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R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E Comptes rendus des Délégations du Sénat du 1 er septembre au 31 octobre 2013 Choix scientifiques et technologiques Collectivités territoriales Droits des femmes Outre-mer Prospective DIRECTION DE L’INITIATIVE PARLEMENTAIRE ET DES DÉLÉGATIONS N° 25 www.senat.fr

Comptes rendus des Délégations du Sénat · 2014. 3. 4. · R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E Comptes rendus des Délégations du Sénat du 1 er septembre au 31 octobre 2013

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R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E

Comptes rendus des Délégations du Sénat

du 1 e r septembre au 31 oc tobre 2013

Choix scientifiques et technologiques Collectivités territoriales

Droits des femmes Outre-mer

Prospective

DIRECTION DE L’ INITIATIVE PARLEMENTAIRE

ET DES DÉLÉGATIONS

N° 25

www.senat.fr

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COMPTES RENDUS DES DÉLÉGATIONSCOMPTES RENDUS DES DÉLÉGATIONSCOMPTES RENDUS DES DÉLÉGATIONSCOMPTES RENDUS DES DÉLÉGATIONS

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Office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et technologiques :

http://www.senat.fr/opecst/index.html

Délégation aux collectivités territoriales et à la décentralisation :

http://www.senat.fr/commission/decentralisation/index.html

Délégation aux droits des femmes et à l’égalité des chances entre les hommes et les femmes :

http://www.senat.fr/commission/femmes/index.html

Délégation à l’outre-mer :

http://www.senat.fr/commission/outre_mer/index.html

Délégation à la prospective :

http://www.senat.fr/commission/prospective/index.html

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S O M M A I R E

Pages

OFFICE PARLEMENTAIRE D’ÉVALUATION DES CHOIX SCIENTI FIQUES ET TECHNOLOGIQUES ................................................................................................................ 5

« LA TRANSITION ÉNERGÉTIQUE À L’AUNE DE L’INNOVATION ET DE LA DÉCENTRALISATION » (mardi 10 septembre 2013) ........................................................... 7 Présentation du rapport « La transition énergétique à l’aune de l’innovation et de la

décentralisation » - Synthèse des analyses des auditions et rapports de l’OPECST liés à la transition énergétique, par M. Bruno Sido, sénateur, président, et M. Jean-Yves Le Déaut, député, premier vice-président .................................................... 7

DÉLÉGATION AUX COLLECTIVITÉS TERRITORIALES ET À LA DÉCENTRALISATION ............................................................................................................ 29

RÉUNION DE LA COMMISSION CONSULTATIVE D’ÉVALUATION DES NORMES (CCEN) (mardi 1er octobre 2013) ........................................................................................... 31

AUDITION DE M. CLAUDY LEBRETON, PRÉSIDENT DE L’ASSEMBLÉE DES DÉPARTEMENTS DE FRANCE, SUR LE FINANCEMENT PÉRENNE DES ALLOCATIONS INDIVIDUELLES DE SOLIDARITÉ PAR LES DÉPARTEMENTS (mardi 8 octobre 2013) ........................................................................................................... 39

LE SECTEUR PUBLIC FERROVIAIRE ET LES COLLECTIVITÉS TERRITORIALES (mardi 22 octobre 2013) ......................................................................................................... 54 Examen du rapport d’information de M. Edmond Hervé ........................................................... 54

TRAVAUX À VENIR DE LA DÉLÉGATION (mardi 22 octobre 2013) ...................................... 65

Communication de Mme Jacqueline Gourault, présidente ........................................................ 65

DÉLÉGATION AUX DROITS DES FEMMES ET À L’ÉGALITÉ DES CHANCES ENTRE LES HOMMES ET LES FEMMES ............................................................................. 69

AVENIR ET JUSTICE DU SYSTÈME DE RETRAITES (jeudi 10 octobre 2013) ....................... 71

Audition de la Fédération des associations de conjoints survivants et parents d’orphelins (FAVEC) ........................................................................................................... 71

Audition du Laboratoire de l’Égalité ....................................................................................... 77

AVENIR ET JUSTICE DU SYSTÈME DE RETRAITES (mardi 22 octobre 2013) ...................... 85

Examen du rapport d’information et des recommandations de Mme Laurence Rossignol, rapporteure ......................................................................................................................... 85

AUDITION DE MME ALYA AGLAN, PROFESSEURE D’HISTOIRE CONTEMPORAINE À L’UNIVERSITÉ PARIS I PANTHÉON-SORBONNE (jeudi 24 octobre 2013) ........................................................................................................... 102

AUDITION DE MME NAJAT VALLAUD-BELKACEM, MINISTRE DE S DROITS DES FEMMES, PORTE PAROLE DU GOUVERNEMENT (jeudi 31 octobre 2013) ...................... 107

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DÉLÉGATION À LA PROSPECTIVE ..................................................................................... 117

AUDITION DE M. PHILIPPE CHALMIN, ÉCONOMISTE ET HISTORIEN, SUR LES PERSPECTIVES DES MARCHÉS DES MATIÈRES PREMIÈRES (mercredi 23 octobre 2013) ..................................................................................................... 119

QUESTIONS DIVERSES (mercredi 23 octobre 2013) ................................................................ 141

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OFFICE PARLEMENTAIRE D’ÉVALUATION DES CHOIX

SCIENTIFIQUES ET TECHNOLOGIQUES

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« LA TRANSITION ÉNERGÉTIQUE À L’AUNE DE L’INNOVATIO N

ET DE LA DÉCENTRALISATION »

(mardi 10 septembre 2013)

Présentation du rapport « La transition énergétique à l’aune de l’innovation et de la décentralisation » - Synthèse des analyses des auditions et rapports de l’OPECST liés à la transition énergétique, par M. Bruno Sido, sénateur, président, et M. Jean-Yves Le Déaut,

député, premier vice-président

M. Bruno Sido, sénateur, président de l’OPECST

Jean-Yves Le Déaut et moi allons vous proposer une synthèse des analyses des auditions et rapports de l’OPECST liés à la transition énergétique. Jean-Yves Le Déaut, qui se trouve empêché par un retard d’avion, mais qui doit nous rejoindre plus tard, m’a prié de lire sa partie de notre présentation.

Un grand débat national sur la politique de l’énergie a été lancé, depuis janvier 2013, sous l’égide du ministère de l'Écologie, du Développement durable et de l'Énergie. Ses conclusions seront présentées les 20 et 21 septembre prochains, et déboucheront sur un projet de loi de program-mation pour la « transition énergétique » dans les prochaines semaines.

La transition énergétique renvoie à l’idée du passage d’une société fondée sur la consommation d’énergies fossiles (charbon, pétrole, gaz, mais aussi atome), vers une société énergétiquement plus sobre, moins émettrice de gaz à effet de serre, et intégrant une part croissante d’énergies renouvelables dans son bouquet énergétique.

Ainsi formulée, la question de la transition énergétique ne peut faire que consensus.

L’OPECST ne pouvait pas manquer d’apporter sa contribution au débat. Cette contribution s’appuie sur des études récentes ou en cours, complétées par des auditions spécifiques.

On peut ainsi rappeler que le rapport de décembre 2011 sur « L’avenir de la filière nucléaire en France », dont j’ai été le rapporteur avec Christian Bataille, a proposé une « trajectoire raisonnée » de décroissance progressive, jusqu'à la fin du siècle, de la part de l'électricité d'origine nucléaire, afin de laisser le temps nécessaire à la maturation des technologies de stockage d'énergie.

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L’étude de Jean-Marc Pastor et Laurent Kalinowski sur les usages énergétiques de l'hydrogène, engagée à la demande de la commission des Affaires économiques du Sénat, s'attache à évaluer le rôle que ce vecteur énergétique pourrait jouer en liaison avec les énergies renouvelables variables.

L’étude de Fabienne Keller et de Denis Baupin sur les nouvelles mobilités sereines et durables, faisant suite à une saisine de la commission du Développement durable de l'Assemblée nationale, examine les évolutions des véhicules individuels et de leurs usages.

On peut encore mentionner, parmi les études en cours se rapportant au sujet, l’évaluation par Christian Bataille et Christian Namy du troisième plan national de gestion des matières et déchets radioactifs (PNGNDR), l’analyse par Jean-Yves Le Déaut et Marcel Deneux des freins réglementaires à l’innovation technologique au service des économies d’énergie dans le secteur du bâtiment, enfin l’étude de Christian Bataille et Jean-Claude Lenoir sur les technologies d’extraction des hydrocarbures de gisements non conventionnels.

Sans préjuger de leurs conclusions finales, qui seront, de toute façon, soumises préalablement à une discussion au sein de l’OPECST, tous ces travaux éclairent, d’une manière ou d’une autre, la présente contribution.

Celle-ci tire aussi sa substance d’une audition publique du 6 juin 2013 à l’Assemblée nationale, qui s’est donné pour objet d’analyser les enjeux de la maturation des technologies et des processus d’innovation dans le cadre des réflexions sur les modalités de la transition énergétique. Elle a fait suite à une audition par l’OPECST, le 23 avril 2013, de certains acteurs français des énergies de la mer (IFP Énergies Nouvelles et DCNS).

Le concept de « transition énergétique » renvoie à l’idée d’une évolution, d’un passage d’une situation à une autre. Or, trop fréquemment, les réflexions suscitées par l’idée de transition énergétique se focalisent sur ce que pourrait être la situation d’arrivée, sans prendre toujours en compte les conditions dans lesquelles va se dérouler cette transition.

Pourtant les conditions de la transition sont essentielles dans la détermination du champ des possibles pour la situation d’arrivée. Au moins trois dimensions sont à prendre en considération à cet égard :

- la première tient aux conditions dans lesquelles les solutions techniques nouvelles seront effectivement disponibles au cours de cette transition, sans la béquille permanente des subventions ; c’est une problématique relevant typiquement de l’innovation, que Jean-Yves Le Déaut va développer tout de suite ;

- la deuxième tient à la difficulté, constatée tous les jours, que la mise en évidence d’un intérêt collectif, même universellement reconnu, et je pense là au changement climatique bien sûr, ne suffit pas en soi à infléchir les comportements individuels ; j’y reviendrai ;

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- la troisième tient à la place qui sera réservée à l’initiative locale et aux collectivités territoriales dans le processus de transition ; Jean-Yves Le Déaut en fera l’analyse à partir des enseignements de notre audition publique du 6 juin.

M. Bruno Sido, en remplacement de Jean-Yves Le Déaut, député, premier vice-président, empêché

Le concept de transition énergétique fait référence implicitement aux précédentes phases de grand bouleversement technologique qui ont modelé la société d'aujourd'hui : la diffusion de la machine à vapeur, puis de l'électricité aux XIXe et XXe siècles ; l'accès au confort de vie généralisé avec l'automobile et les appareils ménagers au milieu du XXe siècle; la nouvelle révolution de l'électronique et des technologies de l'information à la fin du XX e siècle.

Il existe cependant une différence fondamentale entre ces précédentes transitions et la transition énergétique d'aujourd'hui. Les premières ont résulté de vagues technologiques, nées d'initiatives d'entrepreneurs, qui se sont progressivement imposées aux mécanismes de consommation et d'investissement, puis à l'ordre social, tandis que l’actuelle transition énergétique traduit, à l'inverse, l'expression d'une demande sociale qui essaye de s'imposer à l'appareil productif. L'incontestable légitimité de cette demande sociale, née notamment de la prise de conscience des conséquences dommageables du changement climatique, ne change rien à ce constat d'inversion conceptuelle, qui montre qu'il sera très difficile de réussir la transition énergétique si les évolutions de l'offre, et donc les processus d'innovation, ne sont pas pris en compte dans leur dynamique propre.

On ne réussira pas la transition énergétique dans les conditions techniques actuelles. En effet, cette transition implique notamment d'abaisser les coûts et d'améliorer encore la performance des outils pour accroître l'efficacité énergétique et orienter vers plus de sobriété énergétique. En outre, elle appelle à accroître les efforts au profit des technologies de rupture tout à fait cruciales comme le stockage d'énergie.

L'OPECST a perçu d'emblée cette dimension déterminante de l'innovation dans la réussite de la transition énergétique, et en a fait le thème de sa contribution principale au débat national, en organisant l'audition publique du 6 juin. Cette audition s'est notamment attachée à faire le point sur la mobilisation des petites entreprises innovantes.

À l'inverse, cette dimension n'a pas été prise en compte à hauteur de son importance dans le cadre des travaux du débat national, et la synthèse adoptée le 18 juillet ne lui fait pas la place centrale qui devrait lui revenir.

Les travaux de l'OPECST, notamment le rapport de janvier 2012 que j’ai rendu avec Claude Birraux sur « L’innovation à l'épreuve des peurs et des risques », permettent de dégager les principaux points de blocage de l'innovation, et les leviers d'action possibles pour son développement.

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Pour les phases amont de l’innovation, on peut se féliciter de l’existence d’un dispositif de soutien public assez consistant pour les sujets concernant la transition énergétique : pour la recherche scientifique de concepts, l’Agence nationale de la recherche alloue sur projet environ 50 millions d’euros par an ; pour la validation technique des concepts, c'est-à-dire la valorisation, les moyens propres de l’ADEME apportent un soutien de l'ordre de 350 millions d'euros par an ; à cela s'ajoute la capacité d'investissement procurée par le dispositif des Investissements d’avenir, atteignant le milliard d’euros, et répartie principalement entre la mise en place des démonstrateurs (Futurol, BioTfuel, Gaya, pour les biocarburants de deuxième génération) et la création des Instituts d’énergies décarbonées (par exemple, France Energies marines consacré aux énergies de la mer).

En revanche, les deux phases plus avancées de l’innovation, celles des procédures réglementaires et de l’industrialisation à l’échelle 1 en vue la commercialisation, posent problème.

En effet, tout projet d’innovation doit passer par des étapes obligatoires de procédures réglementaires, puisque tout nouveau produit doit être, peu ou prou, confronté aux normes fondamentales de santé et de sécurité, et toute installation nouvelle implique, d’une manière ou d’une autre, des formes de consultation préalable des riverains. À ce stade, les délais sont inévitables, et le projet innovant se trouve de ce fait en situation périlleuse si son assise financière est trop étroite ; car il lui faut continuer à payer les salaires, les services, les impôts et les cotisations sociales, alors que l’autorisation de vendre ou d’exploiter n’est pas encore accordée.

À cet égard, il faut observer que l’air du temps est plutôt au renforcement des procédures, du fait de la montée évidente de la sensibilité sociale aux risques. Pour favoriser la transition énergétique, il importe donc de se pencher sur ces procédures, pour en conserver l’efficacité, tout en s’efforçant d’en réduire les excès préjudiciables à l’innovation. L’OPECST s’est emparé de cette question des freins réglementaires à l’innovation, pour le cas des technologies de l’efficacité énergétique des bâtiments ; le sénateur Marcel Deneux et moi sommes chargés de cette étude. Pour ce qui concerne les procédures de consultation publique, dont la durée est presque systématiquement rallongée par des recours, une suggestion serait de constituer un corps de magistrats spécialisés, comme je l’ai proposé en 2002 en ma qualité de rapporteur de la commission d’enquête dite» AZF » sur la sûreté des installations industrielles (propositions 89 et 90) ; cette idée a été reprise dans un rapport de l’OPECST de 2011 de Claude Birraux et Christian Bataille, qui se sont intéressés au modèle suédois du « tribunal de l’environnement », dont les juges sont pour partie des spécialistes de haut niveau des questions d’environnement ; la professionnalisation des magistrats devrait, à tout le moins, permettre d’accélérer les jugements ; or tout gain sur les délais favorisera l’éclosion plus rapide des solutions innovantes de la transition énergétique.

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L’autre phase critique de l’innovation concerne le financement du passage à l’industrialisation. C’est couramment à ce stade que le besoin de financement change d’échelle : de la dizaine ou de la centaine de milliers d’euros, on passe alors aux millions, voire aux dizaines de millions d’euros. Nombre de petites entreprises innovantes échouent dans le franchissement de cette étape, et sont rachetées par des groupes internationaux ; dans le meilleur des cas, ce sont des groupes d’origine française. C’est l’étape de la traversée de « la vallée de la mort ». La banque publique d’investissement s’efforcera d’intervenir à ce moment critique de la vie des entreprises, à travers un « prêt pour l’innovation » qu’il sera possible de gager pour partie par des recettes futures de marché ; c’est du moins ce que nous avons appris au cours de l’audition publique du 6 juin.

L’annonce, le 9 juillet 2013, par le Premier ministre, de l’affectation pour moitié à la transition énergétique de l’enveloppe des 12 milliards d’euros pour dix ans constituant la deuxième phase des « Investissements d’avenir », confirme la volonté de l’Etat de mobiliser des moyens en rapport avec les besoins de la bonne fin des processus d’innovation.

Une idée complémentaire, émise par le Comité Richelieu, serait de favoriser le parrainage des petites entreprises innovantes par des grands comptes, qui s’engageraient à devenir leurs premiers clients. C'est une idée qui a également été évoquée, en soutien aux technologies militaires, au cours de l’Université d’été de la défense, dont je reviens. Il est clair que toutes les solutions s’appuyant d’abord sur le marché plutôt que sur des fonds publics garantiront mieux la pérennité et la diffusion des solutions innovantes de la transition énergétique, et c'est ce qui fait l'importance du dispositif du crédit d'impôt recherche.

M. Bruno Sido

Jean-Yves Le Déaut, avec sa connaissance approfondie des questions de l’innovation, vient d’évoquer les conditions de l’adaptation de l’offre pour la réussite de la transition énergétique. Pour ma part, je voudrais revenir sur les conditions de l’adaptation de la demande ; celle-ci concerne les comportements d’appropriation par les agents économiques des nouvelles modalités de consommation de l’énergie, qui doivent faire une place croissante, d’une part, aux économies d’énergie, d’autre part, à l’utilisation des énergies renouvelables.

À cet égard, on peut observer que les grandes catégories d’agents économiques que sont les administrations publiques, les entreprises, les ménages, ont des comportements très différents.

En gros, les administrations ne peuvent qu’obtempérer aux instructions de leur tutelle, pour autant que celle-ci leur en octroie les moyens financiers ; les entreprises se laissent entraîner, et même deviennent pour certaines pro-actives, parce qu’elles y voient le moyen d’adapter leur

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communication et leur image à l’air du temps ; de toute façon, elles ont un intérêt direct à investir dans les économies d’énergie.

La réaction des ménages soulève plus de problèmes.

Il n’y a plus de doute quant à la prise de conscience par la population du changement climatique, mais les actes ne la traduisant suivent que pour autant qu’ils soient gratuits et occasionnels. Suivre les consignes de tri des déchets, prendre son vélo ou aller à pied quand il fait beau, c’est déjà un progrès. De là à modifier ses arbitrages d’investissement et de consommation en privilégiant, à chaque fois, la dimension du développement durable sur le coût, il y a un fossé.

On peut observer que même les ménages les plus aisés, c’est à dire ceux qui auraient la possibilité matérielle de jouer ce rôle d’avant-garde dans la réorientation des arbitrages individuels, réagissent encore essentiellement selon les schémas traditionnels. Typiquement, les clients des grosses cylindrées continuent à valoriser l’image de puissance et de prestige associée à leur investissement, et les quelques avancées écologiques du véhicule ne comptent pour eux que par surcroît ; il ne faudra pas espérer de leur part une utilisation de leur pouvoir d’achat pour faciliter, sans subvention, le déploiement des nouvelles motorisations plus écologiques.

Dans la mesure où les effets d’entraînement et les mécanismes d’imitation des classes supérieures vont peu jouer, les classes moyennes ne vont donc déplacer leurs consommations et leurs investissements à l’appui de la transition énergétique que pour autant qu’elles y seront incitées financièrement ou contraintes. Ainsi, ce n’est pas du tout par hasard qu’une partie du débat national sur la transition énergétique a porté, d’un côté, sur les avantages relatifs du renforcement des subventions, et, de l’autre, sur la formulation d’obligations.

De fait, du point de vue des flux économiques, les deux dispositifs apparaissent assez équivalents. En effet, il faut tenir compte de ce que toutes les formes d’aides sont financées par des prélèvements, qui portent de surcroît pour l’essentiel sur les classes moyennes. D’un côté, avec les obligations, qui pourraient concerner, par exemple, la rénovation des bâtiments anciens, on force les ménages à affecter une part de leur revenu à une dépense qui n’est peut-être pas dans leurs premières priorités ; de l’autre, avec les aides, on leur confisque par l’impôt la même somme, pour la leur restituer s’ils font l’investissement. Si la somme est mobilisée a priori sous forme de dette publique, l’impôt est prélevé plus tard, pour rembourser, mais cela ne change rien à l’affaire : c’est une sorte de jeu de bonneteau, dont le résultat est une allocation forcée de ressources.

Pourquoi pas après tout si c’est pour lutter contre le changement climatique, et donc pour le bien de tous ! Le problème, c’est que cette allocation forcée se fait au détriment d’autres secteurs de l’économie. Et cela ne signifie pas seulement des pertes de marché pour les énergies fossiles; tous les secteurs sont concernés par une ponction sur le pouvoir d’achat, car le

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budget des ménages pour les loisirs, ou pour l’habillement, s’en trouve aussi réduit. Les créations d’emploi dans le secteur qui bénéficie de la ponction se font en contrepartie des destructions d’emplois dans d’autres secteurs.

Le bilan peut être globalement positif si les effets de diffusion ont le temps de jouer. Mais il faut craindre qu’une ponction trop violente, c’est-à-dire très forte sur un temps trop court, n’ait des effets contreproductifs.

À cet égard, notre rapport présente quelques estimations d’ordre de grandeur et les rapproche des chiffres produits par le groupe 4 du débat national, qui s’est attaché à analyser les conditions du financement de la transition énergétique : la mobilisation financière envisagée représente des centaines de milliards d’euros sur trois ou quatre décennies. Ce sont des montants considérables.

Ces montants sont tout à fait en ligne avec les chiffres allemands : 1 000 milliards d’euros jusqu’à 2040, selon le ministre fédéral de l’environnement, M. Peter Altmaier. Sauf que l’économie allemande s’enrichit tous les ans de ses excédents commerciaux (188 milliards d’euros en 2012), là où la France doit, en plus, faire face au financement de son déficit extérieur (67 milliards d’euros en 2012).

Il nous paraîtrait donc raisonnable, d’un côté, de maintenir une forte priorité pour les aides aux ménages les moins favorisés, et, de l’autre, d’étaler l’effort demandé aux ménages des classes moyennes en assouplissant le calendrier, de manière à ce que celui-ci empiète sur la seconde partie du siècle. L’effort d’ajustement de la demande s’en trouverait ainsi plus en phase avec le rythme d’évolution de l’offre, permettant à notre économie de mieux absorber le choc de la transition. Je reviendrai sur ce point en conclusion.

M. Bruno Sido, en remplacement de M. Jean-Yves Le Déaut, empêché

L’audition publique du 6 juin, dont le compte-rendu est intégré au présent rapport, a fait ressortir la part qui reviendra aux initiatives locales dans la transition énergétique.

La propension française à la centralisation a plutôt constitué historiquement un atout dans le cadre de l'utilisation des énergies fossiles, dans la mesure où les effets d'échelle permettent, pour ces produits, des baisses de coûts unitaires très significatives. Cela résulte du poids des infrastructures dans l'exploitation des mines et de l'électricité ; mais cela tient aussi au pouvoir de négociation supérieur que confère l'achat centralisé par grands contrats d'importation, pour le pétrole, le gaz, l'uranium.

Cette efficacité économique de la centralisation pour les « monopoles de fait » a d'ailleurs été reconnue en droit dans le préambule de la Constitution du 27 octobre 1946, partie intégrante de nos textes républicains fondamentaux.

Mais les énergies renouvelables bousculent ce modèle de gestion centralisé : d'abord, parce que les progrès technologiques permettent, pour la plupart de ces énergies, une exploitation à partir d'infrastructures plus légères

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que celles mobilisées par les énergies fossiles ; ensuite, parce que les ressources en sont très localisées, chaque portion du territoire possédant ses atouts propres dans ce domaine. De là, le lien privilégié que les énergies renouvelables ont vocation à entretenir avec les collectivités territoriales.

L'audition publique du 6 juin a permis de découvrir notamment l'implication de collectivités territoriales dans la géothermie, la valorisation des déchets, la méthanisation de la biomasse d'origine végétale, le chauffage collectif au bois.

La logique consistant à exploiter des atouts géographiques locaux pourrait utilement se généraliser, sous réserve de l'émergence, à chaque fois, d'une structure portant l'initiative, car tout territoire dispose toujours plus ou moins d'une ressource énergétique à valoriser. L’audition par l’OPECST, le 27 avril dernier, de deux spécialistes des énergies de la mer, au sein respectivement de l’IFP Énergies nouvelles et de la DCNS (les anciens « Chantiers navals »), a montré, par exemple, les réelles potentialités, en termes d'énergie thermique, des mers dans les territoires et collectivités d'outre-mer, compte-tenu du coût relatif de cette technologie, pourtant onéreuse, par rapport aux modes de production classique à gaz, extrêmement chers dans les configurations insulaires. Là encore, le compte-rendu de cette réunion est associé au présent rapport.

Du reste, le choix de l'ANCRE (Alliance Nationale de Coordination de la Recherche pour l’Énergie) de caler l'un de ses trois scénarios de la transition énergétique sur le développement des systèmes énergétiques locaux, à partir notamment de l'exploitation de la biomasse, confirme, d'une certaine manière, qu'aux yeux des meilleurs spécialistes, les initiatives locales sont durablement inscrites dans le paysage énergétique de notre pays.

L’audition publique du 6 juin a conforté effectivement l’idée de la viabilité à long terme de ces projets locaux manifestement gérés avec une grande souplesse d’adaptation. J’en veux pour preuve cette stratégie de remontée de l’échelle des valeurs ajoutés du projet de traitement des déchets Tryfil, dans le Tarn et l’Aveyron, dont notre collègue, le sénateur Jean-Marc Pastor assure la présidence : la méthanisation par bioréacteur y a conduit, par étapes, à la production de biométhane, puis maintenant d’hydrogène, à chaque fois sans perdre de vue les débouchés. Le projet de géothermie SEMHACH, au sud-est de Paris, a fini de rembourser fin 2012, soit au bout de vingt-sept ans, l'ensemble des emprunts qui a permis de construire l'infrastructure initiale ; c’est là un indice de solidité économique.

La multiplication des projets locaux d’exploitation d’énergie a un double impact sur le réseau électrique : d’une part, elle confirme le besoin de le doter d’intelligence dans la logique des réseaux intelligents ou « smart grids », afin d’assurer la meilleure gestion possible de l’effet de foisonnement ; d’autre part, elle va peut-être permettre de réaliser une économie sur le besoin de montée en capacité de ces réseaux.

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Deux raisons à cela :

- premièrement, nombre de ces initiatives permettent le développement des réseaux de chaleur, allégeant d’autant la charge supportée par les deux autres grands réseaux d’énergie, gazier et électrique. Le potentiel d’utilisation de la chaleur directe est grand en France : alors que la chaleur représente la moitié de la consommation d’énergie primaire, seulement 6 % en est fournie par distribution directe. Des projets de distribution de vapeur à partir des centrales nucléaires sont évoqués depuis longtemps. En Finlande, le consortium Fortum devrait passer à l’acte à l’horizon 2020 au profit de la banlieue d’Helsinki ;

- la seconde manière par laquelle les projets d’initiatives locales pourraient diminuer le besoin d’ajustement en capacité du réseau électrique passe par l’implantation future de dispositifs locaux de stockage d’énergie. L’intérêt manifesté pour la production de biogaz et d’hydrogène paraît aller dans ce sens. Les technologies dans ce domaine sont encore à évaluer, puis, éventuellement, à développer; mais ce sont des pistes d’ores et déjà concrètement explorées en Allemagne ; il s’agit en fait de consolider l’effet de foisonnement de la production et de la consommation électrique en la dégageant de la contrainte très forte de l’équilibre instantané, grâce à la possibilité d’un équilibrage inter-temporel.

M. Bruno Sido

Notre conclusion principale est qu’il faut laisser du temps au temps. Elle s’impose pour nous au vu des mécanismes en jeu du côté de l’offre, c’est à dire ceux de l’innovation et du déploiement technologique, mais aussi au vu des évolutions du côté de la demande, celles notamment qui permettront, peut-être, ces économies d’énergie très substantielles annoncées par les scénarios de l’Ademe, de Negawatt, de Greenpeace.

Notre temps de référence, c’est celui de la fin du siècle, horizon de la « trajectoire raisonnée » que j’ai eu l’honneur de proposer au nom de l’OPECST, avec mon co-rapporteur, Christian Bataille, dans le cadre du rapport de décembre 2011 sur « L’avenir de la filière nucléaire ». Le retrait de l’énergie nucléaire s’effectuerait progressivement par remplacement de 3 gigawatts en fin de vie par 2 gigawatts de génération nouvelle. Vers 2100, demeurerait un « socle énergétique » équivalent à environ 30 % à 40 % de la capacité de production électrique totale actuelle, mais en réacteurs de quatrième génération, c’est à dire s’alimentant avec les résidus de l’énergie nucléaire d’aujourd’hui, à savoir les stocks d’uranium appauvris, et probablement, certains déchets de très haute activité (l’américium). Ce socle énergétique permettrait de faire fonctionner pour plusieurs siècles un parc de production très majoritairement à base d’énergies renouvelables, adossé à des dispositifs de stockage d’énergie.

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La progressivité de cette trajectoire raisonnée vise spécialement à laisser le temps de la mise au point des dispositifs de stockage d’énergie, évoqués par Jean-Yves Le Déaut, qui sont la condition indispensable à un déploiement à très grande échelle des énergies « variables » : vent et soleil, de loin les plus abondantes des sources renouvelables.

Ce calendrier, assoupli par rapport aux échéances envisagées dans le cadre du débat national, devrait notamment permettre à l’économie de mieux supporter les efforts financiers qu’impliquera la mise à niveau progressive du parc des bâtiments anciens, véritable clef de la réalisation d’économies d’énergie d’ampleur macroéconomique. Il s’agit là d’une démarche moins précipitée mais d’autant plus solide qu’elle permettra sans doute de constater plus sûrement les effets de ces économies d’énergie massives, notamment sur le solde commercial, et à partir de là, d’autoriser une décroissance plus rapide du recours à l’énergie nucléaire.

On ne peut pas prendre des décisions qui engageraient l'avenir de notre pays sur des paris. Avant d'avancer dans le démantèlement de nos forces de production énergétique d'aujourd'hui, il faut vérifier que les promesses en matière d'économies d'énergie se réalisent, et que les ressources alternatives en énergies renouvelables opèrent la substitution attendue, à qualité de service équivalente, et sans plus aucune subvention. À cet égard, l’hypothèse d’une réduction du parc nucléaire, dès 2025, à 50 % de la capacité de production électrique totale, paraît plus que problématique, sauf à espérer d’imminentes ruptures technologiques majeures. Il faut avoir conscience que cela équivaudrait d’ici douze ans à l’équivalent de l’effacement total, pour l'ensemble de l'économie, d’une à deux journées de consommation électrique par semaine.

L’OPECST s’est trouvé engagé dans l’analyse des questions énergétiques dès son deuxième rapport en 1987, à propos de l’accident de Tchernobyl. Il a manifesté depuis vingt-six ans, à travers une trentaine de rapports concernant l’énergie, sur les 155 qu’il a produits, une grande constance dans l’approche de ces questions. Cette approche combine, d’un côté, un soutien à l’exploitation des atouts industriels du pays, en incitant constamment au renforcement des dispositifs de sûreté et de sécurité, et, de l’autre, un vrai souci de l’ouverture aux technologies nouvelles, et notamment à celles qui permettent l’exploitation des énergies renouvelables.

Cette position de l’Office n’est pas toujours comprise, car elle n'est pas simpliste, ni partisane ; pourtant elle présente une cohérence forte autour du soutien au processus d’innovation, qui veut que les activités industrielles mûres produisent, directement ou indirectement, les revenus qui servent à financer le développement des activités industrielles émergentes, jusqu’au moment où celles-ci deviennent assez fortes et compétitives pour empiéter sur le marché de celles-là.

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Le pétrole, le gaz, et l’atome contribuent, par des prélèvements fiscaux, à la maturation des technologies destinées à les remplacer à terme, partiellement sinon totalement. Parallèlement, ces prélèvements financent les activités de recherche, de conception, de développement, de production d’équipements, nécessaires à l’exploitation des énergies renouvelables.

Peut-on accélérer ce processus ? On peut du moins veiller à ne pas l’entraver, et à ne pas le laisser dériver vers des impasses. Tel est le principal enjeu, selon nous, de la transition énergétique. Un volontarisme trop affirmé risquerait d’avoir des effets contre-productifs : il faut de l’énergie ancienne pour produire de l’énergie nouvelle.

Comme il en a la vocation dans le cadre de ses travaux, l'OPECST continuera à suivre, par-delà la fin du débat national, le devenir de la transition énergétique, soit à propos d’aspects spécifiques, comme ceux sur lesquels il va rendre des rapports dans les prochains mois (hydrocarbures de gisements non conventionnels, hydrogène et stockage d'énergie, voiture écologique, verrous réglementaires dans l'efficacité énergétique des bâtiments), soit en organisant régulièrement des auditions publiques permettant un suivi plus général.

M. Denis Baupin, député

Merci, Monsieur le président, pour cette introduction. Vous avez évoqué un certain nombre de problèmes de fond abordés dans ce rapport dont je viens tout juste de prendre connaissance ; le fait de devoir ainsi se prononcer sur un document sans avoir eu le temps de le lire complètement pose question à la fois sur le plan scientifique et démocratique. C’est pour cette raison que j’avais demandé à pouvoir le consulter à l’avance. Il m’a été indiqué que ce n’était pas dans les pratiques habituelles. J’ai vu qu’était prévue demain une conférence de presse à l’occasion de laquelle ce rapport doit être présenté. J’ai relevé, en lisant la presse, qu’une grande partie des rapports de l’Office étaient adoptés à l’unanimité. Cela ne pourra être le cas de celui-ci, compte tenu du nombre de nos points de désaccord.

Vous remettez en cause la faisabilité de l’engagement du Président de la République de réduction à 50 % de la part de l’énergie nucléaire d’ici 2025, engagement fondateur du débat sur la transition énergétique. Vous affirmez que la majorité de Français qui a adhéré à cet objectif lors des dernières élections s’est trompée, faute de compétences. À cet égard, l'évocation de deux journées par semaine sans électricité me semble disproportionnée. Vous nous proposez en alternative à cet engagement présidentiel une trajectoire raisonnée consistant à prolonger la filière nucléaire d’au moins un siècle. Vous dites qu’il ne faut pas baser l’avenir énergétique du pays sur des paris, pourtant vous préconisez le déploiement de réacteurs nucléaires de quatrième génération qui n’existent pas. L’échec de Superphénix a clairement démontré l’inadéquation de cette voie technologique.

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J’ai été très surpris de ne retrouver dans votre rapport aucune référence à l’efficacité énergétique. Pourtant, l’ensemble des travaux engagés sur la transition énergétique, que ce soient ceux de l’ADEME, de Négawatt ou du débat national, prévoient une réduction importante de la consommation énergétique de notre pays. J’ai constaté que vous vous référiez à plusieurs reprises à l’ANCRE, c’est à dire essentiellement au CEA. En revanche, je n’ai pas noté de mention des prévisions de l’ADEME qui, en tant qu’organisme public, mérite pourtant tout autant notre attention.

Ainsi que cela a été rappelé dans le cadre du débat sur la transition énergétique, la réduction d’un facteur 4 des émissions de gaz à effet de serre implique une réduction d’un facteur 2 de notre consommation énergétique. Ce n’est pas un hasard si nos voisins allemands et anglais ont également défini cet objectif de réduction de consommation.

Je voudrais revenir sur la question de la filière nucléaire. J’ai noté les déclarations de M. Pierre-Franck Chevet, président de l’Autorité nucléaire, à l’occasion de son audition par l’Office en avril dernier, sur les conséquences d’une anomalie générique éventuelle sur le parc nucléaire qui obligerait à arrêter simultanément plusieurs de nos réacteurs nucléaires. Cette position rejoint celle de son prédécesseur, M. André-Claude Lacoste. Il s’agit là d’un risque qui aurait des conséquences graves pour l’économie de notre pays. Il impose de réduire la part de l’énergie nucléaire dans notre production énergétique. C’est un autre élément qui doit être pris en compte dans la transition énergétique.

De même, le rapport de la Cour des comptes sur les coûts de la filière nucléaire dit des choses très éclairantes sur l’ampleur des investissements réalisés durant des dizaines d’années dans ce domaine, à hauteur de plusieurs centaines de milliards d’euros. Cela démontre que ce niveau d’investissement est à l’échelle de ce qu’un pays comme le nôtre doit engager pour réussir la transition énergétique. Je pense que vous préconisez la prolongation des réacteurs nucléaires existants. Or, celle-ci nécessitera des investissements lourds, à hauteur de plusieurs dizaines de milliards d’euros. Quel que soit le scénario choisi, des investissements massifs seront nécessaires.

Aujourd’hui nous dépensons, comme vous l’avez rappelé, de l’ordre de 70 milliards d’euros pour nos importations énergétiques, dont celles d’uranium. Plutôt que de verser ces milliards aux pays producteurs de pétrole ou de gaz, au Proche-Orient ou en Europe de l’Est, il serait plus rationnel de les utiliser pour améliorer l’efficacité énergétique, ce qui permettrait de créer de l’activité économique et des emplois dans notre pays.

Vous abordez le problème de l’innovation, mais les innovations à venir ne se feront pas dans le domaine de l’industrie nucléaire. Il suffit de suivre les difficultés rencontrées sur le chantier de l’EPR de Flamanville par des entreprises telles qu’Areva qui se veulent à la pointe de l’innovation technologique, mais ne savent pas monter une pompe à l’endroit.

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Les entreprises véritablement innovantes, telles Saint-Gobain ou Schneider, se trouvent dans le secteur des énergies renouvelables. Il y a là des enjeux d’investissement et d’emplois qui doivent être pris en compte. Je trouve dommage que ce rapport de l’Office n’ait pas mis d’avantage en avant ces enjeux.

M. Christian Bataille, député, vice-président

Monsieur le président, je voudrais faire quelques observations sur la forme et sur le fond. D’abord, je tiens à vous féliciter du travail que vous avez réalisé dans le cadre de cette étude qui répond, sinon à une saisine formelle, du moins à un souhait public du président de l’Assemblée nationale ; d’autant que je regrette la faible association de notre Office au processus du débat sur la transition énergétique. J’ai été personnellement très favorable à l’organisation d’un tel débat. Mais je dois bien me résoudre à constater qu’il s’est avéré très confus, dans son organisation comme dans ses conclusions.

Vous nous avez présenté une synthèse des différents travaux de l’Office publiés ou en cours sur cette question. Vous avez notamment mis en avant la question de la performance énergétique dans les bâtiments. C’est un sujet sur lequel j’ai travaillé dans le cadre d’un rapport publié, avec Claude Birraux, en 2009. Nous nous étions rendus, à l’époque, en Allemagne et en Suisse. L’Allemagne dispose sur ce terrain d’une avance certaine sur nous, et nous devons prendre exemple sur elle dans ce domaine essentiel de l’amélioration de la performance énergétique des bâtiments.

Pour autant, je ne suis pas certain que les efforts d’économie d’énergie que nous réaliserons dans ce secteur aboutiront à une réduction de notre consommation énergétique globale. Je crois qu’on n’insiste pas assez sur les nouveaux besoins énergétiques résultant, par exemple, de la multiplication des équipements électroniques connectés en réseau et des besoins domestiques. La multiplication des véhicules électriques en milieu urbain, telle la Zoé de Renault - notre ministre du Redressement productif, M. Arnaud Montebourg, incite fortement à leur développement - va également se traduire par un accroissement de la demande d’électricité.

Du reste, le concept de transition énergétique doit être précisé. Il ne s’agit pas d’une évolution bornée dans le temps, mais, au contraire, d’un processus continu qui date déjà de plusieurs siècles. Or, durant cette période, il n’y a pas eu substitution des énergies, celles-ci se sont, au contraire, additionnées.

Si j’ai défendu loyalement l’objectif de réduction à 50% de la part de l’énergie nucléaire durant la campagne présidentielle, je le considère aujourd’hui - à douze ans de l’échéance – comme hors d’atteinte. À cet égard, je rappelle que l’unité de temps énergétique est de l’ordre du demi-siècle, non celle des cinq ans d’un mandat présidentiel.

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Dans le rapport que j’ai rendu avec Bruno Sido en décembre 2011, j’ai indiqué qu’il convenait de viser 2035, et une réduction à 60 % plutôt qu’à 50 % de la part d’électricité d’origine nucléaire. Encore faut-il, avant de le faire, savoir par quoi remplacer l’énergie nucléaire.

Dans ce domaine, l’Allemagne est un contre-exemple de ce qu’il convient de faire. La décision d’arrêter des centrales nucléaires en 2011 s’est accompagnée de celle de la construction de nouvelles centrales à gaz et au charbon, plus exactement au lignite. Dans le cadre de la préparation du même rapport de décembre 2011, j’ai pu visiter une mine de lignite à ciel ouvert en Allemagne. L’exploitation de ces mines de lignite, réalisée avec la grande maîtrise technique dont savent faire preuve nos voisins, bouleverse littéralement les paysages. Des villages entiers sont déplacés, pour être reconstruits à l’identique un peu plus loin. Arrêter les centrales nucléaires pour relancer le gaz et le charbon, ce n’est pas ce que nous devons faire.

Malheureusement, les énergies éolienne et solaire ne peuvent remplacer, en l’état, les centrales nucléaires. Une telle substitution ne pourra s’envisager qu’en disposant de moyens de stockage massif de l’énergie. Dans un rapport de 2009 sur la stratégie de recherche en énergie, j’avais mis en avant, avec Claude Birraux, la solution des stations de transfert d’énergie par pompage (STEP) qui permettrait de stocker l’énergie excédentaire, par exemple la nuit, pour la restituer dans les périodes de pointe de demande. Je crois que l’Office a raison de faire entendre sa voix sur cette question, même si ses positions, faute d’être simplistes, peuvent heurter des opinions dictées par des considérations partisanes.

C’est avec intérêt que j’ai écouté les explications de notre collègue, Denis Baupin, sur les risques liés à une dépendance excessive à l’énergie nucléaire et sur la nécessité de réduire nos importations d’énergie. Sur ce plan, dans le cadre de l’étude en cours sur les hydrocarbures de gisements non conventionnels, je préconise de substituer aux importations de gaz et de pétrole la production locale d’énergies fossiles. Il ne s’agit pas d’accroître notre consommation de ces formes d’énergie, mais de réduire notre dépendance dans ce domaine.

En conclusion, je voudrais aussi souligner que nous devons nous interroger sur cette question de la transition énergétique non seulement au niveau national, mais aussi à l’échelle européenne. Malheureusement, chaque pays semble voir cette question de façon égoïste. Ainsi, les Allemands et les Britanniques pensent s’appuyer sur le socle énergétique du charbon et du gaz, de gisements conventionnels ou non conventionnels. Nous devons aller vers une coordination des politiques européennes en ce domaine, même si nous savons que les objectifs ne pourront tous être atteints en 2025.

Mme Corinne Bouchoux, sénateur

Je voudrais commencer par une remarque de méthode : ne serait-il pas envisageable de pouvoir consulter les rapports deux ou trois heures avant

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la réunion au cours de laquelle ils sont examinés ? Je maintiens une activité d’enseignement au niveau Master II dans une école d’ingénieurs ; dans ce cadre, il ne serait pas envisageable de travailler sur des documents sans un délai suffisant pour en prendre connaissance, en l’occurrence plusieurs jours.

Je tiens à remercier tous ceux qui ont travaillé sur ce rapport qui comporte des aspects intéressants. Néanmoins, un certain nombre d’autres auraient mérités d’être plus développés. J’avoue que j’attendais des éléments plus précis dans le chapitre touchant à la décentralisation, en ce qui concerne notamment l’adaptation des compétences. J’ai eu la chance de dîner récemment avec un certain nombre de sénateurs allemands et, de par notre maîtrise d’une langue commune, de pouvoir évoquer avec eux l’importance de la décentralisation dans la prise en compte par les différents acteurs concernés des enjeux d’une transition énergétique. Leur approche comportait un volet culturel et éducatif. Cet aspect n’a pas été abordé par le rapport.

Ce qui manque également, c’est la prise en compte du contexte économique actuel. Cet aspect mériterait également d’être intégré à la réflexion.

Mme Anne-Yvonne Le Dain, députée, vice-présidente

Beaucoup de choses ont été dites au sujet de la transition énergétique qui est une expression « valise » recouvrant de très nombreux concepts.

Je regrette que la question des économies d’énergie n’ait pas été plus développée. Ce rapport n’aborde pas suffisamment cet aspect de la transition énergétique. Il faut, avant tout, voir dans celle-ci une source de valeur ajoutée.

À propos des comparaisons internationales, c’est une bonne chose d’avoir rappelé que le charbon et le lignite restent le fondement de la politique énergétique allemande. L’enjeu de l’indépendance énergétique est central dans les politiques énergétiques nationales, mais l’importance d’une vision géostratégique est souvent éludée.

Ma dernière remarque porte sur le coût de cette transition énergétique. Il faut prendre conscience du fait que cette transition nécessitera du temps et des investissements très coûteux. Les technologies se perfectionneront et nécessiteront de faire appel, de plus en plus, à des ressources toujours plus rares et plus difficiles à obtenir, et donc chères, comme les terres rares par exemple, dont la disponibilité va devenir un enjeu géopolitique.

M. Jean-Yves Le Déaut

Un mot d’abord pour excuser mon retard dû à la perturbation des vols en provenance de Pau, où je participais à l’Université d’été de la défense.

Le rôle de l’Office est d’analyser l’interaction entre les évolutions technologiques et la société, et une question comme celle la transition énergétique relève directement de ce type d’interactions : voilà pourquoi cette

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question n’est pas nouvelle pour nous ; l’Office s’est penché de longue date sur les conditions du développement des énergies renouvelables. En novembre 2001, un rapport que j’ai publié avec notre ancien collègue Claude Birraux, a ainsi été à l’origine de deux plans lancés à l’époque : « Face sud » pour le solaire thermique et « Terre énergie » pour la biomasse.

L’Office défend tout autant l’importance des efforts économies d’énergie, comme l’illustre le rapport de Claude Birraux et Christian Bataille en 2009 sur la performance énergétique des bâtiments, et la nouvelle étude que je vais conduire avec Marcel Deneux sur les freins à l'innovation en matière d'économies d'énergie dans le bâtiment. Mais ces analyses montrent combien ces économies d’énergie sont difficiles à réaliser, notamment parce qu’elles requièrent des moyens financiers très importants.

Il est donc essentiel que le pays mobilise ses atouts économiques pour dégager les ressources nécessaires. En Allemagne, ces ressources se trouvent dans le charbon ; en France, moins bien dotée en ressources fossiles, elles sont apportées par l’énergie nucléaire. Il faut donc bien faire attention à ne pas tuer la poule aux œufs d’or.

Le besoin de financement des économies d’énergie va être très important, mais il faut faire attention aux fausses bonnes idées. Je songe en particulier à cette idée évoquée, dans le cadre des travaux du débat national, par le rapport du groupe 4 chargé d’analyser les questions de financement : il s’agirait de regrouper dans une structure publique les fonds actuellement mis en réserve par les entreprises pour financer le traitement des déchets nucléaires, puis d’utiliser ces moyens là pour soutenir les économies d’énergie et les énergies renouvelables. L’idée n’a pas été retenue dans la synthèse finale, mais elle figure toujours dans le rapport du groupe 4. Elle est doublement dangereuse, car, d’un côté, elle conduirait au désengagement des entreprises productrices de déchets ; celles-ci seraient en effet incitées à se laver les mains du devenir des déchets une fois qu’elles auraient payé leur quote-part ; de l’autre, une telle idée omet le risque que les fonds soient engagés au moment où l’on en aurait vraiment besoin pour les déchets.

Il est essentiel d’orienter les ménages vers la sobriété énergétique, mais il ne faut pas essayer de forcer la transition en créant des situations financières en porte-à-faux ; la bonne stratégie consiste à maximiser l’efficacité des moyens qu’il est possible d’obtenir de notre économie. Le double objectif de réduire à 50 % la part d’énergie nucléaire dans notre production électrique, et d’abaisser sensiblement notre consommation d’énergie à l’horizon 2050, n’est pas contestable, mais nous n’en prendrons véritablement le chemin qu’au prix d’une forte focalisation sur les mécanismes d’innovation.

Je voudrais souligner que toute transition conduit à un nouvel équilibre qui n'est pas forcément celui qu'on a imaginé au départ, et qu’il faut pouvoir essayer d’en éviter les conséquences allant à contresens. On le vérifie actuellement avec le développement rapide des énergies variables ou

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intermittents, qui rend nécessaire une extension, non prévue et tout à fait conséquente, du parc des centrales à gaz. Ce parc était presque inexistant il y a dix ans, et rien qu’EDF exploite aujourd’hui une quinzaine d'installations pour une capacité cumulée d’un peu plus de 12 GW, ce qui contribue plutôt à augmenter nos émissions de CO2.

C’est l’une des fonctions de l’innovation de permettre d’éviter ce genre d’effet à rebours. Il est donc essentiel de consacrer à celle-ci toutes les ressources possibles, et de concentrer particulièrement les efforts sur les dispositifs de stockage d’énergie. De ce point de vue, nous sommes en phase avec Negawatt sur la priorité à accorder à la méthanation (distincte de la méthanisation), car c’est un dispositif de stockage d’énergie qui permet par surcroît de fixer du CO2, c’est à dire de stocker du carbone. Les avancées dans cette direction constitueraient un puissant levier de compétitivité pour notre économie, car le pays en tête pour cette technologie s’ouvrira des marchés considérables.

L’action publique en matière d’innovation a devant elle deux chantiers tout à fait cruciaux pour la réussite de la transition énergétique : l’assouplissement à bon escient des procédures imposées aux nouvelles solutions technologiques ; et le renforcement des mécanismes de financement pour passer à l’étape de l’industrialisation. Il faut une véritable mobilisation générale sur ces deux chantiers pour accélérer la transition énergétique.

Mme Anne-Yvonne Le Dain

Le financement de l’innovation, évoqué à l’instant, s’effectue aujourd’hui suivant une logique d’appel d’offre, sur le modèle de l’affectation des moyens pour la recherche de concepts ; cela ne permet pas de bien prendre en compte le cas des démonstrateurs.

M. Jean-Yves Le Déaut

Les investissements d’avenir ont permis de le faire en partie.

Mme Anne-Yvonne Le Dain

Nous manquons d’un outil adapté car ce n’est ni la mission de l’ADEME, ni celle du Fonds unique interministériel (FUI), ni celle du CEA.

M. Bruno Sido

En tout cas, je prends bonne note du problème de méthode signalé par nos collègues Corinne Bouchoux et Denis Baupin.

M. Christian Bataille

Pour la mission sur la sécurité nucléaire, la place de la filière et son avenir, le rapport final était consultable, deux jours avant son examen, dans le bureau du président. Il est vrai que cette mission associait aux membres de l’Office des représentants des commissions concernées au sein des deux

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assemblées. Il n’en reste pas moins que nous pourrions nous inspirer de cette formule.

M. Jean-Yves Le Déaut

C’est en tous cas une demande légitime qu’il me paraît assez facile à satisfaire.

M. Bruno Sido

Je veillerai à ce que nous en discutions lors du prochain bureau de l’OPECST pour trouver la meilleure solution.

Pour conclure, je ne tenterai pas de résumer l’ensemble des interventions. Le rapport en rendra compte. Pour revenir à ce qu’a dit Christian Bataille, il ne faut pas oublier que la rénovation des bâtiments s’étalera sur plusieurs décennies alors que l’utilisation des équipements électroniques, par exemple les serveurs informatiques, gros consommateurs d’électricité, s’intensifie.

On a rappelé que la dimension européenne était essentielle et j’observe que le besoin d’harmoniser les politiques se complique des limites pratiques rencontrées pour la mise à niveau des interconnexions, qui pourtant contribuent à l’équilibre des réseaux nationaux en permettant des échanges transfrontaliers d’électricité.

La vision d’Anne-Yvonne Le Dain selon laquelle les terres rares pourraient être à l’origine de goulets d’étranglement susceptibles de freiner la transition énergétique me paraît tout à fait pertinente et l’OPECST a déjà un peu abordé cette question géostratégique lors d’une audition publique en mars 2011.

Quant à une meilleure prise en compte des enjeux énergétiques dans le cadre de la culture et l’éducation, évoquée par Corinne Bouchoux, c’est une évolution qui va prendre un peu de temps.

À la suite de la saisine de l’Office par le président de la commission des Affaires économiques du Sénat, nous avions organisé, le 21 février 2013, une audition publique, ouverte à la presse, à l’Assemblée nationale dont le thème était : « Le risque numérique : en prendre conscience pour mieux le maîtriser » qui a confirmé, s’il en était besoin, tout l’intérêt et l’actualité de ce thème. Des événements récents ont encore renforcé ce constat, bien au-delà de ce qui était supposé au mois de février. Cette audition, très riche, a été fort intéressante.

Aujourd’hui, il nous incombe de procéder à la désignation d’un ou de plusieurs rapporteurs pour transformer les pistes entrevues lors de l’audition publique en développements d’un prochain rapport de l’Office tout en ayant soin de bien cibler la problématique à retenir pour, à la fois, prendre le temps d’entendre les personnes concernées, en France, dans l’Union européenne ou à

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l’étranger mais également être en mesure de présenter ce travail dans un délai raisonnable.

L’étude préalable, dite de faisabilité, propre aux méthodes de travail de l’Office, permettra de préciser ces points – étant entendu que l’audition publique de février 2013 nous a déjà permis de mieux cerner certains enjeux et devrait nous faire maintenant gagner du temps dans l’élaboration de ladite étude préalable.

Pour l’heure, concernant la nomination du, ou des, rapporteurs, j’ai reçu la candidature de Mme Anne-Yvonne Le Dain, députée, vice-présidente de l’Office, et je vais donc lui donner la parole pour expliciter le sens de sa candidature.

Mme Anne-Yvonne Le Dain, députée, vice-présidente de l’Office

Chacun sait que nous sommes maintenant dans un monde qui est complètement virtuel, numérisé. Depuis une quinzaine d’années, on ne peut plus vivre sans un ordinateur et un téléphone portable connecté.

Dans ce monde-là, il s’est passé deux choses : avant, on stockait nos informations dans nos ordinateurs, éventuellement dans un serveur tandis que, maintenant, on ne stocke plus rien et la tendance est à déstocker complètement, à découper l’information en petits morceaux pour la stocker ailleurs, grâce au cloud computing ou, en français, informatique en nuage. Cela renvoie à deux concepts : la notion de risque numérique par rapport à la protection des données personnelles qui a été mise en scène récemment par l’apparition dans le paysage numérique d’un jeune homme, Bradley Manning, qui a mis un nombre considérable de documents confidentiels via le site Wikileaks et puis, phénomène important, les données personnelles, les données individuelles découpées en petits morceaux sont, de fait, la propriété des fournisseurs d’accès et, pire, celle des fournisseurs de l’utilisation de l’accès.

Les réseaux, par exemple France Telecom, Free, SFR, pour ne parler que de la France sont propriétaires de la tuyauterie mais les fournisseurs d’accès c’est, par exemple, Google, mais c’est aussi tous ceux qui vont les utiliser comme Facebook ou Twitter. Tous ces systèmes ont accès à vos données et adoptent, dans le cloud computing, une logique consistant à dire : puisque c’est moi gère ces données, elles m’appartiennent. Cette mondialisation des informations, extrêmement segmentées, stockées mais qui transitent beaucoup et qui sont découpées en morceaux aboutit à octroyer la propriété, de fait, des données à des gens qui vous proposent des services et qui stockent et transportent lesdites données.

Cela est important car il en découle la perte du droit à l’intimité, il n’y a plus d’intimité, ni quant à notre identité ni sur ce que nous sommes ; nous pensons être en sécurité et nous ne le sommes pas car les informations sont la propriété des fournisseurs d’accès ou des hébergeurs ou des deux. Cela ne fait que se développer.

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Derrière cela, se trouve la question de la protection des données personnelles incluant le droit à l’oubli, mais également la protection des données des personnes morales que sont les administrations, les entreprises et les États qu’il ne faut pas oublier. Donc la sécurité des données pose la question du risque numérique et celle de savoir en quoi Big Brother est vraiment présent aujourd’hui.

Qu’est-ce que Big Brother pourra faire, qu’aura-t-il le droit de faire, notamment au cours des années à venir ? Quand je dis Big Brother, c’est pour reprendre une image que tout le monde a en tête. Nous sommes face à Big Brother. Que pourra-t-on lui permettre ou lui interdire, sachant qu’on ne peut vraiment le nommer et qu’il est lui-même découpé en petits morceaux et que de nouveaux petits morceaux naissent chaque jour.

Je voudrais insister aussi sur le fait que ces entreprises, que nous utilisons tous, sont toutes américaines, que le siège de chacune est aux États-Unis d’Amérique, comme les données transitant par elles ; d’ailleurs, lorsque ces données sont en Europe, c’est généralement en Irlande ou dans des lieux permettant des situations de défiscalisation complète. Donc ces données n’ont plus de valeur pour l’économie européenne ; elles n’ont de la valeur que pour l’économie nord-américaine.

M. Bruno Sido

La parole est au Premier vice-président.

M. Jean-Yves Le Déaut, député, Premier vice-président de l’OPECST

Je souhaiterais présenter la candidature de M. Bruno Sido en qualité de co-rapporteur. Avec la candidature de Mme Anne-Yvonne Le Dain, cela nous permettrait de bénéficier à la fois les points de vue du Sénat et de l’Assemblée nationale, de la majorité et de l’opposition, d’une femme et d’un homme, en bénéficiant de la richesse de l’expérience propre à chacun d’eux.

En dehors de ce qu’a dit Mme Anne-Yvonne Le Dain, je rappelle que M. Bruno Sido s’est penché sur cette question ; il a été à l’initiative de l’audition publique organisé par l’Office sur le risque numérique ; il s’est plutôt attaché au risque civil tandis que j’ai présidé la partie de cette réunion relative au risque militaire. Par ailleurs, dans le cadre de la commission des affaires étrangères et des forces armées, je présente chaque année un avis budgétaire intitulé « Environnement et prospective de la défense » dans lequel je traite de la cyber-défense même si c’est de manière moins approfondie que les travaux de l’Office. Sur la cyber-défense, il existe déjà plusieurs rapports dont, en 2012, le rapport d’information de M. Jean-Marie Bockel au Sénat intitulé « La cyberdéfense : un enjeu mondial, une priorité nationale ».

Il reste tout un pan qui n’a pas encore été étudié, à savoir la fragilité des systèmes complexes, soit douze secteurs vitaux dépendant totalement de l’informatique, dont les transports ou la santé ; il suffit d’observer une voiture pour le constater.

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La sécurité des systèmes informatiques, c’est la sécurité individuelle, la sécurité des transports aériens, ou autres, du nucléaire, du système de santé, du stockage de données et ces systèmes se trouvent à la merci de pirates informatiques ou hackers.

Il faudra également voir dans cette étude si l’on dispose de suffisamment de spécialistes formés à la sécurité informatique. Il semblerait que non. Pour l’instant, ce sont les militaires qui, avec la Délégation Interministérielle pour l’Armement (DGA), les recrute.

Ne faudrait-il pas, en informatique, une sécurité du niveau de celle des laboratoires P4 de sécurité maximale mise en place dans le domaine de la biologie ? La coordination entre le militaire et le civil est-elle optimale ? Il y a énormément de domaines complémentaires sur lesquels vous avez une étude à conduire.

Notre président, M. Bruno Sido, s’est intéressé au sujet du risque numérique. La commission des affaires économiques du Sénat en a saisi l’OPECST qui pourrait désigner les deux rapporteurs pressentis.

M. Bruno Sido

L’idée du thème de ce rapport m’est venue à la suite d’une audition, passionnante, de l’Institut national de la recherche en informatique et en automatique (INRIA).

C’est un domaine très complexe où l’on manque de spécialistes. Notre société est régie par l’informatique ; depuis le distributeur de billets au coin de la rue jusqu’aux systèmes les plus élaborés, tout passe par l’informatique. On est quasiment à la merci du premier pirate venu. Pour éviter le pillage des entreprises, de leur recherche, de leur recherche appliquée, il faut les orienter vers davantage de sécurité.

C’est un sujet majeur, un enjeu fondamental pour la survie et la richesse de notre pays.

M. Jean-Yves Le Déaut

Il s’agit-là, pourrait-on dire, d’hygiène informatique, aussi importante pour la société que l’asepsie lors d’une opération chirurgicale.

Juste un exemple : si une entreprise vérifie l’identité des personnes ayant accès à la messagerie de son PDG, elle devrait constater que seuls le PDG et sa secrétaire, et uniquement eux, y ont accès. Or, à l’occasion du contrôle de la sécurité informatique d’une entreprise, il est apparu que deux inconnus avaient accès à cette messagerie : deux pirates informatiques disposaient ainsi de la totalité des informations relatives à l’entreprise. Dans ce cas précis, un simple contrôle des accès à la messagerie du président aurait permis d’éviter cette situation.

Bien entendu, je vote pour les deux candidats présentés.

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M. Patrick Hetzel, député

Ce rapport est une excellente idée, une très bonne suggestion et je me réjouis de voir que vous allez travailler tous deux sur cette question.

Je n’ai rien à redire à ce qui a pu être dit. Je voudrais simplement ajouter un point. Mme Anne-Yvonne Le Dain a évoqué Big Brother principalement sous l’angle individuel. Je pense que c’est encore plus pernicieux que cela puisque, aujourd’hui, un certain nombre d’entreprises, Google ou d’autres, sont allées jusqu’à proposer des services à des opérateurs publics, notamment aux universités. Dans ce cas, existerait le risque que des données qui, a priori, sont des données appartenant à des opérateurs publics deviennent la propriété d’opérateurs économiques étrangers. Cela va extrêmement loin et mérite une investigation particulière.

Non seulement l’idée de ce rapport est bonne mais je suis sûr qu’elle sera fructueuse et qu’elle permettra des débats intéressants sur cette question.

Mme Anne-Yvonne Le Dain

Actuellement, tout le monde est focalisé sur la protection des données personnelles. À Bruxelles, à Strasbourg, on ne parle que de ça. Mais les données personnelles sont aussi bien celles des personnes physiques que des personnes morales (entreprises, administrations, laboratoires…).

La sécurité numérique doit être abordée à partir de la notion de risque pour bien englober aussi les aspects économiques, y compris les opportunités offertes car le seul aspect sécuritaire restreint dès l’abord le champ de la réflexion. Or, une construction juridique peut aussi conduire à favoriser l’économie.

Ce rapport va constituer un vaste chantier.

M. Bruno Sido

Il est envisagé une présentation de l’étude préalable, dite de faisabilité, si possible fin septembre, compte tenu du lien de ce rapport avec l’important travail qui a été accompli lors de la dizaine d’heures d’écoute, très intéressantes, de l’audition publique du 21 février 2013, et puis, si le rythme de la progression des travaux le permet, le rapport lui-même pourrait être terminé au début du mois de mars 2014.

Si vous en êtes d’accord, je vais maintenant vous demander de voter sur les candidatures de Mme Anne-Yvonne Le Dain et de moi-même.

(Approbation à l’unanimité des membres présents).

Ces candidatures sont adoptées. Mme Anne-Yvonne Le Dain et moi-même serons les rapporteurs de la prochaine étude de l’OPECST sur « Le risque numérique : en prendre conscience pour mieux le maîtriser ». Cet intitulé lui-même pouvant être modifié en fonction des conclusions de l’étude préalable qui sera soumise à l’Office à la rentrée.

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DÉLÉGATION AUX COLLECTIVITÉS TERRITORIALES

ET À LA DÉCENTRALISATION

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RÉUNION DE LA COMMISSION CONSULTATIVE D’ÉVALUATION

DES NORMES (CCEN)

(mardi 1er octobre 2013)

Mme Jacqueline Gourault, présidente

Monsieur le ministre, cher président, mes chers collègues, aussi bien ceux qui siègent à la Délégation aux collectivités territoriales et à la décentralisation du Sénat que ceux de la Commission consultative d’évaluation des normes (CCEN), je suis heureuse de vous accueillir au sein de notre délégation. Cette délégation est une structure du Sénat qui a été créée pour suivre au jour le jour les dossiers liés à la problématique des collectivités territoriales et naturellement de la décentralisation. Évidemment, notre rôle est bien spécifique et encadré, car nous ne devons pas déborder sur l’activité législative. Par exemple, nous avons en ce moment un texte sur les métropoles et l’action publique ; aujourd’hui, le débat a lieu en commission des Lois et dans l’hémicycle. Ceci dit, cela ne nous a pas empêchés de beaucoup travailler en amont pour préparer ce projet. Le premier président de la délégation aux collectivités territoriales s’appelait Alain Lambert, nous sommes donc aujourd’hui, si vous me permettez cette expression, en famille.

Naturellement, la délégation s’intéresse aux problèmes des normes : en février 2011, un rapport intitulé « La maladie de la norme » y a été présenté par notre collègue Claude Belot. Par ailleurs, lors des États généraux de la démocratie territoriale, qui ont été tenus il y a un an au Sénat, le problème des normes a été l’un des principaux thèmes abordés. C’est la raison pour laquelle le président du Sénat avait confié au président de la commission des Lois et à moi-même la mission de donner une suite législative aux travaux entrepris. Aujourd’hui, la proposition de loi portant création du conseil national chargé du contrôle et de la régulation des normes a été adoptée en première lecture au Sénat et à l’Assemblée nationale et reviendra en deuxième lecture la semaine prochaine. Je crois que ce vote ira à son terme de façon positive.

Je remercie les membres de la CCEN de leur présence. Cette réunion fait suite à une idée émise par MM. Alain Lambert et Jean-Claude Boulard, lors de leur audition par cette délégation à la suite de leur rapport au Premier ministre sur l’inflation normative. Alain Lambert nous avait alors indiqué l’importance d’un soutien du Sénat, et en particulier de la délégation aux collectivités territoriales, pour la mise en place d’un processus de simplification. C’est la raison pour laquelle nous avons organisé cette rencontre. En outre, nous sommes curieux et intéressés de voir comment se déroulent les réunions de la CCEN.

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Je voudrais saluer aussi Mme Célia Vérot, directrice adjointe chargée de la simplification au secrétariat général du Gouvernement. Nous sommes très heureux de la rencontrer à cette occasion.

Je voulais dire à mes collègues membres de la délégation que nous n’avons pas à prendre la parole au cours des travaux de la CCEN.

M. Alain Lambert

Je remercie Mme Gourault pour son invitation. Pourquoi y sommes-nous attachés ? Parce que les textes que nous examinons sont, pour beaucoup d’entre eux, issus de lois. En tant que législateurs, il nous a semblé intéressant que vous voyiez comment se déclinent parfois dans le règlement les lois que vous adoptez. En effet, il arrive au législateur d’adopter des principes généraux, qui sont déclinés de manière parfois un peu précise – peut-être parfois trop précise – dans le règlement.

Je voudrais aussi remercier Mme Jacqueline Gourault pour la proposition de loi qu’elle a déposée avec Jean-Pierre Sueur, au rapport d’Alain Richard, car la qualité des travaux que vous avez menés a été reconnue par l’Assemblée nationale. D’ailleurs, à quelques précisions près, celle-ci a adopté à l’unanimité le texte du Sénat, ce qui n’est quand même pas si courant. Je crois que le Sénat sera prochainement saisi en deuxième lecture de ce texte qui pourrait donc être adopté définitivement dans les semaines qui viennent. Ce serait pour la délégation la reconnaissance d’un travail de cinq ans et la marque de l’intérêt que le Parlement, et le Sénat en particulier, porte aux travaux de la délégation. Comme vous le savez, la mission de la CCEN consiste à veiller à ce que l’impact financier des mesures qui nous sont proposées ne dépasse pas la capacité contributive des collectivités territoriales. Or, le diable se niche parfois dans les détails.

Cette séance arrive très tôt après la précédente séance, ce qui fait qu’il y a très peu de textes à examiner.

À mon tour je remercie Mme Célia Vérot, qui est adjointe au secrétaire général du Gouvernement. Elle est en charge de la simplification et regarde nos travaux – je ne sais pas si elle les regarde avec bienveillance ou avec inquiétude, probablement les deux parfois, selon les décisions que nous prenons. Mme Vérot, qui vient régulièrement devant nous, nous présentera aujourd’hui la nouvelle fiche d’impact qui, précisément, est un instrument visant à mieux mesurer l’impact des textes réglementaires. Le débat pourra, comme Jacqueline Gourault nous l’a dit tout à l’heure, s’ouvrir à l’issue de la séance, sur les questions que nous avons évoquées.

Mme Célia Vérot

J’évoquerai aujourd’hui le « un pour un » ou « moratoire de la réglementation », en le resituant dans l’exercice plus large de la simplification.

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En octobre 2012, lors des États généraux de la démocratie territoriale, le Président de la République a annoncé ce dispositif du un pour un, que nous mettons en œuvre aujourd’hui.

Il y a, en cette période, un intérêt politique au plus haut niveau pour la politique de simplification. Je résumerai la ligne tracée par le Président de la République de la manière suivante : la simplification est une réforme structurelle, qui doit se poursuivre dans la durée. Elle doit viser la simplification des procédures et l’amélioration de leur efficacité sans renoncer à la protection des droits auxquels on tient en France : droits des salariés, protection de l’environnement, protection de la santé, etc.

Cet engagement politique fort, caractéristique de la période actuelle, répond à un mouvement dans la société que les collectivités territoriales ont été les premières à manifester. La simplification n’est pas une idée neuve ; ce qui est neuf, c’est le « ras-le-bol normatif ». Le fait que celui-ci s’exprime aussi fortement oblige les administrations et les responsables politiques à agir. La cause de l’inflation normative est dans notre culture politique et administrative, c’est un problème qui n’est pas partisan. Mais l’État est comme un lourd paquebot, lui faire changer de direction ne se fera pas en un jour.

Notre rôle au Secrétariat général du Gouvernement est d’impulser, de coordonner, d’animer et d’aider les administrations. Celui de la Commission est de « challenger », ce qui est tout à fait utile. Il faut que des organismes indépendants ou des représentants des collectivités, des entreprises, de la société, nous aiguillonnent et maintiennent une certaine pression. Sans cela, la mobilisation actuelle pour la simplification risque de rapidement retomber. Donc, pour répondre à M. le ministre Alain Lambert, nous regardons les décisions de la Commission non avec inquiétude mais avec intérêt.

Le chantier de la simplification est immense. Il faut fixer des priorités en s’attaquant aux « nœuds de complexité », ces législations sectorielles qui sont certes très complexes par elles-mêmes, et qui le sont encore plus parce qu’elles se cumulent entre elles et créent de véritables obstacles dans l’enga-gement de projets publics ou privés. Ainsi, l’urbanisme, l’environnement, le droit du patrimoine, constituent un tel « nœud de complexité », donc un champ privilégié de simplification.

Le choc de simplification consiste à agir à la fois sur le stock et sur le flux. Agir sur le stock est nécessaire, mais très difficile. Les différents rapports sur la simplification - notamment celui de MM. Alain Lambert et Jean-Claude Boulard – l’ont montré. Agir sur le flux, c’est l’opportunité d’introduire des simplifications au fil de l’eau. Et c’est bien la logique du un pour un : à chaque fois que l’on réglementera, on simplifiera.

Pour mettre en œuvre le choc de simplification, le Gouvernement a décidé en juillet dernier d’un programme de simplification, qui se traduira notamment par des projets de loi de simplification mettant en œuvre des mesures prioritaires. Le Sénat et l’Assemblée nationale ne désirent peut-être

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pas la multiplication de projets de lois d’habilitation. Mais il est nécessaire de marquer tout de suite des avancées et donc d’aller vite par rapport à des calendriers parlementaires chargés. À cet égard, le Gouvernement a pris l’engagement, sur les différents projets de lois de simplification, que les ordonnances qui seraient prises feront l’objet d’une information et d’une concertation avec les parlementaires, de sorte que ceux-ci ne soient pas exclus du processus de simplification du stock.

Au-delà de ces mesures urgentes et prioritaires, il y a des chantiers de moyen-terme, qui se dérouleront sur trois ans. Car, si on veut mettre en place des mesures ambitieuses, il faut se donner du temps, ainsi qu’une démarche participative, qui associe les collectivités, les entreprises, les usagers et les services, notamment les services déconcentrés, qui sont - au moins autant que les collectivités - en première ligne de la complexité du droit. Et il faut des expérimentations, car un certain nombre d’idées innovantes ont été émises, mais il nous semblait meilleur de tester leurs conditions de succès sur le terrain, plutôt que de faire une énième réforme qui ne fonctionnerait pas ensuite. C’est notamment le cas des rescrits ou de la fusion des procédures d’autorisation, que l’on va tester très prochainement dans plusieurs régions.

L’ensemble des propositions ainsi mises sur la table, largement convergentes, ont nourri le programme de simplification.

Venons-en maintenant au moratoire de la réglementation. Lorsqu’il a été annoncé par le Président de la République, beaucoup se sont demandés si cela signifiait qu’il serait nécessaire de supprimer un décret pour tout nouveau décret publié ou encore si le décompte se ferait ligne à ligne. Nous avons choisi de retenir une approche financière, et ceci pour plusieurs raisons. Tout d’abord, il s’agit de celle retenue par l’autre pays qui a mis en place cette démarche, le Royaume-Uni. Ensuite, parce que, tout comme la CCEN, nous croyons que l’évaluation des impacts financiers, même si elle n’est pas scientifique, permet de prendre conscience du coût de la mesure et partager cette information avec le public, aussi bien s’agissant des charges créées que des allègements.

C’est pourquoi désormais, chaque texte réglementaire, dont les ordonnances, qui créerait des charges pour les collectivités territoriales, les entreprises ou les usagers, devra faire l’objet d’un gage, c’est-à-dire d’un allègement équivalent. L’intérêt de cette mesure est de restreindre le flux normatif, mais aussi à chaque fois qu’une administration présentera un texte, de l’obliger à opérer une simplification. Il s’agit ainsi que la production normative, le flux, contribue positivement à apurer le stock. Ce dispositif est mis en œuvre depuis le 1er septembre. À ce stade, son ambition est raisonnable de par son champ d’application. Il ne concerne que les textes réglementaires ; par ailleurs les textes transposant le droit européen ne seront pas concernés, car la transposition constitue une obligation, de même pour les textes réglementaires qui font application pour la première fois d’une loi nouvelle. Le champ d’application du « 1 pour 1 » ne concerne donc pas toute la

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production réglementaire. Il nous a semblé raisonnable de démarrer ainsi, et peut-être un jour de l’étendre à la production législative.

L’appréciation du gage entre un texte qui crée des charges et un texte qui crée des allégements est principalement quantitative. Elle prend en compte, non seulement les coûts de procédure, par exemple de production d’un dossier de demande d’autorisation administrative, mais également les coûts de mise en conformité, qui sont souvent bien supérieurs. En outre, l’appréciation ne sera pas purement quantitative mais intégrera des éléments qualitatifs. Ainsi, la création de charges par certains peut se traduire par l’allégement de charges pour d’autres destinataires de la norme. En outre, une simplification par un ministère peut ouvrir un crédit pour créer une charge dans d’autres domaines. Enfin, il n’est pas possible parfois de chiffrer l’impact de simplifications pourtant utiles et que le bon sens amènerait à accepter en gage de charges nouvelles.

Ce nouveau dispositif du « un pour un » se traduit par la mise en place d’un modèle unique de fiche d’impact, quel que soit le destinataire du texte. Cette nouvelle fiche permettra de vérifier que les consultations ont bien été opérées. En effet les textes intéressant les collectivités territoriales doivent faire l’objet d’une consultation systématique des associations les représentant. Désormais, plus aucun texte ne sera validé s’il n’a pas fait l’objet d’une consultation appropriée.

L’évaluation de l’impact financier est renforcée. Sont désormais pris en compte également les impacts financiers sur les administrations de l’État. En effet, un texte peut imposer des obligations de contrôle qui ne peut pas toujours se faire à moyens constants. La description des impacts économiques et sociaux sera également plus détaillée. Enfin, la fiche d’impact met l’accent sur la proportionnalité de la mesure, dans la droite ligne des conclusions du rapport de MM. Boulard et Lambert. Tout d’abord, la règle de droit doit laisser des marges de manœuvre à ceux qui sont censés la mettre en œuvre. C’est pourquoi la considération d’alternatives à la réglementation et les réflexions autour d’un droit souple fait partie intégrante du processus d’évaluation. Par ailleurs, une règle n’aura pas le même impact sur une grande ou sur une petite collectivité. Il en est de même entre une grande entreprise et une PME, ce qui conduit à chercher à la proportionner, à la moduler selon ses destinataires. Toutefois, cela nous amène à nous interroger sur l’application du principe d’égalité, auquel notre tradition juridique est attachée.

Enfin, la nouvelle fiche d’impact continuera de présenter une évaluation détaillée des impacts des normes sur les collectivités territoriales, ce qui est important pour la CCEN. Le contenu des rubriques reste identique : dépenses d’intervention, investissements, dépenses de fonctionnement ainsi qu’un détail quantitatif en termes d’ETP, mais en reprenant des terminologies comptable.

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La mise en place du « un pour un » nécessitera un temps d’appren-tissage. Les ministères disposeront d’un tableau pour suivre leur débit ou crédit, lequel sera publié tous les six mois. Des supports méthodologiques sont mis en ligne et le secrétariat général du Gouvernement proposera un appui pédagogique avec le Contrôle général économique et financier (CGEFI) pour aider chaque administration à calculer l’impact financier d’un texte. Ce changement doit être intégré par les administrations. Ainsi, il y a fort à croire qu’au démarrage, les fiches d’impact ne seront pas parfaitement renseignées, mais qu’un processus d’amélioration continue va s’enclencher. De notre côté, en fonction du retour d’expérience, nous nous engageons également à modifier et améliorer le dispositif lorsque cela sera nécessaire. Je vous remercie de votre attention.

M. Alain Lambert

Madame Vérot, je vous remercie pour cette présentation. Nous allons voir en pratique comment la fiche d’impact permet de mesurer les conséquences financières d’un texte au travail de trois dossiers présentés devant la CCEN.

La CCEN procède à l’examen des trois dossiers inscrits à l’ordre du jour de sa réunion. À l’issue de ses débats, une discussion est ouverte avec les membres de la délégation sénatoriale.

Mme Jacqueline Gourault, présidente

Je dois dire que le premier sujet évoqué m’est resté assez obscur, alors que les suivants ont été plus concrets. Je me réjouis particulièrement des mesures de simplification qui ont été exposées en matière d’accessibilité des personnes handicapées dans les bâtiments d’habitation.

M. Gérard Miquel

Le contenu de ce dossier était en effet exemplaire d’une démarche de simplification, et quelques modifications législatives permettraient sans doute d’en accroître la portée.

M. Georges Labazée

Je souhaiterais savoir si le travail d’évaluation des procédures de simplification qui nous a été présenté sera cantonné aux administrations centrales ou - ce que je souhaiterais – sera relayé dans les services déconcentrés de l’État placés sous l’autorité du préfet de région. Je pense particulièrement aux Directions régionales de l’environnement, de l’aménagement et du logement (DREAL).

Mme Célia Vérot

Il s’agit là d’une suggestion intéressante dans la mesure où les administrations centrales mesurent avec difficulté la portée concrète des fiches d’impact que je vous ai présentées.

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Il a été prévu que les PME, puis les services déconcentrés de l’État, qui connaissent bien la réalité du terrain, soient associés à cette démarche.

M. Georges Labazée

Le domaine de l’environnement me semble tout à fait prioritaire pour une nécessaire simplification, du fait de la multiplicité des normes qui se sont accumulées depuis les années 1970.

M. Gérard Miquel

Les DREAL elles-mêmes estiment que la liste des espèces protégées mêle, sans distinction, celles qui sont en déclin ou en voie de disparition, et celles qui prolifèrent à cause d’une protection trop stricte. Ce statut unique, appliqué à des espèces diverses, engendre des coûts disproportionnés et des délais de réalisation de certaines infrastructures parfois insupportables, car pouvant atteindre six ans.

Mme Jacqueline Gourault, présidente

Plusieurs tentatives ont été faites pour introduire dans notre législation un principe général de proportionnalité, mais elles se sont heurtées à la censure du Conseil constitutionnel. Cette notion doit donc être introduite de façon spécifique dans les textes législatifs qui le méritent.

Par ailleurs, j’aimerais savoir comment les parlementaires seront associés à la résorption du stock de normes.

Mme Célia Vérot

La notion de proportionnalité est en effet interprétée, dans notre droit, comme désignant une action administrative proportionnée aux objectifs poursuivis ; l’objectif qui vient d’être évoqué est différent.

Sachant qu’une loi ne peut conditionner les lois ultérieures, quelles sont les solutions qui existent pour faire prévaloir cette proportionnalité ? La modification de la Constitution ne me semble pas adaptée. En revanche, les études d’impact accompagnant les projets de loi pourraient intégrer plus préci-sément les modalités d’adaptation de ces textes aux buts qu’ils poursuivent.

Par ailleurs, deux projets de loi d’habilitation sont actuellement soumis au Parlement dans le but de mettre en œuvre le « choc de simplification » annoncé par le Président de la République : l’un porte sur les relations entre l’État et les citoyens, l’autre sur la simplification de la vie des entreprises. Ce dernier texte a vocation à recevoir une application rapide, si possible dès le début 2014. Cependant, les deux ministres compétents se sont engagés à ce que les projets d’ordonnance soient présentés à mi-parcours de leur élaboration au Parlement, selon des modalités à déterminer.

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M. Rémy Pointereau

Je souhaite revenir sur l’impérieuse nécessité d’introduire la notion de proportionnalité dans l’application des lois et décrets. En effet, la commission d’accessibilité des personnes handicapées a parfois une lecture « intégriste » du texte initial. J’en prendrai deux exemples : dans un bâtiment administratif avait été prévue la construction d’une rampe d’accès dont la pente a été jugée trop forte. Il a donc été nécessaire d’y substituer un monte-charge, plus coûteux et dont les pannes sont fréquentes.

D’autre part, il avait été primitivement exigé que soient installées pas moins de quatre toilettes différentes : deux pour handicapés, séparées par sexe, et deux pour personnes valides avec la même séparation, pour une salle susceptible d’accueillir au maximum vingt personnes.

L’absurdité d’un tel impératif a pu être reconnue, mais au terme de longs mois de discussions qui, à mon sens, n’avaient pas lieu d’être.

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AUDITION DE M. CLAUDY LEBRETON, PRÉSIDENT DE L’ASSEMBLÉE DES

DÉPARTEMENTS DE FRANCE, SUR LE FINANCEMENT PÉRENNE DES ALLOCATIONS INDIVIDUELLES DE SOLIDARITÉ PAR LES DÉPARTEMENTS

(mardi 8 octobre 2013)

Mme Jacqueline Gourault, présidente

Mes chers collègues de la délégation, je suis ravie d’accueillir aujourd’hui nos collègues de la commission des Finances et de la commission des Affaires sociales. Nous auditionnons M. Claudy Lebreton, président de l’Assemblée des départements de France (ADF). M. Lebreton nous parlera de la situation financière des départements, et particulièrement du financement pérenne des allocations individuelles de solidarité. Je voudrais accueillir aussi M. Yves Ackermann, président du conseil général du Territoire de Belfort, qui accompagne le président de l’ADF. Nous sommes très heureux de leur présence, d’autant que nous sommes à la veille du congrès de l’ADF, qui a lieu cette année à Lille. Je salue Mme Annie David, présidente de la commission des Affaires sociales, qui nous a rejoints. On voit que le financement des départements est un sujet très important et d’actualité pour l’ensemble de nos collectivités territoriales. Je passe la parole à M. Lebreton.

M. Claudy Lebreton, président de l’ADF

Madame la présidente de la délégation aux collectivités territoriales et à la décentralisation, Madame la présidente de la commission des Affaires sociales, à vous, à mes collègues des départements qui sont présents et aux membres de la délégation, je voudrais, dans mon propos liminaire, parler de la situation financière des départements. J’aborderai ensuite la question des solutions qui seront mises en œuvre dans le cadre de la loi de finances 2014 pour financer les trois allocations individuelles de solidarité.

Les présidents de conseils généraux ici présents connaissent bien la situation budgétaire des départements de France. Mais je voudrais la rappeler aux membres de la délégation qui n’ont pas de responsabilités au sein des assemblées départementales.

En 2012, selon le compte administratif, les dépenses de fonction-nement des départements ont crû de 3,1%. Les dépenses d’investissement ont reculé de 1,1% pour la troisième année consécutive, et l’épargne brute a baissé de 1,2 milliard d’euros. En 2013, selon le compte administratif anticipé, les dépenses de fonctionnement devraient croître de 2,8%.

Nous sommes devant un effet ciseau : des dépenses sociales qui s’accroissent très fortement, en lien avec la situation économique et sociale, et des recettes qui diminuent. Sur les 71 milliards d’euros du budget des

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départements, 34,5 milliards d’euros de dépenses sont consacrées à l’action sociale, dont les 14 milliards d’euros de financement des trois allocations individuelles de solidarité.

La situation département par département est assez hétérogène, mais l’effet ciseau se traduit globalement par une diminution de l’épargne brute, donc de la capacité d’autofinancement nette et de l’investissement. Ceci a des conséquences pour l’économie de nos territoires, en particulier dans deux secteurs-clefs : les travaux publics et le bâtiment. Nous avons rencontré à plusieurs reprises M. Patrick Bernasconi, président de la Fédération nationale des travaux publics, et M. Didier Ridoré, président de la Fédération française du bâtiment : ils sont extrêmement attentifs au budget de nos départements.

En ce qui concerne le financement des allocations individuelles de solidarité, les 102 départements français – les 96 départements métropolitains et les 6 départements d’outremer – ont mobilisé 112 milliards d’euros de dépenses cumulées sur la période 2002-2012, pour une compensation de 40,5 milliards d’euros. Sur l’année 2012, la dépense est de 15,6 milliards d’euros, avec un reste à charge de 6,3 milliards d’euros. En 2016, selon les projections, les allocations s’élèveraient à 18,7 milliards d’euros, pour un reste à charge de 8,6 milliards d’euros. Cette forte croissance serait d’abord celle du revenu de solidarité active (RSA), avec des dépenses qui passeraient en cinq années de 8,2 à 10,4 milliards d’euros, avec un reste à charge qui augmenterait de 1,9 à 3,2 milliards d’euros. Dans ces 3,2 milliards d’euros, 1 milliard est lié à la décision du Premier ministre d’augmenter le RSA de 2% par an pendant cinq ans – malgré son engagement, fin 2012, de financer à 100% cette augmentation. L’allocation personnalisé d’autonomie (APA), en établissement comme à domicile, semble avoir atteint un plafond. Elle passerait de 5,5 à 6,2 milliards d’euros, mais pour un reste à charge de 4,5 milliards d’euros, un peu supérieur à celui du RSA. Enfin, la prestation de compensation du handicap (PCH) est en croissance mais part de beaucoup plus bas. Elle passerait, en l’espace de cinq années, de 1,9 à 2,3 milliards d’euros, avec un reste à charge de près de 1 milliard d’euros.

Ainsi, en l’espace de cinq ans, du compte administratif 2012 aux prévisions pour 2016, le reste à charge augmenterait de 2,3 milliards d’euros - à ramener aux 71 milliards d’euros du budget des départements. Ces chiffres sont validés par tous : la direction générale des collectivités locales, les ministères, Bercy, l’ADF. On a pu constater avec le temps une diminution du taux de couverture des dépenses de l’APA : ce taux est passé de 47% en 2002, lors de la première année d’application de la mesure, à environ 20% aujourd’hui par endroits – avec certes des différences d’un département à l’autre.

Le pacte de confiance et de responsabilité entre l'État et les collectivités locales associe les départements à l’effort de redressement des comptes publics de la nation. Le Gouvernement a retenu dans la loi de finances pour 2014 la proposition du Comité des finances locales. Cela correspond pour les départements à un effort de 476 millions d’euros, de

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recettes en moins ou de dépenses en plus. Le tableau de répartition sera dans le projet de loi de finances pour 2014.

La répartition se ferait en fonction du revenu moyen par habitant, de l’effort fiscal, de la part que représente le foncier bâti, seul impôt direct des départements, par rapport à la masse des recettes. Je ne vais pas m’étendre sur la position de l’ADF sur cette mesure : nous étions extrêmement critiques à l’égard du Gouvernement, je n’ai pas besoin d’y revenir. Je rappellerai juste le rôle que jouent les départements dans la relance de la croissance économique de notre pays. On connaît les leviers que sont l’investissement industriel des entreprises, l’investissement des ménages et la consommation. Il ne faut pas oublier l’investissement public porté par l’Etat et les collectivités. Aujourd’hui, l’investissement des collectivités représente plus de 45 milliards d’euros, avoisinant presque les 50 milliards. Comment oublier l’impact économique de cet outil, dans une conjoncture extrêmement difficile, pour ne pas dire plus ? Certes, on peut demander un effort aux collectivités – et il le fallait – mais une autre approche aurait pu être cherchée. L’une des idées aurait pu être la mise en place de contreparties pour dégager des moyens financiers qui seraient alors réinjectés dans l’investissement public. Le département est aujourd’hui la seule collectivité qui a enregistré une diminution globale de l’investissement. Je reconnais que quelques départements continuent à connaître une croissance de l’investissement, mais l’immense majorité d’entre eux font face à une diminution. C’est notamment le cas des grands départements, des départements très urbains avec une forte démographie, ce n’est plus celui des plus petits départements. La situation n’est pas homogène : grands départements d’un côté et départements ruraux de l’autre. Il existe dans ces catégories des différences en fonction de la gestion du budget – et des choix politiques, il faut le dire, des uns et des autres.

Je pense que l’intérêt de cette audition est lié à la question du financement pérenne des allocations de solidarité. Quelles sont les propositions du Gouvernement sur ce sujet ? Il faut rappeler que l’annonce qui a été faite est le résultat d’une négociation de neuf mois. Celle-ci a débuté après la réunion tenue à l’Élysée le 22 octobre 2012. Dix points ont été évoqués. Le premier est le suivant : le Gouvernement s’engage en faveur d’un financement pérenne et durable des trois allocations individuelles de solidarité dès la loi de finances 2014. Un groupe de travail, dit groupe de travail Matignon, animé par M. Vincent Léna, conseiller-maître à la Cour des comptes, a été mis en place : d’un côté le Premier ministre et l’ensemble des ministres concernés, de l’autre côté l’ADF avec neuf présidents de toutes sensibilités, et celui qui représente l’ADF au sein du Haut conseil du financement de la protection sociale. Et nous avons travaillé avec le groupe technique animé par Vincent Léna. Nous avons ainsi pu arriver au compromis proposé par le Premier ministre lors de la réunion du 16 juillet 2013. Au sein du groupe, il y a eu unanimité concernant le diagnostic, unanimité sur les tendances d’évolution des allocations et, en revanche, discussion sur les solutions possibles.

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Aujourd’hui l’accord porte sur trois points : le premier concerne une recette supplémentaire pour les départements de 827 millions d’euros, résultant d’une réduction des frais d’assiette et de gestion de recouvrement du foncier bâti prélevés par l’Etat. J’ouvre une parenthèse sur ces 827 millions d’euros, car il s’agit d’une proposition intéressante : compte-tenu du contexte économique et financier et de la baisse de 476 millions d’euros des recettes des départements au titre du pacte de confiance et de solidarité, nous n’allons pas rejeter cette proposition d’un revers de main. Chacun peut porter l’appréciation qu’il veut, mais il s’agit toujours d’un gain. En outre, en ce qui concerne les fameux frais d’assiette et de gestion afférents aux impôts locaux, nous sommes plusieurs, moi et d’autres, à dire des choses depuis des années. Quelles que soient les alternances, Bercy retient 4% des recettes en compensation de ses services. Il s’agit de montants importants, et nous serions bien inspirés, au sein des collectivités, de nous en préoccuper.

Je reviens aux trois points de l’accord. Premièrement, donc, un retour de 827 millions d’euros. Il s’agit d’une somme pérenne, durable, actée pour toutes les années qui viennent. Deuxièmement, pour les années 2014 et 2015, la possibilité donnée à chaque département d’augmenter le plafond des droits de mutation à titre onéreux (DMTO) à hauteur de 4,5%. Aujourd’hui le plancher est à 1,2% et le plafond à 3,8%. La proposition est de garder le plancher mais d’augmenter le plafond. J’y reviendrai tout à l’heure, car il y a des aspects qui ne sont pas que d’ordre financier mais qui sont aussi techniques et que l’on retrouve dans la loi de finances. C’est extrêmement important. Nous faisons le calcul, compte-tenu de l’état d’encaissement des DMTO aujourd’hui, qui sont en diminution, d’un supplément possible de 1,3 milliard d’euros. Voilà ce qui est proposé.

Troisièmement, et c’est qui explique la présence de Yves Ackermann à mes côtés, l’ADF a proposé la mise en place d’un fonds de péréquation de 400 millions d’euros, alimenté par l’excédent des DMTO quand ceux-ci sont dynamiques et par la cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises (CVAE). L’idée est celle d’un potentiel fiscal corrigé, n’ayant rien à voir avec le potentiel fiscal et financier qui est appliqué aujourd’hui et qui avait été mis en œuvre en 2010. Le Gouvernement a accepté d’expertiser notre proposition. Les encaissements de ce fonds devraient croître pour atteindre, dans les années 2020, 200 millions d’euros de plus et arriver à une somme de plus d’un milliard d’euros. Toutefois, il ne faut pas oublier qu’il s’agit d’un fonds basé sur les ressources et non sur les charges. Notre dispositif est en cours d’expertise dans les ministères, à la direction générale des collectivités locales. Le Gouvernement a également demandé un rapport à l’Inspection générale de l’administration (IGA). L’IGA vient de produire son rapport, qui n’est pas encore public, et va plus dans le sens des propositions de l’ADF que dans celui de la DGCL sur le sujet. Je le rappelle, pour nous ce fonds est un élément fondamental de l’avenir du financement des fonds péréqués. Tout cela est en discussion au sein de l’ADF, tout n’est pas acté, nous en sommes aux principes. La commission des Finances de l’Assemblée nationale se réunira le

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16 octobre prochain, elle attend que nous lui fournissions une proposition. Nous faisons aujourd’hui des simulations pour voir comment nous pouvons avancer sur le sujet.

Cela signifie qu’il faut replacer tout cela dans un contexte global. Il est important de rappeler que ces fonds sont alimentés par des ressources. Or, plus que le montant de ces fonds, c’est le reste à charge qu’il est important de regarder. Plusieurs idées ont été émises, notamment la mise en place d’un seuil plancher et d’un seuil maximal de reste à charge pour les départements, avec une possibilité d’écrêtement.

Concrètement, voici les différents éléments entrant en ligne de compte : 476 millions d’euros nous sont retirés dans le cadre du pacte de confiance et de responsabilité. Nous bénéficions toutefois de 500 millions d’euros dans le cadre du fonds de mobilisation départementale pour l'insertion (FMDI) qui, au départ, était un fonds ponctuel reconduit d’année en année puis pour une période triennale, et est désormais pérennisé. D’un autre côté, un supplément de 1,3 milliard d’euros est attendu avec l’augmentation potentielle du taux de DMTO à 4,5%. À cela, il faut ajouter 400 millions d’euros de péréquation, 827 millions d’euros au titre de la réduction des frais d’assiette et de gestion, 2,3 milliards d’euros pour la contribution spéciale à l’apprentissage qui est un fonds péréqué, 1,5 milliard d’euros pour l’APA, environ 600 millions d’euros pour la PCH et, enfin, 200 millions d’euros pour les maisons départementales des personnes handicapées (MDPH). Au total, nous avons un ensemble qui représente pour les départements 4 milliards d’euros de recette pour les allocations sociales.

La mise en place d’une péréquation répond à l’idée de faire en sorte que les départements riches soient un peu moins riches, et les départements pauvres un peu moins pauvres. Le rapprochement peut être assez rapide avec un fonds de péréquation. Ce qui est d’ores et déjà acquis c’est, d’un côté, les 827 millions d’euros de réduction de frais de gestion et, d’un autre côté, la liberté d’augmenter le taux des DMTO à 4,5%. La négociation sur les 400 millions de fonds de péréquation est en cours. Même lorsque les recettes des DMTO sont au plus bas, elles produisent encore quelques centaines de millions d’euros pour alimenter un fonds de péréquation. À titre d’exemple, pour l’année 2013, plus de 20 millions d’euros viendront des écrêtements des DMTO. Pour la loi de finances 2014, il y aura un fonds qui sera alimenté à 460 millions d’euros par les DMTO et la CVAE. Si cela remonte, des moyens financiers plus importants seront disponibles.

Aujourd’hui, tous les taux de DMTO sont au plafond. Selon le Code des impôts, ce taux plafond est un taux par défaut : les départements ont la possibilité de le diminuer. Pour procéder à cette modification, il est nécessaire de délibérer avant le 30 juin, la mesure est alors applicable au 1er janvier de l’année suivante. Si rien ne change, ce qui est prévu n’entrera en vigueur qu’en 2015, ce n’est pas acceptable. C’est pourquoi nous demandons que la délibération soit possible au 1er janvier pour une entrée en vigueur en mars.

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Une négociation est actuellement en cours avec le Gouvernement pour que s’applique dès le 1er janvier la possibilité d’augmenter les taux à 4,5%. Le Gouvernement est favorable à ce que chacun ait la liberté d’augmenter les taux, il l’indique dans le projet de loi de finances pour 2014.

En outre, nous partons du principe que puisqu’un effort nous est demandé pendant deux ans, il est alors possible d’imaginer qu’avec des taux à 4,5%, 0,7% soit consacré à alimenter un fonds de péréquation. Il y a une discussion politique sur ce sujet, elle va traverser toutes les sensibilités. En effet, si un accord a été trouvé sur le principe, les modalités d’application sont difficiles à fixer. Il n’existe pas de solution parfaite, dans la mesure où des inégalités existent au départ. Tout le travail de M. Ackermann a été de proposer un système où l’on part d’un instant « t » pour redéfinir les indices de richesses et de ressources afin de répartir le fonds de péréquation.

M. Bruno Retailleau

Je souhaite faire deux remarques. Tout d’abord le compte n’y est pas. En effet, si l’annonce porte sur deux milliards d’euros, elle doit être comparée aux 6 milliards d’euros du coût des allocations sociales. Le reste à charge est de 4 milliards d’euros. En outre, les départements perdent 476 millions d’euros de recettes en dépit de l’engagement présidentiel n°54, lequel assurait la garantie du niveau de dotations au niveau actuel. Or, les collectivités toucheront 1,5 milliard d’euros de moins cette année et, en 2015, ce seront 3 milliards d’euros en moins par rapport à 2013. Dans mon département, entre la réforme des rythmes scolaires, le transport scolaire, l’affiliation obligatoire des élus, les mineurs isolés, j’en ai déjà pour 4 points supplémentaires de fiscalité pour tout financer. Ainsi, alors que l’on baisse les dotations, l’Etat continue au même moment à mener des politiques qui sont mises en place et financées par les collectivités. En outre, je trouve « fort de café », si vous me permettez l’expression, que l’Etat rachète en quelque sorte sa dette auprès des départements en matière de dépenses sociales en leur permettant d’augmenter la fiscalité locale. Par ailleurs, nous avons eu récemment l’exemple de la double peine que peut représenter un fonds de péréquation pour des départements. En effet, ceux qui choisiront d’augmenter le taux des DMTO à 4,5% - et ainsi prendre un risque politique - verront la portée de l’effort fiscal de leurs habitants diminuée du fait de la péréquation. Enfin, pour moi il ne peut y avoir de fonds de péréquation pour payer des restes à charge. En effet, la péréquation répond à une autre logique.

M. Albéric de Montgolfier

J’abonde dans le sens de mon collègue, et je trouve cette audition intéressante. Mais il aurait également fallu souligner que les charges afférentes ont été évaluées de manière très précise lors du comité des charges locales (CCL), tant par le ministre du Budget, que par le président de la Commission consultative d’évaluation des normes (CCEN).

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Celui-ci, selon le rapport d’Alain Lambert, estime le montant des charges nouvelles pour cette année à 3 milliards d’euros, 650 millions d’euros pour les rythmes scolaires, 350 millions d’euros pour les catégories C de la fonction publique. Toutes ces charges sont chiffrées et ont été entérinées par le ministre du Budget lors de la réunion du CCL. Il faut donc également mettre en relief les charges nouvelles liées à ces contraintes.

Sur la question des DMTO, avoir la possibilité d’augmenter cet impôt est un peu surprenant. Tous les départements sont déjà au taux maximum. En pratique, il y a presque déjà un taux unique. Il faudrait que cette possibilité d’augmentation soit traduite en loi de finances et que cela puisse prendre effet en 2015. Au moins, la loi de finances a un effet immédiat.

Sur la péréquation, il s’agit d’un bon instrument, mais il n’y a jamais de simulation. Nous ne disposons pas de visibilité. Ni le ministère des Finances ni celui de l’Intérieur ne sont capables de produire des chiffres. Donc, lors de l’examen de la loi de finances, nous ne pouvons pas obtenir de chiffres. Nous devons voter des dispositifs dont on ne sait pas évaluer les conséquences. Il faudrait trouver un système plus efficace.

M. Éric Doligé

Lors de la réunion du Bureau de l’ADF, il nous a été indiqué que, dans le projet de loi de finances pour 2014, il devrait y avoir la possibilité d’augmenter les droits de mutation de 3,8 % à 4,5 %. La question est donc de savoir s’ils seront fixés à 4,5 % et si la péréquation sera mise en œuvre. Lorsque j’ai interrogé M. Cazeneuve, celui-ci m’a dit que la péréquation n’était pas prévue. Le dispositif pour les 827 millions d’euros était en place, mais la question de l’augmentation des droits de mutation de 3,8 % à 4,5 % n’était pas encore tranchée. Si ces droits ne montent pas à 4,5 %, il est prévu 1,130 milliard d’euros dans le projet de loi de finances. Ce chiffre doit être vérifié. Si l’on passait à 4,5 %, l’ADF annonçait que la péréquation porterait sur la recette théorique correspondante. C’est une réflexion qui existe actuellement, mais le ministre des Finances n’est pas dans cette ligne de conduite. Est-ce qu’il faudra déposer des amendements sur le sujet ?

La question est alors de savoir quelle est la position à défendre, puisque la position de l’ADF est différente de celle du ministère des Finances. Est-ce l’ADF qui décide pour les choix budgétaires des collectivités ? Est-il possible de raisonner sur des sommes pour lesquelles il n’existe aujourd’hui aucune assurance de perception future ?

M. Yves Ackermann, président du conseil général du Territoire de Belfort

J’apporterai à M. Retailleau une réponse en deux temps : d’abord une réflexion personnelle sur l’évolution des charges, ensuite le compte rendu des travaux de la commission de l’ADF, que je présidais, sur les moyens d’y faire face.

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Je partage l’analyse de M. Retailleau : il y a bien deux modalités de remboursement aux départements des aides individuelles de solidarité. Ces charges, évaluées par l’État à 4,8 milliards d’euros, et par l’ADF à 6,2 milliards d’euros, doivent impérativement être compensées par l’État. Cette compensation doit être calculée en fonction du reste à charge pour les départements, pour coller au plus près de la réalité financière.

Vous savez comme moi que certaines péréquations ne sont pas fondées sur la réalité. C’est par exemple le cas de l’APA dont les remboursements par l’État sont calculés sur le nombre de personnes âgées résidant dans le département. Or, certains départements du sud de la France sont peuplés de beaucoup de personnes âgées, mais peu d’entre elles relèvent de l’APA, alors que d’autres départements, peuplés en majorité d’actifs, sont très sollicités dans ce domaine.

Le deuxième pilier est composé des ressources fiscales des départements. La commission compétente de l’ADF a mené une réflexion d’ordre général visant à créer un système de ressources cohérent. Il ressort de ces travaux que deux départements, Paris et les Hauts-de-Seine, disposent de recettes fiscales en croissance continue ; seize autres sont dans la même situation, mais pour des montants moindres. Cet état de fait a été accentué par la réforme de la taxe professionnelle. Au total, l’écart entre les départements les plus riches et ceux les plus pauvres est de 1 à 7, et notre objectif est de réduire cet écart, par la péréquation, de 1 à 5.

Les simulations faites montrent que les dix-huit départements les plus riches n’enregistreront pas de baisse de recettes, sauf Paris, qui se trouve dans une situation exceptionnelle. En effet, la plus grande part de l’impôt sur le foncier bâti y est acquittée par les entreprises, ce qui permet de pratiquer une faible imposition des particuliers.

M. Claudy Lebreton, président de l’ADF

Les représentants des régions et des communes ont exprimé le souhait d’obtenir des compensations du même ordre que celles que l’ADF a pu négocier. L’AMF a ainsi réclamé un déplafonnement des DMTO au profit des communes, alors que le bloc communal est relativement préservé dans sa capacité à prélever l’impôt, qui représente 42 % du total de ses recettes, à la différence des départements, dont le potentiel fiscal a chuté à 12 % des recettes totales.

Pour faire des comparaisons cohérentes entre les situations réelles dans les départements, il faudrait mettre en place un observatoire des finances publiques départementales. Je prendrai l’exemple de la protection de l’enfance, pour laquelle mon département, en 2011, a dépensé 13 millions d’euros de plus qu’en 2010, pour 1 200 enfants placés. En Isère, le nombre des enfants placés est le même, alors que la population départementale est très supérieure. Ce différentiel s’explique par une conception du risque plus

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étendue dans les Côtes-d’Armor qu’en Isère. Nous avons donc adopté des critères plus stricts, ce qui nous a permis d’économiser 6 millions d’euros.

J’estime que certains départements qui disposent d’une grande métropole pourraient utilement se dispenser de faire du développement économique. Je rappelle que le département de l’Indre, présidé par le sénateur Louis Pinton, a été désigné par l’Express premier département le mieux géré de France, suivi des Landes, et, en troisième position, de la Haute-Marne.

À l’évidence, le RSA devrait relever de la solidarité nationale ; le prochain projet de loi sur l’autonomie des personnes âgées posera, dès 2014, la question des charges relevant de ce secteur. Pour l’heure, la question la plus pressante touche à la nature du potentiel fiscal qu’il convient de donner aux départements

Un deuxième élément concerne le relèvement des DMTO. Il s’agit d’augmenter une taxation à un moment où un citoyen acquiert un bien immobilier. Le citoyen paie une fois, au moment de son achat : ce n’est donc pas une fiscalité pérenne. Nous avons calculé l’impact de l’augmentation du droit de mutation à titre onéreux à 4,5 % sur des biens achetés jusqu’à 250 000 euros. L’ADF a aussi établi des projections au regard de la situation de certains départements. Par exemple, pour un département de plus de 500 000 habitants, le passage à 4,5 % représenterait pour 2014 un gain de 21,2 millions d’euros. Ce chiffre descend à 19,7 millions si l’on met en œuvre le taux de solidarité de 0,7 %. À partir de ces ordres de grandeur, il appartient à chaque département d’apprécier l’opportunité de mettre en œuvre cette faculté. Le débat classique sur la bonne ou la mauvaise gestion du département, le poids de l’héritage des équipes précédentes, etc., aura naturellement lieu.

En matière de péréquation, il est intéressant de voir ce que produit le fonds Ackermann sur les 400 millions d’euros de péréquation de 400 millions d’euros alimenté par l’excédent des DMTO et par la CVAE, avec le potentiel fiscal corrigé. Il y a vingt départements qui contribuent, le plus petit apporte à peu près 100 000 euros ; deux départements, Paris et les Hauts-de-Seine, apportent 75 % du fonds, qui profite à 81 départements, qui touchent entre 1 million et 30 millions.

Mme Jacqueline Gourault, présidente

L’effort fiscal est-il pris en compte, et à quel niveau ?

M. Yves Ackermann, président du conseil général du Territoire de Belfort

Sur le fonds de péréquation, le prélèvement prévu est de l’ordre de 200 millions d’euros par an. Les simulations dont on dispose actuellement montrent que les recettes de tous les départements continuent de progresser, à l’exception de Paris, qui serait conduit à diminuer quelques dépenses ou à augmenter les impôts de l’ordre de un à deux points pour conserver son train de vie.

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M. Claudy Lebreton, président de l’ADF

Une négociation est en cours avec le Gouvernement sur la possibilité du 0,7 %. Le bureau de l’ADF tranchera cette question lors de sa réunion du 15 octobre.

M. Bruno Retailleau

La loi de finances n’est pas applicable en juin mais en janvier. Si le taux des droits de mutation à titre onéreux est porté à 4,5 %, je préférerais qu’on l’applique à tout le monde, comme aujourd’hui tout le monde applique celui de 3,8 %. Il faudrait en outre que l’effet de la mesure couvre tout l’exercice 2014.

M. Gérard Miquel

Nous sommes un certain nombre de présidents de conseil général autour de cette table. Notre président nous explique ce qu’il a obtenu du Gouvernement. Il est vrai que la compensation n’est pas complète, mais l’avancée est indéniable. Il y a longtemps que nous n’avions pas obtenu des sommes aussi importantes pour compenser le « reste à charge » que nous dénonçons depuis longtemps. Dans cette affaire, je me méfie beaucoup des amendements parlementaires de dernière minute, surtout si la situation que nous avons connue l’année dernière au Sénat se reproduit : nous n’avons pas examiné la deuxième partie du projet de loi de finances, dans un tel cas c’est l’Assemblée nationale qui décide, ce qui ne me satisfait pas. Nous serons forts si nous sommes en mesure d’élaborer, au sein de l’ADF, un mécanisme que nous pourrions alors présenter au Gouvernement et, si l’accueil est favorable, que nous pourrions voter au Sénat. La cause serait alors entendue. Sur les 827 millions d’euros transférés par l'État, il n’y a pas de discussion : il nous faut trouver un mécanisme pour les répartir. Pour ma part, je crois qu’il nous faut tenir compte du potentiel fiscal et de l’effort fiscal. Si certains départements n’ont pas besoin de faire un effort fiscal parce qu’ils encaissent des droits de mutation importants, il faut en tenir compte. Ensuite, il faut tenir compte d’une répartition entre les trois restes à charge. Le plus important est celui du RSA ; on pourrait aller dans ce cas vers 60 % ; pour l’APA, on pourrait prévoir quelque 30 % ; pour l’APCH, ce pourrait être 5 à 10 %. Il faudrait autoriser les départements à fixer à 4,5 % le taux des droits de mutation à titre onéreux sans en faire une obligation et dire que l’on prélève sur cette possibilité d’augmentation un montant de 0,35 % ou 0,40 % pour abonder les 827 millions. Et là, nous aurions une masse budgétaire intéressante à répartir. Il faudrait prévoir, en complément, un mécanisme de plafond et de plancher, avec un plancher fixé à 32 % et un plafond fixé à 40 % compte-tenu de l’effort fiscal et du potentiel fiscal du département. Il me semble qu’avec ce mécanisme, on parviendrait à obtenir une compensation et une péréquation toutes deux intéressantes.

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Je salue le travail de Claudy Lebreton pour obtenir du Gouvernement une avancée que j’estime satisfaisante par rapport à ce que nous avons connu les années passées, quand nous voyions les dépenses exploser et les compensations ne pas arriver.

M. René-Paul Savary

Je souhaite faire deux remarques. Tout d’abord, je suis très méfiant vis-à-vis de la théorie du « aide-toi et le ciel d’aidera », car c’est justement cette dernière qui explique la situation d’endettement actuelle. Deuxièmement, je trouve incroyable que la solution proposée par le Gouvernement soit de donner la permission aux présidents de conseil général d’augmenter les impôts locaux, et ceci dans le but de financer une politique décidée au niveau national. Selon moi, il est impératif, à partir du moment où il s’agit d’une politique nationale, de prendre la décision au niveau national de fixer le taux à 4,5%. La responsabilité de l’élu ne doit pas porter sur une augmentation du taux, mais au contraire sur une baisse de celui-ci : à charge pour lui d’expliquer pourquoi il souhaite que dans son département le taux soit inférieur à 4,5%. Enfin, on demande aujourd’hui à ceux qui investissent dans nos territoires de subvenir à des dépenses effectuées dans un autre département, par le jeu de la péréquation, pour payer des charges nationales.

Mme Annie David, présidente de la commission des Affaires sociales

Le débat est très technique. J’interviens ici en tant que membre du groupe CRC. Je partage certains points évoqués par mon collègue René-Paul Savary. Il s’agit de politiques sociales nationales, que je soutiens par ailleurs, et elles devraient dès lors être financées par l’Etat. En outre, je regrette que pour trouver de nouvelles recettes, l’on impacte des habitants d’un département qui peuvent déjà connaître des difficultés. Pour payer des solidarités nationales, on va faire payer des citoyens qui sont parfois dans des situations difficiles. J’entends bien qu’en matière de DMTO et de CVAE, on ne touche pas forcément ce public, mais il ne faut pas oublier que beaucoup peuvent être soumis à des difficultés locales. D’autres possibilités de recettes sont peut-être possibles. Lors de l’examen du projet de budget, le groupe CRC fera des propositions de recettes nouvelles. Si elles ne peuvent être prises en compte, il sera alors complexe de trouver des financements pour mettre en place une politique sociale. Enfin, la question a été posée de savoir si la commission des Affaires sociales soutiendra la proposition de porter le plafond du taux des DMTO à 4,5%. Je ne sais pas quelle sera notre position, mais je pense qu’il faut trouver des recettes ailleurs que dans la poche des plus démunis et des habitants. Je suis très favorable à ce que l’ADF réclame des recettes qui ne touchent pas directement les habitants des territoires pour des politiques nationales.

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M. Louis Pinton

Depuis le début de la réunion, la solution qui nous est présentée pour résoudre en partie les difficultés des départements consiste en une augmentation des recettes. M. Lebreton a d’ailleurs expliqué que cette augmentation des DMTO n’aurait au final que peu de répercussions sur les habitants, dans la mesure où ils ne payent les DMTO qu’une seule fois. Or, c’est tout de même chaque année un prélèvement de 1,4 milliard d’euros.

Monsieur le président Lebreton, estimez-vous que certains départe-ments pourraient faire des efforts pour améliorer la qualité de leurs comptes ?

M. Claudy Lebreton, président de l’ADF

Ma réponse est oui.

M. Louis Pinton

En situation de difficultés financières, certes il faut s’adresser aux recettes, mais également réaliser des économies de dépenses. L’augmentation des recettes est relativement facile en raison du caractère indolore des solutions choisies, mais il faut aussi s’interroger sur la qualité de la dépense et sur son efficacité.

M. Claudy Lebreton, président de l’ADF

La proposition qui nous est faite est de faire un effort exceptionnel pour les 3,5 millions de foyers français les plus fragiles. Cette politique envers ce public sera en partie financée par ceux qui acquièrent un bien. Il y a une différence entre un appartement à 70 000 euros et une maison à 200 000 euros et, entre les deux, certains ont les moyens de participer à un effort national de solidarité.

M. Louis Pinton

L’effort financier doit être fourni en fonction des capacités contributives, et parfois, celui qui achète un appartement à 70 000 euros n’a pas les moyens de payer 0,7 point de DMTO en plus.

M. Claudy Lebreton, président de l’ADF

Sur cette mesure exceptionnelle, il est proposé de prélever 0,7 % pour alimenter un fonds national de solidarité pour les départements, mais à un principe de solidarité nationale répond un financement national. En outre, les 827 millions d’euros que les départements vont recevoir relèvent également d’une logique nationale. Le seul élément véritablement local est la liberté qu’auront les départements d’augmenter ou non le taux de DMTO à 4,5%.

J’en viens au deuxième point. Nous avons, Madame la présidente de la commission des Affaires sociales, formulé 55 propositions dans le débat.

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Nos collègues du groupe UMP proposaient la suppression d’un jour férié, l’instauration d’une seconde « journée de solidarité ». Nous qui étions hostiles au principe de cette journée, aujourd’hui instituée, avons soutenu la proposition de loi Roche tendant à élargir la contribution de solidarité pour l'autonomie aux travailleurs non-salariés et aux retraités, proposition de loi qui a d’ailleurs été votée par le Sénat. L’ADF y était favorable à l’unanimité. Nous avons aussi fait des propositions sur les retraites, le financement des maisons départementales des personnes handicapées. Nous avons mis toutes ces propositions, grandes et petites, sur la table, elles ont toutes été rejetées. En tant que président de l’ADF, j’ai été sans concession à l’égard du Gouvernement, car il s’agissait de l’intérêt des départements. En l’absence de solutions, certains départements n’auraient plus été en mesure, à l’automne, de financer les allocations individuelles de solidarité. Il a donc été décidé de tester l’idée du déplafonnement des droits de mutation à titre onéreux.

Dans l’engagement que nous allons signer avec le Gouvernement sur le RSA, le Premier ministre a accepté, le 16 juillet dernier, un amendement qui dispose que le financement du RSA relèvera de la solidarité nationale d’ici la fin du quinquennat. C’est un nouvel engagement, après celui du Président de la république en octobre 2012 sur la pérennité de nos financements.

M. Yves Ackermann

Pour prendre l’exemple de mon département, le Territoire de Belfort, nos dépenses de fonctionnement représentent 100 millions d’euros. Le reste à charge nous coûte 20 millions d’euros par an. Si quelques départements peuvent encore diminuer leurs dépenses, la grande majorité d’entre eux est en extrême difficulté.

M. Louis Pinton

Les dépenses de personnel par habitant vont cependant parfois du simple au double. Il reste dans certains départements beaucoup d’efforts et d’économies à faire sur la dépense publique. C’est une question de crédibilité.

M. Gérard Miquel

Il ne faut pas laisser croire que beaucoup de départements sont mal gérés, qu’ils ont recruté un nombre incalculable de personnes. Nous avons tous fait des efforts. Certains départements ont intégré un certain nombre d’actions et les gèrent avec leur personnel, quand d’autres départements les ont déléguées. La différence se situe souvent à ce niveau. Deux départements sont en situation d’autofinancement négatif, c’est-à-dire qu’ils empruntent pour payer le fonctionnement, et il y en aura d’autres très rapidement si on ne fait rien. On a fait de l’optimisation, de la mutualisation de moyens. Il peut encore y avoir quelques exemples de départements qui ont de gros moyens et qui n’ont pas encore fait tout ce qu’ils pouvaient faire, mais ne généralisons pas.

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Trop souvent, on donne à penser à l’opinion que les élus gèrent mal, dépensent n’importe comment l’argent public. Dans 95% des cas, peut-être plus, je crois que c’est totalement différent.

M. Claude Haut

Je voudrais réagir aux propos de notre collègue, car je pense qu’il faut éviter de généraliser les choses. En termes de personnel et de gestion, tous les départements ne sont pas les mêmes. Vous avez, par exemple, des départements qui ont un pourcentage de RSA très élevé. Il faudra plus de personnels sociaux là où il y a 50 000 bénéficiaires du RSA que dans un département qui en compte 10 000. Evitons toute généralisation, chaque département est différent et a une structure différente. Donc on ne peut partir d’un exemple - certainement vrai d’ailleurs - et le généraliser à tous les départements. Dans certains départements, le pourcentage d’agents par rapport au nombre d’habitants est certes plus élevé que dans d’autres, mais il y a des raisons à cela.

Pour moi, tous les présidents de département ont fait des efforts, chacun de leur côté, à quelques exceptions près : il y aura toujours des cas particuliers. L’ensemble des départements, pour ne pas dire la totalité, ont essayé de compresser les bases tant qu’ils ont pu et ont essayé de ne pas embaucher des personnels quand ils partaient à la retraite. Je crois que chacun a fait ces efforts. Je crois aussi, devant les difficultés qui ont été les nôtres pendant toutes ces années, devant aussi le manque de soutien que nous avons quelquefois connu ces dix dernières années, que le compte n’y est pas et je suis d’accord avec tout ce qui a été dit, mais je suis content de prendre ce qu’on va nous donner.

Mme Jacqueline Gourault, présidente

Je pense que, comme dans tout système, il y a des brebis galeuses, mais je crois comprendre ce que veut dire aussi Louis Pinton : il faut toujours essayer de faire des économies de fonctionnement. Je pense que tout le monde est d’accord, et ceci dans toutes les collectivités territoriales.

M. Albéric de Montgolfier

Avec Claudy Lebreton, nous avons tous partagé le diagnostic qui a été fait. Les 55 propositions, sauf erreur de ma part, nous les avons partagées également. Ma déception ne vient pas de ce que le Gouvernement ne nous aurait pas donné. Je considère qu’au vu de la situation des finances publiques, l’effort est tout à fait méritoire et doit être salué. Pour moi, la vraie déception vient de ce qu’aucune mesure n’a été retenue du côté des économies. Je prends un exemple très concret : depuis le vote au Sénat de la proposition Roche relative aux allocations familiales, il n’y a eu aucune évolution. Quel est l’avenir de cette proposition qui a été votée à la quasi-unanimité au Sénat - seulement 16 voix contre ?

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Lors de la réunion à l’Elysée, j’ai posé une question au Président de la République, qui a dit que c’était une question qu’il fallait impérativement traiter. Par ailleurs, là aussi à la quasi-unanimité, le Sénat avait posé la question de la remise en cause du principe de non-récupération sur les grosses successions, dans le cadre du financement de la dépendance. Le Président de la République avait dit, toujours lors de cette réunion, qu’on ne pouvait continuer ainsi, et qu’il s’y engageait. Du côté de la dépense, nous n’avons aucune réponse.

Je ne fais pas partie de ceux qui se contentent de dire que l’on doit avoir plus, que l’on doit être compensé, car ceci revient à augmenter les prélèvements obligatoires. Notre taux de prélèvements obligatoires est le plus élevé du monde. Le ministère des Finances nous répondra à juste titre qu’il ne peut pas faire plus. Je crois réellement que nous avons atteint les limites en termes de prélèvements obligatoires. On ne peut pas avoir une dépense sociale qui continue à progresser de deux chiffres par an, alors que le taux de croissance est à zéro.

Je pose donc la question à Claudy Lebreton : a-t-on les moyens d’espérer du côté des dépenses un certain nombre de mesures qui permettront de ralentir le rythme de leur croissance ? Sinon, cela m’inquiète et je me pose la question de savoir si l’ADF a encore une voix. Car on peut aussi dire que l’on met l’année prochaine le taux de prélèvements obligatoires des DMTO à 5% ! Au fond, après 4,5%, pourquoi pas 5% ? Dans cette logique, nous pourrions fixer le taux à 6% aussi ! On ne peut pas continuer indéfiniment cette folie fiscale parce que nos concitoyens n’en peuvent plus. Toutes ces pistes ont été évoquées. Qu’en est-il de la proposition Roche ? Qu’en est-il de la proposition de notre collègue M. Béchu sur les allocations familiales ? Qu’en est-il de la récupération sur les grosses successions d’allocations versées par les départements ? Ces questions me paraissent aujourd’hui les plus fondamentales.

Mme Jacqueline Gourault, présidente

Ce débat entre présidents de conseil général est très intéressant et je regrette que les membres de la délégation qui ne sont pas conseiller général ne soient pas tous venus. Je pense qu’il est toujours important de savoir ce qui se passe dans chaque niveau de collectivités territoriales, parce que nous sommes ici des sénateurs, et que nous devons avoir une vision globale. C’est pourquoi nous avons besoin d’échanges sur l’ensemble des collectivités. Il y a le CFL, mais avouons que ses débats sont parfois un peu technique : nous aurions besoin de pédagogie sur des choses assez simples. Après nous rentrons dans des techniques financières qui nous font perdre de vue l’essentiel.

En tout état de cause, la politique de solidarité sociale est en réalité une politique déconcentrée de l’Etat. Il faudrait que nous apprenions à employer les bons termes, car on parle parfois de décentralisation quand on ferait mieux de parler de déconcentration, je crois que cela serait mieux.

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LE SECTEUR PUBLIC FERROVIAIRE ET LES COLLECTIVITÉS

TERRITORIALES

(mardi 22 octobre 2013)

Examen du rapport d’information de M. Edmond Hervé

Mme Jacqueline Gourault, présidente

Mes chers collègues, je vous remercie de votre présence. Je voudrais, avant de passer la parole à notre collègue Edmond Hervé, accueillir M. Jean-Pierre Vial, qui rejoint notre délégation en remplacement de M. Pierre Hérisson. M. Vial m’avait sollicitée à plusieurs reprises au sujet des normes d’accessibilité – je vous proposerai une initiative à cet égard à la fin de la réunion en évoquant nos travaux à venir. Je cède tout de suite la parole à M. Edmond Hervé, pour parler du secteur ferroviaire français et des collectivités territoriales.

M. Edmond Hervé, rapporteur

Le Sénat va être saisi du projet de loi de réforme ferroviaire. Les sénateurs disposent de très nombreux documents pour alimenter leurs réflexions sur le système ferroviaire français et son devenir. Je me suis permis dans la première partie des propositions d’énumérer les principales d’entre elles. Bien évidemment, cette liste n’est pas exhaustive.

Par ailleurs, je pense également que nous devrions être capables de dégager des éléments constitutifs d’un consensus. Le premier élément de consensus est à mon sens que nous disposons en France d’un système ferroviaire qui a fait ses preuves. La France possède une véritable valeur ajoutée en matière de transports en commun et j’ai toujours pensé que nous ne la valorisons pas suffisamment à l’étranger. Cela pourrait constituer un point fort de la coopération décentralisée.

Le deuxième élément de consensus porte sur le succès de la régionalisation du transport ferroviaire de voyageurs. Les régions ont investi pour ce réseau, au-delà de leurs compétences, que ce soit par l’achat de matériel ou dans la maintenance. Mais elles ont également contribué, avec d’autres collectivités territoriales, à la construction des lignes TGV dans notre pays. En outre, certaines régions n’ont pas attendu la décentralisation pour s’intéresser de manière très active au ferroviaire. Je voudrais citer la région Nord-Pas-de-Calais. M. Michel Delebarre pourrait développer ce point. À la fin des années 1970, en dehors de tout texte de loi, la région a procédé à un emprunt, lequel a ensuite été acheminé vers la SNCF, M. André Chadeau était alors préfet. La SNCF, grâce à cet emprunt, a fait circuler dans la région

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Nord-Pas-de-Calais des trains et wagons rénovés répondant aux attentes des voyageurs. Je cite cet exemple pour montrer qu’il existe dans notre pays des possibilités et des réalités en matière d’innovation.

Un autre point de consensus est la priorité qui doit être donnée à la conservation et à l’amélioration de l’existant. C’est d’ailleurs l’un des grands axes du rapport Duron, dont nous avons beaucoup parlé dernièrement.

La question de la dette est également importante. Il ne faut pas oublier qu’il s’agit d’un investissement au bénéfice de la collectivité et du service public. La dette doit intéresser toutes les autorités publiques. J’envie à cet égard l’Allemagne qui, en 1994, a pris à sa charge, par l’intermédiaire de l’État fédéral, la totalité de la dette des chemins de fer. Mais nous ne sommes plus dans cette situation aujourd’hui.

En outre, le contexte est en pleine évolution, tout le monde s’accorde là-dessus. L’une des grandes questions est de savoir si nous assistons aujourd’hui à « la fin de l’âge d’or du TGV », pour reprendre le titre d’un article paru dans Le Monde d’hier. En effet, la fréquentation des TGV est en recul, les nouvelles lignes sont moins rentables et l’on constate une hausse des coûts d’infrastructure. Que peut-on alors attendre des économies de gestion ? J’ai été très surpris d’apprendre à la lecture de cet article que le directeur de la branche « voyages » de la SNCF a annoncé qu’une très forte réduction a été réalisée sur les coûts de la production.

En matière de fret, l’on ne peut que constater un déclin. Les autorités de la SNCF ne croient pas au fret au niveau national. Doit-on parler de déclin ou de délaissement ?

Enfin, le dernier élément de consensus, qui n’est toutefois pas perçu par toutes les parties prenantes, est la perspective de l’ouverture à la concurrence, à partir de 2019 du transport régional de voyageurs, sauf à changer les règles européennes. Or, il faut rappeler que la concurrence ne signifie pas l’exclusion de la SNCF, qui a toute autorité pour participer à la mise en concurrence.

Passons maintenant aux résolutions. La première peut apparaître comme une banalité mais, on l’a oublié, l’État doit retrouver sa fonction de stratège et d’autorité organisatrice du système ferroviaire français. Lorsque je parle d’État stratège, cela signifie par exemple que le tracé d’une ligne TGV n’a pas à être déterminé en fonction de la participation ou de la non-participation financière de telle ou telle collectivité territoriale. Il est important qu’il y ait une vision claire de ce que doit être le service public.

Le Parlement doit jouer son rôle de contrôle. J’attends beaucoup du prochain débat parlementaire sur le projet de loi adopté en conseil des ministres le 16 octobre dernier. Par ailleurs, les collectivités territoriales doivent avoir une représentation dans les instances dirigeantes ferroviaires nationales. La SNCF ne peut être un État dans l’État.

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Enfin, dans la période actuelle, tout transfert de charge vers la région est à proscrire sauf accord de celle-ci ou s’il favorise explicitement le service public régional.

En ce qui concerne les évolutions attendues de la SNCF, on peut citer plusieurs pistes. Tout d’abord, la SNCF doit vivre avec la décentralisation, reconnaître pleinement l’existence et les compétences des autorités organisatrices de transports décentralisées. C’est une question culturelle qui mérite d’être posée. La SNCF doit apporter une réponse et se défaire de sa « culture de domination », cela a souvent été relevé par les personnes auditionnées. J’ai aussi ressenti l’influence de cette culture dans l’exercice de mes anciennes fonctions de maire et de président de la communauté rennaise.

En outre, la SNCF doit respecter les principes de transparence financière et technique. Les directives européennes y invitent. Je pense à celles du 29 juillet 1991 et du 26 février 2001, mais également à la législation française concernant les comptes d’exploitation conventionnels, les comptes détaillés de ligne, la qualité de service ou encore les conditions d’exploitation du transport. Je trouve stupéfiant qu’il faille insister fortement pour obtenir des comptes de lignes. Celles et ceux qui ont des délégations de transport public dans leurs villes savent ce que je veux dire. Deux régions SNCF sont actuellement en expérimentation : la Bretagne et le Limousin. Dans le cadre de l’expérience bretonne, la SNCF s’est engagée à produire des comptes de lignes. Cela permettra de comparer les coûts et les rentabilités. La transparence technique et financière permettra également d’éclairer un vieux débat : pour les uns le TGV finance les TER, pour d’autres c’est l’inverse. C’est un débat qui existe, il faudrait y mettre un terme.

Je souhaite raconter une anecdote au sujet de cette transparence. La région Limousin éprouvait des difficultés à avoir un décompte exact de la fréquentation des TER, élément impactant directement la comptabilité. Elle a donc mis en place une petite équipe pour comptabiliser la fréquentation quotidienne. Cela a été très mal pris par la SNCF. Un autre élément très concret et intéressant en matière de transparence financière et technique concerne les travaux de maintenance et d’entretien. Selon certaines personnes auditionnées, les entreprises agréées par la SNCF auraient – et j’utilise bien le conditionnel – des coûts 40% supérieurs à ce qu’ils estimeraient être des coûts normaux.

Par ailleurs, la SNCF doit s’habituer à une certaine simplification. L’organigramme actuel n’est pas le plus simple. Toutes les personnes auditionnées extérieures à la SNCF se sont retrouvées pour estimer que le directeur régional de la SNCF devait être une autorité déconcentrée authentique ayant une réelle capacité de coordination. Or ce n’est pas le cas aujourd’hui. Une véritable décentralisation n’est pas possible sans une déconcentration des grandes entreprises. Les autorités décentralisées ont besoin d’un interlocuteur qui dispose d’un réel pouvoir. La question qui se pose est de savoir si les directeurs régionaux sont favorables à cette extension de pouvoir : certains le sont, d’autres moins. Le profil des directeurs régionaux

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a également son importance. Il est indispensable que le directeur régional ait une compétence en matière de fret régional.

Enfin, la gestion du foncier et de l’immobilier laisse à désirer. La SNCF veut constituer des réserves, ce qui est tout à fait légitime. Mais un meilleur usage de ce foncier est possible et la nécessité de réserves ne doit pas être confondue avec un conservatisme coûteux. De larges possibilités de valorisation existent.

Les évolutions attendues des collectivités territoriales sont également nombreuses. Tout d’abord, la région doit exercer pleinement ses compétences dans le cadre d’un schéma régional établi en concertation. Je ne reviendrais pas sur la définition du chef de file. Nous en avons suffisamment discuté au Sénat. Et je dois dire que la définition du chef de file qu’a proposée le Sénat est une excellente définition, puisqu’elle met l’accent sur la coordination. Toutes les collectivités territoriales autorités organisatrices des transports doivent être associées et y participer. En outre, j’estime que dans le cadre du schéma régional ferroviaire, la région doit définir des orientations dans le fret de proximité. Il y a des expériences, des recherches à mener, en matière de technologie par exemple. Je ne suis pas un expert du wagon isolé, et je ne peux donc me prononcer, mais j’estime nécessaire d’étudier cette question. Ce qui est clair, c’est que si on laisse l’organisation du fret régional à la seule SNCF, il n’y aura pas de fret de proximité. Dans cette optique, un dialogue entre la SNCF, RFF et les collectivités doit être instauré. Il doit notamment porter sur la formation des agents. Il y a en effet une perte de connaissance importante que ce soit, par exemple, sur l’assemblage et la recomposition de trains ou en matière d’horaires. En outre, il faut également voir si les infrastructures peuvent être remises en état. Il y a en effet des régions où les infrastructures ont été totalement abandonnées.

Par ailleurs, pour faciliter les relations de la SNCF avec les régions, il serait souhaitable que l’ARF exerce une fonction d’expertise conseil, sans monopole, et participe à la reconnaissance de clauses générales susceptibles de se retrouver dans chaque convention SNCF-Région. J’ai été surpris par les différences de prise en charge de la retraite des cheminots. Dans certaines conventions, la région la prend en totalité, dans d’autres la prise en charge est nulle, dans un troisième cas de figure enfin, elle est de 50/50. Je ne sais pas si cela peut faire l’objet d’une clause interrégionale, mais au moins, on pourrait essayer de rapprocher les points de vue. Sur ce point, je ne peux m’empêcher de faire un parallèle avec le rôle de conseil que doit, selon moi, avoir le département à l’égard des intercommunalités.

Les régions doivent se préparer à la généralisation de la concurrence et prendre les initiatives les plus appropriées pour favoriser le service public. L’Union européenne est fondée sur certains principes : mobilité, libre concurrence. Si certains veulent croire que ce principe de libre concurrence ne s’appliquera pas aux TER, sachons que seul un changement des textes et principes européens peut le permettre. En l’état actuel des choses, la généralisation de la concurrence est devant nous. Il faut s’y préparer. Certains

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avancent l’idée, qui n’est pas nouvelle car elle date des années 1920-1930, de créer des entreprises régionales ferroviaires. Dans mon rapport, je fais un parallèle entre les avantages attendus de la mise en concurrence et les critiques qu’on peut lui faire. De manière générale, il est important de rappeler que la concurrence n’est pas un dogme, une finalité, mais un moyen pour développer le ferroviaire dans le respect d’un certain nombre de principes. Ces derniers sont d’ailleurs rappelés dans les rapports de nos collègues Yves Krattinger et Roland Ries. Le 10 octobre dernier, un débat au Sénat a porté sur l’organisation du ferroviaire. Lors de celui-ci, notre collègue Michel Teston est intervenu. L’on retrouve un point commun : la concurrence doit être encadrée. Concurrence et péréquation doivent aller de pair. Il faut aussi organiser des lots avec des lignes rentables et des lignes qui le sont moins, car sinon l’on voit tout de suite les conséquences que cela peut avoir. En outre, il est important d’élaborer un cadre social commun qui s’impose à l’ensemble des entreprises ferroviaires, quelles que soient leur nature juridique et leur nationalité. La concurrence ne doit pas pénaliser le contribuable, l’usager et le personnel. Ainsi, lorsqu’un nouvel adjudicataire est nommé il doit, conformé-ment au droit commun, reprendre le personnel en place. À mon avis, les régions auraient intérêt à dialoguer avec les communautés, lesquelles sont habituées, en matière de transport urbain, aux changements d’adjudicataire. Je pense aussi que les organisations syndicales des cheminots auraient tout intérêt à dialoguer avec leurs homologues des transports urbains. Nous allons avoir un débat identique à celui que nous avons eu lors du transfert du personnel des collèges. Par ailleurs, je vous invite, sur les perspectives de l’ouverture à la concurrence, à relire le rapport de notre collègue Roland Ries, qui développe la notion d’enchères positives et négatives. Il parle d’une « ouverture constructive à la concurrence ». Je le répète, la concurrence, ce n’est ni la privatisation systématique, ni le déclin du statut social du personnel.

Au-delà du seul thème de l’ouverture à la concurrence, les collectivités territoriales doivent également rechercher la simplification et l’efficacité : promouvoir la maîtrise d’ouvrage unique, les pôles d’échanges multimodaux, l’information intégrée, la billettique unique. Cette dernière n’est pas facile à mettre en œuvre, elle demande beaucoup de négociations. Je l’ai éprouvée sur le terrain. En Bretagne, nous avons dans un premier temps mis en place au niveau de l’agglomération rennaise une billettique unique, qui a été par la suite étendue à l’ensemble de la région.

Il est nécessaire, par ailleurs, de promouvoir la mise en place de comités de coordination de maitrise d’ouvrage en définissant les compétences des présidents.

Les régions doivent également retrouver la pleine propriété des matériels qu’elles ont financés intégralement.

La priorité doit être donnée à la maintenance du réseau (entretien, surveillance, correction des défaillances, renouvellement). Je ne suis pas sûr que la population soit bien conscience de l’état du réseau. C’est aussi l’une des

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conséquences de l’effet TGV. Les infrastructures de proximité doivent être développées.

Enfin, il est nécessaire de clarifier les modalités de gouvernances des gares, par la mise en place de conseils de gouvernance.

Mon dernier point est d’ordre financier et fiscal. D’une manière générale, dans le contrat de solidarité et de responsabilité entre l’État et les collectivités territoriales un dispositif particulier est à inscrire en ce qui concerne l’exercice de la compétence « transports » des régions. Plusieurs questions se posent. Quels financements ? Quelle doit être la part de l’État et celles des collectivités ? Quelle doit être la part de l’usager et du contribuable ? De quels contribuables : la personne physique, l’entreprise ?

L’ARF avance l’idée d’un versement transports, avec deux propositions : un versement additionnel à celui qui existe déjà, ou bien la mise en place d’un versement transport interstitiel. En effet, il existe aujourd’hui une inégalité entre les entreprises qui se trouvent au sein d’un périmètre de transport urbain et sont alors soumises à un versement transport, et celles qui se situent en dehors. L’idée d’un versement transports affecté à la région est cohérente, car cela correspond à ses compétences. Toutefois, à titre personnel, dans la conjoncture actuelle, la chose me parait difficile à mettre en place. Les choix à faire sont d’ordre politique.

Je suis en revanche favorable à ce que les régions puissent disposer d’une liberté tarifaire, bien entendu en respectant les tarifs sociaux et nationaux.

Je m’interroge aujourd’hui sur l’eurocompatibilité d’une surtaxe locale. Elle avait un avantage : décidée localement, elle était affectée à une dépense précise. Elle avait un inconvénient : elle n’était perçue qu’à l’intérieur d’un périmètre déterminé. À l’extérieur de celui-ci, quel que soit le trajet, elle n’était pas prélevée.

Une troisième solution régulièrement avancée porte sur les ressources de l'Agence de financement des infrastructures de transport de France (AFITF). Il s’agirait de prélever des ressources routières et autoroutières afin de les affecter au ferroviaire. Là encore, il y a une réelle cohérence, environnementale ou technique à promouvoir le ferroviaire.

Voilà, de manière très résumée, mes propositions.

Bien entendu, je n’ai pas évoqué l’attribution de subventions supplémentaires de l’État : cela semble peu réaliste dans la situation actuelle.

M. Jean-Claude Peyronnet

Je connais assez mal ce domaine. M. Pepy a pu dire que la décentralisation du transport de voyageurs a été un succès. Cependant, en écoutant le rapporteur, j’ai plutôt l’impression que le rôle des régions et des collectivités territoriales est très faible. Est-ce que l’implication de la région s’est seulement traduite par un versement financier ? Dans ce cas, la SNCF ne

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peut que se réjouir du procédé. Combien cette régionalisation a-t-elle coûté finalement aux régions ? Cela n’est pas sans me rappeler le transfert des personnels des collèges aux collectivités territoriales. En outre, je me demande quel a été l’apport de la séparation entre la SNCF et RFF, mis à part de la confusion et une certaine dilution des responsabilités. Je m’interroge aussi sur la possibilité d’un allégement de taxe pour les zones enclavées. Il y a une vingtaine d’années, l’Europe avait permis d’alléger le coût de transport pour le fret dans les massifs forestiers français pour faire face à la concurrence des pays du Nord. Serait-il possible d’envisager de manière générale pour le fret une politique européenne différenciée afin de le promouvoir ?

M. Jean-Pierre Vial

En ce qui concerne le fret, je plaide également pour que l’État ait un véritable rôle de stratège. Je prendrai en exemple un dossier que je connais bien : la ligne Lyon –Turin. En Italie et en Allemagne, le fret se développe. Ils attendent avec impatience la liaison sud européenne. Il en est de même avec les Espagnols. Or, on ne retrouve pas du tout cette attitude côté français, notamment à la SNCF, bien au contraire, et cette situation est inquiétante. Il se trouve que nous avons amélioré le gabarit du tunnel historique de Cavour, le tunnel de Fréjus-Mont Cenis, en attendant la construction du nouveau tunnel. Cela permet désormais de faire passer l’autoroute ferroviaire alpine. Sur les douze derniers mois, je viens de vérifier les chiffres, la mise en place de ce nouveau gabarit a permis une augmentation de 25% du trafic, alors que l’on connaît l’état du trafic fret en France. Il n’y a pas de raison que le fret fonctionne chez les autres et pas chez nous. Or, le problème est qu’aujourd’hui, la SNCF ne croit plus du tout dans le fret. Elle ne sait plus gérer le wagon isolé, qui est pourtant fondamental pour nos entreprises. Ces dernières nous font d’ailleurs part de leur regret de l’absence de toute péréquation de la part de la SNCF. La SNCF refuse de appliquer la « doctrine du timbre-poste » et fait payer plus chère une entreprise mal desservie.

Mme Jacqueline Gourault, présidente

Que pouvons-nous attendre de la nomination de notre ancien collègue, M. Alain Le Vern, ancien président de la région Haute-Normandie, en tant que directeur général régions et intercités de la SNCF ?

M. Edmond Hervé, rapporteur

Cette nomination est intéressante. On peut penser, et je le souhaite, que du fait de ses anciennes fonctions, il sera sensible à la régionalisation. Mais la SNCF possède une telle capacité d’influence culturelle que les évolutions prennent du temps. Il serait également intéressant d’examiner la porosité entre les structures de l’État, les cabinets ministériels et la SNCF.

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Mme Jacqueline Gourault, présidente

Et M. Le Vern aura peut-être plus de travail auprès de la branche régionale que des TGV. Il y a en effet beaucoup à faire.

M. Edmond Hervé, rapporteur

En ce qui concerne la déclaration de M. Pepy sur la SNCF et la régionalisation, nous savons qu’il y a des conflits entre la SNCF et les régions. Je le mentionne d’ailleurs dans mon rapport. Il s’agit d’une affirmation à caractère diplomatique dont le but est de favoriser les bonnes relations financières entre la SNCF et les régions. Cela permettrait de faciliter certaines évolutions. En effet, il ne faut pas oublier que les régions apportent une contribution financière bien au-delà des TER. Elles ont ainsi été appelées à cofinancer les dernières lignes TGV. Au vue de l’importance de la dette, des montants à investir pour la maintenance et la gestion des lignes, et de la situation financière de l’État, elles continueront à être mises à contribution pour la construction des prochaines lignes. Or, il est important que les collectivités territoriales ne soient pas les seules à être appelées à contribuer. De manière généralement, les présidents de région sont satisfaits globalement des nouveaux services et matériels. Nous voyons bien que les nouveaux TER n’ont rien n’ont voir avec les anciennes « Michelines ».

Pour répondre à Monsieur Vial, il est indéniable que le fret peut fonctionner, notamment le fret international. Mais des investissements ont été nécessaires pour obtenir ce résultat. Quand je parle du fret régional, je suis convaincu qu’il existe des marges de manœuvre. Les autorités régionales doivent s’en emparer, car si on laisse la SNCF et Geodis s’en occuper, je ne suis pas sûr que cela progresse. Enfin, je tiens à rappeler que nous avons en France une configuration urbaine, industrielle et portuaire complétement différente de celle de l’Allemagne. Nous ne pouvons pas reprendre ce modèle dans son intégralité.

M. Michel Delebarre

Je ferai tout d’abord une observation : la mise en place de la régionalisation dans la décennie 1990 a correspondu à une période où la SNCF était affectée par des enjeux internes, à savoir la création de RFF et les rapports avec cette nouvelle entité. Cela a été préjudiciable à la régionalisation, car la SNCF a été en grande partie accaparée par cet enjeu.

Par ailleurs il n’existe pas d’autorité susceptible de trancher en matière de relations entre la SNCF et les régions. Les régions sont « sous tutelle » de l’État, si vous permettez cette expression, et la SNCF dépend de l’État. Or, aujourd’hui, nous ne savons pas qui va trancher les différends. Et ces derniers, qui sont d’ores et déjà existants, vont s’amplifier. Le problème de la gestion des wagons isolés pour le fret est un véritable casse-tête. Faire des trains complets est relativement simple. Mais répondre aux demandes des PME par une gestion habile des wagons isolés est une compétence qui se perd

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à la SNCF. Or, les wagons isolés sont essentiels pour répondre à la demande de nos PME. Le Conseil d’État n’est pas l’assemblée la plus adaptée pour jouer ce rôle d’arbitre, la Cour des comptes non plus. Je suis inquiet, car dans un domaine où les conflits ne vont pas manquer et où une intervention extérieure est nécessaire pour les résoudre, il n’y a pas de régulation possible. Les conflits peuvent être utiles, par ailleurs, en permettant de faire avancer les choses.

Enfin, je voudrais évoquer le système ferroviaire dans les ports nationaux, qui a connu une évolution. Des appels d’offres pour l’exploitation de ces activités ont été passés l’année dernière ou il y a deux ans. Et la SNCF ne les a pas tous remportés. À titre d’exemple, dans le port de Dunkerque, la gestion du système ferroviaire a été attribuée à Eurotunnel. Il y aurait des leçons à tirer du changement d’interlocuteur.

M. Edmond Hervé, rapporteur

Ce qui me surprend c’est, d’une certaine manière, la disparition de l’État. Lorsque l’on évoque l’État stratège, il y a derrière une fonction d’arbitre. Nous devons peut-être réfléchir à la création d’une structure d’arbitrage, même si nous n’y sommes pas habitués culturellement. L’État doit prendre position sur ce point. Pour revenir sur la séparation RFF-SNCF, cette dernière s’est faite à l’invitation pressante de l’autorité européenne afin d’opérer une différenciation comptable. Je pense que le premier résultat a été une grande complexité et, de l’avis unanime, cela coûte très cher. N’oublions pas que la dette de RFF ne fait pas partie de la dette au sens de Maastricht, des fameux 3% de déficit autorisé. Je ne sais ce que sera le résultat du projet de loi de réforme ferroviaire, mais les documents que j’ai pu obtenir sur ce sujet laissent à penser que cette réforme sera très technique.

M. Antoine Lefèvre

Je souhaite rebondir sur ce que disait M. Delebarre au sujet du wagon isolé et vous faire part de mon expérience. Je pense que si on veut vraiment améliorer le fret, il faut développer les grandes autoroutes de fret mais surtout déterminer comment irriguer nos régions et nos PME. Il y a d’abord un problème d’organisation. J’ai eu, pour résoudre un problème de wagon isolé, quatre interlocuteurs SNCF différents : un pour les céréales, un autre pour l’agroalimentaire, deux pour les métaux (acier brut et acier transformé). Pour permettre le développement économique des territoires, les zones d’activités intercommunales ou à vocation régionale ont été équipées d’embranchements ferroviaires. Cela a couté cher et n’aurait plus aucun sens si le traitement des wagons isolés disparaissait.

M. Yves Krattinger

En comparaison de nos voisins, le système ferroviaire français peut gagner en performance. La frontière créée entre SNCF et RFF n’en a pas

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amélioré l’efficacité. La SNCF s’occupe moins qu’autrefois des wagons isolés - et ces wagons ne sont toujours pas équipés, en 2013, de puces électroniques.

Il y a aussi une question de réalisme : le rapport entre la route et le fer ne va pas s’inverser. La route continue de progresser. On peut seulement songer à stabiliser la part de chacun dans le transport de fret et de voyageurs.

Enfin, les TGV sont là pour relier des métropoles : Paris, Lyon, Marseille, Nantes, Bordeaux, etc. Il faut des gares intermodales importantes, qui permettent de faire du « quai-à-quai », sur le modèle suisse. Il n’est pas approprié de faire aboutir une ligne de TGV dans une petite gare. Un TGV plein est rentable, c’est une source de profits – un TGV aux trois quarts vide devient une source de coûts. Entre les modes de transport de voyageur, c’est le TGV qui est le plus proche de la rentabilité, les TER sont beaucoup plus subventionnés. Mais le TGV n’est utile qu’en présence d’un public approprié : des clients pressés, et qui ont les moyens de payer leur billet plus cher. En l’absence d’un tel public, le TGV est inadapté. Mieux vaut alors mettre en place, selon les besoins, un train long, un train court, un TER, un car, un minicar ou même un taxi. Ce principe vaut sur le plan économique comme sur le plan environnemental – déplacer un train presque vide, c’est gaspiller de l’énergie.

Le problème, en définitive, est que les prix pratiqués par la SNCF ne sont pas des prix de marché, d’où les résistances face à l’arrivée de la concurrence en 2019. Je suis d’accord pour l’essentiel avec les propositions du rapport. Il y a besoin, comme l’écrit Edmond Hervé, d’une autorité de régulation. Mais toute réforme semble difficile à mettre en œuvre.

M. Edmond Hervé, rapporteur

La SNCF a perdu considérablement en performance. On constate aujourd’hui que la marge financière du TGV chute, pour différentes raisons, notamment en raison de la crise. Plus on multiplie les lignes de TGV, avec des allongements de ligne et des arrêts, plus on diminue la rentabilité. On a commencé à construire les lignes les plus rentables. Aujourd’hui on a des lignes qui ne sont pas aussi rentables qu’au départ.

Il existe un autre phénomène : 50% des gens qui voyageaient en 1ere classe la quittent, c’est un phénomène conjoncturel.

Pour revenir brièvement sur la complexité et le manque de transparence financière de la SNCF, j’ai été frappé d’apprendre, lors des auditions, que lorsque les régions françaises négocient leurs conventions, elles vont chercher des cabinets allemands comme experts. Enfin, pour répondre à la question du coût pour les régions, elles ont depuis le début de la régionalisation du transport ferroviaire financé les TER à hauteur de 30 milliards d’euros.

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M. Yves Krattinger

S’agit-il des régions ou de l’ensemble des collectivités ? Car les départements ont également participé aux dépenses ?

M. Edmond Hervé, rapporteur

Il s’agit uniquement des régions, et uniquement pour le TER.

M. Yves Krattinger

Concernant ces questions d’organisation du ferroviaire, les Suisses ne conçoivent pas les choses comme nous. Si vous allez dans une petite ville de Suisse, vous avez un changement de mode. Un train qui roule vite s’arrête deux ou trois fois, pas plus, puis un autre train dessert les petites gares, mais le système fonctionne grâce à des transbordements de quai à quai. En France, les trains à grande vitesse vont dans les petites gares.

Mme Jacqueline Gourault, présidente

La simplification de l’organigramme de la SNCF, est une nécessité. Il y a également le problème des TGV qui entrainent la suppression des lignes locales dans un rayon de plusieurs dizaines de kilomètres.

M. Yves Krattinger

Lorsque l’on souhaite racheter du foncier à la SNCF, on ne rencontre jamais les mêmes interlocuteurs. Dès lors, les négociations s’étirent dans le temps. Cela peut durer trois ou quatre ans.

Le rapport est adopté.

Le rapport de M. Edmond Hervé a été publié sous le n° 92 (Sénat, 2013-2014) et est disponible sur internet à l’adresse suivante :

http://www.senat.fr/notice-rapport/2013/r13-092-notice.html

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TRAVAUX À VENIR DE LA DÉLÉGATION

(mardi 22 octobre 2013)

Travaux à venir (communication de Mme Jacqueline Gourault, présidente)

Mme Jacqueline Gourault, présidente

Je crois utile de faire le point sur nos travaux à venir. Le 5 novembre, nous organisons une table ronde sur la sécurité sociale obligatoire des élus. Pour le 12 novembre, nous souhaitons organiser l’audition de Mme Escoffier sur le projet de budget 2014. Le même jour, pour faire suite à l’audition de l’ADF du 1er octobre dernier, je vous proposerai d’autoriser la publication, sous le timbre de la Délégation, du compte-rendu de cette réunion, accom-pagné d’une courte mise en perspective que je rédigerai. Le 26 novembre, nous auditionnerons la Cour des comptes sur son rapport de juillet dernier sur l’organisation territoriale de l’État.

Par ailleurs, à la suite d’un certain nombre d’entretiens que j’avais eus à ce propos avec M. Vial, j’ai été saisie par le président du groupe UMP d’une demande d’expertise de la Délégation sur l’accessibilité des bâtiments recevant du public. Nous pourrions décider de l’élaboration d’un rapport sur ce sujet, ce qui n’empêchera pas la mise en chantier ultérieure, si des membres de la Délégation se portent candidats, d’autres rapports sur des sujets connexes, tels que l’accessibilité dans les transports. M. Vial pourrait préparer le rapport sur l’accessibilité du bâti en binôme avec un membre du groupe socialiste.

M. Yves Krattinger

La norme est le signe d’une société développée : il faut des normes, dans tous les domaines, dans une société telle que la nôtre. Ce qui pose problème, c’est le fait que la norme soit la même partout. Je prends l’exemple des bâtiments de basse consommation (BBC) : dans le Midi de la France, il faudrait des dizaines d’années pour amortir l’investissement. Il faut adapter la norme aux territoires. Dans les transports, on ne peut pas traiter de la même façon une zone très urbaine et un territoire rural : les moyens à mettre en place ne sont pas les mêmes. La norme est indispensable, c’est l’uniformité qui pose problème.

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Mme Jacqueline Gourault, présidente

La modulation est précisément l’orientation que nous souhaitons explorer, à la suite de notre réunion avec la Commission consultative d’évaluation des normes (CCEN) le 1er octobre dernier.

M. Yves Krattinger

Il faut aussi inventer un nouveau type de loi, telle que la « loi-cadre territoriale » proposée par la mission commune d’information sur l’avenir de l’organisation décentralisée de la République. Cette catégorie de loi fixerait des objectifs, ainsi que le périmètre de ce qui doit être décidé localement.

M. Jean-Pierre Vial

Si nous voulons avancer dans le domaine des normes d’accessibilité, il faut une méthode intelligente et une démarche consensuelle. Il n’est pas question de remettre en cause la loi de 2005 sur l’accessibilité, mais de trouver une méthode permettant d’améliorer son applicabilité en tenant compte de son coût de mise en œuvre.

Mme Jacqueline Gourault, présidente

C’est vraiment sur ce point qu’il nous faut travailler. En ce qui concerne nos autres travaux à venir, je propose à Yves Krattinger de venir exposer à la Délégation les conclusions de la mission commune d’information sur l’avenir de l’organisation décentralisée de la République, dont il a été le rapporteur.

M. Yves Krattinger

Je le ferai très volontiers, en compagnie du président de la mission.

Mme Jacqueline Gourault, présidente

Cela va sans dire. Nous pourrions, par ailleurs, auditionner notre collègue François Pillet, qui vient d’être chargé par le ministre de l’Intérieur d’une mission d’évaluation de la loi du 3 août 2009 relative à la gendarmerie nationale, sur ce thème, ainsi que sur son rapport de septembre 2012 : « De la police municipale à la police territoriale : mieux assurer la tranquillité publique ».

Je note aussi que la Délégation n’a pas encore travaillé sur le thème - important pour les collectivités territoriales – de la petite enfance. Nous pourrions nous intéresser à ce sujet, qui touche différents niveaux de collectivités, et aux relations avec les caisses d'allocations familiales (CAF).

Enfin, en accompagnement de la préparation du rapport d’Hervé Maurey sur le financement des lieux de culte, nous pourrions procéder en Délégation à une ou deux auditions de personnalités significatives.

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J’attends naturellement vos propositions sur les nouveaux travaux que nous pourrions programmer début 2014.

M. Yves Krattinger

La démocratie intercommunale reste à inventer, ce pourrait être un sujet à moyen terme. Le fait est que l’on commence à ressentir sur le terrain des interrogations sur l’intercommunalité.

Mme Jacqueline Gourault, présidente

Dernier point : Edmond Hervé propose de mettre à jour un travail, qu’il avait réalisé en 2000, consacré à la gestion des temps en collectivités territoriales. Pour illustrer cette problématique, si l’on constate la formation de bouchons réguliers à telle heure sur tel carrefour à sens giratoire menant à telle zone industrielle, faut-il agrandir le giratoire, ou plutôt faire varier les horaires de début du travail dans les entreprises de la zone ?

Je constate l’accord des membres présents sur ces différentes propositions. Je vous remercie.

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DÉLÉGATION AUX DROITS DES FEMMES ET À L’ÉGALITÉ

DES CHANCES ENTRE LES HOMMES ET LES FEMMES

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AVENIR ET JUSTICE DU SYSTÈME DE RETRAITES

(jeudi 10 octobre 2013)

Audition de la Fédération des associations de conjoints survivants et parents d’orphelins (FAVEC)

Mme Brigitte Gonthier-Maurin, présidente

Nous poursuivons cette semaine nos auditions sur le projet de loi garantissant l'avenir et la justice du système des retraites avec celle de la Fédération des conjoints survivants et parents d'orphelins (FAVEC). Je remercie Mme Christiane Poirier, sa présidente, et Mme Laure-Anne Bardinet, secrétaire générale adjointe, d'être venues nous présenter le point de vue de leurs adhérents et adhérentes.

Notre délégation a été saisie par la commission des Affaires sociales pour aborder ce projet de loi sous l'angle spécifique des retraites des femmes, et nous avons désigné notre collègue Laurence Rossignol pour être rapporteure de la délégation.

La question des pensions des conjoints survivants est un aspect important des retraites des femmes et vous avez des éléments intéressants à nous apporter sur ce sujet, même s'il ne fait pas l'objet de dispositions spécifiques dans le projet de loi.

Mme Christiane Poirier, présidente de la Fédération des associations de conjoints survivants et parents d'orphelins (FAVEC)

Le projet de loi garantissant l'avenir et la justice du système des retraites ne comporte pas de dispositions sur les pensions de réversion. Pourtant, en matière de retraite, les femmes sont défavorisées, leur carrière étant souvent incomplète du fait des enfants ou parce qu'elles ont interrompu leur activité professionnelle pour suivre leur mari. De plus, le droit à réversion du régime général est plafonné à 1 634,53 euros – sa revalorisation est fonction du salaire minimum interprofessionnel de croissance (SMIC) – ce qui pénalise les veufs et les veuves qui ne peuvent percevoir la pension de réversion à laquelle ils ou elles ont droit quand leur propre retraite dépasse ce plafond. Bien que leur conjoint ait cotisé, ces veufs et veuves sont condamnés à percevoir des pensions limitées, c'est pourquoi nous en demandons depuis 2004 la suppression.

La situation des conjoints survivants est alarmante du fait de la suppression de la demi-part pour les veuves, des augmentations d'impôt qui font que ceux et celles qui en payaient en payent plus et que celles et ceux qui n'en payaient pas sont désormais imposables.

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En moyenne, les impôts ont augmenté de 400 euros, ce qui est énorme pour une petite pension, d'autant que la taxe d'habitation a également augmenté, que les veufs et veuves doivent acquitter la redevance télévisuelle, et que des droits accordés par les communes, comme la gratuité des transports, sont remis en question.

Enfin, nous craignons que l'âge de la retraite augmentant, l'âge pour toucher la pension de réversion n'augmente lui-aussi.

Mme Laure-Anne Bardinet, secrétaire générale adjointe

On ne réalise pas toujours que les veufs ou veuves précoces ayant des enfants à charge ont une vie professionnelle plus pénible que les couples élevant leurs enfants. Pourquoi ne pas reconnaître la pénibilité de leur vie et de leur travail ?

Mme Laurence Rossignol, rapporteure

Ces personnes ne peuvent-elles s'apparenter aux familles monoparentales ?

Mme Laure-Anne Bardinet

La définition de la famille monoparentale ne nous satisfait pas car sont mis dans cette même catégorie les veufs et veuves, les parents célibataires et les parents séparés. Les mères célibataires vivent les mêmes difficultés pratiques que les veufs et veuves avec enfants, mais la situation est différente lorsque les deux parents sont vivants et titulaires de l'autorité parentale. Il faudrait que la notion de parent isolé ne comprenne que ceux qui le sont réellement. Or, en cas de séparation, chacun des parents peut prétendre être parent isolé. Pourtant, ils sont tous les deux là pour veiller sur leurs enfants... la situation des veufs et des veuves est différente.

Mme Laurence Rossignol, rapporteure

Disposez-vous de statistiques précises sur les veufs et veuves précoces (âge, niveau de revenu...) ?

Même lorsque les deux parents sont vivants, il y a beaucoup de cas où l'un des parents est totalement absent et ne verse pas de pension alimentaire. En fait, il est difficile d'identifier les véritables parents isolés. Ce n'est pas parce que les deux parents sont vivants qu'ils participent tous les deux à l'éducation des enfants.

Mme Laure-Anne Bardinet

Concernant le versement des allocations parents isolés, il y a sans doute quelque chose à faire. Pour les retraites, les parents réellement seuls n'ont pas de droits spécifiques.

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Mme Brigitte Gonthier-Maurin, présidente

Comment identifier les veufs et les veuves précoces ? Quel est le statut des parents non mariés qui se retrouvent seuls du fait du décès de leur compagne ou de leur compagnon ?

Mme Laure-Anne Bardinet

La définition est simple.

Une mère qui a élevé seule ses enfants est une mère célibataire. Des personnes qui ont vécu en couple et fondé une famille hors mariage et qui se retrouvent seuls ont choisi, dès le départ, d'élever leurs enfants hors du statut du mariage et donc du veuvage. Libre à eux, pendant leur vie commune, de mettre en place les moyens d'éduquer leurs enfants jusqu'au bout. La question se pose au moment où l'on choisit, ou non, d'adopter le statut juridique du mariage, ou alors il faudrait considérer que, mariage ou pas, les droits sont les mêmes, mais si tel était le cas, à quoi bon se marier ?

Mme Laurence Rossignol, rapporteure

Depuis une quarantaine d'années, les choses ont évolué de sorte que la situation matrimoniale des parents aille dans le sens d'une neutralité croissante pour les enfants. On ne peut aller à rebours de cette évolution.

Mme Laure-Anne Bardinet

Les obligations envers les enfants sont effectivement les mêmes pour les parents naturels ou légitimes. La loi protège tous les enfants, qu'ils soient légitimes ou naturels. Lorsqu'il y a un père et une mère, ces deux personnes sont juridiquement responsables de leurs enfants. Ce n'est pas le cas si un conjoint décède alors que le couple avait adopté un statut juridique censé le protéger. C'est pourquoi nous souhaiterions que ces personnes soient reconnues comme telles, et qu'elles ne soient pas systématiquement assimilées aux familles malheureusement « décomposées ».

Mme Brigitte Gonthier-Maurin, présidente

Et qu'en est-il de la notion de parent isolé ? Quid de de la femme seule quand le père a disparu ?

Mme Laure-Anne Bardinet

Elle est mère célibataire. L'UNAF devrait avoir réfléchi à cette question. Entre les enfants qui ont leurs deux parents vivants, mais séparés, et ceux qui n'ont qu'un parent parce que l'autre est décédé, la situation est très différente.

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Mme Laurence Rossignol, rapporteure

Vous voudriez donc mettre d'un côté les veufs et veuves et les mères célibataires, qui seraient sous statut identique, et de l'autre les familles séparées dont les deux parents sont vivants ?

Mme Laure-Anne Bardinet

Tout à fait, car les conséquences sur la vie courante sont fort différentes.

Mme Laurence Rossignol, rapporteure

Il ne faut cependant pas oublier le cas des femmes qui ne perçoivent pas la pension alimentaire à laquelle elles ont droit : les pères sont vivants, mais inexistants. Que faire de ces situations très fréquentes ?

Mme Laure-Anne Bardinet

Les allocations parents isolés offrent peut-être une solution.

Mme Laurence Rossignol, rapporteure

Pensez-vous que le montant des pensions doive tenir compte du veuvage précoce ?

Mme Laure-Anne Bardinet

Ces personnes ont indubitablement des carrières professionnelles perturbées et leur retraite - surtout celle des femmes - est plus faible. Il serait donc logique que leur traitement soit différencié.

Mme Brigitte Gonthier-Maurin, présidente

Les femmes ont fait le choix de se marier pour « assurer leur sécurité », pour atténuer les conséquences de carrières interrompues et d'un niveau de salaire moindre, la pension de réversion devant intervenir en cas de problème. On est dans l'obligation, en assurant un niveau correct de réversion, de corriger leur situation. Mais n'est-ce pas aussi les conforter dans le fait qu'elles ne sont pas capables de s'assumer en tant qu'acteurs économiques à part entière ?

Mme Laure-Anne Bardinet

Les gens ne se marient pas pour la pension de réversion...

Mme Brigitte Gonthier-Maurin, présidente

On se marie aussi parce que le mariage va permettre une plus grande sécurité vis-à-vis de la maternité, même si cela est de moins en moins vrai avec le pacte civil de solidarité (PACS).

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Mme Laure-Anne Bardinet

Le PACS n'a pas d'incidence sur la famille.

Mme Brigitte Gonthier-Maurin, présidente

C'est aussi une difficulté !

Mme Laurence Rossignol, rapporteure

Quand le titulaire de la pension principale décède avant d'avoir fait valoir ses droits à la retraite, la pension de réversion est-elle versée sous la double condition que le conjoint survivant puisse faire valoir ses droits à la retraite et que le titulaire décédé aurait eu l'âge faire valoir ses droits ?

Mme Christiane Poirier

Les veuves de moins de 55 ans n'ont pas droit à la pension de réversion, mais à deux ans d'assurance veuvage, assurance qui a failli être supprimée en 2011. En outre, le plafonnement du régime général vient minorer les ressources du conjoint survivant.

M. Roland Courteau

Du fait de ce plafond, de nombreuses veuves ne perçoivent pas de pension de réversion. Nous avons compris que vous souhaitiez sa suppression, mais si ce plafond venait à être augmenté, quel serait le montant qui aurait votre préférence ?

À quel âge devrait, selon vous, commencer le versement de la pension de réversion ?

Mme Laure-Anne Bardinet

L'idéal serait de supprimer le plafond de ressources. Le relèvement de son montant est une idée intéressante, mais nous n'avons pas, pour l'heure, de chiffre à vous donner.

Mme Christiane Poirier

Le seuil de 55 ans pour percevoir la pension de réversion ne doit pas être relevé. C'est vraiment un maximum.

Mme Laure-Anne Bardinet

Pourquoi ne pas l'abaisser, d'ailleurs ? Quand le veuvage est précoce, après les deux ans d'assurance veuvage, la société ne vient plus en aide à ces personnes avant qu'elles n'aient atteint 55 ans.

Mme Laurence Rossignol, rapporteure

L'article 21 du projet de loi traite des conjoints non-salariés agricoles. Qu'en pensez-vous ?

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Mme Christiane Poirier

Par le passé, nous avons beaucoup travaillé sur la question, mais la Mutualité sociale agricole (MSA) et les syndicats agricoles ont pris le relais depuis quelques années.

Mme Laure-Anne Bardinet

Pourquoi ne pas prendre en compte la composition de la famille au moment du veuvage pour calculer le montant du plafond applicable à la pension de réversion et l'âge auquel celle-ci commencerait à être versée ?

Autre sujet important : ne serait-il pas temps de prévoir un rééquilibrage entre les régimes ? Aujourd'hui, les inégalités entre eux sont énormes.

Mme Brigitte Gonthier-Maurin, présidente

Quelle est la différence entre les pensions de réversion des veufs et celles des veuves ?

Mme Christiane Poirier

Elle s'élève à 32 %.

J'aimerais que vous nous éclairiez sur un point : naguère, huit trimestres étaient accordés à la mère, puis les règles ont changé : qu'en est-il exactement ?

Mme Laurence Rossignol, rapporteure

Quatre trimestres sont accordés à la mère et les quatre autres trimestres sont accordés soit au père, soit à la mère.

Mme Brigitte Gonthier-Maurin, présidente

Je vous remercie.

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Audition du Laboratoire de l’Égalité

La délégation auditionne ensuite Mme Corinne Hirsch et M. François Fatoux, membres du conseil d'administration du Laboratoire de l'Égalité.

Mme Brigitte Gonthier-Maurin, présidente

Nous accueillons Mme Corinne Hirsch et M. François Fatoux, membres du conseil d'administration du Laboratoire de l'Égalité, pour nous éclairer sur le projet de loi garantissant l'avenir et la justice du système des retraites. Notre délégation a été saisie par la commission des Affaires sociales pour aborder ce projet de loi sous l'angle spécifique des retraites des femmes. Mme Laurence Rossignol sera la rapporteure de notre délégation.

Nos auditions ont commencé la semaine dernière avec l'audition des représentants de l'Union nationale des associations familiales (UNAF) et du Conseil d'orientation des retraites (COR). Le Laboratoire de l'Égalité est une association créée en 2010 pour faire avancer l'égalité professionnelle entre hommes et femmes. Son objet est de sensibiliser l'opinion publique et d'interpeller les décideurs publics sur les inégalités de salaires, de conditions de travail, de stéréotypes, de partage des tâches et des responsabilités. Le Laboratoire de l'Égalité comprend des femmes et des hommes également impliqués dans la lutte pour un meilleur partage des responsabilités citoyennes, économiques et familiales entre les hommes et les femmes.

Les inégalités entre hommes et femmes en matière de retraites sont le reflet d'inégalités dont les effets s'accumulent tout au long de la carrière des femmes.

M. François Fatoux, membre du conseil d'administration du laboratoire de l'Égalité

La question des retraites est compliquée car il existe une grande diversité de régimes de retraite : de base ou complémentaires, régime général, régime de la fonction publique, régime des non-salariés, etc. C'est aussi le cas pour la fonction publique. Tout le monde s'accorde sur le diagnostic : il est nécessaire d'agir en amont en réduisant les écarts de salaires, en revalorisant les métiers occupés majoritairement par des femmes, comme le préconise un rapport récent de Mmes Séverine Lemière et Rachel Silvera pour le Défenseur des droits, ce qui suppose de procéder à des augmentations de salaires des hommes moindres dans d'autres secteurs et en menant une réflexion sur le temps partiel subi, y compris dans la fonction publique, ou sur l'interruption d'activité des femmes pour garder des enfants, mais aussi de plus en plus souvent des ascendants... mais il est difficile d'agir en ce sens dans une période de récession.

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Pour parvenir à l'égalité, il faut renforcer les droits propres plutôt que d'améliorer les droits dérivés : à l'image de la pension de réversion, ces mécanismes renforcent souvent la dépendance à l'égard du conjoint. Des femmes restent au foyer faute d'indépendance économique. On rejoint aussi parfois, du fait de cette dépendance, la question des violences conjugales... De même, est-il acceptable que des femmes dépendent de la décision de leur conjoint pour être affiliées et bénéficier du statut de conjoint non-salarié ? C'est le cas pour les artisans ou les professions agricoles, par exemple. L'attribution du statut de conjoint collaborateur dépend de la décision de l'homme. Christine Delphy montre ainsi que certaines politiques publiques maintiennent la dépendance féminine vis-à-vis de leur conjoint. Des avancées ont eu lieu car les aidants pourront être affiliés à l'Assurance vieillesse des parents au foyer (AVPF) sans condition de ressource. La difficulté réside dans la distinction entre périodes cotisées et périodes assimilées et dans le nombre de périodes assimilées à des périodes travaillées.

En outre, les salariés méconnaissent souvent leurs droits, comme les entreprises d'ailleurs. Ainsi, la disposition de la loi du 9 novembre 2010 sur les retraites qui donne la possibilité aux entreprises d'affilier les salariés en congé, avec prise en charge de la part salariale des cotisations par l'employeur, reste méconnue. Il serait souhaitable que les partenaires sociaux fassent œuvre de pédagogie et soient davantage sensibilisés à la question de l'égalité entre sexes.

Les pouvoirs publics ont engagé une réflexion d'ensemble sur les droits familiaux. Dans le contexte budgétaire actuel, il n'est pas possible d'améliorer la situation des femmes sans réforme de ces droits. En effet, ce sont surtout les hommes qui profitent des dispositifs existant. C'est par exemple le cas pour la majoration de 10 % pour le troisième enfant : les hommes ne s'arrêtent pas de travailler au troisième enfant, alors que le taux d'activité des femmes chute fortement à ce moment. De même, les femmes sont les plus concernées par le temps partiel. Une piste serait de soumettre à l'impôt les majorations de retraites pour familles nombreuses, qui bénéficient davantage aux hommes.

Mme Laurence Rossignol, rapporteure

Cette mesure devrait figurer dans le projet de loi de finances.

M. François Fatoux

L'exonération permet aux cadres supérieurs de bénéficier de fortes majorations de pension car elle est proportionnelle au salaire et un cadre peut cotiser jusqu'à huit fois le plafond de la sécurité sociale. Dans la fonction publique, la majoration est de 10 % pour trois enfants, et 5 % par enfant au-delà du troisième. La fiscalisation de ces majorations rapporterait 2,5 milliards. Sans doute conviendrait-il de plafonner ces avantages et de réaffecter les gains à l'acquisition de droits propres.

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Le gouvernement s'est engagé à supprimer la condition de ressources pour l'affiliation au régime vieillesse des parents au foyer. C'est une avancée : les personnes qui interrompent leur activité professionnelle pour s'occuper de personnes handicapées sont très majoritairement des femmes. En outre, la fonction d'aidant est très pénible. Parmi les femmes qui assistent une personne dépendante au quotidien peu bénéficient du statut d'aidant. Celui-ci permet de bénéficier d'une majoration de retraite d'un trimestre tous les 30 mois. Mais, après s'être sacrifiée pendant 20 ans pour prendre soin d'une personne handicapée, le gain de deux ans n'est-il pas dérisoire ?

Mme Corinne Hirsch, membre du conseil d'administration du laboratoire de l'Égalité

L'information en matière de retraite est un enjeu crucial pour les femmes. Un couple sur deux divorce. Les femmes doivent en avoir conscience, au moment de solliciter un congé parental ou un temps partiel, des conséquences de cette décision sur le niveau de leur retraite à venir. Les entreprises devraient les informer systématiquement des conséquences sur leur retraite.

M. François Fatoux

Depuis la loi de 2010, l'information est obligatoire après 50 ans. Généralisons-la.

Mme Corinne Hirsch

De même, il serait souhaitable de respecter la parité au conseil d'administration du Comité d'orientation des retraites (COR).

M. François Fatoux

Sur trente-cinq membres, dix seulement sont des femmes.

Mme Corinne Hirsch

Et ce chiffre était moindre il y a quelques années. Notre campagne a porté ses fruits.

Le projet de loi prend en compte la pénibilité dans le calcul des retraites. Il faut mettre l'accent sur la pénibilité des métiers occupés majoritairement par des femmes. Dans les secteurs de l'aide à la personne, les femmes qui soulèvent plusieurs fois par jour des personnes âgées n'exercent-elles pas un métier pénible ?

M. François Fatoux

Les partenaires sociaux ne sont pas très sensibles au sujet. Les entreprises doivent mettre en place des plans d'action pour l'égalité homme-femme. Mais les inspecteurs du travail constatent que la question des

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conditions de travail n'est pas souvent traitée, ni celle de la pénibilité spécifique du travail des femmes.

Mme Laurence Rossignol, rapporteure

La pénibilité des métiers féminins constitue un vaste sujet, même si l'exemple que vous évoquez, concernant la manipulation des corps des personnes âgées, relève plutôt de la pénibilité des tâches en milieu hospitalier plus que de l'aide à domicile.

M. François Fatoux

Il faut aussi prendre en considération les horaires atypiques.

Mme Laurence Rossignol, rapporteure

Nous réfléchissons à intégrer dans la prise en compte de la pénibilité le temps partiel subi, dû à l'organisation de l'entreprise, avec des plages de travail morcelées et une amplitude horaire importante par rapport au temps de travail effectif.

M. François Fatoux

Pourquoi ne pas instaurer une taxe sur ce travail à temps partiel subi lorsqu'il s'exerce hors des horaires de travail habituels, comme par exemple les missions réalisées entre 6 heures et 8 heures du matin dans les entreprises de nettoyage ?

Mme Brigitte Gonthier-Maurin, présidente

Le registre de situations comparées définit-il des critères de pénibilité ?

M. François Fatoux

Des dispositions concernent les conditions de travail. Tout dépend de la volonté des partenaires sociaux d'utiliser les instruments mis à leur disposition et de creuser les sujets. Les accords d'entreprise portent surtout sur les salaires ou la thématique du « plafond de verre », mais peu sur les conditions de travail ou la définition de critères de pénibilité, sujets encore insuffisamment abordés sous l'angle des activités féminines. Il n'y a pas encore, du côté syndical, de véritable intérêt pour ces questions, ce qui peut s'expliquer par une moindre syndicalisation dans les métiers spécifiquement féminins.

Mme Brigitte Gonthier-Maurin, présidente

Dans un de nos rapports, nous avions étudié l'invisibilité de la pénibilité du travail féminin, les risques psycho-sociaux, les accidents du travail ou de trajet des femmes qui augmentent à cause de la multiplication des plages de travail et des lieux de travail dans une journée.

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M. François Fatoux

Les statistiques de la Caisse nationale d'assurance maladie (CNAM) sont réalisées par branches et ne font pas de différences en fonction des sexes.

Mme Corinne Hirsch

Les critères existants sont très flous et ne permettent pas de saisir la pénibilité du travail des femmes.

Mme Brigitte Gonthier-Maurin, présidente

Comment définir par exemple une « charge lourde » ?

Mme Laurence Rossignol, rapporteure

Les critères sont liés à l'existence de pathologies, comme le mal de dos par exemple.

M. François Fatoux

Souvent les symptômes se cumulent : troubles musculo-squelettiques (TMS), mal de dos, etc. Mais le nombre de maladies professionnelles déclarées est très inférieur à la réalité, dans notre pays.

Mme Brigitte Gonthier-Maurin, présidente

Les institutrices en maternelle se plaignent d'être épuisées car elles portent toute la journée des enfants. Qui songerait pourtant à classer ce métier parmi les professions pénibles ? La pénibilité des métiers féminins est invisible, ignorée par la médecine du travail.

M. François Fatoux

Il en va de même des infirmières confrontées à la tension ou à la souffrance des patients. Ces difficultés des professions du « care » ne sont pas reconnues par la société, comme l'a montré Mme Rachel Silvera.

Mme Corinne Hirsch

Il faut rendre visible l'invisible : la pénibilité des métiers occupés principalement par des femmes. Si vous y ajoutez le temps partiel, c'est la double peine ! Il faut agir sur les représentations. Si la société est plus sensible à la question des travaux de force, c'est parce que la capacité à manier des charges lourdes - par exemple dans les métiers du bâtiment - est une composante de l'identité masculine.

Mme Laurence Rossignol, rapporteure

La définition des critères de pénibilité relève d'un décret. Des députés souhaitent réintégrer cette définition dans la partie législative du code du travail, par amendement au projet de loi sur les retraites, actuellement en

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discussion à l'Assemblée nationale. Espérons qu'ils réussiront. Ensuite il faudra examiner la liste des critères sous l'angle du genre.

Mme Brigitte Gonthier-Maurin, présidente

Nos travaux peuvent influencer le gouvernement et nos collègues députés.

Mme Laurence Rossignol, rapporteure

Vous avez raison : il faut rendre visible l'invisible !

M. François Fatoux

Il faudrait profiter des débats en cours pour poser la question de la pénibilité dans la sphère domestique : liée à la garde d'enfants handicapés ou à l'assistance à des personnes âgées, c'est un sujet tabou qui mérite d'être soulevé. La moyenne d'âge des aidants serait passée de 50 à 40 ans. Les femmes sont prises en tenaille ; à peine leurs enfants sont-ils devenus autonomes qu'elles doivent s'occuper de leurs parents ! Surtout que dans certains cas, aider un parent dépendant va se traduire par une interruption d'activité. Or, une majoration de retraite d'un trimestre pour trente mois est-elle une compensation adaptée ? La prise en charge de la dépendance va contribuer à dégrader encore la retraite des femmes qui assistent un parent handicapé ou âgé. L'AVPF ne résout que partiellement le sujet...

Mme Laurence Rossignol, rapporteure

Le projet de loi supprime la condition de ressource des aidants pour prétendre à l'affiliation à l'AVPF.

M. François Fatoux

L'AVPF concerne uniquement la retraite de base. Mais on pourrait aussi sensibiliser les entreprises et poser la question des régimes complémentaires. L'article 100 de la loi du 9 novembre 2010 considère que la prise en charge, par une entreprise, de la part salariale de cotisation à un régime de retraite complémentaire d'un salarié en congé n'est pas considérée comme un salaire. Mais cet avantage est limité à une durée de six mois. Abrogeons ce plafond ! Autrement, être aidant devient un sacrifice. En outre, les systèmes collectifs d'accueil des enfants handicapés ou des personnes âgées ne sont pas suffisants.

Mme Laurence Rossignol, rapporteure

Quelle est la proportion des femmes qui ont dû cesser leur activité professionnelle pour s'occuper d'une personne dépendante, par exemple entre 45 et 55 ans ? La plupart du temps, elles font plutôt trois journées en une, en conciliant activité professionnelle, tâches domestiques et soin des personnes dépendantes.

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M. François Fatoux

La proportion est difficile à estimer. Les femmes, après avoir élevé leurs enfants, ont très vite à s'occuper de leurs ascendants. Leur retour sur le marché du travail est donc encore plus compliqué.

Mme Laurence Rossignol, rapporteure

En moyenne, l'écart entre l'arrivée à l'âge adulte d'un enfant et la prise en charge des parents dépendants s'élève à dix ans.

M. François Fatoux

De plus, l'évolution de carrière est ralentie.

Mme Brigitte Gonthier-Maurin, présidente

Droits propres ou droits familiaux, tel est bien le sujet ! Avez-vous d'autres remarques à formuler sur le sujet qui nous réunit ?

Mme Corinne Hirsch

Il est nécessaire d'étendre aux couples pacsés le bénéfice du régime de la pension de réversion.

Mme Laurence Rossignol, rapporteure

Quel en serait le coût ?

Mme Corinne Hirsch

Élevé...

M. François Fatoux

Avec l'adoption du mariage pour tous, il faudra revoir la réglementation car certains privilégieront le mariage plutôt que le PACS.

Mme Laurence Rossignol, rapporteure

Sans doute pas. La majorité des personnes pacsées sont hétérosexuelles.

M. François Fatoux

Pour trouver des ressources, interrogeons-nous sur certaines politiques publiques qui ont pour effet de maintenir des inégalités. C'est le cas du quotient conjugal qui coûte 5 à 10 milliards et incite les femmes à cesser leur activité, et sur lequel le Laboratoire de l'Égalité souhaite qu'il y ait un questionnement. Un tel gain pourrait être affecté au rééquilibrage des retraites des femmes et des hommes.

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Mme Laurence Rossignol, rapporteure

Le supprimer faciliterait la mise en place de l'impôt à la source, mais ce n'est pas évident de mettre en œuvre une réforme aussi vaste !

Mme Brigitte Gonthier-Maurin, présidente

Il faudrait une réforme fiscale de grande ampleur.

M. François Fatoux

N'attendons pas le grand soir fiscal qui n'arrivera jamais, et avançons ! Les avantages du quotient conjugal peuvent s'élever à 38 000 euros, quand le conjoint ne travaille pas ! Or, l'avantage du quotient familial est plafonné à 2 000 euros

Mme Brigitte Gonthier-Maurin, présidente

Je vous remercie.

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AVENIR ET JUSTICE DU SYSTÈME DE RETRAITES

(mardi 22 octobre 2013)

Examen du rapport d’information et des recommandations de Mme Laurence Rossignol, rapporteure

La délégation procède à l'examen du rapport d'information et des recommandations de Mme Laurence Rossignol, rapporteure, sur les dispositions du projet de loi n° 71 (2013-2014) garantissant l'avenir et la justice du système de retraite, dont la délégation a été saisie par la commission des Affaires sociales.

Mme Brigitte Gonthier-Maurin, présidente

L'ordre du jour de notre réunion appelle l'examen du rapport de Mme Laurence Rossignol sur le projet de loi garantissant l'avenir et la justice du système de retraite.

Mme Laurence Rossignol, rapporteure

L'heure est donc venue de vous présenter le rapport sur le projet de loi garantissant l'avenir et la justice du système de retraite.

Notre délégation a été saisie de ce texte par la commission des affaires sociales dans la mesure où il affiche un objectif de limitation des inégalités entre hommes et femmes en matière de retraite, ce dont on ne peut que se féliciter.

Pour élaborer mes conclusions et mes propositions de recommandations, j'ai bien entendu participé aux auditions de la délégation, les 3 et 10 octobre 2013 et organisé des réunions plus techniques avec Mme Carole Bonnet, chercheure de l'Institut national d'études démographiques (INED), spécialiste des retraites des femmes et auteure de nombreuses publications sur le sujet, et avec des membres de l'équipe du Défenseur des droits.

J'ai également demandé des contributions écrites à un sociologue, M. Nicolas Castel, maître de conférences à l'Université de Lorraine, ainsi qu'à la Mutualité sociale agricole, à l'Union nationale des conjoints de professionnels libéraux et à la Fédération nationale des associations de conjoints de travailleurs indépendants de France. Par ailleurs, je me suis beaucoup appuyée sur les écrits de Mme Christiane Marty, chercheure à la fondation Copernic. Enfin, participant à l'audition de Mme Marisol Touraine, ministre des affaires sociales et de la santé, par la commission des Affaires sociales, le 16 octobre

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2013, j'ai pu évoquer avec elle les évolutions envisageables en matière de droits familiaux, les conséquences du récent partage de la majoration de durée d'assurance (MDA) entre les deux parents et la nécessaire prise en compte de la pénibilité au féminin.

Je commencerai par le diagnostic bien connu des inégalités entre hommes et femmes au moment de la retraite. Les montants des pensions des femmes étaient en moyenne de 932 € par mois en 2011 contre 1 603 € pour les hommes. Même après prise en compte des droits familiaux, les retraites des femmes représentent toujours 72 % seulement de celles des hommes, ce qui montre bien l'insuffisance des droits propres. De plus, les femmes liquident leur pension 1,3 an plus tard que les hommes et sont plus nombreuses parmi les titulaires du minimum contributif.

Ces inégalités résident dans le fait que le montant des pensions dépend à la fois de la durée de cotisation et du montant des salaires. Or les carrières des femmes se caractérisent encore par des salaires inférieurs et des durées de travail plus courtes.

Les désavantages subis par les femmes en matière de retraite ont été amplifiés par les réformes des retraites depuis 20 ans, qui ont consisté à allonger la durée de cotisation, plus particulièrement par le passage aux 25 meilleures années.

En outre, sous couvert d'égalité, l'extension aux hommes des droits familiaux a creusé encore les inégalités en matière de retraite, en particulier s'agissant de la bonification de 10 % pour troisième enfant.

Même la réversion accroît la supériorité des retraites masculines puisque la pension moyenne des veufs est de 1 749 euros contre 1 165 euros pour celle des femmes.

Selon le Conseil d'orientation des retraites (COR), il ne faut pas attendre de résorption spontanée des inégalités car on observe, chez les jeunes femmes, une tendance au maintien d'interruptions de carrière, généralement liées à la maternité. En conséquence, un écart de 20 % devrait persister entre les retraites des femmes et celles des hommes, malgré la progression du taux d'activité féminine.

J'en viens maintenant aux inégalités au travail, qui sont la cause profonde des inégalités en matière de retraite. En effet, « tout se joue avant 60 ans », comme l'indique le titre que je vous propose de donner à ce rapport d'information.

Nous les connaissons bien : les salaires des femmes sont inférieurs à ceux des hommes du fait d'une durée de travail inférieure - conséquence de

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l'organisation familiale -, elles effectuent en général moins d'heures supplémentaires que les hommes, et de surcroît, elles bénéficient de moins de primes, en particulier chez les cadres.

Mais la durée du travail n'explique pas tout, car si l'on neutralise tout ce qui concerne le temps de travail, demeure tout de même un écart de 9 % que les spécialistes qualifient d'« inexpliqué ».

Une autre cause de cette infériorité des rémunérations des femmes réside dans le fait que les professions à dominante féminine sont généralement moins reconnues et moins valorisées. De plus, les salaires féminins sont évidemment victimes d'un véritable « soupçon de maternité ».

Je reviens sur l'importance de l'implication des femmes dans l'organisation familiale. Ce sont les femmes qui s'arrêtent de travailler ou qui réduisent leur temps de travail quand les enfants arrivent. De même qu'il existe le « plafond de verre », il existe un « plafond de mère » qui a d'énormes conséquences sur leur vie professionnelle.

La contribution des femmes à la vie de la famille ne s'arrête pas là. Ce sont bien elles qui, statistiques à l'appui, prennent en charge les personnes âgées dépendantes. Or les « aidants familiaux », à raison de plus d'un tiers, réduisent leur activité pour s'occuper d'un parent dépendant.

Et je vous fais grâce des statistiques sur le temps consacré chaque semaine par les hommes et les femmes aux tâches ménagères. La « double journée » est une réalité quotidienne.

Autre aspect fondamental des inégalités entre hommes et femmes au travail : la pénibilité spécifique des emplois féminins, systématiquement sous-évaluée.

Dans ce domaine, il importe tout d'abord de faire établir, comme le concluait le rapport « Femmes et travail » de notre présidente, des statistiques de pénibilité dans une logique de genre. Il faut aussi assurer une représentation équilibrée des femmes et des hommes lors des négociations collectives de branches pour que la pénibilité au féminin soit véritablement prise en compte.

Notons en outre que la législation laisse de côté cette pénibilité particulière qui résulte d'emplois relevant du « temps partiel subi », qui implique pour les salariés un temps de travail assorti d'horaires souvent fractionnés, avec des amplitudes horaires quotidiennes disproportionnées par rapport au temps travaillé. Je proposerai à la délégation une recommandation sur ce point.

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Quant au projet de loi lui-même, mon rapport récapitule l'ensemble de ses dispositions ayant une incidence sur les retraites des femmes telles que :

- le suivi spécifique, prévu par l'article 3, de la situation comparée des femmes et des hommes, confirmant ainsi l'importance attachée par le gouvernement à la résorption de ces inégalités ;

- le renforcement, grâce à l'Assemblée nationale, des garanties d'une représentation équilibrée des femmes et des hommes au sein du COR ;

- autre disposition introduite par l'Assemblée nationale, la demande d'un rapport étudiant la faisabilité de la suppression de la décote et du retour à l'âge de 65 ans pour bénéficier du taux plein, et établissant un bilan, sur la situation des femmes, de l'instauration de la décote et du passage de la borne d'âge à 67 ans pour bénéficier du taux plein ;

- l'article 13 prévoyant un rapport sur l'évolution des droits familiaux « pour mieux compenser les effets sur la carrière et les pensions des femmes et de l'arrivée d'enfants au foyer » ;

- un article 13 bis, ajouté par l'Assemblée nationale, concernant le dépôt d'une étude sur la réversion, dans le sens d'une harmonisation entre les régimes et l'on ne peut que s'en féliciter.

En revanche, rien dans le projet de loi ne s'attache spécifiquement à la question de la pénibilité au féminin.

Le projet de loi contient aussi des dispositions plus techniques telles que :

- le passage des « 200 heures SMIC » aux « 150 heures SMIC », qui s'adresse aux temps très partiels, et notamment aux travailleurs saisonniers du secteur agricole ;

- la prise en compte de la totalité des trimestres de congé maternité pour bénéficier du dispositif de carrière longue qui permettra à des femmes de partir plus tôt à la retraite ;

- la possibilité pour les conjoints collaborateurs de s'affilier directement à l'assurance vieillesse du conjoint chef d'entreprise en cas de cessation d'activité due au décès ou à la retraite de celui-ci, ou en cas de divorce ;

- la majoration de durée d'assurance pour les aidants familiaux, dont le Laboratoire de l'égalité a toutefois souligné l'insuffisance au regard des années parfois passées par certaines personnes auprès d'un proche handicapé ou dépendant.

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J'en arrive aux recommandations que la délégation pourrait formuler à propos du projet de loi qui nous est soumis. Elles concernent la pénibilité, le temps partiel, la prise en compte des carrières courtes et l'avenir des droits familiaux et conjugaux. Sur ce dernier point, je précise toutefois que si les droits familiaux et conjugaux peuvent être des correctifs pour compenser certaines inégalités liées au rôle des femmes dans la famille, l'idéal est de favoriser leurs droits propres.

En ce qui concerne tout d'abord la pénibilité, il s'agit de faire en sorte que le code du travail assimile à un facteur de pénibilité les emplois qui imposent aux salariés une amplitude horaire disproportionnée par rapport à leur temps de travail effectif. Tel est l'objet d'une des recommandations que je vous propose d'adopter.

L'article 5 bis prévoit le dépôt d'un rapport, à l'échéance de 2020, sur « l'évolution des conditions de pénibilité auxquelles les salariés sont exposés », et réaffirme le principe d'une « concertation préalable avec les organisations syndicales » aux fins d'une « éventuelle négociation » sur tout projet d'actualisation du décret définissant les critères de pénibilité. Il faudrait que ce rapport étende son objet aux facteurs de pénibilité auxquels sont exposées les femmes ; un amendement pourrait être déposé en ce sens en fonction des travaux de la commission des Affaires sociales.

Une proposition de recommandation consisterait à faire établir des statistiques de pénibilité sur la base d'une différenciation par genre, comme le proposait d'ailleurs notre présidente dans son rapport « Femmes et travail ».

Il faudrait, en outre - et c'est l'objet d'une autre proposition de recommandation - que l'actualisation des critères de pénibilité - si elle était entreprise - se fasse sur la base d'une représentation équilibrée des hommes et des femmes dans les équipes de négociation.

Or, il semble que la concertation avec les partenaires sociaux n'ait pas, à ce jour, conduit à une véritable prise en compte de la pénibilité que subissent les femmes au travail. C'est un domaine dans lequel la marge de manœuvre du législateur est étroite car les critères de pénibilité sont définis par un règlement, se contentant lui-même de transcrire le résultat de la négociation entre des partenaires sociaux pas toujours très paritaires en termes de sexes...

S'agissant ensuite du temps partiel, il semble que les jeunes femmes qui demandent à en bénéficier n'ont pas toujours conscience des conséquences que cela pourra avoir sur le niveau de leur retraite ; or à salaire partiel, retraite partielle...

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Je propose donc qu'une recommandation - c'est l'objet de ma quatrième proposition - prévoie l'information systématique des salariés qui demandent à bénéficier d'un temps partiel sur les conséquences de cette option sur leur future retraite. Cette information n'aurait pas à évaluer très précisément le manque à gagner attendu sur leur pension, mais à sensibiliser les intéressés au fait que leur choix pourra avoir sur leur retraite des conséquences réelles, un peu à l'instar des fumeurs prévenus des risques qu'ils encourent sur les paquets de cigarettes... Le relevé de situation individuelle pourrait être le support de cette information.

Une autre proposition de recommandation concerne également le temps partiel et, plus précisément, les horaires atypiques et fractionnés qui sont imposés dans certains secteurs, comme par exemple celui du nettoyage.

Dans de nombreuses entreprises et administrations, les personnels d'entretien sont contraints de travailler très tôt dans la matinée ou très tard le soir, quand les bureaux sont vides. Pourtant, dans bien des situations, le nettoyage pourrait probablement se faire à des heures de travail normales, sans conséquences excessives pour l'organisation du service. Certaines entreprises du secteur privé et certaines administrations et collectivité territoriales ont d'ailleurs déjà intégré cette dimension. Je pense que sur ce point, l'administration se doit d'être exemplaire.

Je ne suggère pas de modifier le code des marchés publics, mais que les diverses administrations qui ne l'auraient pas déjà fait sensibilisent systématiquement les donneurs d'ordre, dans le cadre des marchés publics, pour que les prestations - par exemple de nettoyage - ne contraignent les personnels des prestataires à des horaires atypiques que si c'est absolument indispensable. Tel est l'objet de ma cinquième proposition de recommandation.

Ma proposition de recommandation suivante concerne la prise en compte, dans le calcul des droits à pension, des carrières courtes.

La délégation aux droits des femmes de l'Assemblée nationale préconise de fixer le nombre d'années prises en compte dans ce calcul non pas sur les 25 meilleures années, système qui désavantage les carrières courtes, mais « en fonction du nombre d'années de carrière concrètement réalisées en pratiquant une proratisation » par rapport à une carrière complète. Si pour une durée de cotisation de 40 ans sont retenues les 25 meilleures années, il conviendrait peut-être alors d'appliquer la même proportion par exemple à une carrière de 20 ans, et l'on se réfèrerait pour cette dernière aux 13 meilleures années.

Une autre formule est proposée par le Défenseur des droits pour les personnes ayant eu des carrières courtes : il s'agirait de se référer non plus aux 25 meilleures années pour le calcul des droits à la retraite, mais aux 100

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meilleurs trimestres, soit une durée équivalente. Mais avec à un résultat différent sur les retraites.

Je vous propose donc de demander au gouvernement une étude permettant d'évaluer, pour les salariés ayant connu des interruptions de carrière, les conséquences d'un éventuel passage des 25 meilleures années soit aux 100 meilleurs trimestres, soit à un système fondé sur la proratisation de la période de travail.

J'en viens aux propositions de recommandation en matière de droits familiaux et conjugaux.

Je pense qu'il faut trouver un juste milieu entre, d'une part, la revalorisation indispensable des droits propres des femmes et, d'autre part, les compensation des contraintes familiales qui empêchent les femmes d'avoir des carrières complètes, à partir de droits familiaux et conjugaux remis à plat et réformés.

Ma septième proposition de recommandation recherche ainsi une juste compensation des contraintes familiales qui freinent la carrière des femmes, tout en rappelant qu'il faut absolument éviter d'encourager l'interruption ou le ralentissement de l'activité professionnelle des femmes.

Ma huitième proposition de recommandation serait de centrer les droits familiaux sur la maternité pour éviter qu'en bénéficiant aux pères, ils s'éloignent de l'objectif consistant à compenser les freins à la vie professionnelle des femmes liés à la maternité.

Dans cette logique, l'économie qui pourrait résulter de la suppression de la majoration de 10 % attribuée aux pères de trois enfants et plus pourrait permettre de revaloriser les droits versés aux femmes, voire de contribuer au financement de solutions d'accueil pour les jeunes enfants.

Si toutefois - autre option - cette majoration était maintenue, la piste de sa mutualisation pourrait être envisagée ; c'est-à-dire qu'elle serait en totalité versée au parent qui a interrompu sa carrière. Ayant évoqué cette proposition devant la ministre, je n'ai pas été convaincue par l'argument tiré de la discrimination ou de la menace européenne car, en théorie, le parent bénéficiaire pourrait être aussi bien un homme qu'une femme.

Mme Christiane Demontès

Cela ne fonctionnerait qu'au sein du couple.

Mme Laurence Rossignol, rapporteure

Oui, il est bien ici question des droits familiaux et conjugaux.

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Enfin, ma dernière proposition de recommandation concerne la prise en compte, dans la redéfinition des droits familiaux, d'un équilibre nécessaire entre le versement de prestations et l'attribution de trimestres validés, permettant aux femmes de liquider leurs droits plus tôt. En effet, à l'approche de la retraite, nombre de femmes souhaitent partir plus tôt. C'est un des effets de la « double journée »... Il faut leur en donner la possibilité en lieu et place de l'octroi de la majoration. L'option doit leur être offerte de choisir du temps plutôt que de l'argent.

Mme Brigitte Gonthier-Maurin, présidente

Il y a d'un côté le projet de loi et de l'autre, l'examen de ce rapport d'information. Nous n'avons pas abordé aujourd'hui l'article 2 qui définit par classe d'âge la durée de cotisation, et qui sera préjudiciable aux femmes. Mais bien entendu, nous ne voterons pas tous de la même façon sur ce texte.

La délégation de l'Assemblée nationale a permis d'introduire un article 2 bis proposant de mesurer l'impact pour les femmes d'un retour de 67 à 65 ans de l'âge pour bénéficier d'une retraite à taux plein. Peut-être pourrions-nous soutenir le maintien de cette disposition en séance...

Il faudrait aussi que l'une de nos propositions de recommandation mette bien en exergue la priorité donnée aux droits propres des femmes.

Mme Christiane Demontès

En tant que rapporteure au fond sur ce projet de loi, j'ai été très intéressée par tout ce que je viens d'entendre. Madame la Présidente, un projet de loi sur les retraites n'est évidemment pas suffisant pour compenser les inégalités subies par les femmes en la matière. Cette situation découle des inégalités rencontrées tout au long de la vie professionnelles et appelle donc un renforcement des droits propres. C'est un point sur lequel le rapport - et nos propositions de recommandation - pourraient insister davantage.

Mme Laurence Rossignol, rapporteure

Le titre de mon rapport le dit bien : « Retraite des femmes : tout se joue avant 60 ans ». Il montre clairement que les inégalités en matière de retraite reflètent les inégalités au travail.

Mme Christiane Demontès

Il faudrait aussi faire référence aux lois concernant l'égalité professionnelle et affirmer notre souci de vigilance quant à leur application.

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Mme Françoise Laborde

Tout ce qui se joue autour des droits familiaux concerne le couple et l'on ne met pas assez en évidence les inégalités subies par les femmes en tant qu'individus. Comme le faisait remarquer notre collègue Corinne Bouchoux lors de l'audition de l'Union nationale des associations familiales, il y a aujourd'hui d'autres types de familles : recomposées, homoparentales, monoparentales... Ce rapport doit traiter en priorité de la situation des femmes en tant que femmes.

Mme Danielle Michel

La dernière recommandation me choque. La référence à la double journée des femmes les stigmatise en tant que toutes désignées pour s'occuper des enfants puis des ascendants.

Mme Laurence Cohen

Merci pour ce travail. À l'occasion de plusieurs textes, nous avons pu constater une certaine réceptivité à nos propositions et il faut espérer que, là encore, elles pourront déboucher sur des amendements. Il faut centrer notre rapport sur les droits propres, ce qui n'est peut-être pas suffisamment le cas. Nos recommandations dans le cadre du projet de loi sur égalité femmes-hommes étaient allées assez loin ; il ne faudrait pas que cette fois-ci, nous soyons en retrait.

Mme Michelle Meunier

Nous sommes tous d'accord sur le constat. Nous verrons ensuite comment renforcer la place des droits spécifiques dans les recommandations.

Mme Laurence Rossignol, rapporteure

J'entends bien les remarques de nos collègues dans le sens d'une place plus importante faite aux droits propres. Mais quel est le problème ? Nous cherchons à corriger au moment de la retraite une inégalité qui s'est construite tout au long de la carrière. Quant au système de retraite, il n'est pas inégalitaire ; il est même cruellement égalitaire puisqu'un homme qui aurait une carrière hachée, avec interruptions et temps partiel, se trouverait lui aussi avec une retraite... de femme.

Il se trouve que le correctif actuel réside dans les droits familiaux. Le rapport ne s'interroge sur le rôle de ces correctifs qu'après avoir bien mis en exergue les inégalités à la fois au travail et dans la famille.

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L'une des choses les plus déprimantes que nous ayant entendu du COR et de l'INED c'est que, d'après les études, les jeunes femmes aspirent toujours une interruption de carrière autour de la maternité.

Mme Christiane Demontès

Ce n'est pas une aspiration ; c'est une nécessité.

Mme Laurence Rossignol, rapporteure

En tous cas, elles l'anticipent, non seulement pour des raisons financières mais aussi du fait de leur environnement culturel et psychologique. Les considérations financières jouent bien sûr pour les bas salaires mais l'aspiration à « faire une pause » existe aussi chez les femmes diplômées. Notre rapport dit bien que l'on ne peut encourager cela.

Agir sur les droits propres, cela reviendrait aussi à reconsidérer les pensions de réversion. Mais sur ce point je serai très prudente en attendant le rapport prévu par l'article 13 bis.

Je rappelle en outre que ce texte ne s'applique qu'au régime général des salariés du secteur privé.

Quant à la question des aidants familiaux, je ne fais que décrire une réalité : les aidants se trouvent être des femmes.

Mme Danielle Michel

C'est la réalité ; mais doit-on l'accepter ?

Mme Brigitte Gonthier-Maurin, présidente

Afin de rappeler toute l'importance des droits propres, la délégation pourrait dire qu'elle sera attentive à l'application de toutes les lois qui favorisent l'égalité professionnelle entre hommes et femmes.

Mme Laurence Rossignol, rapporteure

Entendu, nous ajouterons au tout début une recommandation sur l'importance des droits propres et les lois concernant l'égalité professionnelle.

Mme Michelle Meunier

Dans la recommandation 1 – qui devient désormais la recomman-dation 2 – comme dans les suivantes, il faudrait remplacer le mot « salariés » par le mot « salarié-e-s ».

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Mme Laurence Cohen

La définition donnée ici du temps partiel est un peu réductrice. Le problème du fractionnement est plus large.

Mme Christiane Demontès

Ce qui importe, ce sont les conditions d'emploi impliquant les amplitudes horaires disproportionnées. Le fractionnement peut aussi affecter des travailleurs à temps plein.

Mme Laurence Rossignol, rapporteure

L'objectif est de prendre en compte les contraintes spécifiques pesant sur la carrière des femmes, parmi lesquelles figure le temps partiel. Ce sont surtout les personnels à temps partiel qui subissent les amplitudes horaires les plus importantes.

Mme Christiane Demontès

Dans la grande distribution, cela concerne aussi des personnels à temps plein.

La délégation adopte la recommandation 2 (ancienne recomman-dation 1) ainsi modifiée :

« La délégation souhaite que soit assimilées à un facteur de pénibilité, au regard du code du travail, les conditions de travail impliquant pour les salarié-e-s des horaires fractionnés avec des amplitudes horaires quotidiennes disproportionnées par rapport à leur temps de travail effectif. »

Mme Laurence Cohen

À propos de la recommandation 3, ancienne recommandation 2, il faudrait préciser qui établira les statistiques sur la pénibilité.

Mme Christiane Demontès

Sur la base des DADS (déclaration automatisée des données sociales) remplies par les entreprises, c'est aux directions régionales des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l'emploi (DIRECCTE) qu'il reviendra d'établir ces statistiques.

Mme Brigitte Gonthier-Maurin, présidente

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Dans la recommandation 16 de notre rapport « Femmes et travail », nous incitions les partenaires sociaux à retravailler les grilles de classification. N'a-t-elle pas place ici ?

Mme Laurence Rossignol, rapporteure

Elle se rattache plutôt à notre nouvelle recommandation 1 qui pourrait être ainsi rédigée :

« La délégation réaffirme la priorité qui doit s'attacher aux droits propres des femmes. Dans cette perspective, elle sera vigilante à l'application des lois concernant l'égalité professionnelle entre hommes et femmes et appelle les partenaires sociaux à engager une refonte des grilles de classification professionnelle dans la perspective d'une nouvelle hiérarchisation des emplois non discriminante au regard de l'égalité salariale entre les femmes et les hommes. »

La délégation adopte ensuite la recommandation 3 (ancienne recommandation 2) ainsi modifiée :

« La délégation appelle à l'élaboration, en lien avec les directions régionales des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l'emploi (DIRECCTE), de statistiques précises de pénibilité sur la base d'une différenciation par sexe et à l'établissement d'un bilan de l'évolution des facteurs de pénibilité auxquels sont exposées les femmes. »

Mme Laurence Rossignol, rapporteure

À propos de la recommandation suivante, je pense qu'un jour nous voterons que toute décision prise par une instance qui ne comporte pas 35 % de femmes est nulle et non advenue...

La délégation adopte la recommandation 4 (ancienne recomman-dation 3) ainsi rédigée :

« La délégation demande que, en cas de négociation sur une actualisation des facteurs de pénibilité définis par l'article D. 4121-5 du Code du travail, les organisations syndicales assurent une représentation équilibrée des hommes et des femmes. »

Puis elle adopte sans modification la recommandation 5 (reprenant le texte de l'ancienne recommandation 4) ainsi rédigée :

« La délégation souhaite que les salarié-e-s demandant à travailler à temps partiel soient informé-e-s des conséquences de leur choix sur leur future retraite. Elle demande que cette information devienne obligatoire pour les responsables des ressources humaines, tant dans les fonctions publiques que

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dans le secteur privé. Elle appelle à une information systématique sur les conséquences du temps partiel en matière de retraite dans les relevés de situation individuelle et à l'aménagement de l'âge de l'envoi du premier relevé, si nécessaire, pour intégrer cette information. »

Mme Brigitte Gonthier-Maurin, présidente

À propos de la recommandation sur les marchés publics, il me semble qu'il serait préférable d'inciter les donneurs d'ordre et non pas seulement de les sensibiliser.

Mme Laurence Cohen

Je suis d'accord.

La délégation adopte la recommandation 6 (ancienne recomman-dation 5) ainsi modifiée à la demande de Mme Brigitte Gonthier-Maurin :

« La délégation souhaite que les donneurs d'ordre publics soient incités, dans leur cahier des charges lors de la passation de marchés publics, à inclure des critères sociaux permettant d'éviter les horaires atypiques ou fractionnés et les temps partiels à amplitude horaire quotidienne excessive. »

Mme Brigitte Gonthier-Maurin, présidente

Lors de la discussion de l'ANI (accord national interprofessionnel), notre collègue Catherine Génisson avait fait des propositions visant à dissuader le recours excessif au temps partiel en majorant les cotisations sociales des entreprises employant plus de 20 % de salariés à temps partiel. C'était la recommandation n 10. Je propose de la reprendre.

Mme Françoise Laborde

Pourtant certains employés, par exemple dans le commerce, peuvent préférer un travail à temps partiel pour éviter trop de fractionnement.

La délégation adopte la recommandation 7 nouvelle ainsi rédigée :

« La délégation estime nécessaire de décourager le recours excessif au temps partiel en prévoyant une majoration des cotisations sociales patronales dans les entreprises de plus de vingt salarié-e-s dont le nombre de salarié-e-s à temps partiel est au moins égal à 20 % du nombre total de salarié-e-s dans l'entreprise. »

La délégation adopte la recommandation 8 (ancienne recomman-dation 6) ainsi rédigée :

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« La délégation rappelle la nécessité de mettre en œuvre un système qui ne pénalise plus les carrières courtes dans le calcul du salaire moyen servant de référence pour la détermination du montant des retraites.

À cet effet, elle demande qu'il soit procédé à une étude permettant d'évaluer les conséquences, sur la détermination du salaire de référence, pour les salarié-e-s ayant connu des périodes d'interruption de carrière :

- du passage aux 100 meilleurs trimestres au lieu des 25 meilleures années ;

- de la proratisation de la période de travail prise en compte par rapport à la durée totale d'activité professionnelle. »

Mme Christiane Demontès

Je m'interroge sur l'intérêt du premier paragraphe de la première des recommandations concernant les droits familiaux et conjugaux.

Mme Laurence Rossignol, rapporteure

Qu'il n'y ait pas d'ambiguïté : nous commençons par rappeler la priorité donnée aux droits propres. Force est ensuite de constater que les inégalités ne viennent pas du système de retraites mais du déroulement de la vie professionnelle des femmes et que l'un des moyens d'augmenter leurs pension est aujourd'hui l'existence des droits familiaux et conjugaux. Mais bien entendu, plus nous reconnaissons ces droits, plus nous contribuons au maintien du partage traditionnel des tâches. Nous ne le faisons donc que jusqu'à un certain point tout en refusant que leur institutionnalisation n'aboutisse d'une façon ou d'une autre à un substitut de salaire maternel.

Mme Michelle Meunier

C'est ce que l'on appelle les rapports sociaux de sexes.

Mme Laurence Cohen

J'entends ce que vous dites mais je trouve le texte de la recommandation un peu défensif. Le premier paragraphe est-il indispensable ?

Mme Laurence Rossignol, rapporteure

Je vous propose de supprimer le premier paragraphe et de bien rappeler dans le deuxième paragraphe la priorité qui doit être donnée aux droits propres.

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Mme Christiane Demontès

La rédaction du troisième paragraphe relative à l'actuelle majoration pour troisième enfant pourrait aussi être modifiée pour préciser que la majoration pourrait devenir une allocation forfaitaire versée dès le premier enfant.

La délégation adopte la recommandation 9 (ancienne recomman-dation 7) ainsi modifiée :

« La délégation souhaite que les réflexions prévues par le projet de loi sur l'évolution des droits familiaux et conjugaux prennent en considération la nécessité d'éviter absolument d'encourager l'interruption ou le ralentissement d'activité professionnelle des femmes et proscrivent tout ce qui pourrait évoquer une forme de salaire maternel, fût-il différé. Si les droits familiaux et conjugaux contribuent à atténuer et à compenser les écarts de pension entre les hommes et les femmes, la délégation estime en revanche que la priorité doit être donnée aux droits propres.

La délégation estime que la transformation de l'actuelle majoration pour troisième enfant en une allocation forfaitaire versée dès le premier enfant est une piste à envisager. »

Mme Brigitte Gonthier-Maurin, présidente

Personnellement, je ne voterai pas la recommandation suivante, relative à la mutualisation de la majoration de 10 % au sein du couple.

Mme Laurence Cohen

Je ne partage pas non plus l'idée de faire porter aux membres du couple les contraintes nées de l'organisation des familles. Cela relève d'une responsabilité de la société toute entière.

Mme Brigitte Gonthier-Maurin, présidente

Oui, la sécurité sociale instaure une solidarité à une échelle bien plus large que celle du couple.

Mme Laurence Rossignol, rapporteure

Je considère pour ma part que c'est de l'enrichissement sans cause. Dans la mesure où il y a eu mutualisation des choix de carrières pour satisfaire aux contraintes familiales, la majoration doit revenir à la mère. Une fois à la retraite, lorsque l'homme perçoit une pension de 1 600 euros, sa majoration est de 160 euros contre seulement 70 euros pour la femme dont la pension n'est

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que de 700 euros. Et s'ils se séparent, l'homme garde sa majoration. Ce n'est pas acceptable !

Mme Laurence Cohen

Je peux me révolter comme vous mais...

Mme Brigitte Gonthier-Maurin, présidente

la sécurité sociale ne repose pas sur une logique de couple mais sur une logique de répartition.

Mme Christiane Demontès

Non, elle repose sur le modèle de la famille traditionnelle.

Mme Laurence Rossignol, rapporteure

La question posée est de savoir qui, au sein du couple, doit bénéficier des droits familiaux.

La délégation adopte ensuite, les sénateurs du groupe CRC votant contre, la recommandation 10 (ancienne recommandation 8) ainsi rédigée :

« La délégation est favorable au fait que les droits familiaux soient centrés sur la maternité afin d'éviter qu'en bénéficiant aux pères, ils s'éloignent de l'objectif consistant à compenser l'incidence de la maternité sur la vie professionnelle et la retraite des femmes.

Dans cette logique, elle estime que l'économie qui pourrait être réalisée du fait de la suppression de la majoration de 10 % attribuée aux pères devrait être consacrée à l'amélioration des compensations versées aux femmes, voire au financement de solutions d'accueil pour les jeunes enfants.

Si en revanche la majoration de 10 % était maintenue, y compris au bénéfice des pères, elle souhaite que son effet inégalitaire soit neutralisé par l'attribution de la totalité de cette prestation au parent qui n'atteindrait pas le taux plein en raison d'une carrière courte.

L'objectif est de mutualiser au niveau du couple les conséquences, en matière de retraite, des interruptions de travail subies par l'un des parents, en partant du principe que, dans un couple, celui qui atteint le taux plein est redevable à celui qui a interrompu son activité professionnelle pour consacrer du temps à l'organisation familiale. »

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Mme Françoise Laborde

La dernière proposition de recommandation se réfère à la tradition des femmes en charge des enfants comme des ascendants. Je ne suis pas d'accord avec ce cliché.

Mme Laurence Cohen

Ne pourrions-nous pas ne conserver que le premier paragraphe ?

Mme Laurence Rossignol, rapporteure

Vous avez raison.

La délégation adopte la recommandation 11 (ancienne recomman-dation 9) ainsi rédigée :

« Dans la redéfinition des droits familiaux, la délégation juge souhaitable de trouver un équilibre entre le versement de prestations et l'attribution de trimestres validés permettant de partir à la retraite plus tôt. »

Mme Laurence Rossignol, rapporteure

Parmi les recommandations que nous venons d'adopter, certaines peuvent donner lieu à amendements.

Mme Brigitte Gonthier-Maurin, présidente

Nous les soumettrons aux membres de la délégation pour cosignature.

Au terme de cet échange de vues, la délégation adopte le rapport d'information et les onze recommandations qu'il comporte.

Le rapport de Mme Laurence Rossignol a été publié sous le n° 90 (Sénat, 2013-2014) et est disponible sur internet à l’adresse suivante :

http://www.senat.fr/notice-rapport/2013/r13-090-notice.html

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AUDITION DE MME ALYA AGLAN, PROFESSEURE D’HISTOIRE

CONTEMPORAINE À L’UNIVERSITÉ PARIS I PANTHÉON-SORBONNE

(jeudi 24 octobre 2013)

Mme Brigitte Gonthier-Maurin, présidente

Nous recevons ce matin Mme Alya Aglan, professeure d'histoire contemporaine à l'Université Paris I-Panthéon-Sorbonne, qui va évoquer avec nous, dans ses grandes lignes, la question du rôle des femmes dans la Résistance.

Cette audition est organisée dans la perspective de la préparation du colloque dont nous avons adopté le principe lors de notre réunion du 3 octobre 2013.

Je rappelle que ce colloque sera la contribution de notre délégation à la première commémoration de la Journée nationale de la Résistance, le mardi 27 mai 2014, dont l'instauration résulte d'une proposition de loi de notre collègue Jean-Jacques Mirassou, signée par les membres du groupe socialiste. Cette proposition a été adoptée en mars dernier et elle est devenue la loi du 20 juillet 2013.

Ce texte a fixé la date de la Journée nationale de la Résistance au 27 mai pour commémorer la première réunion, par Jean Moulin, du Conseil national de la Résistance. Madame la Professeure, nous vous écoutons avec intérêt.

Mme Alya Aglan, professeure d'histoire contemporaine à l'Université Paris I-Panthéon-Sorbonne

Je vous remercie de m'associer à vos travaux sur ce thème des femmes résistantes.

Les femmes ont-elles joué un rôle spécifique dans la Résistance ? Quelle a été leur place ? Comme pour les hommes, il n'est jamais aisé de répondre avec des chiffres à des questions concernant un mouvement clandestin. On dispose toutefois de données a minima relatives au nombre de femmes fusillées et surtout déportées, grâce au travail de recensement des convois effectué par Serge Klarsfeld. On estime aujourd'hui à 88 000 le nombre total de déportés politiques, dont 10 % de femmes. C'est une preuve irréfutable de l'engagement des femmes, même si cela ne rend compte ni de son intensité, ni de sa variété.

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Malgré une participation très faible à la vie politique avant-guerre, les femmes sont nombreuses à prendre en charge le quotidien de la Résistance. Leur rôle essentiel consiste à restaurer le lien social mis à mal par la force corrosive de l'occupation.

Leur faible nombre apparent tient aussi au fait qu'elles ont été très peu nombreuses, après-guerre, à demander des cartes de combattants volontaires. Certaines ont été médaillées par le gouvernement français ou par le gouvernement britannique, mais lorsque l'on interroge la plupart d'entre elles, elles estiment que ce qu'elles ont fait était « normal ».

Claire Andrieu a décrit ces femmes comme les « intendantes de la Résistance ». Je dirais, pour ma part, qu'elles ont plutôt été les protectrices de l'ordre clandestin, s'adaptant aux modalités de l'action clandestine avant même la constitution des grandes organisations.

La Résistance a été organisée par des femmes et autour d'elles. Ce sont elles qui mettent en place les premières filières d'évasion des prisonniers de guerres français – qui ont ensuite profité aux aviateurs alliés –. Comme exemple de cette action, on peut citer le rôle des femmes auprès des prisonniers du centre de La Croix de Berny à Antony pour les prisonniers en attente de transfert vers l'Allemagne, ou encore le rôle joué par Simone Martin-Chauffier en Côte-d'Or. Plus tard, ce sont elles qui assurent le ravitaillement des maquis.

Leur rôle est complémentaire de celui des hommes, à la fois au sein des réseaux d'action clandestine - spécialisés par types d'opérations - et au sein de mouvements de Résistance à vocation plus politique. Elles y assurent des fonctions de secrétariat, d'agents de liaison ou prennent en charge le transport de matériel au travers de la ligne de démarcation. Cela supposait d'innombrables contrôles. Or, pour l'occupant, elles n'ont pas le profil de « terroristes ». Etre une femme était un atout pour passer ces contrôles.

Elles exercent rarement des fonctions de responsabilités, même si des exceptions existent telles Marguerite Gonnet, chef de Libération Sud pour l'Isère, ou Lucie Aubrac, à la tête d'un corps franc chargé d'organiser des évasions.

Elles peuvent aussi exercer une influence politique, comme celle de Berty Albrecht auprès d'Henri Frenay. C'est sous son influence qu'Henri Frenay a évolué en faveur de l'idée européenne.

Des femmes ont ainsi pu diriger des réseaux après l'arrestation de leur chef. C'est le cas de Marie-Madeleine Fourcade qui le raconte très bien dans son livre « L'Arche de Noé », surnom donné au réseau Alliance. Rappelons qu'il s'agissait de jeunes femmes d'environ 25 ans...

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Une mention particulière doit être faite des résistantes communistes. Au Parti communiste français (PCF), les femmes jouent un rôle important. Tout d'abord, les femmes germanophones se consacrent à une mission très dangereuse : un « travail antiallemand » (TA) consistant à lier conversation avec les soldats d'occupation pour les démoraliser. Il y a aussi les manifestations de ménagères organisées par le PCF. L'une de ces manifestations, restée célèbre, a lieu le 1er août 1942 devant le magasin Félix Potin de la rue Daguerre à Paris. Lise Ricol, compagne d'Artur London y mobilise la foule contre la pénurie et contre la relève annoncée par Pierre Laval, consistant en un échange de travailleurs volontaires contre le retour de prisonniers français. Il y a plusieurs blessées ; dix jours plus tard les militantes sont arrêtées. Ces mouvements ont été particulièrement étudiés par l'historienne américaine Paula Schwartz.

Les femmes ont aussi une place dans la Résistance extérieure. On peut citer Élisabeth de Miribel, affectée à Londres en 1939 à la mission française de guerre économique et qui reste pour assurer le secrétariat particulier du Général De Gaulle. On peut citer aussi, bien sûr, Ginette Éboué qui travaille au cabinet de son père, Félix, à Brazzaville, capitale de l'Empire rallié à la France Libre. Elles participent aussi aux comités de la France Libre constitués notamment aux Etats-Unis et en Amérique du Sud pour soutenir la cause de la Résistance. Des femmes sont engagées volontaires militaires au sein du corps féminin des volontaires, devenu en 1941 le corps des volontaires françaises. Sans jouer de rôle directement combattant, elles remplacent les hommes partout où cela est possible : comme conductrices de camion, mécaniciennes, infirmières, médecins ou encore au service du chiffre ; certaines sont même parachutistes.

Un cas unique est celui de Jeanne Bohec, jeune chimiste travaillant dans une poudrerie à Brest. À Londres, elle est engagée comme caporal dans le secrétariat des laboratoires de recherche militaires. Elle travaille au développement d'explosifs et réalise le coup de force d'être envoyée en mission en France par le Bureau central de renseignements et d'action (BCRA), les services secrets de la France Libre. Elle instruit les Forces française de l'intérieur (FFI) en Bretagne à l'usage des explosifs. Cette région revêtait un caractère stratégique car en application du Plan vert, les Résistants y étaient prêts, dès le mois de mai 1944, à détruire toutes les voies de communication avec le reste du pays, gênant ainsi les Allemands dans le rapatriement des troupes après le débarquement. Dans ses mémoires, intitulées « La plastiqueuse à bicyclette », elle raconte qu'elle maniait mieux les armes que ses compagnons masculins mais qu'on ne la laissait pas s'en servir lorsqu'un homme était là pour le faire.

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Présentes dans toutes les armes, les femmes volontaires sont au nombre de 15 000, dont 1 800 au sein de la France Libre ; que l'on songe notamment au fameux bataillon des « Rochambelles » au sein de la 2ème division blindée.

Les femmes ont donc exercé des fonctions spécifiques : elles ont eu une contribution incontestable à la Résistance.

Mme Brigitte Gonthier-Maurin, présidente

Votre présentation permet de saisir tout ce qu'il y avait en creux des actions de la Résistance. Mais que sont devenues toutes ces femmes ? Au-delà de leur engagement pour défendre le pays, ces femmes se sont-elles ensuite mobilisées pour sa reconstruction ?

Mme Alya Aglan

Des femmes sont restées engagées, comme Gilberte Brossolette, sénatrice, ou d'autre élues députées, mais il n'y a eu à ce jour aucune étude sur ce que les femmes de la Résistance sont devenues, plus particulièrement dans la vie politique.

Mme Brigitte Gonthier-Maurin, présidente

Elles se sont plutôt consacrées au devoir de mémoire ?

Mme Alya Aglan

Il y a eu bien entendu Lucie Aubrac qui a donné de nombreuses conférences dans les lycées. Il y a eu aussi un engagement très fort dans les années 1945-1947 en faveur de l'Europe, mais assez peu dans les partis politiques traditionnels, restés très masculins. Nombre de femmes avaient pour objectif principal, après la guerre, de fonder une famille.

Mme Corinne Bouchoux

Comment notre colloque pourrait-il être le plus pédagogique possible, évitant à la fois l'écueil de l'invisibilité des femmes dans la Résistance et celui de l'hagiographie ?

Mme Alya Aglan

Nous pourrons l'éviter en prenant des cas particuliers et en reliant toujours leur rôle à celui des hommes. Elles n'ont pas eu le rôle le plus visible mais leur protection et le maintien du lien social auquel elles se sont consacrées ont été essentiels.

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Mme Françoise Laborde

Mettre en valeur quelques personnalités d'envergure sera incontestablement de nature à enrichir notre colloque. En jouant ce rôle de protection qui leur est viscéral, les femmes sont entrées dans le vif du sujet à leur façon.

Mme Alya Aglan

Il s'agissait d'une protection au sens très large du terme, presque maternel car la protection armée des opérations était assurée par les hommes. Le rôle des femmes a été encore plus important avant la mise en place des organisations, moment où les hommes ont commencé à revendiquer qui des postes de délégué militaire régionaux, qui des mandats de représentants à l'Assemblée d'Alger.

Mme Brigitte Gonthier-Maurin, présidente

Notre manifestation s'annonce très bien...

Mme Alya Aglan

Oui, d'autant que nous veillerons à étudier les carrières des résistantes devenues sénatrices et députées, ce qui nous donnera une vision en coupe des femmes dans la vie politique au sortir de la guerre. Le Parti communiste est celui qui leur a laissé la plus grande place, y compris dans l'action clandestine. La plupart des femmes de cette époque aspiraient toutefois à une vie de famille... Il faut ajouter que la Guerre froide a apporté une certaine désillusion sur la construction du monde meilleur auquel on avait rêvé pendant la guerre.

Mme Brigitte Gonthier-Maurin, présidente

Oui, le Conseil national de la Résistance fut un grand moment d'ouverture et de consensus et puis...

Mme Alya Aglan

... le jeu politique traditionnel a hélas repris ses droits.

Mme Brigitte Gonthier-Maurin, présidente

C'est important car tout cela reste encore d'actualité. Je vous remercie.

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AUDITION DE MME NAJAT VALLAUD-BELKACEM, MINISTRE DE S DROITS

DES FEMMES, PORTE PAROLE DU GOUVERNEMENT

(jeudi 31 octobre 2013)

Mme Brigitte Gonthier-Maurin, présidente

Madame la Ministre, je vous prie tout d'abord d'excuser l'absence de mes collègues retenus en séance par la discussion du projet de loi sur les retraites, et je vous remercie d'avoir bien voulu venir jusqu'à nous à un moment, je le sais, où vous étiez particulièrement sollicitée.

Il y a un an, nous étions réunis pour vous entendre présenter l'actualité de votre ministère et évoquer les crédits inscrits à votre budget. Nous nous félicitions tous alors que notre délégation ait enfin comme interlocutrice une ministre à part entière.

Parmi les avancées de votre ministère, je citerai aujourd'hui, entre autres initiatives, l'organisation d'un comité interministériel aux droits des femmes et la définition pour chaque ministère d'une « feuille de route » en la matière, la mise en place d'un 4ème plan interministériel de lutte contre les violences faites aux femmes, qui va être prochainement défini ainsi que celle d'un premier plan interministériel de lutte contre la traite des êtres humains.

Pouvons-nous faire le point ensemble sur les avancées en matière d'égalité professionnelle, s'agissant notamment du temps partiel ? Dans l'examen du texte sur les retraites, avec Laurence Rossignol, nous avons pris une initiative pour que le temps partiel subi soit pris en compte au titre de la pénibilité. Hélas notre amendement est tombé sous le coup de l'article 40 de la Constitution mais nous avons pu faire voter, à l'article 5 bis, l'extension du rapport au Parlement prévu par cet article à une étude de la dimension sexuée de la pénibilité.

En octobre 2012, quand vous êtes venue nous présenter votre budget pour 2013 ainsi que l'actualité de votre ministère, vous avez déclaré souhaiter renforcer les liens avec les collectivités territoriales et les élus dans les domaines de compétence de votre ministère. Quel est le bilan des actions expérimentales avec les collectivités territoriales que vous avez alors mises en œuvre ? Y a-t-il eu de nouveaux domaines ouverts à cette coopération avec les collectivités ?

Par ailleurs, pouvez-vous développer les initiatives prises par le ministère de l'Éducation nationale en matière de déconstruction des stéréotypes à l'école ?

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De manière générale, la délégation est sensible aux moyens attribués aux associations qui interviennent dans les domaines qui nous concernent et dont il faut vraiment saluer le travail. Nous vous serions reconnaissants de faire le point avec nous des évolutions éventuelles, s'agissant des subventions aux associations, entre le budget de 2013 et le budget de 2014.

Madame la Ministre, je vous cède sans plus tarder la parole pour que vous nous présentiez votre budget pour 2014 et que vous fassiez le point avec nous sur les principaux dossiers qui constituent votre actualité.

Mme Najat Vallaud-Belkacem, ministre des Droits des femmes, porte-parole du Gouvernement

Je répondrai, si vous le voulez bien, en présentant mon budget qui traduit concrètement l'engagement du Gouvernement en faveur des droits des femmes. Les crédits 2014 s'élèvent à 24,3 millions d'euros, en hausse de 3,4 % par rapport aux crédits de 2013, en augmentation de 14,8 % par rapport à la dotation précédente. Mon ministère gagne également deux équivalents temps plein, qui s'ajoutent aux cinq de 2013. La politique de l'égalité entre les femmes et les hommes est une politique interministérielle : si l'on globalise tous les crédits qui y contribuent, l'effort total représente 200 millions d'euros.

Parmi nos priorités, il y a effectivement la mise en œuvre du quatrième plan interministériel de lutte contre les violences faites aux femmes que vous mentionniez à l'instant et que je rendrai public le 25 novembre 2013. Le principe est simple : aucune violence déclarée ne doit rester sans réponse. Ce plan mobilisera 5,5 millions d'euros. Les accueils de jour seront développés : ils seront 97 à la fin de cette année, répartis dans 89 départements. Un nouveau service téléphonique d'écoute et d'orientation sera mis en place, grâce à la modernisation du « 39.19 » : il fonctionnera sept jours sur sept et vingt-quatre heures sur vingt-quatre. Il sera désormais l'unique numéro à contacter pour toutes les formes de violences et les personnes seront orientées à partir de ce point d'entrée. Les appels seront gratuits, y compris, c'est une nouveauté, depuis les portables.

De plus, 900 000 euros seront consacrés au déploiement du téléphone d'alerte pour les femmes en grand danger, victimes de violences conjugales ou de viol. Nous développerons également les stages de responsabilisation pour les auteurs de violences. Une enquête sur les violences faites aux femmes (VIRAGE) alimentera l'Observatoire national des violences faites aux femmes de nouvelles données. Nous financerons aussi la Mission interministérielle pour la protection des femmes victimes de violences et la lutte contre la traite des êtres humains (MIPROF), mise en place à la suite du comité interministériel du 30 novembre 2012. D'autres ministères sont mobilisés : l'Intérieur, la Justice, la Santé, le Logement. Au total, les moyens consacrés à la lutte contre violences faites aux femmes progressent de 11 % en 2014.

L'égalité professionnelle entre les femmes et les hommes est la deuxième priorité. Des expérimentations ont déjà été engagées dans neuf

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régions, avec des initiatives pour favoriser la mixité professionnelle, renforcer la formation à l'égalité professionnelle, mieux accompagner les mères en congé parental, etc. Pas moins de 400 projets ont été lancés. Une évaluation est en cours. Grâce à l'abondement par des financements des régions et du Fonds social européen (FSE), nous avons pu quadrupler les moyens mis en œuvre.

Troisième priorité : la création d'une action spécifique consacrée à la lutte contre la prostitution et la traite des êtres humains. Nous augmentons notre effort de 25 % afin de mieux répondre aux besoins d'accompagnement social et professionnel des personnes prostituées. Les associations seront davantage aidées. Nous travaillons à la mise en œuvre du premier plan interministériel de lutte contre la traite des êtres humains qui sera présenté, en effet, fin novembre.

Je comprends votre préoccupation concernant les moyens des associations, que nous soutenons : les dotations destinées aux grandes associations partenaires sont maintenues, voire augmentent - c'est le cas des dotations destinées aux bureaux d'aide à l'emploi des Centres d'information sur les droits des femmes et des familles (CIDFF) et à la Fédération nationale Solidarité Femmes (FNSF). Celle-ci recevra 300 000 euros supplémentaires car elle gérera le nouveau service téléphonique d'écoute et d'orientation. J'ai aussi voulu sécuriser le financement des associations en renouvelant la pratique des conventions pluriannuelles d'objectifs : onze conventions de ce type ont été conclues en 2013 et quatre sont en chantier. En outre, nous avons conclu un partenariat avec l'Agence du service civique, pour faciliter l'accueil de jeunes en service civique dans ces associations.

Nous veillons à faire respecter la loi en matière d'égalité professionnelle. Les contrôles commencent à produire des résultats : plus de 400 mises en demeure, 4 entreprises sanctionnées, près de 3 000 plans ou accords déposés. Outre ce volet répressif, nous avançons en jouant sur la publicité et la réputation. Lors de la semaine de l'égalité professionnelle, avons rendu public un palmarès des entreprises les plus vertueuses en matière de féminisation des instances dirigeantes. N'oublions pas que la féminisation n'atteint que de 10 % dans les comités directeurs et les comités exécutifs... Ce palmarès sera reconduit chaque année.

En 2014, nous apporterons des réponses pour faciliter l'articulation des temps de vie familiale et professionnelle. Le plan « crèches » annoncé par le Premier ministre en juin 2013 a pour objectif de créer 275 000 solutions d'accueil supplémentaires avant 2017. S'agissant du temps partiel, début 2014, M. Michel Sapin et moi-même dresserons un premier bilan d'application de la loi de sécurisation de l'emploi.

Le projet de réforme des retraites marque des avancées, notamment pour comptabiliser le « petit temps partiel » dans le calcul des droits – et je souhaite ouvrir pareillement l'accès aux indemnités journalières. Pour lutter contre la précarité économique des femmes, nous nous pencherons sur les

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obstacles à l'activité professionnelle du deuxième membre du couple, trop souvent peu incité à travailler.

L'année 2014 sera celle de la mixité des métiers. Seulement 12 % des salariés français travaillent dans un secteur mixte, c'est-à-dire où la répartition entre les sexes est au moins de 60-40. Nous lancerons une grande campagne de communication sur ce sujet. Les femmes rejoignent trop souvent des secteurs d'activité professionnelle sous-valorisés. Un comité de pilotage associera en 2014 collectivités territoriales et fédérations professionnelles. Le nouveau service public d'orientation, en cours d'expérimentation, a également pour mission de favoriser la mixité entre filles et garçons dans les filières de formation. Enfin, pour aider les familles monoparentales, nous créons une garantie contre les impayés de pension alimentaire.

M. Roland Courteau

J'apprécie que les moyens consacrés à la lutte contre les violences faites aux femmes augmentent de 11 % et que les moyens des associations s'accroissent, tout en étant sécurisés grâce à des conventions pluriannuelles. Nous devons nous réjouir de pouvoir compter sur ce tissu associatif qui fait un travail remarquable.

Vous créez des stages de responsabilisation. Quel sera leur contenu, leur durée, leur fonctionnement ? Enfin, l'Académie de Montpellier a été retenue pour l'expérimentation du programme « ABCD de l'égalité ». Quelle évaluation en faire, deux mois après son lancement ?

M. Alain Gournac

Je me réjouis que vos crédits augmentent de 3,4 %. Je rends moi aussi hommage au tissu associatif, relais indispensable et souvent bénévole de l'action en faveur des droits des femmes. Le service civique permettra à des jeunes de prendre conscience de l'ampleur des inégalités. À partir de quel âge ?

Mme Najat Vallaud-Belkacem, ministre des Droits des femmes, porte-parole du Gouvernement

À partir de dix-huit ans.

M. Alain Gournac

Par ailleurs, je suis perplexe à l'égard de la proposition de loi qui pénalise les clients de prostituées. Celles-ci craignent d'être contraintes d'exercer dans la clandestinité et d'être confrontées à plus d'insécurité.

M. Jean-Pierre Godefroy

Je note avec satisfaction la création de l'action 15, pour la lutte contre la prostitution et la traite des êtres humains. Mme Chantal Jouanno et moi avons, dans notre rapport d'information sur la situation sanitaire et sociale des

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personnes prostituées, formulé des propositions, en insistant sur une prise en charge globale de ces personnes. Une proposition de loi a été déposée à l'Assemblée nationale. Je soutiens la plupart des mesures. Mais est-il pertinent de supprimer le délit de racolage et, concomitamment, de pénaliser le client ? Cette combinaison risque de conduire à l'inverse du but recherché : la combinaison des deux mesures pourrait profiter aux réseaux. C'est pourquoi je propose, à l'instar de ce qui se fait en Grande-Bretagne, de ne pénaliser le client que s'il a recours à une prostituée agissant sous la contrainte d'une tierce personne.

M. Alain Gournac

Ce n'est pas la majorité.

Mme Claudine Lepage

Quelle sera l'articulation entre la proposition de loi issue de l'Assemblée nationale et le plan du Gouvernement sur la traite des êtres humains ?

Mme Najat Vallaud-Belkacem, ministre des Droits des femmes, porte-parole du Gouvernement

Le plan interministériel n'est pas d'ordre législatif : un seul texte de loi sera examiné, celui issu de la proposition de l'Assemblée nationale.

Mme Françoise Laborde

La mixité des métiers est un thème qui nous est cher. La délégation vous soutiendra dans ces actions, de même que pour celles qui concernent les stéréotypes à l'école. Quant à la pénalisation des clients de la prostitution, elle suscitera certainement de longs débats. Je me félicite comme mes collègues de la hausse des moyens consacrés aux associations. Une loi sur la famille est en préparation : j'ai suscité des réactions parfois très vives en affirmant qu'il était important que les deux parents, séparés, continuent tous deux à être proches de l'enfant, dans l'intérêt de celui-ci. Mon amendement d'appel, lors de la discussion du projet de loi pour l'égalité entre les femmes et les hommes, sur la priorité à la garde alternée, a suscité de nombreuses réactions. Je ne suis pas une fanatique de la garde alternée pourtant, plutôt de la garde aménagée, dans laquelle tout est organisé pour que l'enfant voie ses deux parents aussi souvent que possible.

Mme Brigitte Gonthier-Maurin, présidente

Quand l'Assemblée nationale examinera-t-elle le projet de loi sur l'égalité des hommes et des femmes ? Lors de l'examen du texte sur les retraites, notre délégation a insisté sur l'importance des droits propres des femmes. Or les carrières féminines sont souvent discontinues, hachées.

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Les femmes sont donc pénalisées par toute mesure concernant la hausse de la durée de cotisation. Cela me préoccupe beaucoup. Quelle est votre position sur le sujet ?

Mme Najat Vallaud-Belkacem, ministre des Droits des femmes, porte-parole du Gouvernement

À M. Courteau, je préciserai tout d'abord que lors des stages de responsabilisation, les auteurs de violences pourront, selon les cas, les circonstances et les personnalités, faire l'objet d'une prise en charge individuelle ou être intégrés dans des groupes de parole.

Mme Brigitte Gonthier-Maurin, présidente

Qui assurera l'encadrement de ces stages ?

Mme Najat Vallaud-Belkacem, ministre des Droits des femmes, porte-parole du Gouvernement

Des psychologues. La rédaction du décret d'application est en cours, je vous y associerai. Ce stage constituera un complément ou un substitut à d'autres sanctions, mais il devra être systématiquement prononcé par le juge.

Le programme « ABCD de l'égalité » est expérimenté dans 600 écoles, depuis la dernière année de maternelle jusqu'à la dernière année de primaire. Un document a été établi comme support pour les enseignants. Libre à eux d'aborder le sujet durant le cours d'éducation physique – où se manifestent plus qu'ailleurs des différences de comportement – ou dans le cours d'histoire ou à tout autre moment. L'essentiel est de déconstruire les stéréotypes dès le plus jeune âge. Nous espérons une généralisation de cette sensibilisation à la rentrée prochaine.

Concernant la prostitution, je ne suis guidée par aucune idéologie arrêtée ni vision manichéenne. J'ai écouté tout le monde, reçu en particulier des personnes prostituées, entendu les interrogations sur les risques d'une plus grande clandestinité liés à la pénalisation du client. Une précision : nous n'avons jamais pensé que le plus vieux métier du monde disparaîtrait d'un jour à l'autre ! Nous prêter cette idée est une façon de ridiculiser notre position en nous faisant passer pour des naïfs. Pour autant, il ne faut pas baisser les bras. La loi de sécurité intérieure (LSI) de 2003 qui comprenait une pénalisation des prostituées induisait encore plus un risque de passage à la clandestinité. Mais le principal danger, la plus grande insécurité, n'est-il pas d'exercer la prostitution ? Toute mesure qui réduit le nombre de personnes qui deviennent prostituées, ou qui favorise la sortie de la prostitution, réduit le nombre de ses victimes. Il est certain que, dans un premier temps, des mécanismes de contournement apparaîtront. C'est inévitable.

Je voudrais dire aussi que l'essentiel, dans cette proposition de loi, est l'instauration d'un dispositif ambitieux pour favoriser la sortie de la prostitution : l'accompagnement, pendant un an, comportera différents aspects,

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logement, papiers, réinsertion, formation. Il ne faut pas négliger cet aspect, qui est vraiment fondamental.

Non, l'achat de services sexuels n'est ni naturel, ni souhaitable : nous le disons haut et fort. Du reste, la proposition de loi ne crée pas une peine de prison mais une amende. Je préfère parler de responsabilisation plutôt que de pénalisation. Une campagne de prévention visera à sensibiliser nos concitoyens à cette question. Nous souhaitons, par de telles actions, tarir progressivement les flux d'entrée dans la prostitution en abaissant le seuil de tolérance de la société.

La meilleure façon d'éviter la clandestinité, c'est de soutenir les associations qui vont à la rencontre des personnes prostituées. Or elles manquent cruellement de moyens. Nous leur en donnerons.

Monsieur Godefroy, je comprends votre crainte liée à la suppression du délit de racolage et à la création, dans le même temps, d'une sanction des clients. Mais ce système existe déjà dans notre droit. Songez à l'interdiction de vendre son sang : en cas d'infraction c'est l'acheteur qui est puni, non le vendeur, qui est considéré comme une victime. Il en va de même pour les ventes d'organes ou le recours à une mère porteuse. Les personnes prostituées sont dans le même cas.

M. Jean-Pierre Godefroy

Mais celui qui vend son sang est condamné aussi bien que celui qui l'achète. Si la prostitution n'est plus interdite, elle devient licite, le racolage est libre, sur Internet comme dans la rue : ce sont les réseaux qui exploiteront ces nouvelles possibilités.

Mme Najat Vallaud-Belkacem, ministre des Droits des femmes, porte-parole du Gouvernement

Le racolage actif continue d'être réprimé.

M. Jean-Pierre Godefroy

Si la LSI de 2003 est abrogée, il n'y a plus de texte et il est indispensable de définir les conditions du racolage. Je ne suis pas partisan, bien sûr, de revenir à l'ineptie de 2003...

Mme Najat Vallaud-Belkacem, ministre des Droits des femmes, porte-parole du Gouvernement

Je ne souhaite supprimer que le délit de racolage passif. Le racolage actif restera encadré par la loi, comme avant 2003.

M. Jean-Pierre Godefroy

La rédaction actuelle mérite sans doute d'être affinée. De plus, avant 2003, étaient passibles de sanction celui qui sollicitait ces services comme celui qui les proposait...

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Mme Najat Vallaud-Belkacem, ministre des Droits des femmes, porte-parole du Gouvernement

La réflexion se poursuit. La commission spéciale de l'Assemblée nationale vient à peine d'être installée.

En revanche, le mécanisme à l'œuvre en Grande-Bretagne n'est guère probant, de l'aveu même des Britanniques. Il n'est pas simple d'établir l'emprise d'un tiers ni, surtout, la connaissance qu'en a le client. Finalement, dans l'application concrète au Royaume-Uni, les autorités en viennent à considérer toute prostituée étrangère sous emprise d'un tiers, en revanche les prostituées britanniques sont considérées comme libres. Raccourci peu satisfaisant !

M. Jean-Pierre Godefroy

Prenons le temps d'y réfléchir.

Mme Najat Vallaud-Belkacem, ministre des Droits des femmes, porte-parole du Gouvernement

L'Assemblée nationale examinera la proposition de loi le 27 novembre 2013. En tout cas, Monsieur Godefroy, je salue la qualité de votre travail sur les aspects sanitaires et sociaux, qui révèle, par exemple, la moindre espérance de vie des prostituées ou leurs difficultés d'accès aux soins.

Madame Laborde, vous avez dû faire face à des réactions très vives sur le sujet de la garde aménagée... Les réactions à vos propositions ont-elles été si virulentes ?

Mme Françoise Laborde

J'ai découvert le « masculinisme » !

Mme Najat Vallaud-Belkacem, ministre des Droits des femmes, porte-parole du Gouvernement

C'est un sujet brûlant pour beaucoup de gens ; je reçois d'innombrables témoignages. À l'Assemblée nationale, vos collègues entendent donner la priorité à la notion d'intérêt supérieur de l'enfant. Le projet de loi pour l'égalité entre les femmes et les hommes sera examiné en commission à l'Assemblée nationale à la mi-décembre et en séance publique à la mi-janvier.

Nous avons obtenu des avancées pour les retraites des femmes. Les trimestres d'interruption au titre du congé maternité seront mieux pris en compte. Nous avons progressé sur les petits temps partiel, je l'ai dit. La situation des aidants familiaux ou des conjoints collaborateurs est aussi reconnue - ce sont pour l'immense majorité des femmes. En ce qui concerne les droits familiaux, il est prévu que le Gouvernement présentera un rapport dans les six mois suivant la promulgation de la loi. L'idée serait de mieux

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cibler les avantages familiaux sur les femmes, pour compenser les interruptions d'activité. Mais comme vous le savez il n'est pas possible, dans le cadre d'une réforme des retraites, de corriger toutes les inégalités professionnelles. Il faudra continuer à travailler sur des droits propres, le temps partiel et les inégalités de rémunération. C'est ce que nous faisons !

Mme Brigitte Gonthier-Maurin, présidente

Je vous remercie. Je voudrais aussi vous informer que notre délégation organisera en novembre et en décembre une série de tables rondes sur les violences faites aux femmes dans les territoires en conflit.

Nous examinerons aussi le texte sur la prostitution. Monsieur Godefroy, peut-être commencerons-nous par vous entendre, vous et Mme Jouanno ! L'accent mis dans le texte sur le soutien à la sortie de la prostitution me paraît être le bon angle d'attaque, ce qui souligne l'intérêt de votre intervention devant la délégation.

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DÉLÉGATION À LA PROSPECTIVE

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AUDITION DE M. PHILIPPE CHALMIN, ÉCONOMISTE ET HIST ORIEN, SUR LES PERSPECTIVES DES MARCHÉS DES MATIÈRES PREMIÈRES

(mercredi 23 octobre 2013)

M. Joël Bourdin, président

Mes chers collègues, nous sommes heureux d’accueillir Philippe Chalmin, professeur d’économie et d’histoire et fondateur du cercle Cyclope, laboratoire de recherche sur les marchés des matières premières, qui est en train de préparer son 28e rapport annuel. Nous avons souhaité recueillir son avis de spécialiste reconnu sur les perspectives à long terme concernant les marchés des matières premières. Je lui cède donc la parole.

M. Philippe Chalmin, économiste et historien

Mesdames, messieurs les sénateurs, pour appuyer mon propos, je vais vous présenter un certain nombre de graphiques que je commenterai en même temps. Je commencerai en nous resituant dans la tendance économique générale.

S’agissant de la croissance du PIB mondial en volume, nous subissons toujours les conséquences de la crise des subprimes survenue en 2008, avec une rechute bien visible en 2012-2013 suivie, récemment, d’un léger rebond. Cette rechute, l’évolution de l’indice boursier mondial le montre, les marchés boursiers ne l’ont pas connue : un tel optimisme est compréhensible dans la mesure où les entreprises mondiales bénéficient du dynamisme des pays émergents.

Pour leur part, les marchés des matières premières sont, encore aujourd’hui, touchés par un choc d’une ampleur comparable à celui que nous avons connu en 1974. Nous construisons tous les jours avec Coe-Rexecode un indicateur global, assis sur un panier constitué de matières premières, de l’énergie, des matières agricoles et des métaux non ferreux. Depuis sa création en 1988, cet indicateur a connu son point le plus bas à la fin de 1998 et au début de 1999 : jamais sans doute, au cours du XXe siècle, les prix des matières premières n’avaient été, en valeur réelle, si peu élevés. Ils ont été, depuis, multipliés par six.

Je mettrai deux bémols à ce constat. D’une part, ces cours sont exprimés dans une monnaie, le dollar, qui est instable. D’autre part, il s’agit de prix courants, même si l’incidence de l’inflation est toute relative. Le graphique montre très clairement un « hoquet » au second semestre 2008, suivi d’un rebond. Depuis pratiquement trois ans, les prix des matières premières restent stables, à des niveaux très élevés.

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Quelles sont les incertitudes qui pèsent actuellement sur la situation économique mondiale ?

Tout d’abord, l’économie chinoise ralentit. J’attire votre attention sur le fait que, pour la Chine, ce qui équivaut pour nous à la croissance zéro se situe probablement entre 5 % et 6 %. Autrement dit, à ce niveau, la Chine ne crée pas les emplois nécessaires pour satisfaire non seulement son trend démographique mais surtout les vingt millions de migrants qui, chaque année, quittent les campagnes pour aller vers les villes.

Le graphique illustrant la croissance de la production industrielle chinoise est sans doute le plus intéressant à ce titre, car il est vraiment le plus explicatif de la crise des matières premières que nous vivons aujourd’hui. Je ne cesse de le dire à mes étudiants, c’est le graphique le plus extraordinaire de toute l’histoire économique. Il commence en 1998, mais il aurait pu débuter en 1976, à la mort de Mao. Depuis 1976, la Chine et son 1,3 milliard d’habitants tournent en moyenne à 10 % de croissance annuelle.

Pour donner un ordre de grandeur, entre 1880 et 1914, les États-Unis, le grand pays émergent de l’époque, ont enregistré une croissance annuelle moyenne de 4,5 %, avec une population passant de soixante millions à cent millions de personnes, sur un total mondial de 1,8 milliard d’êtres humains à la veille de la Première Guerre mondiale.

À la fin du XXe siècle, la production industrielle chinoise suit un trend de 10 % de croissance par an et connaît un changement de braquet brutal à partir de 2001-2002. Souvenez-vous qu’en novembre 2001, à Doha, la Chine adhère à l’OMC. Sur les huit années suivantes, la moyenne de la croissance chinoise monte à 16 %, et la Chine apparaît alors sur les marchés mondiaux des matières premières, alors que ce pays avait auparavant un rôle marginal, tantôt importateur, tantôt exportateur.

C’est à partir du début du XXIe siècle que la Chine importe de plus en plus de matières premières, jusqu’à en devenir pratiquement le premier importateur aujourd’hui. À la limite, il est plus facile de recenser ce qu’elle n’importe pas ou pas beaucoup : cela se résume au café, au chocolat et au sucre. Ainsi, en 2002, la Chine importait cinquante millions de tonnes de minerai de fer ; en 2012, elle en a importé six cent cinquante millions de tonnes.

La croissance de la production industrielle marque une pause avec la crise de 2008, en diminuant même légèrement vers janvier 2009. Puis elle repart à la hausse, ce qui explique que l’indice des matières premières atteigne son plus haut à la fin de 2009 et au début de 2010.

Depuis, la production chinoise est assez fluctuante, très dépendante des aléas de la conjoncture politique. Elle a ainsi eu un passage à vide en 2012, en raison des incertitudes pesant sur le changement des équipes au pouvoir, de la tenue du 18e congrès du Parti communiste et des « révolutions de palais » autour de l’affaire Bo Xilai. Au début de 2013, la production

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industrielle est revenue à un niveau de croissance annuelle autour de 8 %-9 %, et de 10 % aujourd’hui.

La Chine était encore un petit radeau dans les années quatre-vingt-dix ; elle est désormais la deuxième puissance économique mondiale. Le fait de maintenir de tels niveaux de demande sur les marchés mondiaux est véritablement marquant.

Derrière la Chine, les autres pays émergents sont en train de « digérer » leur croissance récente relativement forte. Le taux de croissance annuel atteint 4 %-5 % en Inde, 2 %-3 % au Brésil. La Russie est plus un « émirat pétrolier » qu’un pays émergent : c’est un très bel exemple de ce que j’appelle la malédiction des matières premières ; j’y reviendrai.

La croissance américaine, inférieure à 2 %, n’a rien de très extraordinaire quand on sait tous les « dopants » fournis par les autorités de la FED au travers notamment du quantitative easing. Cela va tout un petit mieux sur le marché immobilier, d’où la crise est partie avec les subprimes. Les États-Unis se sont remis à créer des emplois, entre cinq millions et six millions, mais pas suffisamment pour récupérer les sept millions et demi d’emplois perdus en 2008-2009. D’où la faiblesse persistante du taux de participation à l’emploi calculé selon les critères américains. Néanmoins, les chefs d’entreprises américaines ont retrouvé un tant soit peu le moral, d’après les résultats de la célèbre enquête menée auprès des directeurs d’achat.

Un élément joue pour moitié au moins dans la croissance américaine : c’est le choc énergétique des gaz de schiste.

En France, la messe est dite, leur exploitation n’est pas envisageable avant la prochaine élection présidentielle.

Mme Marie-Hélène Des Esgaulx

Peut-être seront-ils exploités au Royaume-Uni.

M. Philippe Chalmin

Peut-être. Aux États-Unis, les gaz de schiste ont provoqué une véritable révolution énergétique.

La courbe d’évolution du prix du gaz naturel est exprimée en dollar le million de BTU, pour British Thermal Unit. Pour avoir l’équivalent en dollar par baril de pétrole, il faut multiplier par six. Actuellement, le gaz naturel vaut à peu près 3,75 dollars le million de BTU, c’est-à-dire moins de 24 dollars le baril équivalent pétrole. En 2006, avant le développement des gaz de schiste, l’hiver avait été particulièrement rigoureux, entraînant une hausse de la consommation de gaz naturel à un point tel que les Américains étaient persuadés d’avoir atteint le Peak gas : le prix du gaz avait dépassé 15 dollars le million de BTU, soit plus de 100 dollars le baril équivalent pétrole. Rappelons-nous que le pétrole n’avait atteint son propre pic que dans les premiers jours de 2008.

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Depuis, le prix du gaz n’a cessé de diminuer. Nous, Européens, payons le gaz naturel 11-12 dollars le million de BTU, grosso modo trois fois plus cher. Pour le Japon, le prix d’importation du gaz naturel liquéfié est de 17-18 dollars le million de BTU. Les États-Unis bénéficient donc en la matière d’un avantage comparatif considérable.

Ne nous faisons pas d’illusion. Même si la France avait du gaz de schiste exploitable, ce que nous ne savons pas à l’heure actuelle, étant donné le poids des normes environnementales, tout à fait légitimes d’ailleurs, et notre structure géologique, à mon avis moins favorable, la production se ferait à un coût de revient de l’ordre de 8 dollars le million de BTU. Ce serait tout de même inférieur au prix d’importation du gaz naturel, et cela nous donnerait une marge de manœuvre pour renégocier nos contrats avec Gazprom et la Sonatrach.

Cela étant, à l’instar des OGM, les gaz de schiste sont devenus un sujet politique, sur lequel aucune discussion rationnelle n’est possible. Nous ne pouvons que constater avec un peu plus de déception le niveau de la croissance américaine en sachant que la révolution énergétique, qui touche aussi le développement des pétroles non conventionnels, les pétroles de schiste, y contribue pratiquement pour moitié.

Si la situation des États-Unis n’est pas très glorieuse, celle de l’Europe n’est vraiment pas brillante. Je viens d’apprendre que l’OFCE tablait sur une croissance française à 1,3 % l’année prochaine. J’avoue que ce n’est pas exactement mon sentiment.

À voir l’évolution du nombre des logements mis en chantier en Espagne, passé de plus d’un million en 2006 à 30 000-40 000 à l’heure actuelle, je n’aurai qu’un commentaire : c’est le moment de s’acheter un appartement sur la Costa Brava ! Les Allemands ne se portent finalement pas si mal que cela, même s’ils ont du mal à relancer la consommation et qu’ils ne jouent pas le rôle moteur qui devrait être le leur. Quant aux Français, ils ont, comme vous le savez, le moral dans les chaussettes, et cela n’a pas dû s’arranger ces quinze derniers jours. Le dernier indicateur à ce sujet date de septembre ; je redoute une rechute au mois d’octobre.

Mesdames, messieurs les sénateurs, permettez-moi de livrer maintenant à votre sagacité un graphique d’une insigne cruauté, celui qui compare les taux de chômage allemand et français. Il se passe de commentaires… L’OFCE, par la voix d’Éric Heyer, prévoit 11 % de chômage en France à la fin de l’année prochaine malgré 1,3 % de croissance.

D’une manière générale, je ne fais pas partie des plus optimistes sur les prévisions de croissance des pays avancés. Cela n’engage que moi et la croissance n’a de toute façon qu’une incidence secondaire sur le marché des matières premières dans la mesure où la consommation dans ces pays ne varie pas significativement. Incontestablement, c’est la demande émanant des pays émergents qui pèse le plus.

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En revanche, les taux de croissance ont une implication sur une matière première essentielle qui s’appelle le dollar. Tous les marchés que j’évoque sont cotés en dollars, avec une corrélation du fait de la capillarité des marchés financiers : en clair, quand le dollar monte, le prix des matières premières baissent, et quand il descend, le prix des matières premières a tendance à monter. Ainsi, en juillet 2008, le pétrole atteint son point maximal, le dollar comparé à l’euro son point minimal. C’est à ce moment que se produit un événement fascinant : l’un et l’autre se retournent presque en même temps sans que l’on sache qui a commencé.

Sur une durée longue, à en croire la théorie de la PPA – la parité de pouvoir d’achat, en d’autres termes l’» indice Big Mac » –, le dollar devrait se situer entre 1,15 et 1,20 euro. Il est aujourd’hui sous-évalué. L’euro est pourtant le seul marché assez important pour juger de la faiblesse ou de la force du dollar, puisque le yuan n’est pas convertible.

Le cadre général fixé, venons-en aux matières premières.

Deux indicateurs sont à comparer. Le premier, global, est très dépendant du pétrole ; le second ne comprend pas l’énergie et s’appuie sur les produits agricoles et les métaux non ferreux. Je précise qu’il s’agit de l’énergie mondiale. Il n’est donc pas possible d’intégrer le gaz naturel puisque cette ressource n’a pas de prix mondial. Le premier indicateur a connu son point le plus haut en janvier 2011, dépassant même le pic survenu en janvier 2008, ce qui est directement dû à l’impact des achats chinois. Il s’est depuis lentement érodé, pour atteindre aujourd’hui un niveau de prix comparable à celui du deuxième trimestre 2008, qui était déjà un record. Le niveau le plus bas correspond à la fin de 2001, après le 11 septembre, c’est-à-dire le creux de la récession américaine. J’oserai dire que Ben Laden était un grand économiste : il a frappé des États-Unis qui étaient en récession alors que personne ne le savait.

Je vais maintenant balayer un certain nombre de marchés, en commençant par le pétrole.

Aujourd’hui, le baril oscille entre 100 et 110 dollars et on a l’impression que le pétrole n’est pas cher. Mais regardez la courbe ! Je cite toujours la couverture de The Economist, sur laquelle on pouvait voir un derrick en train de s’effondrer et lire cette légende : « Oil : 5 dollars the baril ? ». Des gens intelligents se demandaient donc si le pétrole pouvait tomber aussi bas.

Moi-même, en 2001-2002, je situais le prix du pétrole durablement dans une fourchette allant de 20 à 30 dollars le baril, en m’appuyant sur le raisonnement suivant : au-dessous de 20 dollars, les États producteurs se seraient retrouvés en difficulté ; au-dessus de 30 dollars, l’économie mondiale n’aurait pu supporter pareil choc. Or, le 10 juillet 2008, le pétrole a atteint 147 dollars le baril puis est retombé un petit peu.

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Il faut distinguer le prix du pétrole à l’international, le Brent, du prix du pétrole américain, le WTI, le West Texas Intermediate. Au cours des dernières années, l’écart entre les deux a pu aller jusqu’à 25 dollars. Il est aujourd’hui de l’ordre de 10 dollars, le Brent valant 110 dollars, le WTI 100 dollars. L’une des raisons de cet écart provient du fait que les États-Unis ont développé leur production nationale. Au mois de septembre dernier, la Chine les a dépassés comme premier importateur mondial.

Au fond, le marché du pétrole a été relativement peu perturbé. Les cours montent très légèrement au moment des frappes franco-américaines sur la Syrie, et cela se calme rapidement. À l’heure actuelle, le marché est bien approvisionné. Je me risque encore à un truisme dangereux : un prix de 100-110 dollars conviendrait à peu près à tout le monde. Outre qu’un tel niveau ne constitue pas un poids majeur, il représente un puissant facteur d’équilibre géopolitique. En effet, la plupart des pays producteurs équilibrent leur budget avec un pétrole à 80-100 dollars le baril. À 100 dollars, ils sont en mesure de rentabiliser des infrastructures nouvelles. Récemment, Total, soutenu par des partenaires chinois, a remporté le contrat relatif au gisement Libra au Brésil : étant donné qu’il y a trois mille mètres d’eau et trois mille mètres de sel au-dessous, le pétrole ne devrait pas sortir à moins de 80 dollars le baril.

Un prix de 100 dollars permet donc de garantir un relatif équilibre. Ainsi, l’Arabie saoudite n’as pas eu à pâtir du problème libyen, les actes de piraterie se stabilisent au Nigéria, l’Iran ne soulève pas de difficultés particulières. Je ne vois donc pas, à titre personnel, de détente sur le marché à très court terme.

Si, dans ce marché de l’énergie, le pétrole est le marché symbole, le gaz naturel, pour lequel, je le répète, il n’y a pas de prix mondial, nous raconte une histoire tout à fait différente. La révolution du gaz naturel a eu un impact sur la troisième grande énergie, à savoir le charbon. Le charbon est aujourd’hui l’énergie la plus sale, mais c’est aussi la plus consommée dans le monde.

Du fait du développement des gaz de schiste, les États-Unis se sont décarbonés, le gaz naturel augmentant sa part de marché dans la production d’électricité aux dépens du charbon. Étant un grand pays charbonnier, ils ont ainsi dégagé des excédents de charbon pour l’exportation, lesquels pèsent sur le marché mondial. Le charbon est un marché pur, qui n’a pas de marché dérivé. Alors qu’il a pu coûter, « coût et fret », 150 dollars la tonne, il doit se négocier à Anvers autour de 85 dollars la tonne aujourd’hui.

Que font nos amis Allemands qui, pour des raisons « vertueuses », ont décidé de sortir du nucléaire ? Comme ils n’ont pas encore suffisamment d’énergies alternatives, ils développent leur production d’électricité thermique, non pas avec du gaz trop cher, mais avec du charbon. Un industriel français du sucre m’a confirmé que le charbon était beaucoup moins cher que le gaz.

Après l’énergie, j’évoquerai l’agriculture.

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En la matière, nous sortons à peine de la troisième crise majeure en cinq ans. Une très bonne illustration vous en est donnée par la courbe du prix du blé à Chicago, exprimé en dollar le boisseau, qui est une composante majeure du prix mondial des matières agricoles.

Le cours du blé est déprimé. Après une petite pointe en 1995-1996, liée à un accident climatique, il se situe de 1997 à 2006 entre 2 et 4 dollars le boisseau. À partir de 2007, nous connaissons un épisode climatique très marqué avec le phénomène El Niño prononcé dans la zone pacifique, principalement en Australie. C’est la première grande flambée des prix, à la fin de 2007 et au début de 2008, connue sous le nom d’» émeutes de la faim ». La FAO a organisé un sommet alimentaire mondial en juillet 2008, au cours duquel de grandes décisions ont été prises. Mais, trois mois plus tard, Lehman Brothers fait faillite et tout est oublié. La canicule survenue en Russie en juillet 2008 a provoqué une nouvelle flambée des prix. En 2012, la sécheresse aux États-Unis a entraîné une hausse du blé, mais aussi du maïs et du soja.

Aujourd’hui, nous sommes plutôt dans une phase que je qualifierai d’atterrissage en douceur. Le cours du blé est remonté aux environs de 7 dollars le boisseau, soit le double d’avant la crise. Si les prix sont en train de rebondir, c’est en raison du poids de la Chine. Alors qu’elle n’était que marginalement présente sur le marché du blé, cette année, en raison de mauvaises récoltes, elle va dépasser l’Égypte comme premier importateur mondial, ce qu’elle est d’ores et déjà pour le soja.

Sur le soja, nous retrouvons des périodes de crises similaires au blé, avec un impact de la sécheresse américaine encore plus fort en 2012-2013. Les cours du soja se sont maintenus pendant des années entre 5 et 6 dollars le boisseau. Ils oscillent aujourd’hui entre 10 et 13 dollars, frôlant même un jour, à Chicago, 20 dollars le boisseau. La Chine importe aujourd’hui à peu près un tiers du soja mondial, ce qui est somme toute logique car, à la différence des Indiens, les Chinois ne sont pas végétariens. Du reste, la Chine devient un importateur structurel de maïs, des accords de long terme avec l’Ukraine venant d’ailleurs d’être signés.

Ces marchés des céréales sont littéralement sur la corde raide, avec des stocks de reports pour la campagne 2013-2014 qui vont être extrêmement réduits.

Je continue mon petit catalogue à la Prévert en abordant les marchés des métaux.

Intéressons-nous à l’indicateur qui reprend les six grands métaux non ferreux cotés sur la bourse de Londres, à savoir l’aluminium, le cuivre, le nickel, le plomb, le zinc et l’étain. Les prix ont été multipliés par quatre et restent à un niveau élevé, avec des histoires différentes. Tous les graphiques montrant l’évolution des cours des métaux ont à peu près le même aspect : flambée des prix jusqu’en juillet 2008, effondrement lié à la disparition temporaire de la Chine des marchés, rebond très net. Ce cycle se retrouve non seulement sur tous les métaux, mais également sur toutes les matières

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premières industrielles. C’est encore la Chine qui est l’élément déterminant sur tous ces marchés.

Je pourrais aussi vous parler de matières secondaires. Le marché des vieux papiers est à cet égard passionnant à étudier car, pour une fois, c’est nous qui sommes les producteurs. Le cycle des vieux papiers est très simple : nous importons des pays émergents des produits manufacturés qui sont emballés, nous les déballons et nous avons donc des monceaux de cartons et de vieux papiers. Ces monceaux de vieux papiers sont largement supérieurs aux besoins de nos papeteries puisque, produisant moins, nous avons moins besoin d’emballer. La logique est donc de réexporter nos vieux papiers, ce qui a ce côté très pratique de donner du lest aux conteneurs vides que nous renvoyons vers l’Asie.

Or, vers la fin de 2008, la Chine est totalement sortie du marché des vieux papiers, à tel point que, comble du paradoxe, les vieux papiers en Europe et aux États-Unis ont connu des prix négatifs. Jusque-là, les supermarchés se faisaient payer pour céder leurs vieux papiers et nombre de collectivités locales avaient elles aussi pris l’habitude de faire recycler leurs vieux papiers et leurs métaux. En 2008, la situation s’est inversée : il a fallu payer pour qu’on vienne chercher nos matières secondaires.

Au niveau du marché des métaux, la même courbe se retrouve un peu partout, exception faite de l’aluminium, qui a une histoire totalement différente. Les prix de l’aluminium sont aujourd’hui tellement déprimés qu’aucun producteur ne gagne sa vie sur ce marché. Cela provient d’investissements extrêmement importants. Pour produire de l’aluminium, il faut de la bauxite, de l’alumine et de l’énergie. Or de nombreux producteurs, notamment ceux du Golfe, ont voulu valoriser leur énergie, qui ne leur coûtait quasiment rien, en développant la production d’aluminium. D’où un constat de surcapacités et une déprime totale du marché. C’est ainsi qu’une ville comme Saint-Jean-de-Morienne serait insolvable si on ne lui faisait pas cadeau de son électricité.

Le contraste est saisissant avec le marché du cuivre, sur lequel même le marchand le moins efficace continue de gagner largement sa vie. Une tonne de cuivre vaut 7 500 dollars quand le plus mauvais producteur au monde doit s’en tirer avec un prix de revient de 5 000 dollars. Pour l’aluminium, le cours se situe à 1 800 dollars la tonne, alors que le prix de revient ne peut être inférieur à 2 000 dollars la tonne.

Tous ces marchés étant instables, des bulles spéculatives sont susceptibles de se former. En effet, qui dit instabilité dit risque, qui dit risque dit anticipation, qui dit anticipation dit spéculation, au sens de speculare, c’est-à-dire regarder vers le lointain, anticiper ce que sera, demain, le rapport entre l’offre et la demande. Si tout cela est rationnel, il est des moments où même les plus tempérés des spéculateurs versent dans une certaine forme d’irrationalité, sous la forme d’une bulle.

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Nous en avons un exemple avec le coton, qui, au début de 2011, a connu un niveau de prix jamais atteint en valeur réelle depuis la guerre de Sécession. Depuis, le cours s’est effondré à un dollar la livre. Les producteurs ne sont pas si mécontents sachant que le cours était à 40 cents la livre voilà une dizaine d’années. Là encore, la Chine, premier importateur mondial, joue un rôle stratégique tout à fait fondamental en s’appuyant sur d’importants stocks.

Pour le café, l’Organisation internationale du café a construit un indicateur global, résultat d’une pondération entre l’arabica et le robusta. En réalité, l’arabica a connu en 2011 une énorme tension. Cette même année, le cours était monté à 250 cents la livre, mais avec un écart de 140 cents entre l’arabica et le robusta. Aujourd’hui, la différence est tombée à 30 ou 40 cents. Si le robusta reste stable, l’arabica a connu une énorme variation liée aux aléas de la récolte au Brésil.

Le cacao connaît une relative remontée, après avoir vécu tous les aléas liés à la guerre civile en Côte d’Ivoire. Il reste des zones d’incertitudes.

Pour évoquer le sucre, je me contenterai d’une anecdote. Georges Conchon, ancien secrétaire des débats au Sénat, avait joué sur le marché du sucre les droits d’auteur qu’il avait perçus pour L’État sauvage, prix Goncourt. Il avait tout perdu ! Il en a fait un livre, qui est devenu un film.

Il est à noter que, notamment dans le domaine agricole, un prix de marché peut rester inférieur aux coûts de production, même ceux des producteurs les plus efficaces. Aujourd’hui, le Brésil est considéré comme le plus producteur le plus efficace au monde, avec un prix de revient de 15 cents la livre. Le cours mondial n’en est pas très loin, mais fut pendant longtemps largement inférieur. Cela démontre une certaine résilience quand bien même les prix sont bas. Il convient également de tenir compte de l’impact des politiques agricoles.

Mesdames, messieurs les sénateurs, le graphique que je m’apprête à vous projeter est peut-être la meilleure introduction à une considération sur l’avenir. Il porte sur une matière première, ou plutôt une commodité : le fret maritime. Les taux de fret font en effet l’objet d’un marché extrêmement fluctuant. Le Baltik Dry Index, ou BDI, est un indicateur calculé tous les jours en fonction des taux d’affrètement sur les principales routes maritimes pour le « vrac sec », c’est-à-dire les minerais et les céréales notamment, transporté par de gros vraquiers. Il s’agit d’un marché totalement libre, sans spéculation financière. Il y a, d’un côté, les armateurs – grecs, scandinaves, chinois –, de l’autre, les chargeurs, c’est-à-dire les affréteurs – grandes compagnie minières, négociants en céréales, etc.

Le BDI était à 1 000 en 1985. Il a connu une période de folie totale en juin 2008, montant à près de 12 000. Autrement dit, à cette époque, un bateau de 120 000 tonnes se louait grosso modo 150 000 dollars par jour. En décembre 2008, le même ne trouvait pas preneur à 7 500 dollars par jour. La situation est restée déprimée en 2011-2012.

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Tout cela tient au fait que le marché est dépendant d’un cycle de l’investissement. Quand les prix sont élevés, les commandes de bateaux se multiplient. Or la construction navale fonctionne avec un cycle de deux à trois ans. À partir de 2010-2011, ont donc été livrés les navires commandés en 2007-2008. Les taux se sont alors effondrés, la situation perdurant jusqu’à ces derniers jours. Je prends avec des pincettes la remontée que nous venons de connaître car, à l’heure actuelle, la flotte mondiale reste surcapacitaire. Songez que les taux pratiqués cet été ne suffisaient pas à payer le capitaine russe, l’équipage philippin, l’armateur maltais, le pavillon libérien, et encore moins les frais de soute pour faire fonctionner le bateau.

Finalement, que dire, que penser ?

Nous sommes dans une phase de fortes tensions sur les marchés. En tant qu’historien, je l’analyse comme s’inscrivant dans un cycle des matières premières qui fonctionne à peu près depuis la fin du XIXe siècle sur un rythme de vingt à trente ans, certes un peu perturbé par les guerres, un cycle essentiellement marqué au coin de l’investissement.

Pour résumer, au moment d’une forte tension sur les prix, tout le monde se dit qu’il faut investir, sachant que le temps de l’investissement est un temps long. S’ensuit une longue phase de déclin des prix. Les prix sont alors tellement bas que certains arrêtent de produire. Le marché se trouve rééquilibré, en attendant le prochain choc.

Quelles ont été les étapes successives depuis la fin du XIXe siècle ? Chute des prix dans les années 1900-1910 ; parenthèse de la Première Guerre mondiale ; choc en 1921, lié à la demande ; effondrement dans les années 1920-1930, bien avant, d’ailleurs, la crise de 1929 ; parenthèse de la Seconde Guerre mondiale ; choc de réapprovisionnement dans les années 1948-1953 ; tensions de la guerre de Corée ; effondrement des prix dans les années 1950-1960, avec un niveau de prix extrêmement bas à l’aube de 1970.

À l’époque, on a pu penser que le monde allait à terme manquer. Rappelons-nous le célèbre rapport Halte à la croissance ? Ce dernier concluait que, au vu des prix pratiqués, le monde ne passerait pas la fin du siècle, en raison de la pénurie de pétrole et de famines à répétition. La crise de 1974 fut, en réalité, la crise des années 1972-1980. Après un fort mouvement de réinvestissement, les prix s’effondrent dans les années 1980-1990, phénomène accru par l’implosion de l’URSS. Les cours atteignent des niveaux minimum à la fin du XXe siècle et au début du XXIe siècle. Très logiquement, il y eut un nouveau choc sur les prix à partir de 2005-2006. La dernière étincelle fut la montée en puissance de la demande chinoise. Ce cycle des matières premières constitue somme toute une histoire assez différente de la crise de 2008.

Mesdames, messieurs les sénateurs, puisque votre délégation a pour préoccupation de se projeter dans le long terme, posons-nous la question : où en est-on du cycle aujourd’hui et que va-t-il se produire ? Pour y répondre, revenons-en au basique : c’est une affaire d’offre et de demande.

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La demande, elle, est toujours là. Ce n’est pas parce que notre pays connaît une croissance quasi nulle que le monde n’avance pas. Selon les prévisions, que je prends néanmoins avec des pincettes, d’Olivier Blanchard, chef économiste au FMI, la croissance économique mondiale tourne autour de 3 % par an. Ce n’est pas aussi bien que les 4,5 % auxquels nous nous étions habitués au début du siècle mais, en perspective historique longue, un tel résultat est tout de même extraordinaire. Aujourd’hui, nous pouvons vraiment parler d’une « économie-monde », au sens de Braudel, qui couvre la planète entière. Or jamais le monde n’a connu durablement pareille croissance et, objectivement, il n’y a aucune raison d’imaginer que cette situation ne va pas perdurer.

Au sein du marché des matières premières, la Chine a donc une grande influence ; l’Inde aucune. Peut-être en aura-t-elle demain ; pour le moment, elle joue le rôle qui était celui de la Chine dans les années quatre-vingt : tantôt importatrice, tantôt exportatrice, mais toujours dans une proportion marginale. Si le reste de l’Asie n’est pas à négliger et se révèle globalement importateur, c’est bien la Chine qui pèse le plus lourd, en tant que premier consommateur et premier importateur mondial de pratiquement toutes les matières premières.

Le pari sur les matières premières est donc avant tout un pari sur la Chine. Pour ma part, je ne me pose pas la question de savoir si, un jour, il y aura une crise chinoise ; je me demande quand elle aura lieu. À l’évidence, la Chine connaîtra une crise. Je peux même vous dire que ce sera sur le modèle de la crise asiatique qui s’est déclenchée le 3 juillet 1997, à la suite de la dévaluation du baht thaïlandais.

Cela étant, à chaque fois que je me rends en Chine, j’ai tendance à en repousser l’échéance tellement je suis fasciné par l’exercice de fine tuning auquel se livrent les autorités chinoises. Je ne sais pas combien de temps tout cela va durer. Les déséquilibres s’accumulent et certains de mes confrères élaborent déjà des scénarios tablant sur une croissance chinoise à 5 %. À un tel niveau, la demande est toujours là mais ne pèse plus exactement du même poids.

Je vous invite à suivre plus particulièrement certains marchés de matières premières, car ils se révèlent de bons indicateurs du sentiment chinois. Le marché du minerai de fer est, de ce point de vue, emblématique. La Chine absorbe 60 % des importations mondiales. Le prix du minerai de fer était tombé à 110 dollars la tonne en mai-juin 2013, lorsque les doutes s’accumulaient sur l’économie chinoise. Il est, depuis, remonté à 130 dollars la tonne. Effectivement, au troisième trimestre, la croissance chinoise a été de 7,8 %.

Si la Chine donne l’impression de redécoller, elle représente une véritable épée de Damoclès qui menace tous les marchés de matières premières. Il est clair que ces marchés ne manqueront pas de répercuter le

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moindre aléa chinois, et ce de manière extrêmement violente. Voilà pour ce qui est de la demande.

Du côté de l’offre, il faut tout d’abord tenir compte de ce que j’appelle le « cycle de l’investissement » et intégrer le fait que le temps de la production des matières premières est un temps long.

Ce n’est que cette année, par exemple, que sortira le premier morceau de cuivre de la mine d’Oyu Tolgoi, en Mongolie, qui représente le plus grand projet de ce type au monde. C’est Rio Tinto qui l’a finalement développé. Voilà un projet vieux de vingt ans, puisqu’il remonte à 1994. Oyu Tolgoi ne produira probablement pas à plein régime avant 2018.

Cette année devrait aussi voir la première goutte de pétrole extraite de Kashagan, gisement situé dans la partie nord de la mer Caspienne. Les problèmes ne manquent pas. D’abord, c’est au Kazakhstan. Ensuite, le climat y est rude : froid et gel en hiver, grosse chaleur en été. Ce projet a au moins une quinzaine d’années. Lancé par ENI, à la tête d’un consortium de compagnies, il a été repris par Total, Chevron et quelques autres. Kashagan ne commencera vraiment à produire « plein pot » que dans trois ou quatre ans. Là aussi, cela aura pris quelque vingt années.

En matière agricole, c’est pareil. Nous avons tous entendu parler de multiples projets, notamment d’accaparement de terres, mais, jusqu’à présent, personne n’a vu la moindre production dans ce domaine. Chacun connaît le temps nécessaire à l’élaboration de nouvelles semences, à l’acquisition de nouvelles molécules.

Le cycle de l’investissement, j’y insiste, est un cycle long. Les matières premières en ont plus pâti à la fin du XXe et au début du XXIe siècle, quand cela faisait plus chic d’aller investir dans l’économie numérique et que Serge Tchuruk ambitionnait de faire d’Alcatel une « entreprise sans usine ». Investir dans les matières premières n’était alors vraiment pas à la mode.

Au-delà du cycle de l’investissement, il y a une véritable malédiction des matières premières. Les pays producteurs de matières premières ne sont jamais des pays heureux, bien au contraire. Pour décrire ce phénomène, les économistes parlent de Dutch disease, ou « mal néerlandais », expression apparue aux Pays-Bas après la découverte de gisements de gaz naturel près de Groningue, dont l’exploitation avait, au début des années soixante, provoqué une récession dans ce pays pourtant calme et tempéré. C’est Jan Tinbergen, l’un des premiers prix Nobel d’économie, qui en avait développé le concept.

Tous les pays producteurs de pétrole, tous les pays miniers sont marqués au coin de la corruption, de l’instabilité, des guerres civiles. Il n’est qu’à voir la situation de la République démocratique du Congo (RDC), de la Libye, du Nigéria ou du Venezuela. Il faut avoir le cœur bien accroché pour y investir ! Même aux prix actuels, personne n’a envie de risquer entre 3 milliards et 4 milliards de dollars – soit, à peu près, le niveau du ticket d’entrée – pour développer un complexe minier en RDC, pourtant riche en

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cuivre. La Russie en est aussi une cruelle illustration. A contrario, la Norvège, avec le pétrole, le Chili, avec le cuivre, sont quasiment les deux seuls exemples de pays ayant bien géré leurs ressources en matières premières.

Pour l’instant, donc, le cycle de l’investissement a pris un retard considérable. C’est vrai qu’il faut aller plus loin, plus profond et dans des pays plus risqués.

À observer les équilibres de marchés, un constat s’impose à nous : pour la plupart des produits, à quelques exceptions près comme l’aluminium ou le fret maritime, les marchés sont toujours pratiquement sur le fil du rasoir, à la merci d’éléments susceptibles de les perturber à court terme, tels le climat, qui joue un rôle très important et pas seulement pour les produits agricoles, ou, bien entendu, les aléas politiques.

Mon diagnostic est le suivant : la phase haute du cycle, dans laquelle nous nous trouvons, devrait, en toute logique, perdurer encore quelques années.

Il est tout à fait possible qu’il y ait, ensuite, cette phase de baisse tendancielle qui s’est toujours produite. Il faut bien se le dire, des prix élevés constituent une forte incitation à développer non seulement la production, mais aussi l’inventivité. C’est le point suivant que j’évoquerai, à savoir les « révolutions » industrielles.

Nous ignorons ce que seront les technologies de demain. Ainsi, personne n’avait entendu parler avant 2006 des gaz et pétrole de schiste, dont l’exploitation est désormais une réalité aux États-Unis. En matière de prospective, une chose est sûre : c’est dans le domaine alimentaire que les tensions promettent d’être les plus fortes.

Dans l’un de mes ouvrages, Le siècle de Jules : le XXIe siècle raconté à mon petit-fils, j’écrivais ceci : la seule chose dont je sois certain, c’est que, quand il aura mon âge, Jules aura toujours besoin de consommer, dans le cadre d’une alimentation la plus équilibrée possible, entre 2 500 et 3 000 calories par jour, avec une centaine de grammes de protéines, dont la moitié d’origine animale. Mais j’ignore à quelle énergie il aura recours ou les métaux dont il aura besoin pour vivre.

Le lithium, utilisé pour les batteries de nos véhicules électriques, a actuellement le vent en poupe ; mais qu’en sera-t-il dans vingt ans ? Les terres rares faisaient la une des journaux il y a encore deux ou trois ans : après avoir connu une flambée, leurs prix se sont effondrés car on a trouvé d’autres ressources à utiliser.

Certes, nous aurons toujours besoin de matières premières. Nous ne savons pas exactement lesquelles, sachant que nous faisons d’énormes progrès dans la récupération, le recyclage. L’objectif ultime, que nous n’atteindrons jamais, étant de parvenir à boucler le cycle de la matière.

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Dernier élément venant conforter le scénario à moyen terme de prix qui restent tendus : le dollar et la spéculation.

Ne l’oublions pas, les marchés sont, par nature, totalement instables et ne l’ont jamais autant été. Ils se trouvent être cotés dans une monnaie, le dollar, elle-même totalement instable, et ce dans un monde de spéculation.

Si les prix devraient, en toute logique, rester tendus dans les années à venir, des bulles pourraient apparaître. De mauvaises récoltes l’année prochaine seraient susceptibles de créer un nouveau choc sur les marchés agricoles. Nous vivons avec une épée de Damoclès au-dessus de nos têtes, dont le fil s’effrite un petit peu chaque année : je veux parler de la Chine. Peut-être une crise chinoise pourrait-elle marquer assez durablement un retournement des marchés.

M. Joël Bourdin, président

Je vous remercie, monsieur Chalmin, de nous avoir présenté ce vaste panorama.

M. Jean-François Mayet

La mise en exploitation de réacteurs de type EPR va permettre d’économiser énormément de minerai de base. J’ai lu dans la presse que les Anglais, qui ont du gaz de schiste, sont en train d’acquérir les deux premiers EPR d’Europe. Pensez-vous que cela puisse avoir une incidence sur les matières premières de l’énergie ? Autrement dit, le nucléaire n’est-il pas appelé à connaître une deuxième vie ?

M. Philippe Chalmin

Objectivement, je ne le pense pas. Malgré tout, Fukushima a montré que le nucléaire ne pouvait pas être mis entre toutes les mains. Je ne parle pas simplement d’un point de vue militaire. Le nucléaire exige un environnement sécuritaire et scientifique de très haut niveau. Souvenez-vous de Kadhafi venu rendre visite à Paris à l’ancien Président de la République, lequel, à l’époque, avait l’idée de lui vendre un réacteur nucléaire. Et que dire des réacteurs, dont la fiabilité est médiocre, que la Corée du Sud a « refilés » aux Émirats arabes unis.

Le nucléaire ne disparaîtra pas, mais il n’est pas opportun d’en attendre un développement considérable. À la limite, l’EPR pourrait enrayer son déclin, à condition que les problèmes techniques soient réglés. Là encore, nous sommes dans le fantasme politique.

J’ai eu l’occasion de dire à quel point le débat qui a eu lieu au sujet de la transition énergétique était surréaliste, puisqu’il excluait tant le nucléaire, l’énergie normalement la plus propre qui soit, que les gaz de schiste.

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Or, je vous le rappelle, le charbon pollue et émet du carbone à un niveau de 4, le pétrole à un niveau de 2, le gaz naturel à un niveau de 1. À mon sens, le gaz naturel peut être le chaînon manquant, sachant que nous rêvons tous d’un temps où nous aurons mis un terme aux énergies fossiles, d’un monde heureux fonctionnant avec des énergies renouvelables. Aujourd’hui, le renouvelable ne tient pas la route, ni économiquement ni même technologiquement. Il faut être clair à ce sujet. Ce débat français a un côté totalement surréaliste.

Dans la mesure où le nucléaire dépend de l’uranium, je ferai observer que l’uranium ne pose vraiment pas de problèmes. D’autant que, plus le nucléaire se développe, plus on tend vers le rêve de l’alchimiste, c’est-à-dire le renouvellement permanent.

M. Jean-François Mayet

C’est cela l’important !

M. Philippe Chalmin

Je ne connais pas suffisamment les centrales de quatrième ou cinquième génération pour en parler. Convenons, au demeurant, que le temps du nucléaire est un temps extraordinairement long.

M. Jean-François Mayet

Et coûteux.

M. Philippe Chalmin

Absolument.

M. Yannick Vaugrenard

Monsieur Chalmin, vous avez conclu en disant à peu près ceci : d’une certaine manière, la seule chose que l’on sait, c’est que l’on ne sait jamais, car il y a toujours des doutes. L’histoire récente le montre bien, personne, y compris les meilleurs prévisionnistes, n’avait imaginé la crise que nous traversons, qui est en fait une mutation profonde. Voilà qui est tout de même surprenant.

M. Philippe Chalmin

Monsieur le sénateur, avec un manque de modestie total, permettez-moi de vous recommander un petit ouvrage que j’ai écrit Crises : 1929, 1974, 2008. Histoire et espérances. Je m’y livre à un certain nombre de comparaisons et de citations.

En 1929, quinze jours avant le Jeudi noir, Irving Fischer écrivait ainsi que les marchés boursiers avaient atteint un haut plateau au-dessous duquel ils ne descendraient jamais. En 1974, Samuelson, prix Nobel, affirmait que nous étions capables de prévoir, d’anticiper et de guérir les crises économiques.

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Pour 2008, j’aurais également quelques perles à vous livrer, mais leurs auteurs étant des économistes français encore vivants, je préfère m’abstenir ! Je me contenterai de rappeler cette très jolie remarque de Standard & Poor’s en 2006 : « L’industrie bancaire mondiale est dans un état de prospérité inégalée et qui est destinée à durer. » Croyez-moi, j’ai tout un bêtisier de ce genre !

M. Yannick Vaugrenard

Pour autant, Amartya Sen, prix Nobel d’économie, indiquait avant la crise de 2008 que l’économie mondiale, notamment son volet financier, ne pouvait pas continuer ainsi, avec des taux d’intérêt à deux chiffres exigés au profit des fonds de pensions alors que la croissance mondiale oscillait entre 4 % et 6 %. Il y a toujours eu des économistes ou des prévisionnistes pour alerter l’opinion et les responsables politiques ou économiques. Convenez avec moi qu’ils ont été peu écoutés.

M. Philippe Chalmin

Oui.

M. Yannick Vaugrenard

La crise des subprimes est survenue sans qu’il y ait eu beaucoup d’alertes.

Nous aurions pu avoir la même discussion voilà trente ou quarante ans, mais avec une différence de taille : le monde ne se limite plus à l’Occident. Avant, il n’y avait que nous et nous ne nous préoccupions pas des autres. Dorénavant, vous l’avez dit, il y a la Chine. Il faut également tenir compte de l’évolution très importante du Brésil et, au-delà, de l’ensemble de l’Amérique latine, ainsi que de l’Afrique, même avec ses fortes incertitudes démocratiques.

À mes yeux, le fait majeur des vingt dernières années, c’est aussi l’évolution considérable qui s’est produite au niveau géopolitique. Il est possible d’imaginer que cela puisse encore bouger très rapidement. Personne n’avait prévu le Printemps arabe. Au Qatar, en Arabie saoudite, pour ne citer qu’eux, il y a bien un jour où les hommes et les femmes exerceront leur droit de révolte.

Finalement, il est plus facile et rassurant sur le plan économique et financier, aux yeux de l’Occident et de l’ensemble de l’économie mondiale, que les régimes en place dans de tels pays se maintiennent au pouvoir. Mais il y a bien un moment, même s’il est difficile de prévoir dans quel contexte cela aura lieu, où la situation évoluera.

À l’heure où la spéculation continue malgré tout de se développer, un élément s’impose à notre réflexion : le monde doit probablement s’organiser beaucoup plus qu’il ne le fait aujourd’hui, au niveau tant de l’Organisation mondiale du commerce, du Fonds monétaire international, de l’Organisation

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des Nations unies, avec les limites qu’on lui connaît, que des démocraties. Sinon, rien ne se régule, tout est possible, et c’est la pire des choses.

Aujourd’hui, la grande ambition des démocraties doit être de promouvoir une meilleure organisation de notre économie mondiale, qui puisse s’asseoir sur des réflexes et une approche démocratiques qui ne sont pas toujours évidents.

À défaut d’agir en ce sens, tous ces hommes et, surtout, toutes ces femmes qui souffrent d’une absence de démocratie pourraient bien donner un coup de pied aux fesses de ceux qui n’auraient pas pensé suffisamment tôt à s’organiser.

M. Philippe Chalmin

Je partage totalement votre point de vue sur les pays que vous avez cités. Le Qatar et l’Arabie saoudite illustrent cette malédiction des matières premières que j’évoquais. Simplement, ces pays sont tellement petits et disposent de tellement d’argent à dépenser qu’ils représentent des modèles, dangereux certes, mais impossibles à reproduire.

J’ai conclu ma présentation en soulignant que jamais le monde n’avait été aussi instable. J’aurais pu ajouter : jamais il n’y a eu aussi peu de pilotes dans l’avion. Et ce n’est pas la faute des marchés.

Qu’il me soit permis de rappeler que la dimension spéculative des marchés traduit simplement une fonction d’anticipation. Au travers de la fixation du prix d’une denrée, il projette ce qu’il en sera, demain ou après-demain, du rapport entre l’offre et la demande.

Nous avons tous en tête les images de 2008, au moment de la flambée des prix alimentaires, de ces « émeutes de la faim » : c’étaient des émeutes de la pauvreté et de la mal-gouvernance, pas des émeutes de la faim. Les produits ne sont jamais venus à manquer. Ont alors été immédiatement incriminés les « horribles spéculateurs ». Mais les marchés étaient dans leur fonction d’alerte. Que disent-ils encore aujourd’hui ? Pour nourrir correctement 10 milliards d’hommes en 2050, il va falloir doubler la production agricole de la planète ; il est donc temps d’investir et d’encourager la production pour augmenter les rendements, plutôt que d’inciter les agriculteurs à faire du bio.

Pour la prise de conscience du problème alimentaire mondial, les marchés, par le biais des trois crises des cinq dernières années, ont fait beaucoup plus que le silence coupable qui a été le nôtre par le passé, notamment dans les années quatre-vingt-dix.

Il y avait autant de gens qui mourraient de faim ; simplement, ce n’étaient pas les mêmes. Quand les prix sont bas, ce sont les agriculteurs qui crèvent de faim, et aucune caméra n’est là pour les filmer. Quand les prix sont élevés, il y a, dans les villes du tiers-monde, des « émeutes de la faim » et beaucoup de caméras.

Au fond, la fonction des marchés, c’est d’alerter.

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Quand le prix du pétrole atteint plus de 100 dollars le baril, voici ce qu’il faut comprendre : le pétrole, c’est rare, c’est sale et cela vient de lieux instables, donc il faut en payer le prix. À la limite, c’est le meilleur cadeau que nous puissions faire aux générations à venir.

Je n’ai jamais réussi à convaincre un ministre de l’agriculture, que ce soit Bruno Le Maire ou Stéphane Le Foll, de l’utilité de la spéculation. Je me suis rendu compte qu’ils traduisaient le mot anglais regulation, qui veut dire « réglementation », par « régulation », c’est-à-dire intervention et stabilisation.

À titre personnel, j’ai pris une grande part à la négociation d’accords internationaux, notamment sur les marchés du sucre, du café, du cacao. Cela n’a jamais marché. Je suis d’accord avec vous, le monde a besoin de gouvernance. Mais aucune stabilisation des prix des matières premières ne sera possible sans la mise en place d’un nouveau système monétaire international avec des taux de change stables. Cela devrait être facile à obtenir compte tenu du cartel de banques centrales existant. Nous n’y sommes pas encore parvenus.

La mère de toutes les instabilités, c’est l’instabilité monétaire. Ce n’est pas le rôle de l’OMC, ni celui de la FAO. Il faudrait, au minimum, pouvoir demander une certaine forme de réglementation sur les marchés dérivés. Mais pareil souhait se heurte à la réalité internationale, à tous ces opérateurs installés dans des paradis fiscaux.

Je suis désolé de le dire, nous sommes dans des situations totalement ingérables. Jamais le monde n’a été aussi instable mais, quelque part, il gère cet état de fait. Il y a dans cette instabilité une certaine forme de dynamique. Oui, monsieur le sénateur, vous avez totalement raison : jamais le monde n’a été aussi peu gouverné. Malheureusement, je ne sais pas du tout comment tout cela peut évoluer. Ce qui est clair, c’est que l’instabilité majeure est celle des devises. Tant que les marchés des devises n’auront pas été stabilisés, tant qu’un nouveau Bretton Woods n’aura pas été mis en place, assis sur un trépied dollar-euro-yuan, nous ne pourrons pas avoir quelque stabilité de longue période sur les prix des matières premières que ce soit.

M. Yannick Vaugrenard

Je ne partage pas votre analyse, excepté votre conclusion sur le fait que c’est effectivement sur le plan monétaire que se trouve le nœud du problème. Tout est parti, me semble-t-il, de la mise en cause des accords de Bretton Woods, quand le dollar n’a plus été indexé sur l’or.

Comment pouvez-vous considérer que les marchés ont raison de spéculer au prétexte que cela permettrait d’arriver à une forme d’équilibre ? Pour moi, c’est le contraire qui se produit.

M. Philippe Chalmin

Je comprends que mes propos puissent vous choquer.

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M. Yannick Vaugrenard

Ce n’est pas la question. Je ne suis tout simplement pas d’accord avec votre analyse.

M. Philippe Chalmin

Contrairement à ce qui est dit, la spéculation financière ne modifie en aucune manière les évolutions des prix à moyen et long termes. De multiples comparaisons ont été faites entre les différents types de marchés, dérivés, donc financiers, d’un côté, purement physiques, de l’autre. Qu’il s’agisse du minerai de fer, du cuivre, du blé ou du riz, la volatilité sur de tels marchés est souvent plus importante que celle sur les marchés financiers, justement parce qu’il n’y a pas cette même capacité d’anticipation que sur les marchés de spéculation financière.

Je sais que cela choque. D’ailleurs, vous avez voté dans la dernière loi bancaire l’interdiction de jouer sur les marchés agricoles. Permettez-moi de vous le dire, c’est, pour moi, de la sensiblerie mal placée. Paradoxalement, plus il y a de spéculation, plus efficient est le marché : le terreau de liquidités étant beaucoup plus large, personne ne peut l’influencer.

Je me souviens de Michel Rocard disant, au printemps 2008, au moment de la flambée des prix : « C’est très simple, il faut fermer les marchés. » Vous pouvez casser le thermomètre ; il fera toujours aussi chaud, ou aussi froid.

M. Yannick Vaugrenard

Là n’est pas la question. Personne ne vous dit qu’il faut fermer les marchés. Le temps manque aujourd'hui pour un vrai débat, je trouve cela dommage. Je suis obligé de vous quitter. Je m’en vais avec ma « sensiblerie mal placée » assister au débat sur le logement.

M. Joël Bourdin, président

Monsieur Chalmin, je partage votre point de vue sur la nécessité d’une stabilisation des marchés. Loin du sens commun que les gens lui donnent, la spéculation a en effet un caractère stabilisateur.

Il y a bien longtemps, à la fois en France, avec l’Onic, l’Office national interprofessionnel des céréales, et un certain nombre d’autres organismes, et surtout dans les pays africains producteurs, ont été mises en place des caisses nationales de stabilisation. Pour le cacao ou le café, par exemple, c'est-à-dire des matières premières qui ne se détériorent pas à très court terme, ces caisses achetaient des stocks, les conservaient et, selon l’évolution du marché, les mettaient en vente ou laissaient aller les productions.

Sur le papier, un tel système « tampon » était prometteur. Mais il a échoué, les dernières caisses de stabilisation ayant dû disparaître il y a une

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dizaine d’années. La raison en est toute simple : les hommes sont les hommes ; ceux qui étaient aux responsabilités n’ont pas forcément eu une bonne appréhension de l’efficacité du marché et leurs interventions ne se sont pas toujours faites sous le sceau de l’honnêteté.

M. Philippe Chalmin

Pierre Moussa fut l’inventeur des caisses de stabilisation africaines. À la limite, je serais partisan du retour de systèmes de ce type comme je suis partisan, en Afrique, d’un retour à des mécanismes fondés sur le modèle de la politique agricole commune.

La politique agricole commune fut financée dans les années soixante par le biais de prix élevés imposés aux consommateurs. Nous étions alors au cœur des Trente glorieuses. Aujourd'hui, les consommateurs dans les pays africains ne sont pas solvables. Dès lors que le producteur se voit garantir un prix rémunérateur, il faut qu’un tiers assure la compensation afin d’éviter des prix trop élevés dans les villes. Sinon, c’est la révolution qui menace. Cela étant, il faut reconnaître qu’une telle solution n’est pas du tout à la mode.

J’ai dû paraître à votre collègue Yannick Vaugrenard un horrible libéral et un être totalement sans cœur. Mais croyez bien que, quand je cherche à vendre mes idées sur la politique agricole dans les pays africains, je suis considéré comme le plus ringard des Français, à un point tel que vous ne pouvez pas l’imaginer. On est toujours à la droite ou à la gauche de quelqu’un. En ce qui me concerne, je fais le grand écart !

Le développement agricole de l’Afrique est le problème majeur du XXI e siècle. Pour le résoudre, il faudra selon moi passer par le maintien de la petite agriculture familiale, et donc par la garantie des prix et des débouchés. C’est ce qui a été admirablement réussi à l’époque de l’Onic et de la politique agricole commune des années soixante et qui a débouché sur ce que Debatisse a appelé la « révolution silencieuse ».

Cela étant, le credo néolibéral reste très largement dominant à Washington, à la Banque mondiale ou même à la FAO.

M. Joël Bourdin, président

Ma deuxième observation portera sur la malédiction des matières premières, phénomène que j’ai moi-même observé un peu partout, notamment en Afrique.

Le Congo est en train de se décomposer dans des conditions absolument dramatiques. Son malheur est d’être une anomalie géologique ; on y trouve de tout : cuivre, cobalt, etc. Résultat : le pays connaît une lutte de pouvoir importante, qui se traduit par des guerres intestines, civiles, et des intrusions extérieures.

La Guinée est un autre exemple. Elle renferme une véritable montagne de fer.

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M. Philippe Chalmin

Simandou !

M. Joël Bourdin, président

Cela se sait depuis longtemps, et chacun a en tête les coups durs que la Guinée a connus.

La Sierra Leone et le Libéria sont frappés par les guerres du diamant. La pire des matières premières pour l’entente entre les peuples, c’est le diamant : trouver quelques pépites ou quelques pierres précieuses est tout de même plus intéressant à la vente que deux kilos de fer !

Il existe cependant quelques exceptions à cette malédiction des producteurs de matières premières. Ainsi, la Zambie, que je connais bien pour être président du groupe interparlementaire d’amitié France-Afrique australe, reste un pays sérieux tout en étant un gros producteur de cuivre.

M. Philippe Chalmin

Dans les pays « à risque », il n’y a guère plus que les Chinois et les Indiens qui investissent. La Zambie en fait partie. Rappelons que la Copperbelt est le cœur de la pandémie du sida. Les anglo-américains ont pratiquement quitté la Zambie « à la cloche de bois », au point que la Banque mondiale les a obligés à payer une sorte de dédit à l’époque.

M. Joël Bourdin, président

Sur le marché du blé, l’offre n’est-elle pas relativement contrainte, au vu de la faible quantité de terres à blé dans le monde ? N’y a-t-il pas là une perspective de tension à la hausse relativement durable sur les prix ? D’autant que la Chine et de nombreux pays du tiers monde achètent du blé désormais. Les émeutes de la faim ont principalement eu lieu au Maghreb, dans des pays dépendants de la consommation de blé tendre ou de blé dur.

M. Philippe Chalmin

Il ne faut pas généraliser le cas de cette année. La Chine va probablement être l’un des premiers, si ce n’est le premier, importateurs mondiaux de blé. Aujourd’hui, les importations de blé chinoises varient dans une fourchette allant de six millions à dix millions de tonnes, sachant que le marché mondial se situe entre cent millions et cent dix millions de tonnes. C’est considérable, d’autant que nous ne disposons d’aucun élément sur une telle variation : cette année, non seulement la récolte de blé chinoise est mauvaise, mais surtout, 15 % à 20 % se trouvent impropres à la consommation. Pareille situation ne devrait pas se renouveler l’année prochaine. La Chine devrait beaucoup plus monter en puissance comme importateur de maïs.

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À la limite, c’est le maïs qui apparaît comme la céréale la plus importante. Il est à espérer une légère détente sur ce marché, étant donné que les États-Unis pourraient, à mon sens, ramener le programme de transformation de maïs en éthanol à des niveaux plus raisonnables.

Le blé a une dimension géopolitique majeure. Parmi les grands importateurs mondiaux, on trouve quelques pays tout à fait « normaux », à l’instar du Japon et de la Corée, ainsi que tout l’arc allant du Maroc à l’Iran. L’Iran fait aujourd’hui avec le Pakistan des opérations de troc « pétrole contre blé », à cette réserve près que la qualité du blé pakistanais ne satisfait pas les Iraniens.

Les pays de la mer Noire – Ukraine, Russie, Kazakhstan – ont, en la matière, un énorme potentiel.

M. Joël Bourdin, président

D’importants investissements y ont été réalisés.

M. Philippe Chalmin

Absolument. Un aléa existe : ce sont des territoires très élevés en altitude. Les Russes ont trois semaines de retard dans leurs semis de blé, en raison de pluies abondantes. Or l’hiver arrive. Les premiers grands froids représentent toujours un moment très important dans l’année. Si la vague de grand froid arrive après la neige, le matelas neigeux est suffisant et les graines ne gèlent pas, même à – 10°C. Dans le cas contraire, quand la neige ne joue pas son rôle protecteur, le sol gèle, il n’y a plus rien et il faut ressemer ce que l’on appelle les blés de printemps, avec des rendements beaucoup plus faibles.

Nous parlons là de zones, à l’instar du tchernoziom, ou « terres noires », d’Ukraine, qui ont des potentiels extraordinaires. L’Ukraine devrait être cette année le deuxième exportateur mondial de blé. Voilà une heureuse nouvelle car, à l’autre bout de la Terre, les vagues de chaleur vont avoir raison des récoltes en Australie. À terme, la production y est menacée. Si vous voulez vous faire une idée de la réalité du réchauffement climatique, allez en Australie : avec une sécheresse tous les ans, ce n’est plus un accident, c’est une mutation climatique structurelle. Je ne m’y connais pas assez sur le sujet pour me lancer dans le débat mais je peux affirmer qu’un producteur très fiable comme l’était l’Australie risque véritablement de disparaître peu à peu.

Je suis relativement optimiste sur le blé. Le développement du marché à terme de Paris est une très belle réussite. La cotation du blé « FOB Rouen » est devenue la deuxième cotation mondiale de référence, après Chicago. Point très important à retenir : les blés de la mer Noire se cotent par référence à Rouen aujourd’hui, plus qu’à Chicago ou au Golfe.

M. Joël Bourdin, président

Merci, monsieur Chalmin, nous avons eu beaucoup de plaisir à vous écouter.

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QUESTIONS DIVERSES

(mercredi 23 octobre 2013)

M. Joël Bourdin, président

Mes chers collègues, le président Bel a souhaité que la réflexion engagée avec l’audition du Commissaire général à la stratégie et à la prospective, Jean Pisani-Ferry, sur Quelle France dans dix ans ? se poursuive dans le cadre de deux groupes de travail, pour lesquels vos candidatures ont été sollicitées. Je vous indique que ces ateliers se réuniront une première fois le mercredi 30 octobre prochain, l’un après l’autre. Y seront désignés deux co-rapporteurs. Les travaux de ces deux ateliers seront rendus publics le 4 décembre prochain.

Ce rappel étant fait, Alain Fouché va maintenant nous présenter l’étude de faisabilité qu’il a préparée en prévision de l’établissement de son rapport d’information sur l’emploi.

M. Alain Fouché, rapporteur

Monsieur le président, mes chers collègues, lors de sa réunion du 8 novembre 2012, la délégation a retenu, au titre de son programme de travail pour l’année 2013, l’établissement d’un rapport consacré aux emplois de demain et aux formations à mettre en œuvre pour s’y préparer. Elle a bien voulu m’en confier la responsabilité.

Bien sûr, mon ambition n’est pas d’espérer apporter des solutions immédiates aux difficultés liées aux taux d’inactivité, et croyez bien que je le regrette ! Mais dans le contexte économique actuel, marqué par une montée importante du chômage, notamment celui des jeunes, il m’est apparu paru utile de réfléchir aux évolutions prévisibles du marché de l’emploi.

Quels sont les secteurs dont on peut prévoir qu’ils seront plus tard recruteurs ? Quelles sont les formations qu’il faudrait prochainement mettre en place – en commençant par former les futurs formateurs –, tant au stade de l’éducation de base qu’au niveau de la formation tout au long de la vie ?

Pour m’assurer de la pertinence et de l’intérêt de ce projet, j’ai déjà conduit une vingtaine d’auditions entre mars et octobre 2013.

Il ressort de ces premières rencontres un certain nombre de constatations, que je vous livre en vrac car elles m’ont troublé.

Premièrement, les données statistiques ne sont pas toutes concordantes, ni tenues très à jour.

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Deuxièmement, la multiplicité extrême et le cloisonnement des organismes chargés de la formation ou du placement des personnes à la recherche d’un emploi brouillent le message et accroissent l’opacité de la situation.

Troisièmement, les secteurs probablement recruteurs à terme sont déjà plus ou moins connus, mais seulement si l’on se place dans une optique de prolongement ou de répétition des tendances actuelles ; on imagine rarement les évolutions qui résulteront, par exemple, des progrès technologiques.

Quatrièmement, les compétences à acquérir tendent à devenir transversales ; on peut penser à l’informatique, bien sûr, mais aussi aux savoirs liés à l’environnement.

Cinquièmement, les méthodes d’enseignement, notamment dans l’enseignement supérieur, sont en profonde mutation.

Sixièmement, les parcours professionnels seront à l’avenir plus discontinus qu’actuellement et mieux individualisés, pour tenir davantage compte des aspirations personnelles.

Septièmement, enfin, les conditions d’exercice des métiers seront profondément modifiées, qu’il s’agisse de la localisation de l’emploi, de l’organisation du temps de travail, ou encore des rapprochements intersectoriels.

Telles sont mes premières observations. Afin de poursuivre et d’approfondir notre réflexion, d’autres auditions restent à mener, soit par moi-même, soit en réunion de délégation.

Enfin, j’envisage d’effectuer quelques déplacements. Je me rendrai à Bruxelles, pour y rencontrer la DG Éducation et culture, le Cedefop (Centre européen pour le développement de la formation professionnelle), les responsables du programme Ecvet (validation des qualifications en Europe). Je compte également aller dans la Vienne, que je connais bien, pour y auditionner le site du Futuroscope, le Cned, l’antenne régionale de Pôle Emploi, ainsi que le CNDP (Centre national de documentation pédagogique). Par ailleurs, je souhaite me rendre sur le terrain en province, pour visiter un OPMQ (Observatoire prospectif des métiers et des qualifications), et en Allemagne, pour rencontrer les responsables d’un centre d’apprentissage.

Je pense pouvoir vous présenter ce rapport d’ici à la fin de l’année 2013, après la tenue rituelle d’un atelier de prospective réunissant divers intervenants du secteur de l’emploi.

Conformément au devis qui sera soumis à l’approbation du conseil de Questure, si vous m’en donnez l’autorisation, les dépenses à engager pour réaliser ce travail devraient s’élever à 17 004 euros.

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M. Joël Bourdin, président

Je vous remercie, mon cher collègue, de cette présentation synthétique. Personne ne demandant la parole, je soumets l’étude de faisabilité au vote.

La délégation approuve l’étude de faisabilité.