communio - 19824

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  • 7/25/2019 communio - 19824

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    Comit de rdaction en franais : Jean-Robert Armogathe*, Guy Bedouelle, o.p.(Fribourg)*, Andr Berthon, Franoise et Rmi Brague*, Claude Bruaire*, GeorgesChantraine, s.j. (Namur)`, Eugenio Corecco (Fribourg), Olivier Costa de Beauregard,Miche! Costantini (Tours), Georges Cottier, o.p. (Genve), Claude Dagens (Bordeaux),Marie-Josh et Jean Duchesne*, Nicole et Loic Gauttier, Jean Ladrire (Louvain), Marie-Joseph Le Guillou, o.p., Marguerite Lna, s.fx., Corinne et Jean-Luc Marion (Poitiers),Jean Mesnard, Jean Mouton, Jean-Guy Pag (Qubec), Michel Sales, s.j., RobertToussaint*, Jacqueline d'Ussel, s.f.x.*. Membres du Bureau.

    Ce numro a t mis au point avec le concours de Suzanne Pillorget.

    En collaboration avec :

    ALLEMAND ; Internationale katholische Zeitschrift, Comme nia-Verlag (05000Kdn50, Mose/stresse34, R.F.A.) HansUrsvon Balthasar (Suisse), Albert Grres, Franz Greiner, KarlLehmann, Hans Maier, Otto B. Roegele.

    AMRICAIN : International Cathol ic Review Communie(Gonzaga University, Spokane, Wash. 99258, U.S.A.) KennethBaker, s.j., Andre Emery, William J. Hill, o.p., James Hitchcock,Clifford J. Kossel, s.j., Thomas Langan (Canada), Val J. Peter, DavidL. Schindler, Kenneth L. Schmitz (Canada), John R. Sheets, s.j.,John H. Wright, s.j.BRSILIEN : Communia, Revista International Cetolica deCulture(Rua Benjamin Constant, 23 4 and., 20001 Rio deJaneiro, RJ, Brsil) Fernando Bastos de Avila, s.j., EstevaoT. Bettencourt, a.s.h., Luciano J.C. Duarte, Tarcisio M. Padilha,Candida G. de Paula Machado, Mgr Karl Josef Romer, HeraclitoF. Sobre! Pinto, Newton L.B. Sucupira.CROATE : Svesci Communia (Krscanska Sadasnjost, YU 41000

    Zagreb, Marulicev trg 14, Yougoslavie) Stipe Bagaric, o.p.,Vjekoslav Bajsic, Jerka Fucak, o.f.m., Tomislav Ivancic, AdalbertRehic, Tomislav Sagi-Bunic, o.f.m. cap., Josip Turcinovic.

    ESPAGNOL : Revista catol ica international Communia(Editions Encuentro, Urumea 8, Madrid2, Espagne) AntonioAndrs, Ricardo Blazquez, Carlos Diaz, Javier Elzo, Flix Garcia,Olegario G. de Cardedal, Patricia Herraez, Juan-Maria Labos,Francisco Lage, Fernando Manresa, Jos Miguel Oriol, Juan MartinVelaso, Alfonso Perez de Laborda, Juan L. Ruiz de la Pena.ESPAGNOL EN AMRIQUE LATINE : Revint. catolica interna-tional Communia de langue hispana para America Latine(Cali//a 13786, Santiago, Chili) German Doig, Julio Teran Dutari,s.j., Franois Francou, s,j., Victor Gambino, s.d.b., Carlos Martinez,Luis Meyer, Fernando Moreno, Sergio Munoz L., Francisco JosPinon.ITALIEN : Strumento internationale per un Iavoro teolegico :Communia (EdizioniJaca Book, via G. Rovani 7,120123 Milano,ta/tel Sente Bagnoli, Felice Cesena, Francesco d'Agostino,

    Gianfranco Delmasso, Adriano Dell'Asta, Giuseppe Goisis, ElioGuerriero, Marco Paolinelli, Antonio Sicari, o.c.d., Guido Somma-villn.NERLANDAIS : International katholiek Tijdschrift Communie(Hoogstraat 41, 8 9000 Gent, Belgique) Jan Ambaum (NLI, MgrJan De Kok, o.f.m. (NL), Georges de Schrijver, s.j. (BI, Jos F.Lescrauwaet, m.s.c. (NI), Klara Rogiers (BI, Stefaan Van Calster (B),Alexander Van der Does de Willebois (NL), Herman P. Vonhogen (NI),Jan H. Walgrave, o.p. (B), Grard Wilkens, s.j. (NLI.POLONAIS : Miedzynarodowy Przeglad Teologiczny Communia(Pal/stinum, Przybyszewskiego 30, PL 60-659 Poznan, Pologne) Lucian Baker, s.a.c., Marian Banaszak, Jan Charytanski, s.j.,Kazimierz Czulak, s.a.c., Stefan Dusza, s.a.c., Kazimierz Dynarski,s.a.c., Stanislaw Gawrylo, s.a.c., Pawel Goralczyk, s.a.c., StanislawGrygiel, Kazimierz Jecaszek, s.a.c., Helmut Juras, s.d.s., JosefMajka, Stanislaw Nagy, s.c.j., Mgr Kazimierz Rojnaniuk, WaclawSwierzawski.

    En prparation : ditions arabe et portugaise

    La Revue catholique internationaleCOMMUNIO est publie tous les deuxmois en franais par Communio e,association dclare but non lucratif,indpendante de tout diteur ou mou-vement. Prsident-directeur de la pu-blication : Jean DUCHESNE. Directeurde le rdaction : Claude BRUAIRE.Adjoint au rdacteur en chef : RmiBRAGUE. Secrtariat de la rdaction :Jean-Paul BARBICHE, Jean CONGOUR-DEAU.

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    seulement ce que ce nesoient pas toujours lesmmes qui soient dansle c inqu ime. Autre-ment, je veux dire quandon s'applique ne m-contenter personne, ontombe dans le systmede ces normes revues,qui perdent des millions,ou en gagnent, pour nerien dire, ou plutt nerien dire.

    Charles PGUY, L'Argent,uvres en prose, tome 2,

    Pliade, p. 1136-1137.

    Revue catholique internationale COMMUNIOome VII, n 4 ( ju i l le t -aot 1982)

    LA FEMME

    Si tu entends amuser ton me de spirituelles frivolits et devanits intellectuelles, soit, quitte ta maison, voyage, va Paris,

    voue-toi au journalisme... et quand ton blouissante faconde setaira, ily aura encore de l'eau dans la Seine, de /a poudre chezle marchand et des compagnons de voyage toute heure dujour. Mais si tu ne peux, si tu ne veux pas cela, alors recueille-toi... respecte tout effort loyal, toute activit modeste qui secache humblement et, surtout tmoigne la femme un peuplus de respect.

    S. KIERKEGAARD, L'alternat ive (tr. fr. P.H. Tasseau, p. 183).

    Jean-Luc MARIONpage 2 ............................................................................................Leprsent de l'homme

    Pro blma tiq ue

    France QURpage 10 ........................................................................................... Les femmes desvangiles

    Claudie LAVAUDpage 17 ...............................................................Lediffrend de l'homme et de la femme

    Hans-Urs von BALTHASAR.page 24 .................................................................................De la hautedignit de la femme

    Intgr atio n __________________________________________________

    Marguerite LNApage 31 ......................................................................................... Del'ducation des fillesBernard IBALpage 40 ............................... ........................... ........................... .. L'lection symbolique

    Georges CHANTRAINE, s.j.page 45 .......................................La femme sansl'Esprit : un aspect de la pense de Luther

    At testa t ion s _________________________________________________

    Ysabel de ANDIApage 57 ............................................................................................Encore lemystre d've

    Dom Jean LECLERCQ, o.s.b.page 64 .........................................La femmedans la thologie monastique au Moyen Age

    John A.T. ROBINSONpage 71 Dieuest aussi bien

    notre mre que notrepre Julienne de Norwich

    Dominique POIROT, o.c.d.page 77 .......................... ............................ ........................... ............ L'union avec Dieu

    Signet ______________________________________________________

    Jean-Yves LACOSTEpage 83 ........................................ ........................... ........... L'altration : l'autre histoire

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    Commun io, nVI I , 4juillet-aot 1982 Le prsent de l'homme

    ean-Luc MARION

    Le prsent de l'homme

    La fminit de la femme devient une question,difficile et menaante, parce qu'elle nous laisse devinerque, pour aimer, il faut beaucoup plus que le bon usagede la diffrence sexuelle. En ce sens, la femme n'offreas l'avenir de l'homme, mais son prsent.

    LAAISSONS prsent l'ternel fminin. Et constatons qu' l'vidence,pr en dr e la pa ro le qua nt la fe mm e n' a ri en d' ai s , ni m me delgitime. Cette difficult a plusieurs motifs. Nous en recensons dumoins facilement certains.Contradictions

    Et d'abord, pourquoi consacrer une rflexion la femme ? Sansdoute parce qu'on la dcouvre irrductible l'homme, vir. Maisjustement, etsans prjuger en rien de la nature de cet irrductible fminin, pourquoipostuler que l'tranget voire l'aberration revienne l'un seulementdes deux termes de la possible comparaison, la femme ? Pourquoi ne pass'interroger sur la spcificit du mle, cas finalement fort problmatique (luiaussi) de l'espce humaine ? Pourquoi, en un mot, le neutre (suppos) homme s'offre-t-il discussion propos de fminit, et, comme par

    hasard, pas propos de la masculinit ? La rponse s'impose, grossire maisinvitable : parce que le mle confisque d'emble et dfinitivementl'apparente neutralit de l' homme , en sorte que la fminit apparatcomme variation ou altration du modle unique de rfrence, l' homme comme mle. L'intrt pour la femme devient l'indice, violemmentrevendicatif (de la part des femmes) ou/et de commisration coupable (de lapart des mles), d'une marg inal isat ion tho rique et radi cale de lafminit, toujours en charge de justifier son appartenance l'humanit.Humanit videmment comprise par avance partir des accidents essentiels(et douteux) du mle (puissance conomique, autonomie juridique,libertinage amoureux, etc.). Ainsi, consacrer une publication la femme

    navet (au second degr, car se prtendant critique) que d'ignorer cettemme femme, rige en problme .

    Cette ambigut fondamentale se redouble dangereusement dans le cas ole travail de rflexion sur la femme s'inscrit dans une entreprisethologique. Point n'est besoin ici d'insister, tant les exemples de fminismeclrical, pratique et thorique, ont, montr leurs limites et leurs sous-entendus. Relevons seulement les vidences. La promotion de la femmedans l'glise intervient moins au bnfice de la femme (dont le concept, leplus souvent, se trouve ou pass sous silence, ou repris des thses couranteset sommaires de l'environnement culturel) qu'au service d'une stratgied'ensemble dans le dbat ecclsial : nommment, la question du ministreordonn et, corrlativement, du clibat sacerdotal dans l'glise latine. Enapparence, la revendication vise tablir l'galit entre les sexes devant lesacerdoce ; ce qui, dj, suppose plusieurs thses fort peu fministes :que le sacerdoce doive s'entendre comme un pouvoir (sinon, pourquoi lerevendiquer ?) ; que le pouvoir en soi constitue un bien ; que les femmes ensont prives dans l'glise et qu'elles demeurent des chrtiens de secondrang, faute de ce pouvoir, etc. toutes thses qui sacralisent le pouvoircomme l'essence de l' homme ( mme chrtien !), partir d'un point devue typiquement mle. En fait, dans cette revendication, la cause desfemmes se trouve mise au service, la plupart du temps, d'une lutte entre

    mles pour le pouvoir et d'abord le pouvoir thorique dans l'glise ;la femme devient le cheval de Troie pour la refonte radicale des ministreset particulirement du sacerdoce ordonn. Elle permet en effet, en faisantsauter le verrou du clibat consacr, de substituer une ecclsiologie uneautre ecclsiologie, ou plutt une interprtation sociologique du mystre(marial) de l'glise. De mme que, dans la socit civile, le trop fameuxdroit au travail a permis au capitalisme d'augmenter le march de laconsommation en n'augmentant pas la masse salariale en proportion, tout demme, dans la socit ecclsiale, la bruyante revendication du droit ausacerdoce permet certains groupes de pression d'imposer, pour desmotifs d'apparence spirituels, l'autorit comme un pouvoir conquis par despartis en lutte dans l'glise, aux lieu et place de l'autorit exerce comme

    n service, parce que reue comme un charisme.

    Faut-il, dcidment, persister parler, en mle et en un lieu qui se veutthologique, de la femme ? S'en abstenir pourtant parait presque aussidangereux que de s'y risquer. Mon silence comme ma parole relventgalement d'un mle, qui, au moment mme o il exhibe son embarras ici, maintenant prpare et le lecteur attend avec un amusementennuy le tour de passe-passe conceptuel qui lui permettra de terminerheureusement son liminaire et de dispenser les auteurs suivants d'affronterles questions embarrassantes. Bien entendu, je vais tenter de retourner lasituation pour ouvrir nouveau le chemin. Mais non : la ruse duraisonnement consistera, pour une fois, nepas ruser. De fait, jamais je nepourrai faire abstraction de mon statut de mle parlant de la femme, et qui

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    Jean-Luc Marion Le prsent de l ' homme

    plus est, thologiquement. Prtendre le faire accroire, ce serait prcismentruser, lamentablement dissimuler le mle sous l'apparente neutralit del'homme. L'impasse reste totale : toujours, d'un sexe l'autre, le discoursdevient un mode du pouvoir, o le mle gagne quand il gagne, mais aussi voire surtoutquand il perd.

    La logique du dsir

    Il reste pourtant une question : pourquoi la diffrence des sexespar vie nt -el le ain si occ ult er le dis cou rs et son all er -re tou r ori gin el(dialogue, si l'on peut risquer ce mot cul) ? Rponse provisoire : parceque, pour nous tous, la fin du XXe sicle dans les socits dites post-industrielles, la diffrence sexuelle a acquis le statut thorique non d'unediffrence parmi d'autres, mais de premire diffrence anthropologique.Nous n'avons pas, depuis la Traumdeutung, dcouvert la diffrence dessexes ni leur bon usage ; nous avons appris en faire une logique, et nonseulement une logique rigoureusement interprtable (rsultant d'unepratique hermneutique : la psychanalyse), mais surtout une logiqueinterprtative, qui exerce son empire sur un domaine sans cesse grandissant.No us n' av on s pa s ta nt li b r le d si r qu e no us n' av on s en tr ep ri sd'interprter l'espace anthropologique partir du dsir.

    Ainsi s'organisent en termes de dsir l'rotisme, la sduction, maisaussi la consommation, la publicit, le temps libre , les luttes de pouvoir,les ambitions de production, etc. Le monde, conscient ou non, se structurecomme un langage, et un langage o ne parle que le dsir. Soit l'un desvisages, parmi d'autres, du nihilisme au sens proprement nietzschen,d'un exercice de la Wille zur Macht rduisant le monde ses valuations.Notre tem ps ne se car act ri se ni par la soi f de jouissa nce, ni pa r ledbridement de la sexualit, ni par l'mancipation de la femme, mais parl'interprtation en stricts et implacables termes de dsir de la femme, de lasexualit, et la jouissance comme du reste. La femme : ce terme veutdonc dire le premier objet du dsir pour le mle. L'homme (vir), en retour,veut dire le premier objet du dsir pour la femme. L'homme est objet pourla femme, la femme est objet pour l'homme. Le discours de l'un /surl'autre se rsume au pur exercice d'un pouvoir qui rduit ce qu'on nommesi bien le partenaire (sexuel ou non, toujours interchangeable) un objetde sduction. Dans la logique du dsir, entre mle et femme, le discours n'aqu'un but : dterminer qui des deux deviendra l'objet de l'autre ; il n'aqu'une modalit : la sduction, discours de force reconnu par les deuxpartenaires comme tel ; il n'a enfin qu'une satisfaction : non la jouissance,mais la matrise, et moins la matrise de l'autre que la confirmation de sonpropre pouvoir toujours menac et donc condamn la rptition.

    Parler de/ la femme, pour moi, ici, comme pour tout lecteur ou toutelectrice consiste sduirecar nous ignorons toute autre modalit d'un tel

    discours. Nous ne savons que sduire. La sduction ne se rsume point enquelque captatio benevolentiae, ni mme dans l'entreprise de prouver leprogressisme des pages qui suivent, ni surtout de gagner l'amiti de telou tel destinataire inconnu sauf de l 'auteur. Sduire, ici, marquel'impossibilit o nous place la logique nihiliste du dsir d'atteindrel'autre sexe, sinon comme un objet , bref d'accder l'autre autrementque comme et par un sexe.

    La sduction trompe

    Ds lors, les difficults initiales reoivent d'une nouvelle lumire unnouvel enjeu. La question ne se banalise pas dans le simple soupon que c'est encore un homme qui va parler de la dignit de la femme pour mieuxla maintenir en tat de sujtion . Elle devient infiniment plus grave,puisqu'elle demande : la logique du dsir interdit-elle absolument d'accder l'autre sinon par son sexe ? Nous sommes soumis au rgne de fer de ladiffrence sexuelle devenue premire et universelle. Rien ne la prcde nine lui chappe. Tout et d'abord a un sexe. Cette dtermination, aussiintangible et invitable qu'elle se donne, doit pourtant se mettreen cause.

    Et d'abord par l'exprience cruellement commune de la sduction, quemarque une contradiction vidente. Par hypothse, elle donne accs la

    dtermination premire et universelle de l'autre ( objet , sexe) ; et lesprestiges de l'rotisme (le plaisir, la facticit indicible de l'immdiat,l'attachement instinctif, etc.) ne cessent de le confirmer. Or, paralllement l'accomplissement indiscutablement rel de la sduction, s'insinuel'vidence aussi indiscutable de la tromperie, soit de la trahison charnelle,soit, plus dangereusement, la dcouverte que je puis sduire (et jouir)parfaitement sans pourtant me donner, ni me dcouvrir, ni mme me dire.Notons que cette contradiction ne suppose pas que la sduction elle-mmemente ou dfaille ; au contraire, c'est l'accomplissement mme de lasduction (le bonheur , comme l'on dit) qui creuse l'espace insouponnde la trahison. Au moment mme de la plus parfaite communicationpossible sous le rgime de la sduction, je sais que ce regard qui me regardene me regarde pas, puisque moi-mme je sais ne pas concider avec mon

    propre regard en cet unique instant. Quand culmine la sduction, ceux quideviennent objets l'un pour l'autre (dans le meilleur des cas) saventqu'ils peuvent encore s'absenter se dissimuler derrire l'videnceouverte de leurs regards troubls.

    Que signifie cette tromperie ? Non certes que ncessairement l'un desamants trahit l'autre, puisqu'au contraire elle affecte surtout ceux quiprtendent et veulent s'aimer. La tromperie rsulte ici de la sduction, qui,se prtendant premire en vertu de la primaut de la diffrence sexuelle,choue ouvrir l 'accs de l 'un l 'autre. La sduction conduitncessairement la tromperie, non d'un amantpar l'autre, mais des deux

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    Jean-LucMarion Le prsent de l'homme

    amants par la logique du dsir. Ils ont cru pouvoir s'atteindre eux-mmes(respectivement par l'autre, rciproquement l'un l'autre), selon la seulelogique du dsir, et dcouvrent, l'instant mme o le dsir s'accomplit,qu'ils demeurent dcidment seuls atomiss par le plaisir, atomes,idiots. La plus belle sduction du monde ne peut donner que ce qu'elle a et rien de plus.

    Ainsi se dcouvre que nul dsir ne suffit pour accder l'autre. Mieux,que si j'accde l'autre, ce ne sera point en tant que je le dsire, ni en tantqu'il me dsire. Aimer une femme signifierait-il, pour un homme, l'aimercomme n'tant pas une femme ? Aimer un .homme signifierait-il, pour unefemme, l'aimer comme n'tant pas un mle ? Provisoirement, admettonsseulement une banalit, pourtant dj paradoxale et difficile : aimer l'autreimpose de ne pas le dterminer, en dernire instance, par et comme sexe.Ce que le sexe manifeste de l'autre tient justement en ceci : l'autre, commesexe rencontr, se drobe, il se dissimule et se retire tant que je l'aborde etqu'il se livre dans la diffrence sexuelle.,

    La personne en son masque

    La dissimulation de l'autre la sduction, sa drobade dans l'offrandesexuelle elle-mme, sa disparition dans sa complaisance d' objet livrentl'indice que la diffrence sexuelle ne peut accomplir ce qu'elle prtend dansla logique du dsir : livrer le fond de l'altrit, dlivrer le visage ultime dumonde. Ce qui rend d'ailleurs sinistrement risible le projet mme . d'unelibration par le sexe, et drisoirement blasphmatoire les tiradeshonteusement pieuses de certain personnel ecclsial sur l'rotisme comme langage de l'amour et panouissement de la communication (ou pire :de la personne). Mais ne nous attardons pas l'inessentiel.

    La sduction nonce donc une promesse qu'elle ne tient pas toutcomme la femme selon Claudel, qui savait de quoi il parlait (1). Quellepromesse, en creux, se dit dans la tromperie ? Que la personne ne s'atteintpas dans la nature, mais travers elle. Nous entendons ces termes en leuracception prcisment thologique et trinitaire (et particulirement au sensque leur a dfinitivement forg Maxime le Confesseur) (2). La diffrence

    sexuelle, comme la sduction et la logique du dsir, nous dtermine de faitet par nature. De fa it , ca r je n'ai pas choisi mon sexe et la guerreinterprtative dont nous parlions m'enrle comme une guerre capitaliste enrle censment les proltaires en un combat qui n'est pas le leur.Par

    (1)Sur ce point, voir C. Marion, . La femme ou la ruse de Dieu d'aprs Claudel .,RevueCatholique Internationale Communio, III, 1, janvier 1978, p. 45-57.(2)Voir notre article . Les deux volonts du Christ selon Maxime le Confesseur .,

    Rs urr ec ti on, n 41, Paris, 1972, p. 48-66 et surtout J.-M. Garrigues, Max ime leConfesseur : La charit avenir divin de l'homme, Paris, 1976.

    nature, car ma finitude constitutive implique que j 'ai un sexe,indpendamment mme de la ncessit de la reproduction. Mais ce sexe,que j'ai, il ne m'a pas ; je l'ai, mais je ne le suis pas. Si je prtends l'tre le fantasme de la love machine, de la courtisane absolue, etc.justementil faut que je renonce moi comme tel : love machine implique machine,donc animal-machine (Descartes anctre, bien sr, de Sade, et Sadethoricien du machinisme). Si je veux me dire, si je veux me faire entendre,il me faut plus qu'un sexe ; l'initiatrice sexuelle autre fantasme ne

    peut pas m'initier moi-mme ; elle ne m'initie pas non plus elle-mme.Ou plutt, nous nous initions sexuellement : le sexe ne nous sert que deprlude. A quoi ? A la personne. J'accderai mieux ma personne, ou uneautre personne en rencontrant une femme que j'aime et qui me trahisse, ouinversement qui m'aime et que je trahisse : dans ce noeud de misress'ouvre, lamentable et superbe, l'abme jamais combl et reconnu de lapersonne.

    Personne, persona, n'admet, comme on sait, que deux sens prcis : lemasque de thtre et les intervenants de la Trinit (en soi ou dansl' conomie du Verbe). Dans tous les cas, la personne marque un cartessentiel avec la nature. L'acteur revt un masque pour que sa nature serve

    n autre caractre (parlons ici anglais) que le sien empirique (SarahBernhardt prend la persona de l'Aiglon, quoique sans masque). Et c'est par

    cet cart que l'acteur devient non pas trompeur mais, mot mot, plus vraique nature , tant il est vrai qu'il manque beaucoup la nature pouratteindre au vrai (Aristote).

    Analogiquement (donc rellement), le Verbe conjugue deux natures enne seule pe rsona : le refus ou la foi se dcident, son encontre,niquement en la possibilit d'admettre la divinit conjointe l'humanit

    dans un unique suppt, donc de reconnatre la transcendance absolue de lapersonne sur l nat ure . La Tr ini t ne fu t si longue s' imp oser laconscience raisonnante (toujours en retrait sur la conscience croyante,comme il convient), qu'autant qu'il fallait admettre que Dieu outrepassttriplement sa propre deitas ; car toute dit constitue non un abme plusdivin que Dieu, mais une rgression spculative (malgr Eckhart etHeidegger). En effet, si Dieu est agap , alors il ne peut se dire en termesde nature ; la nature divine intervient comme une approximation provisoirepour entrevoir le jeu plus secret et plus blouissant des personnes ; seulesdes personnes (s') aiment, seule la personne est digne d'amour, et l'amourexige rien moins que la personne. Pourquoi ? Parce que, par dfinition(Boce, Thomas d'Aquin), la personne atteint la singularit, cettesingularit que la mtaphysique reconnat comme essentiellement inconnais-sable (Aristote, Duns Scot, Leibniz) du point de vue de l'universalit duconceptde la nature.

    La sduction trompe les amants en prtendant les livrer l'un l'autrecomme irrductiblement singuliers, tandis que, s'rigeant en diffrence

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    ean-Luc Marion Le prsent de l'homme

    sexuelle premire parce qu'universelle, elle ne tire sa rigueur que de soninscription dans la nature et comme nature. Une nature jamais n'abolira unepersonne, une extase rotique n'investira jamais une personne. Autrementdit, la logique du dsir ne peut mettre e n sc ne les amant s que sous unmasque, celui de la nature : masque de thtre qui leur masque leurspersonnes. Persona thtrale cette fois-ci contre la personne thologique.Oter unepersona pour donner aimer une personne , admettre en untout autre sens que les approximations sartriennes que l'homme n'a pasde nature, mais une personne. Or la personne, personne ne peut la donnerque celui qui seul nous l'a rvle : le Christ. S'aimer dans le Christ : non

    ne mtaphore pieusement douteuse, mais la rgle thologique del'rotisme. Autrement dit, seul celui qui entreprend de crucifier son erspeut accder, ici et maintenant, l'ers divin (3).

    L'me de l'homme

    De la femme, nous ne nous sommes pas loigns. Au contraire, nous enapprochons. Nous comprenons d'abord pourquoi la question moderne de la femme conduit une impasse infinie : mal pose, elle suppose connusnon seulement la femme, mais le rapport des sexes. En la dconstruisant,nous accdons une question autre, qui ne concerne pas moins le mle quela femme : celle de l'cart entre toute dtermination naturelle et la

    singularit de la personne ; cet cart reconduit la solitude et la communion,depuis la copulation jusqu' l'irrductibilit trinitaire. On peut, videm-ment, se scandaliser du raccourci, par pudibonderie ou, plus probablement,par haine du sublime et mfiance devant une rcu prat ion . Mais leconcept a ses exigences, qui mnent parfois plus loin que nous ne lesouhaiterions.

    La diffrence sexuelle admet donc un prlude et une coulisse sa mise enscne. Elle prsuppose (et d'ailleurs msuse de) la distance des personnes.Cette distance, qui s'exemplifie dans la Trinit, nous en faisons l'exprienced'abord en une autre diffrence : la cration, qui vaut comme sparation,nous institue en personnes irrductibles, parce qu'elle nous spare de Dieuen nous faisant porter, en cette sparation, l'image et la ressemblance mmede Dieu. Quelle image peut rsulter d'une sparation ? Nulle autre,

    ustement que la sparation mme : Dieu, nous sparant de lui et du monde,nous donne nous-mmes comme aussi spars, distincts, irrductibles,

    ref aussi personnels que lui. Il nous cre non comme nature(s), maiscomme personnes.

    Or, cette instauration de la distance par la diffrence des personnes, Dieul'accomplit en y fichant aussi et en sus la diffrence sexuelle. Homme et

    (3) La clbre formule d'Ignace d'Antioche : Mon ers est crucifi (Aux Romains, 1)doit s'entendre en rapport non contradictoire avec I' ers extatique divin de Denys (Noms

    Divins, IV, 13, cf. PG 3, 712 a, et IV, 10, 708 b ;IV, 12, 709 c, etc.).

    femme, il les cra . La diffrence des sexes (nature) ne nous dterminequ'au sein de la diffrence des personnes. Reconduire celle-l celle-ci,dans le parcours de l'unique distance, dfinit le site de la femme et du mle.La femme, certes, a une me. Mais elle n'y accde pleinement qu'aumoment o elle la donne l'homme parce qu'alors, l'homme nonseulement lui donne, en retour, son me, mais, pour la premire fois,comprend que, mme lui, en a une. Ce qu'changent l'homme et la femmen'appartient ni la nature, ni au corps, ni au dsir, mais l'me qui use de

    tout et transgresse tout. La femmeprsent de l'homme, ad aeternum.Jean-Luc MARION

    Jean-Luc Marion, n en 1946. Ecole Normale Suprieure en 1967, agrgation en 1971 etdoctorat d'Etat de philosophie en 1980. Professeur l'Universit de Poitiers. Co-fondateurde l'dition de Communio en franais. A publi : Sur l'ontologie grise de Descartes, Vrin,Paris, 1975 ;L'idole et la distance , Grasset, Paris, 1977 ; Ren Des cartes. Rgles utiles etclaires...,Nijhoff, La Haye, 1977 ; Sur la thologie blanche de Descartes, P.U.F., Paris,1981. A paratre : Dieu sans l'tre , coll. Communio , Fayard, Paris, 1982. Mari, deuxenfants.

    Dans Le Courrier de COMMUNIO (sup plmen t h la revu e, quatr enu mro s p ar an ) :

    l'an alys e des let tres de lec teu rs r eues la rdac tio n ;des information s sur les groupes de lecteurs et sur les autresdi tio ns de Communio ;la publ icat ion prog ressive d'un Index thmatique de tous lesthme s ab or ds d ans la rev ue d epu is s es dbu ts en 1975.

    _Abonnement annuel : 35 FF, 260 FB, 10 S, 15 FS; autres pays : 40 FF.

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    Communi o, nVI I, 4 juill et-a ot 1982 Les femmes des vangiles

    France QUR

    Les femmes des vangiles

    Quel statut est reconnu aux femmes dans lesvangiles ? Au-del des modles habituels et rivauxd'interprtation, une vidence s'impose : leur privilgetient en ce qu'elles ont, avant les disciples, l'intelligenceet la foi l'intelligence de la foi.

    LES femmes des vangiles inspirent aujourd'hui des commentaires fortvaris, puisque l'on ne rvle pas moins de trois modles.Le premier,___ le plus ancien, voit dans les cratures rencontres par Jsus desmisrables, sans mrite personnel, qui, sauves par le Christ, illustrent ainsil'infinie compassion du Fils de Dieu. Les textes, il est vrai, prsententbeaucoup de dchances : prostitues, adultres, possdes ou malades (lesmaladies tant ressenties comme des maldictions, selon les mentalits del'poque). Mais la misogynie de cette srie de commentaires tient des raisonsmoins circonstancielles : elle perptue la vieille dfiance l'gard du fminin,issue des religions archaques, et laquelle le christianisme a fait fte dessicles durant. Elle sert aussi des buts apologtiques : plus mprisables serontces femmes, plus grande sera la misricorde du Christ qui pourvoit leurgurison et leur pardon. D'o ce double mouvement : d'une part, on insistesur les libralits extraordinaires du Christ qui pardonne la femme adultre,gurit l'hmorrosse, exauce la Cananenne, honore Marthe et Marie de sonamiti. De l'autre, on noircit la femme adultre, on en remet sur lesdbauches de la pcheresse de Luc, on vilipende la foi de l'hmorrosse,

    superstitieuse et faux jeton. En Marthe, on voit un tre versatile qui dcroit aprs avoir cru. Les inconnues qui rpandent une onction sur leChrist Bthanie agissent par inconscience et sans perspicacit thologique,quoi qu'en dise le Christ. Quant la Samaritaine, c'est une bavarde, uneignare, une frivole, une ruse et sa rputation est du reste bien tablie. LaCananenne est vulgaire et l'on s'merveille de l'humilit de Jsus qui se laisseaccompagner par des femmes ; un galant exgte prcise qu'il est leur gloire etqu'elles ne sont pas sa gloire. Bref, ces descriptions font admirablementcomprendre la rpression exerce par les Juifs l'gard des femmes etnotamment l'interdiction de frquenter les lieux publics. Elles ne sont en effet

    Le second modle, le plus rcent, soutenu par une gnrosit militante,s'ingnie dmontrer que la femme, au temps de Jsus, est une opprime etque le Sauveur est venu la dlivrer de sa servitude. Plus question de pch ici.S'il y a pch, il vient des mursd'une socit masculine. La femme estinnocente, comme toute victime. La prostitution, devant laquelle tantt on sevoilait la face, montre jusqu'o se portait l'esclavage fminin. Les personnesles plus honorables endurent du reste le mme mpris. Et l'on n'en fmit pasd'voquer la misrable condition de ces cratures qui ne disposent d'aucundroit, d'aucun rle politique ou religieux, que les hommes ne frquentent pas, qui ils n'adressent mme pas la parole, et qui sont relgues au fondd'appartements distincts, vaquant seulement aux soins de la vie. De tellesvocations font frissonner de piti. C'est le but cherch : ce scandale, commetout l'heure le pch, est destin exalter la grandeur du Messie.

    On s'merveille en effet de la hardiesse socio-politique de Jsus quibouscule les tabous, transgresse les habitudes les plus strictes. Avec un sensinn de la rvolution, Jsus parle la Samaritaine, devant les disciplesstupfaits, ce qui prouve le caractre inou de son initiative. On s'tonne qu'ilait daign visiter deux dames seules, Marthe et Marie ; on se rcrie de ce qu'ilse fait suivre par ces accompagnatrices : il les a donc libres de leur foyer, etfait descendre dans la rue, fait sans prcdent ! On admire qu'il ait touch,pour la gurir, la belle-mre de Pierre. Et comme l'vangile prcise qu'elles'est alors mise les servir , on conclut que, ce jour-l, le Christ a aboli lasgrgation qui se poursuivait jusque dans le domicile, homme et femme, dit-

    on, vivant spars et sans services mutuels.Avec deux mille ans d'avance mais que sont deux mille ans pourl'Eternel ? Jsus ralise tout ce que nous rclamons aujourd'hui, la fm desdiscriminations, l'galit des sexes, l'indpendance fminine, le libre choix desexistences. Bref, en plein Orient, Jsus occidentalise la femme. En pleineantiquit, il la traite comme l're atomique.

    Le troisime modle se situe entre les deux et l'emporte en frquenced'usage. On aperoit dans l'vangile la femme ternelle, avec ses charismesreprables chaque pisode : l'effacement, l'humilit, le don du service, larceptivit, l'amour, d'o l'importance accorde aux femmes de laRsurrection (importance qui n'est pas toute due la Rsurrection elle-mme). La femme alors n'attire plus que l'loge. Et pourquoi pas ? Marthesert, Marie coute ou parfume, les accompagnatrices, qui dcidmentaccompagnent tous les raisonneurs, pourvoient l'assistance de Jsus.Manifestation toute naturelle du gnie fminin. Aucune ne se rend coupabled'autorit, de violence, de dcision, et telle est la diffrence que l'vangiletablit entre les sexes : l'homme revient l'action, la femme le service. Maisque de mauvais esprits n'imaginent pas que l'Evangile perptue un ordreinjuste ! Les femmes sont du bon ct. La veuve l'obole s'oppose au jeunehomme riche, la pcheresse dispendieuse l'avare Simon, les femmes quisuivent Jsus au pied de la croix contrastent avec les disciples enfuis, et enfinleur rle n'est jamais si grand que le jour o elles coutent les messages del'ange et les rapportent aux disciples avec une obissance empresse.

    La diffrence entre les sexes n'est pas sise dans des rles sociaux, elles'enracine profondment dans les natures : les hommes raisonnent, typique-

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    ment pharisiens et disciples ; les femmes sentent et souffrent. On les voitpleurer, s'effrayer, compatir, se tourmenter. Elles vivent selon la chair, avecdes sentiments vif. Ce n'est pas une limite, ajoute-t-on avec feu, c'est unesupriorit ! Qui dira que la sensibilit ne l'emporte pas sur l'intelligence, quel'amour n'est pas la valeur suprme de la vie ? Or toute femme dansl'vangile prsente cette affinit liant sa nature au monde des sentiments etdes oblations.

    Ainsi le fminin s'idalise-t-il jusqu' incarner la belle conscience auprs dequi l'homme puise la sagesse et la vertu ! Anglique mission qui lve ce sexeau-dessus de l'autre ! Que de fois n'entend-on pas s'exclamer, chez ceux-lmmes qui refusent la femme toute autorit relle : la femme, l'gale del'homme ? Mais elle le dpasse ! Et l'on proclame la chose d'autant plus

    ravement que l'on sait trs bien o l'on veut en venir, protg que l'on estpar la majeure du syllogisme. L'infriorit dfinit la vraie supriorit. Lafemme dont la conscience se dmet devant autrui au lieu de le dominer,glcomme font souvent les mles volonts, accepte l'humilit ; elle fonde ainsisa oire minente. Il est vident quesi elle renonce au sacrifice de soi, elleperd toute valeur.

    La rflexion sur le sacerdoce est un cas particulier de cette thorie gnrale.Pas de femmes disciples dans l'vangile, mais des tres adonns au servicehumain. Si l'on veut rester fidle aux textes c'est--dire la volont divine,leur ministre se cantonnera au diaconat, la transmission de la foi, o lespousse aussi leur nature propre. L encore, elles ont la meilleure part et

    comprendraient bien mal l'esprit de leur vocation si elles venaient seplaindre.

    avoir mal lu l'Ancien Testament pour argumenter de la sorte. Les rencontresauprs des puits taient frquentes, la demande d'eau on ne peut plus banale.On voit des femmes, circuler dans les rues ou voyager ; elles avaient, dansleur vie quotidienne, sans les bons offices du Christ, une relativeindpendance dont l'vangile lui-mme tmoigne. Marie s'en va seule dans lehaut pays visiter sa cousine, la mme est invite Cana, indpendamment deson fils. Pierre change des paroles avec la servante de Caphe et ne fait pas encette occasion la preuve d'une particulire audace ! Quant la mixit

    familiale, c'est une ncessit dans les foyers pauvres qui ne disposent qued'une seule pice ! La gloire de Dieu n'a pas besoin de ces descriptions forcesd'une socit iniqueforces et parfaitement antismites.Non seulement la ralit historique est trahie, mais de telles visions

    contredisent les principes que l'on veut imposer : car ces femmes qui ontesoin de Jsus pour penser leur mancipation ne font pas des militantes bien

    muscles ! Il leur faut un homme pour vaincre la tutelle de l'homme. Sans leFils de Dieu, elles n'auraient donc eu accs ni l'indpendance ni la libertde conscience. Etrange estime du fminin.

    Mais ceux-l ne sont pas les seuls retirer la femme tout mrite propre,toute hardiesse individuelle. S'ils la croient trop opprime pour rflchir surelle-mme, les autres ne lui prtent gure plus d'initiative. Les uns la disenttrop mchante pour bien penser, les seconds la trouvent trop affaire auservice d'autrui pour s'lever la pense abstraite, trop bonne pour accderaux rigueurs de l'esprit critique et aux risques de conflits inhrents toutepense lib re. Ell es s'e xpr ime nt non dan s le rai son nem ent , mai s dan sl'effusion, dans les motions.

    CES diverses interprtations ne s'opposent qu'en apparence. Toutes troisconvergent vers une identique figure du fminin, qu'un mot uniquersume : la faiblesse. Notion multiple en vrit que celle-ci ! Tantt ellesignifie l'impuissance d'un tre cras par l'exploitation d'une classe, virile enl'occurrence, et la rduction l'tat de victime ; tantt elle implique le pch,par incapacit rsister la tentation et dsigne une faiblesse d'ordre moral ;tantt la faiblesse est apprhende sous son aspect heureux de non-violence.Prive des pouvoirs qui sont de mauvais conseillers, elle se dploie dans ladouceur, la paix, la bont et devient un instrument efficace de salut. Et telle

    est bien, au cours de l'histoire, l'image varie et unique de la femme : undmon, un ange, une victime.

    Ces prsupposs constants, toujours antrieurs la lecture des textes,altrent quelque peu l'objectivit de l'examen. Celui qui, par exemple, fait deJsus un mancipateur de femmes, est bien oblig de prsenter de la conditionfminine un tableau outrancier pour que Jsus semble avoir rellement oprdes actes inous. Il explique donc que les femmes taient claustres, etinterdites de conversation avec les hommes. Ds lors, l'entretien avec laSamaritaine prend une porte rvolutionnaire, ainsi que le cortge fminin deJsus, ou mme la belle-mre qui donne la preuve, en servant Jsus, dumiracle de la mixit introduite ce jour-l dans les foyers juifs ! Il faut vraiment

    REGARDONS la premire catgorie. Vile est la femme, et sublime laont du Christ, par contraste. Mais o voit-on qu'il pardonne la

    femme adul t re ? De que l d ro i t se permet -on d ' a jou te r samisricorde, au point de la rendre informe et insignifiante ? Justement, le motde pardon n'est pas prononc. Prcis, Jsus dit qu'il ne la condamne pas (c'est--dire, dans ce cas, qu'il n'excutera pas la sentence de la lapidation) et il lacongdie avec ordre de ne plus pcher. Mais de pardon, point. A-t-onremarqu qu'elle ne l'a pas demand et que son octroi indiquerait une grce

    molle prnant l'irresponsabilit du pcheur ?L'hmorrosse, il ne la gurit pas. Elle lui subtilise sa force et s'administre

    elle-mme la gurison, son insu. Il aurait pu, bien sr, s'irriter de ce larcin,et svir. Or s'il la renvoie avec des paroles de paix et des loges, c'estustement parce qu'il n'y a pas de faute en elle, mais au contraire une foi

    suprieure qui tranche sur l'incrdulit des foules ou mme sur la foi de Jare,moindre que la sienne. Quant la Cananenne, il l'exauce, il est vrai, maisselon quelle procdure ! La femme a insist avec opinitret et lui arrachel'exaucement en le prenant au jeu d'une logique imparable qui produit cerevirement imprvu, unique dans les vangiles, et accompagn d'un long crid'admiration. Car ces femmes font preuve d'une foi lucide, capable de percerle secret messianique. Le mrite de l'hmorrosse est d'avoir cru que la grce

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    France Qur Les femmes des vangiles

    du Christ la gurirait sans qu'il ait besoin de le savoir, et en vertu d'un infimecontact : Jaire avit pri le Christ de venir et d'imposer les mains . Lafemme n'a pas mme touch le corps du Christ, mais seulement effleur lesfranges rituelles de son manteau. La Cananenne a cru en la grce lors mmequ'un Christ dur et sectaire la lui refusait avec mpris. Derrire ce Juif excd,elle a peru la figure de l'universelle misricorde.

    Considrons maintenant ceux qui observent dans l'vangile le charisme dudvouement fminin, tir du modle conjugal ou maternel. Il faut d'abord voir

    ce que ce service doit un usage historiquement dat, dont il apparat pour lemoins imprudent de faire prescription ternelle, comme si la figure duRoyaume devait ressembler la Jude du premier sicle, ou comme s'il fallaitl'imputer un besoin de la nature fminine. Mieux vaut regarder de prs lesractions de Jsus ce service : on ne voit pas un mot d'approbation. Il envoiepromener les devoirs familiaux, s'irrite contre la trop zle Marthe et abrgeles marques de tendresse que lui dispense Marie de Magdala. S'il supportel'onction, c'est pour de toutes autres raisons que celles de l'affection !

    Il n'a jamais un mot sur la fminit, et en particulier sur cette grossireassimilation de la psychologie la sexualit qui explique rgulirement toutel'essence fminine : Tota mulier in utero , comme chacun sait. Notons desurcrot que cette reprsentation de la sexualit est entache d'erreur. Ladcouverte de l'ovulation au sicle dernier n'a pas encore fait justice de cesconceptions qui imputaient l'activit l'homme seul, la femme ne faisant querecevoir la semence. Transfrant le phnomne en psychologie, on prtait l'homme le gnie crateur, la femme n'tant que l'inspiratrice, oul'ducatrice ; d'originalit propre, point.

    Enfin, il conviendrait, avant de les rduire d'inoffensives caractristiques et de mivres activits, de regarder objectivement les femmes que nousprsentent les textes. Pour les trouver humbles et passives, il faut vraiment seforcer. Marthe hberge Jsus, mais avec une humeur acaritre. LaCananenne est ttue et bruyante, et c'est un redoutable debater . Lapcheresse est hardie, l'hmorrosse ruse. Plusieurs se signalent par des actesaudacieux, et une foi aigu qui, selon les propres paroles du Christ,collaborent autant au salut que la misricorde qu'il dploie, et qui est le plussouvent rponse cette foi. D'autres, plus singulirement encore,. reconnais-sent Jsus comme il veut tre reconnu, avec plus d'acuit et de justesse que lafoule et les groupes savants ou sacerdotaux. On les voit aussi devancer lespropres disciples, non seulement dans l'annonce de la Rsurrection, o elles

    ne font qu'obir aux consignes, mais dans des scnes d'trange anticipation,o, devant un public blas ou hostile, elles prophtisent, solitaires, lesvnements de la Passion et de la Rsurrection.

    Les scnes des quatre onctions, les entretiens avec la Samaritaine et avecMarthe, l'inaction de Marie aux pieds de Jsus et mme les prires del'hmorrosse et de la Cananenne reprsentent des intuitions si fulgurantesde la messianit du Christ qu'elles suscitent toutes des ractions d'incompr-hension. Les disciples rudoient les inconnues qui versent le parfum,s'tonnent de ce que Jsus parle avec une femme, Marthe s'irrite contre Maried'couter le Messie plutt que de servir leur ami Jsus. A la rsurrection deLazare, Marthe n'vite le scandale qu'en entretenant habilement devant sa

    soeur et devant les juifs les apparences du deuil, qui mneront ces gens, sanscomprendre, jusqu'au lieu du miracle. Toutes ces femmes sont leves au-dessus des capacits communes de l'assistance, parfaitement distance.

    QU'annoncent-elles donc ? La foi, tout simplement, sous forme de Credo. Lesonctions de Bthanie, chez Matthieu et Marc, pro cla men t tro isarticles : Jsus y est reconnu comme roi, prophte ou messie, parcette huile rpandue, selon le rite juif, sur la tte. Mais c'est aussi un rited'ensevelissement, comme Jsus le rappelle ses disciples tonns, qui ilvenait pourtant d'annoncer l'imminence de sa mort. Enfin la Rsurrectionapparat allusivement dans ce geste qui, seul d'entre tous les rites funbres, nepourra pas s'accomplir, parce qu'au moment o les femmes apporteront lesaromates, le corps du Christ aura disparu. L'onction ne peut donc s'effectuerque sur la personne d'un vivant. Et Jean n'omet pas de lier l'pisode duparfum l'allgresse d'une fte : Et toute la maison s'emplit de la bonneodeur . Le Messie, le supplici, le Ressuscit, telle est la triple annonceeffectue par les femmes de Bthanie.

    A ces tmoignages de foi produits par ces gestes symboliques, il fautajouter les formules de Credo, livres en claires paroles. Plusieurs, dansl'entourage de Jsus, ont reconnu en lui le fils de Dieu et l'ont exprim :

    Mon Seigneur et mon Dieu , de Thomas ; Tu es le Christ, le fils du Dieuvivant , de Pierre ; Il est vritablement le sauveur du monde , desSamaritains, et au commencement du ministre ; Tu es le fils de Dieu, tu esroi d'Isral , de Nathanal. Les dmons aussi ont la vue perante : Tu es lesaint de Dieu, tu es le fils de Dieu . Ceux qui prononcent ces vrits de foisont des intimes qui accompagnent Jsus, tels les disciples, ou bien des gensdj vangliss, comme les Samaritains, ou bien des tres qui participentquelque peu la surnaturalit de Jsus, comme les dmons. Or deux femmesproduisent de semblables confessions de foi. L'une, Marthe, est sans doute

    ne amie de Jsus, mais elle ne le suit pas dans ses voyages. L'autre est uneinconnue et une trangre, la Samaritaine. Celle-ci lance la formule sousforme interrogative : Ne serait-ce pas le Christ ? Mais auparavant, elle alanc les vritables noms : Je sais que le Messie, c'est--dire le Christ doitvenir . Cependant, la formule d'identification la plus complte est due Marthe qui confesse en une dense et trinitaire parole la substance de la foinouvelle : Tu es le Christ, le fils de Dieu, celui qui devait venir en cemonde lection, filiation, incarnation. Il n'y a pas dans l'vangiled'nonc plus juste et plus total de la foi.

    Enfin, il faudrait nuancer une certaine image de Marie, humble et soumise,dont le mrite tiendrait en un silencieux consentement. Si Luc ou Matthieuaccrditent une telle reprsentation, il n'en va pas de mme chez Marc, o lamre du Sauveur est en Conflit dclar avec son fils, et surtout chez Jean, oMarie, aux noces de Cana, semble incarner auprs de son fils la tragiquevolont de Dieu. Elle l'engage dans son ministre, et l'envoie subvenir lamisre humaine, qui le conduira la mort, et tous deux le savent bien.Comment comprendre autrement ce ils n'ont plus de vin , phrase

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    Les femmes des vangiles Communio, nVI I , 4juillet-aot 1982

    apparemment anodine, Jsus n'ayant pas de responsabilit personnelle danscette carence, mais dont il entend fort bien le symbole sanglant : dans unfrisson, il rpond avec la formule que l'vangile n'a prte qu'aux dmons aumoment o la force irrsistible du Seigneur les arrache leur quitude. Marieanticipe tous les vnements ultrieurs et en un sens elle les provoque. Elle aenfant Jsus ; prsent, elle enfante le Christ.

    ON pourrait sans doute se demander d'o provient ce charismedynamique et prophtique, si peu semblable ceux ordinairementattribus aux femmes, de quelle conception il mane, quel but ilpoursuit. Peut-tre n'y a-t-il pas lieu de trop s'interroger. La rponse estdpourvue de mystre. La dynamique vanglique est, ici comme ailleurs,celle du Magnificat ou des batitudes. Le petit est exalt, le grand abaiss. Legrand, c'est le pharisien qui jouit du prestige, des pouvoirs, des certitudes : tout coup, il est confondu. Le petit, c'est l'tranger, l'ignorant, le pauvre, lafemme, tous ceux qui ont la conscience libre parce que le monde ne les a pastromps avec ses chimres, faute de les enchaner, ses honneurs, ses biensmatriels, ses savoirs. Et ces gens-l, parce qu'ils ont le privilge dudnuement, portent haut leur me simple et sont tout naturellement lespremiers tmoins de la foi. L'minente place des femmes ne s'explique peut-trepas autrement.

    France QUR

    France Qur, marie, trois enfants. Ecrivain, journaliste et confrencire. Collabore FranceCatholique-Ecclesia, La Croix, Rforme. Ouvrages publis : traduction et prsentation de textesatristiques (avec le P.A. Hamman) dans la collection Lettres Chrtiennes (7 vol.), Ictys,

    Grasset-Centurion, Paris, 1962-1970 ; Le dnuement de l'esprance, Seuil, Paris, 1972 ; Laemme avenir, ibid., 1976 ; La foi peut-elle se transmettre ? Cerf, Paris, 1978 ; Au fil de l'autre,

    Seuil, Paris, 1979 ; Les pres apostoliques, coll. Point-Sagesse , ibid., 1980 ; Les femmes dansl'vangile, ibid., 1982.

    Claudie LAVAUD

    Le diffrend

    de l'homme et de la femme

    Parce que la diffrence entre l'homme et la femme nese rduit pas la diffrence sexuelle de la nature, maisimplique tout le rapport des personnes, elle devient lelieu et le moyen de la rvlation mme de Dieu.

    I. LE STATUT DE LA DIFFRENCE SEXUELLE :

    DE L'ANTHROPOLOGIE A LA THOLOGIE DE LA CRATIONLes donnes naturelles ne suffisent pas rendre compte de la diffrence

    sexuelle. La diffrence biologique ne saurait fonder la diffrence des statutsrespectifs de l'homme et de la femme. La physiologie n'est pas principenormatif de l'existence. En fait, le recours au concept de nature a un doubleniveau de signification : il renvoie tout d'abord la nature comme systme delois rgies par le principe de causalit, et voque le dterminisme ; mais il estaussi suspect de nostalgies ractives ou de prtentions totalitaires : larfrence la nature est trop souvent prtexte la fixation dfinitive ducomportement et du statut dans une sorte de loi immuable et sacre, alibi detoutes les alinations, et s'inflchissant terme dans une rgressionarchaque. Tel est le destin de toute archologie qui ne viserait pas seconvertir en eschatologie, de tout recours l'origine qui n'ouvrirait pas aussisur un avenir neuf. Au contraire, une thologie de la cration relit lanaissance du monde comme commencement absolu d'un avenir ouvert. La

    cration est une parole, un projet, un souhait, qui inaugure le temps, non unsystme clos.

    Pourquoi la diffrence sexuelle ne vaut-elle pas au seul niveau de ladtermination naturelle ? Il y a certes une diffrence de nature entre l'homme etla femme, mais ce n'est pas une diffrence d'espce ; c'est une diffrenceinterne la nature, l'espce : la diffrence sexuelle est signe de l'altrit, non dela diffrenciation gnrique ; elle exprime dans l'ordre de la nature une al tri toriginaire, condition de la diffrenciation du vivant en genres et espces.La diffrence sexuelle est dans la nature signe de l'autre circulant au curdumme, condition du devenir, et du dploiement de la nature elle- mme.

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    Claudie Lavaud Le diffrend de l'homme et de la femme

    Homme et femme ne sont pas deux espces diffrentes, mais, dans une espce,les figures de l'altrit ; leur diffrence est trace de l'altrit de l'origine dernirede la nature. La diffrence sexuelle ne peut tre comprise au seul pland'une explication biologique (voue au cercle du problme de la poule et del'uf: qu'est-ce qui est premier et produit l'autre, la diffrence des sexes, oul'espce et ses lois ?), mais doit tre repense partir d'une thologie de lacration.

    Elle peut tre alors comprise comme image, et mdiation, la fois, de la

    distance des individus. Il n'est pas bon que l'homme soit seul (Gense 2,18).

    Cette solitude dsormais partage est la marque de la distance ontologiquede la crature. L'tre humain (homme et femme) est ainsi cr autre devantDieu, suscit l'existence libre, diffrente, vis--vis de Dieu et partenaire de lapremire alliance'(1). La distance de l'homme et de la femme est la premiretrace de la distance entre l'homme et son crateur. L'homme porte en son trela marque ineffaable de son origine. Spar, distant, autre que Dieu, il devratoujours s'en souvenir en regardant son vis--vis humain : il a en face de luison autre, jamais dtermin dans sa particularit finie ; il ne peut tre letout, ou l'un, ou l'identique soi. Cette scission interne lui-mme, l'hommepourra bien tenter de l'interprter comme chute, comme perte d'une unitoriginelle (c'est le mythe de l'androgyne) : elle est pourtant premire :l'homme est cr deux, la diffrence est cre en mme temps que l'homme,elle n'est pas une perte qui viendrait altrer la belle totalit primitive.

    S'il y a chute en effet, ou perte, c'est dans l'altration de la richesseprimitive de la diffrence en sentiment du manque suscitant la rivalit et leressentiment contre l'autre : C'est la femme qui... (Gense 2, 12). Ladiffrence sexuelle tait au contraire voue tre mdiation de la distance,occasion de surmonter la limite en dployant la diversit. Ce qui tait la tracede la distance devait tre en mme temps le chemin qui permettait de laparcourir : Tu es homme, c'est--dire un tre cr, ds l'origine limit etincapable de te donner toi-mme l'tre et la vie, et cette condition te jettedans la solitude au milieu du monde, et voici qu'un autre t'est donn en vis--vis, avec qui est possible la relation et le dialogue, par qui ton tour tu peuxdonner la vie et matriser la nature, collaborer l'uvre de Dieu . A ce coup,celle-ci est l'os de mes os et la chair de ma chair (Gense 2, 23), s'crie Adamdevant le premier visage humain qu'il rencontre, celui d'Eve : la reconnais-sance de l'autre semblable et diffrent est source de joie et d'lan cratif.

    Or cette diffrence sexuelle s'avre impuissante porter la profondeurauthentique de la relation personnelle. Mais peut-tre fallait-il que l'hommesouffrt ainsi pour entrer dans sa gloire. Car une tout autre vocation s'offre lui en vrit. Etre l'image de Dieu : ce don et cet appel supposent tout unepdagogie de l'image. Au sens de la nature cre, l'imago Dei est l'tremasculin-fminin (signe de vis--vis, d'altrit). Mais l'homme ainsi crhomme et femme est appel transcender la nature ; le projet de Dieu va plus

    (1) Dieu cra l'homme son image, l'image de Dieu il le cra, homme et femme il le cra (Gense 1, 27): ce texte, postrieur au chapitre 2 cit ci-dessus, puisque issu de la traditionsacerdotale, implique une thologie plus labore et moins image.

    loin que la russite de la cration : il veut pour l'homme l'entre dans la viemme de son Crateur et Pre, il veut pour l'homme l'adoption filiale (c'estpourquoi est lgitime la thse thologique selon laquelle l'Incarnation duVerbe est prsente dans le projet crateur, et n'intervient pas seulement cause de la chute) : c'est ici que s'ouvre l'avenir absolu qui rompt la clture dusystme. L'homme est appel par Dieu un autre accomplissement de laressemblance, c'est--dire l'exister personnel. Le thme de la personne vientcorriger celui de nature et dynamisera l'archologie par l'eschatologie.

    Pour lui permettre de reconnatre cette vocation et de l'accueillir, Dieuouvre l'homme la rvlation du mystre cach dans les sicles (phsiens 3). C'est une thologie trinitaire qui est ds lors normative pour lediscours anthropologique.

    N. LE DIEU UN ET TRINE : LE STATUT DE LA PERSONNE

    Le vis--vis est dsormais reconnu en Dieu mme. La thologie trinitairecomprend l'autre, non plus comme circulation de la diffrence dans l'tre,mais comme vie de Dieu en lui-mme, comme intrieur au Principe. Dieu,source de toute ralit, ne laisse pas seulement circuler l'autre au cur dumme pour le diffrencier et le spcifier, mais est en lui-mme autre, ouautrui ; Dieu est Personne, et comme une personne n'est jamais seule, Dieuest Personnes.

    Pour noncer le Mystre (il n'est certes pas question de le comprendre !), il

    aura fallu quatre sicles la chrtient naissante. Car la thologie trinitairenat de la confession de foi en la divinit de Jsus, le Christ, c'est--dire enl'identit de nature entre le Pre et le Fils : cette confession culmine dans leCredo de Nice (325) avec l'introduction du nologisme homoousios(consubstantiel) (2). L'identit de nature du Pre et du Fils, prcise Athanase,n'est pas seulement gnrique, mais numrique (3) : ce qui veut dire que lePre et le Fils ont bien en commun une seule substance et non pas un genrecommun dont ils seraient deux individus, deux exemplaires distincts par desdterminations accidentelles. Or, les dbats et les querelles autour de cetteidentit de nature conduisent faire merger peu peu le concept depersonne, en rflchissant sur la distinction du Pre et du Fils, aussi relle queleur unit.

    Sans doute ce concept est-il dj prsent chez Tertullien (4), o il sert exprimer le nombre en Dieu, mais ct de l'unit, les deux tant affirmsaussi nettement l'un que l'autre ; il s'agit maintenant de penser l'un avec

    l'autre, le rapport de l'unit et de la distinction, ce qui soulve d'immensesdifficults ; c'est pourquoi surgit une nouvelle querelle, entre les grecs et leslatins, les grecs, la suite de saint Athanase, et autour de saint Basile deCsare et de saint Grgoire de Naziance, prfrent au terme persona, tropfaible leurs yeux et trop absorb par le concept de substance au point d'en

    (2) Sur l'tablissement du texte de Nice, voir Ortiz de Urbina, Histoire des conciles cumniques, Nice-Constantinople , p. 69-73 (d. de l'Orante).(3)Sur les Dcrets de Nice, 20, 4.

    (4) Cf. Joseph Moingt, Thologie trinitaire de Tertullien, Aubier, 1966, t. Il.

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    tre une simple modalit, le concept d'hypostase, plus dense, plus nettementdistinct (et que les latins, avec le pape Damase, et Antioche le prtre Paulin,accusaient en revanche d'tre trop proche d'une ousie individuelle distinctequant la nature) (5). L'on ne peut se contenter d'affirmer ensemble et en lesuxtaposant seulement l'unit et la distinction ; il faut encore penser leur lien

    de telle sorte que l'unit ne soit pas spare de la distinction, mais qu'elle lapntre et la vivi fie , sans quoi , l'un it pr domi nant, la dis tinctio n estrelativise et affaiblie, et devient modalit, ou bien, la distinction prenant ledessus, l'unit est purement formelle, fictive mme. Il faudra attendre saintThomas pour que la personne soit effectivement dfinie comme relationsubsistante, et que soient dfinitivement unifis les deux concepts depersonne et d'hypostase (6).

    Sans doute faut-il prciser que la personne signifie la distinction d'uneautre manire pour Dieu et pour l 'homme (7). Il reste nanmoinsfondamental que l'laboration thologique du concept de personne oud'hypostase, qui dploie pleinement la rvlation de Dieu le Pre dansl'Incarnation de son Verbe,' doit guider notre imitation du Christ. Laressemblance de Dieu, c'est la conformit au Christ, icne du Dieuinvisible (Colossiens 1, 15). Il s'agit donc notre tour d'entrer dans unerelation qui n'est pas un dterminant second de notre tre propre, une qualitajoute notre nature, mais constitue notre tre mme : il s'agit de devenirdes personnes dans le Christ, filii (et filiae...) in Filio.

    La thologie de l'imago Dei permet en effet de penser nouveaux frais la

    substance finie, par le concept d'abord thologique de personne, en luiconfrant la signification de sujet de relation. Le fait d'tre appele tre unepersonne ouvre la substance finie un nouveau statut : c'est la substancehumaine qui en est comprise autrement, en tant que substance, et nonseulement dans ses attributions et qualifications. L'homme n'est plusseulement individu d'une collection, il est sujet d'une relation fondatriced'tre. Sans doute est-il substance finie, et par l n'est pas sujet de relation aumme titre que Dieu, en qui la relation unit substantiellement les sujets qu'ellerelie, comme le texte de saint Thomas nous le rappelait l'instant.Nanmoins l'analogie a ici un sens particulier, car c'est de Dieu nous que

    oue l'analogie (c'est la rvlation de la ralit personnelle de Dieu qui fondenotre conception anthropologique de la personne, car, jusqu' ce travail dethologie trinitaire, la notion de personne ne signifie pas plus, au plananthropologique, que l'individu : le concept s'est prcis partir de larflexion thologique et ne retentit qu'ensuite sur la conception de l'homme,

    tandis que l'analogie joue habituellement en sens inverse, un.concept

    (5) Sur tout ceci, voir Thodore de Rgnon, Etudes sur la Trinit, vol. I, tude III, Fusion desFormules, ch. 1, Personne et Hypostase (Paris, 1892).

    (6) Somme thologique, q. 29, art. 4 : Persona igitur divina significat relationem utsubsistentem... ; art. 2 : Persona omnino idem est, quod hypostasis .(7) Somme thologique, q. 29, art. 4 : Persona igitur in quacumque natura significat id, quod estdistinctum in natura illa ; sicut in humana natura significat has carnes, et haec ossa, et hancanimam, quae sunt principia individuantia hominem... Distinctio autem in divinis non fit, nisi perrelationes originis... . Ceci se retrouvera au moment d'envisager le passage une thologie de'Incarnation. -

    anthropologique est port la limite pour tre dit de Dieu de faonsurminente) : l'homme comme sujet a vocation la communion, il estradicalement intersubjectivit, sa substance devient relationnelle sa racine,c'est--dire ouverture l'autre, tre pour autrui, un autrui qui certes est icispar au niveau de l'existence furie, mais la diffrence naturelle devientdsormais seconde par rapport la distance personnelle. La substance del'homme, l'image de la substance divine, n'est pas une quiddit fermesur son identit, et qui entrerait ensuite dans une relation contingente etaccidentelle, facultative ; elle est essentielle l'tre substantiel ; la substantialit

    de l'homme est, dans le don de l'Esprit, personnalit.La relation humaine doit donc tre situe sur un autre rseau de diffrencesque la diffrence naturelle immanente, qui n'est que diffrenciation du mme.Ce qui fait la vrit de la personne est l'altrit, la transcendance ; la personneest visage, et par l seulement libert, singularit, relation authentique. Il y adonc ce niveau rupture dans l'ordre du monde, du phnomne.

    Certes, la diffrence sexuelle est dj apparue comme exprimant dansl'ordre de la nature la distance originaire ; mais elle en est le signe, et l'on nepasse pas directement du signe au rfrent (l'on ne peut remonter sansmdiation de la crature au Crateur), car le signe dveloppe dans un rseaudiffrentiel, c'est--dire tale et spatialise, dcompose et diffracte la lumire de laralit. Avec la singularit personnelle nous entrons dans la dimension dusymbole. La personne n'est pas seulement image de Dieu au sens de refletaffaibli, trace de l'origine passe, copie ncessairement imparfaite du Modle ;elle est icne vivante, habite par la ralit qu'elle exprime et qui la fonde enlui donnant son avenir. La relation personnelle symbolise la relationtrinitaire, parce qu'elle n'est pas en vrit si elle n'accueille pas en elle laralit mme qu'elle signifie. Le symbole ( la diffrence du signe) participe de cedont il est le symbole ; il est investi par un rel qui est sa source et sa fur, ce quine veut pas dire, toutefois, qu'il exprime pleinement la ralit dont il est la trace; au contraire, celle-ci le dborde infiniment, mais elle lui donne son lan, savie, son mouvement, autrement dit sa transcendance.

    Par l, l'tre humain accde la singularit, sa diffrence radicale. C'esten tant que personnes que nous sommes rellement diffrents, et non en tantque dtermins par notre nature, par la diffrence sexuelle qui n'oppose quedes individus. Seule une anthropologie qui cherche ses principes dans unethologie trinitaire de la personne peut dpasser l'opposition (donc la rivalit)sexuelle, irrductible au seul niveau de la nature.

    Seul Dieu peut nous faire entendre une Parole dpassant l'opposition, le

    duel des sexes qui ne soit pas un discours vide force d'tre universel, qui nesoit pas un lieu commun ou un terrain neutre et qui nous invite non fuir laralit, mais exister dans la relation personnelle, inscrire au contraire dansle rel notre vrit singulire. Comment se fait cette inscription de lasingularit personnelle dans la nature ?

    III. LA PAROLE FONDATRICE :L'INCARNATION DE LA DIFFRENCE

    La rvlation trinitaire ouvre alors sur une thologie de l'Incarnation. C'est leChrist qui rvle la vie trinitaire de Dieu. C'est dans l'existence incarne du

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    Verbe que s'offre l'homme le modle absolu de la vie personnelle. Personnedivine, et sans cesser d'tre consubstantiel au Pre, le Verbe assume la naturehumaine, et rconcilie l'humanit et la divinit dans l'union hypostatique,ainsi que le proclame le concile de Chalcdoine (451) (8). Ici se confirme laprminence de la personne sur la nature qui est propose l'homme dans lavie nouvelle reue de l'Esprit. Le Christ est symbole des symboles, visage desvisages (selon l'expression d'Olivier Clment) ; en Lui nous sommestransfigurs et introduits dans le curdu Pre. Le Christ ressuscit est notreavenir absolu : l'eschatologie rvle la pleine ouverture de l'avenir, que

    l'archologie bien interprte devait prparer, partir de la cration. En Lui, iln'y aura plus ni juif ni grec, ni esclave ni homme libre, ni homme nifemme (Galates 3, 28) ; toutes les diffrences naturelles seront abolies ; ellesdeviennent galement inessentielles, et effaces par la seule altrit quidemeure, celle du face face, de la relation enfin retrouve o nous seronsreconnus en vrit : Aujourd'hui, certes, nous voyons dans un miroir,d'une manire confuse ; mais alors ce sera face face. Aujourd'hui je connaisd'une manire imparfaite, mais alors je connatrai comme je suis connu (1Corinthiens 13, 12).

    Cette vie ressuscite commence aujourd'hui, car nous avons reu les arrhesde l'Esprit. A partir de ce projet ultime, de cette fin dernire, un regard neufpeut tre port sur le prsent. Il s'agit de se laisser configurer au Christ. Toutel'existence est Comprise et renouvele dans cette perspective, vivifie parl'esprance. La nature est assume nouveau, mais elle prend un autre sens ;

    elle porte en elle les germes de sa transfiguration. Le signe est habit par lesymbole, il devient sacrement. La diffrence personnelle est symbole de la viemme de Dieu ; elle doit devenir chaque jour davantage ce qu'elle est appele tre. Pour cela, elle s'incarne dans des ralits dont elle s'empare et qu'elleptrit, qu'elle anime de l'intrieur, pour qu'elles deviennent figures concrtesde la vraie vie.

    La diffrence sexuelle retrouve ici un nouveau statut, une nouvelle vrit.Elle est rassume pour tre l'occasion de l'expression de la relation que parelle-mme elle ne suffit pas dployer sans rivalit ni conflit. La diffrencesexuelle peut tre renouvele par la diffrence personnelle, si elle lui restesubordonne, comme figure de ce monde, voue passer avec lui, alors quel'altrit personnelle, ne de la Parole appelant chacun par son nom unique,ne passera point. La diffrence sexuelle ne doit donc pas tre nie, mais situe.Elle a pour sens d'inscrire dans le corps la vocation de l'homme tre icnedu Dieu Trinit, condition d'tre ploye et inflchie par l'intention

    personnelle.Le privilge et l'nigme de l'altrit sexuelle (par rapport aux autres

    diffrences naturelles), c'est d'tre situe sur un autre plan que la diffrencepersonnelle, mais d'tre pourtant la mdiation incarne de la vocation del'humain la relation. C'est pourquoi elle est la matire d'un sacrement, quin'est sacrement que par cette double dimension d'une matire et d'une parole,parole de foi donne et de fidlit promise, que seules les personnes peuventprononcer en recevant de l'amour du Christ la force d'aimer.

    (8) P. -Th. Camelot, Histoire des conciles cumniques, Ephese et Chalcdoine , p. 138 s.

    Ce mystre est grand , s'exclame saint Paul (Ephsiens 5, 32), car voicique Dieu a choisi la faiblesse et la fragilit d'un rapport naturel, expos auxconflits et aux checs, pour tre signe efficace de la plnitude d'une relationd'amour offerte aux hommes. Il s'agit du Christ et de l'Eglise, il s'agit del'entre de l'homme dans la relation filiale, dans la vie des personnes divines.Et c'est la relation de l'homme et de la femme qui reoit cette lourde etmagnifique responsabilit d'tre sacrement du don rciproque du Dieu-personnes : Qu 'ils soient un c omme nous sommes un (Jean 17, 22).Certes, elle passera, la figure de cette relation, comme tout sacrement passera,

    pour laisser jaillir le monde nouveau dans sa splendeur, et les personnes avecleur corps ressuscit, leur corps spirituel, entreront dans une relation detransparence et de vrit, o l'altrit ne sera plus obstacle mais richesse. Maisc'est aujourd'hui que commence la transfiguration du monde et notreesprance n'est pas attente passive : elle est active et cratrice au curdudonn naturel pour le convertir, pour le soumettre au projet de Dieu.

    L'ULTIME thologie de la Cration est donc ceci : Dieu Trinit se ditdans le Verbe incarn pour conduire l 'homme vers la Crationnouvelle : ls signes sont appels tre transfigurs ds lors que lecorps, qui en est le lieu, est ressuscit. La diffrence sexuelle, inessentielle,mortelle, est subordonne la distance personnelle ; elle est cependantoccasion de l'expression de la diffrence personnelle si elle est ressaisie par

    ne Parole vivante. Il y a donc, dans la vie mortelle, figure de la vie ternelle,ne manire fminine d'tre une personne : cela ne signifie pas que la ralit

    personnelle d'une femme prenne appui sur sa fminit, tire de son tre -femme des modes d'tre personnels ; mais l'inverse son existencepersonnelle, ne, suscite de la relation au Dieu-Personnes, s'incarne en untre naturel fminin dont elle est le principe dynamique et par lequel elleinscrit dans le monde, sa manire, la ressemblance de Dieu.

    Claudie LAVAUD

    Claudie Lavaud, ne en 1947. Agrgation de philosophie en 1969, doctorat s-lettres en 1981.Marie, trois enfants. Assistante l'Universit Bordeaux III. Participe la formation permanentedes lacs pour le diocse de Bordeaux.

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    Communia, nVI I , 4juillet-aot 1982

    Hans-Urs von BALTHASAR

    De la haute dignit de la femme

    De la haute dignit

    de la femme

    Le couple que la femme forme avec l'homme reoit,dans la Rvlation, une telle dignit qu'il devient lemodle de la manifestation de Dieu en personne del'Alliance d'abord, de la Rdemption ensuite, de laTrinit enfin.

    LENouveau Testament confre la femme, sur le plan relatif, par

    rapport l'homme, et sur un plan absolu quant la dignit qui lui est__ propre, une place qui dpasse nettement le rle qu'elle a tenu dansl'Ancienne Alliance. Comme on le verra, cette valorisation de la femme estlie la nature masculine de Jsus-Christ en ce qu'il est la fois Dieu ethomme. Sous ces deux aspects, le Nouveau Testament dpasse l'AncienneAlliance tout en l'accomplissant.

    Ancienne Alliance

    La relation entre Dieu et son peuple, dans l'Ancienne Alliance, apparattout d'abord sous l'image de la relation conjugale de l'homme et de la femme.Une relation si troite et indissoluble qu'en elle il n'y a pas la moindre place

    our l'infidlit, car l'amour de Dieu, de par son caractre absolu, est jaloux (Deutronome 4, 24 ; 5, 9 ; 6, 15 ; 32, 16. 21 ;Exode 20, 6 ; 34, 14).Jalousie et amour sont nomms cte cte comme deux ralits ultimes : l'amour est fort comme la mort, la jalousie impitoyable comme les Enfers (Cantique des cantiques 8, 6). Chez certains prophtes, on trouve bien, il estrai, des passages o la femme est dcrite comme l'infidle, comme celle quioursuit d'autres dieux (Isae 1, 21-26 ;Jrmie 31, 1. 6-12 ;Ezchiel 16 et

    23 ; Ose 1-3). La femme ne joue toutefois nullement ce rle dans sa qualitintrinsque de femme, mais seulement dans la mesure o elle symbolise leeuple de l'Alliance tout entier et, au-del de l'alliance particulire de Dieu

    avec Isral, l'humanit tout entire en ce qu'elle s'est dtourne de Dieu par lech. Le fait que Dieu apparaisse dans le rle de l'homme n'indique pas enremier lieu une quelconque supriorit de l'hommebien que son rle

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    dans les pousailles soit de prendre femme (cf. Ose 1, 2)mais renvoielutt la supriorit absolue de Dieu par rapport son peuple lu et par

    rapport l'ensemble de ses cratures. Sur le plan de la relation entre les sexes,ceci apparat bien dans la fonction fcondante de l'homme, conditionralable l'veil de la fcondit de la femme.L'image bien connue de la parole envoye par Dieu qui, sous forme deluie, arrose et fait germer la terre pour qu'elle germe et produise le pain

    que l'on mange (Isae 55, 10) montre simultanment les deux aspects : laterre est potentiellement fconde, mais elle a besoin de la semence divine pourl'tre effectivement.

    Une fois la symbolique de l'adultre dpasse par le retour de la femme,lus rien dsormais ne troublera le parfait amour rciproque entre l'poux

    divin et la femme cre. Au-del de cet pisode dsormais clos, c'est la puretde l'amour de jeunesse qui est voque (Jrmie 2, 2 ; Ose, 11, 4), comme sil'intermde tragique n'avait jamais exist (Isae 50, 15). Rpudie-t-on lafemme de sa jeunesse ? dit ton Dieu. Un court instant je t'avais cach ma face,mais dans mon amour ternel, j'ai piti de toi, dit Yahv, ton Rdempteur...Car les montagnes peuvent s'effondrer, les collines s'branler, mon amourour toi ne faiblira point et mon alliance de paix avec toi ne sera pas

    branle (Isae 54, 6-10). Comme l'pouse fait la joie de son poux, tuferas la joie de ton Dieu (Isae 62, 5). C'est cela que reprend l'idylle duCantique des cantiques o l'poux divin et la bergre sulamite forment uncouple heureux, chacun comblant l'autre et chantant ses louanges : lesombres parsesl'amant auquel on n'a pas ouvert lorsqu'il frappait laorte, l'amant perdu pour- quelque temps n'assombrissent gure

    l'ensemble de la relation. Lorsque, plus tard, le pome sera expressmentappliqu la relation entre Yahv et Isral, l'loge dtaill des charmesrotiques de la fiance montrera que les charmes du peuple lu et, au-del,ceux de la cration tout entire, pars par Dieu de tous leurs atours, sont pourlui l'objet d'une joie et mme d'un tonnement toujours nouveaux.

    A travers l'ers, clbr dans beaucoup de civilisations comme purerciprocit sexuelle, transparat ici l'agape unique entre Dieu et sa crature,reprsent et symbolise par Isral ; cela constitue quelque chose d'exception-nel si l'on considre que, dans des pays si marqus par l'rotisme commel'Inde ou la Perse, une transposition et une valorisation de l'ers sur le planreligieux est inconcevable. En Isral, le rehaussement de la dignit de lafemme procde pleinement du domaine religieux ; certes, les murs

    ethniques ne vont pas totalement de pair avec ce rehaussement. Laconscience populaire aura sans doute peru le symbolisme religieux commeune expression purement potique et en aura tir des consquencesinsuffisantes quant la relation entre les sexes.

    CES donnes fondamentales changent dans la nouvelle alliance o laarole de Dieu s'incarne en un tre masculin qui, comme Paul le

    souligneet cela dpasse totalement l'Ancienne Alliance doit sonexistence une femme et, dans sa dimension humaine, elle seule (Galates4,4 ; 1 Corinthiens 11, 12). Et, au-del de la foi fconde et parfaite de cette

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    Hans -Urs von Balthasa r De la haute dignit de la femme

    femme, il continue natre grce la fertilit de la foi sur terre, symbolisedans l'Apocalypse par la femme entoure du sole il qui est en pro ie auxdouleurs de l'enfantement et qui donne au monde l'enfant-Messie (12, 1-6). Ala diffrence de l'image vtro-testamentaire o la parole de Dieu tombe duciel en pluie fertilisante et donne ds lors fertilit la terre, la parole trouveici, son arrive, une terre dj fertile lourde de toute la foi qui y est seme et peut, pour cette raison, tout aussi bien procder de la terre, d'en bas ,qu'elle a procd du ciel, d'en haut .

    Nouvelle relation

    Bien qu'il s'agisse ici d'un processus sexuel authentique Marie est lamre charnelle de son fils ce n'est pas Marie que revient l'initiative decette fcondit, mais la parole de Dieu qui, en elle, veut s'incarner, devenirhumaine et masculine. Marie qui, travers sa fcondit, accomplit l'acteparfait de foi et de disponibilit, se sait rpondre la fcondit de Dieu et trel'instrument de Celui qui aspire prendre chair humaine et masculine. Etc'est cette volont de s'incarner Dieu ayant la primaut en tout qui rendpossible un engendrement spirituel et charnel de nature aussi parfaite dans laFemme choisie. Nous pouvons et devons dire ici par anticipation pourquoil'enfant est mle (Apocalypse 12, 5) : il va reprsenter dans le mondel'origine divine de toutes choses, laquelle n'engendre que de son propre sein.

    Cette perspective nous claire sur le dernier mystre de la masculinithumaine de cet enfant : tout comme la fcondit charnelle de la mre du

    Messie dpend entirement de la fcondit spirituelle et surnaturelle de sa foi( Elle a d'abord conu par l'esprit, avant de concevoir en son sein , disaitsaint Augustin), ainsi la fcondit charnelle du Fils ne sera pas partielle,limite, sexuelle, mais charnelle dans un sens global, s'adressant la fminitglobale de la communaut croyante (de l'ancienne et de la nouvelle alliance),reprsente en tant que symbole rel par sa mre charnelle. En concevantcharnellement, Marie est dj potentiellement la quintessence de l'glise ; elle ledevient effectivement au pied de la Croix o son fils lui confie son nouveau fils,et o, sous la forme de l'eucharistie, il livre et offre tout son tre de chair aucorps de l'glise qu'il constitue ainsi. Ce processus charnel n'est que ladernire actualisation d'une eucharistie potentielle commence ds l'Incarna-tion.

    De ce fait, la polarit sexuelle, dans laquelle homme et femme renvoientl'un l'autre, se trouve dfinitivement leve au-dessus d'elle-mme, d'unefaon tout fait positive, et aussi bien du ct masculin que du ct fminin.Il faut ici prendre en considration deux aspects en mme temps : au senspurement sexuel, il n'y a en effet ni homme ni femme dans le Christ, maisd'autre part, c'est dans le mme Christ et dans son glise que le sexuel atteintson sens le plus haut et le plus authentique (phsiens 5, 21-33). Le dongratuit et sans rserve du Christ entrane une telle rciprocit du masculin etdu fminin que le don de la femme l'homme perd tout aspect d'infriorit,car le Christ qui se livre et s'abaisse jusqu' la Croix se donne pour mission deconstituer une glise rayonnante, sans tache, qui a prcisment la dignit deson propre Corps : forme la plus dsintresse de la rencontre de soi dansl'amour.

    C'est tout fait dans cette perspective que l'on peut comprendre l'imagementionne par saint Paul : la naissance, au paradis, de la femme surgissant de

    la cte de l'homme, renvoie dj, en effet, l'objet que nous aurons mditerdans notre troisime partie : la naissance d've partir d'Adam serait le refletterrestre du surgissement du Fils ternel partir du Pre ternel ; la relationoriginelle et irrductible en Dieu est lie une identit d'essence parfaite(homo-ousie), excluant dans le Fils toute subordination d'essence par rapportau Pre, mme si elle implique la constante rfrence son origine de celuiqui en a surgi.

    Cet aspect n'apparat que partiellement dans Ephsiens 5, car la suprioritdu Christ en tant que tte et rdempteur du corps qui, par le don de

    lui-mme, constitue son corps fminin-ecclsial, y domine l'ensemble del'expos ; ainsi est concde l'homme (aussi bien partir d'Adam qu' partirdu Christ) une supriorit par rapport la femme supriorit qui ne trouvesa justification que dans une imitation du Christ et de son don sans rserve l'glise. Cet aspect, qui trouve son fondement ultime dans la divinit de Celuiqui est le rdempteur de son propre corps, renvoie ce qui a t dvelopp_dans la premire partie : la relation homme-femme comme un reflet en cemonde de la relation Dieu-crature. La primaut de Celui qui engendre et quicre par rapport au sein qui reoit, est fcond et donne naissance, cetteprimaut donc est irrductible. La fminit de toute crature (qu'elle soitmasculine ou fminine) appartient son essence. Mais redisons-le : cetterelation premire et irrductible entre Crateur et crature ne rvle sonvritable visage que dans l'ordre de l'Incarnation et de la Rdemption. On n'aplus, en haut, un Dieu souver ain et, en bas, une crature domine q ui setrouve face face : la situation spcifique de la crature rsulte au contrairedu mouvement du Crateur-Rdempteur descendant vers elle, et mme plus

    as qu'elle. La dignit de la crature ( qui il est donn par grce de participer la nature divine) est fonde sur le don knotique du Christ qui, par le baind'eau qu'une parole accompagne (phsiens 5, 26), lequel est en fm decompte la Croix, la modle pour en faire son propre corps et la rendre ainsi sainte et immacule .

    On objectera peut-tre qu'en ce qui concerne ce second aspect l'utilisation de l'image du paradis o Adam-Christ aime sa propre chair enve-glise , il continue de transparatre une infriorit de la femme parrapport l'homme, infriorit inhrente l'poque de saint Paul et qui semanifeste dans la double mention de la sujtion et du respect dus entoute chose par la femme l'homme. Et cet aspect inhrent l'poque concernant la relation entre les sexes aurait t rendu d'autant plus intangiblepar Paul qu'il trouve son fondement ultime dans la relation Christ-glise, unerelation o l'glise ne peut jamais songer pouvoir galer en dignit sa Tte etson Sauveur.

    Ainsi s'impose un nouveau dpassement du parallle tabli par saint Paul,non pour le dvaluer car il garde toute sa valeur en ce qui concerne larelation du Christ l'glise, mais plutt pour dvoiler le dernier arrire-plan partir duquel il reoit sa justification thologique.

    LA doctrine de la Trinit nous montre d'une faon irrfutable que dans la vietrinitaire de Dieu est l'uvreune double forme de don d'amour : lune qui sedonne de faon purement active, l'autre qui reoit etrpond d'unemanire

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    Hans-Urs von Balth asar De la haute dignit de la femme

    la fois passive et active, les deux formes tant galement ternelleset se prsupposant l'une l'autre. Le Pre en tant qu'origine lui-mmesans origine, dans le don total de lui-mme, engendre le Fils qui, par l-mme, se reoit passivement de toute ternit, se doit et se donne activementen retour son origine : ainsi la batitude du Pre qui se donne repose-t-ellede faon ternelle et immmoriale aussi bien sur l'accueil en retour ( passif )du Fils reconnaissant, eucharistique pour ainsi dire, que sur son propre donde soi ternel. L'mergence de l'Esprit partir du Pre et du Fils (selon lathologie occidentale) rsulterait alors d'une activit commune des

    deux o s'pousent dj les deux aspects de l'amour, de sorte que le don quel'Esprit fait de lui-mme au Pre et au Fils ne serait en aucune manire purepassivit (comme certains traits thologiques l'insinuent parfois,puisque l'Esprit n'engendre pas d'autre personne divine), mais une faon dese devoir soi-mme dans laquelle la totalit de l'amour actif-passif acquiertsa forme communautaire et reprsente un change au niveau de l'essence, undon parfait.

    Trinit

    Si notre mditation s'attarde un moment auprs du Fils qui, en tantqu' engendr par excellence, porte en lui le prototype originel de ce quesera, dans le temps, le monde cr, nous le voyons indissociablement aussibien comme s'accueillant lui-mme (passivement) que redevable lui-mme(acquiesant d'une faon active) et ralisant, de cette manire, l'archtypeaussi bien du fminin que (d'une faon indissociable, bien qu'ontologique-ment seconde) du masculin . Et cela dans une interpntration excluanttoute suprmatie d'un sexe sur l'autre. Ici, sur le plan de la divinit du Filsdans ce qu'elle a d'archtypal, on peut mme accorder la femme unecertaine priorit. Le Fils, dit saint Basile, a le recevoir en commun avec toutecrature .

    On fera donc mieux de ne pas vouloir interprter l'Esprit Saint commelment fminin en Dieu, par exemple comme le sein dans lequel estengendr le Fils. Ce n'est pas l'Esprit qui est le lieu des ides , mais leVerbe. Mais celui-ci l'est de toute ternit, tout comme le Pre, de sorte que,dans le processus ternel, il n'est pas un seul instant o le Fils ne se reoive duPre sans en mme temps se donner son tour Lui. Il n'y a donc pasd'analogie entre Dieu et l'tre humain tel qu'il est prsent dans le rcit de laGense o Adam est d'abord cr seul et Eve n'apparat que plus tard (car il n'est pas bon que l'homme soit seul ). Les archtypes des deux sexes sont

    dans le Fils d'gale ternit et d'gale dignit, si l'on veut bien ne pas oublierque, dans l'ordre des processions, le Fils laisse la premire place au Pre non-engendr. Car l'acquiescement galement ternel du Fils et de l'Esprit l'acteternel d'engendrement d Pre ne peut tre compris comme la condition depossibilit de cet acte, comme par exemple l'existence du sein fminin est lacondition qui rend possible l'acte procrateur masculin. Supposer ceci serait,sous prtexte de sauvegarder l'gale dignit des personnes, mettre en questionl'ordre intradivin des processions, et la spcificit de chaque hypostase.

    C'est seulement l'intrieur de cet ordre que le Pre peut lui aussi treconsidr comme recevant du Fils et de l'Esprit, cela prcisment parce que,dans son incommensurable puissance cratrice, il donne au Fils et l'Esprit la

    divinit intgrale et, par l-mme, la possibilit de se recevoir (passivement) etde se donner leur tour (activement). C'est en ce sens que les deux sexes crsdans le Fils se doivent en Lui et par Lui en dernire instance au Pre, qui creles possibilits originelles du masculin et du fminin, mais cela, en ce qu'Ilengendre sans avoir recours un sein tranger, de sorte qu'Il ne peutnullement tre invoqu comme mre ternelle . Et si les deux sexes, dansune gale dignit, procdent de Lui comme de leur source premire, c'estcependant le Fils qui demeure l'archtype de chacun d'eux. Le fait que, dansl'ancienne alliance, Yahv semble prsenter parfois des caractristiques

    fminines (par exemple, le mot qui dsigne la misricorde, rachamin, est lepluriel du mot qui signifie matrice ) devrait rappeler que Yahv n'est pasunilatralement le Pre du Nouveau Testament, mais l'image non encorediffrencie de tout le Dieu trinitaire. Les mmes remarques valent pour lesnoms fminins donns l'Esprit, tels que ruach et hokhmah (sagesse).

    Mais pourquoi alors le Fils, en s'incarnant, se prsente-t-il comme un tremasculin ? Sans aucun doute parce que, en tant qu'Envoy du Pre, Ilreprsente, l'intrieur de la cration, l'autorit originelle de Celui-ci. Face la cration et l'glise, il n'est nullement en premier lieu Celui qui reoit,mais Celui qui engendre, mme s'il veut et doit recevoir l'cho de l'Eglise toutentire pour accomplir pleinement sa mission terrestre, tout comme le Predevient conscient de sa paternit pleinement fconde travers le doneucharistique que le Fils, en retour, lui fait de lui-mme.

    C'est partir du mystre trinitaire, partir du primat qu'a le Pre sur toutet partir du primat qu'a le Fils sur l'glise et la cration, et non partir de la

    nature divine ou cre, que peut s'expliquer par analogie une primaut del'tre masculin, telle qu'elle est souligne par saint Paul ( Le chef de touthomme, c'est le Christ, le chef de la femme, c'est l'homme, et le chef duChrist, c'est Dieu le Pre , 1 Corinthiens 11, 3). C'est galement cet ordremanant d'en haut, de la Trinit conomique et, au-del d'elle, de la Trinitimmanente, qui justifie que la reprsentation du Christ soit confie ausacerdoce ministriel masculin. Pour comprendre vraiment cela, il fautpntrer aussi profondment dans le mystre divin que nous avons tent de lefaire (1).

    C E mme effort d'approfondissement du mystre fait nanmoins

    apparatre l'gale dignit de la femme l'intrieur de l'ordre de lacration et de l 'glise. L'apparente domination du Christ surl'glise est tout entire un service, cela non pour le propre accomplissementde Celui-ci, mais pour que le Royaume, une fois accompli, so