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Conférence d’ouverture René Zazzo’ Paris, France L’honneur qui m’est fait d’ouvrir ce Congrès International, je le dois a mon ancienneté beaucoup plus qu’à ma compétence. Sans doute mon aventure de psychologie scolaire m’a-t-elle initié concrètement aux pro- blèmes de l’école et de l’écolier, au fonctionnement des groupes-classes. Mais c’est une his- toire bien ancienne. Sans doute, grâce à Bianka Zazzo, à ses travaux, à nos discussions, j’ai repris contact avec les réalités scolaires. Mais c’est un contact indirect. Je ne suis impliqué, personnelle- ment dans aucun travail empirique concernant l’écolier. Et en lisant les textes préparatoires à ce Congrès, j’ai été submergé par la diversité, par la richesse de vos contributions. Ça n’arran- geait pas les choses. Comment dominer tout cela, comment le mettre en perspective? On n’ouvre pas un Congrès Scientifique comme on inaugure les chrysanthèmes ... J’ai voulu refuser. Stéphane Ehrlich a insisté. J’ai accepté. Pour éviter le risque de planer dans le nuage des généralités, j’ai décidé d’aborder avec vous trois thèmes de réflexion. Une réflexion d’ordre terminologique, sémantique: que veut dire interaction. Une réfle- xion d’ordre philosophique, eschatologique: quel but assigner à l’éducation, à l’école? Un thème d’ordre pratique que b u i s Legrand et Stéphane Ehrlich reprendront, je suppose, dans la séance terminale de Samedi: Quel peut être l’impact de vos travaux sur la pratique @da- gogique, sur :le fonctionnement de l’école, sur la transformation de ce fonctionnement? Tout d’abord donc ce mot d’interaction. Si je l’ai pris pour cible c’est qu’il m’a frappé par la fréquence de son emploi. Non seu- lement dans le libellé de séances thématiques et des symposiums, mais aussi dans le texte de nombreuses communications. - interactions socio-cognitives - interactions entre motivations et acquisitions scolaires - interactions éducatives - interactions entre composantes psychologiques, pédagogiques et institutionnelles, etc. Les épithètes ou compléments qui accompagnent interaction nous enseignent-ils qu’une simple définition de mot ne nous apprendrait rien? Ce sont des définitions empiriques qui seraient utiles. Et pourtant qu’un même mot soit employé si souvent depuis une quinzaine d’années en des contextes extrèmement divers, cela doit signifier quelque chose. Un simple tic verbal? Je ne le crois pas. Ce mot dans le vent n’implique-t-il pas une façon de plus en plus répandue d’envisager la logique des choses, d’analyser tout processus de fonctionnement? Si j’osais, je parlerais ici de dialectique. Hélas, le terme de dialectique est frappé de sus- picion et même de ridicule pour avoir trop souvent été invoqué comme explication passe- -partout. Dans son livre: Quel beau dimanche!, Semprun met dans la bouche d’un de ses personnages cette définition: «La dialectique, c’est l’art et la manière de toujours retomber sur ses pieds!))

Conférence d’Ouverture

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Conférence d’ouverture

René Zazzo’ Paris, France

L’honneur qui m’est fait d’ouvrir ce Congrès International, je le dois a mon ancienneté beaucoup plus qu’à ma compétence.

Sans doute mon aventure de psychologie scolaire m’a-t-elle initié concrètement aux pro- blèmes de l’école et de l’écolier, au fonctionnement des groupes-classes. Mais c’est une his- toire bien ancienne.

Sans doute, grâce à Bianka Zazzo, à ses travaux, à nos discussions, j’ai repris contact avec les réalités scolaires. Mais c’est un contact indirect. Je ne suis impliqué, personnelle- ment dans aucun travail empirique concernant l’écolier. Et en lisant les textes préparatoires à ce Congrès, j’ai été submergé par la diversité, par la richesse de vos contributions. Ça n’arran- geait pas les choses. Comment dominer tout cela, comment le mettre en perspective?

On n’ouvre pas un Congrès Scientifique comme on inaugure les chrysanthèmes ... J’ai voulu refuser. Stéphane Ehrlich a insisté. J’ai accepté.

Pour éviter le risque de planer dans le nuage des généralités, j’ai décidé d’aborder avec vous trois thèmes de réflexion.

Une réflexion d’ordre terminologique, sémantique: que veut dire interaction. Une réfle- xion d’ordre philosophique, eschatologique: quel but assigner à l’éducation, à l’école? Un thème d’ordre pratique que b u i s Legrand et Stéphane Ehrlich reprendront, je suppose, dans la séance terminale de Samedi: Quel peut être l’impact de vos travaux sur la pratique @da- gogique, sur :le fonctionnement de l’école, sur la transformation de ce fonctionnement?

Tout d’abord donc ce mot d’interaction. Si je l’ai pris pour cible c’est qu’il m’a frappé par la fréquence de son emploi. Non seu-

lement dans le libellé de séances thématiques et des symposiums, mais aussi dans le texte de nombreuses communications.

- interactions socio-cognitives - interactions entre motivations et acquisitions scolaires - interactions éducatives - interactions entre composantes psychologiques, pédagogiques et institutionnelles, etc.

Les épithètes ou compléments qui accompagnent interaction nous enseignent-ils qu’une simple définition de mot ne nous apprendrait rien? Ce sont des définitions empiriques qui seraient utiles. Et pourtant qu’un même mot soit employé si souvent depuis une quinzaine d’années en des contextes extrèmement divers, cela doit signifier quelque chose.

Un simple tic verbal? Je ne le crois pas. Ce mot dans le vent n’implique-t-il pas une façon de plus en plus répandue d’envisager la logique des choses, d’analyser tout processus de fonctionnement?

Si j’osais, je parlerais ici de dialectique. Hélas, le terme de dialectique est frappé de sus- picion et même de ridicule pour avoir trop souvent été invoqué comme explication passe- -partout. Dans son livre: Quel beau dimanche!, Semprun met dans la bouche d’un de ses personnages cette définition: «La dialectique, c’est l’art et la manière de toujours retomber sur ses pieds!))

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Sans doute est-elle devenue cela dans le DIA. MAT. (abréviation en russe de matéria- lisme dialectique), la forme canonique d’un marxisme dégénéré en langue de bois.

Mais dialectique ou pas, peu importe le mot pour l’instant, l’idée à retenir est que les phénomènes peuvent être liés entre eux, qu’ils dépendent les uns des autres: qu’ils doivent donc être considérés du point de vue de leurs relations, de leurs conditionnements et actions réciproques.

Ceci est un principe général, une logique qui doit orienter notre analyse, mais dont on ne peut rien déduire quant à la nature de l’interaction, quant au fonctionnement du système.

La nature de l’interaction: ce peut être la diversité des facteurs qui sont en jeu dans l’unité d’un phénomène (facteurs génétiques et facteurs d’environnement par exemple, moti- vation et facteurs cognitifs). Elle peut concerner des individus ou des groupes. Elle peut être délibérée ou non: l’interaction peut s’établir entre deux êtres (individus ou groupes) qui pré- -existent à cette interaction. Elle peut être originelle: la symbiose entre la mère et l’enfant, entre les partenaires du couple gémellaire chez qui le NOUS est antérieur au JE.

L‘interaction peut être plus ou moins réciproque, plus ou moins asymétrique, etc. etc ... Dans ses effets, elle peut être communication, communion, conflit. De toute façon ETRE c’est ETRE EN RELATION.

Pourquoi cette interminable énumération? Pour dire, cela va de soi, que ce même mot, interaction englobe des réalités de natures

différentes. Un mot-valise comme d’ailleurs la plupart des mots de notre vocabulaire psycho- logique.

Mais surtout pour me demander s’il n’est pas possible d’imaginer une théorie des niveaux d’interaction (une systémique) ou du moins, si nous ne devons pas élaborer des modèles où plusieurs systèmes d’interactions soient coordonnés, articulés. Ce qui exigerait, au plan de la recherche, une interdisciplinarité véritable, une coordination des points de vue, au lieu de la dispersion actuelle et du sectarisme méthodologique qui sévit encore parmi nous. Un Congrès comme celui d’aujourd’hui doit y contribuer, du seul fait qu’il nous réuni. C’est un début, il faut aller au-delà.

J’aime aussi à constater que les termes de réussite et d’échec scolaires ne sont pas pre- miers en notre programme, qu’ils s’inscrivent sous la notion de fonctionnement.

En effet, au lieu d’être centrés anxieusement sur l’échec dont l’analyse est toujours répé- titive et décevante, il nous faut comprendre les conditions et les lois de la réussite. L’étude des fonctionnements, la mise à jour des interactions, nous y conduisent.

D’ailleurs, l’étude des fonctionnements nous incite à opérer cette articulation dont je parlais tout à l’heure. Nous nous interrogeons sur le fonctionnement de l’enfant B l’école, mais ce fonctionnement individuel (où plusieurs interactions internes sont en jeu comme en témoignent plusieurs de vos contributions) ce fonctionnement individuel s’opère dans le fonc- tionnement du groupe-classe qui est un système d’une autre nature.

Comment ces deux fonctionnements peuvent-ils s’harmoniser, quels en sont les obsta- cles, les conflits? De quelle façon, dans quelle mesure peuvent-ils s’accommoder l’un de l’autre?

On connaît la forme banale de cette question. Est-ce l’enfant qui doit s’adapter à l’école ou l’école qui doit s’adapter à l’enfant? Je récuse cette question sous forme d’alternative. L‘alternative évacue toute idée d’interadaptation possible. Et d’ailleurs c’est une fausse alter- native puisque la première réponse qui vient à l’esprit en toute innocence est que l’école est critiquable et réformable alors que l’enfant n’a pas à l’être: il serait nature, authenticité, dit-on.

Cette dernière remarque me permet d’enchaîner sur le deuxième point annoncé tout a l’heure: la philosophie de l’éducation, et d’évoquer à cet égard deux autres Congrès qui vien- nent de se tenir en ce même mois de Juin. Deux Congrès de parents d’élèves. C’est une heu- reuse coincidence et d’ailleurs leurs préoccupations rejoignent évidemment les nôtres, et plusieurs de leurs suggestions doivent être prises en considération par les chercheurs que nous sommes.

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Pour l’instant, je relève ce que la grande presse en a dit. Malgré leurs différences d’obédience politique les fédérations de parents d’élèves procla-

ment en termes presque identiques: il faut adapter l’école à la diversité des élèves et non l’inverse. Et Le Monde de commenter: c’est une revendication de bon sens, mise en avant par les pédiâtres.

Et cette revendication pédiatrique je la trouve explicitement dans la pseudo-interrogation formulée par le Président de la Fédération des Parents d’Elèves de I’Ecole Publique:

((Les parents qui ont plusieurs enfants savent que ceux-ci se sont mis à marcher, à parler à des âges diffhents. Pourquoi en serait-il autrement de l’acquisition des connaissances, de la formation dc la pensée?))

Pourquoi? peut-être parce que la formation de la pensée ne depend-elle pas aussi étroi- tement du biologique que l’acquisition de la marche!

Je trouve encore dans ces discours l’énoncé de valeurs qu’il faut respecter chez l’enfant: ses désirs, sa spontanéité, sans qu’on se demande si la spontanéité n’est pas en fin de compte une conquête, si ses désirs sont toujours à encourager, et quelle en est la source? Enfin cette conclusion: ((adapter les méthodes à chaque élève)).

Et je me suis souvenu que notre propre Congrès doit se terminer par une Conférence de Stéphane Ehrlich intitulée «A chaque enfant son école?)) avec, il faut le souligner, un point d’interrogatiori. Donc pour les parents d’élèves, une école sur mesure, à la mesure de chaque enfant, en postulant que chaque enfant possède une mesure qui lui est particulière et essen- tielle. Du prêt.à-porter, de l’uniforme, on passe à l’infinie diversité des costumes. En consé- quence, on prône, explicitement, l’éclatement, le mot est prononcé, des classes en groupes de niveau.

C’est le respect absolu des différences, et les différences dont il s’agit ici sont référées aux rythmes Ibiologiques..

Il y a là une nouveauté qui me frappe chez des parents qui se réclament de la gauche. Jusqu’alors la gauche, certains de ses intellectuels du moins, nous avait engagés à sauve-

garder les différences d’origine culturelle. Différences de culture des enfants immigrés et moins souvent, mais avec autant de véhé-

mence, différrnces entre culture populaire et culture bourgeoise. Depuis longtemps je m’insurge contre ce respect inconditionnel et indifférencié des dif-

férences: comme si toutes les différences, quelle que soit leur origine, biologique, ethnique, socioculturelle, étaient toutes également respectables. Aussi ai-je été ravi par le pamphlet récent d’Alain Finkielkraut La défaite de la pensée.

Il attribiie ce qu’il appelle le ((fétichisme des différences)) à un complexe du colonisa- teur repentant. Les intellectuels de gauche pratiquent la recension et l’éloge des différences pour réparer les torts de leur propre civilisation. Ce faisant, ces intellectuels procèdent aux mêmes éclatements anti-humanistes que les doctrinaires de l’extrême-droite. Sans doute dans une intention inverse. Ceux-ci établissent une hiérarchie et prônent une politique d’apartheid, d’exclusion. Ceux-là n’établissent pas de hiérarchie, toutes Les cuItures sont à égalité. «Il n’y a aucun priricipe universel, physique, biologique ou spirituel, écrit Lévy-Strauss, qui corres- ponde à uni: nature humaine)). Et Michel Foucault renchérit brutalement. «II faut mettre en morceaux N notre illusion d’humaniste, notre rêve d’un Homme Universel. A cette idéolo- gie de la décolonisation s’ajoute parfois une note populiste. L‘école, écrit Milner, est le lieu d’humiliatioii et de dressage des classes dominées, le lieu d’une violence symbolique: la volonté d’imposer aux enfants du peuple la culture de la classe dominante. On les déracine de leur identité collective comme on déracine les immigrés.

De leur côté, Bourdieu et Masseron affirment que l’école est reproductrice des inégalités sociales. On n’en sort pas. L‘Ecole est responsable de tous nos maux. Je me demande parfois si ces sociologues ont mis les pieds dans nos classes.

Ces affirmations auraient le mérite de nous faire réfléchir à des problèmes réels, et dif- ficiles; elles en auraient le mérite si leur caractère péremptoire et nos propres sentiments de culpabilité ne bloquaient pas en fait toute réflexion.

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Si j’en parle ici, c’est que des travaux en sciences de l’éducation ont pu être influencés

La science devient alors une antiphrase. Au lieu d’analyser des faits, d’éprouver des hypo- par ces affirmations intempestives, irresponsables autant que généreuses.

thèses, on s’emploie à prouver une thèse.

Abrégeons, il est temps: quel but, quelle fin attribuer à l’éducation, à l’école? Former des êtres autonomes, c’est-à-dire capables d’esprit critique, libérés des préjugés et des parti- cularismes.

Dans son projet de décret pour l’organisation générale de l’lnstruction Publique, Con- dorcet déclarait en 1792: ((Tant qu’il y aura des hommes qui n’obéiront pas à leur raison seule, qui recevront leur opinion d’une opinion qui leur est étrangère, en vain toutes les chaî- nes auraient été brisées)).

Et c’est l’école qui a pour charge cette libération de l’homme, par la libération de sa pensée.

On se faisait alors beaucoup d’illusions. 11 nous faut DENIAISER la philosophie des Lumières, mais lui rester fidèle pour l’essentiel.

La déniaiser: nous savons aujoud’hui que l’école ne suffit pas à dissiper l’obscurantisme, que les progrès de la science ont souvent des effets pervers, que l’émancipation d’un peuple aboutit souvent à l’aliénation des individus, dans la pensée totalisante et totalitaire de sa com- munauté, mais nous savons aussi que l’homme réel a besoin de racines, d’une identité com- munautaire, des préjugés de son clan, de son groupe d’appartenance.

Pourtant la valeur première est pour moi l’idée d’universalité, de raison qui transcende les particularismes. Je professe que les hommes sont mes semblables. Mes semblables en leur singularité, non en leurs particularismes. La singularité est universelle.

C’est cela pour moi l’héritage des Lumières et qui doit constituer la finalité de notre éducation.

11 y a une contradiction, une imposture à proclamer la défense des droits de l’homme chez ceux qui, en même temps, proclament la mort de l’homme.

On me dira: ce que vous nous racontez là, est une philosophie parmi d’autres. Oui, bien sûr. Mais à toute éducation, il faut fixer un but, une finalité, et chercher les meilleurs moyens

d’y parvenir. La fin que je propose est un idéal, elle procède d’une philosophie elle n’est pas une idéologie.

L‘idéologie est un discours partisan qui invoque abusivement la caution de la science. Un idéal, c’est une option, déclarée comme telle.

Penser par soi-même. Evidemment l’école a d’autres tâches. Mais pour la plus éminente, je veux savoir comment fonctionne l’enfant et comment faire fonctionner l’école à tous ses niveaux, depuis la Maternelle jusqu’à l’université.

J’aborde maintenant le dernier point de cette conférence: je passe de la considération des fins à celle des moyens, à la pertinence et à l’utilité de nos recherches.

Dans la présentation d’une recherche, accomplie sur le terrain, Francesco Tonucci, notre collegue et ami de Rome, énonce parmi ses préoccupations que d a recherche puisse donner d’utiles renseignements à l’école».

Lorsqu’on est sur le terrain, en collaboration avec les enseignants ou du moins en bonne intelligence avec eux, la tâche est relativement facile.

Mais il faut généraliser la question posée par Tonucci. Comment établir le bien-fondé de nos recherches, mais aussi comment faire passer nos résultats, nos découvertes, dans la pratique éducative?

Je dirai tout de suite que l’intérêt de nos recherches ne se définit pas par leur caractère directement utditaire. Je trouve parmi vos communications des recherches très pointues et qui ne sont pas guidées, de toute évidence, par le souci d’applications. Mais elles nous éclai- rent sur tel ou tel secteur de la psychologie de l’enfant. Et l’on peut espérer qu’à plus ou

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moins longue échéance, et pourvu que ce nouveau savoir soit un jour articulé à d’autres savoirs, intégré dans la réalité scolaire, il serve à quelque chose. La recherche désintéressée est indis- pensable à nos progrès d’ensemble. La logique de vérité n’est pas logique de l’efficacité, encore moins logique des sentiments. Et si nous ne mettons pas entre parenthèses nos sentiments, aussi généreux soient-ils, dont les enjeux sociaux peuvent peser lourd, alors nous risquons de perdre sur les deux plans de la vérité et de l’efficacité.

Au cours d’une interview Piaget déclarait: «la recherche fondamentale aboutit a des impli- cations imprévues tandis que si l’on cherche l’application, a propos d’une question urgente ou à la mode, on délimite les problèmes et ce n’est pas rentable)). Il disait encore «C’est au pédagogue de voir comment il peut utiliser ce que le psychologue lui offre)).

A propos des questions urgentes, je prends l’exemple de l’échec scolaire. Le taux des échecs scolaire est un scandale. Mais convient-il de prendre l’échec comme objectif majeur de nos travauq? En fait on peut réduire sa fréquence par des mesures de bon sens.

Dans les ;innés cinquante, avec les psychologues scolaires que nous avons formés au len- demain de la Libération, nous avons réduit le taux de redoublements des CP* de 25% à 770, le taux de redoublements des 5 années de scolarité élémentaire de 50% à 17%. Ces chif- fres concernaient 14 groupes scolaires de la Région Parisienne.

Qu’avons-nous fait? des rééducations, des psychothérapies? Absolument pas. D’ailleurs nos psychologues qui avaient chacun la charge d’un groupe scolaire (Maternelle + école de garçons + école de filles) n’en avaient pas la compétence.

Nous avons pris les mesures suivantes:

1) Affectation aux classes de CP d’un maître ayant au moins cinq ans d’ancienneté. 2) Identification progressive de tous les élèves de l’école. Le premier trimestre était con-

sacré par le psychologue scolaire au contact avec tous les élèves nouveaux: entretien à l’occasion d’un bref examen.

3) Examen de tout élève perdant-pied au cours de la scolarité, cas signalés par I’enseig- nant, et examinés avant que l’enfant ne s’installe dans la situation d’échec.

En somme, collaboration étroite entre les enseignants et le psychologue (lui-même ensei-

II n’y a pas de miracle. Je ne veux pas conclure de cette expérience que la recherche psycho-pédagogique soit

inutile, qu’elle soit un luxe. J’en corilus qu’il faut centrer nos efforts de compréhension pas tellement sur l’échec

mais sur la réussite, plus exactement sur les fonctionnements de l’écolier et de l’école. La dichotomie khec-réussite est arbitraire et fallacieuse. Les critères de cette dichotomie sont discutables, et les statistiques qu’on nous offre sont une macro-analyse d’un intérêt vite épouisé.

Le terme même de réussite risque de nous tromper, elle est toute relative: relative à I’effi- cience moyenne des élèves, à ce que nous considérons comme critères de rendement, avec des coefficients variables d’une matière scolaire à I’autre.

Et puis il faut distinguer entre les réussites au plan individuel dans le cursus des élèves et la réussite de l’école.

La réus’jite de notre école ne se juge pas seulement par la compéabilisation des enfants qui n’ont pas été exclus à un moment ou l’autre du chemin des études; elle doit s’évaluer à l’accomplissement de notre projet éducatif, aux qualités que nous avons développées en nos élèves: h flexibilité, la capacité à s’adapter aux mutations sociales, la capacité de penser par soi-même.

Pour tous les élèves qui tendent vers l’université et qui y parviennent nous pouvons dire d’une certaine façon qu’ils ont réussi. Et pourtant bon nombre d’entre eux ne savent pas travailler, ne sont pas autonomes intellectuellement. Alors les réformes qu’on nous propose à ce niveau sont dérisoires. Et cela n’est pas propre à notre pays.

gnant d’origine) et meilleure connaissance de chacun de ses élèves par le maître.

* Cours Préparatoire. Dans le système français, la première année de la scolarité.

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L’explosion scolaire de l’après-guerre n’avait pas été prévue, la prolongation de la scola- rité répondait à un besoin de société, et nous n’avons pas su la gérer. Que faire? Abaisser le niveau des études? Pratiquer la sélection? Des palliatifs, éventuellement, mais pas vrai- ment des solutions.

Non, je ne m’écarte pas du thème de notre Congrès. La solution à ce problème de société, une société où l’instruction supérieure n’est plus réservée à une minorité (non pour des rai- sons de justice mais parce que la démocratisation de l’enseignement est un besoin pour le bon fonctionnement de la société) la solution de ce problème exige qu’on connaisse bien com- ment fonctionnent les enfants, comment fonctionnent nos écoles, et comment améliorer ce fonctionnement, en ayant une conscience claire de ce que nous voulons, des finalités de l’ins- truction et de l’éducation.

Vos travaux sont donc d’intérêt publique. Encore faudrait-il qu’on en tienne compte au niveau de l’Administration, mais aussi et

surtout au niveau du corps enseignant. Comment faire pour que les implications pratiques de vos savoirs soient connues et assi-

milées par les enseignants? Un problème de communication qui n’est pas simple. On parle à satiété de la formation

des maîtres. Je dirai à ce propos qu’il faut modifier pronfondément l’esprit dans lequel on enseigne

la psychologie, et notamment la psychologie de l’enfant, dans nos Facultés. La vénérable tra- dition de l’enseignement de la Philosophie y règne encore trop souvent: on y enseigne des idées, des auteurs, des systèmes.

On donne à nos étudiants, trop souvent, des produits finis, et d’appellation contrôlée, au lieu d’analyser avec eux la façon dont ils ont été obtenus. Ce sont par exemple les stades piagétiens, les trois points de vue de la métapsychologie freudienne, les types psycho-moteurs de Wallon, et des choses plus récentes bien sûr. Mais sans s’interroger assez sur la genèse des notions, leur degré de fiabilité, le cheminement de la découverte.

11 arrive qu’on leur parle des disputes d’école mais sans les préparer suffisamment à se faire une opinion vraiment personnelle. On ne leur apprend pas non plus, ou trop rare- ment, à lire, à décortiquer des articles scientifiques. Et non plus, ou pas assez, a observer, à regarder. Observer des enfants, par exemple, dans leur salle de classe ou en récréation.

L‘enseignement de la psychologie, comme de toute autre science, est avant tout l’esprit de recherche. Non pas pour faire de tous nos étudiants des chercheurs. Mais pour permettre à tous de comprendre ce que la science apporte, et être réceptifs à ce que les Chercheurs plus tard leur apporteront de nouveau.

Je reviens au propos de Piaget que j’ai cité tout à l’heure: il appartient au pédagogue de voir comment il peut utiliser ce que le psychologue lui offre. Mais il faut déjà que le pédagogue puisse saisir ce qu’on lui offre, éventuellement qu’il en prenne et qu’il en laisse. Et mieux encore qu’il sache formuler des questions et les soumettre au psychologue et en discuter avec lui.

Une interaction en somme, une de plus, entre le praticien et le chercheur, dans le domaine de la psycho-pédagogie.

De ce point de vue, je me réjouis que notre Congrès se termine, Samedi prochain, par

Ce n’est évidemment pas en quelques heures que toute l’information utile passera, qu’un

Mais c’est un bon mouvement. C’est une initiative heureuse: une première pour moi dans

11 faut en féliciter les organisateurs.

une séance ouverte aux enseignants.

dialogue en profondeur pourra s’instaurer.

l’histoire de nos Congrès.