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Compte-rendu de la séance du 2 décembre 2008 de l'atelier La part de fiction dans le cinéma documentaire
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La part de l’archive dans le cinéma de fiction
Ce billet est un compte rendu de la seconde séance de cet atelier (2 décembre 2008)
qui a constitué une première tentative d’étude de cas à partir d’un corpus de films défini par
Christian Delage au sein d’un article publié en 2005 dans la revue Etudes Photographiques :
« L’image dans le prétoire » et d’un chapitre du livre La vérité par l’image (Denoël, 2006) :
« L’archive documentaire et le récit de fiction » (pp. 215-232). Les thématiques abordées sont
donc celles de l’image filmique des et dans les procès et plus encore des images tournées par
les opérateurs alliés au moment de l’ouverture des camps de concentration et d’extermination
nazis. Ces textes ont été communiqués aux participants une semaine avant l’atelier – par le
biais de la liste cinemadoc - afin que ces derniers puissent en prendre connaissance et que la
séance se concentre donc sur les images.
Concrètement, la séance s’est articulée autour d’extraits de sept films (quatre fictions
et trois documentaires, dont la liste est disponible en fin de billet). Le choix effectué consiste
à inverser les termes de l’intitulé de l’atelier afin d’aborder La part du documentaire/ de
l’archive dans le cinéma de fiction, soit comment à certains moments des réalisateurs de
fiction ont intégré des images documentaires au sein de leurs films.
Deux fictions avant le procès de Nuremberg (1936-1945)
Le premier film sélectionné est Fury de Fritz Lang (1936). Le récit porte sur le lynchage d’un
homme accusé à tort d’avoir enlevé une petite fille (scène 33’-40’), puis sur le procès des
lyncheurs (64′-67′). Ces derniers sont confondus par l’usage de L’image dans le prétoire.
L’extrait diffusé permet d’insister sur le fait que la monstration d’images d’archive au sein
d’un procès a débuté avant les crimes nazis et avant même que des images en mouvement ne
soient diffusées au sein d’un tribunal américain. Le second film est The Stranger d’Orson
Welles qui raconte la manière dont Franz Kindler (personnage que l’on peut rapprocher
d’Eichmann) va être arrêté après que son épouse ait compris qu’il était un nazi responsable de
l’organisation du génocide. C’est suite à la confrontation de cette femme avec les images des
camps - que l’on découvre principalement à travers son regard - qu’elle accepte la vérité ( 5
plans pour moins de 10 secondes d’images d’archive). Un des éléments de contexte important
est que le film ait été réalisé et diffusé peu de temps après que les premières “images
d’atrocités” aient circulé aux Etats-Unis (fin avril 1945, Christian Delage, p. 71-72) et avant
même le début du Procès de Nuremberg (20 novembre 1945).
Trois extraits documentaires sur le procès de Nuremberg (1945-1946)
On s’est également appuyé sur le film documentaire Le procès de Nuremberg, Les nazis face
à leurs crimes (Christian Delage, 2006, Arte). On a alors montré des extraits des bandes
tournées par l’équipe de John Ford pendant le procès, mais aussi de courts passages des films
réalisés par les opérateurs américains (Les Camps de concentration nazis) et soviétiques. Dans
les deux premiers cas, on a souhaité montrer comment ils étaient insérés au sein du
documentaire de Christian Delage, alors que pour ce qui est de: Les atrocités commises par
les envahisseur germano-soviétiques en URSS on a préféré diffuser un extrait du document
d’origine (disponible en bonus du DVD).
Photogrammes issus de Le procès de Nuremberg
Deux fictions après le procès de Nuremberg (1959-1961)
Le troisième film de fiction est celui de Samuel Fuller : Verboten ! , qui porte sur la manière
dont un jeune homme participe à un groupuscule nazi après la fin de la guerre, alors que sa
soeur fraternise avec un américain. J’ai insisté sur le fait que des images d’archive sont
utilisées tout au long du film (bombardement, combat, etc.) et non pas uniquement pour les
images d’atrocités. La manière dont ces images sont montrées est assez brute et se construit
sur une alternance de champs-contrechamps entre le visage du jeune homme et des séquences
issues de manière non- hiérarchisée de films de propagande nazis (remonté dans The Nazi
Plan) et des bandes tournées par les Alliés. Le dernier film est Jugement à Nuremberg de
Stanley Kramer, dans lequel le spectateur suit les hésitations et l’évolution de la pensée du
juge américain d’un procès de juges allemands qui se déroule en 1948 à Nuremberg. Les
images des camps montrées sont principalement celles des opérateurs américains (environ 3
minutes).
D’un point de vue méthodologique l’enjeu était de mener une communication par le film. Il
s’agissait donc de donner la primeur aux extraits et de leurs subordonner les commentaires.
Les informations communiquées se situaient principalement à trois niveaux. En premier lieu,
des éléments portant sur le contexte historique et de la réalisation ont été rappelés (contrainte
des studios pour Welles et Lang). J’ai particulièrement insisté sur le fait que les réalisateurs
furent, soit pris dans l’histoire (Lang quittant l’Allemagne pour les Etats-Unis), soit des
acteurs de l’histoire (Welles remercié par Roosevelt, Fuller membre de la Big Red One).
Photogramme issu de Judgement at Nuremberg.Le commentaire indique à propos des camps à ce moment:
“de les suspendre au mur comme de vulgaires tableaux, sur des crochets”
Lors de la discussion, on a insisté sur le fait que ces films historiques rendaient compte d’un
état de l’historiographie et que les questions du film sont toujours posées au présent du
réalisateur (et du commanditaire). Par exemple, l’extrait du film documentaire soviétique
tourné à Auschwitz- Birkenau montre que ces derniers ne faisaient pas encore la distinction
entre un camp de concentration et un camp d’extermination; qu’ils souhaitaient insister sur la
multiplicité des origines des victimes et non sur le fait qu’elles soient Juives et enfin qu’ils ne
connaissaient pas le nombre de personnes assassinées ( ils annoncent quatre millions de morts
alors que l’estimation actuelle est plus proche d’un million).
Dans un second temps, il était nécessaire de replacer les extraits au sein de la diégèse du film,
d’expliquer leur place dans la narration (ce que l’on a rapidement fait ci-dessus). On a
toujours diffusé des extraits plus longs que le simple insert des images d’archive afin de
donner également à voir l’intrigue fictionnelle. Il s’est avéré que l’insertion de ces images est
toujours pensée comme un élément fondamental du récit qui conduit à la résolution du
problème du film. Chez Lang, c’est après la diffusion de ces preuves que les accusés sont
confondus, tout comme chez Welles, Fuller et dans un moindre mesure Kramer (prise de
conscience du juge).
Dans un dernier temps, j’ai invité les participants à se poser des questions plus formelles. Il
s’est agit de relever l’existence de trois types de thèmes visuels communs à chacun de ces
récits. Premièrement, on note que le dispositif de monstration des images est dans presque
tous les cas mis en avant. Les différents projecteurs sont inscrits dans le cadre tout comme
l’écran et le faisceau de lumière. Dans The Stranger ce dernier point à une importance
particulière, puisque c’est littéralement depuis les images projetées – qui s’impriment sur son
visage – que l’inspecteur s’adresse à la femme de Kindler (comme l’a noté Julia Gouin).
Photogramme issu de: The Stranger
On relèvera donc que les images d’archive documentaires ne sont pas directement montrées,
mais mis en abîme (à l’exception notable de Verboten !). Il s’agit de rompre le pacte
spectatoriel de la fiction pour introduire des images d’une autre nature, qui proviennent
d’autres énonciateurs. Il semble alors que ces images s’imposent au spectateur comme les
représentants du réel dans la fiction, alors même qu’elles « procèdent toujours d’un point de
vue qui l’assimile à un témoignage » pour reprendre les termes de Christian Delage (Etudes
Photographiques, p. 57).
Photogrammes issus de: Fury, The Stranger et Jugdement at Nuremberg.
De plus dans les films de fiction, un personnage est toujours utilisé comme médiateur entre le
spectateur et les images d’archive (à l’exception notable de Fury). Le sujet de la séquence est
donc, en même temps que la projection des images, la manière dont elles sont perçues et dont
elles deviennent par là même un agent du récit. Le gros plan et le regard caméra sont alors les
formes privilégiées par les réalisateurs. Dans le cas de The Stranger, il s’agit de la femme de
Kindler à qui les images apprennent que son mari est un nazi, alors que dans Verboten ! c’est
le jeune nazi qui se rend compte des atrocités commises par Hitler ; et enfin que dans la
fiction de Stanley Kramer, c’est la réaction du juge – héros du film – qui est au centre de la
séquence. On notera que lors du Procès de Nuremberg, John Ford avait fait le choix de scruter
les réactions des accusés nazis. A ce titre, on peut souligner la différence entre fiction et
documentaire, puisque le fait que le juge dans le film de Stanley Kramer (ou les accusés dans
Fury) découvrent les images diffusées par les actualités lors du procès est un effet narratif
purement fictionnel qui n’a pas eu cours lors du véritable procès de Nuremberg (le juge
Jackson avait eu connaissance des images quelques mois avant).
Photogrammes issus de: Verboten!, The Stranger et Jugdement at Nuremberg.
Enfin, la diffusion de ces différents extraits a permis de faire ressortir un certain nombre de
thèmes visuels récurrents. On a ainsi noté que les images d’archive sélectionnées dans ces
films de fiction étaient souvent les mêmes : détenus derrière des barbelés, enfants tatoués,
main qui tourne un levier (reproduite ci-dessous), corps jetés dans une fosse, usage du
bulldozer pour déblayer les corps, etc. Il est alors pertinent de s’interroger sur la circulation de
ces images et leurs différents usages dans le temps (comme l’a relevé Vincent Auzas). En
dernier lieu, on a également souligné le fait que la question de la représentation des chambres
à gaz était une question qui parcourait ces différentes fictions. Dans The Stranger c’est le
commentaire (donc le texte) qui nomme une image de prison comme représentant une
chambre à gaz (Christian Delage, p. 220), alors que dans Verboten ! un montage suggestif
conduit à penser qu’une chambre à gaz a été filmée en train de fonctionner. Les images
utilisées ont toutes été tournées après que les nazis aient quittés les camps d’extermination et
c’est donc uniquement par le montage de différents plans documentaires qu’une telle idée de
continuité est construite.
Série de photogrammes issus de Verboten! de Samuel Fuller
Ces deux derniers exemples renvoient à la problématique centrale de l’atelier, soit la question
du récit par l’image, car il ressort de cette séance qu’à la multiplicité des extraits montrés
correspond une multiplicité de constructions narratives liant fictions et documentaires. Ainsi,
dans Fury ce sont des images de fiction (celles du lynchage) qui sont chargées d’une valeur
documentaire lors de leur projection dans le film. On peut ajouter que Fritz Lang pensait ses
fictions comme étant « les documentaires de leur temps (…) En ce sens Furie est un
documentaire » (Etudes Photographiques, p. 54).
Photogrammes issus de: Fury, Le procès de Nuremberg, Judgement at Nuremberg
Le fait de montrer des extraits de films documentaires permet également de comprendre que –
bien que différente - la mise en récit n’est pas moindre au sein de ces derniers, que ce soit
dans le but d’une meilleure intelligibilité du propos ou afin d’orienter la réception à des fins
politiques (comme on l’a noté à propos du documentaire soviétique). Dans tous les cas, il ne
s’agit pas de discréditer ces images en insistant sur leur subjectivité, mais bien plus de la
relever afin qu’elle soit prise en compte dans l’interprétation de ces films. Enfin, dans les trois
derniers films de fictions ce sont donc des images d’archive, elles mêmes construites, qui sont
intégrées à un récit de fiction selon différentes modalités (personnage médiateur/ monstration
du dispositif/ construction- usage de formes visuelles). L’enjeu principal était donc de montrer
(et non de démontrer) à travers ces extraits les différents niveaux de stratification du récit au
cinéma et d’insister sur les imbrications entre cinéma de fiction et cinéma documentaire.
Rémy Besson.
Allocataire à l’EHESS sous la direction de Christian Delage, membre du Lhivic, doctorant associé au CNRS – IHTP.
Je tiens à remercier tous les participants du séminaire, Julia Gouin et Vincent Auzas, que j’ai
cité ci-dessus; mais aussi Fanny Lautissier et Martine Robert qui ont facilité mon travail et
enfin Moira Cristia pour sa présentation lors de cette séance de l’article Like Writing History
with Lighting de Rosentone sur lequel je ne suis pas revenu dans ce compte-rendu.
Extraits de films diffusés, programme de 40 minutes:
Fury (Furie), Fritz Lang, 88’, 193633’-40’ : scène de lynchage aux Etats-Unis64’-67’ : diffusion du reportage tourné sur le lynchage au procèsThe Stranger (Le criminel), Orson Welles, 90’, 194555-60’ : réaction de la femme de Kindler face aux images diffusées à NurembergLe procès de Nuremberg, Les nazis face à leurs crimes, Christian Delage, 2006, 90’20’-27’30 : images issues Les Camps de concentration nazis tournées par les opérateursaméricains, diffusées lors du Procès de Nuremberg et filmé par l’équipe de John Ford.61-63’ : images des opérateurs russes à AuschwitzLes atrocités commises par les envahisseurs germano-fascistes en URSS, 1946, 60’43’30-46’ : images des opérateurs russes à AuschwitzVerboten ! (Ordres aux espions nazis), Samuel Fuller, 83’, 195969’-78’30 : réaction du personnage du jeune nazi face aux images diffusées à NurembergJugdement at Nuremberg (Jugement à Nuremberg), Stanley Kramer, 180’, 1961105’-111’ : réactions face aux images diffusées à Nuremberg