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Mme Rozen Noguellou Professeur des universités M. Gilles Savary Député de Gironde et rapporteur sur le projet de loi portant réforme ferroviaire Maître Philippe Hansen Avocat associé du cabinet UGGC avocat 15 avril 2015 Master 2 DPA dirigé par M. Gérard MARCOU et M. Laurent VIDAL Université Paris 1 Panthéon Sorbonne http://www.univ-paris1.fr/associations/amdpes/ Compte-rendu - conférence La réforme ferroviaire – Perspectives croisées

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Page 1: Compte-rendu - conférence...Ce modèle se caractérise par une structure holding de tête, l’EPIC SNCF, regroupant les deux entités que sont le gestionnaire d’infrastructure,

Mme Rozen Noguellou Professeur des universités

M. Gilles Savary

Député de Gironde et rapporteur sur le projet de loi portant réforme ferroviaire

Maître Philippe Hansen Avocat associé du cabinet UGGC avocat

15 avril 2015

Master 2 DPA dirigé par M. Gérard MARCOU et M. Laurent VIDAL

Université Paris 1 Panthéon Sorbonne

http://www.univ-paris1.fr/associations/amdpes/

Compte-rendu - conférence La réforme ferroviaire – Perspectives croisées

Page 2: Compte-rendu - conférence...Ce modèle se caractérise par une structure holding de tête, l’EPIC SNCF, regroupant les deux entités que sont le gestionnaire d’infrastructure,

Ce compte rendu est le fruit d’une retranscription des propos tenus lors de la conférence. Ils n’engagent pas leurs auteurs.

Propos retranscrits par M.Mendi FRIGAUX et M.Nicolas KERAVEL Rozen NOGUELLOU – Professeur de droit public, Université Paris 1-Panthéon-Sorbonne

Il s’agit d’un thème important pour les praticiens, du point de vue notamment de la théorie de la régulation. C’est une question d’une grande actualité puisqu’à l’heure actuelle certains décrets d’application de la loi du 4 août 2014 sont en cours d’édiction.

Cette réforme est, comme souvent en matière d’ouverture à la concurrence, contrainte a fortiori dans ce secteur, particulièrement difficile à faire évoluer. Il faut attendre les années 90 pour voir les premières évolutions en France. Au début des années 90, la Commission européenne commence à s’intéresser à l’ouverture des secteurs en réseau. La directive de 1991 consacre les grands principes à savoir la séparation et l’indépendance du gestionnaire d’infrastructure à l’égard de l’exploitant ferroviaire, le droit d’accès aux opérateurs aux infrastructures ferroviaires. La France va, de manière exceptionnelle, très vite entreprendre les réformes puisqu’en 1997 elle crée RFF, établissement public gestionnaire d’infrastructure. Cette loi n’est pas, en réalité, dictée par la volonté de réformer en profondeur l’organisation ferroviaire. En transférant la dette de SNCF à RFF, la France fait ainsi échapper la dette de l’opérateur historique à des limitations posées par le Traité de Maastricht en matière de dette publique. En outre, au niveau de l’organisation peu de choses changent dans les faits car RFF délègue, en application de la loi, à la SNCF un certain nombre de ses missions telles l’attribution des sillons. La SNCF assure ici un rôle de gestionnaire d’infrastructure délégué. Ce qui lui vaudra à cet égard une condamnation par la Cour de justice en 2013.

S’ensuit, au niveau européen, la succession des différents paquets ferroviaire traduisant une volonté d’accélérer les réformes en vue de créer un espace ferroviaire européen. C’est dans ce contexte et à la suite des condamnations prononcées par la Cour de justice qu’intervient la réforme à l’œuvre. La loi du 4 août 2014 est une réforme influencée par des questions budgétaires. L’exposé des motifs fait état d’une dette de plus de 40 milliards d’euros, avec une aggravation du déficit structurel. Il s’agit, selon l’exposé des motifs, d’une réforme structurante visant à rénover le système ferroviaire français.

On observe tout d’abord une réforme du point de vue du régulateur. Les pouvoirs de l’ARAF sont confortés en matière d’accès des tiers en réseau. L’autorité conserve un pouvoir d’avis conforme pour la fixation du montant des redevances d’accès ainsi qu’une adaptation de sa structure aux exigences posées par la jurisprudence en matière d’impartialité des autorités de régulation détenant un pouvoir de sanction.

Mais l’aspect le plus important concerne la réforme institutionnelle du groupement

ferroviaire. La loi du 4 août 2014 opte pour un modèle dit intégré à l’Allemande consistant à regrouper au sein d’une même structure, le gestionnaire d’infrastructure et l’exploitant ferroviaire historique. Ce modèle a été rendu possible après des débats au niveau européen, le quatrième paquet ferroviaire prévoyant en effet d’interdire ce mode d’organisation. La France a donc échappé à l’obligation de modifier sa structure à l’issue de l’adoption future du quatrième paquet ferroviaire.

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Ce modèle se caractérise par une structure holding de tête, l’EPIC SNCF, regroupant les deux entités que sont le gestionnaire d’infrastructure, SNCF RESEAU, et l’exploitant historique, SNCF MOBILITE. La distinction des rôles est claire. SNCF RESEAU, en sa qualité de gestionnaire d’infrastructure, gérera l’accès et l’entretient du réseau. Il bénéficiera d’un transfert du personnel en provenance de l’ancien EPIC SNCF (désormais SNCF MOBILITE) et notamment celui composant l’ancienne SNCF Infra et la Direction de la circulation ferroviaire. SNCF MOBILITE ne gèrera, selon la loi, plus aucune mission relevant du gestionnaire d’infrastructure.

Mais, outre le caractère limité des changements opérés par cette réforme, on peut

s’interroger sur le caractère soutenable, d’un point de vue juridique, d’une telle organisation. Il existe des doutes quant à la conformité avec les exigences du droit de la

concurrence et du droit européen. A cet égard, l’autorité de la concurrence a critiqué une architecture particulièrement complexe.

La question se pose au niveau de la gouvernance du groupement SNCF. On peut se

demander comment assurer, dans la configuration retenue par la loi, une bonne indépendance du gestionnaire d’infrastructure à l’égard de l’exploitant, SNCF MOBILITE. En effet le directoire de l’EPIC de tête sera présidé par le président de SNCF MOBILITE, la présidence déléguée revenant quant à elle au président de SNCF RESEAU.

Un autre problème de taille est celui de la forme de l’EPIC. C’est un choix daté, qui

n’a pas fait l’objet de débat car il a été arrêté en amont de la discussion parlementaire. Le choix du statut est le fruit d’un compromis politique visant à convaincre les agents cheminots. Or on peut s’interroger sur la comptabilité du système aux vues des condamnations de la Cour de justice qui considère que le statut d’EPIC porte implicitement en lui une aide d’Etat. Le raisonnement du juge peut être critiqué mais il n’en demeure pas moins que le statut de l’EPIC posera problème, en ce qui concerne SNCF MOBILITE, qui interviendra sur un marché concurrentiel.

Une autre critique peut être portée s’agissant de la question des infrastructures

essentielles et des gares de voyageurs. En effet, SNCF MOBILITES conserve la gestion des gares, ce qui correspond dans l’ancien groupe à Gare et Connexions. Or dès lors que l’on considère que les gares de voyageurs constituent des infrastructures essentielles, la comptabilité de cette organisation posera des problèmes au niveau du droit de la concurrence. Ce système n’est pas tenable. De surcroît l’organisation est très complexe. En matière de gare de voyageur SNCF RESEAU gère comme le faisait RFF les quais, et SNCF MOBILITES les gares … Pour conclure, on peut émettre une observation générale. Le secteur ferroviaire est traité par l’Europe comme les autres secteurs tels que l’aérien ou les télécommunications. C’est un problème, car les spécificités du secteur ferroviaire nous obligent à adopter un raisonnement différent. On doit s’interroger pour savoir si le transport par rail n’est pas un monopole naturel. La Cour des comptes considère à ce titre que le rail n’est pas un secteur rentable. On peut se demander enfin quel effet concret aura l’ouverture à la concurrence sur le service pour les voyageurs. Si le modèle social de la SNCF n’est pas rentable, il n’est pas certain que l’on doit faire évoluer ce secteur uniquement à travers l’ouverture à la concurrence.

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Pour plus de développement : NOGUELLOU (R), Avis sur le projet de loi de réforme ferroviaire, Droit Administratif - Janvier 2014 - n° 1 NOGUELLOU (R), Le réseau ferroviaire analysé par la Cour des comptes, Droit Administratif - Juin 2008 - n° 6 s NOGUELLOU (R), Réforme ferroviaire, Droit Administratif - Décembre 2013 - n° 12 Gilles SAVARY – Député de la Gironde, rapporteur de la loi du 4 août 2014

Partageant l’essentiel des points de vue exposés il convient d’apporter au débat une

mise en perspective politique car « l’amont explique beaucoup le design ». Il faut bien comprendre que l’on est dans un secteur très difficile à réformer. Ces blocages remontent à 1945, aux termes d’un compromis d’après guerre : ces entreprises publiques ont été gérées en cogestion avec un rapport de force syndicat – Etat. L’Europe nous force à bouger car on est incapable de le faire. Le conservatisme se loge partout. L’Union européenne s’est d’abord occupée de la route puis de l’aérien. C’est au tour du rail qui comporte des spécificités notamment techniques qui posent des problèmes considérables. Par exemple sur une ligne Thalys il existe 6 ou 7 systèmes de commande différents. Sans parler du problème de l’écartement des rails, le problème est titanesque !

Le rail est un mode de transport guidé. Aussi un événement sur le réseau se

répercute-t-il sur tout le réseau. L’Union européenne s’est donc appuyée sur la théorie des réseaux. Le réseau doit pouvoir accueillir sans discrimination tout nouvel acteur. Ce qui explique la pression de l’Europe pour garantir une séparation des missions de gestion d’infrastructure et de l’exploitation ferroviaire. C’est ce qu’entend, nous l’avons vu, la directive de 1991. En 1997, l’objectif était de faire « disparaître la dette de la SNCF des radars de Maastricht ». Et puis plus rien ne se passe jusqu’au début des années 2010, du moins en France.

En 2011, les assises du ferroviaires sont organisées par Nathalie KOSCIUSKO-

MORIZET à l’occasion desquelles on découvre l’endettement et l’état catastrophique du réseau ferré historique. C’est le résultat de la politique du tout-TGV. Tout le monde préconise de réunir le gestionnaire d’infrastructure et l’entreprise ferroviaire, il faut « réunir le rail et la roue ! ». Un débat va être engagé, il sera vif, à Bruxelles. L’Union européenne ne veut pas la moindre connivence entre le gestionnaire d’infrastructure et l’exploitant historique. C’est à cette occasion que la DEUTSCHE BAHN va publier un rapport sur la concurrence ferroviaire selon lequel il n’y a pas de corrélation entre l’ouverture à la concurrence et un tel système. Les performances du système ferroviaire ne sont pas mauvaises dans une telle organisation. Les meilleurs systèmes sont même, selon ce rapport, des systèmes intégrés ; à l’inverse, la politique menées en Angleterre qui a libéralisé et désintégré le tout a eu un effet catastrophique, même si les choses se sont améliorées depuis. Au final, la Commission accepte les deux modèles.

Cette réforme du 4 août 2014 doit préparer à la concurrence. On aurait trouvé un

intérêt à choisir la forme d’une société anonyme mais sous la pression des syndicats on choisit l’EPIC. Les syndicats veulent conserver le monopole statutaire.

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La loi met en place des garanties d’indépendances du gestionnaire d’infrastructure

qui sont importantes. Le président de SNCF RESEAU est nommé par l’Etat qui ne peut le faire qu’avec l’avis conforme de l’ARAF, et ne peut être destitué que sous les mêmes garanties. De même, la loi opère un important transfert de personnel puisque les anciennes directions SNCF Infra et la DCF sont transférées à SNCF RESEAU. De plus, on a mis en place au dessus de SNCF RESEAU un Comité des utilisateurs du réseau composé des nouveaux entrants qui pourront surveiller l’activité de SNCF RESEAU avec l’élaboration d’une charte du réseau. Les fonctions essentielles seront donc exclusivement attribuées à SNCF RESEAU. On fait migrer tout le domaine public lié et nécessaire à une activité ferroviaire, comme les cours de marchandise, les stations services, les gares de marchandise à SNCF RESEAU à l’exception, on l’a vu, les gares de voyageurs et les centres de maintenance et d’entretien. Les gares sont un sujet très complexe d’autant qu’aujourd’hui avec le développement des gares commerciales les enjeux économiques sont importants. En terme de responsabilité c’est intenable et cela va créer des problèmes juridiques : celui qui tombe du haut des escaliers en gare et termine sur le quai … qui en sera responsable ? Les débats parlementaires n’ont pas porté sur ce sujet trop complexe.

Les pouvoirs de l’ARAF ont été renforcés de manière conséquente. Elle détient un avis conforme sur tous les tarifs, redevance d’utilisation. On assure une transparence à l’égard du Parlement et surtout on instaure quelque chose qui ne dit pas son nom à savoir des contrats de performances, entre l’Etat et les EPIC.

Pour ce qui est du volet social, on ouvrira à la négociation les conditions de travail et

notamment d’une convention collective de branche. A titre de conclusion, il faut insister sur la responsabilité de la gouvernance publique.

Nous sommes dans un modèle caricatural de mauvaise gouvernance d’Etat, clientéliste et corporatiste. Cette culture colbertiste qui a conduit à faire du tout TGV ruine l’économie de ce mode de transport à vouloir en faire de l’omnibus. Tous les élus locaux veulent leur gare TGV. La réforme ferroviaire ne se substituera pas à la sagesse des politiques … Pour plus de développement : Rapport SAVARY sur le quatrième paquet ferroviaire, Assemblée nationale, 2013 Rapport SAVARY sur le projet de loi portant réforme ferroviaire, Assemblée nationale, 2014 Maître Philippe Hansen – Cabinet UGGC avocats L’ouverture à la concurrence date de 1991 et est effective depuis 2003 et 2006 pour le fret. Elle est en passe de l’être pour les voyageurs. Un amendement déposé dans le cadre de la loi Macron a pour objectif d’ouvrir à la concurrence le transport régional de voyageurs d’ici 2019. La gestion du réseau est un monopole naturel, il est difficile d’en imaginer l’ouverture à la concurrence.

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La réforme de 1997 sera une réforme sur la forme mais ne changera rien sur le fond. En apparence le législateur était allé au-delà des souhaits UE. Deux difficultés opérationnelles sont apparues :

- Le contentieux relatif aux problématiques d’attribution des sillons et à leur modification ultérieure.

- Une certaine forme de conflit d’intérêt entre le gestionnaire de l’infrastructure et le gestionnaire du réseau (porosité entre les deux fonctions). Cela semble, dans les faits, relever du fantasme, mais au plan des apparences cela était compréhensible.

La réforme a d’abord pour objet de mettre un terme à la problématique organisationnelle (séparation véritablement fonctionnelle et création de nouvelles instances de concertation en plus du renforcement des pouvoirs de l’ARAF). L’un des points non abouti est de ne pas avoir transféré les gares à SNCF Réseau, cela ayant abouti à des non-sens.