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Commissaire : Pierre Wilson Texte : Céline Le Merlus et Camille Fayet Catalogue d’exposition du 19 juin au 7 septembre 2008. Conception du catalogue : Denis Longchamps, Cahiers métiers d’art * Craft Journal Imprimé à Montréal par : A.C. Werbrouck Inc.

Catalogage avant publication de Bibliothèque et Archives nationales du Québec et

Bibliothèque et Archives Canada

Le Merlus, Céline, 1980-

Jeanne Auclair, artiste et artisane

Catalogue d'une exposition tenue au Musée des maîtres et artisans du Québec du 19 juin au

7 sept. 2008.

Publ. en collab. avec: Musée des maîtres et artisans du Québec.

ISBN 978-2-9809569-7-3

1. Auclair, Jeanne, 1924- - Expositions. I. Auclair, Jeanne, 1924- . II. Fayet, Camille, 1988- . III.

Cahiers métiers d'art (Association). IV. Musée des maîtres et artisans du Québec. V. Titre.

N6549.A863A4 2008 709.2 C2008-941180-3

Dépôt légal Bibliothèque et Archives nationales du Québec, 2008 Bibliothèque et Archives Canada, 2008 © Cahiers métiers d’art * Craft Journal, Musée des maîtres et artisans du Québec, Montréal, 2008 En page couverture : Têtes heureuses, 1975, Haute Laine, 196 x 100 cm, Collection de l’artiste

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Jeanne Auclair, artiste et artisane

Céline Le Merlus et Camille Fayet

2008

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Table des matières

1. Ses débuts 7 2. La tapisserie 23 3. Peintures et techniques mixtes 41

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Ses débuts ...

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Née à Montréal le 13 novembre 1924, Jeanne Courtemanche Auclair grandit, dès l’âge de onze mois, dans la banlieue nord de la métropole, sur la rue Guizot alors très peu construite. Dernière venue d’une famille de cinq enfants, elle évolue dans un milieu aisé et cultivé. Son père, Wilfrid Courtemanche, tient un commerce au centre de la ville, tandis que la maison d’été familiale, située à Sainte-Rose sur l’île de Laval, est isolée. Dans ce paysage encore rural et peu habité, elle ne trouve guère de partenaires de jeux. Malgré l’attention que lui procurent ses frères et sœurs, déjà plus âgés, elle demeure une enfant timide, silencieuse et solitaire. Pour combler son manque de compagnie, elle s’adonne à la pêche, mais se réfugie surtout dans la lecture et le dessin. À l’âge de quatre ans, Jeanne Auclair s’émerveille du reflet des rayons du soleil sur une poignée de porte en verre. Le prisme cristallin réfléchit la lumière et dévoile les couleurs de l’arc-en-ciel. Cette vision, qui réveille l’âme curieuse de la future artiste, constitue pour elle une révélation. Si elle considère aujourd’hui celle-ci comme l’élément déclencheur de sa vocation, elle intériorise à l’époque son expérience et se construit dès lors un imaginaire qu’elle ne peut partager mais qui ne demande pourtant qu’à s’exprimer. Pour y satisfaire, elle utilise le dessin comme premier moyen d’expression. Témoignant de sa profonde sensibilité, ses esquisses à la craie de cire colorée puisent leur force dans la réflexion sur sa vie et sa recherche de soi, qui vont constituer les principales forces créatrices de son œuvre. Rapidement, son crayon s’inspire également des tableaux suspendus aux murs de la maison et de visites au Musée des beaux-arts de Montréal. La collection de l’Encyclopédie de la Jeunesse la réjouit chaque jour par la reproduction des maîtres anciens – Giotto, Greco, Georges De la Tour, Vermeer – par les enluminures et tapisseries médiévales, par les paysages chinois et par les peintures zen. En outre, tous les membres de la famille s’intéressent aussi à la musique et chacun pratique au moins un instrument. L’une de ses sœurs se distingue en tant que violoniste à l’Orchestre symphonique de Montréal. Dans ce contexte mélomane, Jeanne Auclair s’initie au violon et surtout au piano. Son engouement pour ce dernier la prédestine à une carrière professionnelle musicale. Son destin bifurque en 1942 lorsque sa mère l’inscrit à l’École des beaux-arts de Montréal. Ce choix original va à l’encontre des normes de la société. À l’époque, les jeunes filles se consacraient davantage à des activités ou des métiers traditionnels et il était rare que des parents prennent pour leur fille l’initiative de l’orienter vers une carrière artistique, réputée comme futile et non lucrative. Pourtant, Jeanne Auclair se sent attirée par ce mode de vie et cette décision va la pousser à se révéler.

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Dès le concours d’entrée à l’École des beaux-arts, pour lequel on lui demande de reproduire au fusain un fragment de sculpture antique, Jeanne Auclair est séduite. Par la suite, tous les choix de cours, dessin d’antiques ou de modèles vivants, modelage d’argile, décoration et rendus à la gouache sur carton, sont autant de moyens d’expression qui l’enchantent. Pour la première fois, elle sort de sa solitude, s’extériorise et place enfin des mots concrets sur une pensée jusque-là ressentie mais non conscientisée : « Les arts sont les moyens privilégiés de l’expression de l’être »

1.

En 1946 et 1947, Jeanne Auclair fréquente assidûment l’atelier d’Alfred Pellan, à raison de trois matinées par semaine. Après avoir vécu 14 ans à Paris, ce peintre d’avant-garde, chassé par la guerre, retourne au Québec où il en rapporte les principes cubistes et surréalistes qu’il combine à une esthétique réaliste pour former son propre style. Il accepte d’enseigner à l’École des beaux-arts mais son idéologie dérange par sa trop grande modernité, au point qu’il se voit contraint de renoncer à sa chaire de professeur, après dix ans d’enseignement. Néanmoins, pendant deux ans, ce maître québécois la sort des courants académiques et lui ouvre les portes d’un art novateur. La peinture d’Alfred Pellan est remarquable par l’audace de ses couleurs, la puissance de son trait et l’originalité de ses solutions picturales. Il affectionne les formes pleines, les lignes généreuses et les tonalités franches. Jeanne Auclair adhère à son principe d’objectivité de l’art. Pour ses propres créations, elle retient de son enseignement la prépondérance de la lumière comme essence de la matière vivante. Jeanne Auclair manifeste aussi du respect et de l’admiration pour Paul-Émile Borduas, fondateur de l’Automatisme en 1942. Ce mouvement artistique québécois apparenté à l’expressionnisme abstrait regroupe un ensemble d’artistes montréalais qui préconisent l’intuition expérimentale non figurative. Touchant d’abord les milieux de la peinture, du dessin et de la sculpture, il s’étend ensuite à la danse, à la poésie et au théâtre. Le mouvement prend toute son ampleur lorsque Borduas publie un manifeste, Le refus global, critique de la culture canadienne française qui dénonce l’hégémonie de l’Église et propose un projet de société parfois considéré comme proche de l’anarchisme. Dans les années 1940, Jeanne Auclair, qui visite toutes leurs expositions, s’accorde avec les Automatistes pour la défense d’un art libre et le mépris de l’académisme. Elle adhère à leur initiative contestataire et à leur volonté de révolte politico-sociale mais ne participe pas activement à leurs revendications.

1 Auclair, Jeanne, Réflexions sur l’art et la création, texte dactylographié pour Radio Ville-Marie, septembre

1997.

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Dans ce contexte de l’après-guerre, Jeanne Auclair est néanmoins consciente de la nécessité d’une mobilisation pour soutenir la culture, trop souvent reléguée au second plan derrière l’urbanisation et la reconstruction économique. C’est pourquoi, elle s’associe à une vingtaine d’amis pour refonder en 1946 un mouvement d’organisation de loisirs : L’Ordre de Bon Temps. Un premier organisme du même nom avait été créé en 1606, à l’instigation de Samuel de Champlain à Port Royal en Acadie, au centre de la vie locale. Le gouverneur de la Nouvelle-France souhaitait par ce biais divertir les hommes de son équipage et leur faire profiter des plaisirs de la table pour oublier la rigueur du climat hivernal. Cet Ordre de Bon Temps, considéré comme le premier club social et gastronomique de l’Amérique, mettait en valeur les arts et traditions populaires d’origine française

2. Oubliés pendant plusieurs siècles

Jeanne Auclair participe à sa renaissance. En écho à l’esprit de gaîté caractéristique du mouvement initial, le nouvel Ordre de Bon Temps se donne pour mission de promouvoir des loisirs créatifs et enrichissants. Son créateur officiel, Roger Varin, fut un grand ami de Gérard Lavallée, fondateur en 1960 de l’actuel Musée des maîtres et artisans du Québec, avec lequel il partageait son amour pour le patrimoine québécois. Le programme de l’Ordre de Bon Temps recourt aux arts populaires, aux chansons et danses traditionnelles, aux contes et légendes, aux mimes et aux jeux dramatiques improvisés et costumés. Aidés de personnes ressources émérites dans ces différents domaines, les jeunes gens approfondissent leur répertoire musical, apprennent l’expression corporelle et dramatique et assistent à des ateliers de décors, de costumes et de masques de théâtre. Ils souhaitent représenter un mouvement mixte et égalitaire, dans lequel les responsabilités sont partagées. Jeanne Auclair participe à l’ensemble de ces activités et se voit aussi chargée, à l’occasion du grand bal de lancement, de peindre et de distribuer une vingtaine d’affiches promotionnelles. Avec deux autres membres, elle met en place un bulletin de liaison entre les équipes et en illustre les dix-sept premiers numéros, publiés par l’organisme entre 1946 et 1950. Leur succès est tel que l’équipe d’animateurs augmente rapidement et le mouvement est sollicité par de nombreux festivals canadiens et américains. Grâce à cette expérience communautaire, Jeanne Auclair s’affirme et se libère au contact des autres. Elle se démarque notamment par son habileté manuelle, son talent de dessinatrice et son esprit d’initiative.

2 http://www.biographie.ca/FR/ShowBio.asp?BioId=34237&query=champlain, site du dictionnaire

biographique du Canada en ligne, consulté le 24 avril 2008

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Pendant ces cinq années, l’illustration et la décoration murale vont dominer la production de Jeanne Auclair, au-delà du seul Ordre de Bon Temps. Déjà en 1945, elle illustre les journaux pour enfants Claire et François, réalise des couvertures de livres et de revues pour plusieurs maisons d’édition montréalaises. En 1950, elle dessine la petite encre Paix sur un relief grâce auquel elle donne du corps à l’oiseau. À la même époque, Françoise Gaudet-Smet, journaliste et écrivaine, lui demande de collaborer à ses publications du Centre social de Claire-Vallée à Saint-Sylvère, dont elle est la fondatrice. Elle dessine quelques-uns de ses Agendas annuels et réalise également la décoration murale de l’un des bâtiments du centre. C’est alors qu’elle rencontre, sur son lieu de travail, Louis Auclair, artiste français en visite chez sa mécène, qu’elle épouse en août 1956. À partir de 1953, Jeanne Auclair participe, pour Radio Canada, à la réalisation des décors et des personnages de la série animée Pépinot. En compagnie du maquettiste Edmondo Chiodini, elle modèle et confectionne entre autres les visages des marionnettes à gaine des deux protagonistes, Pépinot et sa sœur Capucine (fig. 1, p. 13). Ces personnages ludiques et enfantins lui permettent de s’ouvrir au monde de la télévision, riche d’expériences et de rencontres. Pendant ses loisirs, Jeanne Auclair ne cesse d’enrichir ses connaissances artistiques par la découverte des chefs-d’œuvre universels qu’elle ne se contente pas de voir en reproduction mais décide d’aller contempler dans leur matérialité. En 1950, elle voyage quatre mois en Europe et visite les villes de Milan, Pompéi, Rome et Paris. Elle découvre enfin l’Église d’Assy, dans les Alpes, décorée par les plus grands artistes de l'époque, Chagall, Léger, Lurçat, Matisse, Rouault et considérée comme l'édifice clef du renouveau de l’art sacré au XXe siècle. Elle trouve dans cette église le reflet de sa propre attirance ambivalente pour l’art sacré et le modernisme. En 1956, elle effectue son voyage de noces au Mexique où elle se passionne pour l’art précolombien ainsi que pour la mosaïque qui devient dès lors son nouveau médium de prédilection. La mosaïque est un art ancien, qui consiste à assembler, à l’aide de mastic ou bien d’enduit, des fragments de pierre, d’émail, de verre, de céramique ou encore de tout autre matériau, pour former des motifs ou des figures. Au Mexique, on la retrouve déjà sur le site de Teotihuacan vers 300 de notre ère, sous forme de petits objets tels que des statuettes, des bijoux, des récipients ou des masques. Elle est alors

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Fig. 1 : Edmondo Chiodini, Marielle Chevrier et Jeanne Auclair à Radio-Canada, vers 1953

Photo : Wolfgang Etzold

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constituée de pierres fines ou semi précieuses, albâtre, onyx, turquoise, malachite, matières raffinées qui ornent les objets de couleurs chatoyantes. Jeanne et Louis Auclair sont fascinés par l’utilisation de matériaux autochtones tels que la pierre volcanique. À Mexico, l’Université, la Bibliothèque centrale et le Palais national des arts brillent par leurs murales de mosaïque de verre, œuvres de Tamayo, O’Gorman et Siqueiros, peintres célèbres des années 1950. Ils décident d’expérimenter à leur tour la technique de la mosaïque et ramènent de leur voyage un sac de tessons de verre. Dans un premier temps, guidés par des spécialistes, ils s’initient à la mosaïque ancienne inspirée d’œuvres byzantines du V

e siècle. Ces

mosaïques, produites par des artistes romains, représentaient essentiellement des scènes religieuses ou des symboles et allégories élevés à la glorification du couple impérial. Après avoir acquis les principes de bases spécifiques à la technique, le jeune couple personnalise ses créations et commence par produire des éléments décoratifs qui allient les procédés mexicains et italiens. En 1957, ils réalisent leur première Table mosaïque, point de départ de la reconnaissance de leur travail (fig. 2, p. 15). À la vue de celle-ci, un ami décorateur, séduit, en commande six, puis douze la semaine suivante. Il initie ainsi une longue série d’inventions de tables de toutes formes, couleurs et compositions. En 1958, Louis et Jeanne Auclair sont chargés de décorer le mobilier de l’Église de Saint-Damien-de-Brandon au Québec. Ils créent des mosaïques ornementales dont ils recouvrent l’ambon, les fonds baptismaux, la table de communion et les autels secondaires. Pour le maître autel, on leur suggère instamment la reproduction du thème de La dernière Cène, d’après la célèbre composition de Léonard de Vinci (fig. 3, p. 16). La demande croissante implique rapidement l’agrandissement de leur atelier. Une fois pourvus d’un plus vaste espace de travail, Jeanne et Louis Auclair ambitionnent de complexifier leur création en s’aventurant dans la forme la plus audacieuse de la mosaïque : la murale. En 1959, le Grand Séminaire de Montréal leur confie la réalisation, d’après une esquisse à la gouache de l’artiste peintre Magdeleine Morin de Pocas, de la murale Tu seras pêcheur d’hommes, conservée encore aujourd’hui dans le parloir (fig. 4, p. 17). Peu après, l’ancien professeur de Jeanne Auclair, Alfred Pellan, confie à son tour au couple la réalisation de deux œuvres monumentales. D’après les maquettes qu’il leur fournit, les deux artistes mosaïstes effectuent ainsi en 1962 et 1963 le recouvrement des murs attenants à deux piscines intérieures résidentielles, dans lesquelles des personnages fantaisistes en haut relief exécutés par le céramiste Carol Grenon sont insérés aux dégradés de couleurs des fonds de mosaïque de verre.

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Fig. 2 : Table mosaïque, 1957, bois, mosaïque de verre du Mexique 41 x 77.5 x 39.5 cm Collection de l’artiste

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Fig. 3 : La dernière Cène, 1954, mosaïque du maître autel de l’église de Saint-Damien-de-Brandon, Québec

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Fig. 4 : Tu seras pêcheur d’hommes, 1959, mosaïque de verre d’après une esquisse de Magdeleine Morin. Photo : Pascale Bergeron

Collection de : Les Prêtres de Saint-Sulpice de Montréal, 2002.0079

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Lorsqu’ils créent des œuvres originales, Jeanne et Louis Auclair se répartissent naturellement le travail. Jeanne conçoit le motif, dessine, agence les couleurs tandis qu’ensemble ils préparent les tessons et procèdent à la pose, soit directement sur les murs soit sur des panneaux. De plus en plus, ils diversifient leurs matériaux et innovent dans leur art en introduisant des fragments de pierres naturelles d’extraction locale, minerais, galets, ardoises et marbre du pays. Les œuvres Les Professions (fig. 5, p. 19), mosaïque murale conçue pour le hall du 801 Sherbrooke Est à Montréal, et Vivre, panneau décoratif réalisé en 1965, témoignent de leur attrait pour les formes et les couleurs authentiques. La rusticité des pierres à peine retaillées et leur agencement soigné procurent à ces œuvres une sobriété délicate apte à plonger le spectateur dans une réflexion métaphysique sur la nature humaine et la place de l’Homme dans la société. La spécificité des paysages québécois constitue également l’un de leurs thèmes de prédilection. En 1961, L’Automne Québécois reçoit le premier prix de mosaïque décerné par l’Association professionnelle des artisans du Québec. Née en 1949 grâce à Jean-Marie Gauvreau, directeur de l’École du meuble de 1935 à 1957, celle-ci fondera cinq ans après sa création le Salon des métiers d’art du Québec. Cette récompense constitue pour l’atelier Auclair une reconnaissance tant sur le plan artisanal qu’artistique. Pendant sept ans, ils vont ainsi expérimenter les formes, les couleurs, la lumière et la matière de leur environnement social et naturel qui se traduit dans leur œuvre par la variété des thèmes et des textures extraits de leur sol natal. Leur approfondissement de cet art ancestral nous donne à voir une mosaïque animée et rajeunie qui va constituer un véritable tremplin dans la carrière de Jeanne Auclair. Entre 1962 et 1963, le couple voyage en Europe, où il visite l’Italie, la Suisse, l’Allemagne et la France. Soucieux d’approfondir leurs connaissances culturelles et d’élargir leurs compétences techniques, Louis et Jeanne Auclair s’inscrivent dans divers ateliers de création. Jeanne Auclair, admise à l’Université catholique, participe à un groupe de recherches sur « l’iconographie chrétienne depuis 2000 ans ». À leur retour, ces recherches lui permettront de poursuivre une mission d’illustrations catéchistiques. Elle conçoit en 1964 et 1965 la présentation complète – couverture, illustrations et mises en page – des deux premiers manuels de la nouvelle catéchèse au Québec. Durant les quatre années suivantes, elle en illustre dix autres destinés aux Américains, parmi lesquels figurent Love the Lord, Alive in Christ et Christ with us, publiés à New York par la maison d’édition W.H Sadlier (fig. 6, p. 20). Ses dessins, sous forme d’esquisses réalisées au crayon ou au pastel, se caractérisent par une

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Fig. 5 : Les professions, 1965, murale de mosaïque, 801 rue Sherbrooke Est, Montréal Galet, ardoise et marbre du pays

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Fig. 6 : Illustration de couverture, Love the Lord, W.H. Sadler, New-York, 1966 Collection de l’artiste

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sobriété des traits et des couleurs éclatantes. Dans La Samaritaine, les personnages au modelé à peine ébauché prennent vie grâce aux teintes lumineuses de leurs vêtements et de leur carnation (fig. 7, p. 22). Cette production, qui va l’occuper pendant près de cinq ans, va permettre à Jeanne Auclair de partager sa foi et de transmettre son respect du sacré à la nouvelle génération. Outre cette activité pédagogique, cette période est marquée par l’arrivée dans son œuvre de la tapisserie, medium qui consolidera bientôt sa reconnaissance artistique.

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Fig. 7 : La Samaritaine, 1964, pastel gras, illustration de catéchisme 28 x 42 cm, collection de l’artiste

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La tapisserie ...

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Durant leur voyage culturel en Europe, Jeanne et Louis Auclair découvrent la tapisserie à Lausanne, en Suisse, à l’occasion de la Biennale internationale de tapisserie contemporaine de 1962. Cette première manifestation inaugure une longue série de rencontres professionnelles qui perdure jusqu’en 1995. Les œuvres présentées sont essentiellement des murales, œuvres figuratives de grand format dont les cartons ont été dessinés par d’illustres artistes tels que Matisse et Le Corbusier. Sont également exposées des œuvres plus modestes mais tout aussi émouvantes qui furent tissées pendant la seconde guerre mondiale par des artisanes d’Europe de l’est. À la vue de ces chefs-d’œuvre, Jeanne Auclair est fascinée et se promet de s’initier à cet art captivant. Le terme de tapisserie est généralement employé pour désigner tout ouvrage textile décoratif, tissé manuellement et destiné à recouvrir un mur ou une surface plus petite. Le décor est alors obtenu par la trame seule dont les fils sont tassés de manière à cacher les fils de chaîne qui en constitue l’armature. L’histoire de cet art très ancien est difficile à retracer. S’il est admis que son origine remonte à l’Antiquité, il serait prétentieux d’en attribuer l’invention à un peuple spécifique. Attestée en Europe, en Afrique, en Amérique latine comme en Asie, sa technique se développe simultanément sur les cinq continents. Initialement indissociable de sa fonction utilitaire, elle pouvait servir à orner les murs ou encore à fermer les portes et les fenêtres. De plus, les matières premières utilisées pour sa confection, allant de la laine ou du poil aux fibres végétales, sont aussi variées que les résultats obtenus. Au Québec, la tapisserie est tributaire de la tradition européenne dont la grande époque est celle du Moyen Âge. Protection contre le froid dans les châteaux et bâtiments religieux, elle améliorait également le cadre de vie en constituant un décor fastueux et chaleureux. L’esthétique de la tapisserie est vite gratifiée par les rois et seigneurs qui s’enorgueillissent de promouvoir leur industrie par le développement de manufactures célèbres telles que les Gobelins à Paris ou la manufacture d’Aubusson. Élevée à la Renaissance au rang d’art majeur, la tapisserie se cantonne au statut d’objet de luxe. Ses couleurs se multiplient, elle imite dès lors les effets du bel art de la peinture et se remarque par son tissage somptueux d’or et de soie. À l’aube de l’ère industrielle, la généralisation du papier peint freine l’expansion de la tapisserie jusqu’à l’inhiber.

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Il faut attendre la seconde guerre mondiale pour que Jean Lurçat restaure la tapisserie dans ses lettres de noblesse. En retournant aux sources de la tradition médiévale et en redécouvrant sa nature et son essence, il lui donne un nouvel essor. Influencé par les artistes cubistes et surréalistes, il s’inspire également de ses nombreux voyages et dessine des cartons où dominent la simplicité des formes et la sobriété des couleurs. Au fur et à mesure de l’évolution de son art, les canevas qu’il travaille prennent de plus en plus d’ampleur et atteignent jusqu’à 15 m². Cependant, s’il renoue avec les techniques anciennes, il change radicalement les thèmes et les tons, si bien que ses convictions heurtent parfois la tapisserie plus conventionnelle souvent assignée à l’expression de la mélancolie des siècles passés. Par ses innovations, Jean Lurçat intègre l’art de la tapisserie aux courants de la modernité. L’évolution du textile dans l’art décoratif doit aussi beaucoup à l’architecte français Charles Édouard Jeanneret, plus connu sous le nom de Le Corbusier. Dans sa préoccupation à créer des espaces voués à l’épanouissement de la vie sociale, il réintègre la tapisserie dans sa fonction architecturale et lui donne ainsi un nouvel élan. Il en revalorise les qualités acoustiques, visuelles et tactiles, tout en lui conférant une mobilité par laquelle elle s’accorde parfaitement au contexte domestique du XXe siècle1. De plus, cette renaissance européenne, qui culmine au sortir de la seconde guerre mondiale, connaît un retentissement international. Sur chaque continent, elle s’adapte aux coutumes locales et engendre ainsi différents styles d’expression. À l’époque de la Nouvelle-France, la tapisserie, apanage de la femme, constituait l’une de ses principales activités quotidiennes. La culture du lin et du chanvre, de même que l’élevage des moutons, lui permettaient de se procurer les matières premières nécessaires qu’elle transformait par la suite. S’il arrivait qu’elles confectionnent des tissus à partir de fils neufs, il était davantage fréquent de voir les mères de famille employer des retailles de vieux chandails pour créer de nouvelles pièces. À partir du XVIIIe siècle, l’industrie du tissu se généralise et change radicalement la vocation du tissage domestique qui passe du rang d’indispensable et utilitaire à celui d’accessoire et décoratif. Au XXe siècle, l’importance que le Québec attache au soutien de son artisanat participe du nouvel essor de la tapisserie. De plus, la valorisation des techniques traditionnelles et leur raréfaction leur confèrent un nouveau statut de produit de

1 La plus importante réalisation de Le Corbusier comme cartonnier est une tapisserie de six cents mètres

carrés aujourd’hui conservée en Inde.

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luxe. À ce titre, la tapisserie connaît une forte popularité grâce à l’implication des peintres d’avant-garde qui en dessinent les cartons. D’après Jean Royer, la création des premières « tapisseries d’expression » reviendrait à Alfred Pellan, vers 1940

2.

Désormais considérée comme un art à part entière, on commence à enseigner la tapisserie dans les écoles de Beaux-arts qui se dotent de métiers à tisser. À Québec, la relève se forme dans les années 1960, en partie autour de Jeanne d’Arc Corriveau. La demande des artistes est telle qu’il devient nécessaire d’ouvrir des ateliers destinés à former des artisans capables de tisser les œuvres qu’ils dessinent et conçoivent. Enfin, au tournant des années 1970, la tapisserie réhabilitée transgresse ses conventions lorsque les artistes de la nouvelle génération explorent davantage les matériaux et inventent de nouveaux procédés de tissage. Ainsi, Micheline Beauchemin se distingue par l’utilisation de matières contemporaines issues de l’industrie telles que le plastique ou autres fibres synthétiques. De son coté, Denise Beaudin utilise le tissage comme principal médium pour intégrer dans son œuvre une troisième dimension. Ses pièces sont autant de sculptures qui ne gardent de la tapisserie traditionnelle que l’essence physique. Dans ce contexte d’effervescence artistique, Louis et Jeanne Auclair, grâce à leurs multiples compétences, vont trouver leur place au sein de ce foisonnement de nouveaux talents3. Du point de vue technique, on distingue dans la tapisserie trois types de tissage : la basse lisse, la haute lisse4 et le tissage à l’aiguille sur canevas, appelé aussi le tissage au point. Quelque soit la technique retenue, la première étape consiste en la réalisation d’un carton qui doit servir de plan de base au projet. Celui-ci peut être fourni par le commanditaire ou créé par l’artisan lui-même. La charte des couleurs et le choix des fils sont ensuite soigneusement définis en fonction du résultat souhaité. Outre les fils courants, le tisserand utilise parfois du fil dit de réparonne, obtenu à partir de tricots détricotés ou bien du nouis, bandes de tissu découpé que l’on retrouve souvent dans la confection de tapis. Dans le cas de la tapisserie de basse ou haute lisse, le lissier commence par monter les fils de chaîne sur son métier à tisser. La principale différence entre ces deux techniques consiste en la nature de ce dernier; le métier basse lisse porte la pièce horizontalement et comporte beaucoup de fonctions mécanisées tandis que le métier

2 Royer, Jean, « Sur les origines de la tapisserie… », dans Le Soleil, 29 janvier 1977

3 La partie historique au Québec est principalement inspirée de Bernatchez, Michèle et Harvey Perrier,

Ginette, La Tapisserie, Québec : La documentation québécoise, 1976, p. 3-13. 4 Nous avons privilégié ici l’orthographe « lisse » mais l’orthographe « lice » est également admis et se

rencontre à part égale dans la littérature spécialisée.

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haute lisse présente un cadre vertical et son utilisation est plus rudimentaire. Une fois la chaîne installée, l’artisan insère entre celle-ci les fils de trame au moyen d’une navette. L’entrecroisement doit être serré et régulier pour un résultat homogène où les motifs apparaissent grâce aux différentes teintes choisies pour les fils de trame. Au fur et à mesure de sa création, la pièce s’enroule à l’extrémité du métier et l’artisan ne pourra admirer celle-ci dans sa totalité qu’une fois la tapisserie terminée. Le tissage au point diffère des deux précédents du fait que le support servant d’armature à la tapisserie est préexistant. En effet, on utilise pour celui-ci un canevas, souvent industriel, déjà composé d’un entrecroisement de fils de chaîne et de trame. Des fils de couleur sont alors passés dans les interstices pour créer le motif, visible sur le carton ou déjà imprimé sur le canevas. D’une part, cette technique est intéressante car il existe différents types de points correspondant chacun à un relief et un rendu différent. D’autre part, elle est plus facile d’exécution car le motif apparaît au fur et à mesure à l’œil de l’artisan qui garde une vue d’ensemble et peut ainsi corriger et revenir sur son travail comme il le désire. En 1969, lorsqu’il s’initie à l’art de la tapisserie, Louis Auclair porte son choix sur la haute lisse. Par son caractère plus élémentaire, le métier haute lisse est aussi plus facile d’accès pour le néophyte. Peu après, lorsque l’élève sera parvenu à maîtriser son tissage, il l’enseignera à son tour. La dernière œuvre d’atelier qu’il conçoit sur son métier de fabrication domestique est une murale de 5 mètres de large, dans laquelle s’enchevêtrent des matériaux aussi imaginatifs que des fibres végétales, des poils de cheval, des nœuds d’arbre et des laines brutes tondues, lavées, cardées et filées par l’artiste lui-même. De son côté, Jeanne Auclair s’invente une méthode toute personnelle qu’elle intitule le tissage « haute laine ». Inspiré du procédé traditionnel de tissage au point, celui-ci consiste à « poinçonner finement, crocheter de grosses boucles, creuser des sillons pour faire émerger des torsades de laine, prisons d’ombre et cascades de lumière »

5. En se servant de la technique de la broderie libre,

elle utilise tantôt l’aiguille et tantôt le poinçon avec lesquels elle modèle une tapisserie qui se veut non pas homogène mais alternant creux et saillies pour introduire un mouvement en harmonie avec le thème. À partir de 1976, le couple se sépare mais Jeanne Auclair continue, jusqu’en 1992, ses créations de tapisseries murales. Armée d’outils de confection artisanale, Jeanne Auclair crée dans la spontanéité. La puissance de sa sensibilité et de son imaginaire comme sa recherche de spiritualité et d’authenticité, qui se manifestent déjà dans les premières œuvres de sa carrière,

5 Citation de Jeanne Auclair en 1982

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s’affirment dans ses tapisseries. Non seulement celles-ci rayonnent de sens et de fantaisie mais, de plus, l’artiste se livre entièrement dans ses créations dont chaque maille est raisonnée. Les considérations qui l’amènent à s’interroger sur sa condition d’être humain l’acheminent vers des réflexions philosophiques qu’elle va instituer comme fondement de son art. Dans Clairière, tapisserie de haute lisse réalisée en 1975, Jeanne Auclair nous dévoile une nature géométrique où dominent les teintes froides de vert émeraude et de vert lime. Celles-ci permettent d’identifier dans la composition un foisonnement d’arbres clairsemés de fleurs conçus dans des tons de beige et d’orangé. Les formes stylisées réduisent la végétation à sa plus simple expression, si bien que l’intelligibilité du thème ne se déchiffre que par l’association des lignes verticales à l’énoncé du titre. Cette œuvre décorative est encore très marquée par l’héritage avant-gardiste du maître de l’artiste, Alfred Pellan (fig. 8, p. 30). Avec Signe d’eau et Signe d’air, tissées en 1975, Jeanne Auclair franchit une étape supplémentaire dans sa démarche artistique par l’inauguration de sa technique de haute laine qu’elle combine ici à une interprétation ésotérique. Elle magnifie les éléments naturels en exploitant leur qualité intrinsèque : la mobilité de l’eau d’une part, rendue par la superposition et l’interpénétration des différents aplats de couleur, et le diaphane de l’air d’autre part, qui se manifeste dans la confusion des tonalités chaudes. De même, dans La flamme de 1987, elle illustre la correspondance alchimique entre l’âme humaine et la lumière du feu, en représentant ce dernier par sa composante primordiale (fig. 9, p. 31; fig. 10, p. 32 et fig.11, p. 33).

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Fig. 8 : Clairière, 1975, haute lisse 105 x 148 cm, Collection de l’artiste

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Fig. 9 : Signe d’eau, 1975, haute Laine 75 x 100 cm, collection de l’artiste

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Fig. 10 : Signe d’air, 1975, haute laine 75 x 100 cm, collection de l’artiste

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Fig. 11 : La flamme, 1987, haute laine 101 x 76,5 cm, collection de l’artiste

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La propension de Jeanne Auclair à conceptualiser et à montrer la nature non plus dans sa matérialité physique mais dans son essence épurée la pousse à produire des formes élémentaires qu’elle réinterprète ensuite. Dans Têtes heureuses de 1975, les triangles arrondis et les teintes rosées sont utilisés pour transcrire le sentiment du bonheur. Cette simplification s’intensifie pour aboutir à des tapisseries fondamentalement abstraites parmi lesquelles figure Modulation I et II, diptyque haute laine réalisé en 1979. Celui-ci se compose uniquement de lignes verticales strictes de couleurs alternées qui se confondent ou se heurtent, créant ainsi un rythme horizontal qui transcende la composition (fig. 12, p. 35 et fig. 13, p. 36). Comme bon nombre d’artistes qui côtoyèrent l’abstraction, Jeanne Auclair, se tourne à nouveau vers l’art figuratif. En fait, elle ne délaisse jamais son attrait pour la nature qui l’entoure, comme en témoigne les œuvres Juin de 1980 et Jardin d’été de 1992. Si les volumes sont encore très schématiques, les fleurs mauves se distinguent aisément du fond de verdure (fig. 14, p. 37 et fig. 15, p. 38). Dans ce contexte, l’artiste renoue également avec l’art de la murale, déjà expérimenté par la mosaïque. Pour ses premières œuvres elle suit le modèle de dessins de ses propres enfants, tandis que par la suite, pour les œuvres de grands formats, elle invente des dessins originaux et les tissent à l’aide de ses assistants. Son talent pour l’art renaissant de la tapisserie architecturale étant très vite reconnu, on lui confie des commandes prestigieuses telles que Rivière la grande, partie d’un ensemble de huit tapisseries créée en 1983 pour la Confédération des Syndicats, ou encore Frémissantes feuillaisons, conçue en 1985 pour le Palais résidentiel de Mohammed Hafiz en Arabie Saoudite. Ces exemples sont autant de paysages inspirés du réel dans lesquels les détails subtilement observés sont retranscrits avec adresse (fig. 16, p. 39 et fig. 17, p. 40). Grâce au succès de ses tapisseries, Jeanne Auclair expose régulièrement au Salon des métiers d’art du Québec, entre 1970 et 1987. Pourtant, le caractère passionné de celle-ci implique un renouvellement incessant de ses moyens d’expression, si bien qu’à la fin des années 1980, alors qu’elle excelle dans son art, elle incline encore à explorer un nouveau de média.

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Fig. 12 : Têtes heureuses, 1975, haute Laine 196 x 100 cm, collection de l’artiste

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Fig. 13 : Modulation I et II, 1979, dyptique haute laine 130 x 54 cm / chaque Collection de l’artiste

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Fig. 14 : Juin, 1980, haute Laine 74 x 107 cm, collection de l’artiste

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Fig. 15 : Jardin d’été, 1992, tapisserie 2003 x 198 cm, collection de l’artiste

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Fig. 16 : Rivière la Grande, 1983 Haute laine, 183 x 91 cm Collection Confédération des syndicats nationaux du Québec

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Fig. 17 : Frémissantes feuillaisons, 1985 Tapisserie, 396 x 152 cm

Palais présidentiel de Mohammed Hafiz Arabie Saoudite

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Peintures et techniques mixtes...

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Dans l’esprit de Jeanne Auclair, la peinture a toujours occupé une place de choix. Si dans son œuvre la prédominance d’une autre technique, telle que la mosaïque ou la tapisserie, a pu parfois reléguer celle-ci à un second plan, elle est toujours restée présente comme fondement de son art. En 1987, Jeanne Auclair, qui ressent le besoin de se ressourcer, s’inscrit au Centre des arts visuels de Montréal pour suivre des cours de peinture avec Graham Cantieni. En outre, elle s’exalte pour le collage qu’elle découvre auprès d’Edith Wallace. Peu après, ce nouvel engouement s’intensifie lorsqu’elle entre au Centre Saidye-Bronfman, où elle poursuit sa formation en sculpture et travaille la terre avec Rusdi Genest, reprend le dessin avec Antoine Pentsch et Ghitta Caiserman, et la peinture avec Seymour Segal. Ce dernier considère l’art comme un moyen d’exploration ludique de la personnalité de chacun. Contestant les principes de l’enseignement académique, il préconise l’apprentissage par l’expression libre où le processus créatif doit se manifester comme une révélation de l’individu. Pour cela, il travaille avec des matières brutes qu’il fait dialoguer pour retranscrire ses propres interrogations1. Jeanne Auclair trouve dans sa démarche un écho à son besoin d’introspection par l’art et transpose dans son œuvre la juxtaposition de matériaux multiples. En effet, par la récupération de « matières de toutes sortes », le collage lui permet de « réintroduire ainsi dans le tableau la réalité du quotidien avec toute sa saveur d’authenticité »2. Au printemps 1994, Jeanne Auclair voyage à nouveau en Europe où elle présente quelques-unes de ses peintures à la galerie Patrick Gaultier pour l’exposition France Québec à Quimper. À cette occasion, elle visite l’exposition Murmures des rues, qui se tient dans la région, au Musée des beaux-arts de Rennes. Elle tombe alors en admiration et s’amuse de l’œuvre de Jacques Villeglé. Plasticien français, membre fondateur du Nouveau réalisme, il est reconnu dans les années 1950 comme le chef de file des affichistes. Inspiré du lettrisme, qui se sert de la lettre comme élément graphique, son œuvre se caractérise par l’utilisation de fragments d’affiches publicitaires lacérées et arrachées aux murs de la ville. En n’en gardant que l’aspect physique, il recompose une esthétique abstraite souvent teintée d’un discours

1 www.seymoursegal.qc.ca, site internet de l’artiste peintre Seymour Segal, consulté le 7 avril 2008.

2 Manseau, Geneviève, Texte de présentation de l’exposition Jeanne Auclair, document dactylographié,

1998.

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politique. Séduite par la portée intellectuelle de ces œuvres, Jeanne Auclair se conforte par cette expérience dans son nouveau champ d’expérimentation. À son tour, elle décide d’insérer dans ses compositions des mots issus d’affiches et de publicités. Elle les choisit non seulement pour leur force sémantique mais aussi pour leur caractère typographique. Outre le titre, qui révèle à lui seul le dessein de l’artiste, les termes qu’elle réintroduit permettent au spectateur d’interpréter les œuvres en fonction de son propre discernement. Dans Merveilleuse Margie, technique mixte réalisée en 1997, le prénom éponyme découpé d’un journal est situé sous le portrait recomposé d’une femme vêtue d’un costume noir, que l’on identifie alors comme étant la danseuse Margie Gillis. Photographiée peu après le décès de son frère, son visage marqué par la peine inspire la compassion. Sa position excentrée et les lignes brisées du fond peint semblent l’exclure de la chaleur suggérée par l’abondance de rouge. Pourtant, les termes d’« étoile » et de « héros » lisibles sur d’autres découpures soulignent sa prestance et aident ainsi à justifier sa solitude en révélant une noblesse inaccessible (fig. 18, p. 45). Dans cette source inépuisable d’expérimentation qu’est le collage, Jeanne Auclair illustre la poésie du quotidien. Elle s’inspire des hommes et des animaux, comme on le voit respectivement dans L’homme orchestre de 1990 et dans L’oisellerie de 1992, qui représentent dans des tons de noir, de blanc et d’ocre, un groupe de personnages confus d’une part et une volée d’oiseaux vibrante d’autre part (fig. 19, p. 46 et fig. 20, p. 47). Elle puise également dans son environnement extérieur urbain, comme le montre Au vieux port de 1996, dans lequel elle intègre des fragments d’illustrations architecturales (fig. 21, p. 48). Enfin, elle reproduit aussi la nature et ses singularités, par exemple dans Tourmente en 2003, où elle utilise le relief pour traduire la fureur du vent dans les arbres (fig. 22, p. 49). De plus, dans la continuité de sa démarche créatrice, Jeanne Auclair retrouve, avec les collages, le goût pour les matières naturelles qu’elle utilisait déjà dans ses mosaïques, au début de sa carrière. Elle manie ainsi le sable, le plastique, le gravier, le verre, la fibre de bois ou le textile dont elle continue à explorer les multiples attributs. Les coquillages, ramassés au gré de ses voyages, sont la source première de son œuvre Lustucru qu’elle assemble en 2007. Associés à des galets, du bois et des feuillages, ils permettent de recomposer un univers marin et d’en figer sur la toile les éléments constitutifs (fig. 23, p. 50). En combinant ses matériaux, l’artiste réinvente la matière. Telle un démiurge, elle déchire, elle colle, elle éclabousse pour transmettre ce qu’elle voit, ce qu’elle ressent, et créer les textures d’un monde nouveau surgi de son audace.

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Fig. 18 : Merveilleuse Margie, 1997, technique mixte 58 x 43 cm, collection de l’artiste

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Fig. 19 : L’homme orchestre, 1990, collage sur carton 60 x 113 cm, collection de l’artiste

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Fig. 20 : L’oisellerie, 1992, collage et acrylique sur papier 66,5 x 95 cm

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Fig. 21 : Au vieux port, 1996 Technique mixte et acrylique sur toile 130 x 48 cm Collection de l’artiste

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Fig. 22 : Tourmente, 2003, relief 25,5 x 38 cm, collection de l’artiste

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Fig. 23 : Lustucru, 2007, collage 23 x 17.5 cm, collection de l’artiste

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Dans son œuvre multidimensionnelle chargée de sens, Jeanne Auclair réintroduit la picturalité en alliant à ses matériaux novateurs l’acrylique, l’huile, l’encre ou le dessin au pastel. Elle s’applique alors à « donner à la couleur toute sa luminosité, aux textures leurs contrastes, aux compositions leur ampleur »3, et les imprévus de création parfois visibles sur les différentes couches en relief attestent d’une authenticité étonnante. Dans Chair et Esprit, les couleurs chaudes et la limpidité de l’acrylique réfèrent à la volupté du corps, tandis que le turquoise, le noir et l’éclat des fines lamelles d’aluminium symbolisent le caractère éthéré et nébuleux de l’âme humaine. Toutefois, l’association de ces matériaux initialement inconciliables témoigne d’une imagination originale et efficace, car elle convient parfaitement pour incarner la relation ambivalente de la chair et de l’esprit, tant antinomique qu’indissociable (fig. 24, p. 52). Grâce à son habileté dans l’art du collage, Jeanne Auclair reçoit en 1997, dans la catégorie Abstractions diverses, le premier grand prix du Gala international des arts visuels décerné par le Cercle des artistes peintres et sculpteurs du Québec. Son collage primé, Festival, est caractéristique de sa technique d’alors (fig. 25, p. 53). L’année suivante, une première rétrospective complète de son œuvre, mettant l’accent sur ces dernières créations de collage, est organisée à Montréal par la Maison de la culture Rosemont - Petite Patrie. Il s’agit de sa dixième exposition solo au Québec. En 1999, elle est récipiendaire pour son tableau Quadrature du trophée peinture dans la catégorie Réalités figuratives, là encore décerné par le Cercle des artistes peintres et sculpteurs du Québec (fig. 26, p. 54). Ainsi, au début du XXIe siècle, l’art de Jeanne Auclair est désormais reconnu dans sa singularité comme dans sa pluralité. En effet, l’artiste s’est investie personnellement dans le dessin, dans la mosaïque, dans la tapisserie, dans les collages, mais surtout dans la peinture qu’elle ne cesse jamais d’exercer. Lorsqu’elle réalise ses collages Jeanne Auclair renoue avec les supports traditionnels que sont le papier ou la toile enduite. En y intégrant l’acrylique et le polymère, elle retrouve aussi ses pinceaux et ses spatules qui reprennent de l’ampleur dans sa création. Elle apprécie dans la peinture sa spontanéité et le fait de ne plus avoir de contraintes. Elle n’a plus à intégrer la composition à un espace, à une lumière ou a une ambiance, comme elle le devait par exemple pour ses tapisseries murales monumentales, et jouit de la liberté de choisir ses matériaux de façon aléatoire et intuitive. Le tableau autonome, complet en lui-même et libre de toute exigence, est perçu par l’artiste comme un loisir consacré uniquement à approfondir davantage sa recherche de soi. Loin d’être un geste automatique, peindre est pour elle « un

3 Auclair, Jeanne, Démarche artistique de Jeanne Auclair, texte dactylographié, 1

er juin 2006.

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Fig. 24 : Chair et esprit, 1995, acrylique et mixe médias sur toile

65 x 52,5 cm, collection de l’artiste

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Fig. 25 : Festival, 1997, collage 91 x 102 cm, collection Robert Fillion

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Fig. 26 : Quadrature, 1992, acrylique sur toile 100.5 x 75 cm, collection de l’artiste

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exercice spirituel » auquel elle « consacre toutes [ses] énergies » et grâce auquel elle « avance dans le mystère de [sa] vie intérieure, dans une volonté d’unité, d’absolu et de sérénité »

4. Elle considère que son pinceau une fois investi traduit immédiatement

ses émotions et qu’il est le moyen le plus évident pour les transmettre. Dans son ensemble, l’art de Jeanne Auclair peut se répartir dans trois catégories distinctes : l’abstraction, visible surtout dans ses premières tapisseries, la peinture d’ambiance inspirée des paysages et la figuration lyrique attachée aux sentiments humains. Malgré la constance de ses thèmes de prédilection, on remarque dans ses peintures une attention toute particulière accordée à la personnalité de ses modèles. Le message de Un pensez-y bien est transmis par le regard de la jeune fille qui admoneste le spectateur tandis que son compagnon lui glisse un secret dans l’oreille (fig. 27, p. 56). De même, l’artiste a su, par la simplicité des traits et le dénuement du portrait de Regard, peint en 1990, concéder à son personnage un caractère autoritaire (fig. 28, p. 57). Son Autoportrait, acrylique sur carton de 1987 dans laquelle elle porte un regard sur elle-même, concentre les propriétés de son style énoncées précédemment. Les couleurs franches et la touche enlevée donnent vie à son visage dont l’expressivité déborde d’exaltation (fig. 29, p. 58). Enfin, dans Mes racines de 2007, elle utilise les tonalités riches de l’automne québécois pour exprimer son attachement à sa famille et à la nature, réservoir d’inspiration où elle puise ses ressources (fig. 30, p. 59). Si ce retour à la peinture est une libération, il est aussi l’opportunité de faire partager

sa passion par l’enseignement. Déjà dans les années 1950, Jeanne Auclair avait accepté, sur l’invitation de l’Abbé Albert Tessier, de travailler auprès des étudiantes des Instituts familiaux, écoles ménagères vouées à l’éducation des jeunes filles qui fermeront en 1965 avec l’invention du Ministère de l’éducation. L’artiste avait établi et expérimenté un programme de sensibilisation à l’art par la peinture, la décoration intérieure, l’habillement et le bricolage comme sources de créativité. À partir de 1980 et jusqu’en 2001, Jeanne Auclair anime dans différents centres québécois des ateliers

d’expression artistique, consacrés principalement à la peinture, au dessin et au collage. Avec ses participants, elle expérimente les formes, les couleurs, les

matières, dans l’espoir qu’ils parviennent à leur tour à s’accomplir par l’art. En axant l’apprentissage sur la perception, la spontanéité et le plaisir de la création, elle

valorise l’expression personnelle au détriment de la technique qui s’acquiert avec le temps. Les thèmes qu’elle propose reflètent ses propres questionnements : « peindre

4 Note manuscrite de Jeanne Auclair, 1996.

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Fig. 27 : Un pensez-y bien, 2000, acrylique sur toile 61 x 51 cm, collection de l’artiste

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Fig. 28 : Regard, 1990, acrylique sur papier 61 x 38 cm, collection de l’artiste

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Fig. 29 : Autoportrait, 1987, acrylique sur carton 75 x 55 cm, collection de l’artiste

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Fig. 30 : Mes racines, 2007, acrylique sur toile 91 x 121,5 cm, collection de l’artiste

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son état d’âme », « peindre la première vision de la planète qui s’impose à notre esprit » ou encore « peindre l’expérience de nos sentiments »

5.

Depuis le début du XXIe siècle, Jeanne Auclair s’engage dans une technique artistique encore inexplorée dans sa carrière, la gravure. Elle suit de nouveau des cours au Centre des arts Saidye-Bronfman, auprès de Talleen Hacikyan. Graveure professionnelle, celle-ci considère son médium comme le moyen ultime d’expression de son monde intérieur. Au cours de sa croissance, son corps a enregistré des gestes qu’il répète désormais tel un rituel. En utilisant des matériaux naturels, cette cérémonie de création permet à l’artiste de faire corps avec les éléments. Elle travaille principalement avec du carton, choisi pour sa flexibilité, et laisse à l’initiative de sa spontanéité la représentation des cycles de la vie

6. À partir de 2003, Jeanne

Auclair s’inscrit également à l’atelier de gravure et d’estampe d’Evelyn Dufour. Enrichie de ses nouvelles expérimentations, Jeanne Auclair affectionne en particulier la technique de l’eau- forte qui la pousse à produire de plus petits formats. En effet, ce procédé de gravure en creux sur plaque métallique se caractérise par la présence d’une cuvette en bordure, mais surtout par la taille réduite des dessins produits. Sa matrice en cuivre s’obtient par une réaction chimique de l’acide, ce qui implique une très grande maîtrise. La plaque est recouverte d’un vernis résistant dans lequel l’artiste trace son dessin à la pointe d’acier, repoussant ainsi le vernis sous ses traits que l’acide va ensuite entaillés. Puis le vernis est ôté et la matrice est prête pour l’impression. C’est dans cette technique qu’elle réalise Amour en 2004, tiré à trente exemplaires, dans lequel les traits schématiques noirs des deux personnages qui s’enlacent sont délicatement rehaussés de touches blanches (fig. 31, p. 61). Outre l’eau-forte, Jeanne Auclair expérimente aussi le monotype qu’elle ajoute aux média déjà familiers pour complexifier la matérialité de ses œuvres aux messages toujours plus médités.

5 Auclair, Jeanne, Réflexions sur l’art et la création, texte dactylographié pour Radio Ville-Marie, septembre

1997. 6 http://www.artmondo.net/printworks/artists/past/hunting.htm : site d’information sur l’art imprimé,

consulté le 11 avril 2008.

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Fig. 31 : Amour, 2004, eau forte 2/30 14.5 x 10 cm, collection de l’artiste

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En 2008, loin d’avoir dit son dernier mot, Jeanne Auclair poursuit activement ses recherches artistiques qui depuis plus de soixante ans lui permettent d’inculquer dans la matière le fruit de ses réflexions spirituelles. Si elle extériorise grâce à celles-ci son caractère passionné, elle crée aussi pour partager ses émotions avec le spectateur dont la reconnaissance est sa plus grande récompense. Elle destine son art au bonheur de l’humanité et, par l’enseignement qu’elle leur offre, souhaite contribuer à leur épanouissement. Sa célébrité et l’abondance des expositions à son actif témoignent du succès de cette mission. Depuis 1973, elle a en effet participé à plus d’une vingtaine d’expositions collectives, présentées au Québec, aux États-Unis, mais aussi en France, et une douzaine d’expositions personnelles lui furent consacrées. Elle a été primée tant pour ses mosaïques que pour ses dessins ou ses peintures et ses œuvres se retrouvent aujourd’hui dans de nombreuses collections privées et publiques à travers le monde. La renommée internationale de Jeanne Auclair, présente sur la scène culturelle du Canada, des États-Unis, de la France, de l’Afrique du sud et de l’Arabie Saoudite, reflète la qualité de son expression. Artiste multidisciplinaire, son engouement pour la matière et l’amplitude de son potentiel ont toujours soulevé chez elle un constant désir de tentatives et de découvertes. Son enthousiasme, jamais assouvi, aboutit à l’effervescence d’une production généreuse et variée. Sans idéal de beauté, dépourvue de toute exigence technique, Jeanne Auclair, en quête d’authenticité, crée dans l’exaltation et la spontanéité. Elle s’engage intégralement dans ce qu’elle entreprend, explore l’art dans ses recoins les plus obscurs et tire de l’imprévu une perfection respectée. Son âme populaire touche un public sensible à sa sincérité et elle-même revendique une accessibilité de l’art qu’elle applique à sa création. Artiste travaillant de ses mains, artisane dont l’imagination et l’originalité définissent la spécificité, Jeanne Auclair possède un savoir faire et une capacité d’expression artistique qui procurent à ses réalisations le double statut d’œuvre d’art et d’artisanat. En exposant à la fois des peintures, des mosaïques, des tapisseries et des eaux-fortes, le Musée des maîtres et artisans du Québec, qui se donne pour mission de valoriser le patrimoine culturel québécois par la diffusion des traditions artisanales comme de l’art moderne, souligne la polyvalence et le talent de Jeanne Auclair dont la carrière est exemplaire. Les œuvres choisies pour leur capacité à révéler l’imaginaire et l’onirisme qui transcende sa création témoignent de son exigence personnelle à se surpasser.

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Le Musée reçoit l’appui, est reconnu et subventionné au fonctionnement par :

Le Ministère de la Culture, des Communications et de la condition féminine

www.mcccf.gouv.qc.ca

La Ville de Montréal, arrondissement Saint-Laurent saintlaurent.ville.montreal.qc.ca

Le Conseil des arts de Montréal www.artsmontreal.org

De plus, le Musée reçoit l’aide sous forme de service du Cégep de Saint-Laurent www.cegep-st-laurent.qc.ca

Le Musée est aussi commandité par la Fédération des Caisses Desjardins du

Québec, région Ouest et par la Caisse Populaire de Saint-Laurent www.desjardins.com

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