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Comment je suis devenu un sale Français

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CommentjesuisdevenuunsaleFrançaisBrefitinéraired’unJuifpolonaisnéenFrance

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Tousdroitsdetraduction,d’adaptationetdereproductionréservéspourtouspays.

©2015,GroupeArtègeÉditionsduRocher

28,rueComteFélixGastaldiBP521–98015Monaco

www.editionsdurocher.fr

ISBN:978-2-26807-989-9ISBNepub:978-2-26808-265-3

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consoler de la mort d’Eugène Varlin. Il fut traîné des heuresdurant dans les rues escarpées de Montmartre, et je le voisencore,martyrdelaCommunemartyre,gravirsonGolgotha.JemesouviensavoirluchezLissagarayquelessoldatsversaillaisfirent de « sa jeune tête méditative qui n’avait eu que despensées fraternelles, un hachis de chair, l’œil pendant hors del’orbite ».Varlin avait 32 ans. Il était le secrétaire français del’InternationaleetdevintsouslaCommuneundescommissairesdu pouvoir insurrectionnel. Le 28 mai 1871, à la fin de laSemaine sanglante, il fut reconnu par un prêtre et livré à lasoldatesque.Sonsuppliceprit fin,enhautde labutte, ruedesRosiers.Varlinnepouvaitplusmarcher,onleportait.Onl’assitpour le fusiller et, disait encore Lissagaray, « les soldatscrevèrentsoncadavreàcoupsdecrosse».

La défaite de la République espagnole m’a aussi laissémeurtripourtoujours.Là,iln’étaitpasnécessairequejesonneleglas.Hemingwayl’avaitfaitbienavantmoi.Ettellementbien.Je me contentais de penser à Naftali Botwin, jeune Juifcommunisteetbeaucommeunange,fusilléenPologneen1922.UndétachementyiddishdesBrigadesinternationalesportaitsonnom. Il fut de la dernière et désespérée offensive desrépublicainssurl’Èbre.Peudesurvivants.Quandjen’allaispastrès bien, ce quim’arrivait parfois, je chantais à tue-tête et enespagnolElPasodelEbro:

ElEjércitodelEbroRumbalarumbalarumbabambam!Unanocheelríopasó,¡Ay,Carmela!¡ay,Carmela!YalastropasinvasorasRumbalarumbalarumbabambam!Buenapalizalesdió,

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¡Ay,Carmela!¡ay,Carmela!

Uneuphorisantdecourteduréepuisquelachansonavaitétécomposée avant le tragique échec du dernier assaut de laRépubliqueagonisante.

Mais de tous mes martyrs, ceux auxquels je vouais unedévotionparticulière,c’étaitlesquatresergentsdeLaRochelle.IdolâtrésauXIXesiècle,oubliésauXXe.Etcommeilssonttrèspeuconnus,ilmefauticilesraconter,carunlivre,çasertaussiàça.En1822, lesquatre sergents, Jean-FrançoisBories, Jean-Joseph Pommier, Marius-Claude Raoulx et Charles Goubin,vingt-six,vingt-cinq,vingt-quatre etvingt ans, furent arrêtés etaccusés de conspiration contre le roi. Ils portaient dans leursâmes pures la nostalgie de l’épopée napoléonienne, et unepassionamoureusepourlaRévolutionde1789.

Ils furent guillotinés le 21 septembre 1822, en place deGrèveàParis.Avantd’avoir la tête tranchée, l’und’eux, Jean-François Bories, eut le temps de lancer le bouquet de fleursqu’il tenait à lamainà sa fiancéeFrançoisequi se trouvait aupieddel’échafaud.CommeJulienSorel,ilavaitsaMathilde.EtcommeJulienSoreletMathildedeLaMole,ilsétaientbeauxetromantiques. La légende dit que Françoise porta toute sa viequelques fleurs épinglées à son foulard. Les dépouilles desquatre sergents reposent au cimetière duMontparnasseoùunevoie porte leur nom : « allée des sergents de La Rochelle ».Mais, et c’est le cas ici, certaines tragédies finissent de façonoptimiste. En 1871, pendant la Commune de Paris, descommunards se rendirent au domicile d’un vieuxmonsieur deplus de 80 ans, l’ancien sergent Goupillon, et l’exécutèrent.C’estluiqui,en1822,avaitdénoncésesquatrecamarades…

L’aciersetrempependantl’enfance.Etceluidemonarmurefut trempé pendant des séjours en colo. Nous y étions entre

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nous.TousJuifs.Tous(oupresque)Juifspolonais.Ettousnousavionseulachanced’avoirdesparentscommunistes.Descolosjuives. Communistes. Et c’est là que le métal brûlant seliquéfiait en longues coulées rouges réussissant un alliage quipourtoujoursnouspermettraitdemarcherlatêtehaute.Lepeuque je sais sur Varlin, sur les pendus de Chicago et sur lesquatresergents,jel’aiapprislà-bas.

Ilm’enrestequelquechose.Surtout leschansons.Nousavonsperdu toutes lesguerres,

mené des combats inutiles et fallacieux, livré des batailles aunom d’une vérité qui n’était pas la vérité. Mais c’est quandmêmenousquiavionslesplusbelleschansons.Ellesavaientétésoigneusement sélectionnées par nos moniteurs : chansonsyiddish, chansons révolutionnaires, chansons populairesfrançaises.Carnousétionsaussi–dumoins levoulait-on– lepeupledeFrance.

Quand la mer a reflué, le ressac, laissant apparaître labouillie sanglante des corps sacrifiés aux dieux de laRévolution, quand la cathédrale que j’avais amoureusementbâtieestdevenuecendreetpoussière,quandlediamantfacticerevintàsavéritépremière,celled’unemisérableverroterie,toutmourut, sauf les chansons. Je les ai gardées. Belles. Naïves.Niaises.Idiotes.

Un bloc qui se refuse à tout tri. Je les chantonne encore.Doucement.Detoutefaçon,lesvoûtesdelacathédralenesontplus là pour qu’elles résonnent. Et tant pis si duMagnificat,ellessontpasséesauDeprofundis.J’aiduplaisiràlesécrireicietj’auraidubonheuràlesvoirimprimées.

Les juivesd’abord,quenouschantionsenyiddish,grâceàune transcription phonétique, car pour la plupart, nous ne leparlionspas.

Arumarumdemfayer,

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QuandMohammedest sorti de forcede savoitureparunebandede«jeunes»accourusdelacitévoisineetbattujusqu’àcequemorts’ensuive,c’estquoi?Deladélinquance?Undésirde « revanche sociale » ? Quand des filles sont violées parcertains, c’est quoi ? De la délinquance ? Une protestationcontre lesmenus à cent-quatre-vingts euros ?Non, on n’a pasviolé les jeunesbourgesdeNeuilly.C’est trop loin.Quand lesvoitures brûlent, à Trappes, auMirail, à Villeurbanne et à LaCourneuve le soir du Nouvel An, c’est quoi ? De ladélinquance?L’expressiond’undésirde«revanchesociale»?Non. On n’est pas allé brûler les Rolls et les Mercedes desbeauxquartiers:c’estaussitroploin.

Ladélinquanceacertainementaussi,n’endoutonspas,descausessociales.Ellespeuventetdoiventêtreétudiées.Mais laviolence?Maislahaine?Cellequituepourunmot?Pourunregard ?Pourungeste ?Pourune clope refusée ?Pierre Joxecroit-il que c’est l’expression d’une volonté de « revanchesociale » ? Imagine-t-il que si les restaurants affichaient desmenusà18euros,ces«incivilités»(c’estsansdoutecommeçaqu’ilpenseetqu’ilparle)cesseraient?Surunvieuxvinylerayé,lapointes’estbloquéesurlemêmesillon.Etonentend,encoreettoujours,lesmêmesmots:«C’estlafauteauxriches,c’estlafauteauxriches,c’estlafauteauxriches.»

Etainsi, lacanailledu9-3s’enva, lecœur léger, fracasseruncrânepourunportableouunsacàmain.

–Eh!M’sieurl’inspecteur!Pourquoiqu’c’estmoiqu’vousfaiteschieretpasMmeBettencourt?

Il y a des moments dans l’histoire où certaines choses,pendant longtemps acceptées ou subies, deviennentinsupportables. Un homme, des hommes, des êtres pacifiques,citoyensrespectueuxdeslois,entrentalorssansretenue,larageaidant,danslamêlée.Avecviolence,sanspitié,etpeut-êtresans

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discernement.Un jourpeut-être–uncrimede trop,unvioldetrop,uneémeutedetrop–ilyauraçaenFrance.J’airevuTaxiDriver,sansdouteleplusbeauetleplusbouleversantdesfilmsde Martin Scorsese. Il a plus de trente ans, et son impactdévastateur est resté intact.Onyvoit un chauffeurde taxiquisillonne New York la nuit. La métropole américaine, c’estSodome etGomorrhe.Du sang, du sexe, de la violence, de lahaine. Un bal tragique où se côtoient camés, proxénètes,assassins,prostituésmineursetvoyous.Faceàcettepourritureenvahissante,lechauffeurdetaxisombredanslafolie.

Il va nettoyer, purifier et tuer. Un justicier ? Non, unrédempteur.CarlefilmdeScorseseestprofondémentchristique.DanslesmêmesannéesqueTaxiDriverfuttournéunautrefilm,NewYork1997.Là,pasderédempteur.Pasd’exterminationdesméchants et du mal. Juste l’isolement le plus absolu. Descentaines de milliers d’êtres corrompus et malfaisants sontparquéssurl’îledeManhattan,devenueleréceptacledetoutceque la ville compte de glauque et de moisi. Tueurs, voleurs,trafiquantsdedrogue.Ungigantesquedépôtd’ordures…Ettoutautour, l’eau. Et des hélicoptères prêts à éliminer quiconquetenteraient de sortir de ce purgatoire mérité. Mais bien sûr,l’apocalypsen’estpastoujoursinéluctable.

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Chapitre4

J’aime laFrance.La gauche ne l’aimepas. Julie nonplus.Ellesm’ontquitté toutes lesdeux.De lamême façon.Etpourles mêmes raisons. Je la fréquentais en toute amitié. Et unchauffeur de taxi nous a liés pour longtemps.Pressés pour unrendez-vousoupouruneséancedecinéma,jenesaisplus,nousavions hélé en pleine rue un véhicule. Il s’arrêta.Nous étionscontents, nous allions être à l’heure. Dans le taxi, et à mi-distancedenotrelieudedestination,jeportaismonregardsurletableaudebord.Uncartonyétait colléavecdegrosses lettresécritesaufeutre.«J’aiétéagresséhier.C’étaitunNoir.»Jedisauchauffeurdetaxi:

–Arrêtez-nousimmédiatement.–Maisvousn’êtespasarrivés,protesta-t-il.J’élevaislavoix:–Peuimporte,j’aiditici!Nousdescendîmes.Et,bien sûr, jenepayaispas. Julieme

lança un regard où il y avait de la reconnaissancemêlée à del’admiration.

Je profitais aussitôt de cet avantage et nous passâmesquelquetempsensemble.Julieétaitgentimentcolorée.Unpèrenoir, une mère blanche. En bon français, une métisse. Sur lesujet,elleétait intarissable.Etavait lusurlaquestionpleindelivres savants. Et aussi, les inévitablesAiméCésaire, LéopoldSedar Senghor, Raphaël Confiant et des auteurs antillaisparfaitement inconnusdemoi. Je sus tout sur lesmétisses, surles quarterons et les quarteronnes, sur les chabins et leschabines,surlesnègresmarronsetsurlesIndienscaraïbesquenous avions massacrés. L’esclavage et ses horreurs avaient

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Chapitre6

Une émouvante légende talmudique dit que le nouveau-nésaittout.Ilporteenluilaconnaissancedetouslesmystèresdelavie.Lemonde,l’histoire,lepassé,l’univers…Rienn’estuneénigme pour lui. Puis, un ange passe et lui dit « chut » enappuyantdoucementsondoigtsurleslèvresdel’enfant.D’oùlepetitsillonquisenicheentrenotreboucheetnotrenez.Ledoigtde l’ange efface tout et le nouveau-né devient vierge de toutemémoire. Il ne sait plus rien. Libre du fardeau de laconnaissance,ilpourratoutapprendre.

ToutestdansleTalmud.Toutaussiestailleurs.Perchéesurles épaules de Darwin, la voix chaleureuse de Jean-ClaudeAmeisencomplèteavecdouceurcequeditleTalmud.

« Avant de naître à nous-mêmes, nous sommes nés aux autres. Pour lesautres, par les autres. Sans doute, le doigt de l’ange n’appuie pas toujoursassez fort… Nous sommes faits de l’empreinte de ceux qui nous ontprécédés.Onpeutévidemments’acharneràeffacercetteempreinte.Revêtirunenouvelledéfroquepour cacherunepeaudontnousaurionshonte.Onpeut…Undéguisementquiestceluidelaservitudevolontaire.»

Ameisenappellecela«l’amnésieinfantile»,l’incapacitéquiest la nôtre de nous souvenir consciemment de ce que nousavons vécu dans notre toute petite enfance et, avant, dans leventredenosmères.Maisledoigtdel’angesecontenteparfoisd’un effleurement qui rend inachevée samission.Car il existeune mémoire d’outre-enfance. Le nouveau-né sait des chosesquesaraisonignore.Ilréagitdifféremmentàlavoixdesamèrequ’à celle de la sage-femme qui l’a délivré. Le nouveau-néchinois, peul, arabe, adopté dès les premières heures de sa vie

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pardesEuropéens,entendradesmois,desannéesaprès,lessonsd’originematernelle qui ont résonné dans le fœtus qu’il était.Et,miracledelamémoire,ilréagirad’unefaçoncaractéristique.Touts’oublie,rienneseperd.

Depuis toujours, et donc pendant que j’étais dans sonventre,mamèrechantaitunechansonrussequiexisteaussienyiddish.Maisc’estenrussequ’ellelachantait.

«Gdie j eta oulitsa / Gdie j etot dom / Gdie j eta dievotchka, chto iavlioublion.Oùestcetterue/Oùestcettemaison/Oùestcettefillequej’aimais.Votetaoulitsa/Votetotdom/Votetadievotchka,chtoiavlioublion.Voicicetterue/Voicicettemaison/Voicicettefillequej’aimais.»

Lachansoncommenceparuneinterrogationtriste.Ellefinitbien.JesuisChristopheColomb.Voicilarue:alléedesAcaciasàLaBaule.Voicilamaison:lavilladesBertrandaunuméro25.Voici la fille :Vinca.Le doigt de l’ange a presque tout effacéchezmoi, mais pasGdie j eta dievotchka, chto ia vlioublion.Mais pour dire vrai, je n’aimais pas Vinca. Je la voulais.D’ailleurs,ellem’étaitpromisedepuistoujours.Manquaitjuste,pourparfairemontitredepropriété,quejeluiprennecequ’elleavait encore à quinze ans.Vinca était pourmoi, elle le savait.Elle savait aussi que c’est moi qui déciderais du jour et del’heure.Ilsuffiraitquejeserreunpeufortsonpoignetdansmamain et elle accepterait de cesser d’être vierge.Comme c’étaitacquis,jenemanifestaisaucuneimpatience.

Je regardais Vinca. Je regardais la France. J’empilais lesunes sur les autres les cartes postales d’un pays dont j’auraisaimé serrer le poignet pour le forcer à m’obéir. Des femmesbelles et terrifiantes (elles avaient trente ans) dans leur robemoulante et leur chapeau toujours incliné sur la tête. Des

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hommes sportifs, aux cheveux soigneusement lissés qui, par-dessus le filet tendu, envoyaient desballes à leurs partenaires.Ellescouraient,l’élansoulevantleurjupetteblanche,autoriséesqu’ellesétaientparlesrèglesdutennisàmontrerleurculottedelamêmecouleur.

J’yaimisdutemps.MaiscetteFrance-là,jel’aienfin.Elledate, paraît-il. Vinca est morte depuis longtemps. Elle a dûépouser un ingénieur sorti de l’École des Mines ou d’un Xquelconque.Pasunnormaliencar,danssafamille,onseméfiaitde cette engeance raisonneuse, souvent enjuivée, qui déposaitsonbagage intellectuelauxpiedsde lagauche.Mais lescartespostales, bien que jaunies par le temps, restent éternellementjeunes.

«A-t-ellefinidegrandir?Ilest tempsqu’elles’arrête.Ellen’apasplusdechairque l’autreannée. […]Ellea les joueset lesmainsnoiresdehâle, lecoublanccommelaitsoussescheveux,lesourirecontraint,lerireéclatant,etsiellefermeétroitement,surunegorgeabsente,blousonsetchandails,elletroussejupeetculottepourdescendreàl’eau.»

C’estpeut-êtrel’anprochainqu’elletomberaàmespiedsetqu’ellemediradesparolesdefemme.

« ‘‘Phil ! Ne sois pas méchant… Je t’aime, Phil, fais de moi ce que tuvoudras…Parle-moi,Phil…’’Maiscetteannée,ellegardeencore ladignitérevêchedesenfants,ellerésiste,etPhiln’aimepascetterésistance.»

CommePhil,etlasd’attendrecommelui,jemesuissoumisàMme Dalleray, la Dame Blanche. Elle m’a invité chez elle.D’unemain, elle a saisi mon poignet. De l’autre main, elle arelevé jusqu’au coude ma manche. Mme Dalleray a faitexactementcequejevoulaisfaireavecVinca.Jeluiaidit:

–Laissez-moi!

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elle apparaît sous l’aspect de celle de Milo, sauvagementamputéede sesdeuxbras,mais toujoursbellepour cequin’apasété,chezelle,abîmé.France, je t’avaisoubliéeetmamains’estdesséchée…Je te retrouvemaintenant enespérantque tunem’envoudraspasdet’avoir–parorgueil–délaissée.

LaFranceestunpoème:ilestd’Aragon.LaFranceestuneforêt:elles’appelleBrocéliande.Desonpoème,écriten1942,Aragonpréciseainsilesens:

« Une forêt où les sorciers de Vichy et les dragons de Germanie avaientdonnéàtouteslesparolesunevaleurpervertieincantatoire,riennes’appelaitplus de son nom, et toute grandeur était avilie, toute vertu bafouée,persécutée.»

France1942,France2015…Lessorcierset lesdragonsnesontpluslesmêmes.D’autressorciersetd’autresdragonssontvenus pour que « rien ne s’appelle plus de son nom ». C’estexcessifetviolent?Biensûr,maisc’est.Lepoèmeditceci:

LesrêvesdecheznoussontmisenquarantaineMaislebelautrefoishabiteleprésentLechèvrefeuillenaîtducœurdessépulturesEtl’herbesesouvientausoirdesversluisants[…]BrocéliandebruneetblondeentrenosbrasBrocéliandebleueoùbrillelenomcelteEttracentlessorciersleursabracadabra.Chez Aragon, la couleur verte revient maintes fois. Elle

désigne ceux qui ont mis en quarantaine « les rêves de cheznous».«Sauterelles»,«ventvert»,«ailesvertes»:lacouleurdes uniformes des soldats allemands. En 2015, un autre vertdéploie ses oriflammes apportées par les vents de sable dudésert. Moi, j’aime le vert des arbres. Il me faut aller à

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Brocéliande. Ici, c’est laFrance«où souffle l’esprit»d’aprèsBarrès que le communiste Aragon ne détestait pas. BelleBrocéliandequiporteunnomde fiancée. Je te salueetque lefruit de tes entrailles soit béni… Tu t’es appelée d’abordBrecheliant (du Celtique brec’h, paraît-il, qui veut dire« colline »). Puis les siècles t’ont fait passer de l’âge ingrat àcelui d’une éternelle et belle adolescente couronnée par lemagique : Brocéliande. Innombrables ont été tes amoureux :RobertWace auXIIe siècle, Chrestien de Troyes, puis Barrès,puis Aragon. Nombreux furent ceux qui se réclamèrent de tabelle lignée. Les Rohan, follement imbus d’eux-mêmes, seprétendaient descendants du roi Arthur. Les comtes de Lavalpersistèrentlongtempsàs’appelerseigneursdeBrocéliandesansqu’aucunparcheminnevienneattesterleurtitredepropriété.

En vérité, Brocéliande ne peut appartenir qu’à l’humblevisiteurquiarpenteavecenchantementlevaldesansretour.Etlà, je refuse les avances de la fée Morgane, ensorceleuse etsorcière.Et,timideetsoumis,jem’approchedelabelleViviane.Jem’appelleLancelot,jem’appelleArthur.

Danslabrumematinale,j’entraperçoisunlac.Etunchâteau.Jedevinesonexistence.Carriennemeditqu’ilestréel.C’estMerlin qui en fut l’architecte. Amoureux de Viviane, il s’estemployé à la dissimuler au regarddes humains.Pour elle, il atrouvéunechâssedignedecediamant:unpalaisdecristaloùellevademeurer.Pourelle,ilaplongélechâteauaufonddulacqui lui-mêmen’est qu’illusion. Seuls quelques élus trouverontgrâce aux yeux de la fée Viviane et seront autorisés à voir lechâteaudecristal.LaFranceestcechâteaudecristal.

Danslaforêt,desanimauxfantastiquesparcourentlestaillisetlessentiers.Ilscrachentdel’or.Deschiensetdesjumentsdenuit entraînent les imprudents vers les cauchemars de l’enfer.

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Pourquoi aurais-je peur ? Je suis chez moi ici. Au bord duRauco,deslavandières–leurbeautéestcelledudiable–battentle linge. Des linceuls souillés ! Je m’empresse de les aider àtordre leurs loques.Etellesm’entraînentdans leruisseaud’oùje ne reviendrai jamais. Peu importe. Elles sont belles à enmourir.

LaFranceestuneéglise.Cellequi,àRocamadour,tentedemonter jusqu’au ciel. Les pèlerins s’y pressent pour reprendreunpeudefoi.Etilscontinuentleurroutejusqu’àSaint-Jacques-de-Compostelle, célébrée par la chrétienté, au même titre queJérusalem et Rome. La basilique de Rocamadour estdélicatement posée sur un rocher. « Tu es Pierre et sur cettepierre, je bâtirai mon église… » Les pyramides furent érigéesdans la peine et la souffrance par des dizaines de milliersd’esclavesmenésaufouet.LafalaisedeRocamadouresthaute,bienplushautequelesconstructionsdel’ancienneÉgypte.Ilafallulagravirenportantlepoidsénormedespierresetdesboisde charpente. Ce fut fait par des hommes libres et fiers queCharlesPéguyasuhonorerdansleurdignité.

Sur la routedeChartres–c’étaitsonpèlerinage– lepoètemarchaitenpleinsoleil.Ilcroisasurleborddelachausséeunhommequi cassait des pierres.Ce qu’il est convenu d’appelerunpauvrehère.Décharné,triste.

–Maisquefaites-vous,monbrave?–Commevousvoyez, jecassedespierres.C’estun travail

desous-homme.Jesuisunsous-homme.Quelqueskilomètresplusloin,unautrehommeselivraitàla

mêmeactivité.Ilparaissaitmoinsabîméqueleprécédent.–Quefaites-vous?–Jecassedespierres.C’estuntravailaffreux,maisjesuis

assezcontentdel’avoirpournourrirmafemmeetmesenfants.Plus loin encore, Péguy passa devant un troisième

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Nos clercs sont de petits, tout petits clercs. Journalistesânonnant des mots passe-partout, experts, sociologues etspécialistes,tousmunisdumêmemoulinàprières.Ilsonttrahicommeceuxdénoncésnaguèrepar JulienBenda. Il raconteunmomentdelaviedeTolstoï:

«Étantofficieretvoyant,lorsd’unemarche,undesescollèguesfrapperunhommequis’écartaitdurang,illuidit:‘‘N’êtes-vouspashonteuxdetraiterainsiundevossemblables?Vousn’avezdoncpas lu l’Évangile?’’Àquoil’autrerépondit:‘‘Vousn’avezdoncpaslulesrèglementsmilitaires?’’Cetteréponseest celleque s’attira le spirituelquiveut régir le temporel.Ellemeparaît fort sage.Ceuxquiconduisent leshommesà laconquêtedeschosesn’ontquefairedelajusticeetdelacharité.Toutefois,ilmesembleimportantqu’il existe des hommes, même si on les bafoue, qui convient leurssemblablesàd’autresreligionsqu’àcelledutemporel.Or,ceuxquiavaientlachargedecerôle,etquej’appellelesclercs,nonseulementneletiennentplus,maistiennentlerôlecontraire.»

Uneautredéfinition, bienplus cruelle, de ceque sontnospetits clercs. Elle est deMarx, expliquant ce qu’il appelle lelumpenprolétariat (enallemand, lumpenveutdire«haillons»,«chiffons»,«loques»),lesous-prolétariatdonc.

KarlMarxestbienplusprécisetméprisantdanssonLe18BrumairedeLouisBonaparte.Lelumpenprolétariat?

«Des roués ruinés et n’ayantni ressource, ni origine connue, les rebuts etlaissés-pour-compte de toutes les classes sociales, vagabonds échappés descasernesetdesbagnes,escrocs,saltimbanques,escamoteursetpickpockets,joueurs,maquereaux,écrivassiers,soûlographessordides,mendiants.»

Nous y sommes avec nos lumpen-intellectuels, nos sous-intellectuels, nos écrivassiers. Ils plastronnent avec l’arrogancedesparvenusetdesnouveauxriches.Etonlesécoute.Commenten serait-il autrement puisqu’on n’entend qu’eux ? Après les

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attentats de janvier, on a vu augmenter le nombre de Françaisestimant que l’islam était compatible avec la démocratie. Aumêmemoment,unnombregrandissantd’entreeuxa jugéqu’ilconvenaitdes’abstenirdecaricaturerleProphète.Curieux?Pasvraiment. Bénie par les sous-intellectuels et les écrivassiers,saintePétocheétaitdevenuereinedeFrance.

Oui,iciilfaitgris.Jesuisfrançais.Touteslespagesdemonlivre témoignent en tout cas de mon désir de l’être. Et pourl’être, je suis parti à Brocéliande rejoindre Viviane dans sonpalaisdecristal.J’ysuisbien.

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Tabledesmatières

Chapitre1

Chapitre2

Chapitre3

Chapitre4

Chapitre5

Chapitre6

Chapitre7

Chapitre8

Chapitre9

Chapitre10

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Achevéd’imprimerparXXXXXX,enXXXXX2015N°d’imprimeur:

Dépôtlégal:XXXXXXX2015

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