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Dout. et Anatg. 4, 157-158, 199t Compte-rendu A. Violon' et P. Rosatti ~ ' H~pital Saint-Pierre, D~partement de Neurologie, Bruxelles; 2 Consultation Douleur, Centre des cephalees, Clinique de Genolier, Genolier, Suisse Le 7 decembre 1991 a eu lieu 9. Louvain-la-Neuve (Belgi- que) une reunion consacree exclusivement aux aspects psychologiques des douleurs chroniques. Cette rencontre a 6te sponsorisee par la firme Sanofi-Pharma, departement Clin-Midy. L'organisation de cette journee s'est faite 9. I'initia- tive d'Eric Ophoven, psychologue au service de revalidation de la Clinique St-Pierre 9. Ottignies, en coordination avec les Docteurs Masquelier et Schepens et les psychologues Gri- sart et Salamun. Plutet que de privilegier un type particulier d'approche, il a 6te decide de laisser le soin 9. des intervenants issus d'hori- zons psychologiques divers d'expliquer leur travail et sa spe- cificit& En effet, apres une introduction d'Eric Ophoven et une allocution du Docteur Joffroy, President du chapitre beige de I'IASP sous 1'egide duquel se pla?ait la reunion, un psychiatre systemicien, le Docteur J.M. Limpens, une psychologue comportementaliste, Mme I. Salamun et un psychanalyste, le Docteur B. De Lantsheere ont pris successivement la parole. Le canevas de reference des exposes avait ete defini 9. I'avance par les organisateurs et bien explicit& II n'est pas denue d'interet de le citer in extenso, pour qu'il puisse, le cas echeant, servir de charpente & des reunions futures. 1. Le recrutement: qui consulte et pourquoi? Comment arrive-t-il chez nous? 2. Le cadre therapeutique: la place de la consultation psychologique dans la prise en charge du patient, le lieu, la collaboration entre les therapeutes, comment se passe la consultation, comment circule I'information au sein de I'equipe? 3. La specificite de I'intervenant par rapport 9. la prise en charge du patient douloureux: hypothese explicative? Bref aper?u theorique... 4. L'evaluation: comment se fait la collecte des donnees, testing, entretien clinique, I'apport de I'information recueillie, les niveaux d'inference 9. partir des donnees recueillies (sens donne aux informations), darts quel but? (diagnostic, recherche, evaluation de I'efficacit&..). Choisit-on d'intervenir? Sur quoi?... Correspondance: A. Violon, Departement de Neurologie, Hepital St- Pierre, 322, rue Haute, B-1000 Bruxelles. 5. La description de la population: le probleme de diagnos- tic, references & une classification psycho-pathologique: hysterie, depression, troubles psycho-somatiques, dou- leur psychogene, douleur sine materia... 6. Le processus therapeutique: la place du syndrome dou- Ioureux chronique dans la therapie; la description de la relation (attitude face au patient douloureux), les techni- ques utilisees (suggestion, persuasion, encouragement de I'exploration de sol, interpretation, relaxation, para- doxe...), intervention par rapport & I'acte de prescription (gestion de la medication, des emotions, des activites...), evaluation de la motivation: le probleme des attentes (expectation), des attributions (le sens donne par le patient & ses probiemes), les change-t-on, appreciation des capacites & mettre 9. profit I'experience therapeuti- que, la compliance avec le probleme medico-legal... 7. L'evaluation des effets de la therapie. De I'allocution introductive de Joffroy, on retiendra qu'aux U.S.A., les Pain Clinics qui se developp~rent d~s 1960 sont privees et lucratives, avec un mode de fonction- nement pluridisciplinaire qui n'est plus remis en question, respectant une unite de lieu pour des traitements diffe- rencies. L'IASP, rappelle Joffroy, encourage la creation de ,,groupes d'interet special, pour des questions specifiques,>, qui constituent des references sur les plans clinique et scien- tifique en meme temps que des lieux d'echanges, de coordi- nation de recherches, de reflexion sur I'experience acquise ou les resultats obtenus. II en est ainsi de Psychologie et Douleur. L'exposd de Limpens, faisant reference 9. la psychia- trie de liaison, con?oit I'approche systemique comme une toile de fond, abord integre sur lequel peuvent se develop- per d'autres discours. Le patient dolt etre refere par un medecin, il remplit une fiche detaillee de demande de consul- tation. Le patient est amene 9. repondre & des questions concernant les attentes de son medecin traitant & I'egard du centre d'algologie et, dans cette demarche, la presence d'un psychiatre est mentionnee explicitement. On procede & un etat des lieux de ta souffrance et de ses significations ainsi que des ressources du patient. Les reperes pour I'analyse 157

Compte-rendu

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Dout. et Anatg. 4, 157-158, 199t

Compte-rendu A. Violon' et P. Rosatti ~

' H~pital Saint-Pierre, D~partement de Neurologie, Bruxelles; 2 Consultation Douleur, Centre des cephalees, Clinique de Genolier, Genolier, Suisse

Le 7 decembre 1991 a eu lieu 9. Louvain-la-Neuve (Belgi- que) une reunion consacree exclusivement aux aspects psychologiques des douleurs chroniques. Cette rencontre a 6te sponsorisee par la firme Sanofi-Pharma, departement Clin-Midy. L'organisation de cette journee s'est faite 9. I'initia- tive d'Eric Ophoven, psychologue au service de revalidation de la Clinique St-Pierre 9. Ottignies, en coordination avec les Docteurs Masquelier et Schepens et les psychologues Gri- sart et Salamun.

Plutet que de privilegier un type particulier d'approche, il a 6te decide de laisser le soin 9. des intervenants issus d'hori- zons psychologiques divers d'expliquer leur travail et sa spe- cificit& En effet, apres une introduction d'Eric Ophoven et une allocution du Docteur Joffroy, President du chapitre beige de I'IASP sous 1'egide duquel se pla?ait la reunion, un psychiatre systemicien, le Docteur J.M. Limpens, une psychologue comportementaliste, Mme I. Salamun et un psychanalyste, le Docteur B. De Lantsheere ont pris successivement la parole. Le canevas de reference des exposes avait ete defini 9. I'avance par les organisateurs et bien explicit& II n'est pas denue d'interet de le citer in extenso, pour qu'il puisse, le cas echeant, servir de charpente & des reunions futures.

1. Le recrutement: qui consulte et pourquoi? Comment arrive-t-il chez nous?

2. Le cadre therapeutique: la place de la consultation psychologique dans la prise en charge du patient, le lieu, la collaboration entre les therapeutes, comment se passe la consultation, comment circule I'information au sein de I'equipe?

3. La specificite de I'intervenant par rapport 9. la prise en charge du patient douloureux: hypothese explicative? Bref aper?u theorique...

4. L'evaluation: comment se fait la collecte des donnees, testing, entretien clinique, I'apport de I'information recueillie, les niveaux d'inference 9. partir des donnees recueillies (sens donne aux informations), darts quel but? (diagnostic, recherche, evaluation de I'efficacit&..). Choisit-on d'intervenir? Sur quoi?...

Correspondance: A. Violon, Departement de Neurologie, Hepital St- Pierre, 322, rue Haute, B-1000 Bruxelles.

5. La description de la population: le probleme de diagnos- tic, references & une classification psycho-pathologique: hysterie, depression, troubles psycho-somatiques, dou- leur psychogene, douleur sine materia...

6. Le processus therapeutique: la place du syndrome dou- Ioureux chronique dans la therapie; la description de la relation (attitude face au patient douloureux), les techni- ques utilisees (suggestion, persuasion, encouragement de I'exploration de sol, interpretation, relaxation, para- doxe...), intervention par rapport & I'acte de prescription (gestion de la medication, des emotions, des activites...), evaluation de la motivation: le probleme des attentes (expectation), des attributions (le sens donne par le patient & ses probiemes), les change-t-on, appreciation des capacites & mettre 9. profit I'experience therapeuti- que, la compliance avec le probleme medico-legal...

7. L'evaluation des effets de la therapie.

De I'allocution introductive de Joffroy, on retiendra qu'aux U.S.A., les Pain Clinics qui se developp~rent d~s 1960 sont privees et lucratives, avec un mode de fonction- nement pluridisciplinaire qui n'est plus remis en question, respectant une unite de lieu pour des traitements diffe- rencies. L'IASP, rappelle Joffroy, encourage la creation de ,,groupes d'interet special, pour des questions specifiques,>, qui constituent des references sur les plans clinique et scien- tifique en meme temps que des lieux d'echanges, de coordi- nation de recherches, de reflexion sur I'experience acquise ou les resultats obtenus. II en est ainsi de Psychologie et Douleur.

L'exposd de Limpens, faisant reference 9. la psychia- trie de liaison, con?oit I'approche systemique comme une toile de fond, abord integre sur lequel peuvent se develop- per d'autres discours. Le patient dolt etre refere par un medecin, il remplit une fiche detaillee de demande de consul- tation. Le patient est amene 9. repondre & des questions concernant les attentes de son medecin traitant & I'egard du centre d'algologie et, dans cette demarche, la presence d'un psychiatre est mentionnee explicitement. On procede & un etat des lieux de ta souffrance et de ses significations ainsi que des ressources du patient. Les reperes pour I'analyse

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psychologique du cas sont de I'ordre de la psychiatrie tradi- tionnelle. La consultation du psychiatre et du somaticien est integree et les cas font I'objet d'une reunion un demi-jour par semaine, avec note de synthese consignee dans un registre. Le centre a actuellement 1 '500 consultations par an dont 200 nouveaux cas, ce sont principalement des radiculopa- thies, Iombalgies, syndromes facettaires, nevralgies diver- ses. L'attente est Iongue, I'analyse du cas se fait sans h~tte et cette necessite materielle est reformulee par I'orateur comme ayant une valeur strategique, dans la mesure oQ elle est antinomique d'une situation de crise et susceptible de d6samorcer les attentes magiques du patient. Le traitement peut durer de trois a cinq ans.

Commentaires

Bien qu'il y ait reference & des concepts de causalite cir- culaire et mention de techniques therapeutiques comme la metaphore, I'amplification ou le paradoxe, I'approche est plus systematique que systemique & proprement parler. Comme elle est riche et de Iongue duree, il peut y avoir dan- ger de se substituer & la fois au medecin traitant et & d'autres structures medicales et psychiatriques. La question du coet risque de se poser & moyen terme.

Salamun, qui travaille en collaboration avec Devoghel Liege, s'adresse & une population variee oQ predominent les Iombalgies, les cephalalgies et les cancereux, les seuls pour lesquels I'approche n'est pas multidisciplinaire. L'accueil du patient se fait par I'anesthesiste, qui s'occupe du bilan dia- gnostique. Le psychologue fait ensuite systematiquement une mise au point et dej& & ce stade, informe le douloureux sur ce qu'est la douleur, la relation de celle-ci avec des fac- teurs psychologiques ainsi que sur les traitements.

Chaque jour, somaticien et psychologue revoient leurs dossiers dans un but diagnostique et operationnel. IIs vehi- cuient le meme modele de la douleur. Le cadre de reference psychologique est cognitivo-comportemental. II tient compte des Iors des apprentissages et modeles, des facteurs cogni- tifs telles les pensees negatives. L'apport d'information au patient est capital et le depistage des facteurs d'entretien de la douleur au centre de la demarche psychologique.

Commentaires

Reference est faite aux therapies cognitives dont I'apport, Iorsqu'elles sont utilisees seules, est contestable' pour la douleur chronique et aux therapies de relaxation, dont la valeur merite d'etre soulignee. L'information donnee au patient permet de mieux recueillir son adhesion au traite- merit.

L'expos6 de B. De Lantsheere se rapporte & une con- sultation bi-disciplinaire neurologue-psychanalyste. Le pre- mier (le Dr Joffroy) fait le screening des patients et en refere certains au second, d'autres etant du ressort d'un acte chi- rurgical (nevralgies du trijumeau). Darts les cas examines par le psychanalyste, qui constituent un quart des consul- tants, la personnalite est caracteristique des etats-limites, la carence de I'enfance predomine et, si la moiti6 a un refus de la dependance affective et pratique la fuite en avant, rautre moitie vit une relation fusionnelle sadomasochiste avec un partenaire insatisfaisant.

La <<peau psychique,,, cette enveloppe qui differencie le Moi du non-Moi, et qui est & la frontiere du corporel et du psychologique, destinee & proteger I'individu des agressions de la realite exterieure, peut etre trop permeable suscitant un envahissement par I'imaginaire comme dans I'hysterie, ou trop impermeable avec refoulement, confor- misme et pensee operatoire allant jusqu'& I'hypochondrie cons comme une preuve permanente que le dernier rem- part, le corps en I'occurrence, n'est pas perdu. Le psycha- nalyste differencie deux modes de pensee siamois: I'empirique-rationnel et le symbolique-mythique, & faire dia- Ioguer.

Commentaires

A notre avis, on se trouve I& tres proche de la theorie neu- ropsychologique reprise par I'ecole de Palo-Alto du cerveau gauche Iogique et du cerveau droit analogique et I'on pour- rait dire, paraphrasant Pascal, que le corps a ses raisons que la raison ignore. La notion, alleguee par I'analyste, que le patient douloureux est quelqu'un qui s'est coupe de I'affect et du sens, para~ relever de la psychosomatique en general sans etre propre au douloureux. Quant & la carence affective de I'enfance, il importait qu'elle soit soulignee pour etre prise en compte dans le processus therapeutique 2. Enfin, les indications de psychanalyse stricto sensu dans les douleurs chroniques sont tres rares, les patients decrits I& ne representant qu'une minorite des algiques vus en pratique courante.

Les exposes ont suscite questions et remarques. Tous les points du canevas preetabli n'ont pas ete abordes et il reste bien du travail pour le futur, en particulier pour ce qui est de I'evaluation des effets de la therapie. On peut conside- rer cette reunion du 7 decembre comme un premier pas indispensable, qui a permis aux participants de faire con- naissance. L'avenir necessitera des interventions de plus en plus ciblees.

Les commentaires de F. Boureau, P. Rosatti et A. Violon, ont suscite un interet certain. Boureau a souligne la necessite de I'adequation des traitements & la problemati- que particuliere du patient - - ils doivent etre cibles - - et de I'information prealable du douloureux, qui permet de le faire mieux participer au traitement. Rosatti a rappele des notions de systemique eta pousse les participants & se definir par rapport & ce que signifie reellement la psychologie de la dou- leur. II preconise la consultation en commun et la transdisci- plinarite (connaissance/comprehension par chaque interve- nant du domaine de I'autre), de preference a la pluridiscipli- narit&

Violon a fait une synthese commentee des interventions en insistant sur la necessite de separer les processus de dia- gnostic et de therapeutique et sur la mise en branle des divers traitements en synergie plutSt que successivement, car ils se potentialisent mutuellement.

La reunion a ete mise & profit pour creer une Societe Francophone de Psychologie de la Douleur dont le premier president est le Dr Rosatti et le secretariat assure par E. Ophoven. La revue Douleur et Analgesie a ete choisie pour en etre I'organe officiel.

' Cf. A. Violon: Les th6rapeutiques psychologiques de la douleur chro- nique. Douleur et Analg6sie 2, 151-159, 1989.

2 Cf. A. Violon: La douleur rebelle. L'epi-intelligences du corps. Desclee de Brouwer, Paris, 1992.

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