en moyenne 2 fois supérieures à celles mesurées dans les sols agricoles (Crößmann et Wüstemann, 1992 ; Schwartz, 1993 ; Kahle, 2000) (Tableau 1). Du fait de l’augmentation des activités industrielles et urbaines, le niveau de pollution des sols urbains, essentiellement due à la contamination par des éléments traces métalliques et des polluants organiques, ne cesse d’augmenter par rapport à des systèmes naturels. En raison de leur localisation, les sols de jardins ne sont pas épar- gnés par cette pollution. Ces jardins, quand ils sont privatifs, sont situés le plus souvent en agglomération et, quand ils sont de types familiaux, généralement disposés en périphérie des villes, en bordure de voies ferrées, de voies de commu- nication majeures ou de centres industriels, seules zones disponibles pour leur implantation, n’empiétant pas ainsi sur des espaces plus attractifs réservés à la construction ou des occupations plus lucratives. Ainsi, les sols de jardins sont susceptibles d’être soumis à de nombreux remaniements et à de nombreux intrants. Ces sources de pollution peuvent être naturelles, liées aux activités industrielles et urbaines passées et/ou présentes, ou encore liées aux différentes pratiques du jardinier lui-même. Enfin, le degré de pollution des sols sera fonction de la durée d’exploitation du jardin, des pratiques et de la zone géographique (Schwartz, 1993).

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QUE SAVONS-NOUS DE LA QUALITÉ DES SOLS DE JARDINS POTAGERS ?

Christophe SchwartzINPL - Inra Nancy

Les sols de jardins, aussi appelés anthroposols hortiques (Rossignol et al., 2008), sont localisés dans des environne-ments éminemment modifiés par les activités humaines, à l’interface d’usages agricoles, périurbains, urbains et indus-triels contrastés. Ces sols sont présentés soit comme des sols agricoles gérés de façon très intensive, soit comme des sols urbains à vocation de production végétale (Bechet et al., 2009 ; Schwartz, 2009). Il en résulte des sols à haute fertilité et d’une grande diversité, issus d’une infinité de pratiques de jardinage elles-mêmes définies par des contraintes et des convictions écologiques ou économiques contrastées. De plus, le constat est très clairement que nos contemporains montrent un engouement croissant pour le jardinage : plus de 12 millions de ménages français, toutes catégories sociales confondues, entretiennent 13,5 millions de jardins. Il faut alors englober sous le terme de sols de jardins, tous les sols supports de la pratique du jardinage sur lesquels les jardiniers produisent des plantes à vocation alimentaire et/ou des végé-taux ornementaux. Néanmoins, quelle que soit la définition retenue, les sols de jardins sont certainement les supports de production alimentaire les moins connus.

Sols de jardins : supports fertiles d’une agriculture urbaine intensiveLes sols de jardins peuvent être considérés comme des sols agricoles spécifiques ayant très souvent subi une fertilisation ancienne et/ou intense. En général, ils présentent un horizon de surface de 20 à 40 cm d’épaisseur, de couleur sombre. Leur teneur en matières organiques est en moyenne de plus de 4 % en comparaison de celle des sols agricoles cultivés qui varie entre 1 et 3 %. Les sols de jardins présentent, dans 70 % des cas, de très fortes teneurs en éléments nutritifs (e.g. N, P, K) en comparaison des sols agricoles, conséquence d’apports d’éléments nutritifs en général peu justifiés. En moyenne, les apports totaux en engrais azotés-phosphatés et potas-siques sont respectivement 3 et 5 fois supérieurs aux besoins des plantes potagères (Buwal-Suisse, 1992 in Girardin, 1994). À partir de travaux menés en Lorraine, les sols de jardins potagers présentent ainsi, en moyenne, une teneur en phos-

phore total 10 fois supérieure à celle des terres de grandes cultures, la teneur en phosphore assimilable pouvant au maximum être 100 fois supérieure au seuil de carence pour les végétaux (Schwartz, 1993). La structure des sols de jardins est optimisée par des apports de matériaux et un travail du sol. L’activité biologique des sols est globalement favorisée. En résumé, les propriétés des hortisols sont fortement modi-fiées par la pratique du jardinage. Ces sols sont le lieu d’une agriculture très intensive, générant des sols à haute fertilité et de grande diversité, en fonction de l’infinité des pratiques (Crößman et Wüsteman, 1992 ; Schwartz, 1993).

Sols de jardins : anthropisation synonyme de contamina-tion ?En synthèse des données fragmentaires disponibles, les sols de jardins potagers présentent des teneurs en métaux totaux en moyenne 2 fois supérieures à celles mesurées dans les sols agricoles (Crößmann et Wüstemann, 1992 ; Schwartz, 1993 ; Kahle, 2000) (Tableau 1). Du fait de l’augmentation des activités industrielles et urbaines, le niveau de pollution des sols urbains, essentiellement due à la contamination par des éléments traces métalliques et des polluants organiques, ne cesse d’augmenter par rapport à des systèmes naturels. En raison de leur localisation, les sols de jardins ne sont pas épar-gnés par cette pollution. Ces jardins, quand ils sont privatifs, sont situés le plus souvent en agglomération et, quand ils sont de types familiaux, généralement disposés en périphérie des villes, en bordure de voies ferrées, de voies de commu-nication majeures ou de centres industriels, seules zones disponibles pour leur implantation, n’empiétant pas ainsi sur des espaces plus attractifs réservés à la construction ou des occupations plus lucratives. Ainsi, les sols de jardins sont susceptibles d’être soumis à de nombreux remaniements et à de nombreux intrants. Ces sources de pollution peuvent être naturelles, liées aux activités industrielles et urbaines passées et/ou présentes, ou encore liées aux différentes pratiques du jardinier lui-même. Enfin, le degré de pollution des sols sera fonction de la durée d’exploitation du jardin, des pratiques et de la zone géographique (Schwartz, 1993).

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Tableau 1. Teneurs en métaux totaux de sols de jardins et de sols agricoles dans l’est de le France (Schwartz, 1993), en Allemagne (Crößmann et Wüstemann, 1992) et a u Royaume-Uni (McGrath et Loveland, 1992)

Métaux totaux (mg kg-1)

Sols Cd Cu Ni Pb ZnFrance, Moselle (105 jardins)

moyenne 1,0 27,3 19,3 58,7 138maximum 5,3 181,0 56,4 340,0 518

Allemagne (3 624 jardins)

moyenne 0,5 24,0 14,0 65,0 151

maximum 7,3 196,0 69,0 627,0 1 035

Angleterre, Pays de Galles et Écosse (4 127 jardins)

moyenne 1,2 - - 266,0 278

maximum 40,0 - - 14 100 14 600

Allemagne (18 000 sols agricoles)

moyenne 0,4 15,0 15,0 36,0 67

Angleterre et Pays de Galles (5 692 sols agricoles)médiane 0,9 23,0 41,0 74,0 97

Origines et intensités de la contamination des sols de jardinsL’une des rares études ayant porté sur des sols de jardin français se situe en Lorraine (Schwartz, 1993). Une centaine d’échantillons de sols ont été prélevés dans des jardins priva-tifs ou familiaux suivant un gradient allant de zones urbaines ou industrielles à des zones rurales. Les résultats ont montré que les teneurs en métaux des sols de jardins sont corré-lées, dans un ordre croissant, avec la distance aux sources de pollution atmosphérique (routes et industries), la teneur naturelle en métaux des roches-mères, les pratiques de jardi-nage et l’âge du jardin (Morel et Schwartz, 1999).Le degré et la nature de la contamination des sols de jardins sont en partie la résultante d’émissions en lien avec les acti-vités urbaines et industrielles (El Hamiani et al., 2010). Il faut citer les flux de polluants routiers dus aux retombées des aérosols provenant des gaz d’échappement, aux apports des éléments traces métalliques émis par l’usure des véhicules et notamment des pneus (Massounie, 2002 ; Wong et Li, 2004 ; Councell et al., 2004), à l’abrasion des revêtements et des glissières de sécurité, au lessivage des produits d’entretien des routes soumettant les jardins familiaux aménagés aux abords des voies rapides urbaines à une pollution de proxi-mité. Les sols de jardins peuvent également être composés de matériaux de remblais et modifiés par des apports de déchets et sous-produits. Les revêtements des bâtiments, les peintures, les anciennes canalisations, les toits ou les barrières métalliques peuvent contenir une quantité non négligeable de substances métalliques telles que les Pb, Zn, Cd et Cr. Ces matériaux, sous l’action combinée de l’érosion éolienne, des précipitations acides, de la pollution atmosphé-rique oxydante et de leur vieillissement naturel peuvent se

détériorer et se détacher pour être relâchés dans l’environ-nement sous formes particulaires. Mielke et al. (1984) ont montré que la concentration totale en Pb, mesurée dans les cinq premiers centimètres de sols adjacents à des maisons en bois et peintes, était supérieure à celle mesurée dans des sols adjacents à des maisons non peintes. Les eaux de ruisselle-ment d’origine urbaine représentent également une source de pollution drainant sur leur parcours des poussières et substances polluantes.Pour leur part, les contaminations naturelles en métaux résultent des retombées atmosphériques à longues distances à partir de vents de sable, de grands incendies de forêt ou encore d’éruptions volcaniques. Des métaux peuvent aussi être naturellement présents dans les sols à partir du fond pédo-géochimique . Il est important de connaître ce fond géochimique en métaux pour apprécier la qualité des sols de jardins et estimer l’ampleur des apports anthropogènes (Darmendrail et al., 2000 ; Réseau de Mesures de la Qualité des Sols (RMQS), Jolivet et al., 2006).Les contaminations peuvent aussi et surtout provenir des pratiques de jardinage. De nombreux produits de traitement et d’intrants sont utilisés par les jardiniers afin de protéger les cultures et d’améliorer la fertilité du sol. On estime qu’environ 8 000 tonnes de pesticides sont utilisées par an dans les jardins amateurs (UPJ-CSA, 2007). De nombreux auteurs ont mesuré une accumulation en métaux (As, Cd, Cu, Zn) et en polluants organiques dans les sols de jardins et de vergers suite à l’utilisation de produits phytopharma-ceutiques, de fumure animale et/ou de fertilisants (Chen et al., 1997). L’AFSSA (2009) constate que 48 % des fruits et légumes, analysés lors d’une étude, contenaient au moins un résidu de pesticide (http://www.observatoire-pesticides.gouv.fr).

ConclusionSuivant l’état de l’art des connaissances sur la caractérisation des sols de jardins, ces derniers peuvent être définis comme des systèmes écologiques, économiques et sociaux complexes et très peu connus. Leur qualité globale résulte de l’impact de nombreux facteurs d’influence en lien avec l’environnement physique, l’histoire, les caractéristiques propres au jardin, les jardiniers et leurs pratiques, les productions végétales et animales, ainsi que le contexte socio-économique. Les travaux menés en 2009 et 2010 dans le cadre du programme ADEME SOls de JArdins, SOJA (Partenaires INPL-INRA, Chris-tophe Schwartz, Elodie-Denise Chenot ; INPT-ENSAT, Camille Dumat ; Groupe ISA, Francis Douay, Bertrand Pourrut ; Université de Lille, Céline Pernin) confirment la nécessité d’acquérir des connaissances supplémentaires sur les jardins. Il s’agit en particulier de mieux connaître le déterminisme de la qualité agronomique, toxique et sanitaire des sols, en lien avec les usages et les pratiques des jardiniers, pour dégager des typologies de jardins potagers et acquérir des données d’inventaire représentatives, nécessaires dans le cadre de futures évaluations environnementales des activités de jardinage. Il n’existe en effet pas, à ce jour en France, de

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programme large d’acquisition de données sur les sols de jardins. L’intérêt d’un tel état des lieux serait alors d’avoir une vision objective de la qualité des jardins et de leurs productions pour mieux les gérer et dépasser les préjugés souvent négatifs associés à la qualité des sols urbains et périurbains.

Références

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Chen T.B., J.W.C. Wong, H.Y. Zhou, and M.H. Wong. 1997. Assessment of trace metal distribution and contamination in surface soils of Hong Kong. Environmental Pollution 96:61-68

Councell T.B., Duckenfield K.U., Landa E.R., and Callender E., 2004. Tire-wear particles as a source of Zn to the environ-ment. Environmental Science and Technology 38:4206-4214

Crößmann G. et Wüstemann M.. 1992. Belastungen in Haus- und Kleingärten durch anorganische und organische Stoffe mit Schädigungspotential. Forschungsbericht 11608068, 138 p.

Darmendrail D., Baize D., Barbier J., Freyssinet P., Mouvet C., Salpéteur I., Wavrer P., 2000. Fond géochimique naturel : état des connaissances à l’échelle nationale. BRGM/RP-50158-FR. 93 p.

El Hamiani O., El Khalil H., Lounatea K., Sirguey C., Hafidi M., Bitton G., Schwartz C. et Boularbah A., 2010. Toxicity assessment of garden soils in the vicinity of mining areas in Southern Morocco. Journal of Hazardous Materials, 177, 755–761

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Jolivet C., Boulonne L., et Ratié C., 2006. Manuel du Réseau de Mesures de la Qualité des Sols, édition 2006, Unité InfoSol, INRA Orléans, France, 190 p.

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Rossignol J.P., Baize D., Schwartz C. et Florentin L., 2008. Référentiel pédologique français 2008 : Anthroposols

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Wong C. S. C. et X. D. Li. 2004. Pb contamination and isotopic composition of urban soils in Hong Kong. Science of the Total Environment 319 (1-3) : 185-195