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En 2013, le Comité Stratégique de la Filière Alimentaire qui a défini les axes du Contrat de filière a insisté sur la nécessité de mieux connaître et anticiper les transformations des comportements alimentaires, pour aider les acteurs professionnels concernés à adapter leurs visions straté- giques. À cette fin, une étude prospective partenariale a identifié seize tendances et leurs impacts potentiels sur chacun des maillons de la filière. Elle s’est aussi préoccupée des meilleures condi- tions de diffusion de ces résultats, en particulier aux petites entreprises. Cette note présente les principaux acquis de cette étude. es sociétés contemporaines se carac- térisent par un changement de plus en plus rapide, aussi bien au niveau des structures sociales que des comporte- ments des acteurs. Parmi les diverses ten- dances à l’œuvre, nombreuses sont celles qui impactent les pratiques alimentaires : urba- nisation, individualisation, accélération des rythmes de vie, nouveaux rapports à la nature, volatilité des préférences, etc. Ces évolutions s’accompagnent d’une multiplication des prises de parole, des publi- cations, des expertises ou des prospectives qui leur sont consacrées. Il s’ensuit, pour une partie des acteurs de la filière alimentaire, des difficultés pour identifier les change- ments pertinents, pour comprendre leurs déterminants, leur ampleur et leurs trajectoi- res, et pour intégrer ces éléments dans leurs stratégies, leurs façons d’aborder les mar- chés, mais aussi dans les innovations pro- duits et les process de production. Ceci pèse en particulier sur les entreprises de petite taille (artisanat, TPE, PME 1 ), nom- breuses dans la filière alimentaire. Par exem- ple, en 2014, 77 % des unités des industries agroalimentaires comptaient moins de 10 sala- riés, et ce pourcentage était de 88 % pour le commerce de gros de produits agroali- mentaires 2 . Si certaines structures, en parti- culier de stature nationale et internationale, disposent de fonctions transversales de pilo- tage stratégique (veille scientifique et juridique, intelligence économique, analyse de marchés, suivi des tendances sociétales, prospective, etc.), la plupart des autres entreprises n’ont pas les mêmes facilités pour suivre les évolu- tions des comportements de consommation. Leur développement productif absorbe une bonne partie de leurs ressources et elles peu- vent difficilement disposer d’informations sen- sibles, commander des études et s’adjoindre des expertises de bon niveau. Signé en 2013, le Contrat de la filière ali- mentaire 3 identifie, dans son action 36, la nécessité de réaliser une étude prospective sur les consommateurs de demain, afin de mieux connaître et anticiper les transforma- tions des comportements alimentaires, et ainsi aider l’ensemble des acteurs concernés à adapter leurs visions stratégiques. Pour répondre à ces objectifs, le ministère de l’Agriculture, de l’Agroalimentaire et de la Forêt (MAAF), l’Ania, la CGAD, la CGI, Coop de France, la FCD et FranceAgriMer ont engagé une étude, confiée à un consortium composé de Blezat Consulting, du Crédoc et de Deloitte Développement Durable. Réalisé dans le cadre du programme ministériel d’études du MAAF, ce travail avait une forte dimension partenariale et ciblait plus parti- culièrement les petites entreprises. Les résul- tats produits apportent un regard nouveau sur la filière alimentaire, en s’intéressant de près aux évolutions sociétales et aux tendan- ces structurelles, d’une part, et en partant des besoins quotidiens des consommateurs plutôt que de l’offre alimentaire d’autre part. Cette Analyse présente une partie des résul- tats 4 de l’étude : le diagnostic des besoins et activités des entreprises en matière de veille et de prospective ; l’identification des prin- cipales tendances de consommation alimen- taire d’ici 2025 ; leur déclinaison en impacts pour les entreprises ; et enfin les enjeux rela- tifs à la diffusion des résultats d’un travail d’anticipation et au délicat passage de cette anticipation à l’action. 1 - Diagnostic des besoins et pratiques des petites entreprises alimentaires en matière de veille et de prospective L’étude s’est d’abord intéressée aux sour- ces de connaissance actuelles et aux attentes des entreprises, en particulier de celles de petite taille : types d’informations recherchées et utilisées, vecteurs de ces informations, pratiques de veille, ressources humaines mobilisées, etc. À cette fin, quarante entre- tiens ont été menés auprès de chefs d’entre- prises (PME et TPE) et de responsables marketing (sociétés de plus grande taille) 5 , Analyse CENTRE D’ÉTUDES ET DE PROSPECTIVE n° 97 - Février 2017 LES PUBLICATIONS DU SERVICE DE LA STATISTIQUE ET DE LA PROSPECTIVE – CENTRE D’ÉTUDES ET DE PROSPECTIVE Comportements alimentaires de demain : les tendances à 2025 et leur diffusion aux acteurs de la filière L 1. Définitions retenues dans cette étude : une PME est une entreprise de moins de 250 salariés, réalisant un chiffre d’affaires inférieur à 50 millions d’euros ; une TPE est une entreprise de moins de 10 salariés. 2. Source : ministère de l’Agriculture, de l’Agro- alimentaire et de la Forêt, 2016, GraphAgri, p.74. 3. http://agriculture.gouv.fr/le-contrat-de-la-filiere- alimentaire. 4. L’ensemble des livrables de cette étude est acces- sible à l’adresse suivante : http://agriculture.gouv.fr/ etude-prospective-sur-les-comportements-alimentai- res-de-demain. 5. Échantillon non représentatif mais couvrant tous les maillons concernés par l’étude, construit par types de métier et par secteurs d’activité.

Comportements alimentaires de demain : les tendances …agreste.agriculture.gouv.fr/IMG/pdf/analyse971702.pdf · ple, en 2014, 77 % des unités des industries ... d’une part, d’identifier

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En 2013, le Comité Stratégique de la Filière Alimentaire qui a défini les axes du Contrat de filièrea insisté sur la nécessité de mieux connaître et anticiper les transformations des comportementsalimentaires, pour aider les acteurs professionnels concernés à adapter leurs visions straté-giques. À cette fin, une étude prospective partenariale a identifié seize tendances et leurs impactspotentiels sur chacun des maillons de la filière. Elle s’est aussi préoccupée des meilleures condi-tions de diffusion de ces résultats, en particulier aux petites entreprises. Cette note présente lesprincipaux acquis de cette étude.

es sociétés contemporaines se carac-térisent par un changement de plusen plus rapide, aussi bien au niveau

des structures sociales que des comporte-ments des acteurs. Parmi les diverses ten-dances à l’œuvre, nombreuses sont celles quiimpactent les pratiques alimentaires : urba-nisation, individualisation, accélération desrythmes de vie, nouveaux rapports à lanature, volatilité des préférences, etc.

Ces évolutions s’accompagnent d’unemultiplication des prises de parole, des publi-cations, des expertises ou des prospectivesqui leur sont consacrées. Il s’ensuit, pour unepartie des acteurs de la filière alimentaire,des difficultés pour identifier les change-ments pertinents, pour comprendre leursdéterminants, leur ampleur et leurs trajectoi-res, et pour intégrer ces éléments dans leursstratégies, leurs façons d’aborder les mar-chés, mais aussi dans les innovations pro-duits et les process de production.

Ceci pèse en particulier sur les entreprisesde petite taille (artisanat, TPE, PME1), nom-breuses dans la filière alimentaire. Par exem-ple, en 2014, 77 % des unités des industriesagroalimentaires comptaient moins de 10 sala-riés, et ce pourcentage était de 88 % pour lecommerce de gros de produits agroali-mentaires2. Si certaines structures, en parti-culier de stature nationale et internationale,disposent de fonctions transversales de pilo-tage stratégique (veille scientifique et juridique,intelligence économique, analyse de marchés,suivi des tendances sociétales, prospective,

etc.), la plupart des autres entreprises n’ontpas les mêmes facilités pour suivre les évolu-tions des comportements de consommation.Leur développement productif absorbe unebonne partie de leurs ressources et elles peu-vent difficilement disposer d’informations sen-sibles, commander des études et s’adjoindredes expertises de bon niveau.

Signé en 2013, le Contrat de la filière ali-mentaire3 identifie, dans son action 36, lanécessité de réaliser une étude prospectivesur les consommateurs de demain, afin demieux connaître et anticiper les transforma-tions des comportements alimentaires, etainsi aider l’ensemble des acteurs concernésà adapter leurs visions stratégiques. Pourrépondre à ces objectifs, le ministère del’Agriculture, de l’Agroalimentaire et de laForêt (MAAF), l’Ania, la CGAD, la CGI, Coopde France, la FCD et FranceAgriMer ontengagé une étude, confiée à un consortiumcomposé de Blezat Consulting, du Crédoc etde Deloitte Développement Durable. Réalisédans le cadre du programme ministérield’études du MAAF, ce travail avait une fortedimension partenariale et ciblait plus parti-culièrement les petites entreprises. Les résul-tats produits apportent un regard nouveausur la filière alimentaire, en s’intéressant deprès aux évolutions sociétales et aux tendan-ces structurelles, d’une part, et en partantdes besoins quotidiens des consommateursplutôt que de l’offre alimentaire d’autre part.

Cette Analyse présente une partie des résul-tats4 de l’étude : le diagnostic des besoins et

activités des entreprises en matière de veilleet de prospective ; l’identification des prin-cipales tendances de consommation alimen-taire d’ici 2025 ; leur déclinaison en impactspour les entreprises ; et enfin les enjeux rela-tifs à la diffusion des résultats d’un travaild’anticipation et au délicat passage de cetteanticipation à l’action.

1 - Diagnostic des besoins et pratiquesdes petites entreprises alimentairesen matière de veille et de prospective

L’étude s’est d’abord intéressée aux sour-ces de connaissance actuelles et aux attentesdes entreprises, en particulier de celles depetite taille : types d’informations recherchéeset utilisées, vecteurs de ces informations,pratiques de veille, ressources humainesmobilisées, etc. À cette fin, quarante entre-tiens ont été menés auprès de chefs d’entre-prises (PME et TPE) et de responsablesmarketing (sociétés de plus grande taille)5,

Analyse CENTRE D’ÉTUDESET DE PROSPECTIVE—n° 97 - Février 2017

LES PUBLICATIONS DU SERVICE DE LA STATISTIQUE ET DE LA PROSPECTIVE – CENTRE D’ÉTUDES ET DE PROSPECTIVE

Comportements alimentaires de demain : les tendances à 2025et leur diffusion aux acteurs de la filière

L

1. Définitions retenues dans cette étude : une PMEest une entreprise de moins de 250 salariés, réalisantun chiffre d’affaires inférieur à 50 millions d’euros ;une TPE est une entreprise de moins de 10 salariés.2. Source : ministère de l’Agriculture, de l’Agro-alimentaire et de la Forêt, 2016, GraphAgri, p.74.3. http://agriculture.gouv.fr/le-contrat-de-la-filiere-alimentaire.4. L’ensemble des livrables de cette étude est acces-sible à l’adresse suivante : http://agriculture.gouv.fr/etude-prospective-sur-les-comportements-alimentai-res-de-demain.5. Échantillon non représentatif mais couvrant tousles maillons concernés par l’étude, construit par typesde métier et par secteurs d’activité.

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2 n CENTRE D’ÉTUDES ET DE PROSPECTIVE Analyse N° 97 - Février 2017

auxquels se sont ajoutés trois questionnairesen ligne6 renseignés par 463 répondants7.

Les éléments recueillis révèlent une dispa-rité des pratiques. Une grande partie desentreprises interrogées effectuent surtout unsuivi de marché à court terme, à des fréquen-ces variables selon leur taille. Dans la plupartdes cas, les « signaux faibles » ne sont pasdétectés : ce constat ne signifie pas que cetype d’informations n’est pas recherché, maisplutôt qu’il n’est pas appréhendé selon unegrille de lecture « prospective ». De plus,l’interprétation de certains signaux faiblessemble difficile. Peu d’entreprises se position-nent sur de l’anticipation à long terme, quiplus est souvent réalisée de façon ponctuelleet peu structurée. Seulement 9 % des artisans,26 % des industries agroalimentaires et coopé-ratives, et 14 % des entreprises de commercede gros interrogés cherchent à détecter cessignaux faibles ou à anticiper les tendanceslongues. Pour un quart des répondants, lemanque de moyens financiers et/ou humainsfait partie des explications avancées.

La borne temporelle jugée pertinente estgénéralement située à trois ans, synonymesde « long terme » pour la plupart des enquê-tés. Une temporalité plus éloignée leur paraîtpeu adaptée pour des marchés qui évoluentrapidement, avec une faible visibilité (restau-ration commerciale, restauration collectived’entreprises, produits soumis à de forts effetsde mode), ainsi que pour des entrepriseshabituées à réagir de façon « opportuniste »aux évolutions de la demande (petites struc-tures à adaptation rapide, souplesse desapprovisionnements en matières premièreset en produits finis). Ce dernier cas concerneen particulier les grossistes, les artisans etles TPE et PME.

Toutefois, l’étude montre que l’anticipationà long terme est pertinente et effective pouri) certains profils de chefs d’entreprises inno-vants, à l’affût des tendances, ii) des coopéra-tives et fournisseurs de matières premières,intégrant le maillon de la production agricoleet concernés par l’inertie de cycles de produc-tion longs, iii) des industries se positionnantsur des investissements stratégiques, iv) cel-les dont les produits sont sensibles aux chan-gements générationnels, et v) des entreprisesdont la taille importante implique une telleanticipation. À noter enfin que l’attrait pourle temps long n’est pas corrélé avec le degréde proximité aux consommateurs finaux.

Une grande diversité d’outils est utilisée etsix types de sources sont identifiés : indica-teurs internes à l’entreprise, réseaux profes-sionnels, presse spécialisée en format papier,sites Internet (presse spécialisée et généra-liste, blogs, sites étrangers, newsletters, revuesde presse, Twitter), organisations et syndi-cats professionnels, salons et expositions.Les expertises et rapports publics sont enrevanche moins utilisés. Certains industrielsagroalimentaires commandent des études8,dont l’usage des résultats s’avère parfoisdélicat : concepts complexes voire contradic-

toires dans les études de tendances, analy-ses de marchés basées sur du déclaratif etnon sur des données réelles d’achat, conclu-sions adaptées à un secteur et difficilementtransposables à un autre, etc. Enfin, lesenquêtés ont mentionné plusieurs zonesgéographiques de référence, considéréescomme pionnières en matière d’évolutionsdes consommations alimentaires : Paris,États-Unis, et pour certains Australie, Japonet Royaume-Uni.

Pour ce qui est du contenu proprement dit,les enquêtés pointent à la fois un excèsd’information et plusieurs points faibles. Eneffet, ils disent recueillir des données sou-vent trop généralistes, difficilement déclina-bles empiriquement et utilisables par desacteurs de terrain. En second lieu, ils regret-tent des manques d’informations chiffrées ethomogènes pour certains secteurs, en parti-culier la restauration hors domicile, et surdes produits de niche ou très spécifiques.

Dans le prolongement de ces constats,l’étude révèle un certain nombre de besoinscommuns : arriver à mieux caractériser lademande des consommateurs et des clients(notamment pour le commerce de gros) entermes de contenu des produits (propriétésfonctionnelles, nutritionnelles, etc.) et devaleurs portées par le produit ou promues parl’entreprise ; mieux connaître les évolutionsdes lieux d’achat et de consommation. De plus,les enquêtés s’interrogent sur la forme et lecontenu des tendances identifiées et sur leurdevenir : pérennité, rythme d’évolution, etc.Ces doutes, ajoutés aux résultats précédents,montrent que les chefs d’entreprises sont dansl’ensemble assez démunis quant à la compré-hension des évolutions des conduites alimen-taires et de leurs sous-jacents.

2 - Principales tendances de consommationalimentaire d’ici 2025

Les éléments ci-dessus confirment lebesoin, pour une grande partie des entrepri-ses de la filière alimentaire, de mieux iden-tifier les tendances de consommation, leursfacteurs explicatifs et leur devenir potentiel.Ils confirment donc aussi le choix fait, par leComité Stratégique de la Filière Alimentaire,d’engager une réflexion prospective en lamatière. Faire le détour par 2025 permet,d’une part, d’identifier les tendances les plusstructurantes dans les années à venir et, d’au-tre part, de donner des pistes de réflexion,d’initier des processus de questionnementchez les acteurs ciblés. Dans ce type deréflexion, l’objectif n’est pas de prédire ceque seront précisément les consommationsalimentaires des Français dans dix ans, maisseulement d’identifier les grands mouve-ments en cours, les principales dynamiques.

Une « tendance » est une propension de laréalité à suivre une voie clairement reconnais-sable, une prédisposition de certains acteursà partager des manières d’agir et de penser.Dans le cas présent, il s’agissait d’identifierles évolutions de conduites alimentaires

partagées par tout ou partie de la population.Ces tendances peuvent être structurelles, pro-fondes, connaître des évolutions lentes, obser-vables seulement sur une longue période etsoumises à une forte inertie (ex : diminutiondu temps consacré à l’alimentation). Elles peu-vent aussi être émergentes, donc d’origine plusrécente et commençant juste à déployer leurseffets (ex : numérisation des pratiques alimen-taires). Des inflexions et des ruptures sontpossibles, qui peuvent impacter y compris destendances bien installées. Dans ce type d’exer-cice, et au regard du sujet traité (consom-mations quotidiennes), l’horizon 2025 estpertinent : se projeter à dix ans permet d’avoirdes anticipations suffisamment solides touten s’affranchissant des réalités actuelles,condition d’une analyse plus sereine.

Pour cadrer leurs anticipations, les auteursde l’étude se sont appuyés sur cinq catégo-ries de facteurs de changement : démogra-phie et modes de vie, économie, culture etvaleurs, technologies, réglementation et nor-mes. Cela a permis d’identifier, dans un pre-mier temps, une cinquantaine de tendancesde consommation alimentaire. Leur hiérar-chisation, selon leur probabilité de réalisa-tion à 2025 et leurs impacts possibles sur lesmarchés alimentaires (notation par un grouped’experts), a abouti à la sélection de seize ten-dances principales (encadré 1). Des donnéesquantitatives (statistiques publiques, sonda-ges, résultats d’enquêtes répétées dans letemps), libres d’accès, et des éléments plusqualitatifs ont été utilisés. Un portrait de laFrance en 20259 a également été réalisé, surla base de projections démographiques, derevenus, etc., complétées par des projectionsconcernant les circuits de distributioncommerciale alimentaire et la consommationdes ménages (dépense alimentaire globale etpar catégorie de produits).

Les seize tendances retenues dépendentde facteurs proches, et présentent des pointscommuns, qui sont autant de défis prioritai-res pour les acteurs de la filière alimentaireet pour les pouvoirs publics10 :

- la personnalisation croissante des consom-mations, avec une affirmation de plus en plusforte de l’individu (alimentations particuliè-res11 par exemple) et, en contrepartie, une

6. Les questionnaires en ligne ont été adaptés en fonc-tion des secteurs : artisans et métiers de bouche ; indus-tries agroalimentaires et coopératives ; commerce degros alimentaire.7. 369 répondants pour l'artisanat et les métiers debouche, 73 pour les industries agroalimentaires et lescoopératives, 21 pour le commerce de gros alimentaire.8. Veille produit mondiale, travaux de prospective,cahiers de tendances marketing, études consommateursd’instituts de sondage, données issues de panels, etc.9. Le document fait partie des livrables de l’étude.10. Une représentation graphique des variables motri-ces et des tendances dessine des regroupements detendances et permet d’appréhender ces relations.11. Fischler C. (dir.), 2013, Les alimentations parti-culières. Mangerons-nous encore ensemble demain ?,Odile Jacob.

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CENTRE D’ÉTUDES ET DE PROSPECTIVE Analyse N° 97 - Février 2017 n 3

responsabilisation des mangeurs vis-à-vis desconséquences de leurs pratiques alimentaires ;

- le développement des enjeux de santé, enparticulier liés aux maladies alimentaires(obésité, diabète de type 2, etc.) ;

- l’accélération des rythmes de vie (multi-plication des activités, densification destemps sociaux), associée à un nomadisme desurbains, rendant l’alimentation souventsecondaire par rapport à d’autres préoccupa-tions (travail, loisirs, déplacements, etc.) ;

- la distanciation12 (physique, cognitive)croissante des urbains vis-à-vis des produc-teurs et des produits alimentaires, qui se tra-duit par un besoin accru de transparence,d’informations, mais également par une recher-che de proximité, de lien social, une volontéde reprendre en main leur alimentation ;

- la prégnance de plus en plus forte desenjeux de durabilité, la recherche de nou-veaux rapports à la nature ;

- le mouvement de numérisation de nossociétés ;

- des préoccupations de pouvoir d’achat quirestent fortes pour une partie de la population.

3 - Déclinaisons en impacts : trois exemples

Pour répondre aux objectifs exprimés dansle cadre du Contrat de filière, la descriptiondes tendances a été associée à une analyse deleurs impacts (potentiels ou avérés) sur lesentreprises, afin de sensibiliser, alerter, don-ner à réfléchir, sans pour autant entrer dansdu conseil en stratégie ou dans des prédic-tions technologiques, réglementaires, organi-

sationnelles, administratives, etc. L’expertisedu consortium a permis de renseigner plu-sieurs registres d’impacts, communs à tousles acteurs (produits, communication, marke-ting), puis spécifiques à chaque maillon de lafilière (restauration, artisanat, circuits dedistribution, logistique et grossistes, transfor-mation, production agricole). Présentés danschaque fiche tendance et impact de l’aval versl’amont, du consommateur vers le producteur,les éléments identifiés mettent notammenten avant des innovations installées ou, à l’in-verse, des stratégies d’entreprises encoreconfidentielles. À titre d’illustration, troisexemples sont présentés ici.

Tendance « alimentation santé bien-être »Cette évolution correspond à des démar-

ches, adoptées par une partie des consom-mateurs, visant à préserver leur santé et/ouà améliorer leurs performances et apparencephysiques. Portée par plusieurs moteurs liésà la santé, à la démographie et aux modes devie, elle se décline en plusieurs sous-tendan-ces notables : recherche d’aliments allégésou sans allergènes, d’une alimentation fonc-tionnelle (aliments enrichis à fonction nutri-tive ciblée), engouement pour les possibilitésliées aux avancées en nutrigénomique.Chacune de ces sous-tendances connaît unedynamique distincte. Par exemple, si la der-nière est conditionnée par les avancées scien-tifiques et technologiques, et est plusvraisemblable d’ici une quinzaine d’années,à l’inverse le marché des produits allégés

perd du terrain depuis le début des années2000, notamment au profit de produits« naturels » ou « sans ».

Au titre des impacts, on peut retenir entreautres le développement de produits santéspécifiques (ex : enrichis par de nouveauxingrédients) ou repensés (réduction des tauxde sel, de sucres, etc.), et celui de marquesmulti-produits à destination des séniors. Lanécessité de mieux informer les consomma-teurs est également identifiée, que ce soit parla mise en avant de gammes, recettes, pro-duits « santé », par l’extension de l’informationet des allégations « santé », ou encore par l’es-sor du « coaching nutritionnel » (y comprispar le biais d’acteurs extérieurs à la filièrecomme les mutuelles et les assurances).

Tendance « digital et alimentation »S’appuyant sur des évolutions sociétales

et technologiques fortes, cette tendance estencore émergente dans le champ des consom-mations alimentaires. Concernant déjà denombreux comportements du mangeur(recherche et partage d’informations, achats,livraisons, etc.), elle pourrait encore s’ampli-fier dans les années à venir. Elle résulte deplusieurs moteurs : la digitalisation, le noma-disme (individus de plus en plus mobiles),l’individualisation et la réduction du tempsconsacré à l’alimentation. Elle est déclinéeen trois sous-tendances : développement denouvelles pratiques d’achat adoptées par desconsommateurs en quête de praticité et detemps (exemples du click&drive et duclick&collect) ; progression de l’alimentationconnectée, basée sur l’utilisation de donnéespersonnelles (appareils électroménagersintelligents, scanners et emballages connec-tés, applications permettant le suivi desconsommations alimentaires, etc.) ; multipli-cation des réseaux sociaux et des sites pres-cripteurs, tiers de confiance facilitant lesconduites alimentaires.

Parmi les impacts envisagés de cette ten-dance, on peut retenir ceux sur les circuitsde distribution, pour lesquels les modèles éco-nomiques sont en cours d’évolution, avec àl’avenir de fortes possibilités de ruptures etd’innovations. Peuvent être cités l’arrivée denouveaux acteurs (e-commerce), le défi de lalivraison à domicile, le développement de ladésintermédiation, la remise en cause dumodèle de la distribution physique, ou encoreles questions de collecte et de valorisationd’une masse croissante d’informations sur leconsommateur. On peut aussi retenir l’inté-rêt, pour des artisans, d’exploiter la géoloca-lisation de certaines applications en tantqu’acteurs de proximité, de développer la

Encadré 1 - Les seize tendances de consommation identifiées

Chacune des seize tendances ci-dessous faitl’objet d’une description similaire13, avec unepremière partie consacrée à la tendance(moteurs, sous-tendances pour lesquelles desperspectives à 2025 sont tracées, etc.), et uneseconde à ses impacts sur les acteurs de la filièrealimentaire :

- « alimentation durable » ;- « alimentations particulières et commu-

nautés » ;- « alimentation santé et bien-être » ;- « baisse de la consommation de protéines

animales » ;

- « consommateur stratège » ;- « digital et alimentation » ;- « faire soi-même » ;- « individualisation » ;- « moins de gaspillage alimentaire » ;- « nouvelles expériences liées à la mondiali-

sation » ;- « nostalgie et authenticité » ;- « plus de transparence » ;- « prêt à manger » ;- « proximité » ;- « recherche de naturalité » ;- « recherche de nouvelles occasions de

consommation ».

12. Bricas N., Lamine C., Casabianca F., 2013, « Agri-cultures et alimentations : des relations à repenser ? »,Natures Sciences Sociétés, 21, pp 66-70.13. Les fiches tendances et impacts peuvent êtreconsultées à l’adresse suivante : http://agriculture.gouv.fr/etude-prospective-sur-les-comportements-ali-mentaires-de-demain.

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livraison (produits, repas) ou encore d’utili-ser les nouvelles marketplaces (sites mar-chands regroupant plusieurs annonceurs).Des portails ou autres outils pourraient éga-lement être développés à une échelle régio-nale, voire nationale, en mutualisant les coûts.

Tendance « alimentation durable »Montant en puissance dans les comporte-

ments alimentaires, la préoccupation du dura-ble est portée par des moteurs sociétauxforts : prise en compte croissante de l’environ-nement, préoccupation des individus pourleur santé et pour une rémunération plusjuste des producteurs et acteurs des filièresagricoles. La durabilité étant perçue de façonsvariables, elle se caractérise par une diver-sité de pratiques, et donc par plusieurs sous-tendances : un « plébiscite » des produitsrespectueux de l’environnement, la recher-che d’aliments moins emballés ou dont lesemballages sont recyclables et biodégrada-bles, celle d’une alimentation saine (produitsplus « naturels », diminution de la consom-mation de viande, augmentation de celle deprotéines végétales), le développement denouvelles pratiques de consommation colla-borative, et celui du commerce équitable etlocal (Nord-Sud et Nord-Nord).

En matière d’impacts, peuvent être misesen avant, pour le commerce de gros, de plusgrandes difficultés d’approvisionnement encertains produits ou ingrédients (par exem-ple issus de l’agriculture biologique française).Pour les entreprises de la logistique, les cir-cuits d’approvisionnement pourront êtremodifiés, avec des changements de fournis-seurs, pour répondre à la demande d’ingré-dients issus de l’agriculture biologique,équitables, labellisés ou de manière généraleplus durables. Le transport des matièrespremières et produits serait également à opti-miser, afin d’en limiter l’impact environne-mental. En ce qui concerne le maillon de latransformation, on peut citer l’évolution desproduits (substitution d’ingrédients, modifi-cation de la formulation et/ou des appro-visionnements pour intégrer des ingrédientsissus de filières plus durables), avec en parti-culier la généralisation de leur écoconcep-tion. De même, de nouveaux processpermettant une meilleure conservation desproduits agricoles bruts pourraient être misen place, et la consommation des ressources(énergie, eau, emballages, etc.) devrait êtresurveillée et réduite. La communicationauprès des consommateurs, sur les actionsréalisées, gagnerait à être développée, toutcomme la labellisation des produits et lescritères « responsabilité sociale des entre-prises » (rédaction systématique des rapportsannuels, intégration dans les cahiers des char-ges de la grande distribution).

4 - De l’anticipation à l’action : enjeuxautour de la diffusion des résultats

L’objectif de cette étude était de diffuserl’intérêt pour le raisonnement prospectif, desusciter un questionnement adapté à chaquesituation. De fait, il n’importait pas de cher-cher à faire une analyse exhaustive des ten-dances de consommation alimentaire et deleurs impacts sur les entreprises, mais seule-ment d’aboutir à un panorama pertinent, cohé-rent, intelligible, susceptible de mobiliser lesacteurs, de leur fournir des informationsciblées et de les inciter à s’investir mainte-nant dans d’autres démarches plus précises.La question du passage de la prospective à lastratégie était donc au cœur de cette étude.

La première phase d’enquête, centrée surles besoins des chefs d’entreprises, a dégagéplusieurs enseignements à prendre encompte dans la préfiguration de l’outil finalde mise à disposition des tendances :

- le faible taux de réponse aux questionnai-res en ligne met en lumière la nécessitéd’avoir des relais puissants pour atteindreles entreprises cibles, pour la diffusion del’information sur l’existence de l’outil commepour l’accompagnement de son utilisation ;

- la méconnaissance de la notion de « signalfaible » montre que le vocabulaire de laprospective n’est pas bien assimilé, et plusgénéralement l’attitude et la démarche pros-pectives ;

- la diversité des attentes identifiées, enparticulier en matière de données chiffréesspécifiques, implique des efforts pédago-giques pour présenter les fiches-tendanceset impacts (ex : illustration des tendances pardes « faits » et des « chiffres »), pour commu-niquer sur l’outil proposé et présenter sesobjectifs.

Ces questions se posent alors que la filièrealimentaire comporte un tissu diffus d’entre-prises, souvent de petite taille, confrontéespour une partie à des difficultés économiquesfortes, et non familières des travaux prospec-tifs. Comme voulu par le Contrat de filière, ilimporte donc d’accompagner au mieux le pas-sage du « Que peut-il advenir ? » au « Quefaire ? ». À cette fin, à partir de la banque defiches produites, plusieurs types d’actionsconcrètes ont été identifiés, qui pourraientêtre déployées dans les prochains mois :

- la mise à disposition en ligne14 de l’en-semble des documents produits, pour facili-ter la consultation, la diffusion et leuractualisation : l’architecture prévue est modu-laire, permettant un accès à tout ou partiedes documents selon les besoins ;

- l’élaboration d’une grille de lectureaccompagnant ces livrables, en particulierles seize fiches décrivant les tendances etleurs impacts prévisibles ;

- une large diffusion de l’information surl’existence de cet outil via les canaux institu-tionnels dont disposent les partenaires del’étude, ainsi que par la presse profession-nelle, avec une communication concertée ;

- une mise à jour des documents tous lesdeux à trois ans, ce pas de temps étant perti-nent au regard des évolutions des tendancesconsidérées.

*Partant d’un panorama des activités de veille

et d’anticipation des entreprises de la filièrealimentaire, les prestataires ont identifié seizetendances de consommation d’ici 2025, puisont décliné leurs impacts potentiels pour lesacteurs. Sur cette base, un outil dédié va êtremis en ligne, une banque de fiches-variablesactualisables régulièrement, système de suiviet d’analyse de ces évolutions sociétales.

Novatrice et ambitieuse, cette étude parte-nariale a cherché à passer des tendances deconsommation à des logiques d’entreprises, àdécliner des anticipations en orientations pourl’action. En cela, si les tendances identifiéesrejoignent des analyses publiées par ailleurs,les livrables s’en distinguent nettement en pri-vilégiant la lisibilité, la compréhension rapide,l’appropriation, et en apportant une attentionparticulière aux besoins des destinatairesfinaux (ligne éditoriale, accent mis sur les mes-sages clés, accès facilité par Internet). Il s’agis-sait là d’un parti pris de départ, la volonté étantde prendre en compte tous les maillons de lafilière, de privilégier les mouvements d’en-semble sur les situations particulières.

La future mise en ligne de ces fiches n’estqu’une étape dans une démarche plus lon-gue de sensibilisation à la prospective, aidantles petites entreprises à comprendre que nossociétés de plus en plus complexes, urba-nisées, individualistes, numérisées, façon-nent des conduites alimentaires en constanteévolution. Plus indirectement, cette étudesouhaite contribuer à améliorer la perfor-mance du secteur agroalimentaire français.Toutefois, s’il est important de donner desmoyens de savoir pour retrouver des moyensd’agir, le passage par la prospective n’estqu’un facteur de compétitivité parmi de nom-breux autres. Conjecturer de quoi sera faitdemain donne un avantage, mais n’est pasune garantie de réussite. Enfin, l’étude inté-ressera les acteurs impliqués dans la forma-tion, l’accompagnement, l’animation du tissudes entreprises de la filière alimentaire, à unniveau tant local que national.

Julia Gassie, Centre d’études et de prospectiveBertrand Oudin, Blezat Consulting

Ministère de l’Agriculture, de l’Agroalimentaire et de la ForêtSecrétariat GénéralService de la statistique et de la prospectiveCentre d’études et de prospective3 rue Barbet de Jouy75349 PARIS 07 SPSites Internet : www.agreste.agriculture.gouv.fr

www.agriculture.gouv.fr

Directrice de la publication : Béatrice Sédillot

Rédacteur en chef : Bruno HéraultMel : [email protected]él. : 01 49 55 85 75

Composition : SSP BeauvaisDépôt légal : À parution © 2017

14. Destinées aux acteurs, des pages seront en parti-culier dédiées à la présentation des livrables sur lesite du ministère.