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Compte rendu d'une journée d'étude Master 2 : Musique et informatique musicale. 2017/2018 1/27

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Compte rendu d'une journée d'étude

Master 2 : Musique et informatique musicale.2017/2018

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Introduction

Le 8 novembre 2017 se déroula dans l’amphithéâtre audio de l'Université d’Évry une journée d'hommage au

compositeur Pierre Henry (1927-2017), un des pionniers de la musique électroacoustique. Ce compte rendu

présente aussi fidèlement que possible les propos tenus entre 10h et 12h par David Jisse1 et Nicolas Vérin2

venus spécialement pour parler de Pierre Henry. L'enregistrement audio de leur conférence et la

retranscription intégrale de leurs discours disponibles en annexes constitueront un appui indispensable pour

ce compte rendu. David Jisse pour sa part a eu une longue carrière dans la musique comme en témoigne cette

note biographique disponible sur son site internet:

« J’ai commencé par la chanson. J’ai rencontré Luc Ferrari et la liberté dans la musique. J’ai découvert

le travail de studio et l’art radiophonique. J’ai composé pour le théâtre et le cinéma. J’ai glissé vers les

antennes de Radio-France. J’ai travaillé pour les pédagogies. J’ai dirigé la Muse en Circuit, J’ai présidé le

Pôle-sup 93 et Futurs composés Et je continue… »3.

C'est chez France Culture lors d'une émission intitulée « À voix nue » qu'il eut cette chance de rencontrer

Pierre Henry. Il sera possible de découvrir certaines réalités de la vie de Pierre Henry, ses méthodes de

créations, ses pensées musicales, mais aussi des commentaires personnels sur des points clés de sa vie grâce

notamment à l'interview qu'il a pu réaliser. David Jisse évoque ce privilège qu'il a eu de pouvoir s'entretenir

avec lui et de l'enregistrer4. Nicolas Vérin a également eut une longue carrière musicale comme en témoigne

son curriculum vitae disponible sur son site web5. Il collabora à plusieurs reprises avec Pierre Henry entre

1985 et 2000 notamment pour la Hugo-Symphonie, et il fut notamment interprète de Mouvement-Rythme-

Etude, que Maurice Béjart mit en ballet. Homme d'expérience, docteur en composition musicale, il apporta

ses lumières quant à son analyse de l'œuvre Variations pour une porte et un soupir (1963) et aborda

également le sujet du temps et de la répétition chez Pierre Henry. Il recommande la lecture du livre de

Michel Chion qui s'intitule Pierre Henry6, disponible aux éditions Fayard et qui permet d'apporter davantage

d'explications sur la vie du compositeur. Le but de ce compte rendu est davantage de laisser le lecteur

s'imprégner des propos des conférenciers auxquels seront adjoints quelques réflexions, précisions et

parallèles littéraires utiles pour comprendre plus en profondeur leurs propos. L'assistance a également pu

prendre la parole et de ce fait, les questions posées sont disponibles à la suite de chaque intervention mais ne

donneront pas lieu à des commentaires supplémentaires.

1 JISSE, David, [en ligne], disponible sur: http://www.david-jisse.com/ (consulté le 23 décembre 2017) 2 VÉRIN, Nicolas, [en ligne], disponible sur : http://www.nicolasverin.com/ (consulté le 23 décembre 2017)3 JISSE, David, [en ligne], disponible sur: http://www.david-jisse.com/ (consulté le 23 décembre 2017)4 JISSE, David, « Pierre Henry et son public », Pierrot Solaire, Journée en hommage à Pierre Henry, 8 novembre

2017, Évry, organisateur : Michel Bertier, Université d'Évry Val d’Essonne.5 VÉRIN, Nicolas, URL : http://www.nicolasverin.com/ 6 CHION, Michel, Pierre Henry, Paris : Fayard, 2003, 279 pages.

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I) De 10h00 à 11h00 : David Jisse : « Pierre Henry et son public ».

David Jisse évoque le fait que Pierre Henry est connu par la médiation pour les mauvaises raisons. Lors de

son entretien avec le compositeur, il tente donc de donner à entendre à l'assistance la réalité de son parcours.

Pour commencer, il diffuse un extrait de l'entretien au sujet de l'enfance sonore de Pierre Henry :

« […] Je me suis mis à entendre ce qui venait de dehors, mais aussi à entendre dans ma tête, c'est-à-

dire à faire immédiatement une sorte de transposition mentale qui me permettait d'imaginer des sons. Cela je

m'en souviens très bien, à 8 ou 9 ans, j'écoutais et j'entendais en moi. [...] par la volonté de mes parents, je

restais chez moi, je n'allais pas en classe […], à la messe peut être que là, j'ai pris goût à un rituel textuel... le

latin de la messe, le parcours de la bible... bon, mais revenons à mes moutons. Il y avait dans le parc des

sources, il y avait des arbres et du vent et il y avait, ce qui maintenant est un TGV, il y avait un chemin de

fer, et tout cela m'a accaparé et m'a permis [...] d'être déjà musicien dans l'âme... »7.

Il vécut dans une maison à proximité de la forêt de Sénart et il passa de ce fait beaucoup de temps à la

campagne durant sa jeunesse8. Pour David Jisse, il s'agit d'une mise en perspective entre deux domaines de

l'apprentissage sonore, la manière classique via les écoles et celle de la découverte des sons comme ici grâce

à l'environnement domestique et naturel. Le conférencier évoque ses études musicales avec Nadia Boulanger,

son goût pour la percussion, mais aussi le fait que des précepteurs venaient chez lui, car il était souvent

malade. Dans la jeunesse de Pierre Henry, le sonore est déjà quelque chose qui nourrit l'éducation musicale

du futur compositeur comme le développe David Jisse :

« Il a grandi dans une sorte d'imaginaire acoustique autour de ce monde bucolique de l'enfance et qui

a, je pense, contribué énormément à cette rencontre avec un mode d'apprentissage de la musique qui est tout

à fait différent du mode classique. [...] Dans ce que l'on a entendu là, c'est la preuve même qu'il y a une

fusion entre ce que l'on découvre par l'oreille par la pratique, par le sonore, par l'instantané et par

l'apprentissage musical et c'est très important comme expérience, et très important pour la personnalité de

Pierre Henry parce qu'il va continuer dans cette voie-là. »9.

C'est donc une enfance basée sur l'écoute des sons et la pratique musicale qui va peu à peu conduire Pierre

Henry à s'émanciper artistiquement. David Jisse évoque également l'arrivée de Pierre Henry à Paris et sa

rencontre avec Pierre Schaeffer par l'intermédiaire d'amis communs en 194910. La suite de l'entretien évoque

notamment la rencontre de Pierre Henry avec Pierre Schaeffer :

7 JISSE, David, « Pierre Henry et son public », Pierrot Solaire, Journée en hommage à Pierre Henry, 8 novembre 2017, Évry, organisateur : Michel Bertier, Université d'Évry Val d’Essonne.

8 CHION, Michel, Pierre Henry, Paris : Fayard, 2003, p.129 JISSE, David, « Pierre Henry et son public », Pierrot Solaire, Journée en hommage à Pierre Henry, 8 novembre

2017, Évry, organisateur : Michel Bertier, Université d'Évry Val d’Essonne.10 CHION, Michel, Pierre Henry, Paris : Fayard, 2003, p.15

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« On m'avait demandé une musique de film pour la télévision […] ce que j'ai fait, j'ai trouvé que c'était

très proche des émissions de Pierre Schaeffer qui s'appelaient tout bonnement Musique concrète, déjà

l'appellation m'avait fait tilt, et par des amis communs, j'ai pu rencontrer Pierre Schaeffer et je lui ai amené le

disque de ce film Voir l'invisible ... il l'a mis sur un appareil de transposition et il m'a dit : « Tu vois, cela

peut aller plus loin, cela peut être mieux et il cherchait un instrumentiste pour la symphonie, alors j'ai été

l'instrumentiste, j'ai compris très vite comment tout ça pouvait se bidouiller, parce que c'était le mot... on

faisait des bidules, on bidouillait, on bricolait avec les appareils de la radio et non pas des synthétiseurs, cela

n'existait pas encore. On les détournait pour s'en servir et je suis devenu un compositeur de studio. »11

Pierre Schaeffer fut un homme pour qui la radio avait le potentiel d'être un grand médium artistique comme

d'autres. Ces expérimentations radiophoniques l'ont amené à inventer la musique appelée concrète12, une des

grandes dimensions de la musique électroacoustique, et il collabora avec Pierre Henry sur plusieurs œuvres.

David Jisse rappelle à l'assistance que les moyens de production et la technologie ont considérablement

évolué au fil du temps. Pour faire de la musique électroacoustique, les solutions techniques utilisées étaient

le vinyle souple, le micro, des hauts-parleurs et le procédé d'enregistrement existait déjà. Le magnétophone

existait mais était à ce moment-là, à la fin des années 1940 et au début des années 1950, « un gros monstre

peu praticable »13 pour reprendre l'expression de Michel Chion. David Jisse évoque des propos de Pierre

Henry quant à l'usage de ce matériel : « On passait notre temps à sautiller d'un lecteur de disque à l'autre »14,

il n'existait en effet pas d'autres solutions, la synthèse sonore n'existait pas non plus. L'idée à retenir est que,

pour arriver à ses fins musicalement, le bricolage était une activité « […] permanente de tous ces créateurs de

l'époque. »15. Il s'en suit une écoute de Bidule en Ut (1950)16 de Pierre Schaeffer et Pierre Henry pour

souligner ce bidouillage, ces expérimentations marquant l'époque des débuts de la musique concrète. Il est

possible d'y entendre des sons concrets réalisés à l'aide d'outils précédemment cités, auquels se rajoutent des

chambres d'écho « […] et surtout avec une imagination liée à l'objet sonore »17 pour reprendre les mots de

David Jisse. Il finit par évoquer les fortes personnalités que sont Pierre Henry et Pierre Schaeffer et les

conflits naissant entre les deux personnes. C'est notamment lié à l'activité autonome de Pierre Henry au sein

même du studio d'essai, qui pouvait gêner l'homme de pouvoir et de contrôle qu'était Pierre Schaeffer. Il

rappelle que l'interdisciplinarité du studio d'essai n'était pas rigoureusement musicale. En effet, il était

11 JISSE, David, « Pierre Henry et son public », Pierrot Solaire, Journée en hommage à Pierre Henry, 8 novembre 2017, Évry, organisateur : Michel Bertier, Université d'Évry Val d’Essonne.

12 GARRIGUES, Antoine « CONCRÈTE MUSIQUE », Encyclopædia Universalis [en ligne], disponible sur: http://www.universalis.fr/encyclopedie/musique-concrete/ (consulté le 2 janvier 2017).

13 CHION, Michel, Pierre Henry, Paris : Fayard, 2003, p.1514 JISSE, David, « Pierre Henry et son public », Pierrot Solaire, Journée en hommage à Pierre Henry, 8 novembre

2017, Évry, organisateur : Michel Bertier, Université d'Évry Val d’Essonne.15 idem16 SCHAEFFER, Pierre, HENRY, Pierre Bidule en Ut, disponible sur: http://fresques.ina.fr/artsonores/fiche-

media/InaGrm00005/pierre-schaeffer-pierre-henry-bidule-en-ut.html (consulté le 2 janvier 2017).17 JISSE, David, « Pierre Henry et son public », Pierrot Solaire, Journée en hommage à Pierre Henry, 8 novembre

2017, Évry, organisateur : Michel Bertier, Université d'Évry Val d’Essonne.

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possible d'y croiser des cinéastes comme Jean Grémillon18, Luis Buñuel19, Henri-Georges Clouzot20 ou

encore Jean Tardieu21, le directeur artistique du studio d'essai. C'est donc au sein de cette ambiance que

Pierre Henry commença à créer son affaire personnelle, ce qui conduisit à des désaccords grandissants entre

Pierre Henry et Pierre Schaeffer avant finalement d'aboutir à la rupture entre les deux hommes. Les mots

suivants de David Jisse permettent de comprendre d'un certain point de vue cette querelle, « Pierre Henry

avait développé ses activités de manière très intense, il commençait à faire ses musiques de son côté et donc,

cela s'est assez mal passé, il a reçu un jour une lettre de licenciement... »22. Pierre Henry quant à lui voulait

garder ces sons et Pierre Schaeffer lui dit « Bon, ok tu t'en vas, mais moi je garde tout... »23. Mais dans la

réalité, Pierre Henry ne se laissa pas faire et redoubla d'ingéniosité pour récupérer au compte gouttes ces

divers enregistrements comme il est possible de le découvrir dans le texte suivant issu de l'entretien avec le

compositeur :

« Là, je me suis fait confectionner un habit avec énormément de poches, donc j'allais pour faire le

classement théorique et pratique de tout ce que j'avais fait, et Dieu sait qu'il y en avait... et je mettais

l'original dans la poche, je rentrais chez moi, je copiais l'original que je gardais et je rendais la copie qui était

dans un état nettement moins bon. Alors ça, c’était le premier épisode, je peux le dire maintenant, il y a

prescription. Et ensuite, quand François Bayle est arrivé à la responsabilité du GRM, il m'a rendu tous mes

sons, j'en ai même récupérés des copies dont je ne savais pas quoi faire. »24.

David Jisse explique qu'il est un des rares compositeurs à avoir tout au long de sa carrière «[...] collecté,

conservé et géré la totalité des sons depuis le début de son travail jusqu'à la fin [...]»25. Aujourd'hui ces sons

vont regagner la BNF car ils vont intégrer le patrimoine collectif. Ainsi, l'anecdote de l'habit aux grandes

poches de Pierre Henry démontre l'importance qu'il accordait à ses sons ce qui constitue la vraie richesse du

compositeur pour reprendre les mots de David Jisse. Après sa séparation d'avec Pierre Schaeffer, il fonde son

studio, l'APSOME26 rue Cardinet à Paris, et va collaborer avec le chorégraphe Maurice Béjart à partir de

1955 et ce jusqu'en 197527. David Jisse aborde alors cette rencontre avec Maurice Béjart qui conduira à

l'œuvre de Pierre Henry Variations pour une porte et un soupir28. Les mots de Pierre Henry donnés lors de

18 COMOLLI, Jean-Louis, « GRÉMILLON JEAN - », Encyclopædia Universalis [en ligne], disponible sur: http://www.universalis.fr/encyclopedie/jean-gremillon/ (consulté le 02 janvier 2018).

19 COLLET, Jean, « BUÑUEL LUIS - », Encyclopædia Universalis [en ligne],. Disponible sur: http://www.universalis.fr/encyclopedie/luis-bunuel/ (consulté le 02 janvier 2018).

20 BEYLIE, Claude, « CLOUZOT HENRI GEORGES - », Encyclopædia Universalis [en ligne],. Disponible sur : http://www.universalis.fr/encyclopedie/henri-georges-clouzot/ (consulté le 14 décembre 2017).

21 P. SCHMITT, Michel, « TARDIEU JEAN - », Encyclopædia Universalis [en ligne], disponible sur: http://www.universalis.fr/encyclopedie/jean-tardieu/ (consulté le 02 janvier 2018).

22 JISSE, David, « Pierre Henry et son public », Pierrot Solaire, Journée en hommage à Pierre Henry, 8 novembre 2017, Évry, organisateur : Michel Bertier, Université d'Évry Val d’Essonne.

23 idem24 idem25 idem26 Cela sera le premier studio privé consacré aux musiques expérimentales et électroacoustiques.27 CHION, Michel, Pierre Henry, Paris : Fayard, 2003, p.51.28 HENRY, Pierre, Variations pour une porte et un soupir (1963),

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l'entretien avec David Jisse évoque la rencontre avec Maurice Béjart jusqu'à la découverte de cette porte :

« Il m'a dit, j'aimerais faire un pas de deux pour Patrick Belda et Laura Proença, on va partir au Brésil,

tu me composes une petite demi-heure, mais à pas de deux et à ce moment-là j'avais aussi cette possibilité

d'installer un studio de campagne ce que j'ai fait dans cette ferme ou j'avais installé une cabine, des haut-

parleurs, j'avais truffé de micros le poulailler, la porcherie et le petit ruisseau, et le reste... J'avais fait donc

une campagne de son, ce que j'ai fait par moment, mais quand je le fais, je le fais jusqu'au bout et je veux que

cela soit techniquement très abouti. Et précisément, j'ai trouvé une porte et là j'ai dit, tiens cette porte peut

devenir un instrument aussi musical que l'instrument à cordes comme un violoncelle, et j'ai appris à jouer de

la porte et après il y a eu une œuvre de son, bien mélodiquement, très abouti, j'ai fait le montage et j'ai fait

entendre à Maurice Béjart ses variations sur une porte et puis j'avais ajouté un peu de voix, un flexatone, c'est

un instrument qui fait des bulles clownesques, et puis mon propos c'était de réaliser une sorte de parcours

d'une journée chez un être humain... »29.

Pierre Henry démontre ici sa profonde implication dans son travail et ses expérimentations. Pour David Jisse,

il s'agit d'un moment « charnière » dans l'histoire de la musique autour d'objets concrets et reconnaissables

dont il est possible d'en tirer toute la musicalité comme ici avec une porte. Pour lui, toute la musique concrète

vient de là. Il qualifie d'acousmatique l'écoute de ce genre de musique et tente de définir dans la foulée cette

expression :

« Le mot acousmatique a été repris de Pythagore qui donnait ses cours [...] et il pensait que si on ne

voyait pas l'émetteur du son, on était dans une meilleure position pour entendre ou découvrir le sonore. C'est

vrai que si tout à coup, je disparais, on a ce que l'on appelle cette écoute acousmatique, on aura une écoute

tout à fait particulière. »30.

Pythagore enseignait caché derrière un rideau et donc il était caché de ces disciples, ceci afin que ces derniers

puissent se concentrer sur ce qu'il disait et non pas sur les détails triviaux de son apparence par exemple les

taches de sa toge. Pierre Schaeffer à ce propos dit : « De leur maître dissimulé à leurs yeux, la voix seule

parvenait aux disciples. »31. Ainsi, l'écoute est au centre de leur préoccupation, tout comme elle le fut pour

Pierre Schaeffer et Pierre Henry. Il poursuit son discours en faisant part de la nécessité de ne pas considérer

la porte en elle-même mais plutôt d'apprécier le son qu'elle produit, les hauteurs associées, le type de

sonorité, etc. Il expose suite à ça un parallèle avec les pratiques musicales d'aujourd'hui :

29 JISSE, David, « Pierre Henry et son public », Pierrot Solaire, Journée en hommage à Pierre Henry, 8 novembre 2017, Évry, organisateur : Michel Bertier, Université d'Évry Val d’Essonne.

30 idem31 SCHAEFFER, Pierre, Traité des objets musicaux: essai interdisciplines, Paris : Éditions du Seuil, 1966, p.91.

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« [...] la musique a été découverte à ce moment-là par l'oreille, par l'audition, par la sensation musicale

et cela relie complètement avec les pratiques d'aujourd'hui qui sont : on prend un sample, on le travaille sans

autres critères que celui de son plaisir de l'oreille et de son agencement acoustique. »32.

Effectivement, les logiciels d'aujourd'hui comme Ableton X, Logic Pro X ou encore Pro Tools

permettent d'effectuer des montages de sons et d'appréhender les paramètres acoustiques de ces derniers à

l'aide de divers outils d'analyse. Par la suite il aborde une autre œuvre de Pierre Henry qui s'intitule Messe

pour le temps présent (1967)33, il demande au compositeur ce qu'il pense de cette œuvre, ce à quoi il répond :

« Il se trouve que Maurice Ravel a eu plus de chance avec son Boléro. Parce que dans le Boléro, c'est

systématique, mais il y a quand même une prodigieuse combinaison d'alliage de timbres que l'on n’a jamais

entendu ni avant ni après. Et dans cette Messe pour le temps présent, qu'est ce qu'il y a ? Ce qu'il y a, c'est

un standard ou le rythme devient mélodie et c'est ça qui intéresse le public, mais c'est de la variété... »34

Pour David Jisse, cette œuvre, ce grand tube, n'est pas seulement de la variété, car elle est novatrice pour son

époque notamment dans le fait de mélanger les deux mondes, l'élément rythmique et l'élément inventif au

niveau du sonore. Il fait également remarquer qu'à côté de compositeurs comme Boulez, Kagel, Berio ou

encore Ligetti, qui utilisaient des rythmes tous sauf ordinaires, loin des battues régulières, Pierre Henry

pouvait avoir une position ambiguë musicalement. En effet, il se détache de tout clivage de style pour

fusionner les genres musicaux entre eux comme le prouve cette œuvre . Nicolas Vérin abordera davantage ce

fait lors de son propos, il sera donc possible d'y revenir. David Jisse rappelle que la pièce fut composée en

1967, un an avant l'Apocalypse de Saint-Jean (1968) composée Boulevard Saint-Germain dans son premier

studio, une pièce extrêmement importante et finalement sans aucun rapport avec la précédente. Ce n'est pas

neutre comme manière de faire. Il continue son propos en évoquant les problèmes financiers. Pierre Henry se

retrouva avec de maigres finances pour acheter son matériel et ses bandes qui pouvaient couter extrêmement

cher. Il lui fallut revendre des œuvres qui lui avaient été données par Yves Klein. Maurice Fleuret, un ami de

Pierre Henry refusait de laisser les artistes dans une pauvreté permanente et il fut à l'origine d'un soutien

institutionnel en leur faveur. David Jisse affirme que c'est à ce moment-là que commençaient « […] les

soutiens de l'état aux activités d'artiste comme Pierre Henry, Luc Ferrari et bien d'autres... »35. Pierre Henry a

connu les moyens technologiques et analogiques de la musique concrète et la bascule vers le numérique.

L'avantage de cette bascule c'est la numérisation de ses bandes, mais pour le reste, le compositeur n'a jamais

32 JISSE, David, « Pierre Henry et son public », Pierrot Solaire, Journée en hommage à Pierre Henry, 8 novembre 2017, Évry, organisateur : Michel Bertier, Université d'Évry Val d’Essonne.

33 MACQUEEN, Steve, Pierre Henry - Messe Pour Le Temps Present 1967, mise en ligne le 8 décembre 2014, disponible sur: https://www.youtube.com/watch?v=t4kh9OVFaJc (consulté le 2 janvier 2018).

34 JISSE, David, « Pierre Henry et son public », Pierrot Solaire, Journée en hommage à Pierre Henry, 8 novembre 2017, Évry, organisateur : Michel Bertier, Université d'Évry Val d’Essonne.

35 idem

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basculé musicalement dans le numérique. Les propos suivants de David Jisse exposent finalement le rapport

de Pierre Henry avec ces deux mondes :

« Ce qu'il y a d'intéressant c'est qu'il a à la fois joué le jeu, sans jouer le jeu, c'est-à-dire qu'il n'a pas

basculé d'un monde à l'autre, mais qu'il a réussi à faire glisser son monde de l'analogique vers le numérique...

[...] il n'a jamais vraiment composé avec les outils numériques parce qu'il ne voulait pas de ça.36. ».

Par la suite, David Jisse explique que Pierre Henry reçut une formation de percussionniste ce qui l'a amené à

se placer dans l'orchestre. En conséquence l'écoute d'une œuvre de Beethoven n'est pas la même du fait de sa

position dans l'orchestre. Il dit que Pierre Henry avait conscience de l'écoute en fonction du positionnement,

et qu' « [...] il a passé sa vie à être dans cette sorte d'alternative entre la vision musicale et la vision du

sonore. Je pense que c'est un de ceux qui réconcilient le mieux les choses. »37. Avant de laisser la parole à

l'assistance, il termine par l'écoute d'un dernier extrait de l'entretien avec Pierre Henry qui révèle un certain

désarroi de l'artiste. En effet, il se désole du peu d'attention que portent les gens à son travail à l'époque de

l'entretien :

« Aucun musicien n'a essayé d'approcher l'analyse de ma musique et je suis solitaire pour l'écoute de

ma musique venant des autres musiciens. Je crois que je suis le parrain de chose moderne, mais je ne suis pas

un des leurs. »38.

David Jisse réagit et juge cette phrase de Pierre Henry comme étant terrible. En effet, l'artiste regrette

quelque part que personne ne fasse l'analyse de son travail, il est le parrain de chose moderne, mais tout seul

dans son coin et personne n'a l'air de se préoccuper précisément du contenu profond de sa musicalité. Il

explique que cela n'est pas tout à fait vrai dans la mesure où certaines personnes se sont penchées sur sa

musique au moment où il prononça ces mots dans les années 2000. Il rapporte qu'il s'est peut-être finalement

un peu isolé lui-même. Il est intéressant de constater que l'artiste est aujourd'hui considéré comme une

personnalité importante en France et à l'étranger, ce qui contraste avec les propos du compositeur. David

Jisse conclut en évoquant finalement Pierre Henry, comme une personne pouvant réconcilier certains aspects

musicaux que d'autres de ses contemporains pouvaient au contraire avoir tendance à dénigrer comme Pierre

Boulez39 :

« Pierre Boulez avait par rapport à la musique électroacoustique, un sentiment tout à fait mitigé pour

ne pas dire plus, il considérait cela comme du bidouillage et il disait qu'au fond ce type de travail n'avait pas

36 JISSE, David, « Pierre Henry et son public », Pierrot Solaire, Journée en hommage à Pierre Henry, 8 novembre 2017, Évry, organisateur : Michel Bertier, Université d'Évry Val d’Essonne.

37 idem38 idem39 FANO, Michel « BOULEZ PIERRE », Encyclopædia Universalis [en ligne], disponible

sur: http://www.universalis.fr/encyclopedie/pierre-boulez/ (consulté le 9 décembre 2017).

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un grand intérêt même si lui-même a fait une ou deux pièces électroacoustiques. Il y avait une sorte de

catégorisation ou de classification en disant qu'il y a ceux qui bidouillent et ceux qui écrivent de la musique

sérieuse. C'est très important de penser Pierre Henry comme étant justement cet espace de la composition qui

est un espace qui réconcilie à la fois la science et puis l'improvisation et le goût du sonore. »40.

Cette façon de pensée de Pierre Boulez apparaît comme sévère, il parle de la musique concrète comme étant

également un «marché aux puces des sons»41. Il faut tout simplement comprendre que ce style de musique

n'était pas son terrain de prédilection. Pierre Boulez par exemple a contribué aux premières Etudes de bruit42

(1948) , il tenait le piano dans les études de bruit. Suite à cette expérience notamment, il a claqué la porte du

GRMC en 1948 peu de temps finalement après y être entré, car il ne s'entendait pas du tout avec Pierre

Schaeffer. Il est quelque part devenu un ennemi intime de Schaeffer pour le reste de sa vie. Ainsi, il est peut-

être envisageable de reconsidérer la sévérité des propos de Pierre Boulez en connaissance de ce fait. De plus,

Boulez était un avant-gardiste proche de Schönberg et Pierre Schaeffer était un néo-classique proche de

Nadia Boulanger et de Stravinsky donc les deux n'étaient pas sur la même longueur d'onde musicalement.

Toujours est-il que pour sa part, Pierre Henry avait bien compris l'importance, l’utilité et le sérieux de ce

bidouillage ce dont témoignent les chefs d'œuvre qu'il a finalement réalisés tout au long de sa carrière

musicale.

Question d'élèves de l'assistance pour David Jisse43 :

Élève : Le sonore à l'époque n'était il pas considéré comme musique ?

David Jisse : La rencontre avec Pierre Schaeffer, le studio d'essai, la formalisation de la musique concrète, le

solfège des objets musicaux... ce développement-là, musical était un développement effectivement qui

avançait parallèlement à la tradition musicale ancienne qui était l'écriture musicale depuis la musique

classique, et qui est devenu musique contemporaine, mais qui était la tradition de l'écriture musicale. Le

sonore, c'est à dire le son, était d'une certaine manière un peu dissocié de cette avancée de l'écriture musicale.

Peut-être justement grâce au travail de Pierre Henry, grâce aux œuvres elles-mêmes, grâce à la conscience et

puis grâce aux technologies aussi... Quelque chose s'est un tout petit peu réconcilié. Aujourd'hui un musicien

qui enregistre une pièce de musique fait autant attention à la justesse des notes et de l'écriture qu'à la qualité

électroacoustique de ce qu'il enregistre. On fait autant attention à la qualité de la réverbération, à la place du

micro par rapport aux instruments, les deux sont aujourd'hui conscientisés et mélangés. Les critiques ne s'en

40 JISSE, David, « Pierre Henry et son public », Pierrot Solaire, Journée en hommage à Pierre Henry, 8 novembre 2017, Évry, organisateur : Michel Bertier, Université d'Évry Val d’Essonne.

41 LAMM, Olivier, BOULEZ DE B À Z, mise en ligne le 6 janvier 2011, disponible sur : http://next.liberation.fr/musique/2016/01/06/boulez-de-b-a-z_1424783 (consulté le 2janvier 2017).

42 DŠ, Pierre Schaeffer -- Études de bruits (1948), mise en ligne le 8 août 2013, https://www.youtube.com/watch?v=CTf0yE15zzI (consulté le 30 décembre 2017)

43 JISSE, David, « Pierre Henry et son public », Pierrot Solaire, Journée en hommage à Pierre Henry, 8 novembre 2017, Évry, organisateur : Michel Bertier, Université d'Évry Val d’Essonne.

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rendent pas tout à fait compte. Un petit exemple anecdotique, vous faites écouter un enregistrement nouveau

à des critiques, il y a celui qui est spécialiste de la musique classique il va dire que telle note est juste ou pas,

et puis celui qui travaille dans le domaine de l'électro-acoustique va dire que la place du micro n'était pas

juste, la réverbération est trop grande... Les deux sens sont malgré tout en permanence séparés et cette

tentative, à travers Pierre Henry, de réconcilier les deux n'est pas facile et n'est pas forcément acquise en

permanence aujourd'hui.

Élève : Est-ce que la musique existe en dehors de la conscience humaine, en dehors de ce que l'homme peut

faire au fond par lui même ?

David Jisse : Je pense que Pierre Henry a toujours pensé que c’était grâce à son écoute et à sa manière d'être

qu'il faisait quelque chose de musical. Qu'il ait une conscience de l'harmonie, il a un rapport à l'harmonie tout

à fait intéressant, il m'a parlé dans les entretiens par exemple de l'accord parfait [...] et de son goût de l'accord

parfait non pas du fait que cela faisait une tierce et une quinte, mais que cela faisait des harmonies

universelles qui rentraient en vibration et qui peut être rejoignit une sorte de vibration générale qui est celui

du phénomène sonore terrestre si j'ose dire. Il n'avait pas une vision comme celle-là, il pensait au contraire

que c'était à l'artiste de trouver cette relation avec peut être une sorte de grande cosmogonie et une plus

grande vision du musical, mais en tous cas, il pensait être un acteur du musical, et que c'est le musicien qui

fait la musique. Même s’il avait un peu cette conscience élargie, quand il est dans son jardin à Sénart et qu'il

a conscience que tout cela fait des vibrations, c'est avoir une conscience que la chose existe sans lui... sauf

qu'il a son oreille, et c'est son oreille qui distingue ça.

Élève : Quelle évolution ?

David Jisse : Pour avoir vu beaucoup de concerts avec lui de musique contemporaine, ce qui est frappant,

c'est que le public n'a rien à voir avec les publics de musiques contemporaines. C'est un public de jeunesse,

c'est un public très varié et c'était ça qui était tout fait émouvant, c'est qu'il pouvait être dans des situations

avec énormément de public et avec un métissage très important de gens qui ne venaient pas forcément du

monde de la musique, mais qui venaient pour le goût du sonore... Une chose dont je n'ai pas parlé et qui est

importante : l'interprétation de la musique. Il a été aussi en permanence l'interprète de sa propre musique et

ça, c'est aussi très important. Les gens venaient écouter de la musique, mais ils venaient aussi le voir et la

mettre en jeu. C'est vrai que pour nous musiciens c'était toujours une grande émotion de le voir faire des

choses extraordinairement gonflées si j'ose dire, il était capable d'être très pénible avec ceux qui mettait son

travail en œuvre, et il était d'une exigence absolue. Quand il arriva dans un lieu et qu'il avait déjà prévu un

type de diffusion et qu'il arrivait et qu'il disait que cela n'allait pas, qu'il fallait tout refaire et tout

recommencer... il avait une exigence de diffusion de sa musique, et je pense que les gens qui venaient

venaient aussi pour ça. Cette sorte de communion avec son propre projet. Il fallait le voir en train de

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fabriquer la musique en direct même si les sons avaient été fabriqués à l'avance, mais l’interprétation était

aussi une chose très essentielle. C'est peut-être aussi un pont avec les musiques d'aujourd'hui, c'est qu’il était

aussi la preuve que la musique il la composait dans son studio, mais, l'existence même de l'œuvre au-delà des

enregistrements qui sont plutôt bien faits, l'existence même de l'œuvre c'était aussi sa diffusion et sa manière

de nous la rendre perceptible de manière physique, avec un type d'enceinte particulière, avec toute sorte

d'éléments qui rendent cette musique extraordinaire.

Élève : La musique mixte ne permettrait pas de faire rapprocher la musique sérieuse avec la musique

concrète ?

David Jisse : Moi je crois que mélanger l'écriture instrumentale aussi complexe soit elle et le travail du

sonore, créait justement ce pont et aboli la fameuse frontière dont il parlait tout à l'heure entre le musical, le

pas musical... on est dans la musicalité dans sa globalité. Nous sommes ici dans une situation musicale ou ma

voix a une certaine allure, ou le bruissement que l'on entend est quelques chose de musicale. On est dans une

sorte de perception globale du sonore et c'est ça qu'il faut arriver à rendre lisible pour tous, parce que c'est

vrai que malgré tout, nos oreilles sont parfois très sectorisées. Pierre Henry au moins nous ouvre les oreilles.

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II) Intervention de Nicolas Vérin le 8 novembre 2017 de 11h00 à 11h30 : « Analyse des Variations pour

une porte et un soupir (1963) » puis de 11h30-12h00 : Nicolas Vérin : « Le temps et la répétition chez Pierre

Henry ».

Pour Nicolas Vérin ce qui peut paraître comme un banal grincement de porte dans Variations pour une

porte et un soupir peut être considéré comme une provocation de Pierre Henry en pleine époque sérielle44.

De plus, ce son évoque sa causalité ce qui est un contre-pied à la démarche de Schaeffer qu'il avait quitté 5

ans auparavant. Comme l'évoque Nicolas Vérin, Pierre Schaeffer militait pour l'écoute réduite, permettant

d'écouter « [...] ce qui ne va pas de soi, ce qui n'est pas du tout naturel, ce qui se travaille. »45, le but étant :

« De pouvoir dissocier dans son écoute le son pour lui même de sa cause que l'on ignore, qui n'a plus

d'importance, et que l'on écoute le son comme on écouterait finalement un violon ou un piano. »46. Pour lui, à

certains moments, ces sons de porte évoquent la voix humaine mais il distingue aussi d'autres types de sons

comme il le décrit ici avec le langage de Schaeffer :

« Il y a aussi un aspect [...] d'impulsion comme on dirait dans le vocabulaire de Schaeffer, le son très

court, le son quasiment de percussion, des craquements dans la porte et donc on a une continuité totale entre

les sons brefs, les impulsions et puis les tenues. Et donc, cela offre un registre de son très intéressant, mais

aussi une opposition entre des choses presque complètement antinomiques. Les sons très courts, les

craquements isolés et la tenue formelle, en quelque sorte le chant.»47.

Pierre Schaeffer fut à l'origine d'une série d'ouvrages comme À la recherche d'une musique concrète48, le

Traité des objets musicaux49, de La musique concrète à la musique même50, dans lequel il est possible

d'appréhender ses recherches sur le son et l'écoute et son appréhension musicale. Son entreprise est d'élargir

le monde sonore, le monde musical, pour intégrer les sons dans leur ensemble et non quelques notes de

musique. Pour essayer d'avoir une prise là dessus, pour être capable de manipuler les choses, il développe la

notion d'objets sonores51 comparable à la notion de sample dans la musique actuelle, c'est-à-dire un

prélèvement, un échantillon de son capté grâce à un microphone à partir de n'importe quelle source. Pour

Pierre Schaeffer, l'objet sonore c'est ce qui est entendu, ni la cause du son, ni l'enregistrement matériel du

son, mais l'objet sonore tel qu'il est entendu par quelqu'un. Il est aussi à l'origine de la pratique de l'écoute

44 BARBAUD, Pierre, LENGAGNE, Rémi « MUSIQUE CONTEMPORAINE - », Encyclopædia Universalis [en ligne],,disponible sur : http://www.universalis.fr/encyclopedie/musique-contemporaine-la-musique-serielle-et-le-dodecaphonisme/ (consulté le 31 décembre 2017).

45 VÉRIN, Nicolas, « Analyse des Variations pour une porte et un soupir (1963) » ; « Le temps et la répétition chez Pierre Henry », Pierrot Solaire, Journée en hommage à Pierre Henry, 8 novembre 2017, Évry, organisateur : Michel Bertier, Université d’Évry Val d’Essonne.

46 idem47 idem48 SCHAEFFER, Pierre, À la recherche d'une musique concrète, Paris : Éditions du Seuil, 1998, 228 pages.49 SCHAEFFER, Pierre, Traité des objets musicaux : essai interdisciplines, Paris : Éditions du Seuil, 1966, 671 pages.50 SCHAEFFER, Pierre, De la musique concrète à la musique même, Paris : Mémoire du Livre, 2002, 398 pages. 51 SCHAEFFER, Pierre, Traité des objets musicaux : essai interdisciplines, Paris : Éditions du Seuil, 1966, p.268-270.

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réduite des sons52 c'est-à-dire le fait de prendre le temps de les écouter encore et encore afin de s’imprégner

d'une manière consciente ou semi-consciente de leurs qualités ou de leurs propriétés. Quand Nicolas Vérin

évoque le vocabulaire de Schaeffer, il faut se référer au tableau de la typologie des sons issues du Traité des

objets musicaux53 afin de comprendre les dénominations utilisées. Par la suite Nicolas Vérin explique que

dans toute œuvre musicale il faut considérer trois niveaux d'interprétation, le sonore (c'est l'instantané, c'est

la surface), le musical (l'articulation entre les sons) et l’extra musical. Concernant le niveau musical, le mot

variation renvoie à une forme de musique pure : « Pierre Henry choisit dans cette œuvre une forme

complètement à l'opposé de l'anecdote puisqu'il va faire des variations, ce qui est quelque chose

d'extrêmement classique... »54, de plus les mouvements au cœur de l'œuvre sont la preuve d'une écriture

musicale. Nicolas Vérin évoque le livre de Michel Chion55 et développe son propos autour de l'interprétation

et du geste musical :

« Il nous raconte comment dans une maison, un été, Pierre Henry avait mis des micros partout, mais

finalement c'est surtout la porte qui l'a beaucoup intéressé et ce qu'il était intéressant de savoir, c'est qu'avant

de l'enregistrer, il a travaillé pendant des jours comme on travaille son instrument au conservatoire, une

heure ou deux de gammes par jour. [...] il maitrisait son instrument et quand il enregistrait , il en a tiré tout un

tas de sonorités différentes, mais ce n'est pas seulement des sons, ce sont des expressions, c'est à dire qu'au

moment ou Pierre Henry enregistre, ce qu'il enregistre ce ne sont pas des sons à l'état brut, c'est déjà une

musicalité, il y a déjà quelque chose qui est interprété, c'est déjà quelque chose qui porte profondément sa

marque, sa personnalité, son style et donc, il fait chanter cette porte et il fait jouer des notes, avec un contrôle

précis des hauteurs dans certains cas. Et il sait faire des rythmes, des agonies parfois, etc. Tout ça est

capté...».56

Il peut être intéressant de commenter son propos en détaillant l'origine de Variations pour une porte et un

soupir. Dans son livre consacré à Pierre Henry, Michel Chion évoque en huit pages l'histoire de l'œuvre. Il

partit en vacances à proximité de Carcassonne durant l'été 1962, et s'installa dans une ferme avec pour

équipement un magnétophone de marque Tulana installé dans la cuisine et plusieurs micros dont un U47 de

marque Neumann. Son objectif était de capter les sons de cette ferme. Le texte suivant permet de cerner

l'esprit autour de ses expérimentations : « Les cochons de la porcherie vivent avec un micro au-dessus d'eux

[…] il «joue » des porcs en les faisants jeûner pour qu'ils crient mieux, et des poules de la ferme en les

52 SCHAEFFER, Pierre, Traité des objets musicaux : essai interdisciplines, Paris : Éditions du Seuil, 1966, p.270-272.53 ibidem p.443-451.54 VÉRIN, Nicolas, « Analyse des Variations pour une porte et un soupir (1963) » ; « Le temps et la répétition chez

Pierre Henry », Pierrot Solaire, Journée en hommage à Pierre Henry, 8 novembre 2017, Évry, organisateur : Michel Bertier, Université d’Évry Val d’Essonne.

55 CHION, Michel, Pierre Henry, Paris : Fayard, 2003, p.9656 VÉRIN, Nicolas, « Analyse des Variations pour une porte et un soupir (1963) » ; « Le temps et la répétition chez

Pierre Henry », Pierrot Solaire, Journée en hommage à Pierre Henry, 8 novembre 2017, Évry, organisateur : Michel Bertier, Université d’Évry Val d’Essonne.

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pourchassant. »57. L'objectif de Pierre Henry était de capter avec autant de précision qu'en studio un

maximum de son issus de l'environnement58. C'est au grenier qu'il trouva finalement son bonheur, une porte

grinçante qui fut finalement un élément clé de son œuvre. Mais jouer d'une porte n'est pas acquis et il va

donc s'entraîner afin de maîtriser l'instrument et d'en faire sortir ces traits expressifs : « […] il la fait parler et

crier de toutes les manières tantôt avec de tout petits gestes du poignet, tantôt en la secouant comme un

furieux, l'enfourchant, la faisant hurler. »59. Il finit donc par maîtriser son instrument comme pouvait

l'évoquer Nicolas Vérin. Ce dernier fournit alors des précisions sur la suite de la procédure, « Ensuite, cela

donne lieu à un travail de studio extrêmement détaillé où il y a un travail de montage. »60. Ainsi, de retour à

Paris il s'adonne au montage, avec à l'esprit l'intention de retracer en 25 mouvements l'itinéraire d'une

journée, d'un parcours, mais raconté musicalement en une durée plus courte61. Le texte suivant de Michel

Chion révèle les intentions envisagées par Pierre Henry quant à la construction de cette vie au sein de

l'œuvre :

« […] c'est-à-dire en la découpant, en la réglant, comme une cérémonie, un rite ou un bon repas, avec

des moments d'attente, d'impatience, de surprise, d'enthousiasme et même d'ennui, exactement comme dans

la vie réelle. »62.

Par la suite, Nicolas Vérin détaille la phase de montage nécessaire à l'élaboration de l'œuvre en studio et cette

étape est finalement considéré par le conférencier comme celle de l'écriture : « Pierre Henry n'utilise pas ses

prises de son de porte en continuité nouvelle : il les remonte, les organise, recrée des continuités nouvelles,

pour créer une liturgie du temps quotidien. »63 ce qui relate d'une véritable écriture musicale de la vie et du

temps comme Michel Chion le défend. De plus, Nicolas Vérin parle d'une organisation formelle qui donne à

entendre de la musique pure, il développe son propos en se référant au montage en musique éléctroacoutique :

« Le montage en musique électroacoustique, c'est la base de ce que l'on pourrait appeler l'écriture qui

n'est pas réservée à l'écriture sur du papier. Cela peut aussi être le fait d'écrire dans le sens où l'on pose un

son précisément à l'endroit où on l'a voulu par rapport à ce qu'il y avait avant et ce qui va venir après... Et par

rapport à ce qu'il y a en même temps aussi... parce qu'il peut y avoir plusieurs voix simultanées. On est dans

une œuvre finalement de musique pure et c'est là aussi le paradoxe, c'est-à-dire qu'il prend un son en

apparence le plus trivial possible. Mais qu'est ce qu'il va faire avec, une de ses œuvres de musique les plus

57 CHION, Michel, Pierre Henry, Paris : Fayard, 2003, p.96.58 ibidem p.97.59 ibidem p.96.60 VÉRIN, Nicolas, « Analyse des Variations pour une porte et un soupir (1963) » ; « Le temps et la répétition chez

Pierre Henry », Pierrot Solaire, Journée en hommage à Pierre Henry, 8 novembre 2017, Évry, organisateur : Michel Bertier, Université d’Évry Val d’Essonne.

61 CHION, Michel, Pierre Henry, Paris : Fayard, 2003, p.9762 ibidem p.97-9863 ibidem p.98

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pures.»64.

Le titre de l'œuvre indique la présence d'une porte, mais également celle d'un soupir soufflé interprété par la

voix de François Dufrêne et un flexatone joué à vitesse variable65 permettant le soupire chantée. Ce dernier

instrument fournit une multitude de sons glissés et métalliques et se « [...] marie heureusement avec les

sonorités granuleuses et rustiques de la porte »66 pour reprendre les mots de Michel Chion. Nicolas Vérin

continue en évoquant la manière dont Pierre Henry joue du flexatone et donne des précisions quant à l'usage

de transformations au sein de l'œuvre :

« Là, il l'a enregistré en le jouant avec une seule baguette, et donc avec des glissés, il est toujours

utilisé en variant la vitesse, une vitesse de moitié ou des fois même encore plus lentes et donc on ne le

reconnaît pas tout à fait directement, il est légèrement transformé. Entre parenthèses d’ailleurs, les

transformations dans cette œuvre sont volontairement très restreintes, cela fait partie aussi des variations, la

porte n'est jamais transformée sauf par montage dont on extrait des petits morceaux. Et un peu de

réverbération à certains endroits puisqu'il va y avoir une problématique sur la présence ou la distance, disons.

Même la porte ne fait pas l'objet ou quasiment pas de variation de vitesse, jamais de mise à l'envers et encore

moins d'autres filtrages, modulations, etc. C'est vraiment un souci de la garder très pure, telle qu'elle a été

enregistrée. »67.

Il est possible de faire le parallèle avec les mots de Michel Chion concernant l'usage exclusif des grincements

de porte au sein de l'œuvre comme l'avance le texte suivant :

« De la porte, Pierre Henry n'emploie que le son qu'elle produit naturellement : le grincement. […] De

même, les sons n'ont pratiquement pas été manipulés. Il eût été facile de les ralentir, de les accélérer, d'en

tirer des masses et des tourbillons de sons et de dire : voilà ce que je sais faire d'un son de porte. Mais ainsi

malaxée, elle n'eût plus été porte, mais cendres, copeaux ou sciure. »68

Michel Chion indique l'usage de chambres d'écho sur ce type de son, mais de manière générale, la

personnalité de ses sons de portes n'est pas altérée. C'est l'antipode de la cloche coupée de Pierre Schaeffer

dans laquelle la source initiale n'est plus reconnaissable, car elle est alors privée de son attaque. Au contraire,

64 VÉRIN, Nicolas, « Analyse des Variations pour une porte et un soupir (1963) » ; « Le temps et la répétition chez Pierre Henry », Pierrot Solaire, Journée en hommage à Pierre Henry, 8 novembre 2017, Évry, organisateur : Michel Bertier, Université d’Évry Val d’Essonne.

65 CHION, Michel, Pierre Henry, Paris : Fayard, 2003, p.9866 idem67 VÉRIN, Nicolas, « Analyse des Variations pour une porte et un soupir (1963) » ; « Le temps et la répétition chez

Pierre Henry », Pierrot Solaire, Journée en hommage à Pierre Henry, 8 novembre 2017, Évry, organisateur : Michel Bertier, Université d’Évry Val d’Essonne.

68 CHION, Michel, Pierre Henry, Paris : Fayard, 2003, p.99

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Pierre Henry met un point d'honneur sur le respect du timbre de sa porte69. Nicolas Vérin continu son propos

en parlant du thème apparaissant seulement dans le deuxième mouvement intitulé Balancement et relate des

différentes versions existantes de l'œuvre :

« Le thème comme je vous le disais se fait attendre, il vient en deuxième et les mouvements alternent,

finalement des variations et des chants qui sont les soupirs, suivant une combinaison qui est faite de manière

alternée, mais de manière un peu imprévisible. Il y a plusieurs versions comme toujours chez Pierre Henry. Il

y a la version d'origine, il y a une version balai qui a été chorégraphiée par Maurice Béjart et qui est plus

courte. Sur le disque on trouve aussi différentes variantes. La version complète comporte 25 mouvements :

Sommeil, Balancement, Chant 1, Éveil, Chant 2, Étirement, Comptine, Fièvres, Bâillement, Chant 3, Colère,

Balancement , Respiration, Fièvre 2, Gymnastique, Chant 4, Vraiment, Vague, Chant 5, Trance, Râle,

Ronflement, Chant 6, Mort. Il y a tout un programme et là, on accède ainsi au troisième niveau, le niveau

extra-musical. »70

Ce niveau extra-musical correspond donc notamment au texte associé à l'œuvre, par exemple les différents

titres qui définissent une suite logique, un programme permettant l'articulation des mouvements donnant

ainsi une forme de cohérence à l'œuvre. Par la suite, Nicolas Vérin proposa une écoute du 7e mouvement de

la version balai intitulé Geste71, il finit par expliquer l'importance de l'usage de ce mot et de ce qu'il peut

évoquer encore une fois à un niveau extramusical de l'œuvre :

« Geste pour l'importance de celui qui était percussionniste, et geste dans le concept musical, c'est à

dire des gestes qui sont joués physiquement, mais une fois enregistrés... Ils sont figurativement des

déploiements de l'énergie. Dans le temps suivant une forme de courbe qui se recréait mentalement dans la

mémoire de chaque auditeur. »72.

L'extrait permet d'apprécier le travail sur la spatialisation des sons et l'effet gauche droite avec une réelle

séparation entre les deux canaux qui sont totalement indépendants. Nicolas Vérin fournit d'avantage de

précisions à ce propos :

69 CHION, Michel, Pierre Henry, Paris : Fayard, 2003, p.9970 VÉRIN, Nicolas, « Analyse des Variations pour une porte et un soupir (1963) » ; « Le temps et la répétition chez

Pierre Henry », Pierrot Solaire, Journée en hommage à Pierre Henry, 8 novembre 2017, Évry, organisateur : Michel Bertier, Université d’Évry Val d’Essonne.

71 MENDEHSSIAEN, Pierre Henry: "Variations pour une porte et un soupir: Gestes", VI/X (1967),mise en ligne le 06octobre 2013, disponible sur: https://www.youtube.com/watch?v=Q33G0AGUwik (consulté le 31 décembre 2017).

72 VÉRIN, Nicolas, « Analyse des Variations pour une porte et un soupir (1963) » ; « Le temps et la répétition chez Pierre Henry », Pierrot Solaire, Journée en hommage à Pierre Henry, 8 novembre 2017, Évry, organisateur : Michel Bertier, Université d’Évry Val d’Essonne.

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« C'est un travail sur 8 pistes, donc Pierre Henry avait commencé naturellement à l'époque de la mono

et pour lui, il s'est figuré qu'une des utilisations possibles de la stéréo n'était pas de recréer une image spatiale

comme à l'origine d'un enregistrement avec deux micros, mais d'en faire deux instruments en quelque sorte,

pour chaque haut-parleur. [...] La voix de gauche et de droite est totalement indépendante, il y a une sorte de

contrepoint entre les deux qui comprennent des sons de la porte, mais aussi des soupirs qui sont intégrés dans

cette écriture.»73.

Par la suite, Nicolas Vérin révèle une chose fondamentale qui préoccupe Pierre Henry dans cette œuvre et

dans beaucoup d'autres à savoir une conscience de la vie et de la mort. Pour preuve au-delà de tous ces sons

de porte quelque part vivants, il donne Mort comme titre à son dernier mouvement. Michel Chion évoque le

jeu de Pierre Henry par rapport à cette idée de fin, de désintégration du son qui évoque cette mort :

« […] Pierre Henry respecte la loi du timbre de la porte : plus le mouvement est rapide, plus le son est

aigu et lisse ; plus il est lent, plus le son est grave et granuleux, jusqu'à l’extrême limite de la lenteur dans le

dernier mouvement. C'est naturellement dans le dernier mouvement, Mort, que Pierre Henry touche à cette

limite et désintègre naturellement, sans manipulation, le son de porte en craquements isolés. »74.

Ainsi, il est possible de considérer le travail extra-musical de Pierre Henry qui use de mots évocateurs,

consciencieusement utilisés avec des sens cachés qui n'apparaissent pas forcément à la première vue du

public. Les propos de Michel Chion sont corroborés par ceux de Nicolas Vérin qui défend également cette

idée, mais va plus loin en évoquant la vie et la mort à travers les notions de corps et de soupir d'âme :

« La porte est une sorte d'être vivant qui traverse ce parcours. Non pas seulement la porte, mais aussi

le soupir [...] la porte c'est un peu le corps et le soupir de l'âme. Et donc à la fin il pense que c'est pareil. C'est

le propos de cette œuvre qui réunit un travail de musique pure extrêmement soigné et travaillé, mais

également un niveau extramusical qui va loin. Si on y prête bien attention, ses trois niveaux sont convenus

dans le son de la porte. Il y a l'impulsion qui symboliquement est un des éléments du corps, et lorsque ces

impulsions sont très rapprochées dans le temps, comme c'est le cas dans un grincement de porte […], elles

créent une tenue glissante […] Et donc, suivant la rapidité du geste qui va être réorganisé du plus aigu au

plus grave, ou qui va carrément à la fin devenir des impulsions isolées et donc on passe du chant dans la

continuité, donc de la vie, à ces impulsions qui représentent la dislocation du son, du corps. »75.

73 VÉRIN, Nicolas, « Analyse des Variations pour une porte et un soupir (1963) » ; « Le temps et la répétition chez Pierre Henry », Pierrot Solaire, Journée en hommage à Pierre Henry, 8 novembre 2017, Évry, organisateur : Michel Bertier, Université d’Évry Val d’Essonne.

74 CHION, Michel, Pierre Henry, Paris : Fayard, 2003, p.9975 VÉRIN, Nicolas, « Analyse des Variations pour une porte et un soupir (1963) » ; « Le temps et la répétition chez

Pierre Henry », Pierrot Solaire, Journée en hommage à Pierre Henry, 8 novembre 2017, Évry, organisateur : Michel Bertier, Université d’Évry Val d’Essonne.

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Il est possible de comprendre que Pierre Henry est non seulement un musicien doué de sensibilité et

d'expressivité comme le démontre ses prouesses musicales et extra-musicales, écrivain du sonore dont les

œuvres contiennent de nombreuses métaphores musicales. Nicolas Vérin aborde par la suite des détails

musicaux concernant l'œuvre. Les variations ne comportent pas de tonalités même si la hauteur est prise en

compte de manière importante par Pierre Henry. Durant ses études au conservatoire de Paris en classe de

composition éléctroacoustique, Nicolas Vérin a effectué une retranscription d'un fragment des Variations

pour une porte et un soupir appelé Comptine.

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© Nicolas Vérin, retranscription d'un fragment de l'œuvre Variations pour une porte et un soupir de Pierre Henry

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Lors de son travail de retranscription, il découvrit l'usage particulier d'une hauteur, un do# médium, mais il

va plus loin en affirmant que Pierre Henry utilise des hauteurs tout à fait définies constituées de petites

cellules mélodiques complètement assumées. À cela, Nicolas Vérin ajoute que ces phénomènes de hauteur

prennent à contrepied un mythe auquel beaucoup de personnes croient à propos des œuvres

électroacoustique :

« Cela tord le cou à un mythe de la musique électroacoustique, qui serait une musique dans laquelle il

n'y a pas de hauteur. En fait, ce n'est pas facile de traiter de la question des hauteurs [...], car il est possible de

tomber dans quelque chose qui peut être très vite grotesque, mais certains l'ont fait comme Pierre Henry. Il

disait que les gens n'avaient pas très bien remarqué dans sa musique qu'il y a un aspect très mélodique. »76.

Il poursuit en proposant l'écoute du mouvement Mort77, une exacte dislocation du son de la porte qui

symbolise le corps qui s'en va pour reprendre ces mots. Le mouvement commence par des bruits de

grincement et des soupirs, et au fil du temps, les impulsions apparaissent de plus en plus distincts. Le soupir

laisse penser à cette fin de vie, une entité à bout de souffle qui cherche son air avant de s'éteindre à son tour.

À ce titre, Nicolas Vérin conclut par le fait qu'il s'agit d'une œuvre tragique. Il conclut en ces mots :

76 VÉRIN, Nicolas, « Analyse des Variations pour une porte et un soupir (1963) » ; « Le temps et la répétition chez Pierre Henry », Pierrot Solaire, Journée en hommage à Pierre Henry, 8 novembre 2017, Évry, organisateur : Michel Bertier, Université d’Évry Val d’Essonne.

77 NARCOZELV, Pierre Henry "Variation pour une porte et un soupir Mort" [en ligne], mise en ligne le 29 décembre2010, https://www.youtube.com/watch?v=aQa4xOH2HOk (consulté le 31 décembre 2017)

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© Nicolas Vérin, retranscription d'un fragment de l'œuvre Variations pour une porte et un soupir de Pierre Henry

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« Pierre Henry réussi ce tour de force de faire quelque chose d'à la fois musique pure et de musique

très expressive avec le matériau a priori le plus ingrat qui soit qui en fait à mon sens un chef-d'œuvre de

l'histoire de la musique »78.

Le deuxième point abordé par Nicolas Vérin concerne la thématique du temps et de la répétition chez Pierre

Henry. Il évoque le fait que le dernier mouvement des Variations pour une porte et un soupir est beaucoup

plus long que les autres [5min30]. Il explique l'intention du compositeur :

« Il y a cette idée de l'agonie qui dure longtemps, on met le doigt dessus, on nous fait attendre et cette

attente peut être parfois pénible et on la retrouve très fréquemment dans l'œuvre de Pierre Henry et c'est une

façon de dire que c'est ça le temps, on est en train de faire l'expérience de ce temps qui passe et ce temps qui

passe peut être très long. »79.

Le temps est donc au centre de l'œuvre de Pierre Henry. Nicolas Vérin fait remarquer qu'il n'y a pas de

boucle ce qui est rare chez le compositeur. Il revient sur l'expérience accidentelle de Pierre Schaeffer et du

disque rayé :

« Les boucles au départ chez Pierre Schaeffer c'étaient les sillons fermés c'est-à-dire le disque qui est

rayé et se répétait indéfiniment, et qui est l'une des découvertes accidentelles de Pierre Schaeffer qui lui a

permis de constater qu'il existait quelque chose dans le son auquel on ne faisait pas forcément attention,

auquel on ne faisait pas forcément attention, auquel on ne faisait pas forcément attention, auquel on ne faisait

pas forcément attention, auquel on ne faisait pas forcément attention. »80.

Nicolas Vérin répéta exprès ces derniers mots afin de faire comprendre à l'assistance toute l'importance du

travail de Pierre Schaeffer. La boucle change l'impact du son chez l'auditeur. En effet, le sillon fermé permet

de se focaliser davantage sur l'écoute du son en lui-même, la qualité du son, les propriétés perceptives du

son, de pouvoir finalement apprécier tous les paramètres sonores. Ainsi, dans cette expérience il veut faire

comprendre à l'auditoire qu'à force de répétition, l'auditeur s'attache davantage au son de la voix qu'au

message qu'elle peut transmettre. Cela entraîne une prise de conscience musicale du sonore. L'écoute réduite

est la conséquence du sillon fermé, il s'agit de prendre le temps de les écouter encore et encore afin de

s’imprégner d'une manière consciente ou semi-consciente des qualités du son et de leurs propriétés sonores.

Nicolas Vérin dit : « À partir du moment où l'on peut écouter les sons eux-mêmes, selon Schaeffer, c'est

78 VÉRIN, Nicolas, « Analyse des Variations pour une porte et un soupir (1963) » ; « Le temps et la répétition chez Pierre Henry », Pierrot Solaire, Journée en hommage à Pierre Henry, 8 novembre 2017, Évry, organisateur : Michel Bertier, Université d’Évry Val d’Essonne.

79 idem80 VÉRIN, Nicolas, « Analyse des Variations pour une porte et un soupir (1963) » ; « Le temps et la répétition chez

Pierre Henry », Pierrot Solaire, Journée en hommage à Pierre Henry, 8 novembre 2017, Évry, organisateur : Michel Bertier, Université d’Évry Val d’Essonne.

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digne d'être musique »81. Il faut prendre le temps de les écouter et de trouver leurs propriétés, leurs qualités

ainsi que leurs défauts. C'est ce qu'il appelle l'écoute réduite qui se concentre sur les propriétés du son à

l'exclusion de l'anecdote causale comme il dit, c'est à dire de la reconnaissance de la source du son. C'est

Schaeffer et sa génération qui ont pris conscience de l'importance des enveloppes dynamiques et de la qualité

du son, du timbre et qui ont pris également conscience que retravailler des enveloppes dynamiques cela veut

dire changer la qualité sonore d'une manière importante. Nicolas Vérin continue son propos :

« Dans les Études de Pierre Henry avec Schaeffer, cette boucle, la répétition joue un rôle très important.

Une œuvre de Pierre Henry de cette époque-là s'appelle Spirale. Il s'agit d'un morceau crée 6 à 8 ans avant

les expériences de Steve Reich de musique répétitive donc ce n'est pas sorti de nulle part, d’ailleurs Steve

Reich dit qu'il avait entendu certaines œuvres de Pierre Henry et de Pierre Schaeffer. Cela a supprimé la

référence à la causalité [Spirale], ce qui est la raison de Schaeffer. Et finalement chez Pierre Henry cela

devient aussi autre chose, c'est bien entendu une façon d'affirmer un rythme auquel la répétition va donner

une périodicité. »82.

En parlant de Steve Reich, Nicolas Vérin évoque la musique minimaliste américaine aussi appelée Tape

Music, effectivement, au début des années 1960, Terry Riley, Steve Reich et Philipp Glass seront à l'origine

du courant minimaliste au sein du mouvement du même nom. Ces derniers utilisent la répétition directement

liée à la matrice de production musicale qu'est le magnétophone et la bande magnétique. Ce n'est pas

surprenant d'apprendre que Steve Reich eut vent des œuvres de Pierre Henry et de Pierre Schaeffer qui sont

finalement de véritables pionniers de la répétition. Nicolas Vérin affirme également que les sons issus de la

répétition ne sont pas choisis par hasard, les choix effectués dans l'assemblage de ses derniers permettent de

donner de la cohérence à l'ensemble des œuvres. Par la suite, il parle de la notion de rythme qui n'est pas

seulement propre à Pierre Henry et à Pierre Schaeffer, il tente de démontrer la relative considération des

compositeurs pour la pulsation régulière dans la musique contemporaine :

« Pour l'instant il serait possible de dire que c'est quelque chose de commun à tous les compositeurs de

musique électroacoustique et pas spécifique à Pierre Henry. Il y a la question de rythme. Le rythme dans son

acceptation simple, une période régulière dans la musique contemporaine de ces années-là est quelque chose

d'assez maudit parce que trop connotée par rapport au marché, parce que trop carré, trop régulier, trop

inintéressant, trop simple. »83.

81 VÉRIN, Nicolas, « Analyse des Variations pour une porte et un soupir (1963) » ; « Le temps et la répétition chez Pierre Henry », Pierrot Solaire, Journée en hommage à Pierre Henry, 8 novembre 2017, Évry, organisateur : Michel Bertier, Université d’Évry Val d’Essonne.

82 idem83 idem

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Les mots de Nicolas Vérin ne sont pas surprenants, car durant la seconde moitié du XXe siècle, les

frontières entre musique dite « savante » et musique dite « sérieuse » deviennent de plus en plus poreuses. Il

met ici le doigt sur le fait que beaucoup de compositeurs contemporains n'admettent pas des pulsations

régulières dans leurs œuvres alors qu'au contraire c'est souvent le cas dans des morceaux de variété

populaire. Il démontre cependant que Pierre Henry assume très bien le fait d'utiliser des rythmes de tout type

en proposant l'écoute d'un extrait de Futuristie de 1975 qui s'intitule Joie + Machines + Vitesse où un

compromis entre régularité et irrégularité rythmique est trouvé84 :

« Il y a à la fois de la régularité et de l'irrégularité, les deux se superposent ce qui est

parfaitement entendu dans la Messe pour le temps présent, il y avait la carrure, le 4/4 de Michel

Colombier à qui Pierre Henry avait demandé de faire ses arrangements comme support à ses élucubrations

électroniques qui prenaient la place habituelle des sons dans ce genre de musique. Il prend bien soin de les

cadrer un peu à côté sans jamais être parfaitement dans la pulsation, tout comme avec Ceremony, le disque

qu'il a fait avec le groupe anglais de rock Spooky Tooth, où il y a des rythmiques différentes. Il y a une sorte

de superposition de polyrythmie et même de polytemporalité parce que ce ne sont pas seulement des rythmes

différents, mais ce sont des temporalités différentes qui s'expriment en quelque sorte en étant superposées

[...] »85.

Ainsi, Pierre Henry, contrairement à certains de ses contemporains comme Pierre Schaeffer, travaille avec

des groupes de variétés, et prouve que les frontières entre musique « savante » et musique « populaire » sont

minces, et deviennent inexistantes ce qui est prouvé au travers d'une telle collaboration. Cette superposition

rythmique octroie finalement une richesse musicale à ces œuvres. Par la suite Nicolas Vérin défend un autre

exemple d'une œuvre mélangeant intentionnellement ses deux mondes musicaux en citant le compositeur

Charles Ives :

« Ives, un compositeur américain, avait fait ça en répliquant cette situation où il était chez lui en

train d'entendre des musiciens qui faisaient de la musique de chambre pendant qu'une fanfare passait dans la

rue. Donc après il a collé des œuvres où il y en avait deux simultanément. C'est un peu ce genre de

simultanéité d'événements totalement hétérogènes au niveau de la temporalité. »86

Ives a composé The Fourth of July de la Holidays Symphony (1913) qui donne à entendre ce croisement

entre des genres où il est possible d'entendre des rythmes de fanfares se mêler à de la musique orchestrale.

Ce croisement des genres n'est donc pas quelque chose de nouveau d'un point de vue musical. Par la suite, le

84 https://www.youtube.com/watch?v=CIPTgie3Wjc&t=2895s 85 VÉRIN, Nicolas, « Analyse des Variations pour une porte et un soupir (1963) » ; « Le temps et la répétition chez

Pierre Henry », Pierrot Solaire, Journée en hommage à Pierre Henry, 8 novembre 2017, Évry, organisateur : Michel Bertier, Université d’Évry Val d’Essonne.

86 idem

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conférencier proposa une écoute d'un autre morceau de Pierre Henry extrait de Futuristie intitulé Schisme87

pour démontrer à nouveau l'usage de la voix et de la répétition. Il affirme que Pierre Henry est le premier à

avoir réalisé une œuvre plus longue en 1953 avec Le Voile d'Orphée pouvant dépasser la demi-heure.

Cependant, la longueur d'une œuvre n'est pas forcément quelque chose d'acquis sur le plan de la forme pour

l'auditeur comme l'évoque Nicolas Vérin :

« Avec les moyens de l'époque c'était une prouesse, sur le plan de la forme c'est très difficile parce que

maîtriser la forme c'est pouvoir entraîner les auditeurs dans une aventure où ils peuvent se repérer. Et pour se

repérer, il faut qu'il puisse mémoriser des choses, il faut qu'elles soient identifiées or en électroacoustique

comme tous les sons sont possible et n'ont pas une définition préalable bien établie, la mémoire a plus de

difficulté à s'exercer et donc Pierre Henry de ce côté-là n'a pas hésité. »88.

Le travail de Pierre Henry est donc d'organiser les sons de manière à ce qu'ils soient mémorisables afin de

donner des repères à l'auditeur pour qu'il puisse suivre ses œuvres qui pouvaient durer un concert entier.

Nicolas Vérin affirme qu'il y a quelque chose d'imagé dans sa musique permettant à l'auditeur de finalement

s'y retrouver, « C'est presque toujours les deux camps, il y a le camp de l'image et de l'expressivité et puis le

plan de la musicalité pure qui existe aussi et les deux fonctionnent en articulation. »89. Le conférencier admet

une autre musicalité et une autre temporalité chez Pierre Henry qui est acquise en superposant un très grand

nombre de matériaux sonores. À titre d'exemple, il propose une écoute de l'œuvre Pleins jeux issue de

l'album Polyphonies90 pour décrire cette pluralité du sonore. Il décrit succinctement l'écoute à adapter :

« C'est une écoute à fort niveau sonore, ce n'est pas quelque chose que l'on peut écouter à la légère. Il

faut rentrer dedans pour entendre toute la profondeur des différents sons et être vraiment en immersion dans

la durée. C'est une expérience particulière à la vie électroacoustique et que Pierre Henry va particulièrement

développer »91.

L'écoute est donc le maître mot, être à l'intérieur du son, en immersion afin d'en déceler toutes ses nuances,

87 PolymediaTV, Pierre HENRY – Schisme, mise en ligne le 24 décembre 2015, disponible sur: https://www.youtube.com/watch?v=RMJP5p4IQQQ (consulté le 31 décembre 2017)

88 VÉRIN, Nicolas, « Analyse des Variations pour une porte et un soupir (1963) » ; « Le temps et la répétition chez Pierre Henry », Pierrot Solaire, Journée en hommage à Pierre Henry, 8 novembre 2017, Évry, organisateur : Michel Bertier, Université d’Évry Val d’Essonne.

89 idem90 Lien de téléchargement vers l'album: http://megamp3.top/mp3/fr/music/1295425531/polyphonies-mp3-download

(consulté le 30 décembre 2017).91 VÉRIN, Nicolas, « Analyse des Variations pour une porte et un soupir (1963) » ; « Le temps et la répétition chez

Pierre Henry », Pierrot Solaire, Journée en hommage à Pierre Henry, 8 novembre 2017, Évry, organisateur : Michel Bertier, Université d’Évry Val d’Essonne.

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pour comprendre le son, et pouvoir le penser. C'est peut-être quelque part l'enseignement et la leçon à tirer

du compositeur Pierre Henry et de ses œuvres.

Question de l'assistance à Nicolas Vérin :

Élève : Est-ce que Pierre Henry utilisait une notation pour ces œuvres ?

Nicolas Vérin : À ma connaissance il n'y a pas de notation stricte de ces œuvres par contre il utilisait

beaucoup des découpages par le texte. Chacun de ses sons porte un nom, l'utilisation du langage est très

importante. La notation dans la musique électroacoustique c'est quelque chose qui peut être très bien, mais

qui peut être aussi liégeux parce que cela entraîne une sorte de paresse de l'oreille, on va se fier plus à la vue

et à l'écriture or, on n’a pas les outils qui nous permettent d'avoir des prises suffisantes de l'ensemble des

sons qu'offre l’électroacoustique avec l'écriture. Donc la notation va être toujours très réductrice.

Élève : Est-ce qu'il y avait une ambition politique dans ce côté répétitif ?

Nicolas Vérin: Il ne prenait pas position techniquement, mais cela ne l'empêche pas d'avoir une affiche du

PKK chez lui, le parti des Kurdes...

Élève: Est-ce qu'en plus de la dimension spirituelle de l'œuvre il n'a pas fait ça pour fermer la porte par

rapport à Pierre Schaeffer?

Nicolas Vérin: Je ne crois pas parce que l'œuvre est réalisée 5 ans plus tard. Il y a eu différente périodes de

haine et d'amour, il y a plein de phases.

Élève : Est-ce que Luc Ferrari est parti des Variations pour une porte et un soupir ?

Nicolas Verin : Je pense que Luc Ferrari avait déjà commencé avant à travailler sur la notion de son

anecdotique en réaction à Schaeffer qui les interdisait. Hétérozygote (1964) s'était au sein du groupe de

recherche musicale à l'intérieur de la maison mère de Pierre Schaeffer, s'était un scandale quand même.

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Conclusion générale.

Les deux conférenciers ont démontré l'importance des travaux musicaux de Pierre Henry. Le compositeur

aura développé dès sa jeunesse et jusqu'à la fin de sa vie une conscience musicale du son et a accordé

beaucoup d'importance à l'écoute au centre de ces créations. Les œuvres de Pierre Henry écoutées durant

cette matinée du 8 novembre 2017 ont permis de comprendre davantage les tenants et les aboutissants de sa

démarche musicale. Le bidouillage sonore est finalement un acte du processus de création qui doit être

considéré comme musical. La porte de Variations pour une porte et un soupir doit être considérée comme un

instrument de musique, tout objet sonore peut devenir musique pour Pierre Henry. Bien qu'il fut possible de

déceler une certaine frustration lorsqu'il évoque le terme de variété en parlant de Messe pour un autre temps,

il démontre ses capacités à s'adapter aux œuvres de type populaire effaçant de ce fait le clivage entre

musique-savante et musique populaire. En effet, le compositeur n'a pas hésité à franchir le pas lors de

collaborations avec certains artistes comme les Spooky Tooth notamment ou Michel Colombier. Bien que des

compositeurs comme Pierre Boulez ne soient pas militants d'une musique concrète et électroacoustique en la

critiquant sèchement, l'idée que ce type de musique face l'objet d'une conférence au sein d'une université

démontre aujourd'hui toute l'importance et la prise en considération par les institutions d'un homme, d'un

créateur qui fait parti de l'histoire et du patrimoine culturel français.

Louis Bereski-Laurent

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BIBLIOGRAPHIE

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VÉRIN, Nicolas, [en ligne], disponible sur : http://www.nicolasverin.com/ (consulté le 23 décembre 2017).

COLLOQUE :

JISSE, David, « Pierre Henry et son public », Pierrot Solaire, Journée en hommage à Pierre Henry, 8novembre 2017, Évry, organisateur : Michel Bertier, Université d'Évry Val d’Essonne.

VÉRIN, Nicolas, « Analyse des Variations pour une porte et un soupir (1963) » ; « Le temps et la répétition

chez Pierre Henry », Pierrot Solaire, Journée en hommage à Pierre Henry, 8 novembre 2017, Évry,

organisateur : Michel Bertier, Université d’Évry Val d’Essonne.

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ANNEXE 1

Retranscription manuscrite de la conférence de David Jisse intitulé « Pierre Henry et son public » qui eut lieu

de 10h00 à 11h00 le 8 novembre 2017 lors de la journée d'étude Pierrot Solaire, Journée en hommage à

Pierre Henry.

http://www.david-jisse.com/

La présente retranscription tente de rester fidèle à l'enregistrement, certains mots peuvent manquer du fait

d'une qualité sonore parfois compromise.

David Jisse: « On n'est là pour ne parler que de moi évidemment, mais pour parler aussi de Pierre Henry. Ce

que j'ai choisi de faire, c'est essayer de rendre cela un peu vivant. Justement, il nous a quittés, mais il est

encore là par sa musique et par sa voix. J'ai eu de la chance il y a dix ans de faire pour France Culture une

émission qui s'appelle "A voix nue". "À voix nue" c'est une chance parce que c'est une rencontre un petit

peu longue avec une personne et donc j'ai pu aller chez lui et enregistrer assez longuement avec lui. Ce que

j'ai essayé de faire là, c'est essayer de construire un petit parcours où à la fois on entendra un petit peu de sa

voix évidemment... sur des moments un peu choisis et je vais essayer de parler de mon impression, de ce que

je pense sur l'importance de la place de Pierre Henry, à la fois dans la vie musicale et puis dans la musique

tout cours. […] Vous connaissez tous Pierre Henry pour les mauvaises raisons, enfin mauvaises je ne suis

pas sûr, mais disons les raisons souvent liées à la médiation. C'est vrai qu'on le connaît beaucoup sur une

sorte d’ambiguïté de base...

Extrait de l'interview de Pierre Henry réaliséz par David Jisse : « […] Je me suis mis à entendre ce qui

venait de dehors, mais aussi à entendre dans ma tête, c'est-à-dire à faire immédiatement une sorte de

transposition mentale qui me permettait d'imaginer des sons. Cela je m'en souviens très bien, à 8 ou 9 ans,

j'écoutais et j'entendais en moi. [...] par la volonté de mes parents, je resta chez moi, je n'allais pas en classe

[…] à la messe peut-être que là, j'ai pris goût à un rituel textuel... le latin de la messe, le parcours de la

bible... bon, mais revenons à mes moutons. Il y avait dans le parc des sources, il y avait des arbres et du vent

et il y avait, ce qui maintenant est un TGV, il y avait un chemin de fer, et tout cela m'a accaparé et m'a

permis [...] d'être déjà musicien dans l'âme... ».

David Jisse : « Je crois que c'est tout à fait intéressant d'entendre la manière dont il parle de cette enfance

sonore et de sa découverte du monde sonore parce qu'il relie les deux domaines, à la fois celui de

l'apprentissage musical, car il a fait des études musicales tout à fait classiques, avec Nadia Boulanger, la

percussion, il est devenu percussionniste, mais en même temps il a grandi dans cette enfance solitaire, il était

tout seul dans cette maison, son père était quelqu'un d'assez rigoureux et il n'allait pas à l'école parce qu'il

était censément malade donc il avait des précepteurs qui venaient à la maison. Il a grandi dans une sorte

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d'imaginaire acoustique autour de ce monde bucolique de l'enfance et qui a, je pense, contribué énormément

à cette rencontre avec un mode d'apprentissage de la musique qui est tout à fait différent du mode classique.

J'insiste sur cette idée-là parce que c'est vrai que la musique souvent se partage entre deux parties hélas

opposées... c'est celle de la pratique et celle de l'écoute... Dans ce que l'on a entendu là, c'est la preuve même

qu'il y a une fusion entre ce que l'on découvre par l'oreille par la pratique, par le sonore, par l'instantané et

par l'apprentissage musical et c'est très important comme expérience, et très important pour la personnalité de

Pierre Henry parce qu'il va continuer dans cette voie-là. Évidemment au conservatoire il est un petit moins

seul, il a une chambre à Paris ; il découvre un petit peu la vie, le monde et la musique et puis il y a sa

fameuse rencontre avec Pierre Schaeffer. J'ai du mal à dire qu'il est compositeur... Créateur essentiellement

de ce qui s'appelle le studio d'essai... »

Un élève de l'assistance : « Pierre Schaeffer ce n'est pas celui qui avait mis des clous dans un piano ? ».

David Jisse : « Souvent on parle de clou dans un piano pour John Cage... mais c'est vrai que Pierre

Schaeffer avait cet art de fabriquer du sonore avec des objets un peu particuliers... écoutons d'ailleurs Pierre

Henry nous parler de cette période-là. »

Extrait de l'interview de Pierre Henry réalisée par David Jisse : « On m'avait demandé une musique de

film pour la télévision […] ce que j'ai fait, j'ai trouvé que c'était très proche des émissions de Pierre Schaeffer

qui s'appelaient tout bonnement musique concrète, déjà l'appellation m'avait fait tilt, et par des amis

communs, j'ai pu rencontrer Pierre Schaeffer et je lui ai amené le disque de ce film « Voir l'invisible »... il l'a

mis sur un appareil de transposition et il m'a dit : « Tu vois, cela peut aller plus loin, cela peut être mieux et il

cherchait un instrumentiste pour la symphonie, alors j'ai été l'instrumentiste, j'ai compris très vite comment

tout ça pouvait se bidouiller, parce que c'était le mot... on faisait des bidules, on bidouillait, on bricolait avec

les appareils de la radio et non pas des synthétiseurs, cela n'existait pas encore. On les détournait pour s'en

servir et je suis devenu un compositeur de studio. »

David Jisse: « Cela répond à votre question [en parlant de l'élève], effectivement Pierre Schaeffer et Pierre

Henry à cette époque étaient dans cette inventivité liée aux objets sonores. Il faut quand même rappeler le

contexte... vous [en parlant de l'assistance] vous êtes aujourd'hui avec vos iPhone et vos appareils, où il y a à

l'intérieur de ça des possibilités électro-acoustiques incroyables par rapport à l'époque. Rappelons-nous du

contexte technologique de l'époque. À l'époque, il faut bien s'en souvenir, pour enregistrer, pour fixer les

sons, il n'y avait pas d'autres solutions que les disques, il n'y avait même pas de magnétophone... Le

magnétophone est-il un mot qui vous dit quelque chose ? Il n'y avait même pas de magnétophone, mais

plutôt des disques vinyl et il fallait lorsque l'on voulait faire de la composition avec des éléments électro-

acoustiques, on enregistrait sur un disque et on mettait les disques côte à côte dans un studio et Pierre Henry

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en parle très bien. Il dit : « On passait notre temps à sautiller d'un lecteur de disque à l'autre », parce qu'il

fallait envoyer un son sur une machine, envoyer un son sur l'autre et il n'y avait pas d'autres solutions que de

les avoir sur des disques. Il n'y avait pas d'autres outils, le microphone existait bien sûr, l'enregistrement

existé, mais il n'existait absolument aucun outil de synthèse, les synthétiseurs tels que vous les connaissez

aujourd'hui, rien de tout cela n'existait et c'est pour cela que cette idée de bricolage et pour revenir à la

question du piano et des clous dans le piano, cette idée du bricolage était au cœur même de cette activité

permanente de tous ces créateurs de l'époque. Cela a donné évidemment...

Extrait écouté et lien Youtube: : Bidule en Ut de Pierre Schaeffer et Pierre Henry.

https://www.youtube.com/watch?v=UGoSQ5rnBFw

David Jisse: Il s'agit d'une pièce emblématique de Pierre Henry et de Pierre Schaeffer, c'est intéressant le

mot bidule, on était dans du bidouillage, dans du bricolage et on entend précisément à l'intérieur de tout ça,

les sons issus de la musique concrète, tous ces sons que l'on retrouve d'ailleurs dans le Psyché Rock, ces

sons qui sont réintégrés à l'intérieur de ça... Les extraits sont très courts et très frustrants, je vous invite après

à vous plonger à l'intérieur de l'écoute de tout ça, mais c'est intéressant d'autant que là avec les moyens très

pauvres techniquement de l'époque, ils étaient capables de développer un imaginaire. Comment ? Grâce aux

outils technologiques dont on a parlé, mais aussi avec des chambres d'écho, et surtout avec une imagination

liée à l'objet sonore. Un tout petit mot, mais ce n'est pas l'objet de la présentation d'aujourd'hui, mais c'est

vrai qu'il faudra que vous vous penchiez sur ce qu'est la musique concrète et sur cette théorisation que Pierre

Schaeffer avait faite autour de l'objet sonore en disant, pour dire très vite, faire ça [David Jisse tape sur la

table] ou faire ça [il tape encore sur la table] c'est évidemment ma main qui tape sur la table, mais c'est aussi

tout à coup quelque chose d'autre et qui devient instantanément un matériau utilisable pour fabriquer du

sonore et de la musique. C'est l'acte essentiel qui a fait que cette musique a pu se développer. Évidemment la

rencontre entre Pierre Schaeffer et Pierre Henry, ils sont là au studio d'essai, ils font plein de trucs, Pierre

Henry qui avait un certain caractère, pour ne pas dire plus, il avait sa personnalité et c'est vrai que Pierre

Schaeffer en avait une aussi très forte. Cela n'a pas été très simple, cela n'a pas été très facile, d'autant plus

qu'il travaillait [Pierre Schaeffer] dans des studios où Pierre Henry avait beaucoup de commandes, beaucoup

de relations, il avait des commandes de musiques de film, il commençait à développer une sorte d'activités

autonomes au sein même du studio d'essai ce qui était un petit peu compliqué parce que Pierre Schaeffer

avait aussi, il faut le dire, un certain goût du pouvoir et une manière de dire, « Bon et bien c'est moi qui

dirige la boutique et il ne comprenait pas tout à fait que Pierre Henry à l'intérieur de cet espace là, il créait

son espace autonome. En plus, c’était très intéressant, il faut se rappeler aussi du contexte, c'est une chose

que l'on a perdue aujourd'hui. Aujourd'hui les choses sont très sectorisées, on est ici dans un département de

musicologie, il y a la musique et puis le théâtre est ailleurs, la littérature est ailleurs. À l'époque, au studio

d'essai, Jean Tardieu [ https://fr.wikipedia.org/wiki/Jean_Tardieu ] quelqu'un que vous connaissez peut être,

un grand auteur, était le directeur artistique de ce studio d'essai, et ce studio d'essai n'était pas rigoureusement

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musical, c'était totalement interdisciplinaire, il y avait des cinéastes, on croisait Jean Grémillon [

https://fr.wikipedia.org/wiki/Jean_Gr%C3%A9millon ] , Luis Buñuel [ https://fr.wikipedia.org/wiki/Luis_Bu

%C3%B1uel ], Henri-Georges Clouzot [ https://fr.wikipedia.org/wiki/Henri-Georges_Clouzot ],

[14min40]... Tous ces gens-là étaient au cœur même de cette machinerie d'inventivité et de création, il faut se

remettre les choses dans ce contexte-là... Pierre Henry est au milieu de ça, et à l'intérieur de ça, il commence

à développer son activité personnelle. Avec un désaccord grandissant avec Pierre Schaeffer, il y a un

moment cela a été le clash, Pierre Henry avait développé ses activités de manière très intense, il commençait

à faire ses musiques de son côté et donc, cela s'est assez mal passé, il a reçu un jour une lettre de

licenciement... Pierre Henry est un des rares compositeurs, peut être un des seuls, à avoir depuis le début de

sa carrière jusqu'à la fin, collecté, conservé, et géré la totalité des sons qu'il a faits depuis le début de son

travail jusqu'à la fin et c'est un élément assez exceptionnel d'ailleurs qui est en travail avec la BNF, puisque

tous ses sons vont maintenant réintégrer le patrimoine collectif auprès de la bibliothèque nationale et la

question du son est une question essentielle. À l'époque, on fabriquait quelque chose justement ayant assez

peu de technologie pour les reproduire, donc fabriquer un son c'était sa richesse, sa singularité, de

compositeur. Lorsqu'il reçoit sa lettre de licenciement de Pierre Schaeffer qui lui dit : « Bon, ok tu t'en vas,

mais moi je garde tout... ». C'est ce qu'a dit Pierre Schaeffer.

Extrait de l'interview de Pierre Henry réalisée par David Jisse : « Là, je me suis fait confectionner un

habit avec énormément de poches, donc j'allais pour faire le classement théorique et pratique de tout ce que

j'avais fait, et Dieu sait qu'il y en avait... et je mettais l'original dans la poche, je rentrais chez moi, je copiais

l'original que je gardais et je rendais la copie qui était dans un état nettement moins bon. Alors ça, c’était le

premier épisode, je peux le dire maintenant, il y a prescription. Et ensuite, quand François Bayle est arrivé à

la responsabilité du GRM, il m'a rendu tous mes sons, j'en ai même récupéré des copies dont je ne savais pas

quoi faire. »

David Jisse: Donc vous imaginez un petit peu la scène de Pierre Henry arrivant la nuit avec un grand

mental, prenant ses bandes et repartant, je trouve ça assez émouvant. Bon, à la fois c'est une anecdote et en

même temps c'est tout à fait intéressant parce que c'est le reflet des moyens de l'époque et puis c'était aussi sa

singularité qui était que, il avait développé tout un travail autour de ces sons et que ces sons étaient sa propre

richesse. Donc une fois cette séparation consommée avec Pierre Henry, il fonde son propre studio, le studio

APSOME [ https://fr.wikipedia.org/wiki/Pierre_Henry voir APSOME ]. Et donc, il continue à travailler et

c'est sa collaboration avec Maurice Béjart [ https://fr.wikipedia.org/wiki/Maurice_B%C3%A9jart ] qui est

aussi un événement. Très important, ils se rencontrent dans les années 1955, et une chose importante à

signaler et à écouter, c'est la pièce qui s'appelle Variations pour une porte et un soupir. C'est Béjart qui lui

avait commandé à l'époque une musique, il disait moi j'aimerais bien faire une sorte de solo, j'ai besoin d'un

son et il se trouve que Pierre Henry était à ce moment-là, à la campagne... il est possible d'écouter ce

moment-là...

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Extrait de l'interview de Pierre Henry réalisé par David Jisse : « Il m'a dit, j'aimerais faire un pas de

deux pour Patrick Belda [ https://fr.wikipedia.org/wiki/Patrick_Belda ] et Laura Proença

[ https://www.biografiasyvidas.com/biografia/p/proenca.htm ], on va partir au Brésil, tu me composes une

petite demi-heure, mais à pas de deux et à ce moment-là j'avais aussi cette possibilité d'installer un studio de

campagne ce que j'ai fait dans cette ferme ou j'avais installé une cabine, des haut-parleurs, que j'avais truffés

de micros le poulailler, la porcherie et le petit ruisseau, et le reste... J'avais fait donc une campagne de son, ce

que j'ai fait par moment, mais quand je le fais, je le fais jusqu'au bout et je veux que cela soit techniquement

très aboutie. Et précisément, j'ai trouvé une porte et là j'ai dit, tiens cette porte peut devenir un instrument

aussi musical que l'instrument à cordes comme un violoncelle, et j'ai appris à jouer de la porte et après il y a

eu une œuvre de son bien mélodiquement, très abouti, j'ai fait le montage et j'ai fait entendre à Maurice

Béjart ses variations sur une porte et puis j'avais ajouté un peu de voix, un flexatone,

[ https://fr.wikipedia.org/wiki/Flexatone ] c'est un instrument qui fait des bulles clownesques, et puis mon

propos c'était de réaliser une sorte de parcours d'une journée chez un être humain... ».

Extrait écouté et lien Youtube : Variation pour une porte et un soupir de Pierre Henry.

https://www.youtube.com/watch?v=dud4D6PeHqQ&t=7s

David Jisse : C'est quand même important d'écouter parce que c'est un moment charnière, si j'ose dire et

sans jeux de mots, dans la musique. On a théorisé et inventé quelque chose musical autour d'objets qui sont

concrets et reconnaissables et tout à coup, on essaie d'en tirer toute la musicalité. Alors il faut reconnaître que

cela a fait un tout petit peu scandale à l'époque... Je ne sais pas quel effet cela peut vous faire aujourd'hui

d'écouter ce type de musique, cela serait bien d'avoir vos réactions à la suite de cette petite intervention. C'est

vrai que c'est une révolution de pouvoir écouter de manière acousmatique... Un petit point sur ce mot

acousmatique tant que l'on est là. Le mot acousmatique a été repris de Pythagore qui donnait ses cours, un

peu comme je suis en train de le faire, sauf que ce n'est pas un cours, mais une histoire que je raconte et il

pensait que si on ne voyait pas l'émetteur du son, on était dans une meilleure position pour entendre ou

découvrir le sonore. C'est vrai que si tout à coup, je disparais, on a ce que l'on appelle cette écoute

acousmatique, on aura une écoute tout à fait particulière. C'est vrai que toute cette école de la musique

concrète vient justement du fait que cette porte que l'on vient d'entendre, évidemment tout le monde

reconnaît, parce que l'on a une culture du sonore, on reconnaît le son d'une porte, mais si on se pose dans la

position de dire, « on oublie que c'est une porte... », on ne voit plus la porte, et on ne laisse aller que son

oreille à dire que c'est une hauteur qui est de ce type-là... et tout comme ce que je faisais tout à l'heure en

tapant des mains, une sonorité mate qui n'est pas réverbérée... c'est une manière d'aborder le musical très

essentielle et qui va guider l'ensemble de la musique électro-concrète d'abord puis électronique, puis électro-

acoustique. C'est d'ailleurs pour ça peut être que Pierre Henry, le rapport avec la techno, le rapport avec les

pratiques d'aujourd'hui du musical, je pense que s'il y a un pont à faire, c'est que justement la musique a été

découverte à ce moment-là par l'oreille, par l'audition, par la sensation musicale et que cela relie

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complètement avec les pratiques d'aujourd'hui qui sont : on prend un sample, on le travaille sans autres

critères que celui de son plaisir de l'oreille et de son agencement acoustique.

On avance et on arrive à un moment essentiel, j'ai commencé cette intervention-là dessus, c'est cette fameuse

Messe pour le temps présent […] qui est à la fois... c'est très ambigu cette histoire, parce qu’il le disait lui

même d'ailleurs Pierre Henry : « Mais c'était de la variété... »

Sans mépris parce qu'il a quand même eu un grand succès et sa reconnaissance s'est liée à ce travail-là, mais

c'est vrai qu'il reconnaissait tout à fait la différence de ce travail avec son travail ordinaire. Je vais vous faire

écouter ce qu'il dit avec beaucoup d'humour quand je lui pose la question de ce qu'il pense de la Messe du

temps présent.

Extrait de l'interview de Pierre Henry réaliser par David Jisse : « Il se trouve que Maurice Ravel a eu

plus de chance avec son Boléro [ https://fr.wikipedia.org/wiki/Bol%C3%A9ro_(Ravel) ]. Parce que dans le

Boléro, c'est systématique, mais il y a quand même une prodigieuse combinaison d'alliages de timbre que

l'on n’a jamais entendus ni avant ni après. Et dans cette Messe pour le temps présent, qu'est ce qu'il y a ? Ce

qu'il y a, c'est un standard où le rythme devient mélodie et c'est ça qui intéresse le public, mais c'est de la

variété... »

David Jisse: : Il conclut en disant que c'est de la variété... Je ne pense pas que l'on puisse dire que ce n'est

que ça, parce que c'est très important malgré tout de dire que dans une pièce de musique où les gens

dansaient, les gens continuent à danser sur Psyché rock de manière importante. Il n'empêche que lorsque l'on

écoute très précisément cette musique, on se rend compte qu'au-delà du travail de Michel Colombier

[ https://fr.wikipedia.org/wiki/Michel_Colombier ], il faut se rappeler de ce nom-là, car il s'agit de celui qui a

été l'arrangeur, l'orchestrateur de la proposition musicale de la Messe pour le temps présent. Michel

Colombier est un musicien qui est plutôt un musicien repéré dans le monde de la variété, il a été un arrangeur

important de grand chanteur et puis il a fait des musiques lui même... des musiques pop de l'époque. Quand

on écoute malgré tout, on se rend compte que justement, tous les sons que je vous faisais écouter tout à

l'heure sur Bidule en Ut, les petits bruits de ressort, les petits bruits très spécifiques à la musique concrète et à

l'image de Pierre Henry apparaissent à l'intérieur... Prenons quand même deux secondes pour réécouter un

tout petit bout de Psyché rock dans cet esprit là, c'est à dire, essayez de percevoir à l'intérieur la pâte, la

singularité...

Extrait écouté et lien Youtube : https://www.youtube.com/watch?v=vC1cgcOEErQ

… déjà ça [ en parlant de l'introduction du morceau ], écoutez bien les tout petits sons […] Pour l'époque

c'était tout à fait novateur et inventif, et surtout cela mélangeait deux mondes. Évidemment, cela n'a pas été

lu comme ça, cela a été considéré comme une sorte de grands tubes, mais il y a à l'intérieur de ça, toute la

singularité du travail de Pierre Henry. On essaie d'avancer un petit peu au-delà de ce succès ambigu qui

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malgré tout a fondé cette image de père de la techno... de père de cette musique qui réconcilie à la fois,

l'élément rythmique et l'élément inventif au niveau du sonore. Je crois que ça aussi c'est une chose très

importante, quand j'ai commencé cette intervention en disant qu'il faisait partie de la génération des Boulez,

des Kagel, des Berio, des Ligetti c'est vrai que les compositeurs et cette époque ont quand même eu une

position un peu suspicieuse par rapport à une rythmicité qui serait ordinaire, un peu répétitive, une battue

régulière... C'est vrai que tous les compositeurs de cette époque-là ont un peu déjoué cela. C'est vrai

qu'accepter de composer avec une notion de rythme très puissante et très évidente est une chose qui n'était

pas du tout de l'époque et qui a sans doute clivé un petit peu les choses. En fait, cela créait pour lui une

position tout à fait ambiguë et il continue malgré tout à jouer avec ça puisqu'en fait il dépasse complètement

ce succès puisqu'il continue à écrire et revenir à ses singularités. Je rappelle que la Messe pour le temps

présent c'est 1967, juste avant 1968 où il compose Apocalypse qui a une sorte de grande fresque et d'écho

sonore à sa vision... son premier studio était Boulevard Saint-Germain et il compose dans ce studio

Apocalypse. Ce n'est pas neutre comme manière de faire. Il continue, il travaille, il a un rapport au théâtre

très important et plus tard dans la journée comme Nicolas [Vérin] est arrivé, il parlera certainement de Dieu

et de cette grande pièce avec Jean-Paul Farré qui est un comédien... qui a donné sa voix à cette pièce

extraordinairement importante dans le travail de Pierre Henry qui date du début des années 1970. Au fond,

toute la question qui se pose, c'est le jeu permanent qu'il a dans sa relation musicale et sa singularité et en

même temps, la perception que le public peut en avoir puisque justement c'était un artiste qui était devenu un

artiste à succès. [...] il y a une chose très importante c'est qu'il a quitté Pierre Schaeffer, il a monté son propre

studio, mais il faut se rappeler qu'à l'époque, toute ses machines, tous ces outils pour fabriquer du sonore

étaient des choses qui coutaient extraordinairement cher et que pour acheter ne serait-ce qu'une simple bande

magnétique qui n'existe plus aujourd'hui, il fallait de l'argent. Il me disait dans cette rencontre qu'il était

obligé, comme il avait fréquenté des artistes comme Yves Klein [ https://fr.wikipedia.org/wiki/Yves_Klein ],

il avait obtenu à une époque un certain nombre d'oeuvres, qu'il avait été obligé de revendre pour acheter son

matériel pour fabriquer cette musique, c'est à dire que c'était une musique qu'il faisait avec ses propres

moyens. Il se trouve qu'il y a eu dans les années 1980, un nom important que vous ne connaissez

certainement pas, mais qui s'appelle Maurice Fleuret [ https://fr.wikipedia.org/wiki/Maurice_Fleuret ] qui

était un critique et qui a, au moment de 1981, est arrivé au commandes de la vie musicale, et Maurice Fleuret

qui était un ami de Pierre Henry a dit qu'au fond on ne peut pas laisser les artistes comme ça dans une sorte

de pauvreté permanente, et c'est là qu'on commençait les soutiens de l'état aux activités d'artiste comme

Pierre Henry, Luc Ferrari et bien d'autres... Donc, Pierre Henry a pu à ce moment-là, commencer à

institutionnaliser son travail et en plus, c'était juste au moment où il venait de trouver cette fameuse maison

dont on parle beaucoup en ce moment puisqu'elle fait l'objet d'un vrai problème... C'est une maison qui se

trouve rue de Toul dans Paris et dans laquelle, il a installé sa vie, son studio, ses bandes... enfin il a tout

fabriqué à l'intérieur de cet endroit-là, avec une sorte de confusion entre sa vie personnelle, entre sa femme,

son assistance, ses sons, il était au milieu de tout ça... Il a même fait, et ce assez récemment avant sa

disparition, un grand nombre de concerts à l'intérieur de sa propre maison... Aller rue de Toul assister à un

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concert fait par Pierre Henry avec ses enceintes personnelles au milieu de ces objets du quotidien, son lit, sa

chambre, sa cuisine, c'est une chose tout à fait passionnante... bon là j'ai déjà fait un grand saut dans l'histoire

je suis déjà dans les années 2000... continuons quand même à explorer les années 1980, rue de Toul, il a à ce

moment-là une sorte de soutien institutionnel et non seulement cela... il faut se rappeler du contexte, je l'ai dit

un petit vite... les moyens technologiques de la musique concrète et de l'analogique, c'est à dire tous les outils

qui n'était pas numériques étaient assez compliqué à mettre en œuvre et donc Pierre Henry a vécu le moment

de la fracture et de la bascule vers le numérique. Ce qu'il y a d'intéressant c'est qu'il a à la fois joué le jeu,

sans jouer le jeu, c'est-à-dire qu'il n'a pas basculé d'un monde à l'autre, mais qu'il a réussi à faire glisser, son

monde de l'analogique vers le numérique... Petit détail technique, toute ces bandes magnétiques ont donc été

numérisées et il a eu la chance, comme je le disais depuis le début, d'être le possesseur et de pouvoir garder

l'ensemble de ces sons, et de pouvoir tous les reporter grâce à un travail incessant de recopie de ces sons et il

a comme ça constitué une sorte de phonothèque et ce qui va arriver, cela sera la totalité de ces sons

numérisés par lui même selon ces modalités. C'est vrai qu'il n'a jamais vraiment composé avec les outils

numériques parce qu'il ne voulait pas de ça et il continuait à travailler, j'allais dire à l'ancienne, c'est un

mauvais mot, avec ses technologie issue de la technique analogique...

Quand il a commencét en tant que percussionniste et qu'il a découvert le travail d'orchestre, il jouait dans les

orchestres, il faisait les créations des œuvres comme tous les musiciens, il disait que c'était incroyable, car

quand on est assis à la place des percussions dans l'orchestre on n’entend pas la même musique et ça, c'est

très important. C'est-à-dire qu'il était déjà, dans la position de l'instrumentiste en train de jouer la pièce, il

jouait des notes évidemment sauf qu'il était dans l'écoute et qu'il se disait qu'au fond on arrive à percevoir

une musique différente à partir du moment où l'on est dans l'orchestre à la place du percussionniste. C'est

vrai que c'est intéressant comme expérience d'être dans un orchestre, de se mettre à la place du flûtiste ou à la

place du clarinettiste, on n’écoutera pas la symphonie de Beethoven de la même manière... cela n'a rien a

voir, on n'entendrait pas la même musique. C'est pour dire qu'effectivement, il a passé sa vie à être dans cette

sorte d'alternative entre la vision musicale et la vision du sonore. Je pense que c'est un de ceux qui

réconcilient le mieux les choses.

Extrait de l'interview de Pierre Henry réalisé par David Jisse : « Aucun musicien n'a essayé d'approcher

l'analyse de ma musique et je suis solitaire pour l'écoute de ma musique venant des autres musiciens. Je crois

que je suis le parrain de choses modernes, mais je ne suis pas un des leurs. ».

David Jisse : Ça c'est une phrase terrible, c'est une sorte de regrets que personne n'ait fait une analyse précise

de son travail musical et que, il se dit je suis le parrain de choses modernes et en même temps je suis tout

seul dans mon coin et personne n'a l'air de se préoccuper précisément du contenu profond de ma musicalité.

Ce n'est pas tout à fait vrai parce que l'on connaît certains qui se sont vraiment penchés sur ce travail-là et qui

ont été chercher justement la profondeur même de ce travail. Mais globalement, c'est vrai que dans la vie

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musicale, il s'est senti un petit peu solitaire, il s'est aussi mis en solitaire lui-même, mais il a été aussi dans

une situation très particulière par rapport au monde musical. Une petite anecdote par exemple, justement

avec des gens comme Pierre Boulez dont tout le monde connaît l'aura aujourd'hui. Pierre Boulez avait par

rapport à la musique électroacoustique, un sentiment tout à fait mitigé pour ne pas dire plus, il considérait

cela comme du bidouillage et il disait qu'au fond ce type de travail n'avait pas un grand intérêt même si lui-

même fait une ou deux pièce électroacoustiques. Il y avait une sorte de catégorisation ou de classification en

disant qu'il y a ceux qui bidouillent et puis il y a ceux qui écrivent de la musique sérieuse. C'est très

important de penser Pierre Henry comme étant justement cet espace de la composition qui est un espace qui

réconcilie à la fois la science et puis l'improvisation et le goût du sonore.

Question de certains élèves de l'assistance pour David Jisse :

É lève: Le sonore à l'époque n'était il pas considéré comme musique ?

David Jisse : La rencontre avec Pierre Schaeffer, le studio d'essai, la formalisation de la musique concrète, le

solfège des objets musicaux... ce développement-là, musical était un développement effectivement qui

avançait parallèlement à la tradition musicale ancienne qui était l'écriture musicale depuis la musique

classique, et qui est devenu musique contemporaine, mais qui était la tradition de l'écriture musicale. Le

sonore, c'est à dire le son était d'une certaine manière un peu dissocié de cette avancée de l'écriture musicale.

Peut-être justement grâce au travail de Pierre Henry, grâce aux œuvres elles-mêmes, grâce à la conscience et

puis grâce aux technologies aussi... Quelque chose s'est un tout petit peu réconcilié. Aujourd'hui un musicien

qui enregistre une pièce de musique fait autant attention à la justesse des notes et de l'écriture qu'à la qualité

électroacoustique de ce qu'il enregistre. On fait autant attention à la qualité de la réverbération, la place du

micro par rapport aux instruments, les deux sont aujourd'hui conscientisés et mélangés. Les critiques ne s'en

rendent pas tout à fait compte. Un petit exemple anecdotique, vous faites écouter un enregistrement nouveau

à des critiques, il y a celui qui est spécialiste de la musique classique il va dire que telle note est juste ou pas,

et puis celui qui travaille dans le domaine de l'électro-acoustique va dire que la place du micro n'était pas

juste, la réverbération est trop grande... Les deux sens sont malgré tout en permanence séparés et que cette

tentative, à travers Pierre Henry, de réconcilier les deux n'est pas si facile et n'est pas forcément acquise en

permanence aujourd'hui.

É lève: Est-ce que la musique existe en dehors de la conscience humaine, en dehors de ce que l'homme peut

faire au fond par lui même ?

David Jisse : Je pense que Pierre Henry a toujours pensé que c’était grâce à son écoute et à sa manière d'être

qu'il faisait quelque chose de musical. Qu'il ait une conscience de l'harmonie, il a un rapport à l'harmonie tout

à fait intéressant, il m'a parlé dans les entretiens par exemple de l'accord parfait [...] et de son goût de l'accord

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parfait non pas du fait qu'il faisait une tierce et une quinte, mais que cela faisait des harmonies universelles

qui rentraient en vibration et qui peut être rejoignient une sorte de vibration générale qui est celui du

phénomène sonore sur la terre si j'ose dire. Il n'avait pas une vision comme celle-là, il pensait au contraire

que c'était à l'artiste de trouver cette relation avec peut être une sorte de grande cosmogonie et une plus

grande vision du musical, mais en tous cas, il pensait être un acteur du musical, que c'est le musicien qui fait

la musique. Même s’il avait un peu cette conscience élargie, quand il est dans son jardin à Sénart et qu'il a

conscience que tout ça cela fait des vibrations, c'est avoir une conscience que la chose existe sans lui... sauf

qu'il a son oreille, et c'est son oreille qui distingue ça.

É lève : Quelle évolution ?

David Jisse : Pour avoir vu beaucoup de concerts avec lui de musique contemporaine, ce qui est frappant,

c'est que le public n'a rien à voir avec les publics de musiques contemporaines. C'est un public de jeunesse,

c'est un public très varié et c'était ça qui était tout fait émouvant, c'est qu'il pouvait être dans des situations

avec énormément de public et avec un métissage très important de gens qui ne venaient pas forcément du

monde de la musique, mais qui venaient pour le goût du sonore... Une chose dont je n'ai pas parlé et qui est

importante : l'interprétation de la musique. Il a été aussi en permanence, l'interprète de sa propre musique et

ça, c'est aussi très important. Les gens venaient écouter de la musique, mais ils venaientt aussi le voir et la

mettre en jeu. C'est vrai que pour nous musiciens c'était toujours une grande émotion de le voir faire des

choses extraordinairement gonflées si j'ose dire, c'est à dire il était capable à la fois d'être très pénible avec

ceux qui mettait son travail en œuvre, et il était d'une exigence absolue. Quand il arriva dans un lieu et qu'il

avait déjà prévu un type de diffusion, qu'il arrivait et qu'il disait que cela n'allait pas, qu'il fallait tout refaire

et tout recommencer... il avait une exigence de diffusion de sa musique, et je pense que les gens qui venaient

venaient aussi pour ça. Cette sorte de communion avec son propre projet. Il fallait le voir en train de

fabriquer la musique en direct même si les sons avaient était fabriqué à l'avance, mais l’interprétation était

aussi une chose très essentielle. Ce qui peut être aussi un pont avec les musiques d'aujourd'hui, c'est qu’il

était aussi la preuve que la musique il la composait dans son studio, mais, l'existence même de l'oeuvre au-

delà des enregistrements qui sont plutôt bien faits, l'existence même de l'oeuvre c'était aussi sa diffusion et sa

manière de nous la rendre perceptible de manière physique, avec un type d'enceintes particulier, avec toutes

sortes d'éléments qui rendent cette musique extraordinaire.

Élève : La musique mixte ne permettrait pas de faire rapprocher la musique sérieuse avec la musique

concrète ?

David Jisse : Moi je crois que mélanger l'écriture instrumentale aussi complexe soit elle et le travail du

sonore, créait justement ce pont et abolit la fameuse frontière dont il parlait tout à l'heure entre le musical, le

pas musical... on est dans la musicalité dans sa globalité. Nous sommes ici dans une situation musicale où ma

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voix à une certaine allure, où le bruissement que l'on entend est quelque chose de musicales. On est dans une

sorte de perception globale du sonore et c'est ça qu'il faut arriver à rendre lisible pour tous, parce que c'est

vrai que malgré tout, nos oreilles sont parfois très sectorisées. Pierre Henry au moins nous ouvre les oreilles.

Référence citation : JISSE, David, « Pierre Henry et son public », Pierrot Solaire, Journée en hommage à

Pierre Henry, 8 novembre 2017, Évry, organisateur : Michel Bertier, Université d'Évry Val d’Essonne.

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ANNEXE 2 :

Retranscription manuscrite de la conférence de Nicolas Vérin de 11h00 à12h00 le 8 novembre 2017 avec

comme intitulé « Analyse des Variations pour une porte et un soupir (1963) » et « Le temps et la répétition

chez Pierre Henry » qui eut lieu lors de la journée de Pierrot Solaire, Journée en hommage à Pierre Henry .

http://www.nicolasverin.com/

Michel Berthier : Nicolas Verin tu as fait mille choses dans la vie, tu es guitariste pop, tu es pianiste, tu as

même été étudiant chez Émile Lepp [ https://fr.wikipedia.org/wiki/%C3%89mile_Leipp ] , tu es titulaire d'un

doctorat de l'Université de Californie à San Diego. Ce qui te passionne entre autres c'est le geste musical et la

vie des sons. Tu as beaucoup de commandes déjà de grandes institutions dont la villa Médicis... Il a joué

avec Louis Sclavis [ https://fr.wikipedia.org/wiki/Louis_Sclavis ], donc tu as un parcours extrêmement

étendu et donc je m'étais livré à une petite anecdote avec David Jisse. Quelque part nous nous sommes

croisés aussi il y a très longtemps, car tu as été à Paris 8 et tu as obtenu ta licence de Musicologie à Paris 8.

J'y étais aussi, et tu y étais une année avant. Nous nous sommes peut-être croisés durant les cours de Daniel

Caux […]. Je te passe la parole pour présenter une analyse de Variation pour une porte et un soupir.

Nicolas Vérin : Bien nous allons faire un saut vers le particulier, un zoom sur cette œuvre dont on a déjà un

peu entendu parler, mais je vais commencer tout de suite en vous faisant entendre un extrait du début de

l'oeuvre, le deuxième mouvement.

Extrait écouté et lien Youtube: Variation pour une porte et un soupir, 2e Mouvement / Porte qui grince.

https://www.youtube.com/watch?v=lkCO2-fYIGQ

Nicolas Vérin : On pourrait dire que c'est un grincement de porte, un son très banal, c'est même peut être le

son le plus anecdotique qui soit, le plus trivial et certes il y a de la part de Pierre Henry une provocation à

prendre ce son comme point de départ. On est là en 1963, c'est la pleine époque de la musique sérielle, et

vraiment, partir d'un grincement de porte c'est aller à l'opposé de la tendance générale dans la musique de

l'époque. C'est même ainsi une hérésie par rapport à la démarche de Pierre Schaeffer qui l'avait quitté

seulement 5 années auparavant dans la mesure où ce son évoque irrésistiblement la cause du son. Vous savez

sans doute que Pierre Schaeffer militait beaucoup pour ce qu'il appelait l'écoute réduite à savoir le fait de

pouvoir écouter, ce qui ne va pas de soi, ce qui n'est pas du tout naturel, ce qui se travaille. De pouvoir

dissocier dans son écoute le son pour lui même de sa cause que l'on ignore, qui n'a plus d'importance et que

l'on écoute le son comme on écouterait finalement un violon ou un piano. Donc ici, on a ce point de départ en

apparence très provocateur, mais finalement, si on écoute bien, ces grincements de porte, ils vont un peu plus

loin et il évoque aussi peut être la voix humaine, peut-être des instruments comme le violoncelle, comme le

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saxophone ou comme le basson. Finalement, c'est une source sonore tout à fait intéressante et même plus que

ça, il y a beaucoup de choses, ce que l'on verra après. Il y a aussi un aspect au contraire plutôt d'impulsion

comme on dirait dans le vocabulaire de Schaeffer, le son très court, le son quasiment de percussion, des

craquements dans la porte et donc on a une continuité totale entre les sons brefs, les impulsions et puis les

tenues. Et donc, cela offre un registre de son très intéressant, mais aussi une opposition entre des choses

presque complètement antinomiques. Les sons très courts, les craquements isolés et la tenue formelle

donnent en quelque sorte le chant. Comme j'évoquais Schaeffer je vais revenir sur une de ses idées qui était

que dans toute œuvre musicale, il doit y avoir trois niveaux pour que cela fonctionne, pour que cela soit une

œuvre qui réussit, qui parle... le sonore, le musical et l’extra-musical. Premièrement, le sonore, c'est

l'instantané, c'est la surface, le grincement de porte. Deuxièmement le musical il s'agit de l'articulation entre

les sons, le niveau du langage et de la construction formelle, ce que l'on appelle plus généralement et

habituellement la musique. Troisièmement un niveau extramusical sur lequel je reviendrais ultérieurement.

Pour parler de ce deuxième plan, Pierre Henry choisit dans cette œuvre une forme complètement à l'opposé

de l'anecdote puisqu'il va faire des variations, ce qui est quelque chose d'extrêmement classique... on connait

les variations de Beethoven ou de Bach, etc. Et c'est vraiment une forme de musique pure. Donc on est plus

du tout dans l'anecdote, on est dans une écriture au contraire, car la variation est une forme où le compositeur

peut faire montre d'une sorte de virtuosité d'écriture dans la capacité de déployer à partir d'un matériau

sonore, un thème qui est énoncé au début et de façon très claire et qui est généralement très simple, de

déployer une variété très grande de combinaisons, de modifications dont peut jouir l'auditeur comme une

sorte de prouesse en même temps que de l'agrément. On est vraiment dans de l'écriture. On a bien dans ses

variations pour une porte et un soupir une suite de mouvements qui correspondrait bien à une suite de

variations. Par contre, une question, où est le thème... Finalement, il n'y a pas de thèmes au sens classique du

terme, le thème cela serait tout simplement le deuxième mouvement que l'on vient d'entendre. Le premier

mouvement est une sorte d'introduction et ce mouvement que je viens de vous faire entendre s'appelle

Balancement [2e mouvement]. C'est un peu la porte à l'état brut, elle est quand même jouée, alors quelqu'un

posait une question sur le geste instrumental tout à l'heure, et là effectivement, on est dans un geste

instrumental avec cette porte. Je crois que chez Pierre Henry, c'est très important, il y a toujours le geste

instrumental, mais c'est un geste instrumental qui s'applique globalement au jeu de n'importe quel type de

son qui va être pris et ici c'est la porte. Pourquoi et comment est venue cette porte ? C'est une longue histoire,

si vous voulez plus de détail je vous recommande fortement ce livre de Michel Chion sur Pierre Henry qui a

été réactualisé [ http://www.fayard.fr/pierre-henry-9782213617572 ], c'est une nouvelle édition qui est sortie

il y a cinq ou six ans et qui est extraordinaire. Il nous raconte comment dans une maison, un été, Pierre

Henry avait mis des micros partout, mais finalement c'est surtout la porte qui l'a beaucoup intéressé et il était

intéressant de savoir, c'est qu'avant de l'enregistrer, il a travaillé pendant des jours comme on travaille son

instrument au conservatoire, une heure ou deux de gamme par jour. Et donc, il maitrisait son instrument et

quand il enregistrait, il en a tiré tout un tas de sonorités différentes, mais ce n'est pas seulement des sons, ce

sont des expressions, c'est-à-dire qu'au moment où Pierre Henry enregistre, ce qu'il enregistre ce ne sont pas

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des sons à l'état brut, c'est déjà une musicalité, il y a déjà quelque chose qui est interprété, c'est déjà quelque

chose qui porte profondément sa marque, sa personnalité, son style et donc, il fait chanter cette porte et il fait

jouer des notes, avec un contrôle précis des hauteurs dans certains cas. Et il sait faire des rythmes, des

agonies parfois, etc. Tout ça est capté... Ensuite, cela donne lieu à un travail de studio extrêmement détaillé

où il y a un travail de montage. Le montage en musique électroacoustique, c'est la base de ce que l'on

pourrait appeler l'écriture qui n'est pas réservée à l'écriture sur du papier. Cela peut aussi être le fait d'écrire

dans le sens où l'on pose un son précisément à l'endroit où on l'a voulu par rapport à ce qu'il y avait avant et

ce qui va venir après... Et par rapport à ce qu'il y a en même temps aussi... parce qu'il peut y avoir plusieurs

voix simultanées. On est dans une œuvre finalement de musique pure et c'est là aussi le paradoxe, c'est-à-dire

qu'il prend un son en apparence le plus trivial. Mais qu'est ce qu'il va faire avec, une de ses œuvres de

musique les plus pures. Dans le titre on a aussi le soupir, donc il y a la porte et le soupir. Le soupir se décline

en deux, il y a des sons de respirations humaines et puis il y a un flexatone qui est un instrument de

percussion métallique. Généralement, il y a deux mailloches que l'on agite et on peut tendre la lame. Là, il l'a

enregistré en le jouant avec qu'une seule baguette, et donc avec des glissés, il est toujours utilisé en variant la

vitesse, une vitesse de moitié ou parfois même encore plus lentes et donc on ne le reconnaît pas tout à fait

directement, il est légèrement transformé. Entre parenthèses d’ailleurs, les transformations dans cette œuvre

sont volontairement très restreintes, cela fait partie aussi des variations, la porte n'est jamais transformée sauf

par montage dont on extrait des petits morceaux. Et un peu de réverbération à certains endroits puisqu'il va y

avoir une problématique sur la présence ou la distance, disons. Même la porte ne fait pas l'objet ou quasiment

pas de variation de vitesse, jamais de mise à l'envers et encore moins d'autres filtrages, modulations, etc.

C'est vraiment un souci de la garder très pure, telle qu'elle a été enregistrée. Le thème comme je vous le

disais se fait attendre, il vient en deuxième et les mouvements internes, finalement des variations et des

chants qui sont les soupirs, suivant une combinaison qui est faite de manière alternée, mais de manière un

peu imprévisible. Il y a plusieurs versions comme toujours chez Pierre Henry. Il y a la version d'origine, il y

a une version balai qui a été chorégraphiée par Maurice Béjart et qui est plus courte. Sur le disque on trouve

aussi différente variantes en tout cas, la version complète comporte 25 mouvements : Sommeil, Balancement,

Chant 1, Éveil, Chant 2, Étirement, Comptine, Fièvres, Bâillement, Chant 3, Colère, Balancement,

respiration, fièvre 2, Gymnastique, Chant 4, Vraiment, Vague, Chant 5, Trance, Râle, Ronflement, Chant 6,

Mort. Il y a tout un programme et là, on accède ainsi au troisième niveau, le niveau extra-musical. Pour

l'instant je voudrais vous faire entendre une illustration de montage très serré qui est vraiment un montage

d'écriture tel qu'on l'a dans le mouvement 7 dans la version balai qui s'intitule Geste. Geste pour l'importance

de celui qui était percussionniste, et geste dans le concept musical, c'est-à-dire des gestes qui sont joués

physiquement, mais une fois enregistrés... Ils sont figurativement des déploiements de l'énergie. Dans le

temps suivant une forme de courbe qui se recrée mentalement dans chaque auditeur.

Extrait écouté et lien Youtube : Variations pour une porte et un soupir – Gestes -

https://www.youtube.com/watch?v=Q33G0AGUwik

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Nicolas Vérin: Vous entendez une véritable écriture, son par son, chaque son ici est délibérément posé à un

endroit bien précis et ce que l'on a pu remarquer aussi, c'est un travail avec un gauche droite très particulier.

Puisque vous avez une voix entièrement d'un côté et l'autre voix entièrement de l'autre côté. C'est un travail

sur 8 pistes, donc Pierre Henry avait commencé naturellement à l'époque de la mono et pour lui, il s'est

figuré qu'une des utilisations possibles de la stéréo n'était pas de recréer une image spatiale comme à l'origine

d'un enregistrement avec deux micros, mais d'en faire deux instruments en quelque sorte, pour chaque haut-

parleur. […] La voix de gauche et de droite est totalement indépendante, il y a une sorte de contrepoint entre

les deux qui comprennent des sons de la porte, mais aussi des soupirs qui sont intégrés dans cette écriture.

L'enchaînement des mouvements n'est donc pas qu'une pure organisation formelle et elle déploie aussi une

dramaturgie... C'est à la fois le parcours d'une journée, éveil, gymnastique, etc., mais aussi le parcours d'une

vie puisqu'à la fin cela se finit […] par Mort. Et là on rejoint des préoccupations fondamentales de Pierre

Henry dans presque toutes ses œuvres que sont la vie et la mort tout simplement […]. La porte est une sorte

d'être vivant qui traverse ce parcours. Non pas seulement la porte, mais aussi le soupir [...] la porte c'est un

peu le corps et le soupir l'âme. Et donc à la fin il pense que c'est pareil. C'est le propos de cette œuvre qui

réunit un travail de musique pure extrêmement soigné et travaillé, mais également un niveau extra-musical

qui va loin. Si on y prête bien attention, ces trois niveaux sont convenus dans le son de la porte. Il y a

l'impulsion qui symboliquement est un des éléments du corps, et lorsque ces impulsions sont très

rapprochées dans le temps, comme c'est le cas dans un grincement de porte […], elles créent une tenue

glissante […]. Et donc, suivant la rapidité du geste qui va être réorganisé du plus aigu au plus grave, ou qui

va carrément à la fin devenir des impulsions isolées et donc on passe du chant dans la continuité, donc de la

vie, à ces impulsions qui représentent la dislocation du son, du corps. Comme l'a très bien dit Michel Chion,

c'est vraiment le son emblématique de Pierre Henry, ce son granuleux, mais qui peux se disloquer en élément

individuel. Il n'y a pas d'indication de tonalités, mais c'est très juste le fait que Pierre Henry ait toujours pris

en compte et de façon très importante, la question de la hauteur. J'ai retrouvé une transcription que j'avais

faite au conservatoire de Paris en composition électro-acoustique, et on nous avait demandé de faire une

transcription d'un fragment de pièce électro-acoustique et j'ai choisi le mouvement des Variations pour une

porte et un soupir qui s'appelle « comptine », et je me suis rendu compte qu'il était vraiment articulé autour

d'un Do# médium et qu'il y avait des hauteurs tout à fait définies constituées de petites cellules mélodiques

complètement assumées... Cela tord le cou à un mythe de la musique électroacoustique, qui serait une

musique dans laquelle il n'y a pas de hauteur. En fait, ce n'est pas facile de traiter de la question des hauteurs

[...], car il est possible de tomber dans quelque chose qui peut être très vite grotesque, mais certains l'ont fait

comme Pierre Henry. Il disait que les gens n'avaient pas très bien remarqué dans sa musique qu'il y a un

aspect très mélodique. Pour finir, il va être possible d'entendre la fin du dernier mouvement qui s'intitule

Morte et qui est exactement cette dislocation du son de la porte qui symbolise le corps qui s'en va. Lorsque

vous écoutez l'oeuvre en entier, il y a vraiment cette dimension tragique qui existe dans cette œuvre. Pierre

Henry réussit se tour de force de faire quelque chose d'à la fois musique pure et une musique très expressive

avec le matériau a priori le plus ingrat qui soit qui en fait à mon sens un chef-d'oeuvre de l'histoire de la

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musique.

Nicolas Vérin : Ma deuxième thématique est celle du temps et de la répétition chez Pierre Henry, c'est un

vaste sujet, mais déjà, à la fin de ces Variations pour une porte et un soupir, il y a ce mouvement mort de 5

minutes 30, alors que tous les autres mouvements ne dépassent pas une minute quarante et certains dureront

seulement 30 secondes. Le dernier mouvement est donc beaucoup plus long. Il y a cette idée de l'agonie qui

dure longtemps, on met le doigt dessus, on nous fait attendre et cette attente peut être parfois pénible et on la

retrouve très fréquemment dans l'oeuvre de Pierre Henry et c'est une façon de dire que c'est ça le temps, on

est en train de faire l'expérience de ce temps qui passe et ce temps qui passe peut être très long. Du coup,

inévitablement cela entraine ces questions de ce qu'il y a après la vie et il nous met dedans, et on ne peut pas

faire autrement d'avoir l'expérience de ça. Je ne connais pas beaucoup d'autres compositeurs qui y

parviennent. Donc ça, c'est une utilisation du temps chez Pierre Henry. Autre remarque aussi dans cette pièce

des Variations pour une porte et un soupir, il n'y a aucune boucle, ce qui est relativement rare dans la

musique électro-acoustique et en particulier chez Pierre Henry. Les boucles au départ chez Pierre Schaeffer

c'était les sillons fermés c'est-à-dire le disque qui est rayé et se répétait indéfiniment, et qui est l'une des

découvertes accidentelles de Pierre Schaeffer qui lui a permis de constater qu'il existait quelque chose dans le

son auquel on ne faisait pas forcément attention, auquel on ne faisait pas forcément attention, auquel on ne

faisait pas forcément attention, auquel on ne faisait pas forcément attention, auquel on ne faisait pas

forcément attention. Si je continuais vous remarqueriez qu'au-delà d'un certain temps, si on continue à

écouter ce qu'il se passe c'est que l'on écoute plus les mots que ma voix véhicule, mais vous allez commencer

à écouter véritablement le son de ma voix. Actuellement ce n'est pas ce que l'on fait, car quand on écoute la

parole, on écoute un langage. Si vous avez l'expérience d'être dans un café avec autour de nous des gens qui

parlent, mais que l'on ne connait pas. Tout d'un coup on entend des gens qui parlent et vous ne comprenez

rien, et ce que vous entendez c'est de la musique de cette langue, et de ces voix. La même chose s'applique au

bruit, c'est ce que Pierre Schaeffer avait trouvé aussi grâce au sillon fermé et l'écoute réduite c'est le fait de

séparer la cause du son lui même. À partir du moment où l'on peut écouter les sons eux-mêmes, selon

Schaeffer, c'est digne d'être musique. Dans les Etudes de Pierre Henry avec Schaeffer, cette boucle, la

répétition joue un rôle très important. Une œuvre de Pierre Henry de cette époque-là s'appelle Spirale. Il

s'agit d'un morceau 6 à 8 ans avant les expériences de Steve Reich de musique répétitive donc ce n'est pas

sorti de nulle part, d’ailleurs Steve Reich dit qu'il avait entendu certaines œuvres de Pierre Henry et de Pierre

Schaeffer. Cela a supprimé la référence à la causalité, ce qui est la raison de Schaeffer. Et finalement chez

Pierre Henry cela devient aussi autre chose, c'est bien entendu une façon d'affirmer un rythme auquel la

répétition va donner une périodicité. C'est aussi une façon de l'étaler dans le temps et de perdurer au départ

avec les disques souples, c’était le seul moyen d'enregistrement et de reproduction sonore qu'ils avaient,

c'était très difficile d'organiser quelque chose dans la durée et la boucle et la répétition permettaient de

déployer. Par ailleurs, c'est aussi le fait de répéter de façon affirmée que ce que l'on fait entendre est bien un

choix et non pas n'importe quoi puisque cette musique permet d'utiliser tous les sons nouveaux mêmes si on

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utilisait tous les sons les uns après les autres dans n'importe quel ordre, cela va être très difficile pour donner

une cohérence. Les premières actions nécessaire dans toute l'oeuvre, c'est de situer le propos et de dire qu'est-

ce que cela donne à entendre et qu'elle est la volonté. Pour l'instant il serait possible de dire que c'est quelque

chose de commun à tous les compositeurs de musique électroacoustique et pas spécifique à Pierre Henry. Il y

a la question de rythme. Le rythme dans son acceptation simple, une période régulière dans la musique

contemporaine de ces années-là est quelque chose d'assez maudit parce que trop connoté par rapport au

marché, parce que trop carré, trop régulier, trop inintéressant, trop simple. Pas du tout pour Pierre Henry qui

va s'en emparer quand il en a besoin et cela ne le gêne pas du tout d'avoir des carrures régulières, etc... Je

vais vous faire entendre un extrait de Futuristie de 1975, qui s'appelle Joie + Machines + Vitesse.

[EXTRAIT https://www.youtube.com/watch?v=CIPTgie3Wjc&t=2895s ]. Il y a à la fois de la régularité et

de l'irrégularité, les deux se superposent ce qui est parfaitement entendu dans la Messe pour le temps présent,

il y avait la carrure, le 4/4 de Michel Colombier à qui Pierre Henry avait demandé de faire ses arrangements

comme support, à ses élucubrations électroniques qui prenaient la place habituelle des sons dans ce genre de

musique. Il prend bien soin de les cadrer un peu à côté sans jamais être parfaitement dans la pulsation, de

même avec Ceremony, le disque qu'il a fait avec le groupe anglais de rock Spooky Tooth, où il y a des

rythmiques différentes. Il y a une sorte de superposition de polyrythmie et même de poly-temporalité parce

que ce ne sont pas seulement des rythmes différents, mais ce sont des temporalités différentes qui

s'expriment en quelque sorte en étant superposées comme a pu le faire Charles Ives par exemple. Ives, un

compositeur américain, avait fait ça en répliquant cette situation où il était chez lui en train d'entendre des

musiciens qui faisaientt de la musique de chambre pendant qu'une fanfare passait dans la rue. Donc après il a

collé des œuvres où il y en avait deux simultanément. C'est un peu ce genre de simultanéité d'événements

totalement hétérogènes au niveau de la temporalité. En tout cas, il y a une utilisation ici de la boucle

beaucoup plus personnelle et puis également peut être une réponse à une question qu'il y avait tout à l'heure

sur l'utilisation de la voix. Dans un autre extrait de Futuristie qui s'appelle Schisme

[https://www.youtube.com/watch?v=RMJP5p4IQQQ]. C'est une démonstration assez iconoclaste de la voix

et de la répétition. Il y a plein de manières différentes. Les œuvres du début avec Pierre Schaeffer et Pierre

Henry au début des années 1950 étaient en général des œuvres courtes, mais dès 1953, cela a été le premier à

réaliser une œuvre plus longue, Le voile d'Orphée dont ses versions dépassent la demi-heure. Avec des

moyens de l'époque c'était une prouesse, mais c'est surtout aussi une sorte de forme musicale sur le plan de la

maîtrise de la forme c'est très difficile parce que maîtriser la forme c'est pouvoir entraîner les auditeurs dans

une aventure où ils peuvent se repérer. Et pour se repérer, il faut qu'il puisse mémoriser des choses, il faut

qu'elles soient identifiées or en électroacoustique comme tous les sons sont possible et n'ont pas une

définition préalable bien établie, la mémoire a plus de difficulté à s'exercer et donc Pierre Henry de ce côté-

là n'a pas hésité. On constate par la suite beaucoup d'oeuvres longues et c'est d'ailleurs une caractéristique

très forte aussi de Pierre Henry qui est d'avoir très rarement partagé les concerts. En général, les concerts de

Pierre Henry sont ceux de lui tout seul. Les œuvres duraient généralement la durée d'un concert

intégralement. Il y a quelque chose d'imagé dans sa musique qui permet de s'y retrouver. C'est presque

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toujours les deux camps, il y a le camp de l'image et de l'expressivité et puis le plan de la musicalité pure qui

existe aussi et les deux fonctionnent en articulation. Il existe aussi et assez fréquemment chez Pierre Henry

une autre musicalité, une autre temporalité complètement étale qui est obtenue souvent par une superposition

d'un très grand nombre de matériaux et là il y a un exemple flagrant avec cette œuvre qui s'appelle Pleins

jeux dont on va pouvoir entendre l'extrait d'un mouvement qui est une œuvre où l'auditeur est véritablement

en immersion, c'est-à-dire une écoute à l'intérieur des sons, ce n'est pas une musique qui est devant nous,

mais on est complètement à l'intérieur, on est baigné dans le son et on perçoit petit à petit plein de choses, on

ne peut pas tout percevoir, mais on a beaucoup de choses à entendre [ lien vers l'album:

http://megamp3.top/mp3/fr/music/1295425531/polyphonies-mp3-download ]. C'est une écoute à fort niveau

sonore, ce n'est pas quelque chose que l'on peut écouter à la légère. Il faut rentrer dedans pour entendre toute

la profondeur des différents sons et être vraiment en immersion dans la durée. C'est une expérience

particulière à la vie électroacoustique que Pierre Henry va particulièrement développer. Est-ce que l'on peut

parler de paysage sonore dans cette œuvre ? Pas pour moi, je n'appellerais pas ça un paysage sonore, car il

n'est pas si clairement défini que ça. Pour moi dans le paysage sonore il y aurait des plans, quelque chose

d'intérieur d'assez imaginaire […].

É lève : Est-ce que Pierre Henry utilisait une notation pour ces œuvres ?

Nicolas Vérin : À ma connaissance il n'y a pas de notation stricte de ces œuvres par contre il utilisait

beaucoup de découpages par le texte. Chacun de ses sons porte un nom, l'utilisation du langage est très

importante. La notation dans la musique électroacoustique c'est quelque chose qui peut être très bien, mais

qui peut être aussi liégeux parce que cela entraîne une sorte de paresse de l'oreille, on va se fier plus à la vue

et à l'écriture or, on n’a pas les outils qui nous permettent d'avoir des prises suffisantes de l'ensemble des

sons qu'offre l’électroacoustique avec l'écriture. Donc la notation va être toujours très réductrice.

É lève : Est-ce qu'il y avait une ambition politique dans ce côté répétitif ?

Nicolas Vérin: Il ne prenait pas position techniquement, mais cela ne l'empêche pas d'avoir une affiche du

PKK chez lui, le parti des Kurdes...

Élève : Une variation pour une porte et un soupir, est-ce qu'il a composé ça après ou avant avoir écouté

Pierre Schaeffer ?

Nicolas Vérin : Après, c'est 1963 et c'est 1958 quand il quitte la radio.

Élève: Est-ce qu'en plus de la dimension spirituelle de l'oeuvre, il n'a pas fait ça pour fermer la porte par

rapport à Pierre Schaeffer ?

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Page 46: Compte rendu d'une journée d'étude - Site UEVE Productionmusique.univ-evry.fr/wp-content/uploads/2017/10/Compte... · 2018-03-05 · Michel Chion qui s'intitule Pierre Henry6, disponible

Nicolas Vérin: Je ne crois pas parce que l'oeuvre est réalisé 5 ans plus tard. Il y a eu différente période de

haine et d'amour il y a plein de phases.

Élève : Est-ce que Luc Ferrari est parti des Variations pour une porte et un soupir ?

Nicolas Verin : Je pense que Luc Ferrari avait déjà commencé avant à travailler sur la notion de son

anecdotique en réaction à Schaeffer qui les interdisait. Hétérozygote (1964) c'était au sein du groupe de

recherche musicale à l'intérieur de la maison mère de Pierre Schaeffer, c'était un scandale quand même.

Référence citation : VÉRIN, Nicolas, « Analyse des Variations pour une porte et un soupir (1963) » ; « Le

temps et la répétition chez Pierre Henry », Pierrot Solaire, Journée en Homme à Pierre Henry, 8 novembre

2017, Évry, organisateur : Michel Bertier, Université d’Évry Val d’Essonne.

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