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COMMENTAIRE PHILOSOPHIQUE Texte à commenter · PDF fileChez Bachelard, le problème ne se pose pas par hasard, il est construit. Poser un problème suppose une démarche intellectuelle

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COMMENTAIRE PHILOSOPHIQUE

Texte à commenter :

« L'idée de partir1 de zéro pour fonder et accroître son bien ne peut venir

que dans des cultures de simple juxtaposition où un fait connu est

immédiatement une richesse. Mais devant le mystère du réel, l'âme ne

peut se faire, par décret, ingénue. Il est alors impossible de faire d'un seul

coup table rase des connaissances usuelles. Face au réel, ce qu'on croit

savoir clairement offusque ce qu'on devrait savoir. Quand il se présente à

la culture scientifique, l'esprit n'est jamais jeune. Il est même très vieux,

car il a l'âge de ses préjugés. Accéder à la science, c'est, spirituellement

rajeunir, c'est accepter une mutation brusque qui doit contredire un

passé. La science, dans son besoin d'achèvement comme dans son

principe, s'oppose absolument à l'opinion. S'il lui arrive, sur un point

particulier, de légitimer l'opinion, c'est pour d'autres raisons que celles

qui fondent l'opinion; de sorte que l'opinion a, en droit, toujours tort.

L'opinion pense mal; elle ne pense pas: elle traduit des besoins en

connaissances. En désignant les objets par leur utilité, elle s'interdit de

les connaître. On ne peut rien fonder sur l'opinion: il faut d'abord la

détruire. Elle est le premier obstacle à surmonter. Il ne suffirait pas, par

exemple, de la rectifier sur des points particuliers, en maintenant, comme

une sorte de morale provisoire, une connaissance vulgaire provisoire.

L'esprit scientifique nous interdit d'avoir une opinion sur des questions

que nous ne comprenons pas, sur des questions que nous ne savons pas

formuler clairement. Avant tout, il faut savoir poser des problèmes. Et

quoi qu'on dise, dans la vie scientifique, les problèmes ne se posent pas

d'eux-mêmes. C'est précisément ce sens du problème qui donne la marque

du véritable esprit scientifique. Pour un esprit scientifique, toute

connaissance est une réponse à une question. S'il n'y a pas eu de question,

il ne peut y avoir connaissance scientifique. Rien ne va de soi. Rien n'est

donné. Tout est construit. »

Gaston Bachelard, La formation de l’esprit scientifique, Paris, Librairie

philosophique Vrin, 1999 (1ère édition : 1938), extrait du chapitre 1er.

1 Nous essayerons de commenter ce texte en le divisant en trois parties. La première de la ligne 1 à la

ligne 9, la deuxième de la ligne 10 à la ligne 21 ( « la science […] formuler clairement »), et la

troisième partie de la ligne 21 à la ligne 27 ( « Avant tout […] tout est construit »).

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Le texte soumis à notre réflexion est un extrait de l’ouvrage de

Bachelard intitulé : « La Formation de l’esprit scientifique ». Dans cet

ouvrage, il montre comment se forme l’esprit scientifique, comment

l’esprit accède à la science. En s’appuyant sur l’histoire des sciences, il

relève ce qui peut constituer des obstacles à la connaissance scientifique.

Dans cet extrait, l’auteur évoque les attitudes que doit avoir celui qui veut

se former à la science. Quelle attitude doit avoir celui qui veut acquérir la

connaissance scientifique ? Pour l’auteur, celui qui veut accéder à la

connaissance scientifique doit d’abord l’approcher avec un esprit jeune

c’est-à-dire se débarrasser de tous préjugés. Ensuite il doit détruire ses

opinions, et enfin apprendre à poser des problèmes, à poser des questions.

Accepter que ce que nous prétendons connaître soit remis en cause,

soit contredit, telle est l’idée que l’auteur met en exergue dans cette

première partie du texte. Dans les cultures où l’accumulation des faits est

assimilée à la connaissance, il est normal que surgisse « l’idée de partir de

zéro pour fonder et accroître son bien », sa connaissance, pour s’approcher

de la connaissance scientifique. Dans ces cultures, la connaissance brute

des faits est considérée comme une acquisition de connaissance. Les faits

sont mis les uns à côté des autres sans qu’on ne cherche à les comprendre.

Cette manière de penser la connaissance est donc loin de la connaissance

2 Devoir de Licence II de philosophie (Cours philosophie de l’homme 2010-2011) corrigé par M.

Clément AKPOUE ; ce commentaire a reçu la note 16/20, avec la consigne « Vous rendez bien le sens

du texte ».

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scientifique. Dans ce cas, il est évident qu’on doit considérer ses préjugés

comme inexistants.

Mais l’auteur souligne que cette attitude de partir ou de repartir de

zéro n’est pas une attitude facile à adopter car devant le fait ou le réel, il

n’est pas évident que l’on accepte d’être totalement naïf : « Il est alors

impossible de faire d’un seul coup table rase des connaissances usuelles ».

Parce que l’âme qui se présente à la culture scientifique est déjà remplie

des préjugés, elle n’est jamais neutre. "Elle a l’âge de ses préjugés" comme

le dit l’auteur. Cependant, pour acquérir la science, il faut que l’esprit soit

rajeuni. C’est-à-dire l’esprit doit se débarrasser de ce qui l’empêcherait

d’accéder à la connaissance scientifique. Très souvent, nous constatons par

exemple que l’enfant est plus disposé à apprendre que l’adulte car il n’a

pas beaucoup de connaissances et de préjugés à son actif. Il a l’esprit pur

et donc n’a pas d’obstacle pour apprendre. Or, l’adulte se présente souvent

avec des préjugés, des résistances. Pour accéder à la science, il faut

accepter que ses connaissances antérieures soient bousculées, contredites

et remises en cause. Les préjugés n’étant pas les seuls obstacles à la

science, l’auteur, après avoir montré leurs nuisances, procède à la

démonstration d’un autre obstacle non moins important.

Dans la deuxième partie, l’auteur montre que la science s’oppose à

l’opinion. Platon nous donne cette définition de l’opinion : "quelque chose

d’intermédiaire entre l’ignorance et le savoir". Ceci pour dire que l’opinion

est une connaissance floue, confuse, imprécise et sans fondement

rationnel. L’opinion est une idée subjective, incomplète et partielle.

L’opinion n’est qu’un point de vue. Elle est souvent influencée par

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l’environnement et les motivations personnelles. En effet, croire et savoir

ne sont pas la même chose. Croire, c’est accepter ou admettre une idée

sans être en mesure de la démontrer d’une manière convaincante. On n’a

pas nécessairement besoin de comprendre avant de croire. Or, la science

n’est pas du domaine de la croyance, mais du savoir. Le savoir suppose un

dépassement de l’apparence pour accéder à la connaissance vraie, à la

connaissance scientifique. L’opinion n’a aucune place quand il s’agit de

former l’esprit à la science.

En effet, pour qu’il y ait connaissance, il faut forcément l’activité de

l’intelligence. Le réel doit être confronté à l’opération de l’esprit. La

science n’est pas du monde de la naïveté, de la subjectivité, mais de la

rationalité, de l’objectivité. Or, l’opinion n’a rien d’objectif, c’est une

manière de penser, de concevoir qui est véhiculée. C’est pourquoi l’auteur

dit : « L’opinion pense mal, elle ne pense pas : elle traduit des besoins en

connaissance. » Quiconque veut accéder à la connaissance scientifique,

doit commencer par détruire l’opinion, car elle n’a rien de fondé et

constitue un obstacle majeur à l’émergence et la croissance de la science.

L’idée scientifique est une construction raisonnée, continue, basée soit

sur la démonstration logique et mathématique, soit sur l’observation et

l’expérimentation.

L’opinion publique admet par exemple que si un individu fait la

diarrhée et maigrit, il est séropositif, alors que le test de dépistage peut

prouver le contraire. L’opinion oublie ou ne sait pas que ces symptômes

peuvent être également liés à beaucoup d’autres maladies. L’opinion est

donc trompeuse et doit être détruite. Il ne s’agit pas de la corriger ou de la

repenser. Il faut la démolir, comme le voulait Descartes. Tout édifice dont

les fondations ne tiennent pas doit être démoli pour construire à nouveau

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sur le solide. Nous devons chasser de notre esprit les concepts de la vie

commune, les projections psychologiques spontanées, inconscientes du

fait de nos habitudes. Le scientifique doit être ferme envers lui-même.

Rien ne devrait être tenu pour connaissance sans passer par le crible du

raisonnement et de l’objectivité. L’opinion et les préjugés une fois démolis,

Bachelard montre qu’il ne suffit pas seulement de les enlever pour

parvenir à la connaissance vraie, mais il faut chercher maintenant les

moyens qui permettent de parvenir à cette fin.

Savoir poser des problèmes est le soubassement de la connaissance

scientifique. C’est ce que l’auteur met en relief dans la troisième partie du

texte. Mais les problèmes, précise-t-il, ne se posent pas d’eux-mêmes. Par

l’observation par exemple, des questions surgissent et déclenchent la

recherche scientifique. Nous savons que la philosophie est née à partir des

questionnements. Le souci de savoir le pourquoi et le comment des choses

et des événements est ce qui conduit à la vraie connaissance. Toutes les

disciplines scientifiques sont nées à partir de ce souci de comprendre les

choses. « Toute connaissance est une réponse à une question», a dit

l’auteur. Et par ailleurs, la connaissance scientifique n’est pas acquise une

fois pour toute. La science évolue et se perfectionne par des questions

suscitées par des faits polémiques.

Chez Bachelard, le problème ne se pose pas par hasard, il est

construit. Poser un problème suppose une démarche intellectuelle et

méthodique, c’est pourquoi l’auteur dit "qu’il faut savoir poser des

problèmes". En effet, le problème découle souvent d’un fait polémique

constaté. La manière dont le problème est posé, donne l’orientation à

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l’étude que l’on veut effectuer. Définir une question de recherche, c’est

choisir ce que l’on veut étudier, c’est tracer son chemin de connaissance.

La position du problème est très fondamentale dans toute recherche

scientifique en vue de l’acquisition de la connaissance. Et tout au long du

travail de l’intelligence, les questions permettent au scientifique de

chercher. En cherchant, s’il trouve des réponses objectives à ses

interrogations, il aboutit à des connaissances qui ne sont pas le fruit du

hasard, mais du travail de l’intelligence. Puisque le bon sens, la raison, est

la chose la mieux partagée au monde comme nous l’enseigne Descartes, la

connaissance acquise par le biais de l’entendement sera partagée par tous

ceux qui suivront ce chemin de l’entendement. Même si cette

connaissance est remise en cause après, elle est le fruit de la construction

de l’esprit.

Acquérir l’esprit scientifique procède d’une démarche rigoureuse de

l’esprit, c’est le fait d’un apprentissage. Personne n’est formé d’un seul

coup à l’esprit scientifique. La connaissance scientifique exige de celui qui

veut l’acquérir une certaine attitude qu’on peut qualifier d’attitude

scientifique. C’est de cela que l’auteur traite dans ce texte. Dans la

première et la deuxième partie du texte, il a montré comment le préjugé et

l’opinion peuvent être des obstacles à la culture scientifique. S’approcher

de la science demande que l’on soit dépouillé de ses préjugés, car c’est en

approchant la science avec un esprit humble et ouvert qu’on peut acquérir

la vraie connaissance avec succès. Il faut être ouvert afin de découvrir,

humble afin de remettre en cause ses préjugés. Quant à l’opinion, l’auteur

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estime qu’elle doit être tout simplement détruite car on ne peut rien

construire sur elle. Dans la dernière partie du texte, l’auteur souligne

l’importance des problèmes, des questions dans la formation et l’évolution

de la science. La connaissance scientifique se construit à partir des

questions et se perfectionne grâce à elles. En somme, dans ce texte,

Bachelard relève l’attitude que l’on doit avoir afin d’aboutir à des

connaissances scientifiques. Rejeter les préjugés et les opinions d’une part

et apprendre à poser des questions d’autre part.

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