Upload
hacong
View
215
Download
3
Embed Size (px)
Citation preview
CONFERENCE DE PETER PERUTZ* (26.02.1980)
CINQ OBSTACLES A SURMONTER
POUR REPRENDRE L’INITIATIVE - DEMAIN**
RESUME
Mode de pensée No 1 : ATTACHER DE L’IMPORTANCE AU DEBUT DE LA REFLEXION AFIN D’ARRIVER A UNE BONNE FIN
Mode de pensée No. 2 : SE DEMANDER SI LA RECHERCHE D’UNE NOUVELLE IDEE EST UN PLAISIR OU UN PIEGE
Mode de pensée No. 3: CONSIDERER LES CONDITIONS MARGINALES
COMME POINT DE DEPART POUR L’AVENIR
Mode de pensée No. 4 : MODIFIER D’UN COUP SA PROPRE MARGE DE
MANŒUVRE EN REMPLACANT COMME POINT DE
REFERENCE LE VERBE « AVOIR » PAR LE VERBE
« DEVENIR »
Mode de pensée No. 5 : EVALUER LES FORCES ET LES FAIBLESSES SOUS
DEUX ANGLES DIFFERENTS
Cinq conceptions pour agir ! Réviser cinq fois la conception habituelle ! Surmonter
cinq obstacles dont les racines sont en nous-même. De cette façon il est possible de
modifier et d’élargir sa propre marge de manœuvre sans attendre les grands
changements structurels planifiés par les autres ! – et de reprendre l’initiative –
demain.**
___________________________________________________________________
* Chef de programme de politique et stratégie d’entreprise jusqu’en 1984. Battelle, centres de recherche de Genève. ** Lors du 6e Congrès marketing tessinois ayant pour thème : « Que faut-il offrir demain » 26.02.1980, Lugano. (Le titre original était : « Cinque ostacoli da superare per riprendere l’iniziativa negli anni ottanta »)
Peter PERUTZ Lugano, 26 février 1980
2
INTRODUCTION
Dans les entretiens que j’ai eus avec les ultimes décideurs des organisations sur les
problèmes de développement de celles-ci, j’ai pris conscience du fait que quelques-
uns parmi eux croient devoir attendre que l’un ou l’autre de leurs partenaires actuels
ou futurs agissent. Quelques-uns pensent surtout que LE SYSTEME devrait
changer, autrement dit, que quelque chose doit se faire de l’extérieur. Tout en étant
compréhensible dans de nombreux cas, cette attitude offre une excellente explication
pour ne pas dire excuse, pour le fait que l’on ne peut rien faire soi-même.
Cette situation m’a surpris car la plupart de mes interlocuteurs avaient eu du succès
dans leurs domaines d’activités respectifs. Ils sont responsables d’entreprises
commerciales, d’associations, d’hôpitaux ou d’universités, de régions et même d’un
état. Je parlerai principalement de ceux qui ont du succès et les considérations
suivantes peuvent probablement aussi servir à ceux qui en ont moins. A partir de
mes expériences j’ai choisi cinq conceptions nous permettant de redevenir capables
d’agir sans devoir attendre des changements structurels. Ces modes de pensées
ouvrent des voies insoupçonnées pour prendre l’initiative.
Le fait que la plupart de mes interlocuteurs parlent du succès commercial,
scientifique, politique ou moral des organisations dont ils sont responsables est
édifiant. Ce faisant, ils négligent leur propre personne et oublient qu’ils sont eux-
mêmes et ainsi chacun de nous en tant qu’individu, « directeur général » de leur
propre marge de manoeuvre indépendamment de l’étendue de cette dernière.
L’organisation n’est qu’un instrument qui grossit tout dans le bon ou le mauvais sens.
Dans ma conférence je partirai donc de cette réalité; à savoir que chacun de nous
est le « directeur général“ » de sa propre marge de manoeuvre et je montrerai qu’il
existe des conceptions permettant de reprendre l’initiative ou, autrement dit, de
modifier ou d’élargir sa propre marge de manoeuvre.
Peter PERUTZ Lugano, 26 février 1980
3
Mode de pensée No 1 : ATTACHER DE L’IMPORTANCE AU DEBUT DE LA REFLEXION AFIN D’ARRIVER A UNE BONNE FIN
Durant les dernières décennies il suffisait de s’occuper de la forme et de négliger
ainsi le contenu qui était considéré comme allant de soi. Je m’explique : on avait
besoin de plus de chaussures, de plus de voitures, de plus d’hôpitaux, de plus de
professeurs, donc d’une plus grande production en général. On se demandait
comment il fallait faire pour atteindre ces objectifs quantitatifs. Pour cette raison le
« know how » le « savoir comment faire » était au centre des réflexions. Une longue
liste de critères servait à évaluer d’abord et à choisir ensuite l’alternative qui semblait
convenir. Finalement, on choisissait comme meilleure solution la plus rapide, la plus
généreuse, la plus agréable et la plus automatique car un entrepreneur – peu
importe le domaine d’activité – pouvait ainsi élargir sa propre marge de manoeuvre.
Aujourd’hui encore on utilise cette longue liste de critères d’évaluation comme point
de départ pour le développement bien que la problématique ait subi un profond
changement. On parle de marchés saturés, de prescriptions institutionnalisées et
d’autres obstacles tout en étant à même, grâce au progrès techniques et aux
moyens financiers disponibles, de réaliser presque tout. Pour cette raison, on
cherche des contenus, donc le « know what » – le « savoir quoi faire ». Une fois
qu’un contenu est trouvé, à savoir une forme d’activité, un entrepreneur qui a du
succès saura ce qu’il faut faire car il s’agira alors du « know how ».
Un fabricant avait, par exemple, augmenté la quantité de production par
l’automatisation de la fabrication. Un jour le marché ne pouvait plus absorber ce
produit. Le responsable décidait de rechercher une diversification de la production et
envisageait une autre activité. Son premier pas consistait à élaborer une longue liste
de critères d’évaluation : ainsi la nouvelle activité devrait-elle être liée à un nouveau
produit, car la fabrication de produits constitue son métier ; elle devrait pouvoir
utiliser les machines existantes car elles ont coûté cher ; le même personnel devrait
pouvoir être employé pour cette nouvelle activité car il a de l’expérience ; elle devrait
probablement s’adresser à des clients que l’on connaît déjà car ils ont confiance
dans la qualité offerte. En cherchant le « know what » à savoir une nouvelle activité,
ce fabricant trouvera celles qu’il exerce déjà et que le marché ne veut plus absorber.
Peter PERUTZ Lugano, 26 février 1980
4
La liste des critères d’évaluation établie initialement bloque pour ainsi dire tout espoir
de trouver une nouvelle activité. J’aimerais souligner que mis en tête de liste, le
critère financier bloque le plus souvent un avenir possible, prometteur et souhaitable.
Ceci parce que l’on oublie qu’une solution conçue de façon conséquente, en
harmonie avec l’environnement, trouve souvent un soutien financier inattendu et
considérable. En effet, dans aucun des cas élaborés systématiquement et
susceptibles de réussir – je répète, dans aucun des cas que j’ai connus dans les
dernières années – un obstacle financier empêchait la réalisation.
Mes expériences montrent que l’on commence souvent par la fin au lieu du début.
Une évaluation et un choix ne sont possibles que si l’on a trouvé des alternatives
correspondant à des contenus, c’est-à-dire à des activités. La conception qui fournira
probablement les meilleurs résultats peut être décrite comme il suit. On commence
par déterminer de façon appropriée les compétences et les capacités dont dispose
l’entrepreneur et qui lui sont accessibles sans pour autant vouloir anticiper l’activité à
choisir et ainsi le résultat. En combinant ces compétences de différentes manières il
apparaît que l’on peut ainsi contribuer à la solution des problèmes les plus divers. On
procède donc à partir de points de départ existants qui sont beaucoup plus
nombreux que l’on pense.
Ceci est surtout vrai si l’on considère également comme point de départ les
caractéristiques de la région géographiques dans laquelle l’activité actuelle est
exercée. Ce n’est pas pareil si un chanteur d’opéra, par exemple, cherche un
engagement en partant de Vienne ou d’Olten. Ce n’est pas la même chose si un
bâtiment se situe dans une zone industrielle ou dans une région touristique. Ce n’est
pas la même chose si un pays se trouve au milieu d’un continent ou d’un bord de
mer. Je ne dirais pas que les possibilités de développement sont plus ou moins
limitées mais je voudrais souligner qu’à des entreprises par ailleurs similaires
s’offriront diverses possibilités de développement en particulier si l’on considère la
région géographique comme point de départ.
Depuis de nombreuses années je cherche et je trouve des activités nouvelles pour
des entreprises commerciales ou pour d’autres organisations. Je n’ai pratiquement
jamais trouvé une personne, une entreprise commerciale, une région géographique
Peter PERUTZ Lugano, 26 février 1980
5
ou un état qui se soit surestimé. Tous ces acteurs se sont au contraire sous-estimés
par rapport à leurs réelles possibilités de développement. Aussi n’ont-ils pas pris
conscience des nombreux points de départ potentiels pour un nouvel avenir et des
nombreuses possibilités de combinaisons. Trop vite ils ont recouru à trop de critères
reflétant les préjugés qui s’étaient accumulés dans le passé. Ceux-ci exercent une
action de blocage depuis l’intérieur sans pour autant que l’extérieur ait empêché une
modification de la marge de manœuvre de l’entreprise.
Un exemple de l’industrie mécanique (comme celui-ci tous les autres exemples que
j’évoquerai sont des expériences vécues personnellement) peut probablement
éclaircir encore l’état des choses : une entreprise située à proximité de la mer
dépendait trop de l’industrie automobile ; cette dépendance s’était progressivement
développée en raison du succès que l’entreprise avait eu en tant que fournisseur
spécialisé. En cherchant une nouvelle activité, la direction de cette entreprise n’a pas
eu conscience du marché qui existait devant sa porte. La technique maritime s’est
rapidement développée dans cette région. La rationalisation de l’entretien dans les
ports et sur les bateaux correspond à des méthodes de travail pouvant être
attribuées à la mécanique et nécessitant une spécialisation supplémentaire en raison
de l’action corrosive de la mer. L’entreprise pouvait sans aucun doute satisfaire de
telles exigences. En cherchant de nouvelles activités l’entrepreneur ne s’était pas
aperçu que les particularités de la région géographique dans laquelle son entreprise
évoluait favorablement pouvaient servir de point de départ à des activités
supplémentaires. La région dans laquelle se situe cette entreprise n’avait pas été
considérée sous cet angle mais plutôt comme une évidence qui intervient dans la
réflexion seulement sous forme d’un des différents critères d’évaluation. Au lieu de
poser la bonne question : « Qu’est ce que l’on pourrait en faire ? » la question :
« Pourrait-on poursuivre ici une donnée activité ? » se pose encore souvent.
Voici un deuxième exemple personnel. Au long des quarante premières années de
ma vie on n’a pas arrêté de me dire que j’étais incapable d’utiliser mes mains mais
que j’étais assez intelligent. J’ai donc fait des études. Il y a quelques années j’ai
décidé de voir les choses telles qu’il faut les traiter conformément au mode de
pensée No 1, c’est-à-dire de ne pas évaluer aussitôt mais de chercher d’abord de
nouveaux points de départ pour de nouvelles activités. J’ai des mains et elles
Peter PERUTZ Lugano, 26 février 1980
6
peuvent par conséquent être considérées comme un point de départ. En combinant
ce point de départ avec d’autres points de départ auxquels j’avais accès j’ai constaté
entre autres que je pourrais devenir masseur. Depuis j’ai obtenu un diplôme et je
suis aujourd’hui pendant mes heures de loisirs, même dans le cadre d’une clinique,
un masseur recherché.
Donc premièrement qu’est-ce qui est possible en partant de soi-même ?
Deuxièmement qu’est-ce qui est prometteur ? Et enfin troisièmement qu’est-ce qui
est désirable ? L’évaluation n’intervient qu’à la fin !
Ceci n’est pas facile ! Vraiment pas ! Pour approfondir ces trois phases de réflexion
(possible, prometteur, désirable) systématiquement et surtout dans cet ordre,
Battelle-Genève compte par cas, par exemple dans le cas d’une entreprise
industrielle, plusieurs mois de travail effectué par une équipe de spécialistes.
Au sujet de l’ordre : possible, prometteur et désirable, j’aimerais donner un autre
exemple : il y a quelques années on m’avait offert le poste de directeur de
planification d’une importante mine en Afrique centrale. Ceci était possible parce que
je suis ingénieur mécanicien, que j’ai de l’expérience dans le domaine de la
planification et que je parle les langues requises, etc. on m’offrait un poste
prometteur, le salaire aurait été très intéressant et les « avantages
supplémentaires » (voiture avec chauffeur, cuisinier, etc.) vraiment impressionnants.
Malgré tout cela ce poste n’était pas désirable pour moi. J’ai des bronches sensibles
et le climat local aurait porté atteinte à ma santé. J’ai donc préféré rester chez vous,
au Tessin !
Peter PERUTZ Lugano, 26 février 1980
7
Mode de pensée No. 2 : SE DEMANDER SI LA RECHERCHE D’UNE NOUVELLE IDEE EST UN PLAISIR OU UN PIEGE
Chaque entrepreneur est constamment à la recherche d’idées nouvelles. En dehors
du fait qu’il soit difficile d’en trouver, le peu qui se trouve s’avère souvent sans valeur,
c’est-à-dire incapable d’améliorer la situation financière. Les efforts de ce type
provoquent du stress et impliquent de gros moyens financiers ; ils entraînent
également des pertes de temps considérables. Malgré cela on ne renonce que très
rarement à la recherche de nouvelles idées. L’avenir d’un entrepreneur dépend, dit-
on, finalement des « bonnes idées » pour de nouvelles activités.
Or, une bonne idée en soi n’est pas nécessairement aussi bonne pour celui qui la
développe. Des erreurs de réflexion peuvent se produire coûtant plusieurs millions
de francs d’année en année. Le fait que dans ma profession je sois principalement
en contact avec des personnes à la recherche de nouvelles idées, m’a permis de
faire différentes observations dont deux en particulier :
Premièrement, les idées que l’on qualifie de brillantes sont souvent liées à des
domaines tels que par exemple l’électronique, la biotechnique et le tourisme qui
attirent des préjugés positifs. On oublie aussi très souvent qu’une entreprise est
petite comparée à un secteur technologique ou économique. Ainsi un propriétaire
d’hôtel peut-il gagner ou perdre indépendamment du fait que le secteur du
tourisme est plus ou moins prometteur. Le succès dépend beaucoup plus de la
situation locale et de la formule touristique de l’hôtel ainsi que des compétences
des collaborateurs.
Deuxièmement, une idée moins bonne traitée en soi par une organisation dont le
profil des compétences correspond aux exigences techniques et économiques
peut mener au succès. En voici un exemple : se fondant sur la connaissance
qu’elle a de la région géographique qui l’entoure et sur son expérience dans la
réparation de ses propres machines-outils, une entreprise décide de se
spécialiser dans la remise en état et la modernisation de machines-outils. Sur le
plan technologique l’idée n’est pas très attrayante mais elle est devenue un
Peter PERUTZ Lugano, 26 février 1980
8
succès commercial pour une certaine entreprise spécialisée, à une certaine
époque de son évolution et dans le cadre d’une région géographique donnée.
Les problèmes résultent des erreurs commises lors de l’évaluation de soi-même.
Tout ce qui fonctionne bien actuellement est plutôt surévalué et tout ce qui
fonctionne mal est sous-évalué. Le facteur temps est plus important que l’on
suppose. Dès que l’orientation à prendre est déterminée, des choses presque
invraisemblables peuvent être apprises et modifiées avec une rapidité surprenante.
J’aimerais encore faire la réflexion suivante : une « bonne idée » peut être exprimée
de différentes manières. Sa valeur pour le développement d’une entreprise dépend
de l’objet auquel elle se rapporte. Pour simplifier, je vais soulever trois points de
référence :
La bonne idée se réfère à un produit, à la fonction d’un produit ou à un problème
social qui contient des éléments sociologiques, technologiques et économiques.
L’idée de produit sera de moins en moins un fil conducteur prometteur pour le
développement d’une entreprise :
- Le progrès technologique nous amène de plus en plus à satisfaire la même
fonction avec des produits divers de sorte que la durée de vie commerciale
d’un produit se trouve de plus en plus raccourcie.
- Un produit comme « fil conducteur » ne peut que rarement servir de point de
départ pour rechercher et trouver de nouveaux produits adaptés à l’entreprise
si l’on considère en même temps le progrès technologique, économique et
social de l’environnement.
- Une idée de produit servant comme « un fil conducteur » a pour conséquence
que les forces organisatrices accentuent beaucoup plus la rationalisation que
l’entrée dans de nouveaux domaines d’activité et ainsi une répartition plus
équilibrée des risques. Il arrivera de plus en plus souvent que de nouveaux
produits seuls ne contribuent qu’au développement à court ou à moyen terme.
Peter PERUTZ Lugano, 26 février 1980
9
Le point de référence servant à la planification à long terme doit donc être constitué
d’une sorte de « fil conducteur » qui est plus stable et plus permanent qu’un nouveau
produit. A ce « fil conducteur » il faut pouvoir constamment adjoindre des idées pour
de nouveaux produits. La fonction d’un produit peut satisfaire à cette exigence ; j’en
donnerai un exemple plus tard.
Un problème social pour la solution duquel un entrepreneur offre un ensemble
cohérent de produits et de services est encore plus stable comme « fil conducteur ».
Ainsi un constructeur d’automobiles peut-il par exemple, orienter sa propre
planification d’entreprise à long terme selon les points de référence suivants :
- selon un seul modèle (la publicité souligne la résistance du matériau, les
aménagements techniques, etc.)
- selon la fonction de la locomotion sur quatre roues (la publicité souligne la
multiplicité des modèles auxquels correspondent différentes exigences
économiques et techniques)
- selon des problèmes de transport (la publicité indique ce que fait l’entreprise
pour résoudre les problèmes de transport routier, maritime ou aérien). Un
modèle d’automobile est remplacé par un autre, en ville les moyens de
transport seront peut-être remplacés par des tapis roulants et en dehors des
villes par des véhicules sur rail. Le problème du transport existera néanmoins
toujours.
Voici un autre exemple concernant cette fois une région géographique : un concert
de valses de Strauss considéré comme un « produit » était, à l’origine, donné le
Jour de l’An à Vienne. Le succès du concert fut tel que la générale de la veille a été
ouverte au public. En considérant ce concert non « seulement » comme un produit
mais également comme une fonction pour le passage d’une année à l’autre, on
s’ouvre de nouveaux horizons. Non seulement les valses peuvent être présentées en
musique, mais on peut également les danser, raconter leur origine. La télévision a
permis la transmission de cet évènement multidimensionnel dans le monde entier. Si
l’on change encore une fois de point de référence et que l’on considère le concert
comme un message culturel, donc une manifestation sociologique, économique et
technologique, d’autres possibilités de développement se présentent. La musique
d’autres compositeurs viennois et d’autres présentations artistiques peuvent ainsi
Peter PERUTZ Lugano, 26 février 1980
10
être incluses dans cette manifestation de fin d’année. Des tournées d’orchestres et
de solistes dans le monde entier forment la suite naturelle ainsi que des congrès
ayant pour thème la musique en général et l’art de différentes périodes.
Ainsi le concert initial, à savoir le concert du Jour de l’An devient-il le tremplin pour
une affaire régionale de l’ordre de millions de dollars. De nombreuses entreprises,
par exemple les constructeurs de pianos à queue et des spécialistes tels les
professeurs de musique connaissent un essor supplémentaire au niveau
économique et au niveau de leur spécialisation.
(Espace pour notes personnelles)
Peter PERUTZ Lugano, 26 février 1980
11
Mode de pensée No. 3: CONSIDERER LES CONDITIONS MARGINALES
COMME POINT DE DEPART POUR L’AVENIR
Il est inévitable de vivre à l’intérieur de limites. Par rapport à ce fait, tous les
entrepreneurs sont égaux. Ils se distinguent néanmoins considérablement dans leur
attitude face à cette situation. On peut s’accommoder des conditions de limite mais
on peut aussi exploiter au mieux les conditions de limite existantes ou les considérer
comme point de départ. Ceci n’est pas toujours possible mais cela vaut la peine d’y
penser comme le montrent les trois exemples suivants :
Un fabricant d’explosifs travaillait pour un marché saturé. Un examen
systématique a révélé une issue notamment facile. Autrement dit le fait que le
bâtiment de l’usine soit encore intact et que les clients soient encore en vie
montre que ce fabricant d’explosifs est un spécialiste en matière de solution des
problèmes de sécurité publique. Or, pour les fabricants d’explosifs, les
questions de sécurité sont des conditions de limite. Le fait de les considérer
comme point de départ a engendré l’idée d’offrir des produits et des services
pour le maintien de la sécurité publique (par exemple installations d’alarme). Le
développement de ce marché s’est avéré pour l’entreprise en question possible,
prometteur et désirable à un moment donné.
Le deuxième exemple décrit le cas d’un individu, je vous rappelle ici que
chaque individu peut se considérer comme « directeur général » de sa propre
marge de manœuvre. C’est ce qu’un de mes collègues vietnamien a vécu avec
mon soutien. Des employeurs potentiels trouvaient que ce candidat était trop
exotique pour le contact personnel avec la clientèle. Ainsi, il ne réussissait pas,
malgré son diplôme suisse en économie, à trouver un poste qui lui aurait permis
de fréquents voyages à l’étranger. Seulement la décision de considérer
désormais ses conditions de limite comme point de départ a modifié ses
chances. Il ne postulait plus pour un poste d’économiste mais pour des postes
où il fallait un personnel vietnamien ayant des connaissances en économie. Ce
mode de pensée à préciser, a aussi restreint son marché. Qu’en importera-t-il
pour lui ? En fin de compte il ne pourra que remplir un seul poste. Ses efforts
Peter PERUTZ Lugano, 26 février 1980
12
furent couronnés de succès et aujourd’hui il voyage dans le monde entier pour
organiser des programmes d’aide pour l’Asie.
Le troisième exemple provient de mes expériences avec le monde des
handicapés physiques. Un ingénieur qui est handicapé au point de ne pas
pouvoir se déplacer seul, entreprit de collaborer à la vente d’un nouveau
procédé de coulage. Dans les négociations il est un partenaire dont tous se
souviennent, que l’on ne dérange pas sans raison et qui se trouve presque
toujours en présence d’interlocuteurs bien préparés. Une situation dont rêvent
beaucoup de vendeurs qui sont pourtant en pleine possession de leurs moyens.
(Espace pour notes personnelles)
Peter PERUTZ Lugano, 26 février 1980
13
Mode de pensée No. 4 : MODIFIER D’UN COUP SA PROPRE MARGE DE
MANŒUVRE EN REMPLACANT COMME POINT DE REFERENCE LE VERBE « AVOIR » PAR LE VERBE
« DEVENIR »
Ceux qui ont réussi ont également leurs problèmes. Une partie considérable de mon
travail consiste à résoudre les problèmes créés par le succès. Ceux qui ont réussi
ont déjà beaucoup de choses : une recette personnelle pour réussir, des moyens
financiers, une infrastructure sous forme d’une organisation, de collaborateurs ou
une bonne réputation. Le problème est qu’en utilisant encore la même recette pour
réussir ils N’AURONT plus grand chose : le surmenage général du chanteur rend
faible sa voix autrefois si extraordinaire, le gouvernement retire les commandes aux
entreprises qui s’approchent d’une position de monopole ; les pays les plus faibles
contractent des alliances pour encercler un état dominant. Le rôle que peuvent jouer
ceux qui ont probablement déjà trop bien réussi doit être réexaminé. Ils doivent
redevenir dignes de succès aux yeux des autres. Comme les trois précédentes, ce
mode de pensée exige lui aussi une grande modestie et un effort personnel
considérable de la part de ceux qui réussissent s’il faut trouver des solutions à ces
problèmes.
Le phénomène de l’ouverture se produit d’un coup si l’on choisit le verbe
« DEVENIR » au lieu du verbe « AVOIR » comme point de référence. L’exemple
suivant illustre comment un imprimeur peut, à un moment donné, se muer en éditeur.
Une imprimerie décide d’acquérir un journal dans le but d’équilibrer sa capacité de
production. Elle acquiert un autre journal afin d’exploiter d’autres réserves de
rationalisation dans l’imprimerie. Lors de l’achat du troisième journal il convient de se
demander si cette entreprise EST encore une « imprimerie » qui « A » maintenant
trois journaux ou si elle est déjà « DEVENUE » un éditeur qui possède encore une
« imprimerie ». La planification du développement, les investissements, les
partenaires désirables, les technologies prometteuses et beaucoup d’autres
éléments influençant l’évolution voulue dans l’avenir de cette entreprise seront par
conséquent fondamentalement différents.
Peter PERUTZ Lugano, 26 février 1980
14
Cette différence apparemment minime entre AVOIR et DEVENIR n’est pas toujours
assez prise au sérieux. Il s’ensuit une crise d’identité qui apparaît souvent à un
moment défavorable. Cette sorte de crise touche pratiquement chacun de ceux qui
veulent modifier ou élargir leur propre marge de manœuvre.
Ce « chacun » peut être un individu, une entreprise ou toute autre organisation mais
également une région géographique ou un état. Il y a cependant des exceptions.
Arthur Rubinstein a commencé à jouer du piano chez lui à l’âge de trois ans et jouait
pratiquement dans le monde entier jusqu’à un âge avancé. L’identité est clairement
définie : pianiste une fois pour toutes.
(Espace pour notes personnelles)
Peter PERUTZ Lugano, 26 février 1980
15
Mode de pensée No. 5 : EVALUER LES FORCES ET LES FAIBLESSES SOUS
DEUX ANGLES DIFFERENTS
Le dernier mode de pensée dont je voudrais vous entretenir aujourd’hui consiste à
évaluer une seconde fois ses forces et ses faiblesses. Ce deuxième point de vue
montrera que les points forts peuvent se transformer en points faibles et
inversement.
L’analyse traditionnelle des forces et des faiblesses est liée à l’idée d’une
rationalisation : c’est-à-dire on veut faire mieux ce qu’on fait déjà. L’idée de
développement domine en revanche si l’on veut modifier ou élargir sa propre marge
de manœuvre. Dans ce cas, il convient de faire, en plus de l’analyse traditionnelle
qui garde néanmoins toujours sa validité, une deuxième analyse.
Voilà un exemple : les succès professionnels d’élèves paresseux (« les derniers à
l’école, les premiers dans la vie ») surprennent. Pour pouvoir au moins passer, un
élève paresseux est obligé de choisir dans la matière d’enseignement des parties,
souvent seulement quelques pages d’un livre, qu’il apprend. Il apprend ainsi à
choisir, le plus souvent en tenant compte de la personnalité du professeur, des
thèmes d’actualité, des questions d’examen déjà posées et d’autres facteurs
d’influence. Cette faculté supplémentaire initialement défensive et qui est souvent
approfondie intuitivement ne déploie toute son efficacité qu’après la formation
scolaire. A l’école il était finalement encore possible de pratiquement tout savoir ;
dans la vie professionnelle, il faut maîtriser l’art de choisir. Une « faiblesse » dans le
cadre de l’école est en même temps une « force » pour l’épanouissement
professionnel. Souvent on rencontre aussi le cas inverse. Je pense à ceux qui sont
trop « bien élevés » « compréhensifs » ou « dévoués ». Ils tolèrent très souvent que
leur propre marge de manœuvre rétrécisse. Dans l’extrême ; ils deviennent un jouet
dans les mains d’autres personnes.
En appliquant ceci à une entreprise, on observe souvent la situation suivante. Les
services fournis gratuitement pour vendre un produit sont souvent classés sous la
rubrique des frais. Ceux-ci augmentent la plupart du temps et constituent ainsi une
faiblesse dans le cadre de la manière de voir traditionnelle. Ces services sont, au
Peter PERUTZ Lugano, 26 février 1980
16
contraire, souvent porteurs de « know-how » qui pourrait exister de façon autonome.
Il existe donc un facteur essentiel pour une activité autonome et susceptible de
développement, à savoir une force qui n’apparaît clairement qu’à la suite d’un
deuxième examen.
Pour un état « être petit » et « ne pas posséder de ressources naturelles » sont des
caractéristiques souvent considérées comme faiblesses. Or, dans le cas de la
Suisse, cette faiblesse a été transformée en une force pour les Suisses. La Suisse
est devenue une plateforme neutre servant de point de rencontre pour les politiciens,
le milieu des finances ou le monde des sciences. Cette transformation d’une
faiblesse « naturelle » en une force « pratique » a des effets favorables
considérables sur le bien-être et la paix en Suisse.
Néanmoins les faiblesses déclenchent fréquemment de plus grands efforts. Ce n’est
pas surprenant de voir qu’une plus grande importance est attribuée aux faiblesses
qu’aux forces. Les règles selon lesquelles nous vivons ont toujours été influencées
ou représentées par les « grands et les forts ». Les « petits et les faibles » doivent se
borner à voir si et de quelle manière ils peuvent s’en sortir. Il en est ainsi déjà depuis
le temps des Dix Commandements et il en est ainsi, par exemple, au niveau du
programme scolaire. Dans la plupart des cas on ne peut s’adapter qu’à grand peine
à ces règles. Mais les « grands et les forts » ne détruisent pas pour autant les
« petits et les faibles ». En fin de compte, une voie est tracée permettant à chacun de
se ranger dans le système. Pour rester à cet exemple le sacrement de la confession
et la possibilité de redoubler l’année scolaire. Ce qui reste par contre ce sont des
sentiments de culpabilité qui mènent dans les cas extrêmes à la résignation ou à un
perfectionnisme coûteux. Les deux cas portent atteinte en principe à l’élargissement
de sa marge de manœuvre.
Sous l’angle de la politique et stratégie d’entreprise, donc de mon métier, les
faiblesses deviennent plus importantes que les forces seulement si des possibilités
de solution sont écartées trop tôt par manque de confiance dans ses propres
compétences et si le danger d’un effondrement apparaît.
Peter PERUTZ Lugano, 26 février 1980
17
Cependant il ne faut pas accepter les forces et les faiblesses comme des données.
Elles résultent souvent des objectifs des autres. Des idées d’objectifs que l’on a
élaborées soi-même permettent de voir les faiblesses et les forces sous un autre
jour.
Et n’oubliez pas : les forces peuvent tout simplement faire un grand bond et devenir
« super forces ». Le fait de « gagner » peut, par exemple, se transformer en
« recevoir ». De tels cas se produisent dans le monde de l’art : Frank Sinatra ne
« gagne » pas, il « reçoit » pour chaque entrée en scène et ce n’est pas peu ! Une
institution religieuse « reçoit » de la part de ses fidèles. On ne discute que très
rarement le prix demandé par un atelier de réparation qui dispose d’un service de
dépannage.
Cinq modes de pensée pour agir ! Réviser cinq fois le mode de pensée habituel !
Surmonter cinq obstacles dont les racines sont en nous-même ! De cette façon il est
possible de modifier et d’élargir sa propre marge de manœuvre sans attendre les
grands changements structurels planifiés par les autres ! et de reprendre l’initiative -
demain !
(Espace pour notes personnelles)