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Comment j’ai aidé
mon enfant dysphasique
Alphonsine Panoufle
desnoeudsdansmonfil.blogspot.ch
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Introduction
Nous avons six enfants, et pour nous chacun est un don, à charge pour nous de le
faire progresser au mieux de ses moyens. Nous n’exigeons pas la même chose
de chaque enfant, ou plutôt, nous exigeons toujours le maximum, mais dosé et
adapté à chacun selon ses capacités propres.
Nous avons découvert la dysphasie avec notre sixième enfant. Notre histoire
ressemble un peu à toutes les autres, avec un enfant qui ne parle pas mais qui
communique, des conseils plus ou moins avisés de l’entourage, et un rejet assez
significatif de la part de l’école.
Augustin a été scolarisé, un peu, en maternelle. Au moment de son entrée au
Cours Préparatoire, la directrice m’a clairement fait savoir qu’elle n’en voulait
pas. Mais nous n’avions pas attendu son verdict pour prendre une décision :
Augustin resterait à la maison et je lui ferai l’instruction à domicile. (Et son
grand frère qui entrait au CE1 ferait de même).
Je me suis retrouvée en tête à tête avec un enfant muet qui n’aimait pas que je
lui parle en le regardant dans les yeux, de peur de devoir répondre. Comment
expliquer des règles à un enfant qui ne parle pas ?
J’ai été obligée de déployer des trucs et astuces, de réfléchir à la façon de
procéder, à imaginer des moyens de lui faire comprendre l’enseignement que je
voulais lui donner. Lorsque je lui parlais, j’avais l’impression de faire un jeu de
labyrinthe dans la nuit. J’avançais, je me cognais dans le mur, j’allais à droite,
puis à gauche, nouveau mur…. Et d’un coup, c’était l’arrivée au centre du
cerveau. Je recommençais, ne sachant plus quel chemin j’avais pris, mais
j’atteignais le but un peu plus vite que la première fois, et progressivement les
choses devenaient plus faciles.
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Au fur et à mesure, j’ai affiné, j’ai tâtonné, j’ai été coincée dans une impasse, je
suis revenue en arrière, j’ai préparé des fiches, des schémas qui ne servaient à
rien. J’en ai fait des monochromes, les ai recommencés en couleur… J’ai fouillé
tous les sites et tous les blogs qui parlaient de dysphasie, j’ai acheté des livres,
interrogé l’orthophoniste d’Augustin qui me donnait des idées (Il a été
diagnostiqué et suivi à partir de 8 ans). Je n’ai trouvé aucun livre qui donnait des
explications simples pour chaque cas de figure. Alors, j’ai décidé que lorsque
j’en aurai terminé avec l’instruction en famille, j’écrirai moi-même ce livre.
Augustin n’est pas seulement dysphasique sévère, il est également
dyscalculique. Malheureusement il a été diagnostiqué très tard pour ce trouble,
sans compter qu’il est difficile de déterminer si c’est le retard de langage qui
l’empêche de comprendre les mathématiques, ou s’il s’agit d’un trouble bien
distinct. Ce n’est que très récemment que j’ai trouvé des livres qui pourraient me
donner des indications pour l’aider. Je ne parlerai donc pas de calcul dans ce
livre, n’ayant pas trouvé de moyen efficace pour l’aider. Ce sera peut-être pour
un prochain ouvrage !
Chaque dysphasie est différente, chaque enfant est différent, chaque famille est
différente. Les moyens que je donne ici n’ont aucune valeur scientifique, ils sont
simplement l’expression des techniques que j’ai utilisées. S’ils peuvent aider
d’autres parents désemparés, j’aurai rempli ma tâche !
Ce livre est divisé en deux parties. L’une aborde les processus que l’on peut
utiliser pour tous les apprentissages (Titre 1), l’autre propose des trucs et astuces
dans des matières déterminées (Titre 2).
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Titre 1 : Trucs et astuces, généralités
Si chaque domaine (lecture, écriture, analyse logique, rédaction, dictée…)
demande une technique d’apprentissage particulière, certains principes généraux
vont servir à l’enfant dysphasique quelle que soit la matière traitée. Il en va ainsi
des critères de l’enseignement (1) ainsi que de la mise en place du travail (2).
1. LES CRITERES DE L’ENSEIGNEMENT
Avant de déterminer les qualités particulières à mettre en œuvre par l’enseignant
(b), il nous faut définir le but de l’enseignement (a).
A. LE BUT DE L’ENSEIGNEMENT :
Enseigner un enfant, c’est lui apporter trois éléments fondamentaux :
- Augmenter ses connaissances dans un maximum de domaines.
- Lui apprendre à réutiliser les connaissances en les exploitant et en les
appliquant à bon escient.
- Faire travailler son cerveau : il va développer ses connexions neuronales et
pourra spontanément réutiliser les « voies créées » dans d’autres domaines.
Le but ultime de l’enseignement est de permettre à un enfant qui a acquis ces
trois notions, de grandir, et une fois devenu jeune adulte, de pouvoir obtenir un
contrat de travail, travailler, donner satisfaction à son employeur et devenir
autonome et indépendant.
Le cas particulier d’un enfant dysphasique tient à la limite de ses capacités
d’apprentissage. Tout étant très laborieux à mettre en place, il faut savoir élider
le programme, et ne retenir que ce qui est essentiel pour l’enfant. Il paraît
évident dès le départ que cet enfant n’aura jamais les possibilités de s’inscrire en
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classe préparatoire. Par contre, il pourra exceller dans des domaines très
répétitifs, la voie de l’apprentissage paraît toute tracée pour lui.
Il faudra donc, lors de la mise en œuvre de l’enseignement, garder toujours
présent à l’esprit ce but ultime en se posant régulièrement la question : « Ce que
j’essaye avec difficulté de faire comprendre à mon enfant, est-ce vraiment
indispensable pour son avenir ? » On ne va donc s’occuper que de ce qui est
important, élaguer le reste, et prendre, par exemple, l’objectif du CAP : de quoi
aura-t-il besoin pour réussir son apprentissage ?
En raisonnant ainsi, il n’est pas question d’enfermer l’enfant dans un avenir
professionnel exclusif, mais de se donner un premier but. Ensuite, au fur et à
mesure de son évolution, on étendra l’éventail de son apprentissage. L’avantage
de commencer humblement permet incontestablement de débuter paisiblement.
Pour réussir à devenir autonome dans la vie, il faut au minimum :
- Savoir lire : Il faut que l’enfant puisse non seulement déchiffrer les mots, mais
également comprendre ce qu’il lit. C’est indispensable pour la vie courante : il
doit pouvoir lire un horaire de train, un programme télé, un mode d’emploi, les
consignes d’un employeur, lire une fiche de paye et remplir sa déclaration
d’impôts …)
- Un minimum d’orthographe et de grammaire pour qu’il soit lisible par les
autres. Les ordinateurs contiennent des correcteurs d’orthographe, mais il faut
que l’enfant puisse un jour faire le choix entre les différents mots proposés à la
correction.
- En mathématique, on axera l’enseignement sur l’arithmétique, les opérations,
les conversions (les charpentiers ou les plombiers travaillent en millimètres, les
cuisiniers ont besoin des litres, décilitres, centilitres). On lui apprendra à choisir
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la bonne opération, quitte à ce qu’il se serve d’une calculatrice pour finaliser son
opération.
Il y existe des moyens de contourner certaines difficultés, notamment l’usage de
l’ordinateur. Il serait dommage de se priver d’outils précieux qui offrent de si
grandes possibilités.
Enfin, il ne faut surtout pas faire l’impasse des matières autres que le français et
les mathématiques. Si l’enseignement se limite à ces deux matières, l’enfant
naturellement peu enclin à travailler démissionnera parce qu’il trouvera cette
instruction rébarbative et sans intérêt. Il faut donc impérativement traiter de
l’histoire (qui va l’aider à se fixer sur l’échelle du temps), de la géographie (qui
l’aidera à se situer dans l’espace), et les leçons de chose (qui provoqueront une
ouverture d’esprit et un questionnement que l’enfant a encore du mal à
formuler).
Le but de l’enseignement ayant été défini, on se posera légitimement la question
des qualités que devra avoir l’enseignant dans une telle situation.
b. Les qualités de l’enseignant :
Le première et peut-être la seule qualité à avoir nécessairement est la patience !
Si on ajoute un peu d’ingéniosité, et de la perspicacité, on est capable de faire
face à la situation de l’enfant dysphasique. Tout fonctionne au ralenti, et il faut
réellement savoir patienter, répéter, revoir…
Le souci de l’enfant dysphasique repose sur son problème de communication par
le langage oral, tant pour comprendre (α) que pour se faire comprendre (β).
Heureusement il existe d’autres moyens de communiquer (γ).
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α - Le langage oral de l’enseignant :
L’enfant dysphasique ayant de grands problèmes pour comprendre de longues
phrases, et les sons mettant un temps palpable à arriver au cerveau, à être
analysés et compris, il convient de bien articuler, de parler lentement, et de
séparer les mots, de faire des pauses pour permettre à l’enfant de saisir le
discours point par point.
L’idéal est de parler lentement, bien distinctement, avec un vocabulaire connu
de l’enfant, et ne pas hésiter à utiliser des mimiques, des gestes, ou encore un
dictionnaire visuel.
Lorsque l’enfant est jeune, il vaut mieux se servir exclusivement d’un
vocabulaire simple qu’il peut comprendre. A cet âge, il a tellement de
nouveautés à acquérir qu’il faut lui simplifier le travail au maximum. On bannira
tous les mots complexes qu’il ne connaît pas. En effet, expliquer un terme est
difficile, et si celui-ci ne fait pas partie du lexique utilisé par l’entourage de
l’enfant, il n’arrivera pas à le mémoriser.
Si on développe des explications avec des mots savants, on peut tout aussi bien
lui parler en chinois, il ne comprendra rien. Il faut donc choisir des mots
simples, des tournures de phrases basiques, abandonner la double négation. Une
bonne technique pour choisir des phrases adaptées est de s’imaginer que l’on
s’adresse à un enfant de trois à cinq ans de moins que celui qui est situé devant
nous.
En pratique, Augustin ayant commencé à parler à l’âge de 5 ans (il ne se servait
que de syllabes), je lui parlais comme à un enfant de 2 ou 3 ans. C’est-à-dire que
mes phrases ont toujours été correctes grammaticalement, mais je me contentais
du sujet-verbe-complément.
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Vers 7 – 8 ans, j’ai choisi de doubler mes phrases : la première était construite
de façon plus élaborée, avec un vocabulaire adapté, technique. La deuxième qui
la suivait immédiatement répétait la même idée dans une version et dans des
tournures simplifiées. Sinon il ne comprenait rien, et nous perdions notre temps.
Tout apprentissage implique une répétition inlassable. L’enfant dysphasique
exige de l’enseignant une patience incroyable. Lorsqu’il demande pour la
quinzième fois le sens d’un mot, c’est qu’il l’a déjà oublié quatorze fois. Il n’y a
pas de mauvaise foi de sa part. Il serait vain de le brusquer en lui répétant
nerveusement qu’il a déjà eu l’explication, il se fermerait et ne fournirait plus
l’attention nécessaire.
Pour attirer son attention avant de parler, et être ainsi certain qu’il écoute,
l’appeler par son nom, le regarder dans les yeux, s’asseoir devant lui et
l’observer. Le rappeler, recommencer. « Tu m’écoutes ? » Reprendre avec des
mots plus simples. On est à même de voir s’il a entendu nos propos ou si son
esprit s’est promené dans la pièce.
Les consignes des exercices doivent être simples, au besoin il peut être
nécessaire de les simplifier en donnant une information à la fois. Pour laisser à
l’enfant toute son énergie pour la résolution de l’exercice, il est même bon de lui
lire l’énoncé, et de faire le premier point avec lui. J’ai procédé ainsi durant de
longues années. Ensuite, je le faisais lire l’énoncé, mais je le reprenais parce
qu’il comprenait mieux si je lisais moi-même.
Parfois on a l’impression qu’il ne sera jamais autonome, et on aimerait qu’il
puisse se débrouiller tout seul. Néanmoins, ce temps long lui est nécessaire, et il
ne faut pas hésiter à l’aider dès qu’il en a besoin. Il viendra un jour (vers ses 12
ans) où il arrivera à se détacher de la présence de l’adulte en permanence à ses
côtés.
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β - Comprendre le langage oral de l’enfant :
Il faut laisser du temps à l’enfant. Surtout lorsqu’il doit répondre à l’oral. Le
processus qui se déroule dans sa tête prend un long moment : il entend la
question, puis il l’analyse pour bien la comprendre. Ensuite, il cherche une
réponse, puis les mots pour formuler la réponse, ensuite il doit mettre de l’ordre
dans ses mots, et enfin prononcer la phrase. Dès qu’il se sent pressé et
interrompu dans ce déroulement, il affirme péremptoirement : « Je ne sais pas ».
Si l’enfant ne veut pas parler (surtout lorsqu’il est très jeune), on peut lui
proposer des réponses. Ou encore lui donner le premier mot ou le premier son
pour qu’il puisse dérouler sa phrase.
L’enfant procède phrase après phrase. Il prépare sa première phrase, l’énonce
plus ou moins facilement. Il fait une pause durant laquelle il prépare sa phrase
suivante. En général, il a plus de mal pour la deuxième, la troisième est encore
plus laborieuse. Pour lui permettre de prendre l’habitude de s’exprimer, il est
indispensable de lui laisser tout ce temps. Ici encore, seule une patience de choix
permettra à l’enfant de progresser.
γ - L’aide des langages non oraux :
Les supports visuels (je donne des exemples nombreux dans la deuxième partie)
forment une excellente communication non-verbale. Il faut user et abuser des
dessins, croquis, schémas, avec des couleurs vives. Mais sans tomber dans le
dessin fouillis !
Les schémas doivent être clairs. J’ai toujours veillé à ne pas mettre trop de
renseignements sur une même fiche, et à simplifier les données. Les dessins en
étoile qui donnent des indications dans tous les sens sont à proscrire. Du moins,
j’ai pu constater qu’Augustin ne savait pas où poser les yeux, et que ces
diagrammes ne l’aidaient pas.
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2. MISE EN PLACE DU TRAVAIL :
L’enseignement à domicile exige la mise en place du temps scolaire. Ce qui est
vrai pour l’instruction en famille est vrai également pour l’enfant scolarisé,
même s’il est plus difficile d’adapter le système scolaire classique au rythme
lent de l’enfant. Il faudra tenir compte du rythme de travail (a), de son cadre (b)
et de l’organisation de l’enseignement (c).
a. Le rythme de travail :
Le rythme de travail est très évolutif en fonction de l’âge de l’enfant. Trois
rythmes différents se superposent : la séance de travail elle-même (α), le rythme
dans une journée (β), et tout au long de l’année (γ).
α- la séance de travail :
Un enfant dysphasique est fatigable, il se concentre difficilement. Lorsqu’on
l’observe dans son jeu, on constate qu’il passe d’un jeu à un autre sans s’y
arrêter. Un peu de ci, un peu de ça. C’est éprouvant pour les petits copains qui
n’ont pas le sentiment de jouer, mais de sauter d’une activité à une autre. Il en va
de même dans son travail scolaire.
A 5 ans, j’ai voulu apprendre à lire à Augustin pour lui apprendre à parler. Tout
au début, je ne pouvais même pas capter son regard. J’étais un peu déroutée, je
sentais bien qu’il n’avait pas envie de m’écouter. Je me suis installée sur la table
du salon, devant lui pour lui montrer une carte comportant une lettre. Puis, j’ai
eu 5 secondes d’attention. Je passais plus de temps à préparer et à ranger le
matériel qu’à travailler. Progressivement, Augustin s’est laissé apprivoiser, mais
je n’ai jamais pu obtenir plus de quelques minutes d’attention. Les progrès ont
malgré tout été réels.
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A 6 ans, lorsqu’a débuté l’instruction en famille, je n’avais pas trouvé d’autre
solution que de suivre ce même rythme. J’ai fixé des tranches de 10 minutes
suivies d’une pause de la même durée. Après deux minutes de concentration, il
était déjà ailleurs avec sa pensée. Je le faisais patiemment revenir sur sa feuille
et son travail pour lui apprendre à persévérer. Au total, je travaillais une demi-
heure à trois quart d’heure quotidiennement.
Progressivement, j’ai prolongé la durée de l’activité. J’ai essayé de la poursuivre
au-delà de ce dont Augustin était capable pour lui donner le goût de l’effort,
mais sans excès qui aurait eu un effet inverse. J’ai augmenté doucement les
durées des séances de travail. Vers 10 ans, il a pu travailler par tranches de ¾
heures maximum, avec une pause d’1/4 d’heure, puis une pause d’1/2 heure, et à
nouveau ¼ d’heure, soit une durée totale de 3 heures de travail.
Pour l’encourager, et lui donner des buts, on peut poser un réveil à proximité en
lui expliquant : « On va travailler jusqu’à ce que la grande aiguille soit sur le
« 3 ». Bien sûr, si tu as terminé avant, tu pourras partir en pause. » Cette
technique était très motivante, et lui évitait d’attendre de façon inerte le moment
de la pause.
Le punir en supprimant une pause est une très mauvaise idée. Le jour où j’ai
choisi cette option parce qu’il n’avait pas travaillé, je me suis punie moi-même,
parce que je n’en ai plus rien tiré par la suite !
(β) - Le travail quotidien :
Un enfant qui fait l’école à la maison travaille plus intensément qu’un enfant qui
est en classe. Tout le temps pris pour enlever le manteau, entrer en classe, ouvrir
le cartable, prendre un cahier, le refermer, le ranger en prendre un autre…. est
du temps de gagné à la maison. Par ailleurs, l’enfant est seul pour répondre à
toutes les questions. Il est donc sollicité à 100 % du temps.
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En Grande Section, Augustin travaillait environ ½ heure par jour. Mais sa
concentration qui n’était que de quelques minutes en début d’année, était passée
à ¼ d’heure en fin d’année. Je le faisais travailler par toutes petites tranches de
10 puis de 15 minutes. J’ai toujours insisté pour qu’il fasse plus que ce qu’il
pouvait donner, mais je ne faisais pas dépasser ce temps de plus de 5 minutes. Il
fallait qu’il puisse acquérir le goût de l’effort sans être dégoûté du travail !
Ensuite j’ai réparti le temps consacré à l’école de la façon suivante, du lundi au
vendredi :
- séance de 45 minutes
- pause de 15 minutes
- séance de 45 minutes
- récréation de 30 minutes
- séance de 45 minutes
- pause de 15 minutes
- séance de 45 minutes
Pour motiver Augustin, et parce qu’il avait vraiment du mal à rester concentré si
longtemps, il m’arrivait souvent de l’envoyer en pause avant la fin de la durée
prévue. C’était en général une « récompense » s’il travaillait bien et s’il avait
terminé. Cette motivation a été salutaire, et l’a aidé à bien s’appliquer dans son
travail. Par contre, je ne débordais jamais sur les pauses, parce qu’il était
incapable de pouvoir recharger ses batteries ensuite, et le reste de la matinée se
traînait en longueur.
A l’intérieur d’une séance, il me fallait changer d’activité tous les ¼ d’heure
environ pour conserver l’intérêt d’Augustin.
Exemple : Dictée, puis lecture, calcul mental ou écriture. J’alternais les
exercices oraux et écrits pour éviter de devoir écrire ¾ d’heure d’affilée.
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Pour moi la plus grande difficulté tenait à ce qu’Augustin avait besoin d’une
présence constante d’un adulte à côté de lui, y compris lorsqu’il faisait des
exercices d’application, et ceci pour deux raisons : le rappeller à l’ordre dès que
son esprit s’évadait de son travail (toutes les 10 secondes en moyenne !), et voir
comment il se débrouillait, parce qu’il n’y avait aucun intérêt à le voir patauger
et massacrer ses exercices pour recommencer ensuite. Je le guidais donc, et je lui
demandais la réponse à haute voix avant de le faire écrire. Ainsi il n’avait pas de
correction à réaliser, ce qui est assez enthousiasmant puisque tout était juste.
C’est un point vraiment important pour un enfant à difficultés. Il est tellement
sensible aux échecs, puisque c’est son lot quotidien, qu’il faut impérativement
trouver tout moyen pour qu’il retrouve confiance en lui.
Bien évidemment, il est inutile de donner des devoirs, ceux-ci sont faits au cours
de la séance. A midi il en a donc terminé avec l’école, et il peut se consacrer au
jeu, aux séances d’orthophonie et aux activités extra-scolaires.
Un dernier point important à relever : le téléphone. La famille, les amis savent
tous que vous êtes à la maison tous les matins, et c’est donc ce moment qu’ils
choisissent pour vous appeler. Il faut rester vigilant et refuser de répondre, sinon
l’enfant s’enfuit, et il n’y a plus moyen de le faire revenir ensuite.
(γ) - Les vacances :
Même si l’enfant fait l’école à la maison, il doit avoir des vacances. Il ne faut
pas imaginer que l’enfant instruit en famille fournit moins d’effort qu’un enfant
scolarisé. Son attention est aussi considérable que pour un autre élève, d’autant
qu’il est sans cesse rappelé à l’ordre lorsqu’il commence à rêver. Il a besoin de
temps pour se détendre parfaitement et totalement, exactement comme les
adultes. Il doit pouvoir se lever le matin sans avoir dans sa tête une petite voix
qui lui dit : « il faut travailler ».
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J’ai souvent entendu l’objection « l’enfant oublie pendant les vacances, il faut
sans cesse poursuivre le travail pour qu’il garde les règles en mémoire ». Et c’est
vrai qu’un enfant oublie. Un adulte aussi d’ailleurs !
Lorsque j’étais à l’université, un professeur nous avait expliqué qu’un cours,
pour s’ancrer définitivement dans le cerveau, doit s’apprendre trois fois. S’il
s’apprend trois fois, c’est donc qu’il faut l’oublier deux fois ! Les vacances sont
faites pour ça !
Ce sera sans surprise qu’à la rentrée on constatera des difficultés plus
importantes, et des oublis conséquents. J’étais très vigilante alors, parce
qu’Augustin s’en rendait compte et qu’il avait tendance à se décourager. Je le
consolais : « C’est normal que tu aies oublié, il y a eu des vacances. Nous allons
tout reprendre, et tu verras que tu t’en souviendras très vite. » Au bout de
quelques jours, il faisait des progrès spectaculaires et se souvenait de tout ce
qu’il avait déjà vu. Le repos des vacances avait été salutaire.
Une petite précision : un enfant dysphasique a malheureusement « besoin »
d’oublier plus de deux fois ses règles de grammaire. Mais là encore, la patience
porte ses fruits !
En pratique, le plus simple est de calquer ses vacances sur les vacances scolaires
de la fratrie ou des cousins. S’il pratique des activités extra-scolaires, il aura plus
de facilités à se situer dans le temps.
b. Le cadre du travail :
On ne le dira jamais assez, l’enfant dysphasique a du mal à se concentrer, à
écouter, à entendre, à comprendre. Il lui faut donc un endroit calme et sans
distraction pour travailler. Inutile de penser à s’installer dans sa chambre, il
serait entouré de tous ses jeux qui l’attirent immanquablement.
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Nous avons opté pour la salle à manger. La table est spacieuse, il n’y a pas de
distraction visuelle. J’ai accroché des cartes géographiques sur un mur, et j’ai
libéré le mur devant la place d’Augustin pour en faire un panneau sur lequel j’ai
affiché les règles importantes qu’il était en train d’acquérir.
En frise, tout près du plafond, j’ai fixé les nombres de 1 à 100 que je rajoutais au
fur et à mesure des besoins.
Au CP, je m’étais servie d’une méthode gestuelle pour apprendre à lire. J’ai fixé
les cartons comportant les lettres et les sons qu’il était en train d’apprendre en
lecture.
Ensuite, j’ai progressivement collé les règles de grammaire, d’orthographe…
tout ce dont il avait besoin et qu’il ne pouvait encore utiliser sans support. Et
j’enlevais ce qui ne lui était plus utile pour ne pas surcharger le mur et
l’embrouiller.
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La patafix est idéale pour apposer des cartons au mur, quitte à repeindre le mur,
parce qu’avec le temps, ce produit dépose des marques grasses. Pour l’éviter, il
suffit d’acheter des feuilles en format A1 et de les agrafer au mur. On peut
ensuite y coller tout ce qu’on veut sans risque.
Fiche des sons en
lecture
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Et puisque l’enfant a besoin d’un environnement sobre, il faut également veiller
à ce que sa table de travail soit bien dégagée. J’ai choisi une caisse en bois pour
y ranger toutes ses affaires scolaires. Je sortais (et remettais) progressivement le
matériel utile (livre, matériel de géométrie, etc…). A la fin de la matinée, elle
était vite débarrassée dans un placard pour laisser la place au déjeuner familial.
c. L’organisation du travail :
Nous l’avons vu, le cadre de travail doit être minimalisé pour éviter toute
distraction. De même, l’organisation du travail doit être simplifiée au maximum
pour permettre à l’enfant de se concentrer sur l’essentiel.
Du point de vue du matériel, j’ai acheté les livres chez Emmaüs. Les vieux
manuels sont mieux structurés et faciles à suivre. On commence au début du
livre, et on prend les leçons dans l’ordre où elles se présentent. Ainsi, inutile de
préparer des leçons, ce système est aisé à mettre en œuvre.
Entre temps, une nouvelle maison d’édition a vu le jour, et j’ai progressivement
acheté les manuels de « La librairie des écoles ». Ils sont beaux, sobres,
agréables à lire, et du point de vue pédagogique, extrêmement bien fournis.
J’ai opté pour le cahier unique. Inutile de se disperser dans le cahier de français,
de math, de sciences, etc… Il y fait ses devoirs dans l’ordre chronologique. Le
matin, il inscrit la date (ce qui l’aide à se situer dans le temps) et la matière qu’il
va travailler, puis tout le reste dans l’ordre chronologique : la dictée, les
opérations, la leçon d’histoire, l’exercice de conjugaison…
L’enfant dysphasique ne peut faire qu’une activité à la fois. Il ne faut pas lui
faire faire de double tâche. Or ces double-tâches sont légions dans les
apprentissages, particulièrement parce qu’il faut écrire dans toutes les matières.
Tout en résolvant des problèmes de mathématiques, il doit penser à bien tenir
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son crayon et à former ses lettres et ses chiffres. En écrivant sa dictée, il doit
penser à l’orthographe et à la grammaire. Pour peu que l’enfant soit un peu
dyspraxiste (parce qu’un « dys » ne vient jamais seul), on se retrouve devant une
montagne à gravir : Tenir un stylo, former ses lettres et retrouver les règles de
grammaire équivalent à grimper en haut d’un sommet avec un parapluie, la carte
IGN qui vole au vent, et un sac de 100 kg sur les épaules.
Pour résoudre le souci de l’écriture dans l’apprentissage, il est très facile de lui
faire dicter oralement ses réponses. L’enfant dicte, l’adulte écrit. Ainsi, il s’est
débarrassé du sac de 100 kg, le vent est tombé, et il n’a plus besoin de penser au
parapluie. En pratique, il n’a plus besoin de penser à l’orthographe et la
calligraphie, de regarder les lignes pour écrire sur le trait…, seule compte la
réponse à la question. Cette technique fonctionne bien pour le calcul et les
rédactions.
J’ai fait travailler Augustin sur des ardoises blanches avec des feutres effaçables.
Les ardoises du commerce sont un peu petites, d’autant qu’Augustin écrivait en
énormes lettres. J’ai glissé des feuilles bristol dans des pochettes transparentes
pour classeur (il est préférable choisir des pochettes de très bonne qualité dont le
plastique est très lisse. S’il est granuleux, rapidement, il devient impossible de
les nettoyer). Ikéa vend des pochettes de feutres effaçables de différentes
couleurs à prix compétitif. La durée de vie des feutres est très longue, ce qui est
économique. Augustin pouvait choisir la couleur, c’était très motivant pour le
faire écrire ! Un bon conseil : supprimez immédiatement le feutre jaune de la
pochette. La couleur est trop claire pour être lisible.
Ces ardoises en format A4 sont bien pratiques pour préparer les dictées, faire des
opérations, ou tout simplement comme brouillon.
Pour les exercices très répétitifs (comme par exemple les tableaux de conversion
en arithmétique, ou les conjugaisons), j’ai préparé des feuilles bristol. A l’aide
de marqueurs indélébiles, j’ai tracé des colonnes ou indiqué les pronoms
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personnels sujets (avec double face, l’une pour le « j’ », l’autre pour le « je »).
Puis j’ai glissé ces feuilles dans des pochettes transparentes. Lorsqu’il a eu
besoin de convertir des chiffres, je lui ai tendu la pochette nécessaire. Par la
suite il a pris lui-même celle qui lui convenait. Et parfois je lui donnais
« l’ardoise à colonnes » pour qu’il note lui-même les unités en haut des
colonnes.
Ces ardoises en pochettes de classeur présentent l’avantage de pouvoir se ranger
facilement dans un classeur. Quelques intercalaires, et on retrouve
immédiatement la feuille pour les conjugaisons, ou pour les tables de
multiplication, etc…)
De façon générale, j’ai fait des fiches de tout. Au départ je la préparais avec lui,
et j’inscrivais les règles tout en la lui expliquant. Je la posais en évidence devant
lui pour qu’il puisse s’en servir. Ensuite, à chaque fois que l’on revoyait cette
notion, je ressortais la fiche. Lorsque je remarquais qu’il ne levait plus
systématiquement les yeux pour s’assurer de la réponse, je la retournais au verso
(en fonction de la notion, on peut passer d’une semaine à plusieurs semaines).
S’il tendait la main pour la voir, je posais la main dessus et lui demandais
« Qu’y a-t-il d’écrit au verso ? » En général il était capable de me donner la
réponse « Très bien, continue ton exercice ». Au bout de quelques temps, je ne
lui donnais plus la fiche. « Pourquoi veux-tu la feuille ? Qu’y a-t-il d’écrit ? …
Tu vois, tu n’en as plus besoin ».
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On lui rendra service pareillement pour ses activités extra-scolaires, en lui
proposant un sac par occupation : un sac pour la musique, un autre pour la
piscine, un troisième pour le judo…
Une fois que ces enfants sont organisé, rien ni personne ne leur fera aller à
l’encontre de ces principes acquis. Inutile d’expliquer que vous avez lavé le sac
de piscine parce que le flacon de shampooing s’est ouvert et qu’il est nécessaire
de prendre celui de judo ! Il ne voudra rien savoir jusqu’à ce que la menace
tombe : tu vas être en retard !
3. CONFIANCE :
L’enfant dysphasique doute de lui. Ce n’est pas étonnant : il n’a jamais pu se
faire comprendre aisément, il a du mal à s’exprimer, souvent à comprendre ce
qui lui est demandé. A l’école il a pu tomber sur des enseignants peu au courant
de son handicap ou qui ont été maladroits avec lui. Or un enfant qui a confiance
est un enfant qui progresse mieux et plus vite. Il est alors impératif de travailler
ce domaine. Je vous propose quelques moyens :
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- Tout d’abord, systématiquement encourager les réponses justes.
Dès que l’enfant donne une réponse juste, il faut le féliciter. Nul besoin d’être
long et dithyrambique, un « bravo » ou « très bien » suffit. Lorsqu’il a bien
travaillé, ne pas hésiter à fermer le cahier plus tôt que prévu en lui disant : « Tu
as tellement bien travaillé que tu peux déjà partir en pause ».
- Que faire en cas de réponse fausse.
Comme il ne se sert que de sa mémoire à court terme, très vite, il s’embrouille
dans ses connaissances et n’arrive plus à distinguer les choses. Très malin, il me
donnait une réponse, et si je ne disais pas oui immédiatement, il me proposait
autre chose comme s’il voulait se corriger. Je me suis un peu fait avoir à ce jeu.
Lorsque la réponse est manifestement fausse, il vaut mieux éviter un
catégorique : « non, c’est faux ». C’est le meilleur moyen pour le braquer. Et s’il
se trompe trois fois de suite, il y a fort à parier qu’il ne répondra plus du tout.
Il vaut mieux employer d’autres tournures de phrases comme « Ah oui ? Tiens,
j’aurais mis autre chose », « Tu es certain qu’il faut procéder ainsi ? », « Je
ferais plutôt comme ça. Qu’est-ce que tu en penses ? » , « Et si tu essayais
comme cela ? »
- Et si on le voit découragé ?
Dès qu’on sent qu’il se décourage, on peut glisser dans les exercices des
exemples faciles pour qu’il ait à nouveau le sentiment d’arriver à les résoudre.
Ne pas hésiter à changer de support, choisir un livre plus adapté si vraiment il
est en échec. Mieux vaut repartir en arrière pour asseoir les bases mal acquises
que de courir vers un but qui ne sera jamais atteint.
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J’avais choisi un livre de lecture de sa classe d'âge (CM1), ce qui était une
erreur : il avait du mal à déchiffrer les mots, et ne les comprenait pas. Au final, il
était incapable de dire ce qu’il avait lu. Après quelques tentatives, j’ai opté pour
un livre de lecture de CE1. Il a vite pris du plaisir à lire, d’abord parce que les
caractères étaient plus grands, et surtout parce que l’histoire prenait un sens pour
lui. Il a beaucoup progressé de cette façon, et avant la fin de l’année scolaire,
j’avais pu embrayer sur un livre plus compliqué.
J’ai souvent eu l’impression d’avoir un enfant à deux âges : l’âge réel
correspondant à son âge physique, et un âge de deux ou trois ans plus jeune
correspondant à l’âge de sa parole. Après quelques hésitations, j’ai choisi de me
mettre au niveau de l’âge de sa parole. C’était excellent, parce qu’il travaillait
mieux et plus vite.
Il vaut mieux, à mon sens, permettre à un enfant de rejoindre le niveau qui est le
sien, plutôt que de le forcer à travailler avec des ouvrages de sa classe d’âge. Le
résultat sur le plan scolaire est nettement meilleur dans le premier cas, et évite
bien des découragements.
Un jour où il m’a dit « moi comprend vraiment pas » et que je sentais que si je
ne trouvais pas la solution immédiate, il me faudrait à nouveau des semaines de
travail pour lui donner confiance, je lui ai dit : « Augustin, quand un enfant ne
comprend pas, c’est que la maîtresse a mal expliqué. Alors je vais t’expliquer
autrement, et tu me diras si tu as compris. Sinon, je recommencerai encore
autrement ». Il s’est détendu et a compris mes explications. Il faut être patient,
on ne le répétera jamais assez.
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4. DE QUELLE FAÇON LE FAIRE TRAVAILLER ?
Ces enfants ont besoin d’être beaucoup aidés, ou du moins d’avoir le sentiment
qu’on les aide, et qu’ils ne sont pas les seuls à travailler. Dans une classe de 20
élèves, chacun répond une fois sur vingt ! Dans une classe d’un élève, il répond
à toutes les questions. Le maître mot est donc « le partage » entre l’enseignant et
l’élève, chacun travaille à tour de rôle.
En lecture, j’alternais les paragraphes, mais Augustin devait suivre avec ses
yeux. Ou alors on se partageait les dialogues. Dans les autres matières, on
répondait chacun son tour. Parfois je me trompais volontairement pour vérifier
s’il suivait bien. Il était d’ailleurs ravi de découvrir des fautes ! Il m’arrivait
aussi d’hésiter, ou de traîner pour donner la réponse, ce qui poussait Augustin à
répondre avant moi. Dans ce cas, je lui disais : « Non, tu triches, tu vas trop vite,
je n’arrive pas à suivre et je n’ai pas le temps de réfléchir ». Il était ravi, avait le
sentiment d’être meilleur, et travaillait encore plus vite !
Donc, on travaille avec lui, chacun un feutre, chacun son tour, pour écrire les
mots, donner les réponses…
- On explique clairement ce qu’on attend de lui :
Si on se sert d’un livre et que les consignes lui sont incompréhensibles, il faut
les lire soi-même, lentement à haute voix, et au besoin les « traduire » (il faut
toujours garder à l’esprit que l’enfant apprend le français comme une langue
étrangère). Inutile de le faire travailler sur un énoncé qu’il n’a pas compris. En
général, il suffit de donner l’exemple de la première phrase pour qu’il puisse
continuer sans aide ou du moins sans difficulté majeure.
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- On veille à sa concentration :
Dès que l’enfant est laissé seul à son travail, il se dissipe. Il vaut mieux rester à
ses côtés pour qu’il apprenne à se concentrer. S’il lève trop la tête de son travail,
il faut doucement le faire revenir à son exercice. Sinon il va passer des heures à
ne rien produire et se découragera. Ne pouvant rester inactive à ses côtés, j’ai
mis à profit ce temps pour me mettre à jour dans mon raccommodage, pour
tricoter, broder… mais il ne faut pas faire une activité qui le dissipe (casser des
noix est trop perturbant !) ou qui nous accapare (lire par exemple).
- Donner des explications claires :
Augustin ayant du mal à comprendre de longues explications orales, j’essayais
de les simplifier à l’extrême, et je privilégiais les supports visuels : dès que
possible, je reprenais les règles et les dessinais sur des feuilles bristol en faisant
des schémas.
Je les rangeais dans des pochettes de classeur. Ainsi je pouvais écrire dessus à
l’aide de feutres effaçables, et je les retrouvais facilement.
Je parlais lentement, en articulant pour être mieux comprise. Et je me servais
toujours du même vocabulaire dans les mêmes circonstances pour qu’il
s’habitue à s’en servir.
Cette technique de répétition va l’aider à développer des réflexes.
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6. DEVELOPPER DES REFLEXES :
Augustin avait tellement de mal à apprendre un texte par cœur que je n’ai pu lui
faire retenir les règles de grammaire ou d’orthographe. J’ai mis au point deux
techniques :
- Je les lui ai donc répétées, toujours de la même façon à la manière d’une
poésie.
A force d’entendre « les mots en ette s’écrivent e-t-t-e » plus de 200 fois, il a
finit par connaître la règle. Après il suffisait que je lui donne les premiers mots
de la règle « les mots en ette… », et il terminait la phrase de lui-même, pas
forcément à haute voix, mais dans sa tête, et il écrivait la terminaison de la
bonne façon. A ce jour, il applique la règle de lui-même.
- J’écrivais les règles sur une feuille cartonnée, en y mettant des couleurs si
nécessaire. Cette feuille était facilement accessible pour pouvoir être sortie dès
qu’elle était nécessaire. Je la plaçais en évidence devant Augustin, entre la
trousse et la caisse de travail. J’avais essayé de l’afficher au mur, mais il avait
du mal à la trouver rapidement avec ses yeux Il valait mieux la placer en
évidence sur son plan de travail.
Ensuite, je lui expliquais la règle, et lui donnais de nombreux exemples en lui
montrant comment appliquer la règle. Lorsque venait le moment de rédiger les
exercices, je laissais le carton devant lui et je lui permettais de s’y référer dès
qu’il en avait besoin. Je lui conseillais même de la regarder pour l’appliquer
(J’ai déjà exposé cette astuce plus haut, mais il me semble important de bien
insister sur cette méthode).
Une fois qu’il a bien su s’en servir et que ses yeux ne cherchaient plus
systématiquement la réponse, je retournais le carton au verso. En général, son
premier mouvement était de vouloir remettre le carton au recto. « Tu n’as pas
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besoin de lire ce qui est écrit, tu le sais, qu’y a-t-il d’écrit ? » « Tu vois, tu le
sais. Alors comment faut-il faire ? Bravo ! »
Je laissais le carton côté verso tant qu’il levait les yeux vers lui. Une fois qu’il
ne le regardait plus et qu’il résolvait ses exercices facilement, je le rangeais
parce qu’il était devenu superflu. (Parfois il était déstabilisé par la disparition du
carton, mais il suffisait de lui rappeler qu’il connaissait la règle et de la lui faire
répéter).
Cette méthode s’utilise dans toutes les matières. Parfois il faut une ou deux
semaines avant de ranger le carton. Plus généralement, il faut compter plusieurs
semaines, voire plusieurs mois pour que la règle soit parfaitement assimilée.
Le temps n’importe pas. On ne peut pas aller plus vite que le rythme de l’enfant.
Rien de plus néfaste que de vouloir aller vite. Dès qu’on tombe dans ce travers,
on s’aperçoit que l’enfant patauge, perd confiance parce qu’il ne comprend plus,
et qu’il faut revenir en arrière pour recommencer. On avance plus vite en allant
lentement !
Le temps, voilà encore une notion que le dysphasique ne domine pas du tout, il
faut pourtant arriver à la lui inculquer.
7. L’AIDER A SE SITUER DANS LE TEMPS
Augustin a parlé au présent jusqu’à ses 10 ans. Dans ces conditions, il lui était
difficile de se situer dans le temps, et de comprendre les notions de passé et de
futur. Impossible pour lui de connaître son emploi du temps de la semaine.
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J’avais créé un calendrier perpétuel à la façon des calendriers affichés en
maternelle. On peut en acheter de très jolis. J’avais fait le mien en tissus sur la
base d’une photo que j’ai dénichée sur Internet. Mais on peut aussi le préparer
en papier canson en faisant participer l’enfant.
Tous les jours, on commençait le travail devant le calendrier. Augustin avait
pour tâche de changer la date. Il prenait d’abord le nounours pour le placer sur le
jour « jeudi », avançait le chat d’une case pour le quantième « 18 ».On
n’oubliait pas de modifier la date le samedi et le dimanche pour que ce soit
cohérent. Le lundi matin, je lui faisais observer qu’une nouvelle semaine
débutait. Au 1er du mois, il était nécessaire de bouger le hérisson ou la vache, et
au 1er janvier, tout recommençait.
Dans les quantièmes, j’avais mis deux boutons : un chat et une souris. La souris
indiquait un événement spécial : une invitation, une fête, un anniversaire. Le
chat avançait sur les quantièmes. On décomptait les jours avant qu’il ne puisse
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attraper la souris, et je lui expliquais qu’il s’agissait des jours qui nous
séparaient de l’événement.
Quand il s’embrouillait dans les dates (en général pour son anniversaire) je
prenais les repères visuels de couleur : « tu sais il faut d’abord que tous les mois
blancs soient passés, puis les verts. Ensuite tu arrives aux jaunes. Mais c’est le
troisième du jaune, tu vois, là où est écrit « septembre » ?
J’avais l’habitude, avec tous mes enfants, de leur détailler le programme de la
journée. J’ai bien entendu fait de même avec Augustin : « Aujourd’hui, c’est
lundi, tu as rendez-vous chez l’orthophoniste à 15 heures, puis tu iras à la
piscine avec les voisins à 17 heures ».
A force de répétition, il a intégré le fonctionnement du calendrier et son
caractère cyclique. Du jour où il a pu parler à d’autres temps que le présent, il a
parfaitement su se situer dans le temps. Mais ici encore cela ne s’est pas fait en
un an !
Apprendre à lire l’heure a été compliqué. J’ai testé les montres à aiguilles de
couleurs différentes, celles aux doubles indications à la fois des heures et des
minutes. C’était peine perdue, jusqu’à ce que je me rende compte qu’il avait
repéré « 4 heures » parce que c’était l’heure du goûter. Lorsqu’il venait me
demander un goûter, je lui disais : « il manque 10 minutes, regarde il est 4
heures moins 10 ». Une fois qu’il a su se repérer autour de 16 heures, il a su lire
l’heure. Pour plus de facilité, nous lui avons acheté une montre digitale, mais il
sait lire l’heure sur cadran également.
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Titre 2 : Trucs et astuces pour chaque apprentissage
1. LECTURE
Pour un enfant dysphasique, la lecture est salutaire : c’est par elle qu’il va
pouvoir accéder au langage.
J’ai débuté la lecture avec Augustin alors qu’il avait un peu plus de 5 ans.
J’avais choisi la méthode « Jean Qui Rit » qui est une méthode de lecture
gestuelle. Je l’ai associée avec un livre de lecture syllabique (« Léo et Léa » par
exemple). A l’époque, je ne connaissais pas la méthode « Bien lire et aimer
lire » de Borel-Maisonny qui est utilisée par les orthophonistes. Si l’enfant est
suivi très jeune en rééducation, il est préférable de choisir cette méthode pour
qu’il ne soit pas pris au dépourvu et qu’il puisse utiliser les mêmes signes à la
maison et en rééducation.
Nous avons avancé très lentement, puisqu’Augustin apprenait à prononcer les
syllabes en même temps qu’il apprenait à les lire. Jusque là, à part le « p », il ne
prononçait aucune consonne. L’apprentissage de la lecture lui a donc demandé
de fournir de multiples efforts : il fallait apprendre à lire, à parler, à prononcer.
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Durant l’année de ses 5 ans, tant qu’il s’agissait de syllabes simples composées
d’une consonne et d’une seule voyelle, il surmontait les difficultés. Lorsqu’il a
abordé les sons composés de deux voyelles : « ou, an, en, oi, on… », il a buté.
J’ai donc fait une pause.
A son entrée en CP, je l’ai inscrit aux cours par correspondance Sainte Anne.
Après discussion avec la directrice, nous avons convenu qu’il serait mieux pour
lui qu’il fasse une Grande Section. Il aurait ainsi de la lecture (uniquement les
sons simples), du graphisme, de la situation dans l’espace et du calcul (les
nombres de 0 à 20) avec un programme très allégé sur toute l’année. J’ai associé
la lecture avec l’écriture comme conseillé, et Augustin a fait de nets progrès de
cette façon, tant en langage qu’en lecture.
Nous avons donc étudié pendant une année les syllabes simples. Du point de vue
du programme, nous n’avons fait que l’équivalent d’un trimestre de CP. Mais
tout ce qui avait été vu avait été assimilé. Il vaut mieux prendre son temps, et
avancer très lentement, que de finir un programme qui sera oublié aussitôt. J’ai
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dû me convaincre chaque jour qu’il saurait lire à condition d’y mettre le temps et
la patience.
Après l’année de lecture limitée aux syllabes simples, j’ai repris la lecture avec
une méthode de CP. Augustin avait alors 7 ans. Au début nous sommes allés très
vite puisqu’il connaissait déjà les lettres étudiées. Ce n’était pas inutile, parce
qu’ainsi il a pu se sentir sûr de lui et en confiance.
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Pour qu’il suive bien, je posais une règle au-dessus de la ligne qu’il devait lire.
Ainsi ses yeux ne se fatiguaient pas à rechercher à quel endroit il se trouvait. A
l’aide de la mine d’un crayon, je pointais les syllabes à lire, y compris lorsque
c’était à mon tour de lire. Ainsi il pouvait bien suivre le texte sans s’embrouiller
dans ses lignes.
Comme je l’ai expliqué dans la première partie, on alternait la lecture, chacun un
paragraphe, ou, en cas de dialogue, chacun jouait le rôle d’un ou plusieurs
personnages. Dans une classe, chaque élève lit très peu tout seul. A la maison, il
n’est pas plus question que l’élève lise toute la page tout seul.
Lorsque c’était au tour d’Augustin de lire, je lui soufflais souvent les difficultés
pour qu’il puisse se consacrer au sens du texte plus qu’au déchiffrage. Il fallait
qu’il puisse acquérir aussi la lecture-plaisir.
A 8 ans, il a su déchiffrer, mais il ne comprenait absolument pas ce qu’il lisait,
parce que chaque syllabe était trop détachée pour qu’elle prenne un sens dans la
globalité du mot et de la phrase. Je répétais donc la phrase pour qu’Augustin
comprenne que la lecture pouvait avoir un intérêt autre qu’un effort physique !
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Je précise ici que la lecture a été vraiment laborieuse, mais qu’il faut
impérativement poursuivre paisiblement le travail. En fin de CE1, Augustin
n’avait pas encore acquis tous les sons. J’ai alors travaillé la lecture sur deux
plans :
- le plan de la lecture « plaisir » qui consistait à lire un texte agréable. Je lui
soufflais les mots sur lesquels il butait, afin que la lecture ait un sens et qu’il
prenne plaisir à l’histoire.
- le plan de la lecture « devoir » qui consistait à terminer l’apprentissage de la
lecture. Je choisissais un son qu’il n’avait pas encore acquis pour les travailler
en particulier. Je les abordais l’un après l’autre.
Par exemple, le son "er" en milieu de mot est très difficile à lire. Expliquer que
« e » placé devant deux consonnes prend le son « è » ne sert à rien. Quant à faire
comprendre que dans « chercher » composé de deux mêmes syllabes les sons
sont différents, c’est tout simplement impossible. J’ai pris une feuille, et noté
une liste de mots en détachant le son « er » par un changement de couleur.
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Je faisais lire la liste à Augustin tous les jours. Lorsque nous rencontrions dans
une lecture un mot de cette série, je l'entourais au crayon, je prenais la fiche, et
Augustin le recopiait en-dessous. Il lui fallait environ 3 semaines pour acquérir
un nouveau son.
Pour certaines syllabes, il lui a fallu plus de temps, et certaines n’étaient pas
encore acquises à 9 ans. Par exemple, les mots en « …ation », « …itieux ». Mais
il comprenait enfin les textes qu’il lisait. Et finalement, à force de lire tous les
jours, il a pu surmonter toutes les difficultés.
A ce jour (Augustin a 13 ans) , la lecture n’est pas aussi fluide que pour un
enfant du même âge, et son lexique n’est pas aussi vaste. Il continue à lire des
livres plus faciles que ceux lus par des enfants de son âge. Je crois que le maître
mot pour ces années d’apprentissage de la lecture a été : « Je suis convaincue
qu’il saura lire un jour, à condition d’y mettre le temps et la patience ».
Choix du livre de lecture :
Après le CP, j’ai fait mon choix de livre de lecture chez Emmaüs. J’ai opté pour
« Le nouveau livre unique de lecture et de français » de Chatel aux Editions
Fernand Nathan. Je me suis servie des années CE1 et CE2. Au fur et à mesure
des années, la difficulté des lectures augmente, et la taille des caractères
diminue. Le niveau CM1 était un peu compliqué. Lorsque la « Librairie des
Ecoles » a sorti ses ouvrages, j’ai acheté les livres de lecture suivie. Ce sont de
beaux textes, joliment illustrés. Les chapitres sont courts, le vocabulaire
expliqué à la fin de chaque chapitre, des questions permettent de savoir si
l’enfant a bien compris ce qu’il a lu.
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Je n’ai pas hésité à reprendre le niveau de CE1 pour qu’Augustin prenne
l’habitude de lire sans difficultés, de sorte qu’il y prenne plaisir.
J’ai essayé également les fiches de lecture silencieuse (celles qui sont utilisées
dans les écoles). Elles étaient trop compliquées et faisaient appel à des notions
de science, de géographie, ou de cuisine, en plus de la lecture. Le cerveau de
l’enfant était tiraillé entre plusieurs données et il s’embrouillait. J’ai donc limité
la lecture à la lecture plaisir, j’ai abandonné ces fiches et privilégié l’acquisition
de la culture générale à travers des films comme « C’est pas Sorcier ».
Lectures hors école :
Augustin ne pouvait lire les livres adaptés à son âge. J’ai mis entre ses mains des
livres pour enfants beaucoup plus jeunes. J’en ai acheté chez Emmaüs pour une
somme modique : des contes, des livres de science, des histoires… Ils ont
l’avantage d’avoir des gros caractères, des mots pas trop compliqués, des
dessins qui illustrent les histoires et surtout une histoire pas trop longue.
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Mais les livres qui l’ont le plus aidé ont été les bandes dessinées. Contrairement
à ce que je pensais, elles l’ont bien aidé à progresser sur le terrain de la lecture.
Nous avons été impressionnés lorsqu’Augustin a cité des passages d’Astérix ou
de Tintin ! Il collectionne les Schtroumpf, et lit habituellement Achile Talon ou
Gaston Lagaffe !
La lecture est une matière à elle seule, mais elle intervient à travers toutes les
autres branches par des explications écrites, ou tout simplement des énoncés.
Pour lui éviter un effort trop important qui l’aurait découragé avant de
commencer à résoudre le problème, je lui lisais ses énoncés de calcul, de
grammaire… Il valait mieux qu’il garde ses forces pour répondre aux questions.
A ce jour, il a 13 ans. Il lit et comprend des livres simples. Pour avoir le droit de
regarder un film, il doit lire un chapitre d’un livre et m’en faire un résumé. Il n’a
aucun plaisir à la lecture, mais comprend ce qu’il lit. Je vais progressivement lui
donner des livres de plus en plus compliqués pour qu’il puisse progresser encore
dans la lecture.
2. GRAPHISME ET ECRITURE :
Le graphisme est souvent un point névralgique chez l’enfant dysphasique.
A 6 ans, Augustin faisait du graphisme de Grande Section : des boucles, des
bâtons… C’était laborieux et nécessaire, d’autant qu’il ne parlait quasiment pas.
A partir de 7 ans, je lui ai choisi des cahiers d’écriture. J’ai bien entendu
commencé par ceux du CP, et puis, j’ai continué avec d’autres cahiers d’écriture
de CP. Le choix est grand, ce qui m’a permis de varier tout en restant avec des
modèles à grandes lettres, plus faciles à copier. Les cahiers d’écriture des classes
de Cours moyen sont déjà trop élaborés, le vocabulaire est compliqué. Il vaut
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mieux reprendre des cahiers de Cours élémentaire. Pour l’enfant, copier un mot
connu est plus facile.
Pour le « cahier du jour », j’ai pris des cahiers de CP. Ce ne sont pas des cahiers
Seyès, ils n’ont que trois interlignes, les espaces sont plus grands. Pour l’enfant
qui écrit grand, il est plus facile d’écrire dans ces modèles, il voit mieux
comment tracer ses lettres. Il a écrit dans ces cahiers jusqu’à la fin du CE2.
Les majuscules ont posé problème à Augustin : difficiles à former, double
alphabet à acquérir. J’ai essayé de lui mettre sous les yeux un alphabet
comportant les majuscules et les minuscules, mais il perdait trop de temps à
rechercher la lettre à écrire. Je l’ai donc laissé écrire en minuscule uniquement.
Ensuite, je lui ai fait faire des majuscules de dactylographie. Ce n’est qu’en
CM2 qu’il a écrit les majuscules en cursives.
Lorsqu’il a commencé le graphisme à la maison, il a très bien dessiné les
courbes. Je l’ai félicité, il a regardé son travail, puis a eu un regard
affolé : « Maman, aider, aider, aider ». La maîtresse qu’il avait eue ne l’avait
jamais compris, il n’a pas pu être mis en confiance, au point qu’il avait le
sentiment d’être incapable. J’ai tenu sa main pour qu’il écrive, lui donnant
l’impression que c’est moi qui écrivait. Progressivement, j’ai lâché la pression,
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et au bout de deux années et une tendinite, j’ai cessé complètement de même
seulement poser mon doigt sur sa main.
Pour ses lignes d’écriture, j’achetais des cahiers d’écriture. Il y en a de toute
sorte. Il écrivait au crayon de papier, ce n’est qu’à l’âge de 10 ans qu’il a pu
écrire correctement à l’aide d’une plume.
3. DICTEES :
Les premières dictées ont été catastrophiques. Augustin n’écrivait que les
voyelles, parfois avec une consonne. Le mot « papa » était écrit « a ». Il ne
savait pas où couper les mots. Il écrivait toute la phrase en un seul mot.
Manifestement, son cerveau n’analysait pas ce qu’il entendait. J’ai alors dicté
avec la méthode gestuelle tout en coupant les mots à outrance jusqu’à les épeler.
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« Ecoute bien : papa, pa-pa, p-a, p-a, papa… plus loin : a puni… a, a tout seul,
puni, pu-ni, pu-p-u, ni-n-i… plus loin le, l-e… plus loin bébé, bé, b-é, bé, b-é ».
Il me regardait et suivait les gestes des yeux pour écrire ses lettres.
Durant toute l’année du CP, j’ai dicté chaque mot de cette façon, en précisant
bien entre deux mots « c’est un autre mot » ou « plus loin ». Il regardait mes
gestes plus qu’il ne m’écoutait. J’avais bien le sentiment qu’il y avait de la triche
dans l’air, mais je ne voyais pas d’autre solution. La technique a porté ses fruits,
parce qu’il s’est progressivement détaché de mes gestes pour n’écouter que les
sons.
A la fin de l’année, il a su écrire les mots les plus faciles sans que je les épelle.
Lui-même chuchotait le mot en détachant chaque lettre ou chaque son. Il se
reportait sur ses fiches de dessins comportant les sons « on écrit oin comme dans
foin », « c’est le o de jaune » (voir fiches des sons utilisées pour la lecture).
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Pour le pluriel, je lui rappelais « pluriel du nom » ou « pluriel du verbe». Il
savait alors pour l’avoir appris qu’il fallait mettre « s » ou « x » au nom et
« ent » au verbe.
A 8 ans : En dictée, il ne savait toujours pas découper les mots. Il pouvait écrire
sans soucis : "il des sides" pour il décide (notez qu'il avait mis la marque du
pluriel !) "les cureuil" ; "ce chêne au tronmoussu"... Il me demandait s'il fallait
attacher les mots ou non. Il lui fallait beaucoup de temps pour mémoriser
l'orthographe, mais une fois celle-ci acquise, il ne se trompait plus.
A 9 ans : les difficultés qu’il rencontrait en lecture se répercutaient dans les
dictées. Il ne pouvait reproduire les « g-c-ch ».
A 10 ans : J’ai découvert la nouvelle maison d’édition de livres scolaires, « La
Librairie des Ecoles ». Le manuel de dictées de niveau CE1 venait de sortir. Je
me suis empressée de l’acheter. C’est un ouvrage magnifique, merveilleusement
conçu. Les dictées sont progressives, tant en taille qu’en difficulté. Il suffisait de
suivre le programme. On prépare la dictée la veille avec l’enfant, et on dicte le
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lendemain. Les mots sont réutilisés ce qui permet une meilleure mémorisation
du vocabulaire et de l’orthographe.
Préparation de la dictée :
Nous lisions le texte ensemble, je lui expliquais le sens des mots qu’il ne
connaissait pas. Une fois le sens compris, je lui faisais apprendre l’orthographe
des mots nouveaux de la façon suivante :
« Regarde bien le mot. Lis-le lentement. Prends une photo et mets-la dans tes
yeux. Ferme maintenant les yeux, et regarde le mot dans ta tête. Ouvre les yeux,
écris le mot sur ton ardoise. Est-ce que c’est le même que sur le modèle ? Non ?
Alors reprends une autre photo du mot. Ferme les yeux. Regarde-le bien dans ta
tête. Ouvre les yeux, écris-le. Compare. C’est le même ? Très bien. Maintenant,
écris-le les yeux fermés. A mon tour d’écrire les yeux fermés. Est-ce que je l’ai
écris juste ? A ton tour. » (à refaire plusieurs fois et pour chaque mot).
J’essayais également de lui faire épeler les mots faciles pour qu’il apprenne à
épeler, mais surtout pour qu’il ait moins à écrire.
Ensuite, deuxième lecture de la dictée pour relever les problèmes de grammaire
et comprendre pourquoi on met un pluriel, les accords…
Le jour de la dictée :
Je dictais lentement, parfois il me demandait si les mots devaient être attachés
ou non, je lui donnais l’indication. J’accentuais les mots qui indiquaient le
pluriel pour qu’il pense à accorder. Venais alors le moment de la correction.
J’avais abandonné l’idée de le faire relire. C’était trop compliqué, d’autant qu’il
avait parfois du mal à relire son écriture !
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Je soulignais les fautes d’orthographe, et j’écrivais le mot en-dessous de la
dictée pour qu’il les recopie ensuite cinq fois chacun. De mon côté, je les notais
sur une liste et je les dictais à nouveau les jours suivants jusqu’à ce qu’il les
connaisse.
Nous relisions ensuite la dictée ensemble en prenant 2 crayons de couleur sur
lesquels j’avais collé une étiquette : Le crayon orange avait un « + » (pour le
pluriel), le jaune un « 1 » (pour le singulier). Nous cherchions les mots qui
veulent dire « qu’il y a beaucoup » : « les, quelques, plusieurs… ». On les
entourait, et on cherchait « tout ce qui fait les ». Par exemple « Les belles
maisons ». On entoure « les », puis tous les « s » et on vérifie qu’on n’en a pas
oublié. On s’interroge sur les verbes.
Lorsqu’on a abordé les adjectifs, il a fallu savoir distinguer le masculin du
féminin. Ces deux concepts, masculin et féminin n’avaient aucun sens, jusqu’à
ce que je trouve le moyen de l’expliquer (voir le paragraphe consacré à la
grammaire ci-dessous). Les articles et les déterminants prennent donc une
deuxième couleur, rose ou bleue. Au départ, je menais les corrections, et ceci
durant de longs mois avant qu’il ne puisse prendre un peu plus d’initiative.
43
Une fois la règle établie (comme toujours, après plusieurs semaines de travail et
de répétition), il a dû chercher les mots-garçon et les mots-fille dans sa dicté. Et
retrouver tout ce qui s’y rapporte.
Exemple : « La jolie fille habite dans la belle maison bleue » :
- « La », ça va avec « jolie et fille ». On met « e »
- L’autre « la » va avec « belle maison bleue ». On met « e »
Rythme :
Augustin a eu des dictées tous les jours. En général je commençais le travail par
une dictée, et je préparais celle du lendemain en milieu de matinée.
44
4. GRAMMAIRE :
En grammaire, j’ai utilisé toute sorte de livres. J’ai commencé avec le « Livre
unique de lecture et de français » de Chatel. Il comporte pratiquement autant de
chapitres que de semaines scolaires, chaque chapitre est divisé en quatre leçons
qui chacune comprend toujours une lecture, ainsi que du vocabulaire et de la
grammaire en alternance. L’utilisation est aisée : on travaille une leçon chaque
jour dans l’ordre où elle se présente. Si la leçon était manifestement trop difficile
pour lui, je simplifiais, ou je refaisais des exercices antérieurs.
Lorsque la « Librairie des écoles » a publié les livres de grammaire, j’ai fait
travailler Augustin dans le « livre de grammaire » de cette maison d’édition. Les
caractères étaient plus grands, le texte plus aéré, et le vocabulaire plus
accessible.
Noms :
Pour lui, le nom n’avait aucun sens, et malgré tout mes efforts, il n’arrivait pas à
le reconnaître. Puis je lui ai expliqué que le nom était ce qu’on pouvait dessiner
45
dans une phrase. Ainsi, dans la phrase « L’éléphant gris a de grandes défenses »,
on peut dessiner « éléphant » et « défense ». Nous avons fait toute une série
d’exercices. Je lui donnais des phrases avec des choses qui nous entouraient.
Lorsqu’il se trompait « la maison rouge borde la rue » et qu’il me disait
« rouge », je lui répondais : « dessine ». « Ah non, c’est maison ».
Par contre, pour tous les noms abstraits mon système n’était plus applicable.
Aujourd’hui encore il a du mal à trouver le nom dans une phrase sans avoir eu
un exemple. Mais il sait l’accorder, ce qui me semble prioritaire.
Le genre :
Le masculin et le féminin des mots sont des notions trop abstraites pour être
comprises. J’ai peiné avant de lui expliquer : « Tu vois, il existe des filles et des
garçons, des papas et des mamans. Chez les animaux aussi il y a des papas et des
mamans : la vache c’est la maman et le taureau c’est le papa. Le chien c’est le
papa, la chienne la maman. Et bien chez les mots, il y a deux sortes de mots : les
mots-fille et les mots-garçon. Quand on entend « le » ou « un », c’est un mot-
garçon, on prend le crayon bleu. Quand on entend « la » ou « une », c’est un mot
fille, et on prend le crayon rose. » Nous avons travaillé sur des exemples,
« table, mur, voiture, crayon, trousse, caisse… ».Tous les mots des objets
visibles ont été énumérés. Avec cette explication il a vite saisi la règle.
Ce n’est qu’à 13 ans qu’il a su dire « masculin et féminin » à la place de « mot-
fille et mot-garçon ».
Je lui ai fait un dessin avec un garçon entouré de « le » et de « un », et une fille
entourée de « la » et de « une », et j’ai écrit « e » sur la robe de la fille. « Quand
c’est un mot fille, il faut lui mettre « e », parce que c’est la lettre qu’elle a sur sa
robe. Bien entendu, la langue française comporte de nombreuses exceptions, tant
pour les mots masculins que pour les mots féminins. Mais le « e » vaut toujours
46
pour les accords des adjectifs, et au départ, il suffit de supprimer les exceptions
pour ne pas l’embrouiller.
Le nombre :
Les mots « singulier et pluriel » comme tous les mots abstraits, ne représentent
rien pour un enfant dysphasique. Il lui faut une éternité pour se les approprier.
Ici encore, j’ai modifié la formulation en « un seul » et « deux ou beaucoup ».
Finalement, j’ai choisi deux crayons : « le crayon jaune veut dire qu’il y en a un
seul, le crayon orange veut dire qu’il y en a plus. Regarde, je colle une étiquette
« 1 » sur le crayon jaune, et une étiquette « + » sur le crayon orange. Ensuite, il
devait dire si le mot était jaune ou orange pour ne pas à avoir à connaître
« singulier et pluriel ».
Il n’a jamais pu distinguer, ou plutôt nommer le nom propre ou le nom commun.
J’ai abandonné cette distinction, estimant qu’elle n’était pas indispensable par
rapport à des connaissances plus importantes à acquérir.
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Le déterminant :
A partir du moment où je me suis servie des crayons jaune et orange (voir le
paragraphe consacré aux dictées), le déterminant a été bien moins difficile à
trouver dans la phrase : c’est le mot qui dit s’il y en a un seul ou beaucoup.
Lorsqu’il doit mettre une phrase au pluriel, on entoure le déterminant en jaune,
on souligne le nom et éventuellement l’adjectif, puis on le colorie en orange, et
on regarde tout ce qui va devenir orange dans la phrase.
Certaines règles de grammaire n’ont jamais pu être comprises. Par exemple,
« On/ont ; son/sont ; a/à ; ce, se… » Pour employer le mot exact, il faut souvent
le remplacer dans une phrase. Or Augustin ne voyait pas de difficulté à dire « Il
part avait l’école ». Ne sachant pas parler correctement, ce qu’il entendait ne le
choquait jamais. Il faut attendre que l’enfant parle mieux pour pouvoir lui faire
appliquer ces règles. Augustin a dû attendre l’âge de 13 ans pour se débrouiller.
Adjectif :
J’ai utilisé le matériel accompagnant le livre « quatre repères pour comprendre
et écrire la phrase correctement ». J’ai pris des cubes en bois, je les ai peints en
rouge, jaune, et bleu et gris. J’ai ajouté des petits carrés de carrelage sur
lesquelles j’ai inscrit les articles et les prépositions. Lorsque je lui donnais une
phrase, il devait commencer par « écrire » la phrase à l’aide des cubes et des
carrés, puis se reporter sur une fiche qui lui donnait les codes : rouge = verbe,
bleu = sujet, gris = adjectif, jaune = complément.
La languette montre la direction du sens de la phrase, et comporte un point pour
marquer la fin de la phrase. Au départ, je faisais les exercices en lui donnant une
phrase simple oralement. Ensuite, je les ai recopiées sur des feuilles A3 prises
dans le format paysage pour pouvoir écrire grand et sur une seule ligne.
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Exemple : « Les garçons mangent dans la cuisine ».
Au début, on garde l’ordre habituel des mots : sujet, verbe, complément pour ne
pas embrouiller inutilement l’enfant.
« Le garçon est seul ou plus ? » « Plus ». L’enfant choisit alors la face du cube
qui convient : celle avec un seul point, ou celle avec plusieurs points. Puis il
ajuste le cube rouge qui est celui du verbe, et choisit la face qui comporte
plusieurs points (pour avoir l’adéquation sujet-verbe).
Une fois que la phrase est dégrossie et que l’enfant sait placer les cubes (cela
peut prendre de longs mois), on ajoute les « petits mots » : les, dans et la.
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Pour mettre une phrase au singulier, on tourne le premier cube. Il faut alors
changer le carrelage, et prendre « le » à la place de « les ». Il faut aussi tourner le
cube du verbe.
Je ne me suis pas beaucoup préoccupée du pluriel du complément, c’était déjà
assez fastidieux avec le sujet et le verbe, et ça me semblait suffisant.
Bien entendu, on peut aussi faire l’opération inverse : mettre au pluriel une
phrase au singulier.
« Les grands garçons mangent dans la cuisine. Le cube gris (l’adjectif) doit
suivre le cube bleu : soit la face avec un seul point pour un singulier, soit la face
avec plusieurs points pour le pluriel.
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Le complément aussi peut recevoir un adjectif à accorder bien sûr : « Les grands
garçons mangent dans la jolie cuisine ».
Grâce à cette technique, il a pu mettre facilement les pluriels et les accorder.
Récapitulatif :
Il « écrit » tout d’abord la phrase avec les cubes de couleurs. Puis, il les tourne
de façon à ce qu’on puisse voir « s’il n’y en a qu’un, ou plusieurs ». Si le mot est
au singulier, on place le cube avec un seul point, sinon, on le tourne du côté du
nombre plus élevé de points. On fait ensuite de même avec le verbe, et on vérifie
sur la phrase écrite si la terminaison du verbe est exacte.
Au départ, on ne prend que les trois cubes de base, puis au fur et à mesure des
mois, on complète avec des adjectifs et des déterminants.
Je sortais également ce matériel pour corriger les dictées.
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5. ANALYSE LOGIQUE :
Je me suis servie de « kapla » pour lui faire faire ses exercices grammaticaux.
J’ai peint des barres en rouge, bleu, vert, jaune, noir et blanc (les gouaches
donnent un résultat tout à fait acceptable). Sur une des faces, j’ai écrit la
fonction avec sa question (« Qui est-ce qui ? SUJET »). J’ai également ajouté
des numéros pour qu’Augustin sache ce qu’il fallait chercher en premier dans la
phrase : Verbe, puis sujet, puis compléments.
Lorsqu’on veut trouver la nature des mots, on « écrit » d’abord la phrase avec
les Kapla, comme ci-dessous.
Exemple : « Le matin, le petit garçon chante une jolie chanson à sa
maman. »
- Je prends le rouge. Je lis « Que fait ? » « chante ». C’est le verbe. Je le
pose sous le verbe.
- Je prends le bleu. Je lis « Qui est-ce qui ? » « le petit garçon ». C’est le
sujet. Je le pose sous les mots « le petit garçon ».
- Je prends le vert. Je lis « Qui ? Quoi ? » « une jolie chanson ». Je pose le
vert sous les mots « une jolie chanson ».
- Je prends l’autre vert. Je lis « A qui ? » « à sa maman ». Je le pose sous
les mots à sa maman.
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- Ensuite j’essaye les blancs : « Comment, quand, où ? ». Je prends le blanc
« quand ? » et je le pose sous « le matin »
Au préalable, je recopie la phrase sur une grande feuille pour que les kaplas
puissent bien se positionner. Ensuite Augustin peut voir par lui-même que
« chante » est le verbe, « le petit garçon » le sujet… Et je précise qu’aujourd’hui
encore il a du mal à trouver le verbe, mais il sait le conjuguer et l’accorder !
De temps en temps, on vérifie qu’il avance dans ses apprentissages, et on essaye
de les retourner pour le laisser retrouver par lui-même à la fois l’ordre (rouge
d’abord, puis bleu…), les questions à poser et la fonction du mot.
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6. CONJUGAISON
« Le verbe est le mot qui fait quelque chose ». Certes, mais qu’en est-il d’avoir
et être, de sembler, ou devenir ? Ces verbes « ne font rien ». Augustin ne les
reconnaît donc pas, pas plus que les autres verbes d’ailleurs.
A force de faire de l’analyse et de chercher le verbe dans une phrase, je pensais
que Augustin finirait par comprendre que le verbe était le mot qui fait quelque
chose. En fait, ça ne lui parle pas, et il peut m’énumérer tous les mots de la
phrase en m’affirmant qu’il s’agit d’un verbe.
Exemple : « Le marcheur traversait la campagne fleurie »
Augustin : campagne ? fleurie ? marcheur ?
Moi : que fait le marcheur ?
Augustin : traversait.
Moi : traversait est le verbe.
En donnant le sujet, il trouve le verbe. Cette méthode ne me paraît pas bonne,
parce qu’on contourne le problème puisqu’ensuite il faut trouver le sujet à partir
du verbe.
A ce jour, il a 13 ans, et trouver le verbe relève toujours de l’exploit.
Néanmoins, il sait conjuguer, et les écrire correctement. Lorsqu’il est
confronté à un exercice qui lui demande de chercher le verbe, il le décèle grâce
aux terminaisons, mais il se trompe souvent.
Dès la fin du CP, j’ai commencé à lui faire conjuguer des verbes au présent. Au
CE1, nous avons continué avec le futur et l’imparfait. Il a appris ses
conjugaisons par cœur de façon toute théorique, puisqu’il ne parlait qu’au
présent. Il ne savait pas dans quelle phrase l’employer, n’ayant pas de repère
temporel.
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Il a appris à conjuguer avec le cours, de façon toute théorique parce qu’il ne
parlait qu’au présent, et employait trop rarement le futur, un peu le passé
composé dans son langage courant. Ce n’est qu’à 10 ans qu’il a su parler au
futur et au passé-composé. Il se situait mal sur la ligne du temps. Les termes de
passé, présent et futur n’avaient pas de sens. Malgré tous les avis des
professionnels, j’ai continué à lui faire apprendre des verbes et à les conjuguer.
Du jour où il a pu parler dans d’autres temps que le présent, il a su conjuguer :
les notions acquises théoriquement ont pris un éclairage nouveau. Je crois
fermement qu’il ne faut pas attendre que l’enfant comprenne avant que de lui
faire apprendre de nouvelles notions, sinon on n’avance pas du tout.
Pour la conjugaison, j’avais préparé des tableaux que je rangeais dans des
pochettes plastiques et dans le classeur des fiches.
Le singulier est marqué d'une barre jaune, le pluriel d'une barre orange, pour rester dans le code couleur
de la grammaire et des dictées.
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Lorsque Augustin devait conjuguer un verbe, je le faisais chercher de quel
groupe il s’agissait. Ensuite, il devait enlever la terminaison de l’infinitif et la
remplacer par la terminaison de la personne adéquate. Ainsi il ne se trompait
pas. Il avait le droit de prendre la fiche en référence. Il a également appris à
réciter et à écrire ses conjugaisons. Il conjuguait sur une fiche spécialement faite
pour la conjugaison : une feuille blanche (format paysage) comportant tous les
pronoms personnels, les uns en dessous des autres, glissée dans une pochette
plastique. En fait, il s’agissait d’une feuille recto-verso, parce que la première
personne peut s’écrire « je » ou « j’ ». Je lui tendais le bon côté pour ne pas
embrouiller les choses.
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Ainsi, il lui suffisait d’inscrire le verbe lorsqu’il conjuguait. Il n’avait pas besoin
de réfléchir à la succession des personnes. J’ai fait ainsi, parce que bien
longtemps il n’arrivait pas à les apprendre et à les retenir dans l’ordre. A présent
il sait les réciter, il conjugue également au passé-composé, au conditionnel
présent, à l’impératif présent et passé et au subjonctif présent, temps qu’il utilise
dans son langage.
Au début de l’apprentissage de la conjugaison, j’écrivais toute la conjugaison de
telle sorte qu’Augustin ne devait ajouter que la terminaison. C’était un travail si
important pour lui qu’il lui était impossible d’arriver au bout de son travail, ou
alors il dissipait ses efforts entre la recherche de la succession des personnes,
l’écriture, l’orthographe et enfin les terminaisons.
57
Puis je ne notais que la première personne, et enfin je lui donnais la feuille des
pronoms personnels. Vers 11 ans, il a su conjuguer par cœur et dans l’ordre sans
aide.
Lorsqu’il devait analyser un verbe (c’est l’opération inverse), je lui faisais
chercher le groupe, puis je lui proposais de regarder les cartons de conjugaisons
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pour trouver de quelle terminaison il s’agissait, et il lui suffisait alors de regarder
le temps indiqué en vert en haut de la fiche.
7. VOCABULAIRE :
Les difficultés liées à la dysphasie font que l’enfant prend du retard dans
l’acquisition du vocabulaire. Récemment encore, Augustin (13 ans) m’a
demandé ce que signifiait la pancarte « Port du casque obligatoire ». Pour lui, le
mot « port » correspond au port maritime. Cette pancarte clouée sur la porte
d’un atelier n’avait donc aucun sens. Augustin ne s’est jamais intéressé aux
livres pour jeunes enfants. Il les feuilletait à toute allure et refusait qu’on lui
raconte une histoire. J’avais l’impression que les mots, les phrases utilisées
n’avaient pas de sens pour lui. Il faut donc faire travailler les enfants
dysphasiques sur les mots et les phrases pour pouvoir enrichir leur vocabulaire.
J’ai acheté le livre « Ecrire et parler. Le vocabulaire et l’expression écrite. CP ».
Edité par Fernand Nathan.
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60
Les gravures sont très belles, détaillées sans être fouillis, et permettent de
raconter différentes histoires en choisissant tel ou tel personnage de l’image. Les
thèmes suivent les saisons (moisson, rentrée, marrons, neige et glissades,
Noël…).
On peut travailler de différentes façons à partir de l’image : faire raconter seul
(Augustin avait beaucoup de mal), poser les questions proposées (elles
permettent de cibler le propos), utiliser le lexique donné en page de droite, et
demander à l’enfant de faire une phrase avec chaque mot. Pour un enfant
dysphasique, c’est une véritable prouesse de réaliser cet exercice, mais il est
salutaire. A 7 ans, Augustin en était incapable. Je l’aidais à formuler en lui
donnant des idées, ou en posant des questions. Ensuite, il se servait du mot pour
en faire systématiquement un sujet dans une phrase courte du type sujet-verbe.
En fin d’année scolaire, il lui arrivait de placer le mot en complément. C’était
une belle victoire.
La page suivante reprend le même thème avec une autre gravure, un petit texte
et des mots de vocabulaire à apprendre.
Ce livre de niveau CP m’a servi très longtemps. Une fois que toutes les gravures
avaient été étudiées, il a fallu changer un peu, mais Augustin continue à le
feuilleter très souvent ! J’ai acheté le niveau CE qui est du même ordre. Les
niveaux suivants ne sont plus du tout construits de cette façon, ils ne
convenaient pas à Augustin, il me fallait donc chercher autre chose.
J’ai eu l’idée de rechercher un livre de français pour les étrangers puisque les
enfants dysphasiques apprennent le français comme une langue étrangère. Nous
avons pu reprendre les séances de vocabulaire en renouvelant les leçons avec la
brochure « Communication progressive du français », « Vocabulaire progressif
du français »
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Chaque leçon est présentée sur une double page : à gauche un dialogue entre
deux ou trois personnes (que nous lisions en alternance), puis des questions sur
le sens du texte, sur son vocabulaire, quelques exercices écrits, un lexique avec
les mots nouveaux, et enfin des propositions de sketches. Les thèmes étudiés
sont ceux de la vie courante : se présenter, dire bonjour, se rendre dans une
banque, chez un fleuriste, des amis… A la fin des exercices, nous jouions les
sketches ensemble en échangeant nos rôles.
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Augustin a beaucoup aimé ces livres, il a fait tous les exercices des trois
niveaux : débutant, intermédiaire et avancé. A chaque fois, ce sont les mêmes
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thèmes qui sont repris, le vocabulaire est enrichi, et cela permet de revoir les
situations dans un cadre un peu différent. Revoir sans refaire à l’identique est
toujours plus plaisant !
Ces exercices permettent de développer le langage oral, d’enrichir le
vocabulaire, et servent de base à la rédaction hebdomadaire.
8. REDACTIONS :
Pour un enfant qui a du mal à parler, on peut imaginer ce que sont les
rédactions ! Le livre « Ecrire et parler » m’a rendu de grands services. Il servait
de base de travail aux rédactions. Augustin devait en écrire une par semaine,
d’une longueur de trois phrases. C’était un exploit.
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Pour la rédaction, je lui posais les questions du livre, il me répondait, et
j’écrivais moi-même la phrase. (L’écriture restait laborieuse et fatigante pour lui.
Je préférais donc écrire moi-même). Vers 10 ans, il a commencé à écrire sans
mon aide, mais toujours le même texte de trois lignes.
Un enfant dysphasique, même s’il sait faire des phrases courtes avec une
syntaxe correcte, n’arrive pas encore à raconter une histoire de plus de deux
phrases. S’il a du mal à raconter sa séance de sport, ou le scénario d’un film,
comment lui demander d’imaginer une histoire comportant un début, une fin et
une progression entre les deux ?
Le courrier est un moyen excellent pour aider l’enfant dysphasique. Augustin
écrivait à son parrain ou sa marraine. C’était un entraînement difficile pour
savoir quel épisode de sa vie choisir et comment le formuler, le tout en deux
phrases minimum (c’est moi qui lui imposais la longueur minimale) !
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A 13 ans, il sait me résumer un chapitre d’un livre, il peut me dire ce qu’il a fait
en sport, en musique. Il a commencé à écrire une histoire qui, si elle contient des
maladresses, est très intéressante et bien montée.
9. SCIENCES, HISTOIRE, GEOGRAPHIE :
Sciences :
Voilà un domaine très libre où on peut tout imaginer. Personnellement, je me
suis servie des vieux livres de leçons de choses. Ils sont magnifiquement
illustrés de nombreux dessins, schémas et photos, et sont très simples à
comprendre. On peut choisir de traiter les chapitres dans un ordre aléatoire.
On peut profiter aussi de cette matière pour faire faire du bricolage à l’enfant
sous forme de « Lapbook » (on trouve de nombreux exemples sur internet). Ce
sont des dossiers thématiques regroupant toutes les informations trouvées par
l’enfant.
D’un point de vue pratique, on fait des recherches, on découpe des images pour
illustrer, puis on prend une feuille canson de couleur de format A3 que l’on plie
en deux. On colle à l’intérieur des petits livrets, on fait des schémas, des flèches,
des dessins, on écrit des légendes sous la dictée de l’enfant, on peut aussi coller
des objets pas trop épais. Cela permet à l’enfant de bien mémoriser la leçon
puisqu’il participe à l’élaboration de la leçon.
Bien entendu, on va profiter de ces leçons pour sortir, chercher des glands dans
la forêt, reconnaître les arbres, aller voir des bêtes dans une ferme…
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Géographie :
Cette matière n’est pas facile à enseigner, l’enfant ne pouvant que difficilement
s’asbstraire et concevoir un plan, une carte « vus du dessus ». On pensera là
encore, au cours des promenades, à montrer le col dans les montagnes, la vallée
et les cours d’eau qui y coulent, à faire remarquer que les usines sont en bordure
des villes, le long des voies de chemin de fer…
Histoire :
Je me servais de différents livres d’histoire pour la même période, afin d’avoir
un complément d’illustration. Je racontais l’histoire devant une gravure parlante
pour qu’Augustin puisse imaginer le déroulement de l’Histoire. Je recherchais
dans une bibliothèque des livres sur la période étudiée pour qu’il puisse varier
les images et ainsi mieux mémoriser son cours.
Les DVD ou les documentaires (sur la télévision ou internet), comme « C’est
pas sorcier » sont de bonnes aides pour ouvrir l’esprit de l’enfant à ces matières.
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Conclusion :
Alors oui, c’est du travail. C’est épuisant et éprouvant. Chaque jour, on se
demande si on a bien fait, si on a fait le bon choix. On ne le voit pas progresser,
puis, quelques semaines plus tard, on se rend compte qu’il sait faire des
exercices qu’il était incapable d’appréhender auparavant. Il reprend doucement
confiance et acquiert indéniablement des notions scolaires indispensables.
Augustin a mené une enfance paisible. Il a fait l’école à la maison le matin, et
l’après-midi était réservée à la rééducation et aux activités extra-scolaires. Pour
lui, c’était une chance, parce que la rééducation, comme son nom l’indique,
exige un effort et donc une fatigue inévitable. Il fournissait un travail conséquent
le matin, en faisant la classe. Puis un nouveau l’après-midi dans sa séance (3 fois
par semaine). En soirée il faisait du sport ou de la musique. Le reste était réservé
au jeu, puisqu’il n’avait pas de devoirs : tout était terminé le matin.
Pour la mère, il faut une organisation stricte, exploiter les pauses pour repasser,
faire le ménage ou préparer les repas. Puis il faut faire les trajets pour la
rééducation, les courses, et bien entendu, s’occuper du reste de la fratrie. Il faut
avoir confiance et foi dans l’investissement que l’on a choisi. Le manque de
confrontation avec les enfants de même handicap et de même niveau est pénible
dans la mesure où on ne sait jamais où il en est et s’il progresse à un rythme
normal pour lui.
Cette façon de faire est souvent décourageante pour les parents qui voudraient
que leur enfant rattrape ses copains. Mais la patience est la plus grande qualité
qui mène à la réussite. Pour apprendre la patience, il faut travailler jour après
jour. Se faire un programme, certes, c’est essentiel, mais le suivre au rythme de
l’enfant. Il est nécessaire d’apporter tous les jours de la nourriture au cerveau de
l’enfant, sans overdose. Et au bout de quelques mois, en reprenant ses cahiers,
on constate ses avancées qui sont somme toute spectaculaires !
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Quelle importance s’il a besoin de trois ou quatre années pour mettre en place la
lecture (non plus le déchiffrage, mais la lecture qui lui donne une
compréhension de ce qu’il lit). S’il a besoin de ce temps, il faut lui laisser, et
l’encourager. Lorsqu’il saura lire, personne ne demandera s’il a appris en 15
jours ou en 3 ans.
69
Prologue :
Au moment où nous avions envisagé de le réintégrer dans le système scolaire,
nous avons déménagé en Suisse. Il a été scolarisé en cinquième année de
primaire dans une classe de développement (classe à effectif très réduit pour les
enfants en grande difficulté), alors qu’en France il aurait dû rejoindre sa classe
d’âge, en 5ème
de collège et sans aucune aide. Ses séances d’orthophonie se font
au sein de l’école, et sur le temps scolaire (la maîtresse s’organise pour que ses
élèves ne perdent pas de leçons importantes).
Il a mis environ six mois à observer et à tenter de suivre. Tout était nouveau :
l’environnement, la classe, la tenue en classe, les devoirs, les trajets… Les
devoirs devenaient un supplice, il n’avait pas l’habitude de travailler le soir.
Cependant il était heureux d’aller à l’école. A Pâques, il a brutalement découvert
qu’il pouvait devenir acteur. Il a commencé à faire ses devoirs seuls et avec le
souci de rendre un travail juste et propre (ce n’était pas facile, je veillais à lui
donner toujours un modèle pour être sûre qu’il avait bien compris l’énoncé).
A ce jour, il termine la sixième année de primaire. Sa maîtresse est étonnée de sa
bonne volonté : il interroge lorsqu’il ne comprend pas, participe, et progresse ! Il
connaît se tables de multiplication jusqu’à 12, sait apprendre des poésies,
accorde les sujets et les verbes, ainsi que les adjectifs, il joue du trombone, sait
chanter, lit et comprend ce qu’il lit, sait chercher un mot dans un dictionnaire, a
de bons résultats en allemand, et se débrouille en anglais. Pour un enfant qualifié
de dysphasique sévère qui sera incapable de surmonter toutes les difficultés
d’apprentissage, Augustin nous donne pleine satisfaction.
A la rentrée, il entrera au Cycle d’Orientation (collège) dans une classe à faible
effectif. Si nous arrivons à l’aider à rééduquer la dyscalculie comme il a été aidé
70
pour la dysphasie, il pourra faire un apprentissage de qualité sans difficulté.
L’histoire le dira…
Chaque jour doit être un jour où l’enfant acquiert une nouvelle connaissance.
Ainsi, pas à pas, jour après jour, il construit son savoir qui déterminera son
avenir. Il faut constamment garder en mémoire que chaque enfant a un projet et
que même si l’avenir paraît opaque, derrière le brouillard il y a la lumière !
71
ANNEXE
Vous trouverez en annexe différents modèles de fiches que j’ai utilisées. J’aurais
certes pu les créer à l’aide d’un outil informatique. J’ai préféré créer les fiches
avec Augustin, en lui expliquant au fur et à mesure le sens de chaque chose.
Chacune d’elles a été rangée dans une pochette plastique, puis dans un classeur.
Il suffisait de sortir la fiche correspondant au cours pour pouvoir travailler à
l’aide de feutres effaçables.
Ce livre ne traite pas de mathématique, mais je joins néanmoins des fiches de
travail que j’ai utilisées.
72
73
74
75
76
77
78
79
Fiches de conjugaison
80
81
82
83
84
85
86
87
88
89
90
91
92
93
Fiches diverses
94
95
96
97
98
99
100
101
102
103
104
105
106
107
108
109
110
111
112
113
114
115
116
117
Table des matières
TITRE 1 : TRUCS ET ASTUCES, GENERALITES ......................................................................... 4
1. LES CRITERES DE L’ENSEIGNEMENT ................................................................................... 4
A. LE BUT DE L’ENSEIGNEMENT : .............................................................................................. 4
B. LES QUALITES DE L’ENSEIGNANT : ................................................................................ 6
2. MISE EN PLACE DU TRAVAIL : ............................................................................................ 10
A. LE RYTHME DE TRAVAIL : ............................................................................................... 10
B. LE CADRE DU TRAVAIL : ................................................................................................... 14
C. L’ORGANISATION DU TRAVAIL : ................................................................................... 17
3. CONFIANCE : ............................................................................................................................... 20
6. DEVELOPPER DES REFLEXES : ............................................................................................ 25
7. L’AIDER A SE SITUER DANS LE TEMPS ............................................................................ 26
TITRE 2 : TRUCS ET ASTUCES POUR CHAQUE APPRENTISSAGE ................................... 29
1. LECTURE ...................................................................................................................................... 29
2. GRAPHISME ET ECRITURE : ................................................................................................. 36
3. DICTEES : ..................................................................................................................................... 38
4. GRAMMAIRE : ............................................................................................................................ 44
5. ANALYSE LOGIQUE : ................................................................................................................ 51
6. CONJUGAISON ............................................................................................................................ 53
7. VOCABULAIRE : ......................................................................................................................... 58
8. REDACTIONS :............................................................................................................................ 63
9. SCIENCES, HISTOIRE, GEOGRAPHIE : ............................................................................... 65
CONCLUSION : .................................................................................................................................. 67
PROLOGUE : ..................................................................................................................................... 69
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