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CONFERENCE DE PETER PERUTZ* (26.02.1980) CINQ OBSTACLES A SURMONTER POUR REPRENDRE L’INITIATIVE - DEMAIN** RESUME Mode de pensée No 1 : ATTACHER DE L’IMPORTANCE AU DEBUT DE LA REFLEXION AFIN D’ARRIVER A UNE BONNE FIN Mode de pensée No. 2 : SE DEMANDER SI LA RECHERCHE D’UNE NOUVELLE IDEE EST UN PLAISIR OU UN PIEGE Mode de pensée No. 3: CONSIDERER LES CONDITIONS MARGINALES COMME POINT DE DEPART POUR L’AVENIR Mode de pensée No. 4 : MODIFIER D’UN COUP SA PROPRE MARGE DE MANŒUVRE EN REMPLACANT COMME POINT DE REFERENCE LE VERBE « AVOIR » PAR LE VERBE « DEVENIR » Mode de pensée No. 5 : EVALUER LES FORCES ET LES FAIBLESSES SOUS DEUX ANGLES DIFFERENTS Cinq conceptions pour agir ! Réviser cinq fois la conception habituelle ! Surmonter cinq obstacles dont les racines sont en nous-même. De cette façon il est possible de modifier et d’élargir sa propre marge de manœuvre sans attendre les grands changements structurels planifiés par les autres ! et de reprendre l’initiative – demain.** ___________________________________________________________________ * Chef de programme de politique et stratégie d’entreprise jusqu’en 1984. Battelle, centres de recherche de Genève. ** Lors du 6e Congrès marketing tessinois ayant pour thème : « Que faut-il offrir demain » 26.02.1980, Lugano. (Le titre original était : « Cinque ostacoli da superare per riprendere l’iniziativa negli anni ottanta »)

CONFERENCE DE PETER PERUTZ* (26.02.1980) CINQ … OBSTACLES A SURM… · Cette situation m’a surpris car la plupart de mes interlocuteurs avaient eu du succès dans leurs domaines

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CONFERENCE DE PETER PERUTZ* (26.02.1980)

CINQ OBSTACLES A SURMONTER

POUR REPRENDRE L’INITIATIVE - DEMAIN**

RESUME

Mode de pensée No 1 : ATTACHER DE L’IMPORTANCE AU DEBUT DE LA REFLEXION AFIN D’ARRIVER A UNE BONNE FIN

Mode de pensée No. 2 : SE DEMANDER SI LA RECHERCHE D’UNE NOUVELLE IDEE EST UN PLAISIR OU UN PIEGE

Mode de pensée No. 3: CONSIDERER LES CONDITIONS MARGINALES

COMME POINT DE DEPART POUR L’AVENIR

Mode de pensée No. 4 : MODIFIER D’UN COUP SA PROPRE MARGE DE

MANŒUVRE EN REMPLACANT COMME POINT DE

REFERENCE LE VERBE « AVOIR » PAR LE VERBE

« DEVENIR »

Mode de pensée No. 5 : EVALUER LES FORCES ET LES FAIBLESSES SOUS

DEUX ANGLES DIFFERENTS

Cinq conceptions pour agir ! Réviser cinq fois la conception habituelle ! Surmonter

cinq obstacles dont les racines sont en nous-même. De cette façon il est possible de

modifier et d’élargir sa propre marge de manœuvre sans attendre les grands

changements structurels planifiés par les autres ! – et de reprendre l’initiative –

demain.**

___________________________________________________________________

* Chef de programme de politique et stratégie d’entreprise jusqu’en 1984. Battelle, centres de recherche de Genève. ** Lors du 6e Congrès marketing tessinois ayant pour thème : « Que faut-il offrir demain » 26.02.1980, Lugano. (Le titre original était : « Cinque ostacoli da superare per riprendere l’iniziativa negli anni ottanta »)

Peter PERUTZ Lugano, 26 février 1980

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INTRODUCTION

Dans les entretiens que j’ai eus avec les ultimes décideurs des organisations sur les

problèmes de développement de celles-ci, j’ai pris conscience du fait que quelques-

uns parmi eux croient devoir attendre que l’un ou l’autre de leurs partenaires actuels

ou futurs agissent. Quelques-uns pensent surtout que LE SYSTEME devrait

changer, autrement dit, que quelque chose doit se faire de l’extérieur. Tout en étant

compréhensible dans de nombreux cas, cette attitude offre une excellente explication

pour ne pas dire excuse, pour le fait que l’on ne peut rien faire soi-même.

Cette situation m’a surpris car la plupart de mes interlocuteurs avaient eu du succès

dans leurs domaines d’activités respectifs. Ils sont responsables d’entreprises

commerciales, d’associations, d’hôpitaux ou d’universités, de régions et même d’un

état. Je parlerai principalement de ceux qui ont du succès et les considérations

suivantes peuvent probablement aussi servir à ceux qui en ont moins. A partir de

mes expériences j’ai choisi cinq conceptions nous permettant de redevenir capables

d’agir sans devoir attendre des changements structurels. Ces modes de pensées

ouvrent des voies insoupçonnées pour prendre l’initiative.

Le fait que la plupart de mes interlocuteurs parlent du succès commercial,

scientifique, politique ou moral des organisations dont ils sont responsables est

édifiant. Ce faisant, ils négligent leur propre personne et oublient qu’ils sont eux-

mêmes et ainsi chacun de nous en tant qu’individu, « directeur général » de leur

propre marge de manoeuvre indépendamment de l’étendue de cette dernière.

L’organisation n’est qu’un instrument qui grossit tout dans le bon ou le mauvais sens.

Dans ma conférence je partirai donc de cette réalité; à savoir que chacun de nous

est le « directeur général“ » de sa propre marge de manoeuvre et je montrerai qu’il

existe des conceptions permettant de reprendre l’initiative ou, autrement dit, de

modifier ou d’élargir sa propre marge de manoeuvre.

Peter PERUTZ Lugano, 26 février 1980

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Mode de pensée No 1 : ATTACHER DE L’IMPORTANCE AU DEBUT DE LA REFLEXION AFIN D’ARRIVER A UNE BONNE FIN

Durant les dernières décennies il suffisait de s’occuper de la forme et de négliger

ainsi le contenu qui était considéré comme allant de soi. Je m’explique : on avait

besoin de plus de chaussures, de plus de voitures, de plus d’hôpitaux, de plus de

professeurs, donc d’une plus grande production en général. On se demandait

comment il fallait faire pour atteindre ces objectifs quantitatifs. Pour cette raison le

« know how » le « savoir comment faire » était au centre des réflexions. Une longue

liste de critères servait à évaluer d’abord et à choisir ensuite l’alternative qui semblait

convenir. Finalement, on choisissait comme meilleure solution la plus rapide, la plus

généreuse, la plus agréable et la plus automatique car un entrepreneur – peu

importe le domaine d’activité – pouvait ainsi élargir sa propre marge de manoeuvre.

Aujourd’hui encore on utilise cette longue liste de critères d’évaluation comme point

de départ pour le développement bien que la problématique ait subi un profond

changement. On parle de marchés saturés, de prescriptions institutionnalisées et

d’autres obstacles tout en étant à même, grâce au progrès techniques et aux

moyens financiers disponibles, de réaliser presque tout. Pour cette raison, on

cherche des contenus, donc le « know what » – le « savoir quoi faire ». Une fois

qu’un contenu est trouvé, à savoir une forme d’activité, un entrepreneur qui a du

succès saura ce qu’il faut faire car il s’agira alors du « know how ».

Un fabricant avait, par exemple, augmenté la quantité de production par

l’automatisation de la fabrication. Un jour le marché ne pouvait plus absorber ce

produit. Le responsable décidait de rechercher une diversification de la production et

envisageait une autre activité. Son premier pas consistait à élaborer une longue liste

de critères d’évaluation : ainsi la nouvelle activité devrait-elle être liée à un nouveau

produit, car la fabrication de produits constitue son métier ; elle devrait pouvoir

utiliser les machines existantes car elles ont coûté cher ; le même personnel devrait

pouvoir être employé pour cette nouvelle activité car il a de l’expérience ; elle devrait

probablement s’adresser à des clients que l’on connaît déjà car ils ont confiance

dans la qualité offerte. En cherchant le « know what » à savoir une nouvelle activité,

ce fabricant trouvera celles qu’il exerce déjà et que le marché ne veut plus absorber.

Peter PERUTZ Lugano, 26 février 1980

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La liste des critères d’évaluation établie initialement bloque pour ainsi dire tout espoir

de trouver une nouvelle activité. J’aimerais souligner que mis en tête de liste, le

critère financier bloque le plus souvent un avenir possible, prometteur et souhaitable.

Ceci parce que l’on oublie qu’une solution conçue de façon conséquente, en

harmonie avec l’environnement, trouve souvent un soutien financier inattendu et

considérable. En effet, dans aucun des cas élaborés systématiquement et

susceptibles de réussir – je répète, dans aucun des cas que j’ai connus dans les

dernières années – un obstacle financier empêchait la réalisation.

Mes expériences montrent que l’on commence souvent par la fin au lieu du début.

Une évaluation et un choix ne sont possibles que si l’on a trouvé des alternatives

correspondant à des contenus, c’est-à-dire à des activités. La conception qui fournira

probablement les meilleurs résultats peut être décrite comme il suit. On commence

par déterminer de façon appropriée les compétences et les capacités dont dispose

l’entrepreneur et qui lui sont accessibles sans pour autant vouloir anticiper l’activité à

choisir et ainsi le résultat. En combinant ces compétences de différentes manières il

apparaît que l’on peut ainsi contribuer à la solution des problèmes les plus divers. On

procède donc à partir de points de départ existants qui sont beaucoup plus

nombreux que l’on pense.

Ceci est surtout vrai si l’on considère également comme point de départ les

caractéristiques de la région géographiques dans laquelle l’activité actuelle est

exercée. Ce n’est pas pareil si un chanteur d’opéra, par exemple, cherche un

engagement en partant de Vienne ou d’Olten. Ce n’est pas la même chose si un

bâtiment se situe dans une zone industrielle ou dans une région touristique. Ce n’est

pas la même chose si un pays se trouve au milieu d’un continent ou d’un bord de

mer. Je ne dirais pas que les possibilités de développement sont plus ou moins

limitées mais je voudrais souligner qu’à des entreprises par ailleurs similaires

s’offriront diverses possibilités de développement en particulier si l’on considère la

région géographique comme point de départ.

Depuis de nombreuses années je cherche et je trouve des activités nouvelles pour

des entreprises commerciales ou pour d’autres organisations. Je n’ai pratiquement

jamais trouvé une personne, une entreprise commerciale, une région géographique

Peter PERUTZ Lugano, 26 février 1980

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ou un état qui se soit surestimé. Tous ces acteurs se sont au contraire sous-estimés

par rapport à leurs réelles possibilités de développement. Aussi n’ont-ils pas pris

conscience des nombreux points de départ potentiels pour un nouvel avenir et des

nombreuses possibilités de combinaisons. Trop vite ils ont recouru à trop de critères

reflétant les préjugés qui s’étaient accumulés dans le passé. Ceux-ci exercent une

action de blocage depuis l’intérieur sans pour autant que l’extérieur ait empêché une

modification de la marge de manœuvre de l’entreprise.

Un exemple de l’industrie mécanique (comme celui-ci tous les autres exemples que

j’évoquerai sont des expériences vécues personnellement) peut probablement

éclaircir encore l’état des choses : une entreprise située à proximité de la mer

dépendait trop de l’industrie automobile ; cette dépendance s’était progressivement

développée en raison du succès que l’entreprise avait eu en tant que fournisseur

spécialisé. En cherchant une nouvelle activité, la direction de cette entreprise n’a pas

eu conscience du marché qui existait devant sa porte. La technique maritime s’est

rapidement développée dans cette région. La rationalisation de l’entretien dans les

ports et sur les bateaux correspond à des méthodes de travail pouvant être

attribuées à la mécanique et nécessitant une spécialisation supplémentaire en raison

de l’action corrosive de la mer. L’entreprise pouvait sans aucun doute satisfaire de

telles exigences. En cherchant de nouvelles activités l’entrepreneur ne s’était pas

aperçu que les particularités de la région géographique dans laquelle son entreprise

évoluait favorablement pouvaient servir de point de départ à des activités

supplémentaires. La région dans laquelle se situe cette entreprise n’avait pas été

considérée sous cet angle mais plutôt comme une évidence qui intervient dans la

réflexion seulement sous forme d’un des différents critères d’évaluation. Au lieu de

poser la bonne question : « Qu’est ce que l’on pourrait en faire ? » la question :

« Pourrait-on poursuivre ici une donnée activité ? » se pose encore souvent.

Voici un deuxième exemple personnel. Au long des quarante premières années de

ma vie on n’a pas arrêté de me dire que j’étais incapable d’utiliser mes mains mais

que j’étais assez intelligent. J’ai donc fait des études. Il y a quelques années j’ai

décidé de voir les choses telles qu’il faut les traiter conformément au mode de

pensée No 1, c’est-à-dire de ne pas évaluer aussitôt mais de chercher d’abord de

nouveaux points de départ pour de nouvelles activités. J’ai des mains et elles

Peter PERUTZ Lugano, 26 février 1980

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peuvent par conséquent être considérées comme un point de départ. En combinant

ce point de départ avec d’autres points de départ auxquels j’avais accès j’ai constaté

entre autres que je pourrais devenir masseur. Depuis j’ai obtenu un diplôme et je

suis aujourd’hui pendant mes heures de loisirs, même dans le cadre d’une clinique,

un masseur recherché.

Donc premièrement qu’est-ce qui est possible en partant de soi-même ?

Deuxièmement qu’est-ce qui est prometteur ? Et enfin troisièmement qu’est-ce qui

est désirable ? L’évaluation n’intervient qu’à la fin !

Ceci n’est pas facile ! Vraiment pas ! Pour approfondir ces trois phases de réflexion

(possible, prometteur, désirable) systématiquement et surtout dans cet ordre,

Battelle-Genève compte par cas, par exemple dans le cas d’une entreprise

industrielle, plusieurs mois de travail effectué par une équipe de spécialistes.

Au sujet de l’ordre : possible, prometteur et désirable, j’aimerais donner un autre

exemple : il y a quelques années on m’avait offert le poste de directeur de

planification d’une importante mine en Afrique centrale. Ceci était possible parce que

je suis ingénieur mécanicien, que j’ai de l’expérience dans le domaine de la

planification et que je parle les langues requises, etc. on m’offrait un poste

prometteur, le salaire aurait été très intéressant et les « avantages

supplémentaires » (voiture avec chauffeur, cuisinier, etc.) vraiment impressionnants.

Malgré tout cela ce poste n’était pas désirable pour moi. J’ai des bronches sensibles

et le climat local aurait porté atteinte à ma santé. J’ai donc préféré rester chez vous,

au Tessin !

Peter PERUTZ Lugano, 26 février 1980

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Mode de pensée No. 2 : SE DEMANDER SI LA RECHERCHE D’UNE NOUVELLE IDEE EST UN PLAISIR OU UN PIEGE

Chaque entrepreneur est constamment à la recherche d’idées nouvelles. En dehors

du fait qu’il soit difficile d’en trouver, le peu qui se trouve s’avère souvent sans valeur,

c’est-à-dire incapable d’améliorer la situation financière. Les efforts de ce type

provoquent du stress et impliquent de gros moyens financiers ; ils entraînent

également des pertes de temps considérables. Malgré cela on ne renonce que très

rarement à la recherche de nouvelles idées. L’avenir d’un entrepreneur dépend, dit-

on, finalement des « bonnes idées » pour de nouvelles activités.

Or, une bonne idée en soi n’est pas nécessairement aussi bonne pour celui qui la

développe. Des erreurs de réflexion peuvent se produire coûtant plusieurs millions

de francs d’année en année. Le fait que dans ma profession je sois principalement

en contact avec des personnes à la recherche de nouvelles idées, m’a permis de

faire différentes observations dont deux en particulier :

Premièrement, les idées que l’on qualifie de brillantes sont souvent liées à des

domaines tels que par exemple l’électronique, la biotechnique et le tourisme qui

attirent des préjugés positifs. On oublie aussi très souvent qu’une entreprise est

petite comparée à un secteur technologique ou économique. Ainsi un propriétaire

d’hôtel peut-il gagner ou perdre indépendamment du fait que le secteur du

tourisme est plus ou moins prometteur. Le succès dépend beaucoup plus de la

situation locale et de la formule touristique de l’hôtel ainsi que des compétences

des collaborateurs.

Deuxièmement, une idée moins bonne traitée en soi par une organisation dont le

profil des compétences correspond aux exigences techniques et économiques

peut mener au succès. En voici un exemple : se fondant sur la connaissance

qu’elle a de la région géographique qui l’entoure et sur son expérience dans la

réparation de ses propres machines-outils, une entreprise décide de se

spécialiser dans la remise en état et la modernisation de machines-outils. Sur le

plan technologique l’idée n’est pas très attrayante mais elle est devenue un

Peter PERUTZ Lugano, 26 février 1980

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succès commercial pour une certaine entreprise spécialisée, à une certaine

époque de son évolution et dans le cadre d’une région géographique donnée.

Les problèmes résultent des erreurs commises lors de l’évaluation de soi-même.

Tout ce qui fonctionne bien actuellement est plutôt surévalué et tout ce qui

fonctionne mal est sous-évalué. Le facteur temps est plus important que l’on

suppose. Dès que l’orientation à prendre est déterminée, des choses presque

invraisemblables peuvent être apprises et modifiées avec une rapidité surprenante.

J’aimerais encore faire la réflexion suivante : une « bonne idée » peut être exprimée

de différentes manières. Sa valeur pour le développement d’une entreprise dépend

de l’objet auquel elle se rapporte. Pour simplifier, je vais soulever trois points de

référence :

La bonne idée se réfère à un produit, à la fonction d’un produit ou à un problème

social qui contient des éléments sociologiques, technologiques et économiques.

L’idée de produit sera de moins en moins un fil conducteur prometteur pour le

développement d’une entreprise :

- Le progrès technologique nous amène de plus en plus à satisfaire la même

fonction avec des produits divers de sorte que la durée de vie commerciale

d’un produit se trouve de plus en plus raccourcie.

- Un produit comme « fil conducteur » ne peut que rarement servir de point de

départ pour rechercher et trouver de nouveaux produits adaptés à l’entreprise

si l’on considère en même temps le progrès technologique, économique et

social de l’environnement.

- Une idée de produit servant comme « un fil conducteur » a pour conséquence

que les forces organisatrices accentuent beaucoup plus la rationalisation que

l’entrée dans de nouveaux domaines d’activité et ainsi une répartition plus

équilibrée des risques. Il arrivera de plus en plus souvent que de nouveaux

produits seuls ne contribuent qu’au développement à court ou à moyen terme.

Peter PERUTZ Lugano, 26 février 1980

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Le point de référence servant à la planification à long terme doit donc être constitué

d’une sorte de « fil conducteur » qui est plus stable et plus permanent qu’un nouveau

produit. A ce « fil conducteur » il faut pouvoir constamment adjoindre des idées pour

de nouveaux produits. La fonction d’un produit peut satisfaire à cette exigence ; j’en

donnerai un exemple plus tard.

Un problème social pour la solution duquel un entrepreneur offre un ensemble

cohérent de produits et de services est encore plus stable comme « fil conducteur ».

Ainsi un constructeur d’automobiles peut-il par exemple, orienter sa propre

planification d’entreprise à long terme selon les points de référence suivants :

- selon un seul modèle (la publicité souligne la résistance du matériau, les

aménagements techniques, etc.)

- selon la fonction de la locomotion sur quatre roues (la publicité souligne la

multiplicité des modèles auxquels correspondent différentes exigences

économiques et techniques)

- selon des problèmes de transport (la publicité indique ce que fait l’entreprise

pour résoudre les problèmes de transport routier, maritime ou aérien). Un

modèle d’automobile est remplacé par un autre, en ville les moyens de

transport seront peut-être remplacés par des tapis roulants et en dehors des

villes par des véhicules sur rail. Le problème du transport existera néanmoins

toujours.

Voici un autre exemple concernant cette fois une région géographique : un concert

de valses de Strauss considéré comme un « produit » était, à l’origine, donné le

Jour de l’An à Vienne. Le succès du concert fut tel que la générale de la veille a été

ouverte au public. En considérant ce concert non « seulement » comme un produit

mais également comme une fonction pour le passage d’une année à l’autre, on

s’ouvre de nouveaux horizons. Non seulement les valses peuvent être présentées en

musique, mais on peut également les danser, raconter leur origine. La télévision a

permis la transmission de cet évènement multidimensionnel dans le monde entier. Si

l’on change encore une fois de point de référence et que l’on considère le concert

comme un message culturel, donc une manifestation sociologique, économique et

technologique, d’autres possibilités de développement se présentent. La musique

d’autres compositeurs viennois et d’autres présentations artistiques peuvent ainsi

Peter PERUTZ Lugano, 26 février 1980

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être incluses dans cette manifestation de fin d’année. Des tournées d’orchestres et

de solistes dans le monde entier forment la suite naturelle ainsi que des congrès

ayant pour thème la musique en général et l’art de différentes périodes.

Ainsi le concert initial, à savoir le concert du Jour de l’An devient-il le tremplin pour

une affaire régionale de l’ordre de millions de dollars. De nombreuses entreprises,

par exemple les constructeurs de pianos à queue et des spécialistes tels les

professeurs de musique connaissent un essor supplémentaire au niveau

économique et au niveau de leur spécialisation.

(Espace pour notes personnelles)

Peter PERUTZ Lugano, 26 février 1980

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Mode de pensée No. 3: CONSIDERER LES CONDITIONS MARGINALES

COMME POINT DE DEPART POUR L’AVENIR

Il est inévitable de vivre à l’intérieur de limites. Par rapport à ce fait, tous les

entrepreneurs sont égaux. Ils se distinguent néanmoins considérablement dans leur

attitude face à cette situation. On peut s’accommoder des conditions de limite mais

on peut aussi exploiter au mieux les conditions de limite existantes ou les considérer

comme point de départ. Ceci n’est pas toujours possible mais cela vaut la peine d’y

penser comme le montrent les trois exemples suivants :

Un fabricant d’explosifs travaillait pour un marché saturé. Un examen

systématique a révélé une issue notamment facile. Autrement dit le fait que le

bâtiment de l’usine soit encore intact et que les clients soient encore en vie

montre que ce fabricant d’explosifs est un spécialiste en matière de solution des

problèmes de sécurité publique. Or, pour les fabricants d’explosifs, les

questions de sécurité sont des conditions de limite. Le fait de les considérer

comme point de départ a engendré l’idée d’offrir des produits et des services

pour le maintien de la sécurité publique (par exemple installations d’alarme). Le

développement de ce marché s’est avéré pour l’entreprise en question possible,

prometteur et désirable à un moment donné.

Le deuxième exemple décrit le cas d’un individu, je vous rappelle ici que

chaque individu peut se considérer comme « directeur général » de sa propre

marge de manœuvre. C’est ce qu’un de mes collègues vietnamien a vécu avec

mon soutien. Des employeurs potentiels trouvaient que ce candidat était trop

exotique pour le contact personnel avec la clientèle. Ainsi, il ne réussissait pas,

malgré son diplôme suisse en économie, à trouver un poste qui lui aurait permis

de fréquents voyages à l’étranger. Seulement la décision de considérer

désormais ses conditions de limite comme point de départ a modifié ses

chances. Il ne postulait plus pour un poste d’économiste mais pour des postes

où il fallait un personnel vietnamien ayant des connaissances en économie. Ce

mode de pensée à préciser, a aussi restreint son marché. Qu’en importera-t-il

pour lui ? En fin de compte il ne pourra que remplir un seul poste. Ses efforts

Peter PERUTZ Lugano, 26 février 1980

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furent couronnés de succès et aujourd’hui il voyage dans le monde entier pour

organiser des programmes d’aide pour l’Asie.

Le troisième exemple provient de mes expériences avec le monde des

handicapés physiques. Un ingénieur qui est handicapé au point de ne pas

pouvoir se déplacer seul, entreprit de collaborer à la vente d’un nouveau

procédé de coulage. Dans les négociations il est un partenaire dont tous se

souviennent, que l’on ne dérange pas sans raison et qui se trouve presque

toujours en présence d’interlocuteurs bien préparés. Une situation dont rêvent

beaucoup de vendeurs qui sont pourtant en pleine possession de leurs moyens.

(Espace pour notes personnelles)

Peter PERUTZ Lugano, 26 février 1980

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Mode de pensée No. 4 : MODIFIER D’UN COUP SA PROPRE MARGE DE

MANŒUVRE EN REMPLACANT COMME POINT DE REFERENCE LE VERBE « AVOIR » PAR LE VERBE

« DEVENIR »

Ceux qui ont réussi ont également leurs problèmes. Une partie considérable de mon

travail consiste à résoudre les problèmes créés par le succès. Ceux qui ont réussi

ont déjà beaucoup de choses : une recette personnelle pour réussir, des moyens

financiers, une infrastructure sous forme d’une organisation, de collaborateurs ou

une bonne réputation. Le problème est qu’en utilisant encore la même recette pour

réussir ils N’AURONT plus grand chose : le surmenage général du chanteur rend

faible sa voix autrefois si extraordinaire, le gouvernement retire les commandes aux

entreprises qui s’approchent d’une position de monopole ; les pays les plus faibles

contractent des alliances pour encercler un état dominant. Le rôle que peuvent jouer

ceux qui ont probablement déjà trop bien réussi doit être réexaminé. Ils doivent

redevenir dignes de succès aux yeux des autres. Comme les trois précédentes, ce

mode de pensée exige lui aussi une grande modestie et un effort personnel

considérable de la part de ceux qui réussissent s’il faut trouver des solutions à ces

problèmes.

Le phénomène de l’ouverture se produit d’un coup si l’on choisit le verbe

« DEVENIR » au lieu du verbe « AVOIR » comme point de référence. L’exemple

suivant illustre comment un imprimeur peut, à un moment donné, se muer en éditeur.

Une imprimerie décide d’acquérir un journal dans le but d’équilibrer sa capacité de

production. Elle acquiert un autre journal afin d’exploiter d’autres réserves de

rationalisation dans l’imprimerie. Lors de l’achat du troisième journal il convient de se

demander si cette entreprise EST encore une « imprimerie » qui « A » maintenant

trois journaux ou si elle est déjà « DEVENUE » un éditeur qui possède encore une

« imprimerie ». La planification du développement, les investissements, les

partenaires désirables, les technologies prometteuses et beaucoup d’autres

éléments influençant l’évolution voulue dans l’avenir de cette entreprise seront par

conséquent fondamentalement différents.

Peter PERUTZ Lugano, 26 février 1980

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Cette différence apparemment minime entre AVOIR et DEVENIR n’est pas toujours

assez prise au sérieux. Il s’ensuit une crise d’identité qui apparaît souvent à un

moment défavorable. Cette sorte de crise touche pratiquement chacun de ceux qui

veulent modifier ou élargir leur propre marge de manœuvre.

Ce « chacun » peut être un individu, une entreprise ou toute autre organisation mais

également une région géographique ou un état. Il y a cependant des exceptions.

Arthur Rubinstein a commencé à jouer du piano chez lui à l’âge de trois ans et jouait

pratiquement dans le monde entier jusqu’à un âge avancé. L’identité est clairement

définie : pianiste une fois pour toutes.

(Espace pour notes personnelles)

Peter PERUTZ Lugano, 26 février 1980

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Mode de pensée No. 5 : EVALUER LES FORCES ET LES FAIBLESSES SOUS

DEUX ANGLES DIFFERENTS

Le dernier mode de pensée dont je voudrais vous entretenir aujourd’hui consiste à

évaluer une seconde fois ses forces et ses faiblesses. Ce deuxième point de vue

montrera que les points forts peuvent se transformer en points faibles et

inversement.

L’analyse traditionnelle des forces et des faiblesses est liée à l’idée d’une

rationalisation : c’est-à-dire on veut faire mieux ce qu’on fait déjà. L’idée de

développement domine en revanche si l’on veut modifier ou élargir sa propre marge

de manœuvre. Dans ce cas, il convient de faire, en plus de l’analyse traditionnelle

qui garde néanmoins toujours sa validité, une deuxième analyse.

Voilà un exemple : les succès professionnels d’élèves paresseux (« les derniers à

l’école, les premiers dans la vie ») surprennent. Pour pouvoir au moins passer, un

élève paresseux est obligé de choisir dans la matière d’enseignement des parties,

souvent seulement quelques pages d’un livre, qu’il apprend. Il apprend ainsi à

choisir, le plus souvent en tenant compte de la personnalité du professeur, des

thèmes d’actualité, des questions d’examen déjà posées et d’autres facteurs

d’influence. Cette faculté supplémentaire initialement défensive et qui est souvent

approfondie intuitivement ne déploie toute son efficacité qu’après la formation

scolaire. A l’école il était finalement encore possible de pratiquement tout savoir ;

dans la vie professionnelle, il faut maîtriser l’art de choisir. Une « faiblesse » dans le

cadre de l’école est en même temps une « force » pour l’épanouissement

professionnel. Souvent on rencontre aussi le cas inverse. Je pense à ceux qui sont

trop « bien élevés » « compréhensifs » ou « dévoués ». Ils tolèrent très souvent que

leur propre marge de manœuvre rétrécisse. Dans l’extrême ; ils deviennent un jouet

dans les mains d’autres personnes.

En appliquant ceci à une entreprise, on observe souvent la situation suivante. Les

services fournis gratuitement pour vendre un produit sont souvent classés sous la

rubrique des frais. Ceux-ci augmentent la plupart du temps et constituent ainsi une

faiblesse dans le cadre de la manière de voir traditionnelle. Ces services sont, au

Peter PERUTZ Lugano, 26 février 1980

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contraire, souvent porteurs de « know-how » qui pourrait exister de façon autonome.

Il existe donc un facteur essentiel pour une activité autonome et susceptible de

développement, à savoir une force qui n’apparaît clairement qu’à la suite d’un

deuxième examen.

Pour un état « être petit » et « ne pas posséder de ressources naturelles » sont des

caractéristiques souvent considérées comme faiblesses. Or, dans le cas de la

Suisse, cette faiblesse a été transformée en une force pour les Suisses. La Suisse

est devenue une plateforme neutre servant de point de rencontre pour les politiciens,

le milieu des finances ou le monde des sciences. Cette transformation d’une

faiblesse « naturelle » en une force « pratique » a des effets favorables

considérables sur le bien-être et la paix en Suisse.

Néanmoins les faiblesses déclenchent fréquemment de plus grands efforts. Ce n’est

pas surprenant de voir qu’une plus grande importance est attribuée aux faiblesses

qu’aux forces. Les règles selon lesquelles nous vivons ont toujours été influencées

ou représentées par les « grands et les forts ». Les « petits et les faibles » doivent se

borner à voir si et de quelle manière ils peuvent s’en sortir. Il en est ainsi déjà depuis

le temps des Dix Commandements et il en est ainsi, par exemple, au niveau du

programme scolaire. Dans la plupart des cas on ne peut s’adapter qu’à grand peine

à ces règles. Mais les « grands et les forts » ne détruisent pas pour autant les

« petits et les faibles ». En fin de compte, une voie est tracée permettant à chacun de

se ranger dans le système. Pour rester à cet exemple le sacrement de la confession

et la possibilité de redoubler l’année scolaire. Ce qui reste par contre ce sont des

sentiments de culpabilité qui mènent dans les cas extrêmes à la résignation ou à un

perfectionnisme coûteux. Les deux cas portent atteinte en principe à l’élargissement

de sa marge de manœuvre.

Sous l’angle de la politique et stratégie d’entreprise, donc de mon métier, les

faiblesses deviennent plus importantes que les forces seulement si des possibilités

de solution sont écartées trop tôt par manque de confiance dans ses propres

compétences et si le danger d’un effondrement apparaît.

Peter PERUTZ Lugano, 26 février 1980

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Cependant il ne faut pas accepter les forces et les faiblesses comme des données.

Elles résultent souvent des objectifs des autres. Des idées d’objectifs que l’on a

élaborées soi-même permettent de voir les faiblesses et les forces sous un autre

jour.

Et n’oubliez pas : les forces peuvent tout simplement faire un grand bond et devenir

« super forces ». Le fait de « gagner » peut, par exemple, se transformer en

« recevoir ». De tels cas se produisent dans le monde de l’art : Frank Sinatra ne

« gagne » pas, il « reçoit » pour chaque entrée en scène et ce n’est pas peu ! Une

institution religieuse « reçoit » de la part de ses fidèles. On ne discute que très

rarement le prix demandé par un atelier de réparation qui dispose d’un service de

dépannage.

Cinq modes de pensée pour agir ! Réviser cinq fois le mode de pensée habituel !

Surmonter cinq obstacles dont les racines sont en nous-même ! De cette façon il est

possible de modifier et d’élargir sa propre marge de manœuvre sans attendre les

grands changements structurels planifiés par les autres ! et de reprendre l’initiative -

demain !

(Espace pour notes personnelles)