communio - 19762

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    n 4 mars 1976 la fidlit

    Pro blm atiq ue _________ ___________ __________ __________ ____

    Hans Urs von BALTHASARpage 2

    Georges CHANTRAINEpage 15 Appels la libert

    Intgratio n ______________________________________________________

    Gisela PANKOWpage 32 L'homme et son corps vcu -Fidlit ou fixationalinanteHenri BATIFFOLpage 39 ....................................................

    Xavier TILLIETTE

    pa ge 49 ..................................... La fidlit cratrice Gabriel Marcel

    Andr - A. DEVAUX

    pa ge 58 ................................................................................................................

    Attestations

    Andr DEPIERREpage 71 ..............

    La double constance d'un prtre-ouvrier

    Grard SOULAGESpa ge 80 .....................................................................

    Enracin dans la foiSignet

    Emile MARTINpage 88 .................................. Une liturgie de Nol Saint-Eustache

    La convergence fondamentale de ces articles, de styles et de difficultstrs varis, permet au lecteur d'en aborder la lecture dans l'ordre qui luiconviendra.

    La demeure de la fidlit

    Le mariage, institutionsociale

    Comit de rdaction en franais J e a n -R o b e r t A r m o g a t h e , G u y B e -doue l l e , o . p . , F r ano i se e t RmiBrague, Claude Bruaire, Georges 'Chantraine, s.j., Olivier Costa de Beau-regard, Michel Costantini, GeorgesCottier, o.p. , Claude Dagens, Marie-Jos et Jean Duchesne, Nicole et LocGauttier, Gilles Gauttier, Jean Ladrire,Marie-Joseph Le Guillou, o.p., Henride Lubac, s. j . , Corinne et Jean-LucMarion, Jean Mesnard, Jean Mouton,Philippe Nemo, Marie-Thrse Nou-vellon, Michel Sales, s.j., Robert Tous-saint, Jacqueline d'Ussel, s.f.x.

    En collaboration avec :

    ALLEMAND : Internationale katholis-che Zeitschrift : Communio (D 5038 Roden-kirchen, Moselstrasse 34) Hans Urs von Balthasar, Al be rt Gb rr es , Fr an z Gr ei ne r, Ha ns Ma ie r, Ka rlLehmann, Joseph Ratzinger, Otto B. Roegele.

    ITALIEN : Strumento internazionale perunlavoroteologico : Communio (CooperativaEdizioni Jaca Book, Sante Bagnoli ; via Aurelio Saffi,19, 120123 Milano) Giuseppe Colombo, EugenioCorecco, Virgilio Melchiorre, Giuseppe Ruggieri, Cos-ante Portatadino, Angelo Scola.

    SERBO-CROATE : Svesci Communio(Krscanska Sadasnjost, Zagreb, Marulicev trg. 14) Stipe Bagaric, Vjekoslav Bajsic, Tomislav Ivancic, Adalb ert Rebi c, Tomi slav Sagi -Bun ic, Josi p Turci no-vic.

    AMERICAIN : Communio, Internationalcatholic review (Gonzaga University, Spokane,Wash. 99202) Kenneth Baker, Andree Emery, Ja-mes Hitchcock, Clifford G. Kossel, Val J. Peter, DavidL. Schindler, Kenneth L. Schmitz, John R. Sheets,Gerald Van Ackeren, John H. Wright.

    NERLANDAIS : Internationaal Katho-liek Tijdschrift Communio (Communio,Hoogstraat 41 , B 9000 Gent) J . Ambaum, A. Are ns, J. de Kok , G. De Sch rij ver , K. Roe gie rs, J.Schepens, P. Schmidt, J.H. Walgrave, V. Walgrave,P. Westerman, G. Wilkens.

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    Conformment ses principes,la Revue catholique internationale :Communio est pr te envisagerde publier tout texte de recherche(individuelle ou communautaire) enthologie catholique. La rdactionne garant i t pas le re tour des ma-nuscrits.

    Une revue n'est vivante quesi ell e m con tente chaq ue

    fois u n b on cinquimede ses abo nn s. La ju stic e

    consiste s eulement ce quece ne soient pas toujours

    les mmes q ui so ient dansle cinq uime. Au trem ent,

    je veu x d ir e qu an d ons'app liqu e ne m con tenter

    personne, on tombe dansle s ys tm e de ces no rm es

    revues qui perdentdes mill ions, ou en gagnent

    pour n e rien dire,ou p lutt ne rien d ire.

    Charles PEGUY, L'Argent,Pliade, p. 1136-1137.

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    La demeure de la fidlit.

    Hans Urs von BALTHASAR :

    La demeure de la fidlit

    La fidlit n'habite que l'homme, et l o la libert d'undon total de soi le rend humain. Le divin qui y transparat esle Dieu fidle qui, se faisant homme, nous rend capables deLui.

    1. LocalisationLa demeure de la fidlit reste dans l'histoire humaine trangement

    cache. Quand les peuples sont en leurs premiers temps, elle est bien aucentre des qualits qu'on attend de l'homme de bien. Certes, la trahisontoujours aux aguets la menace, mais rien ne vient lui disputer sa place.Avec la fin des temps primitifs et le dbut des grandes civilisations,d'autres vertus se poussent au premier plan, et la fidlit n'est plus aunombre des quatre vertus cardinales. Non qu'on cesse de l'estimer.Mais elle se transforme en froides considrations il faut respecter sesengagements dans le domaine social, et dans le domaine priv, en unespcialit qu'on admire chez certains individus. Elle n'a jamais rencon-tr de crise plus grave qu'aujourd'hui.

    La fidlit humaine se fonde sur un rapport entre les personnes,rapport naturel et fond dans les moeurs. Le rapport entre le naturel ( ilen a toujours t ainsi, et l'exprience prouve que c'est la meilleuremanire de faire ), et le moral qui engage ma responsabilit ( tu doismaintenant choisir de rester fidle, contre ton propre avantage ) resteflottant ; on n'y rflchit pas. Ce n'est pourtant que l o je puis me fierque devient possible entre les hommes une existence dans la rcipro-cit : dialogue, contrat, accord, commerce, toute entreprise commune deux ou plusieurs partenaires. Il faut que chaque partie fasse une avance

    our que les chemins d'une personne une autre deviennent pratica-les.

    Que se passe-t-il quand le rapport fondamental (naturel et moral) du Je etdu Tu est remplac par une rgle fixe l'idologie , qui ne fait pasd'avance, mais est toujours faite par avance, qui dpasse les personnesqu'elle englobe, et qui, par une prtention absolue l'exactitude, justifie

    tout moyen y compris le mensonge et la trahison ? On peut s'attendre ce que de tels moyens soient appliqus l o le tissu social se dtache dudomaine des avances que se consentent les personnes. Un Soljnitsyne

    eut alors lancer ses appels de Cassandre : Ne vous fiez pas eux, iln'y a rien en eux quoi se fier ! . Leurs plans se droulent un niveauo vous n'tes rien de plus que des pices d'checs qu'ils manipulent. Etl'autre moiti du monde ? Elle est tendue entre deux positions : d'une

    art, elle essaie d'amener le bloc idologique une attitude humaine deconfiance (la dtente ) et en retire constamment les plus amresdsillusions. De l'autre ct, elle est marque comme le monde entier

    ar les dures lois de la technologie, de la haute finance et de l'effortmilitaire contre l'autre bloc qui s'arme ; et ces lois, malgr les espacesde libert qui subsistent encore, menacent de crer un rseau qui dter-minerait notre comportement d'une manire tout aussi impersonnelle.

    Il ne faut pas s'tonner que les gnrations montantes regardent un telmonde avec une mfiance qui va croissant. Qui leur apprendrait lafidlit, cette attitude qui seule rend humain tout change entre leshommes ? Comment le sol sur lequel ils se meuvent serait-il assez solide

    our porter une telle confiance ? Et, une fois acquis le minimum descurit qu'il faut pour risquer un ou deux pas, comment pourrait-onavoir l'ide d'engager par avance toute son existence, tout son avenir ?Dans un monde qu'aucune moralit naturelle, pas mme la plus pr-caire, ne fonde plus, c'est de ne pas se risquer que semble conseiller l'vidence une prudence instinctive, qu'il n'est pas besoin de rflchir

    our suivre. Telle est sans nul doute la raison ultime pour laquelle dansl'glise on refuse de s'identifier totalement avec sa fonction, le nombredes ordinations baisse, et on perd l'habitude d'y prononcer des voeuxdfinitifs.

    L'idologie est une vrit que l'on peut apprendre et faire siennesans engagement personnel (mme si aprs coup elle revendique toutel'existence). La crise actuelle de la fidlit n'est rien d'autre qu'une crisede la forme humaine de la vrit. Tant que la vrit garde figure humaine(l'homme est le berger de l'tre , comme le dit Heidegger), elle exige,

    our tre prsente dans le monde, la vracit de l'homme. Elle ne peutas exister comme vrit purement infra-humaine, extra-humaine, ou

    supra-humaine.Le langage tmoigne de l'appartenance intime et rciproque de la

    rit et de la fidlit. Pas seulement en hbreu, dans la langue biblique,o, comme on sait, les deux significations concident dans le mot 'emethet dans ses drivs, comme 'amen. C'est ainsi que l'allemand Treue,fidlit, d'o vient en franais trve (la confiance mutuelle qui permet lasuspension des combats), a la mme racine que l'anglais truth, vrit.

    Ce fait que vrit et fidlit renvoient l'une l'autre est caractristi-que du monde humain. On ne peut pas le driver d'une nature infra-humaine, aussi englobante qu'on puisse la penser. Le monde animal

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    Hans Urs von Balthasar La demeure de la fidlit

    possder qui fait subsister son amour : de la sorte, il est mme possible qu'ils'accroisse encore aprs l'abandon accompli de la femme l'homme n'admetpas aisment qu'une femme n'ait plus rien lui abandonner (V, 363 ; trad.Klossowski).La fidlit est ici un signe distinctif de la femme, comme le masque

    d'une tendance physiologique ; l'infidlit caractrise l'homme, quilaborieusement et maladroitement se met le masque de la fidlit, maisne fait par l que cacher son infidlit sexuelle ou sa vanit.

    Ici et dans la psychanalyse, la fidlit est mise en doute partir dusous-humain (ou des couches profondes, infra-personnelles, de l'hu-main). On en avait auparavant montr la relativit quand elle est simpleconstruction partir du surhumain (et inhumain). Or, elle ne peuttrouver son lieu que dans l'humain lui-mme.

    2. Fragilit de l'humainQue semble fragile la nature de l'homme quand il faut en faire sortir les

    fondations d'une fidlit capable d prter son tour appui la fragilitdes dcisions et des obligations humaines ! Il faut alors prendre cettenature sans conditions, dans sa totalit, donc avec ses instincts sexuels,ses dsirs de puissance, sa tendance au changement, la socialisation,comme la vie solitaire. On voit d'emble que l'entreprise sera difficile ;si l'acte d'tre fidle est en chaque cas un risque, comment l'entreprisede fonder toute la fidlit partir de l' essence de l'homme ne

    rovoquerait-elle pas semblablement cette essence un risque ?Pourtant, on doit pouvoir montrer que ce saut ne revient pas se je-ter dans le noir et le vide, qu'une rationalit lui est propre, qui seule ren-de l'homme comprhensible et son existence digne d'tre vcue. Dansune telle dmonstration, il doit s'agir de plus que de cas particuliersd'hrosme dans la fidlit personnelle. Chacun sera prt les admirer.Mais on peut se demander si cette admiration aura plus de suites quecelle qu'on a pour un chien fidle venant mourir sur la tombe de sonmatre. Elle ne nous oblige pas imiter une conduite si extrme. Si doncl'on veut faire de la fidlit une base solide, trois voies se prsentent :

    a. La fidlit est la condition d'une coexistence supportable entrehommes, dans les familles, les tats, les peuples. Elle est ce sur quoi ondoit pouvoir compter, quand on dpasse sa propre sphre pour gagnercelle d'autrui, ce qui est ncessaire chaque instant. Elle ressemble parl au langage, milieu de la communication. Mais elle s'en distingue en ceque je suis forc de respecter les conventions du langage si je veux trecompris, tandis que la fidlit que j'apporte en contribution la socitreste pour la plus large part volontaire. Certes, je dois sauvegarderl'apparence de la fidlit, si je veux m'imposer dans la socit. Maiscomme toute existence humaine est hautement changeante, comme lessituations de l'individu et du groupe se modifient constamment, comme

    donne des exemples de tout ce que l'on veut, de constance comme derupture. C'est vident pour les instincts grgaires, d'accouplement, decouvaison. On ne peut pas dduire la fidlit humaine, mme au senstroit, du rapport spcifique des sexes dans la nature ou d'une sublima-tion de ce rapport, comme le fait Nietzsche (pour prendre un exempleentre mille). Il semble penser que la sublimation des passions a ennoblil'homme, l'a rendu plus surhumain :

    L'institution du mariage maintient avec acharnement la croyance quel'amour, bien qu'tant une passion, est en tant que tel capable de dure, etmme que l'amour durable, vie, peut tre rig en rgle. Par l'opinitret decette noble croyance, et bien que celle-ci ait t trs souvent, presque syst-matiquement infirme par les faits, si bien qu'elle constitue une pia fraus,elle aconfr l'amour une noblesse suprieure. Toutes les institutions qui donnent une pas sion foi en sa dure,et la rendent responsable de cette dure l'encontre de l'essence-mme de la passion, lui ont reconnu un nouveau rang ;dsormais celui qui est en proie une telle passion n'y voit plus, commeautrefois, une dgradation ou une menace, mais au contraire une suprioritpar rapport lui-mme et ses gaux. Pensons aux institutions et aux moeursqui ont fait jaillir de l'abandon fougueux d'un instant la fidlit ternelle, del'accs de rage la vengeance ternelle, du dsespoir le deuil ternel, de laparole soudaine et unique l'engagement ternel. Chaque fois, beaucoup d'hy-pocrisie et de mensonge s'est introduit dans le monde la faveur d'une tellemtamorphose : chaque fois galement, et ce prix, un nouveau concept

    surhumain,exaltant l'homme (AuroreI, 27 ; trad. J. Hervier).Mais peu de temps aprs, dans le Gai Savoir,l'aspect de tromperie

    (dj accentu dans le premier texte) que comporte, au moins pourl'homme, cette sublimation est mis encore plus fortement en relief :

    La femme se veut prise, accepte comme proprit, veut s'panouir dans lanotion de proprit , tre possde ; par consquent elle dsire unhomme qui prenne, qui ne se donne ni ne s'abandonne lui-mme, qui enrevanche doit plutt tre rendu plus riche en lui-mme par un surcrotde force, de bonheur, de croyance comme quoi la femme se donne elle-mme. Lafemme s'abandonne, l'homme s'accrot d'autant je pense que nulcontrat social, ni la meilleure volont de justice ne permettront jamais desurmonter cet antagonisme naturel, si souhaitable qu'il puisse tre de ne pas sebraquer constamment sur tout ce que cet antagonisme a de dur, de terrible,

    d'nigmatique et d'immoral. Car l'amour conu dans sa totalit, sa grandeur,sa plnitude, est nature et en tant que telle quelque chose tout jamais d' immoral . La fidlit, de ce fait, est incluse dans l'amour de la femme, elledcoule de la dfinition mme de cet amour. Chez l'homme, elle peutfacilement natre la suite de son amour, par reconnaissance ou par uneidiosyncrasie de son got, et par soi-disant affinit lective ; mais elle n'appar-tient pas l'essence de son amour, et cela si peu que l'on aurait quelquedroit de parler d'une contradiction naturelle entre l'amour et la fidlit chezl'homme : lequel amour n'est autre chose qu'une volont d'avoir et non pointun renoncement ni un abandon : or la volont d'avoir cesse rgulirement, dsqu'il y a... En ralit, chez l'homme, lequel ne s'avoue que rarement ettardivement cet avoir , c'est la soif plus subtile et plus souponneuse de

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    ont de changeant. Il faut mme qu'ils le soient, si je dois rester quelqu'unde vivant, non un pharisien cheval sur ses principes (une des plusinsupportables sortes d'hommes). S'il m'tait possible de me faire demon idal une image absolue, valable aussi pour l'avenir, je seraisncessairement matre de toute situation qui se prsente. Son appel neserait rien que je doive vraiment couter. J'aurais toujours unerponse toute prte lui faire. Je serais mme au-dessus du processusqui me fait mrir, qui forme mon got, au-dessus de ma propre valua-

    tion des rapports humains et des hommes. Ma vision du monde serait endehors du temps, et ne dpendrait que de moi. Car je ne devrais plus,moi qui agis et juge, dpendre d'aucune contrainte (hrdit, milieu,etc.). Il faudrait que je puisse dcider de mon avenir avec une liberttelle que je sois toujours libre dans le futur, qui n'aura pourtant pas, c'estsr, la mme figure que le prsent. Mais que me reste-t-il, commecontenu de mon projet, si ce n'est l'idal de la libert chaque instant ?Si ce n'est le droit et la possibilit de dcider chaque moment commel'exige ma responsabilit envers la situation de chaque moment ? Cecontenu reste purement formel, et il est parfaitement conciliable avecl'infidlit absolue envers tous les devoirs admis. La fidlit ne peutdonc tre fonde sur la fidlit soi-mme.

    c. La fidlit de chacun soi-mme et personne d'autre ne pourraitmener qu'au chaos social. C'est pourquoi il doit y avoir quelque chosecomme une renonciation commune aux possibilits, peut-tre mmeaux droits de chacun au profit de la collectivit, pour que naisse unesorte de sujet collectif, qui s'lve au-dessus des sujets individuelscomme leur norme. Cette renonciation peut avoir divers motifs : ainsichez Hobbes, Montesquieu, Rousseau, Fichte, Hegel ; elle sera pourtant

    resque toujours radicale et rigoureuse : le sujet collectif qui seconstitue (comme Lviathan , comme l'aspect concret du sujettranscendental ou absolu ) relchera tous les liens subordonns,

    ersonnels, pour tisser des liens plus gnraux. Ce procd de passage l'universel devient dans la Phnomnologie de Hegel, et plus encoredans le programme marxiste, si explosif qu'une fois atteinte une tape, ilest tout indiqu de lui tre infidle, si l'on veut que l'esprit ne s'yengourdisse pas, et ne se mette dans une position fausse, parce quel'ultime fidlit signifie qu'on s'intgre au sujet total de la fin des temps.Quand celle-ci est prsente dans l'histoire sous la forme du Parti quil'anticipe, chaque moyen d'en hter la totale ralisation est conforme au

    ut et donc permis : archipel du Goulag, lavages de cerveau. On neeut que renvoyer ici La Dcision de Bertolt Brecht (1930), mme si

    nous n'en possdons plus le texte original, le plus radical.Aucune de ces trois possibilits ne permet de fonder la fidlit comme

    qualit fondamentale (et pas seulement comme comportement occa-sionnel) de l'homme, partir de l'homme lui-mme. Mais d'o est doncenue la certitude inbranlable de toutes les civilisations non-

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    ce qui semblait dfinitif s'avre aussitt relatif et rclame un change-ment, les normes publiques de conduite s'avrent extrmement versati-les. Il faut dans les contrats de nombreuses clauses pour les cas prvisi-

    les ou non. Il est difficile de savoir si le changement est d lamodification de circonstances extrieures indpendantes de ma respon-sabilit et me dlie ainsi de certaines obligations, ou s'il est d moninfidlit intrieure, cause par exemple par l'emprise de passions en-fles jusqu' prendre l'allure d'un destin. Il faut s'attendre aux deux. 'Pour que, malgr cette instabilit, quelque chose comme une vie socialesoit possible, la fameuse rgle d'or intervient comme norme univer-selle. Le sermon sur la montagne la formule : Tout ce que vous dsirezque les autres fassent pour vous, faites-le vous-mmes pour eux (Matthieu 7, 12). Mais elle se trouve dj chez Hrodote et chez Antiphonle sophiste ; elle est prsente dans toute l'Antiquit grecque et romaine,d'o elle pntre dans le judasme. Snque la met au nombre des

    rincipes dont la vrit est immdiatement vidente sans avoir besoinde preuve, et qu'il faut donc placer un stade d'ducation morale qui doit

    rcder l'enseignement philosophique (Lettres Lucilius 94, 25, 43,47, 11 ; Des bienfaits 2, 1). L'impratif catgorique de Kant ne dit riend'essentiellement diffrent. Et mme une morale du plaisir, qui ne prend

    as particulirement au tragique les actes d'infidlit pris sparment,doit pourtant s'en tenir la rgle d'or en vue du bonheur le plusgrand et le plus durable. Seule, cette rgle donne aux individus scuritet continuit relatives dans l'existence. C'est pourquoi elle repose surl'avantage des particuliers ; elle a ses racines tout autant dans l'gosmeque dans l'altruisme, et cet altruisme mme est en dernire analysedtermin par ce que les individus veulent et ne veulent pas pour eux-mmes. Si on demande un homme de renoncer ses envies et de resterfidle sa parole donne, on s'attend ce qu'il le fasse cause du biencommun. Ce bien profite cependant l'individu, qui agit dans son intrt

    rofond. On devra se demander srieusement si l'gosme et l'intrteuvent tre le vritable fondement de la fidlit entre personnes.

    b. Ce que l'on a du mal fonder dans les rapports entre personnes lesera peut-tre de faon plus crdible dans la personne individuelle.L'homme moralement intgre ne doit-il pas avant tout tre fidle soi-mme, ses principes, ses prmisses, l'idal qu'il s'est fix, qu'ilconnat, vers lequel il tend ? Or, on introduirait par l un critre qui,selon les circonstances, pourrait consolider les relations interpersonnel-les, mais aussi les relativiser. Quand ma sincrit avec moi-mme consi-dre qu'un rapport d'amour ou d'amiti n'est plus supportable, l'thiquedemanderait la rupture de la communication . Ma responsabilitenvers moi-mme passerait ici avant ma responsabilit envers l'autre.On aperoit aussitt le caractre problmatique d'une telle norme.Principes, prmisses, idaux personnels ne sont pas moins soumis que.mes relations avec autrui tout ce que les niveaux et les situations de vie

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    d'hommes mon enfant qui me sourit, je sais que se rvle un mystreinfiniment plus profond : j'ai eu part (et je l'ai encore) la cration d'untre qui transcende de loin la sphre biologique ; ce qui en lui est trans-cendant est plus que je ne pourrais dire : c'est un don inconcevable pourlequel je dois moi aussi rendre grces. La gnration et l'enfantementsont l'intrieur de la sphre humaine un mystre qui atteint l'ternel,

    arce qu'un tre spirituel en rsulte ; c'est donc aussi un rapport spiri-tuel qui s'tablit entre ses parents et lui. La reconnaissance de l'enfant

    our ses parents est enracine non seulement dans une responsabilitspirituelle des parents envers l'enfant, mais aussi dans une reconnais-sance commune des parents et de l'enfant envers une origine qui resteoile, et qui est plus que la nature . Ce lien qui entoure enfants etarents ne se rompt pas quand l'enfant, sa majorit, cesse de grandir et

    d'tre lev par ses parents. Comme il se fonde sur quelque chose quidpasse le temps, il englobe la totalit de l'existence. Tous les argu-ments en faveur d'une socit sans pre ne peuvent rien contre cetteexprience humaine si simple. On ne peut mettre les rapports humainsfondamentaux sur le compte de la seule biologie, mme s'ils comportentun ct accessible au calcul et la manipulation techniques. Le renvoi un plus , qui est offert constitue la valeur humaine distinctive. Il n'yest pas extrieur, comme si l'homme dcidait de son propre chef de serfrer ce qui le transcende. Il rside au cur de l'tre humain.

    C'est pourquoi le quatrime commandement, et la fidlit pour la viequi s'y fonde, est une expression du religieux inscrit en l'homme. Oncomprend par l que d'autres rapports humains, surtout les rapportsentre poux et entre amis, puissent participer du mme symbolisme. Ilest possible qu'un homme peroive dans une femme, et une femme dansun homme, par-del les tactiques d'aveuglement de l'eros la

    ersonne irremplaable et se dcide aimer cette image et ressem-lance unique de la divinit. Un tel amour qui n'est pas frquent

    doit se conserver toujours, et c'est bien l la fidlit qui subsiste quandles premiers enthousiasmes superficiels se sont dissips. La fidlitconjugale, l'amour dans sa simplicit native, peuvent ainsi arriver durer bien au-del du temps biologiquement prvisible. C'est l'tre aimqui, parce qu'aim, dpasse sa figure terrestre et passagre pour indi-quer la prsence en lui de quelque chose d'ternel. Pour qui a vraimentcontempl ce quelque chose, la mort ne peut contredire sa vision, mmes'il ne dispose d'aucune rponse plausible la question qu'elle pose.

    On peut dire la mme chose de l'amiti, dans les cas o c'est sansmlange d'gosme que l'on reconnat et apprcie la valeur de l'ami. Onne peut objecter que ces rapports comportent aussi l'aspect d'enrichis-sement propre qu'apporte la complmentarit mutuelle. Qui se connatun peu soi-mme peut trs bien distinguer ce qu'il recherche chez sonami pour son propre avantage et ce qu'il lui accorde librement, pourlui-mme. Remerci sois-tu, rien que parce que tu es (S. George).

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    dcadentes, selon laquelle l'existence humaine ne peut pas dvelopperses formes les plus nobles sans le principe de fidlit ? Et n'y a-t-il pas,mme chez l'homme d'aujourd'hui, y compris les jeunes, malgr toutesa mfiance l'gard des dcisions dfinitives, le besoin d'un chemin quisortirait de la confusion, auquel on pourrait se fier, sur lequel on pourraitmarcher en toute confiance ? Ne rencontre-t-on pas parfois des exem-

    les vidents d'une fidlit garde toute la vie ? Elle peut, vue de loin,sembler n'tre qu'inertie petite-bourgeoise ( ils n'en ont mme plusl'ide ! ). Mais vu de prs, c'est tout autre chose : une grande clartintrieure.

    3. L'ternel transparat dans le temporel

    L'homme est un paradoxe : il n'a pas en lui le centre o rester enrepos. Il a deux centres de gravit. L'un tend le centrer au-dessous desoi, dans le biologique et l'animal. L'autre le fait citoyen d'un domainesitu au-dessus de lui, domaine de valeurs et de biens absolus, qui ne luireviennent pas de par sa nature, et exigent d'elle des efforts qui ladpassent. Le biologique est ainsi sur-men , men au-dessus de soi. Ilentre par l au service d'une sphre qui lui est extrieure. Sans cette

    fatigue qui affecte tout l'homme, corps et me ( ascse veut direentranement sportif), il n'y a ni thique ni religion. Et toute thique quieut tre digne de l'homme doit avoir un fond religieux. Autrement, lesaleurs absolues que l'homme, soumis au temps, essaie d'atteindre

    restent abstraites et ne sont pas de force supporter le poids de l'exis-tence. Il est plus difficile de saisir par des concepts la manire dont lasphre religieuse transparat travers la sphre terrestre et changeante,que de la vivre. Car il existe un symbolisme des figures de l'existence,qui n'a pas t reconnu et admis uniquement par les civilisations anti-ques, et qui peut aujourd'hui encore tre reconnu par tout homme dont laculture n'est pas dforme.

    C'est ce que peut claircir l'exemple du quatrime commandement : Tu honoreras ton pre et ta mre, afin de vivre longtemps sur la terre quele Seigneur ton Dieu te donne (Exode 20, 12). Le centre biologique enl'homme peut lever l-contre bien des objections fort plausibles :

    ourquoi serais-je redevable ma vie durant envers deux individus qu'unacte sexuel peut-tre fortuit a unis, dont je ne sais pas du tout s'ils medsiraient, et qu'est-ce qui me prouve que cet homme est vraiment mon

    re, etc. ? Si l'on doit parler de fidlit et de reconnaissance, ce seraittout au plus l'gard d'une nature impersonnelle veillant laconservation de l'espce dont je suis un exemplaire tout fait insigni-fiant. Les civilisations antiques, en prescrivant d'aimer ses parentstoute leur vie, avaient voulu sacraliser un processus animal, pour don-ner de la stabilit la socit ; nous faisons la mme chose d'une autrefaon. Mais si, pre ou mre moi-mme, je regarde avec des yeux

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    Hans Urs von Balthasar La demeure de la fidlit

    Il rvle la fidlit de Dieu et lve par l les restrictions qui subsis-taient dans l'ancienne Alliance : la fidlit de Dieu s'y rvlait ambigu :

    ndiction, mais aussi maldiction s'attachant nos pas. Jsus prenddsormais la maldiction sur lui (Gala tes 3, 13) ; c'est lui qui, abandonnde Dieu, souffre toutes les angoisses et les humiliations promises au

    euple infidle. Quand le serviteur de Dieu, souffrant pour les autres(Isae 53) s'avre tre le Fils unique, le bien-aim du Pre, quand donc lePre, par fidlit l'Alliance, livre son Fils et avec lui, tout ce qu'il a

    (Romains 8, 32), c'est alors seulement que se dvoile dans toute sarofondeur cette fidlit qui est l'tre mme de Dieu, sa fidlit soi-mme : le mystre de l'amour trinitaire. L'infidlit de l'homme la meten lumire, en la mettant l'preuve extrme du dchirement, sur la croix,dans le Fils abandonn du Pre.

    C'est le mme Jsus qui est la rvlation de la fidlit de l'hommeenvers Dieu ; circoncis au temple et baptis dans le Jourdain, il repr-sente le peuple de l'Alliance, l' Isral de Dieu (Galates 6, 16) devantle Pre : Nous voici, moi et les enfants que Dieu m'a donns (Isae 8,18 ; cf. Hbreux 2, 13).

    Mais serait-ce suffisant, s'il n'y avait rien au-del de cette identit dela parole et de la rponse, de l'appel et de l'cho ? Ne faut-il pas que quelqu'un coute la parole de la fidlit ternelle et y rponde dans le

    mme esprit, afin que la parole de Dieu soit perue et reue par lemonde ? C'est bien le cas : il faut d'abord que soit cre sur terre unedisponibilit la fidlit ternelle, afin que la Parole de Dieu puisseraiment passer du ct de l'homme, se fasse chair. La mariologie estartie intgrante de la christologie comme de l'ecclsiologie : il faut que

    la servante du Seigneur devienne type et exemple pour le nouveaueuple de Dieu, dont les membres pourront dsormais porter, au senslein du terme, le nom de fidles . Le coeur de l'glise est l'amour

    fidle. C'est pourquoi, avant la communion, les croyants prient : Sei-gneur Jsus, ne regarde pas mon pch, mais la fidlit (foi) de tonglise , laquelle nous appartenons et dont nous voudrions reproduireen nous l'attitude.

    Le mystre chrtien de la fidlit n'est donc pas simplement le triom-he de la fidlit divine sur l'infidlit humaine, mais aussi le mystre

    des noces de la Parole faite chair et de l'glise forme pour elle (c'est laParole de Dieu qui la rend exempte de toute tache, cf. Ephsiens 5, 27).Les enfants de ce lien d'ternelle fidlit, c'est nous, qui avons Dieu

    our Pre, et l'glise pour mre (Cyprien). Et quand Paul nomme lesnoces charnelles de l'homme et de la femme un grand mystre, parcequ'il s'applique au Christ et l'glise , on voit apparatre en pleinelumire ce que nous essayions plus haut d'interprter comme l'ternittransparaissant dans la fidlit entre les hommes. La fidlit conjugale,celle qui rgne entre parents et enfants, entre amis et proches, Paul necommence pas par la dduire des rapports entre le Christ et l'glise ; il la

    rsuppose comme appartenant au monde cr, mais montre qu'elle

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    ta main comme un signe, sur ton front comme un bandeau, crit sur lesoteaux de ta maison et sur tes portes (Deutronome 6, 6-9). Si

    l'ancienne alliance court un accomplissement transcendant, dont elleest le signe avant-coureur, le caractre dfinitif de l'exigence n'est pasdpass pour autant, parce que les promesses de Dieu sont sansrepentance , et aussi son dsir d'obtenir une rponse aussi totale quel'est son engagement. Jsus-Christ ne se contentera pas de confirmer cecommandement de fidlit, il l'lvera au-dessus de tous les autres.

    Assurment, l'ancienne Alliance a ses limites. Elles deviennent visi-les, l o le destin d'Isral dans l'alliance qu'il a lui-mme par trois fois

    solennellement conclue, dpend de sa propre conduite : ce destin peuttre bndiction ou maldiction (Lvitique 26, Deutronome 28). Mais,on l'a dj dit, la fidlit de Yahw son alliance se manifeste dans lesdeux cas. La situation est analogue, et encore plus srieuse, quandl'alliance doit tre rsilie avec la masse du peuple, parce que la majoritl'a constamment rompue (Jrmie 14, 11 sqq. ; Ezchiel 11, 22 sqq). Lafidlit de Dieu se concentre alors sur le reste d'Isral , le petit noyaurest fidle ; ide dont Isae posa les fondements, que Paul reprit pour lamettre au coeur de sa pense, afin d'exprimer la continuit de l'ancienne la nouvelle Alliance, et la fidlit jure de Dieu son Alliance. Demme, chez Jrmie, l'annonce de la nouvelle Alliance ternelle est faiteau moment mme o l'ancienne est dnonce (31, 31 sq.). L'infidlit del'homme ne change rien la fidlit de Dieu, comme le montrent les

    athtiques rflexions de Dieu chez Ose : Mon peuple est malade deson infidlit... Mon coeur en moi se retourne, toutes mes entraillesfrmissent de piti. Je ne donnerai pas libre cours l'ardeur de macolre,... car je suis Dieu et non pas homme ,, au milieu de toi je suis leSaint, et je n'aime pas dtruire (11, 7-9).

    Il est important que la flamme de l'ternelle fidlit projette sa clartsur la fidlit humaine. La fidlit l'Alliance envers Dieu qui estdemande au peuple (2 Rois 20, 3 ; Isae 38, 3) forme les hommes trefidles les uns envers les autres : qui craint Dieu sera galement digne deconfiance (Nhmie 7, 2). La fidlit humaine est l'image rflchie de lafidlit ternelle de Dieu : Je te fiancerai moi dans la fidlit, et tusauras alors ce qu'est Dieu (Ose 2, 22).

    5. Le tmoin fidleLa ralisation, au-del de toute esprance, de ces fianailles, c'est la

    nouvelle Alliance : fidlit divine et fidlit humaine sont devenuestotalement identiques dans la personne de Jsus-Christ. En lui, Dieudonne l'homme et l'homme donne Dieu un consentement absolu.C'est pourquoi on le nomme le fidle (2 Thessaloniciens 3, 3 ; 2Timothe 2, 13 ; Hbreux 2, 17 ; 3, 21) ou le tmoin fidle (Apoca- lypse 1, 5 ; 3, 14).

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    renvoie au-del d'elle-mme, une origine qui la fonde en dernireinstance : le mystre de la fidlit entre le Christ et son glise, accom-

    lissement de l'Alliance entre Dieu et l'humanit. D'aprs la mmeptre aux Ephsiens, la cration dans sa totalit (et par l, la fidlit detoute crature) est depuis toujours pose en vue de l'intention premireet dernire de Dieu : la parfaite alliance entre le Ciel et la Terre .

    Tout ceci disons-le pour conclure n'est pas sans consquences

    ratiques, au moins pour le chrtien. Notre fidlit de tous les joursenvers le prochain n'est pas seulement fonde (comme c'tait encore lecas pour les hommes de l'ancienne Alliance) sur la fidlit fondamentale deDieu, qui donne un fondement solide la prcarit des rapportshumains. Elle se fonde sur le rapport de fidlit, qui est toujours dj l entre le Christ et l'glise. Si donc nous avons la possibilit d'trefidles, nous ne le devons pas uniquement Dieu ou au Christ, maisaussi, par l'intermdiaire du Christ certes, l'glise. L'glise est le toutqui prcde chaque partie. Nous pouvons et devons vivre toute notrefidlit comme une partie, un membre, un charisme dans l'glise, ennous adaptant la place que Dieu nous assigne dans l'organisme eccl-sial. Ainsi seulement, nous avons part la parfaite fidlit de l'gliseimmacule. Part complte, car nous sommes inclus dans l'acte nuptialoriginel, et comme enfants du Christ et de l'glise, nous avons part

    l' enfantement de Dieu comme l'acte ternel et inconcevable danslequel le Fils procde du sein du Pre.Le chrtien peut ainsi, en union avec son Seigneur, tre tmoin fidle

    (Apocalypse 2, 13). 11 peut aussi tre nomm fidle , commeserviteur dans l'glise (Colossiens 4, 7-9 ; Ephsiens 6, 21 ; 1 Pierre 5,12). Ces deux formes de fidlit ne devraient pas admettre plus desparation pour le chrtien, que le mystre des noces auquel il a consa-cr sa vie. Cette double fidlit, pure rponse reconnaissante celledont Dieu fait preuve son gard, lui permet de donner ceux quil'entourent avec mfiance la preuve quotidienne que la fidlit est

    ossible ds cette terre et que c'est elle seule qui rend l'existence digned'tre vcue.

    Hans Urs von BALTHASAR(Traduitpar F. et R. Brague)

    Hans Urs von Balthasar, n Lucerne en 1905 ; prtre en 1936 ; membre associ del'Institut de France ; membre de la commission thologique internationale ; sa dernire bibli ographi e (Johannes Verlag , E insiedeln , 1 975) compt e 58 pa ges. Son derni er ouvrageCatholique, paratra en traduction franaise comme premier volume de la collection

    Communio , chez Fayard (Paris), en avril 1976.

    Georges CHANTRAINE :

    Appels la libert

    La fidlit n'est vraie que si elle rpond un appel per- sonnel de Dieu. Des critres certains permettent de le re- connatre. Cette affirmation, aujourd'hui conteste, est

    ourtant lgitime.

    MME pour ceux du dehors, le chrtien est appel fidle (1). Fidle,i l l 'e s t en c royan t Dieu et ses promesses. Dieu, lui, est f idleen ralisa nt ce qu'i l lui a promis ( 2). La fidlit de l'homme s'appuie doncsur celle de Dieu ; elle lui rpond et trouve en elle sa garantie. Elle est le nom de la

    foi quand, mue par l'esprance, la foi s'empare de l'existence et la mne sa fin.En acte plus qu'en parole, elle proclame que Dieu est entr dans notre histoire une fois pour toutes , en Jsus-Christ, qu'en lui il a tabli sa demeure parminous et nous a ouvert sa demeure, accueillant notre temps dans son ternit.

    Les engagements dfinitifs du mariage chrtien, du clibat sacerdotal et desvoeux de religion tmoignent de cette prsence de l'amour ternel dans notretemps. Ils attestent, par leurs fidlits, que Dieu est prsent dans nos choix, dansnos vies, dans les socits que nous formons. Ils appartiennent donc vraiment,peut-on dire, l'essence du christianisme. Ne plus y croire, c'est... ne pluscroire l'Incarnation, ni au temps chrtien, temporellement ternel , commedisait Pguy. (3).

    Il arrive cependant qu'on croie l'Incarnation et au temps chrtien sansestimer possible d'en tirer dans la pratique toutes les consquences. On y croitcomme abstraitement . On sait qu'on ne peut tre chrtien sans tre fidle,mais comment tre fidle aujourd'hui ? Est-il vrai, d'ailleurs, que Dieu ait un

    dessein personnel sur chaque homme, qu'il l'appelle par son nom ? Est-il sr,tout au moins, que l'homme puisse connatre cette vocation singulire de tellesorte qu'il ait l'accepter ? La chose n'est pas vidente pour tous. Certains sontports parler du Verbe incarn en ces termes : Qu'il reste ce qu'il est,l'Homme-Dieu, l'homme pour les autres ; qu'il nous laisse tre ce que nous

    (1) TERTULLIEN, Apologeticus, 46.(2) AUGUSTIN,Enarratio 2 in ps. XXXII,1-9.(3) J.-M. HENNAUX, dansVie consacre, 43, 1971, 356.

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    quelques groupes minoritaires, d'autant plus virulents qu'ils se sentent plusisols, l'enseignement ancien sur la fidlit est devenu abstrait, il a perdu sonefficacit, bien plus il suscite la mfiance, on souponne en lui un conservatismefrileux, une peur du risque, qui incitent sournoisement se garder des provoca-tions de la vie ; on n'est fidle ce qui a t que pour se donner bonne consciencede ne l'tre point aux exigences de ce qui doit tre ; l'homme fidle est mortavant terme, ce qu'il appelle sa vie a toute la consistance d'un souvenir nostalgi-que. (6).

    La question ainsi pose est grave. Avant d'en dcider, il nous faut l'envisagersrieusement, en essayant de ne pas nous payer de mots ni de sentiments. Est-ilvrai que la fidlit selon l'enseignement ancien soit tourne uniquement vers lepass ? Est-il vrai qu'en matire de fidlit le choix du croyant soit entre unpass rvolu et un avenir prometteur ? Est-il vrai que la vocation soit simple-ment gnrale et la vraie fidlit, axe sur soi ? Telles sont les questions quenous aurons examiner et rsoudre.

    Fidlit cratriceFidlit n'est pas fanatisme (7). Le rsistant qui, sans trahir, subit la torture et

    affronte la mort est fidle ; le tortionnaire qui tue systmatiquement les juifsdans les camps nazis est un fanatique. Pas davantage inconditionnel n'estsynonyme de fidle. La fidlit ne requiert ni dmission ni identification passive un modle. Tout au contraire, elle demande caractre et indpendance. C'estpourquoi la foule n'est pas fidle. C'est pourquoi aussi l 'embrigadement, l'en-doctrinement, ce qui fait d'un peuple une masse, tue la fidlit.La fidlit ne serait-elle pas du moins un rflexe de conservateur ? C'est l une

    autre mprise. La fidlit ne force nullement la rptition de penses ou decomportement. Elle ne tourne pas l'homme vers le pass plutt que vers l'avenir.Bien plutt elle oblige faire ce qu'on a promis (8). Or la promesse ouvrel'avenir et en fixe l'orientation. Elle engage. Parole donne doit tre tenue.Sinon, elle est vide et strile. C'est la fidlit qui est fconde : elle fait advenirl'objet de la promesse ; dans le don, elle manifeste au bnficiaire la prsencepersonnelle de celui qui a promis et, par la reconnaissance du bnficiaire, ellelie l'un l'autre dans un don rciproque.

    La fidlit est donc cratrice (9). Cela devrait sonner comme un plonasme.Mais aujourd'hui le plonasme est peut-tre devenu ncessaire. Le mot s'estus. Sans l'adjectif qui le rajeunit, il n'exclurait pas l'ide d'un conformismeabusivement aurol de grandeur morale : varit narcissique du pharisasme.

    Les Pharisiens cultivaient la lettre de la Loi reue des anciens. De mme, lefidle s'accrocherait une certaine ide de lui qu'il s'est donne dans sa jeunesse. Mais fidlit n'est pas fixation psychologique. Serait-ce alors fidlit

    sommes, de simples hommes vivant avec d'autres hommes. Qu'il nous pargnesa relation immdiate avec le Pre, et qu'il nous laisse trouver Dieu l o celacorrespond la situation de personnes cres : dans le dialogue interhumain. (4).

    Vocation gnrale ou personnelle ?Certes aucun chrtien ne rejettera l'ide de vocation divine, trop visiblement

    atteste dans l'Ecriture. Mais on peut tre tent de considrer cette vocationcomme seulement gnrale. Appelant tous les hommes vivre de sa vie, Dieulaisserait chacun le soin de dterminer suivant quelle voie et par quels moyenssuccessifs rpondre cette vocation. Interprtant souverainement la volont deDieu sur lui, chacun choisirait, d'aprs sa situation et ses aspirations, le mariage, lavie religieuse ou le ministre sacerdotal, ou encore tel mode de vie, telapostolat, tel engagement. Ce choix n'aurait donc pas se conformer quelquevolont divine. Au contraire, il lui donnerait forme. En tre l'auteur responsa-ble, voil ce qui serait dcisif.

    Une telle vocation dessine le contour d'une autre fidlit (5). Dans cetteoptique, chacun sera responsable non de ce qu'il aura dcid, mais de la maniredont il aura pris sa dcision. Il n'a pris devant Dieu aucun engagement concret : ils'est engag agir en homme libre, c'est--dire capable de s'engager toutmoment et ventuellement de changer. Il est prt se remettre perptuellement enquestion. Cette sorte de qui-vive est le contenu de la vigilance religieuse ; cettemobilit est le concret de l'engagement. Ce qui freine ou interdit pareille mobilitest fui ou rejet : n'est-ce pas du statique, contraire la vie ? Or, tout ce qui est

    institutionnel est statique. Tout engagement doit donc se prendre en dehors desstructures institutionnelles ; c'est la condition de son authenticit. Pour la mmeraison, aucun engagement ne peut tre dfinitif : il scrterait en ce cas sa proprestructure. Il doit donc comporter un risque : le risque d'tre remis en cause. On nepeut tre fidle sans prendre ce risque. Bref, l'authenticit est le critre de la fidlit.Ou plutt, c'en est le nom vritable.

    Suivant que la vocation est conue comme simplement gnrale ou commepersonnelle, le chrtien sera donc convi l'authenticit ou la fidlit. Ou, sil'on veut, deux types de fidlit se prsenteront : selon le premier, est fidlecelui qui, attentif l'exigence fondamentale, dtermine cependant par lui-mmele dessein gnral de Dieu ; selon le second type est fidle celui qui, cherchant lavolont singulire de Dieu, se dtermine selon ce qui plat Dieu et consquem-ment lui-mme. Dans le premier cas, le destin est remis entre les mains del'homme qui en fait sa destine. Dans le second, Dieu se confie l'homme etl'homme se confie Dieu.

    Il y a beaucoup de demeures dans la maison de mon Pre. Ces deux typesde fidlit, ces deux sortes de vocations, n'est-ce pas une richesse pour la viechrtienne ? Question nave, dont, aujourd'hui, la rponse est connue d'avance.Une autre question est plus astucieuse. Ces deux types de fidlit ne seraient-ilspas, dans l'histoire, successifs ? On croit en effet le constater. Mis part

    (4) H.U. von BALTHASAR, Rela tion immdiate avec Dieu,dans Concilium,29, 1967,45.(5) Analyse et critique de cette fidlit dans V. WALGRAVE, Je p romets fidl it.. .dans Vie consacre,43, 1971, 322-338.

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    (6) J.Y. JOLIF , Fidlit humaineet objectivitdu monde, dans Lumireet Vie, 110, 1972,27.

    (7) Cf. Christus,77, 1973, 77.(8) Saint THOMAS, Summa theologica, 2. 2ae, q. 110, a.3, ad 5.(9) Cf. X. TILLIETTE, La fidlit cratrice. Commentaires surGabriel Marcel (infra) ;B. SCHWARZ, Gabriel Marcel. Philosoph dersch6pferischen Treue, dans Internationalekatholische Zeitschrift, 4, 1975, 455-468.

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    soi ? Ainsi prcise, la notion parat plus dynamique ; elle joue sur le registresubjectif. Mais c'est prcisment pourquoi elle ne prvient pas la fixationpsychologique ni ne la gurit : elle souffre du mme narcissisme (10). En ralit,fidlit ne dit pas rfrence au moi : on est fidle aune promesse et quelqu'un qui on a donn sa parole. La fidlit implique donc la rciprocit et l'engagementde l'tre. Sa notion est d'ordre objectif et ontologique.

    N'enfermant pas la fidlit dans la sphre subjective, nous ne la confondronspas avec la conscience ou le sentiment d'tre fidle. De ce que je me sente fidle oum'affirme l'tre, on ne peut conclure que je le suis. Je pourrais t re infidle debonne foi . La bienveillance n'incline pas le penser. Mais on peut se faireillusion (11). On n'en est pas loin quand on invoque exclusivement l'intentiondroite, la souffrance de la dlibration, la dcision responsable intervenue aprsun long cheminement, etc. Pris isolment, ces critres, qui appartiennent lasphre subjective, n'excluent nullement la possibilit de l'illusion. Mais ils sontvalables s'ils sont conjoints d'autres, parmi lesquels nous mentionneronsprincipalement le respect de la parole donne et la considration de la personne laquelle s'adresse la promesse. Ces deux critres dcoulent de la nature de lafidlit : engagement vis--vis d'une personne en vertu d'une promesse. Ils nersultent donc nullement d'une norme trangre l'engagement lui-mme ; ils luisont intrieurs.

    Ces quelques remarques de vocabulaire sont modestes. Les vents qui ontsouffl sur nos dserts ont ensabl nos pistes. Le plus simple n'est-il pas de lesdgager et de se remettre en route ?

    Cercle insens de notre civilisationMais nos dserts sont aussi des solitudes hantes de rves et de dmons :

    rves de paradis perdu et retrouv, dmons du progrs forment une image d'unmonde o nul ne peut prendre un engagement irrvocable. Il va nous falloirexorciser ces dmons et tirer de leur sommeil nos modernes qui dormentdebout .

    Qu'on les explique aprs coup comme on veut, les abandons de la vie reli-gieuse et du ministre sacerdotal n'avivent pas, dans la conscience commune, lesens de la fidlit. Signe parmi tant d'autres de la dissolution des liens sociaux,laissant chacun dans la solitude. Cela appartient un phnomne d'ampleurplantaire : le dracinement de la collectivit hors ce qui tait nature, quiapparat comme une immense dstructuration, comme une immense destruc-tion , mettant en cause, en dernire instance, le rationalisme occidental,...assise de la civilisation technique . Ce processus par lequel nous nous car-

    tons ainsi de ce qui nous a ports nous projette aussi dans ce qui nous emporte(12). L'action de l'homme sur la nature comporte dsormais un caractreirrversible et cumulatif qui transforme sans cesse les conditions de l'action

    (10) Ce qui ne l'empche nullement d'avoir une inspiration idaliste ou 'stocienne. Cf. P.ADNES, Fidlit,dans Dictionnaire de Spiritualit,V, 327.(11) Je puis aussi vouloir tromper. Mais nous n'envisageons pas ici ce cas qui n'a riend'imaginaire.(12) J. LADRIERE, La transi tion des gnrations,dans La Revue Nouvell e,58, 1973, 139et 143.

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    mme. Le changement technologique du monde se propage lui-mme par int-gration... (13). L'avenir calculable du systme ainsi form s'impose commergle du comportement. Or, cet avenir est lui-mme rgl par la loi du systme. Cequi est la norme du comportement est donc prdtermin. C'est le cercle insensde la civilisation technique, la ntre.

    D'o le sentiment, partout rpandu, de la drive de l'histoire, sorte de fatalismevcu sous le signe du progrs. Or, en ralit, ce changement ne peut entranerque la rptition du mme par combinaison nouvelle des lments du systme.C'est--dire la destruction de la culture, laquelle ne va pas sans invention.L'avenir calculable prvisible n'est pas une fin pour l'homme : il n'en est etn'en dit que la fin. Par le dtour du calcul, dans l'ombre du progrs, s'avance lamort.

    Pour rompre ce cercle mortel, il faut, dira-t-on, affirmer la fin propre del'homme, sa responsabilit. Il n'est que d'introduire l'altrit dans le systme.Etre crateur, inventer des conduites nouvelles, construire l'utopie, sera le but del'thique. Autrement en sera la norme qui n'a pas besoin d'tre autrement

    justifie.

    Cependant, cette thique utopique et rvolutionnaire consommerait le di-vorce entre prvision et responsabilit. Il serait donc indispensable et imprieuxde prvoir de manire scientifique et donc calculable la fin propre de l'homme.C'est ce que prtend faire le marxisme. Aussi se prsente-t-il comme la seulethique utopique et rvolutionnaire adapte l'ge scientifique.

    Comme tout homme, le fidle chrtien est enferm dans le cercle insens denotre civilisation. II est sollicit par une thique utopique et rvolutionnaire ettent par sa forme marxiste : dj scurisante pour la raison et l'affectivit del'homme moderne , celle-ci l'attire encore en raison d'une certaine parent avecla religion biblique. De toute manire, il est troubl dans sa foi. Il lui est difficiled'accder Dieu. Le monde o il est plong ne l'veille ni ne l'duque l'universpersonnel (14). Or, pas de fidlit en dehors d'un univers personnel. De plus, on lepersuade faussement, nous l'avons vu, que fidlit est fanatisme, conservatisme,rtrospection.

    Mais plus encore que par des ides, il est tiraill par deux mouvementscontraires. Il n'a pas tout fait oubli d'ordinaire ce qu'est la vie intrieure et, enbien des cas, il aspire y tre introduit. Mais comment ne pas prouver le besoindu changement et de l'engagement ? Or, par suite des conditions de la civilisa-tion et des impratifs de P. thique nouvelle , vie intrieure et engagement luiapparaissent incompatibles. En s'adonnant la prire et la vie chrtienne

    commune (ascse, service du prochain, pratique sacramentelle de l'eucharistieet de la pnitence), ne se trompe-t-il pas ? N'est-il pas tromp par l'glise, quicontinue, imperturbable, les recommander ? Ne reste-t-il pas attach de

    (13) J.-M. DUBOIS, Ethique ancienne, philosophie spiritualiste et technologie,dans Revu ethomiste,LXXV, 1975, 421, 422. Cf. H. JONAS,Technologie et responsabilit, Pour unenouvelle thique,dans Esprit,1974, n 9, 183.(14) S'il est jeune, sa famille est souvent neutre, sinon indiffrente. Que dire si elleest dsunie ! Et que de tmoins officiels , mandats , se drobent : si, disent-ils,les jeunes sont encore chrtiens, ne les lassons pas avec nos discours, laissons-les leurexprience ; si, au contraire, ils sont en raction ou sans Dieu, ne leur parlons pas deDieu, mais cheminons avec eux !

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    De plus, nous l'avons dit, cet imaginaire n'est pas proprement chrtien. Il nemontre ni ne fait sentir quelle est ma situation par rapport autrui et Dieu dans lemonde tel qu'il est fait par l'homme. Du monde mme, il ne prsente que ce quirsulte de l'effort rationnel et technique, non ce qui suit de la destine spirituelle.Or, dans ce monde, nous sommes en ralit devant Dieu comme des pcheurs etdevant autrui comme des homicides. En chacun de nous se conjoignent, desdegrs divers, le destin d'Adam et celui de Can. Chacun de nous en est marqu.La passion d'une autonomie orgueilleuse et la jalousie meurtrire de nos frresles hommes oprent leur travail de mort dans le fond obscur de chaque

    homme, l o ne descend aucune analyse des profondeurs, mais seul Jsuss 'abandonnant son Pre.

    Imaginaire chrtienC'est pourquoi l'image que nous nous faisons de Dieu n'est pas seulement la

    sublimation de notre moi ; en cette sublimation mme, elle est l'occultation deDieu et son secret refus. Elle est idoltrie. De mme, l'image que nous nousfaisons d'autrui n'est pas seulement l'extension du moi sous la forme de l'altrit ;en cette extension mme, elle est l'oblitration d'autrui regard comme l'autre (suis-je donc le gardien de mon frre ? ). Elle est gosme. L'image du monde enest altre. Le besoin est pntr de la puissance de mort qu'y dveloppe lepch. Il infecte le dsir. D'o la concupiscence : triple concupiscence des yeux, dela chair, de l'esprit. Aucune exprience n'en est indemne. L'expriencecommunautaire bute sur la rsistance agressive du moi et sur le murinfranchissable de l' autre , de 1' tranger . Elle ne pourrait russir qu'en

    abolissant toute diffrence, commencer par la diffrence sexuelle, en vue d'unefusion de tous dans le Tout. Mais ce serait un suicide collectif ( ct duquel legnocide est un jeu d'enfant). L'exprience religieuse est infecte d'idoltrie. Langation de Dieu qu'elle comporte entrane fatalement la ngation de l'homme :refuser son Origine, c'est se refuser soi-mme. Elle s'abme dans le nant. Maisaucune critique rationnelle ne descend dans ces abmes, ne pouvant sonder ni lamort ni l'origine, lesquelles lui demeurent mythiques (16). Que la mort, cependant,et l'Origine comportent des reprsentations, qu'elles imprgnent l'imaginaire, c'estle scandale de la raison qui s'exerce sur l'horizon du monde. C'est pourquoi nousrepoussons toujours nouveau les reprsentations de l'Origine et de la mort. Lacivilisation technique nous y aide merveilleusement : en nous arrachant au pass eten nous projetant dans l'avenir, elle nous fait oublier l'Origine et la mort. Mais plusque n'importe quelle civilisation, c'est le pch en nous qui opre cet oubli,inexorablement. En sorte que la premire oeuvre de la grce est de nous endonner le souvenir.

    Un tel souvenir forme une reprsentation du monde : sans implorer le Sau-veur qui nous arracherait l'abme de l'Enfer et nous donnerait accs Dieu,nous ne pouvons percevoir que, nous tant loigns de notre Origine, noussommes vous la mort (mort ternelle). Cet imaginaire est celui de la conversion; et puisque la conversion, comme la grce du baptme, se poursuit

    (15) Elle se doit donc de dnoncer le mythe, de dmythiser. Mais la voici prise nouveau. dans le cercle indiqu plus haut. Malgr son intention de dmythiser, MarcOraison n'indique pas dans La vocation, phnomne humain(DDB, 1970) commentl'homme appel est affect par sa naissance et par sa mort. Cf. notre recension dans Les tudes classiques,1973, 335.

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    manire purile des valeurs dpasses, lies l'glise institutionnelle ? Oubien encore n'est-il pas victime d'une illusion, au cas o le monde intrieur neserait que la projection du moi, le refuge de son angoisse ? Mais, d'autre part,en s'engageant en tout sauf en Dieu ft-ce pour Lui , est-il l'abri del'illusion ? Le dsir d'tre adulte ne cache-t-il pas une volont de puissance muepar un besoin adolescent d'prouver ce qu'on est par ce qu'on peut ou ne peutpas en mme temps que par une nostalgie de feu la chrtient ? Au fond, necherche-t-il pas une assurance dans la critique ou le rejet de ce qu'il n'est pas oune comprend pas et dans l'affirmation de son identit ou de sa spcificit ?

    A l'intrieur du cercle de notre civilisation, aucune de ces questions ne peuttre ni tire au clair ni rsolue. On peut certes opter , on peut prendre lerisque de tel parti , relever le dfi . Mais rien de cela n'est une solution niune rsolution. La preuve en est faite par la pratique, marque d'agressivit etd'instabilit. Il faut se rendre compte que ces questions ne font que transposersur le registre de la conscience chrtienne la manire dont l'homme d'au-ourd'hui apprhende sa situation dans le monde et l'image qu'il se forme du

    monde. Cette manire et cette image, appelons-les l'imaginaire.

    Imagination ou coeurDe cet imaginaire, on doit dire deux choses : d'abord qu'il n'est que lui-mme,

    ensuite qu'il n'est pas proprement chrtien. Il me fait connatre ma situation dansle monde telle qu'elle est dfinie par les coordonnes spatio-temporelles. Il ne me

    fait pas connatre ma situation devant autrui et Dieu telle que je la veux. Seul, lecoeur la connat. Vais-je ignorer le coeur ? Inscrire ma vie dans l'horizon du mondesans la placer devant Dieu et autrui ? Mme alors, je n'viterai ni Dieu ni autrui,mais je ne les connatrai qu' l'intrieur de cet horizon. Pratiquement, je ne lesverrai qu' travers mon imagination, comme des images de mon existence.

    Je les sentir ai comme des objet s d'une exprie nce communau tai re ou religieuse . Ou bien, au contraire, je les exclurai comme des projections dumoi, comme des images archaques, comme des reprsentations qui, places surl'horizon du monde, sont, au sens propre, insignifiantes (Dieu, qu'est-ce que apeut dire l'homme moderne ? Mme question pour autrui, mais nous y prenonsmoins garde).

    Par le coeur, au contraire, Dieu et autrui sont connus pour eux-mmes. Et, enles connaissant, le coeur se connat. Il lui faut assurment veiller sur sesmouvements, car si son propre mouvement le porte vers autrui et vers Dieu, lemouvement de l'imaginaire va vers leur image mondaine. D'o le discernement oprer entre ce qu'il connat et ce qui est imagin. Discernement qui demande unapprentissage, un matre et de la patience. Il ne s'agit pas ici de ritrer lacritique des reprsentations imaginaires d'autrui et de Dieu (celle-ci peut trepousse aussi loin qu'on voudra) ; il s'agit de la purification du coeur et de sagarde. Il faut apprendre discerner entre ce qui vient du dsir et le besoin quitrouble le dsir. Ce discernement est plus radical que toute critique : il n'est pas leple oppos de l'exprience. Il a une fin. Et il est impratif : si je ne ralise pas ledessein que Dieu a sur moi, alors ma vie est manque : elle s'est poursuiviepour ainsi dire hors de moi et sans moi, elle est reste dans un monde d'apparen-ces et n'a cess de passer avec elles (15).

    (16) L. LAVELLE, L'erreurde Narcisse,Paris, 1939, 131-132.

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    l'homme, ignor de toutes nos modernes dclarations : le droit la saintet.ppel absolu, urgent, sans mesure et cependant infiniment diversifi, patient et

    adapt la mesure de chacun. C'est ainsi que les saints nous le font connatre. Ilssont la norme vivante, toujours identique et jamais ritrable de la vie chr-tienne. Ils font voir et toucher dans sa vrit l'existence chrtienne, larvairechez les autres. En eux se forme le concept universel (analogique) de l'existencechrtienne (20).L'acte rdempteur et le monde pcheur

    Telle est donc la dignit de l'homme. Appel Dieu par Dieu, il est capable deLui. Sa libert est ainsi toute contenue dans la libert divine et, rciproquement,elle peut la contenir. L'appel est si intime qu'il embrasse dj la rponse et larponse peut tre si divine que chacun de nous nat de son propre choix etque nous sommes en quelque sorte nos propres pres, parce que nous nousenfantons nous-mmes tels que nous le voulons (21).

    Or, l'embrassement de cet appel et de cette rponse constitue tout le drame dela vocation et de la personne elle-mme (22) : drame du refus de l'homme quinous a valu le sauveur. Car le Dieu crateur est sauveur. L'appel la libert, il nele retire pas l'homme qui l'a refus. Il le maintient en l'adaptant la conditionpcheresse. Il le lui fait entendre jusque dans le refus.

    En se refusant l'appel divin, l'homme se dtourne de la fin pour laquelle il estcr. Et il en dtourne la cration. Alors, le corps dvoile sa nudit et fait honte.Les mains s'appesantissent sur l'outil et font mal. Mettre au monde des enfantset les duquer fait saigner le corps et le coeur. La mort fait peur ; htesse

    implacable, elle n'offre que le vide et l'ombre d'un au-del dont elle projettel'horreur sur l'en de de cette vie. Le signe que la cration devait faire vers Dieuest devenu opaque, indchiffrable. L'homme est emprisonn dans le mondequ'il s'est fabriqu : son monde, donc pour lui monde rel. Monde mythique,pourtant, hant par la nostalgie du paradis perdu.

    Or, c'est dans ce monde-l que Dieu fait encore et toujours entendre sonappel. Tout mythique qu'il soit, il l'est plus que nous le pensons , ce mondereste un monde : il possde une solidit et un ordre qui ne proviennent ni de nous nide notre imagination, mais qui nous ont t donns. Malgr les stigmates del'injustice, le visage humain reste le reflet de l'me. Et il est des coeurs purs pouraccueillir les misres, les soigner et les offrir Dieu. Signes immdiats ettangibles de la misricorde divine. Notre existence, l'existence d'un monde,attestent l'intrieur de la cration la rconciliation offerte par Dieu. (C'estl'alliance noachique).

    L'ordre du monde, l'existence ne sont-ils pas des phnomnes naturels ?Mais pourquoi ne pas s'merveiller du naturel ? S'il est naturel d'aider un ami,ce n'en est pas moins merveilleux. Dans le naturel se coule la gnrosit. Il n'enva pas autrement pour Dieu. Tout le naturel de notre existence dcoule de sagnrosit. C'est l'annonce de la rconciliation, discrte et humble commel'Esprit de Dieu.

    (20) H.U. von BALTHASAR,l'vangile comme norme et critique de toute spiritualitdans l'glise,dansConcilium,9, 1965, 20.(21) GREGOIRE de NYSSE,Vie de Mose(Sources chrtiennes, 1 bis), 1955, 32.(22) J. MOUROUX,op. cit.,120.

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    Jsus-Christ, Verbe crateur incarn, en apporte l 'accomplissement. Envoypar le Pre, il devait descendre jusque dans l'abme du pch pour porter lamisricorde de Dieu dans sa drliction. Par la mission du Fils, l'oeuvre cratricedu Pre est acheve ; on peut, ds lors, mesurer ce que sont concrtementlibert, vocation et fidlit. Notre libert est une libert libre : libre nonpour n'importe quelles oeuvres terrestres, mais pour la libert qui aucommencement tait capable de Dieu (c'est notre sanctification) ; libre non den'importe quelle alination, mais de l'esclavage du pch pour pouvoir vivredans la justice de Dieu (c'est notre justification). L'acceptation de cet acte de

    Dieu, fait dans le Christ pour nous, c'est la foi.Puisqu'en justifiant le pcheur par la foi le Christ restaure en lui la libert, lavocation premire est maintenue, purifie et ennoblie. Pour la discerner dans leChrist, on ne peut donc vacuer ses critres essentiels : magnanimit et prdi-lection. Affirmation fondamentale. Elle ne va pas pourtant de soi. La faute, n'a-t-elle pas dclench un tel sisme ontologique que les critres naturels enauraient perdu toute valeur ? Pour connatre l'appel de Dieu, c'est--dire pour lafoi, ne faudrait-il pas rpudier la raison ? Et le sens intime ? C'tait, on le sait,l'affirmation catgorique de Luther : de sa vocation, l'homme n'aurait d'autrecritre que la Parole de Dieu qui l'appelle. Plus prs de nous, un christianismemoins dcid s'est, suite l'abandon pratique de l'ide de cration, dsintress decritres ontologiques , estims dmods. Il leur prfre un critre censment biblique , moderne et optimiste : le mouvement. Ce qui compte pour nous,c'est le mouvement, la marche, la disponibilit avancer, remettre en cause noschoix pour mieux progresser. Le mouvement est le signe de Dieu dans la vie ,car la foi y lit l'action de Dieu qui est passage (23).

    Dliant la rdemption de la cration, aucune de ces deux penses, si diverses parailleurs, ne peut montrer le rle ncessaire de l'abngation et de la prdilection l'intrieur de la libert chrtienne. L'abngation se rsout alors en ngationdialectique dans la theologia cruels de Luther, faute d'une juste affirmation de lalibert ; ou bien, elle voque tout au plus une attitude ngatrice du progrs et nepeut en aucune manire recevoir une signification positive, faute d'une assiserationnelle et thologique ; d'autre part, la prdilection se mue, de parti pris, enun optimisme sans intriorit humaine et spirituelle, ou bien, comme chez Luther,elle n'est plus reconnue que dans la pure transcendance de la Parole.

    En vrit, pourtant, l'abngation appartient la libert indpendamment dupch. Elle a, rptons-le, une signification ontologique et une origine, uneforme trinitaire. Elle ne combat pas d'abord le ngatif du pch. Sa ngationn'est pas d'ordre dialectique. Sa considration ne doit rien au pessimismeaugustinien . Sa notion provient de la libert telle qu'elle nous est rvle

    dfinitivement dans le Verbe de Dieu incarn. On ne peut la tenir en suspicion,ou la relguer dans l'le mortifre des vertus antiques et ngatives , sanspriver la libert de son caractre universel, de son assise ontologique et de saqualit spirituelle. La remarque a une incidence sur l'actualit. Des sentimentstels que l'allgresse, la joie, la paix, sont aujourd'hui justement remis enhonneur, notamment dans des groupes dits charismatiques . Or, aucun de ces

    (23) R. BOUCHEX, Les signesde Dieu dans la vie, dansVocation, 260, oct. 1972, 454.

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    sentiments n'est vraiment spirituel s'il n'est pass au feu de l'abngation. Dureste, ils ont leur rgle interne : naissant de l'amour de prdilection, ils sontdiscrets et rendent humbles.Cependant, si ces deux critres sont maintenus l'intrieur de l'histoire du

    salut, ils sont adapts la condition pcheresse. Attir par la magnanimit,l'homme demeure pusillanime : homme de peu de foi ! . Il ne peut plus sedonner Dieu, mais il a le redoutable pouvoir de tout lui refuser. Il n'est doncplus libre. Capable non plus d'abngation, mais de ngation : esprit qui tou-ours nie . Sa place est en enfer. Or, c'est l que son Sauveur vient au devant de

    lui. Par son sacrifice, Jsus, possdant en lui la vie du Pre, surmonte en lui lacontradiction du pch. Il donne au pcheur de la surmonter par la pnitence : illui donne de faire pour lui, son Sauveur, quelque chose, parfum de Marie, larmesde Pierre. Cette chose, modique, infime, il la remplit de l'infini de la misricordepaternelle. En vertu de la surabondance de la grce, Marie ou Pierre peuvent nouveau se donner leur Dieu : c'est la foi. La pnitence est ainsi la porte del'abngation. Sans elle, l'homme tombe dans l'idoltrie ou succombe au pouvoirmortel de la ngation. Elle seule lui rend un esprit magnanime , en lui faisantreconnatre son nant et dsirer faire quelque chose pour le Christ.

    Autant que la magnanimit, la prdilection est gte par le pch. Sponta-nment , l'homme se prfre Dieu, et chacun aux autres. C'est la prdilectionpour soi, la philautia des anciens. Il prouve confiance en soi et dfiance enversDieu, tendresse pour soi et agressivit pour les autres. Il mesure tout ce qu'ilsent : ce qui est de Dieu ne lui dit plus rien ; ce qui est des autres, l' agace , l'nerve ou le laisse froid. Il a perdu le sens intime et la capacit dudiscernement. Son esprit est ferm comme des cieux teints .

    Condamn vivre dans ce monde insens, il est men par la Folie (les gensdeviennent fous !). S'il ne prend pas le parti de l'absurde, il s'y sent exil loin de ce quoi, malgr tout, il aspire encore. Il voudrait fuir ailleurs. Mais o ?Dgot de tout, il l'est surtout de lui-mme : Que dire de cette mnageriequ'est le coeur humain ? (24). Bref, il prouve jusqu' la nause le dsir demourir, le dgot de la vie, le taedium vitae, et cette tristesse mortelle de l'meque les anciens appelaient acedia.

    Or, il arrive que cette tristesse incoercible soit comme traverse par unedouceur trange, que la terre brle de l'exil soit rafrachie par une brise venued'ailleurs. Mais la souffrance s'avive d'avoir un instant t soulage : c'estl'angoisse de ne plus rien sentir, d'tre perdu, d'avoir perdu tout sens. Par unprodige d'abord inexplicable, cette angoisse n'est pas mortelle. La jeune esp-rance fait ses premiers pas. Voici qu'insensiblement l'homme s'en remet Dieu,s'abandonne sa misricorde, reconnaissable dans la Croix. Dans l'abandons'veille le discernement. Les yeux du coeur s'ouvrent sur la vraie vie.

    Tant que le coeur ne se laisse pas toucher si peu que ce soit par la grce divine,tant qu'il ne dsire pas s'abandonner Dieu, il n'y a ni ne peut y avoir devocation chrtienne, ou pour mieux dire de rponse ferme l'appel du Christ.Mais une fois touch au coeur, l'homme peroit sa vocation comme singulire.D'o il rsulte que concevoir par principe la vocation comme gnrale, conduitncessairement manquer son ct le plus personnel, passer ct de

    (24) P. CLAUDEL, Intr oduction Isa e dans le mot mo t, OEuvres comp ltes,t. 27.,Paris, 1974, 257.

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    l'affectivit profonde du sujet et priver le discernement d'un de ses critresdcisifs. Bref, une telle thorie compromet le devenir chrtien.

    Vie de Jsus et travail de l'Esprit Saint

    Pnitence et abandon ouvrent ainsi le coeur l'appel du Christ Sauveur. Or,celui qui arrache l'Enfer est le Roi de gloire qui appelle son service. Unegnrosit si inattendue, nullement mrite, provoque la magnanimit et le dsirde se mettre au service d'un tel Roi (c'est l'obsequim fidei). Viens, suis-moi ! :cet appel suscite la p rdilection et le dsir de connatre le Mat re (Rabbni,dira Marie au matin de Pques).

    Mais, comment savoir ce quoi le Christ appelle, la mission qu'il destine chacun ? En contemplant sa vie, cache et publique, et en discernant le travailde son Esprit. Comme parole du Pre, le Christ rclame tout l'espace intrieurde la libert. Ille construit, par son appel : il invite le croyant le suivre dans lapeine pour le suivre aussi dans la gloire (25) ; en vertu de son appel, la normeintrieure de sa vie devient celle de son disciple. Aussi est-ce en la regardant quecelui-ci verra progressivement se dessiner les contours de sa propre mission(26).

    L'image du Christ se formant dans l'me, le dsir de lui ressembler devientrel. La magnanimit devient effective : elle dcouvre le chemin de Dieu etcommence s'y engager. Or, en raison de l'obissance mdiatrice de Jsus, lechemin sur lequel il a march est aussi vrit : qui voit Jsus, voit le Pre. Dansle mystre de Dieu, le disciple dcouvre ainsi la raison de son obissance et,consquemment la rationalit en fonction de laquelle tout homme se dcideen vrit.

    Il en rsulte que, pour tout chrtien, l'obissance est principe d'intelligibilit :sans elle, nul ne comprend ni Dieu ni sa mission ; il lui est loisible de baptiser mission tout programme dict par lui-mme. L'obissance noue le lienentre pratique et thorie ; elle est chemin et vrit. Aussi reoit-elle et peroit-elle la mission, dans laquelle se rvle la majest et la pleine souverainet deDieu (27).

    Aussi la contemplation ne va-t-elle pas sans le discernement spirituel, demme que l'obissance est anime par l'Esprit Saint. En celui qui contemple lavie de Jsus, l'Esprit de Jsus travaille : il fait dsirer la connaissance intime duSeigneur et son humilit, son abandon au Pre. Il apprend toucher Dieu jusquedans le sensible. (la chair du Verbe), goter la douceur divine des actions et

    (25) Saint IGNACE, Exercices spirituels,n 95.(26) On souligne ainsi l'importancedcisive pour la vocati on et donc la libert chr tiennedu Jsus prpascal . Qui, pour une raison ou une autre (le bultmannisme par exemple,encore sensible en France), nglige l'espace de libert offert par l'histoire de Jsus ne peuts'en donner d'autre que l'histoire humaine. Il ractive ainsi l'imaginaire mythique (quelque soit le travail critique opr). Pour chapper aux reprsentations mythiques de laolont divine, on s'enfonce donc dans celles de la volont humaine. C'est qu'on ne sort

    du mythe ni par critique ni par option , ou dcision existentielle , mais seulementar la contemplation de la vie de Jsus.

    (27) H.U. von BALTHASAR, Prface, dans A. von SPEYR, Die Sen dung der Prop heten.Einsiedeln, 1953, 9.

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    paroles vangliques. Insensiblement, il fait entrer dans le corps du Christ. Ilrestaure ainsi la capacit de sentir Dieu, le sens intime . Purifi dunarcissisme, le disciple peut sentir la prdilection de Dieu pour lui. Sa vocations'en trouve affermie, tant personnelle (28).La contemplation de Jsus obissant et le discernement de son Esprit permet-

    tent donc d'appliquer la mission avec une grande sret de touche les critresfondamentaux de toute vocation : magnanimit et prdilection, pnitence etabandon. Ils les prcisent et les dploient la mesure de la grce reue parchacun et de sa volont de servir Dieu. Ils sont trs utiles pour ceux qui veulent

    progresser davantage dans le service et la connaissance de Dieu Notre Seigneur.Mais de faon moins formelle, moins explicite, ils servent tous les chrtiens.

    Dcision et engagement dfinitif

    Vient le temps de se dcider. Vais-je servir Dieu dans le mariage, la viereligieuse ou le ministre sacerdotal ? Je vois ce quoi Dieu m'appelle et ce versquoi j'incline. Mais dans trente ans, qui serai-je ? Que sera l'Eglise ? Ou mafemme ? Faudra-t-il traner le boulet de la fidlit ? Ces questions portent sur lalibert du chrtien : comment offrir ce qu'on n'est pas et n'a pas ? Est-il d'abord sivident qu'il faille dire oui une fois pour toutes ? Mystre de la libert ! On nel'claire que si l'on en est d'abord clair. La libert porte en elle-mme salumire.

    Si formidable qu'apparaisse l'affirmation quand on la confronte avec lesmutations techniques et sociales, avec la fragilit et l'inconstance de l'homme, lechrtien peut disposer de son avenir, bien plus, de lui-mme, parce qu'il sepossde. Dans le Christ, Dieu et homme, mdiateur par son obissance, ildomine le temps : toute l'histoire de l'Ancien Testament tend vers lui, comme lerptent Paul et l'ptre aux Hbreux ; le chemin imprvisible de la venue certaine de son Seigneur s' offre lui. Dans la communion de l'Eglise, il est uni Dieu, trinit de personnes, et aux hommes qui croient au Seigneur Jsus. Dans lamesure de cette communion, il se possde. Or, cette communion est reue. Elle nel'est effectivement que par l'offrande de soi, qui ne peut se faire en dehors de celle duChrist, car il n'y a pas d'autre acte qui mdiatise les temps de l'histoire et lesrelations entre Dieu et les hommes : il est le oui dfinitif des promessesdivines. Opre par sa mdiation, l'offrande est dfinitive. Elle devient, sontour, mdiatrice, centre de communion dans l'glise, car tant libre, elleengendre la libert . Toute vraie fco ndit d'une vie jailli t de la dcision priseune fois pour toutes (29).

    Il est vident que toute pense qui rejette l'acte mdiateur du Christ exclut lapossibilit et a fortiori la ncessit d'un engagement dfinitif. Tel est le cas de la

    (28) Aussi on voit mal que le discernement puisse tre communautaire autrement que par ses effe ts, ce que certaines procdures peuvent rendre vident. Il ne l'est pas enlui-mme. Il y aurait donc abus de langage distinguer, comme on le fait parfois, undiscernement individuel et un discernement communautaire comme deux espcesd'un mme genre.(29) H.U. von BALTHASAR,Qui est chrtien ?,Mulhouse, Salvator, p. 86.

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    philosophie de Feuerbach (30) et de l'athisme militant qui imprgne notrementalit occidentale. Or, le nouveau type de fidlit que nous voquions plushaut en porte le reflet, au moins indirect. Il se tient, assurment, pour uneadaptation (ncessaire ou apostolique) aux temps changeants et pour une fidlit l'Esprit, ce qui, en tout tat de cause, est indispensable. Seulement, sous laforme o elle est vcue, une telle fidlit est de connivence avec l'athisme. Parla remise en question des options et des engagements , elle prtend, eneffet, crer une fidlit soi qui est toujours en avant de soi. Or, cela n'estpossible que si le moi est capable de crer son propre dynamisme et de lemdiatiser par lui-mme. Mais il remplacerait ainsi le Pre qui envoie son Espritet le Fils qui est le mdiateur. Une telle fidlit exclurait donc pratiquementl'obissance mdiatrice du Christ. C'est du reste ce que l'exprience confirme.

    Aussi la voit-on branler la foi au Dieu de Jsus-Christ et ruiner le sacerdoce(31). Transposant la foi sur le registre subjectif, elle en caricature le mouvementintime et ontologique, qui est trinitaire. Peut-on croire longtemps Dieu encroyant si religieusement soi-mme ? Plus encore que la foi commune, lesacerdoce est corrod. Evques et prtres ont, en effet, pour mission de repr-senter le Christ en tant qu'il est par son obissance ce mdiateur. Il leur faut doncobir et requrir, au nom de Dieu, l'obissance de leurs frres. S'ils ne le fontpas, il ne leur reste qu' s'occuper ;leur emploi est devenu vacant. Pourtant,c'est par eux que le peuple de Dieu doit rsister l'athisme (32).

    Que tout cela est institutionnel ! Assurment. L'institutionnel met en oeuvre dans le temps de l'glise la mdiation du Christ. On ne peutcritiquer ou rejeter l'un sans abaisser ou nier l'autre (33). Pourtant, la libertn'est pas toute borne par l'institutionnel ; elle est spontanit, inventivit,crativit ; elle a une dimension charismatique. C'est qu'elle est prdilection. Dieu nous a aims le premier (34). Il nous a lus en son Fils de toute ternit.Une telle lection suscite la spontanit, la crativit de l'amour divin ouhumain. Si donc un homme peut choisir par exemple une femme pour toujours,c'est que depuis toujoursil est aim par Dieu et, en Dieu, par cette femme. Toutefidlit plonge dans le mystre de l'amour et le protge contre les regardsindiscrets ou les mains profanatrices. Ce qui, du dehors, apparat comme un conservatisme frileux (35) est la vigilance de l'amour et sa tendresse mater-nelle. Ce qu'on est tent de prendre pour un mirage d'ternit dj descendue

    (30) Cf. S. DECLOUX, A propos de l'Athisme de Feuer bach. La prs ence etl'action du Mdiateur, dans Nouve lle revue thologique ,91, 1969, 849-873. Onconsultera, en outre, avec profit :Thologie et anthropologie(91, 1969, 6-22) ; Le mys trede l'Esprit d'amour(91, 1969, 317-349) ; La paternit universelle de Dieu(92, 1970, 113-134).(31) Ici, pas plus qu'ailleurs, nous n'examinons les intentions : nous considrons

    nique ment des faits ou des attitudes, leurs implications et leurs rsultats, prvisibles ou avrs.(32) C'est bien pourquoi Dieu appelle encore des jeunes gens au sacerdoce. Encoreaut-i l connatre et prparer les conditions ncessaires pour entendre son appel.

    (33) C'est pourquoi nous voyons en mme temps des christologies voiler ouvacuer la divinit du Christ et la mdiation du Verbe incarn.(34) 1 Jean4, 10.(35) Cf. supra,n. 6.

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    dans le temps (36) en est non seulement le reflet vritable, mais l'acte ocommuniquent l'ternit et le temps et o l'histoire devient temporellementternelle .

    En dehors de ce mystre de prdilection, l'union indissoluble du mari et de lafemme, la conscration perptuelle Dieu seul, la persvrance dans le minis-tre sacerdotal sont quasi inintelligibles et, en tout cas, insoutenables dans lapratique. Or, par sa logique, l'ide de vocation gnrale se situe en dehors de cemystre de prdilection. Elle prtend, en effet, se justifier en raison d'une liberthumaine et d'une transcendance divine qui demeureraient trangres l'une

    l'autre. En nous crant libres, dit-on, Dieu nous donne la libert de choisir lesmoyens adapts la saintet laquelle il nous convie ; or, ces moyens sontrelatifs nos volonts : c'est nous qui les choisissons, non pas Dieu ; sinon, nosdcisions seraient absolutises. Mieux vaut demeurer humbles, conscients denotre finitude (37). Et que Dieu demeure transcendant. A l'homme, le relatif et lefini ; Dieu, l'absolu et l'infini. A Dieu de crer, l'homme ensuite de se faire.

    Ce repliement du chrtien sur l'humain manque mme la grandeur tragi quequi fait la beaut d'OEdipe et du drame grec. Du Dieu qu'il cherchait comme ttons, OEdipe sentit la brlure et, aveugle, il entra dans la lumire. Au Dieu tropconnu, on tche ici d'imposer des frontires, et on se rtrcit le cur. La liberthumaine rside certes dans le libre arbitre, dans la possibilit de choisir lesmoyens, mais bien davantage dans l'adhsion Dieu mme et la capacit deDieu. La transcendance divine s'exprime certes dans le respect pour la liberthumaine, mais d'abord dans l'amour dont il nous a aims le premier. Loin d'tretrangres, les liberts divine et humaine sont intrieures l'une l'autre grce au

    mouvement de la prdilection (38). La participation l'infini dnoue... l'en-trave de la finitude (39), sans pourtant sortir l'homme de sa condition cre.Elle s'y consolide au contraire, car Celui qui le prvient de son amour infini estaussi Celui qui lui donne de demeurer dans une communion sans confusion. InTe, Domine, solidabor.

    De l'engagement, voil donc le pourquoi. En voici maintenant le comment.Puisque la vocation procde de la prdilection, il faut qu' elle concentre l'ternitdans le temps et qu'ainsi elle dilate le temps suivant ses trois dimensions, pass,prsent, avenir, intrieures les unes aux autres. Mais puisqu'elle peut le faireuniquement grce la mdiation du Christ, il faut qu'elle soit progressivementintgre dans l'histoire mme du Christ. Elle l'est grce la Mre du Christ et l'glise. Par celle qui, sauve par le Christ ds avant sa conception, a dit oui pourtoute l'humanit, celui qui croit a toujours dj aim Dieu. Avec l'innocence de

    l'enfant qui espre tout, il peut s 'abandonner entre les mains de Dieu pourl'ternit, acceptant d'avance l 'imprvisible dessein divin. Et, en dehors deCelle qui est l'pouse du Christ, il n'y a ni objectivit ni fcondit spirituelle. Quiaime l'glise comme une mre, sait bien que malgr ses faiblesses il sera conduitvers le Pre et qu'il grandira dans le Christ Jsus ; il sait que sa vie est offerte Dieu et fconde. Il n'y a pas besoin de s'inventer toutes sortes de missions. Encelle qui lui rvle Dieu, il sent les besoins spirituels de son poque et l o il est,peut-tre mme sans mme y songer, comme il respire, il y rpond.

    Conclusion La mission, conclurons-nous avec H.U. von Balthasar, n'est donc pas

    (selon une croyance frquente et errone), la rsultante de deux composantes :d'une part, une grce gnrale offerte de la mme manire tout homme ;d'autre part, les traits divers inhrents l'histoire, au caractre, la biographiede chaque individu touch par la grce. La mission est, au contraire, la formeparticulire, unique, de la grce que Dieu a rserve et destine chacun de sesenvoys (40). Dans l'glise, Epouse du Christ et Mre des fidles, elle estdonne et reue suivant des critres qui permettent de la discerner en vrit :abngation et prdilection, pnitence et abandon Dieu, qui prennent toute leurpuissance lumineuse et leur sens singulier dans la contemplation de la vie de

    Jsus, l'Envoy du Pre, et dans le discernement du travail de leur Espritcommun.

    Georges CHANTRAINE, s.j.

    (36) O. du ROY, Prface P. de LOCHT, Les r isque s de la fi dlit ,Paris, 1972, 5 ;uis, dansChristus, 77,1973, 5 (sans signature).

    (37) J.-Y. JOLIF,op. cit.,31-35.(38) Notons ici le plagianisme rmanent de cette thorie de la vocation gnrale. De ce

    lagianisme, nous avons aujourd'hui d'autres signes lis celui-ci : le refus ou le retardindfini du baptme des enfants, l 'glise conue comme communaut d'adultesconscients de croire, le Royaume rserv aux conomiquement pauvres l'exclusion desiches. Concernant les reflets de ce plagianisme sur l'administration des sacrements

    et sur la catchse, lire la suite d'articles du P. J. MOINGT parus dans les tude s en1972, 1973 et 1975. Critique judicieuse par L. RENWART, dans Nouvell e revuethologique,97, 1975, 745-747.(39) R. GUARDINI,Christianisme et culture,Casterman, 1967, 120.

    30

    (40) H.U. von BALTHASAR, dans Die Sendung der Propheten, 7.

    Georges CHANTRAINE, n Namur (Belgique) en 1932 ; entre dans la Compagnie deJsus en 1951 ; prtre en 1963 ; docteur en philosophie et lettres (Louvain) en 1968 ;

    rofesseur l'Institut d'tudes Thologiques (Bruxelles). Publications :Vraie et fausselibert du thologien,D.D.B, 1969 ; Mys tr e et Phi los ophie du Christ selon rasme .tude de la lettre P. Volz et de la Ratio verae Theologiae (1518), ParisGembloux, Duculot, 1971. En prparation : rasme et Luther. Le libre et le serf arbitre.

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    L'homme et son corps vcu

    Gisela PANKOW :

    L'homme et son corps vcu

    Fidlit ou fixation alinante

    IntroductionNotre vie moderne est pleine de paradoxes. Non seulement l'homme a t

    capable de dcrire et de saisir, l'aide de formules, le monde de la physique parexemple, mais, en conqurant l'espace, il a mme eu le courage d'en respecterles lois. La puissance extrme que la technique lui a donne peut ainsi se raliser etse manifester grce une fidlit aux lois.

    Or, partir du moment o l'on quitte le monde des choses (res extensae), tout segte. Sous l'tiquette de la libert , l'anarchie morale et sexuelle sepropage. Mme au sein du milieu psychiatrique qui, par sa dfinition et saformation, devrait montrer de la lucidit. En les prcipitant prcocement dansdes expriences sexuelles, tel psychiatre arrache ses malades un vcu person-nel et se fait spectateur de leurs expriences : rle aberrant et pervers.

    Ce qui importe, au contraire, c'est de leur donner le droit d'avoir un corps eux. Certes, Freud a montr que la sexualit commence ds le premier jour de lavie, peut-tre mme avant la naissance, en croire la psychologie prnatale.Mais le rapport sexuel, c'est--dire la rencontre avec un partenaire, devraitprsumer une identit lie un corps vcu dans ses limites et dans ses fonctions.

    Pour montrer l'accs au sexe chez un jeune gauchiste qui somatisait, jevoudrais dcrire comment j'ai russi donner un corps ce malade et commentcette pathologie tait lie aux structures familiales.

    Quelques mots d'abord sur ma technique de la structuration dynamique de

    l'image du corps.

    L'image du corps comme fonction symbolisante

    En psychiatrie et en mdecine psychosomatique, j'ai pu, depuis 25 ans,dceler dans les processus pathologiques mmes, des lois spatio-temporellespermettant de retrouver le corps vcu. La dialectique du . corps vcu, je l'aidcrite partir de l'image du corps. Grce cette technique (1-10), j'ai pu mettreen vidence que des zones de destruction dans l'image du corps des psychoti-ques et dans certaines maladies psychosomatiques correspondent aux zones dedestruction dans la structure familiale de tels malades. A mon sens, l'image ducorps est dfinie par deux fonctions fondamentales qui sont des fonctions

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    symbolisantes (*), c'est--dire que ces fonctions permettent d'abord de recon-natre un lien dynamique entre la partie et la totalit du corps (l fonctionfondamentale) et ensuite de saisir, au-del de la forme, le contenu et le sensmme d'un tel lien dynamique (2 fonction fondamentale de l'image du corps). Jeles appelle symbolisantes pour souligner qu'une telle fonction, en tantqu'ensemble de systmes symboliques , vise une rgle d'change , une loiimmanente du corps qui est implicitement donne par la fonction fondamentalede l'image du corps. Je m'explique : c'est uniquement titre d'une dynamique spatiale que je me

    sers de l'image du corps. Dans ce sens, j'introduis le corps comme le modleexemplaire d'une structure spatiale, structure qui ne m'intresse que dans sonaspect dialectique. En effet, la corrlation entre les parties et la totalit du corpsm'a permis d'engager le malade psychotique dans un mouvement dialectique.Cette dialectique peut se manifester de deux manires qui correspondent, l'une lafonction formelle de l'image du corps, l'autre sa fonction de contenu.

    La premire fonction de l'image du corps concerne uniquement sa structurespatiale en tant que forme ou Gestalt, c'est--dire en tant que cette structureexprime un lien dynamique entre les parties et la totalit. Un malade qui, parexemple, modle pour son mdecin un corps