5
Droit Déontologie & Soin 14 (2014) 402–406 Disponible en ligne sur www.sciencedirect.com ScienceDirect Document Communication du dossier médical au tiers Nadir Ouchia ARAMIS, 11, avenue Camille-Rousset, 69500 Bron, France Disponible sur Internet le 5 août 2014 Résumé La Commission d’accès aux documents administratifs (CADA), qui s’était prononcée de nombreuses fois sur les conditions de l’accès au dossier médical par les tiers vient de rendre un avis général (n o 20140853) balayant les difficultés rencontrées et proposant un ensemble de solutions. © 2014 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés. Le secret médical ne fait pas obstacle à ce que les informations médicales concernant une personne décédée soient délivrées à ses ayants droit, dans la mesure elles leur sont nécessaires pour leur permettre de connaître les causes de la mort, de défendre la mémoire du défunt ou de faire valoir leurs droits, sauf volonté contraire opposée par la personne avant son décès 1 . Ce droit d’accès est prévu par l’article L. 1111-7 du Code de la santé Publique qui dispose en son alinéa 1 : « Toute personne a accès à l’ensemble des informations concernant sa santé, détenues par des professionnels et établissements de santé qui sont formalisés et ont contribué à l’élaboration et au suivi du diagnostic et du traitement ou d’une action de prévention, ou ont fait l’objet d’échanges écrites entre professionnels de santé ». Le dossier doit contenir nécessairement les informations suivantes : La fiche d’identification du malade ; Les motifs de l’hospitalisation ; Les comptes-rendus d’hospitalisation ; Les résultats des examens biologiques ; Adresse e-mail : [email protected] 1 CSP, art. L. 1110-4 dernier alinéa et art. L. 1111-7. http://dx.doi.org/10.1016/j.ddes.2014.07.003 1629-6583/© 2014 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés.

Communication du dossier médical au tiers

  • Upload
    nadir

  • View
    213

  • Download
    0

Embed Size (px)

Citation preview

Page 1: Communication du dossier médical au tiers

Droit Déontologie & Soin 14 (2014) 402–406

Disponible en ligne sur www.sciencedirect.com

ScienceDirect

Document

Communication du dossier médical au tiers

Nadir OuchiaARAMIS, 11, avenue Camille-Rousset, 69500 Bron, France

Disponible sur Internet le 5 août 2014

Résumé

La Commission d’accès aux documents administratifs (CADA), qui s’était prononcée de nombreuses foissur les conditions de l’accès au dossier médical par les tiers vient de rendre un avis général (no 20140853)balayant les difficultés rencontrées et proposant un ensemble de solutions.

© 2014 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés.

Le secret médical ne fait pas obstacle à ce que les informations médicales concernant unepersonne décédée soient délivrées à ses ayants droit, dans la mesure où elles leur sont nécessairespour leur permettre de connaître les causes de la mort, de défendre la mémoire du défunt ou defaire valoir leurs droits, sauf volonté contraire opposée par la personne avant son décès1.

Ce droit d’accès est prévu par l’article L. 1111-7 du Code de la santé Publique qui dispose enson alinéa 1 :

« Toute personne a accès à l’ensemble des informations concernant sa santé, détenues par desprofessionnels et établissements de santé qui sont formalisés et ont contribué à l’élaborationet au suivi du diagnostic et du traitement ou d’une action de prévention, ou ont fait l’objetd’échanges écrites entre professionnels de santé ».

Le dossier doit contenir nécessairement les informations suivantes :

• La fiche d’identification du malade ;• Les motifs de l’hospitalisation ;• Les comptes-rendus d’hospitalisation ;• Les résultats des examens biologiques ;

Adresse e-mail : [email protected] CSP, art. L. 1110-4 dernier alinéa et art. L. 1111-7.

http://dx.doi.org/10.1016/j.ddes.2014.07.0031629-6583/© 2014 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés.

Page 2: Communication du dossier médical au tiers

N. Ouchia / Droit Déontologie & Soin 14 (2014) 402–406 403

• Les comptes-rendus d’imagerie médicale ;• Le dossier d’anesthésie ;• Les comptes-rendus opératoires ;• Les prescriptions thérapeutiques ;• Le dossier infirmier ;• Le diagnostic de sortie.

Le patient est désormais le destinataire « naturel » de son propre dossier médical.Il peut désigner un mandataire pour consulter le dossier en son nom2.Selon le Conseil d’État3 le législateur a entendu autoriser l’accès des ayants droit aux seules

informations nécessaires à l’objectif qu’ils poursuivent. De telle sorte, pour chaque dossier,l’équipe médicale qui a suivi le patient décédé, est compétente pour apprécier si un documentcomposant le dossier se rattache à l’objectif invoqué.

Ainsi, le législateur a entendu restreindre aux seules personnes qui peuvent se prévaloir dela qualité d’ayant droit, à l’exclusion de toute autre catégorie de tiers tels que la famille et lesproches, la dérogation ainsi aménagée au secret médical du défunt. La CADA en conclut quec’est « uniquement dans les cas où ils justifient de la qualité d’ayant droit que les membres de lafamille peuvent obtenir communication du dossier médical ».

Les personnes bénéficiant de la qualité d’ayant droit du défunt au sens de ces dispositionssont les mêmes que celles qui présentent la qualité d’héritier ayant, par application des règlesgénérales du Code civil en matière de successions et de libéralités, une vocation universelle ou àtitre universel à la succession du patient décédé.

1. Les successeurs légaux du défunt

Il s’agit en premier lieu, des successeurs légaux du défunt4.En l’absence de conjoint successible, les parents sont appelés à succéder ainsi qu’il suit :

• Les enfants et leurs descendants ;• Les père et mère ; les frères et sœurs et les descendants de ces derniers ;• Les ascendants autres que les père et mère ;• Les collatéraux autres que les frères et sœurs et les descendants de ces derniers5.

Chacune de ces quatre catégories constitue un ordre d’héritiers qui exclut les suivants.À l’intérieur de chaque ordre d’héritiers, l’héritier le plus proche en degré exclut les héritiers

plus éloignés6. Ces règles sont à combiner avec les règles relatives à la division de la successionen deux branches, paternelle et maternelle, et à la représentation7.

2 CE, 26 septembre 2005, Conseil national de l’ordre des médecins, no 270234, reproduit en Annexe.3 CE, 26 septembre 2005, précité.4 Code civil, art. 731 et suivants du Code civil. L’arrêté du 3 janvier 2007 portant modification de l’arrêté du 5 mars

2004 portant homologation des recommandations de bonnes pratiques relatives à l’accès aux informations concernant lasanté d’une personne le rappelle explicitement.

5 Code civil, art. 734.6 Code civil, art. 744.7 Code civil, art. 746 à 755.

Page 3: Communication du dossier médical au tiers

404 N. Ouchia / Droit Déontologie & Soin 14 (2014) 402–406

La qualité de conjoint successible est réservée au conjoint survivant non divorcé8. Le conjointsuccessible est appelé à la succession, soit seul, soit en concours avec les parents du défunt9.En l’absence d’enfants ou de descendants du défunt et de ses père et mère, le conjoint survivantrecueille toute la succession10.

En application de ces règles, la CADA estime que :

• le conjoint survivant non divorcé a, au même titre que les enfants du défunt ou leurs descendants,ou, en l’absence de descendance du défunt, que les père et mère de ce dernier, la qualité d’ayantdroit pour l’application de l’article L. 1110-4 CSP ;

• la présence du conjoint successible prive en revanche de cette qualité les parents du défuntautres que ses enfants ou leurs descendants et que ses père et mère, en l’absence de dispositionstestamentaires qui les aient institués héritiers.

2. Légataires universels ou à titre universel

La seconde catégorie est celle des légataires universels ou à titre universel du patient décédé,désignés par testament. En effet, l’existence d’héritiers légaux ne fait pas, par elle-même, obstacleà la désignation d’héritiers testamentaires, de même que l’institution de ces derniers n’exclut paspar principe les héritiers légaux de la succession.

L’enfant du défunt ou, s’il est décédé avant celui-ci, à ses propres descendants, dispose de laqualité d’héritiers réservataires11. L’enfant ou, en cas de prédécès de ce dernier, ses descendants,ont toujours la qualité d’ayant droit du patient décédé pour l’application de l’article L. 1110-4CSP, quelles que soient les dispositions successorales prises par ailleurs par le défunt.

Le conjoint survivant non divorcé, à défaut de descendants du défunt, bénéficie de la qualitéd’héritier réservataire12. Par conséquent, le conjoint survivant non divorcé présente lui aussitoujours la qualité d’ayant droit, sauf s’il en a été privé par testament13, ce que la loi ne permetqu’en présence de descendants du défunt.

3. Bénéficiaires d’une assurance sur la vie

Selon la CADA, les bénéficiaires d’une assurance sur la vie ou d’une d’assurance-décès quine seraient pas par ailleurs héritiers légaux ou testamentaires, universels ou à titre universel, dupatient décédé ne présentent pas la qualité d’ayant droit au sens de l’article L. 1110-4 CSP. Eneffet, leur désignation par les contrats souscrits par le défunt leur donne seulement une créancesur l’établissement avec lequel celui-ci a contracté, sans leur ouvrir aucun droit à sa succession.Ces personnes ne sont donc pas au nombre de celles en faveur desquelles le législateur a levé lesecret médical.

8 Code civil, art. 732.9 Code civil, art. 756.

10 Code civil, art. 757-2.11 Code civil, art. 913 et 913-1.12 Code civil, art. 914-1.13 Cass. Civ. 1◦, 25 juin 2008, no 07-13438, publié.

Page 4: Communication du dossier médical au tiers

N. Ouchia / Droit Déontologie & Soin 14 (2014) 402–406 405

Sur le plan opératoire, la qualité d’héritier s’établit par tous moyens14. Par suite, la qualitéd’ayant droit peut elle-même s’établir par tous moyens pour l’application de l’article L. 1110-4CSP.

S’agissant des enfants du patient décédé, qui ont toujours cette qualité, la production d’unecopie d’acte de naissance ou du livret de famille est suffisante.

En ce qui concerne les autres ayants droit, il revient à l’autorité qui détient le dossier du patientd’apprécier la nécessité de pièces complémentaires. Dans les situations les plus complexes ou lesplus incertaines, un acte de notoriété établi par notaire lui permettra de s’assurer de la qualité dudemandeur15.

Le pacte civil de solidarité n’emporte par lui-même aucun droit sur la succession du défunt enl’absence de testament. La CADA émet donc un avis défavorable à la communication à l’intéresséede l’intégralité du dossier médical, dès lors qu’elle ne justifie pas de sa qualité de successeurtestamentaire.

Annexe. Conseil d’État, 26 septembre 2005, no 270234, Publié au recueil Lebon.

Le Conseil d’État était saisi d’un recours contre l’arrêté du 5 mars 2004 portant homologationdes recommandations de bonnes pratiques relatives à l’accès aux informations concernant la santéd’une personne, et notamment l’accompagnement de cet accès.

Sur la possibilité de recourir au mandatConsidérant qu’aux termes du troisième alinéa du IV des recommandations de bonnes pratiques

homologuées par l’arrêté attaqué : « Les informations de santé peuvent être communiquées à unepersonne mandatée par le patient, par ses représentants légaux (s’il s’agit d’un mineur ou d’unmajeur sous tutelle) ou par ses ayants droit en cas de décès, dès lors que la personne disposed’un mandat exprès et peut justifier de son identité. La personne mandatée ne peut avoir deconflit d’intérêts et défendre d’autres intérêts que ceux du mandant (la personne concernée parles informations de santé). Il est recommandé de rappeler au mandant le caractère personnel desinformations qui seront communiquées à la personne mandatée ; qu’eu égard à la nature impérativedes deux premières phrases de cet alinéa, ces dispositions sont susceptibles d’être contestées parla voie du recours pour excès de pouvoir ;

Considérant qu’aux termes de l’article L. 1110-4 du Code de la santé publique : Toute per-sonne prise en charge par un professionnel, un établissement, un réseau de santé ou tout autreorganisme participant à la prévention et aux soins a droit au respect de sa vie privée et du secretdes informations la concernant./Excepté dans les cas de dérogation, expressément prévus par laloi, ce secret couvre l’ensemble des informations concernant la personne venues à la connaissancedu professionnel de santé, de tout membre du personnel de ces établissements ou organismes etde toute autre personne en relation, de par ses activités, avec ces établissements ou organismes.Il s’impose à tout professionnel de santé, ainsi qu’à tous les professionnels intervenant dans lesystème de santé. (. . .)/Le fait d’obtenir ou de tenter d’obtenir la communication de ces infor-mations en violation du présent article est puni d’un an d’emprisonnement et de 15 000 eurosd’amende./En cas de diagnostic ou de pronostic grave, le secret médical ne s’oppose pas à ceque la famille, les proches de la personne malade ou la personne de confiance définie à l’articleL. 1111-6 recoivent les informations nécessaires destinées à leur permettre d’apporter un soutien

14 Code civil, art. 730.15 Code civil, art. 730-1 à 730-5.

Page 5: Communication du dossier médical au tiers

406 N. Ouchia / Droit Déontologie & Soin 14 (2014) 402–406

direct à celle-ci, sauf opposition de sa part. Seul un médecin est habilité à délivrer, ou à fairedélivrer sous sa responsabilité, ces informations./Le secret médical ne fait pas obstacle à ce queles informations concernant une personne décédée soient délivrées à ses ayants droit, dans lamesure où elles leur sont nécessaires pour leur permettre de connaître les causes de la mort, dedéfendre la mémoire du défunt ou de faire valoir leurs droits, sauf volonté contraire exprimée parla personne avant son décès ; qu’aux termes de l’article L. 1111-7 du Code de la santé publique :Toute personne a accès à l’ensemble des informations concernant sa santé détenues par des profes-sionnels et établissements de santé (. . .)./Elle peut accéder à ces informations directement ou parl’intermédiaire d’un médecin qu’elle désigne et en obtenir communication, dans des conditionsdéfinies par voie réglementaire (. . .)./Sous réserve de l’opposition prévue à l’article L. 1111-5,dans le cas d’une personne mineure, le droit d’accès est exercé par le ou les titulaires de l’autoritéparentale. À la demande du mineur, cet accès a lieu par l’intermédiaire d’un médecin. (. . .) ;

Considérant qu’il ne résulte pas des définitions précitées du Code de la santé publique quele législateur ait entendu exclure la possibilité pour la personne concernée d’accéder aux infor-mations médicales relatives à sa santé détenue par des professionnels et établissements de santéen recourant, dans les conditions de droit commun, à un mandataire dès lors que ce dernierpeut justifier de son identité et dispose d’un mandat exprès, c’est-à-dire dûment justifié ; que dèslors, le CONSEIL NATIONAL DE L’ORDRE DES MÉDECINS n’est pas fondé à demanderl’annulation des dispositions du troisième alinéa du IV des recommandations homologuées parl’arrêté attaqué ;

Sur la délivrance d’informations médicales aux ayants droit d’une personne décédéeConsidérant qu’aux termes du 23e alinéa du IV-1 des recommandations homologuées par

l’arrêté attaqué : L’article L. 1110-4 du Code de la santé publique prévoit que le secret médicalne fait pas obstacle à ce que les informations concernant une personne décédée soient délivrées àses ayants droit dans la mesure où elles leur sont nécessaires pour leur permettre de connaître lescauses de la mort, de défendre la mémoire du défunt ou de faire valoir leurs droits, sauf volontécontraire exprimée par la personne avant son décès. Ces conditions une fois réunies, l’ayant droita accès à l’ensemble du dossier médical (. . .), à l’exclusion des informations recueillies auprèsde tiers n’intervenant pas dans la prise en charge thérapeutique ou concernant de tels tiers ; que ladeuxième phrase de cet alinéa est, en raison de son caractère impératif, susceptible d’être contestéepar la voie du recours pour excès de pouvoir ;

Considérant qu’il résulte des dispositions des articles L. 1110-4 et L. 1111-7 du Code de lasanté publique citées ci-dessus, éclairées par les travaux parlementaires de la loi du 4 mars 2002relative aux droits des malades et à la qualité du système de santé dont elles sont issues, que lelégislateur a entendu autoriser la communication aux ayants droit d’une personne décédée desseules informations nécessaires à la réalisation de l’objectif poursuivi par ces ayants droit, à savoirla connaissance des causes de la mort, la défense de la mémoire du défunt ou la protection deleurs droits ; que les dispositions attaquées, qui prévoient que la communication aux ayants droitpeut porter sur l’ensemble des informations figurant dans le dossier médical, méconnaissent cesprincipes ; que ces dispositions doivent, par suite, être annulées, ainsi que la décision par laquellele ministre de la santé et de la protection sociale a refusé de les retirer (Rejet du recours).