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ertiges Confessez-moi ! Mathias LAHIRE

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ertiges

Confessez-moi!Mathias LAHIRE

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Mathias Lahire

Confessez-moi !

Roman

COLLECTION VERTIGES

TENDANCE ROSE

TABOU ÉDITIONS

FRANCE

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© 2013 Tabou Éditions, tous droits réservés

« Toute représentation ou reproduction intégrale ou partielle faite sans leconsentement de l’auteur ou de ses ayants droit ou ayants cause est illicite. Ilen est de même pour la traduction, l’adaptation ou la transformation, l’arrangement ou la reproduction par un art ou un procédé quelconque. » (Art. L.122-4 du Code de la Propriété intellectuelle)Aux termes de l’article L.122-5, seules « les copies strictement réservées àl’usage privé du copiste et non destinées à une utilisation collective » et, sousréserve que soient indiqués clairement le nom de l’auteur et la source, les analyses et les courtes citations dans un but d’exemple et d’illustration, sontautorisées.La diffusion sur Internet, gratuite ou payante, sans le consentement de l’auteur est de ce fait interdite.

Tabou Éditions et Vertiges sont des marques éditoriales des Éditions de l’Éveil.

Dépôt légal : 2e trimestre 2013

ISSN 1968-8032 (collection Vertiges)

ISBN papier : 978-2-36326-006-2

ISBN numérique : 978-2-36326-504-3

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Qui veut connaître le secret de la jupe plissée se doitde fréquenter les églises. Ainsi parfois, être un bonchrétien peut aider à la résolution de certains mystères,ou du moins à accumuler des éléments aidant à. Et si jedis parfois, je le dis en connaissance des mots et enayant bien pesé le pour et le goupillon.

Parmi ces mystères, il y a le pourquoi du commentde la jupe plissée, qui entre nous soit dit, à partquelques fripons nippons n’excite plus grand mondede nos jours.

Mais à mystère trop vite balayé par le vent del’ignorance, ne ratons-nous pas de savoureusesdécouvertes et de goûteuses révélations ? C’est ce queje souhaite observer ici.

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Il était une fois, Annabelle

La jupe plissée, disions-nous donc. Mettons-nousen situation et observons.

Prenons la sainte église de Sainte-Gudule, sise aucœur d’une cité bourgeoise de type Annecy, Orléans,Chartres, ou Amiens, sans plus de précision pour nevexer personne.

Puis parmi les ouailles de la paroisse, prenons lafidèle Annabelle. Je commettrais sans doute péché demensonge, si je disais que ce choix est le fruit duhasard ; mais voyons plus avant, pourquoi.

Elle pourrait être belle, Annabelle, si elle ne cachaità la vue de son prochain tous ses trésors de féminitésous ses oripeaux de grenouille, pour les réserver, lematin, dans l’intimité de sa toilette, à la seule vue du roidu bénitier, et de ces voyeurs de Villeroy & Bosch, sanudité offerte au rutilant pommeau de douche et àl’immaculée conception de la blanche baignoire.

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Pour ceux qui ne sont ni Dieu ni vendeurs delavabos, Annabelle est femme de taille moyenne, auxcheveux mi-longs aussi joliment châtains que souples,qu’ils invitent à la caresse. Nous dirons pudiquementque sa silhouette est celle d’une femme faite pourenfanter : pour les impudiques, en la forme de largeshanches hospitalières, et d’une poitrine non moinslargement accueillante. Son visage aimable et doux nepeut néanmoins masquer les marques de fatigue d’unevie entièrement vouée aux autres. Le regard de sesyeux clairs révèle une bonne âme à la bienveillancenon-feinte, mais aussi une trop faible flamme d’unespoir las de tant d’attentes et de désirs depuis troplongtemps patients.

Pourtant les raisons d’espérer semblent encorequelques-unes. Annabelle porte ainsi une démarchelégère et flottante lorsqu’elle se déplace, tel un refus del’accablement, de la fatigue, ou du renoncement,comme le choix d’un optimisme intimement protégé,comme il semble en être autant de son corpssecrètement caché. Autant de trésors qu’Annabellesemble conserver sacralement pour cet espoir ténud’un futur autre.

Annabelle et son uniforme de mère au foyer de septtêtes blondes, se rend à l’église trois fois par semaine.Elle aime ainsi dire qu’elle est une pratiquantemodérée, comme libérée d’un joug familial quipratique l’exercice quotidiennement.

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Lundi, tartan & tétons

Il y a d’abord les vêpres du lundi. C’est une journéeun peu légère pour Annabelle, qui profite ainsi du peude loisirs que lui laisse son foyer.

Le dimanche est passé, les courses du samedigarnissent encore suffisamment le frigo, et ni enfantsni mari n’ont, dans cette journée bénite du lundi,d’activités extrascolaires ou extraprofessionnelles.

Ainsi, pour Annabelle, béni soit le lundi. Et àjournée légère, excentricité vestimentaire. À la jupeplissée marine ou grise qu’elle arbore quotidiennementet traditionnellement depuis qu’elle est en âge d’enporter, Annabelle préfère un modèle chamarré en tissuécossais véritable ramené d’un séjour linguistique àÉdimbourg, alors qu’elle n’était âgée que de dix-septans.

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Cette jupe, qui l’air de rien raccourcit d’année enannée, à mesure que le temps grignote la maillecomme il le fait de sa beauté et de ses désirs profonds,est un trésor qui renvoie Annabelle à ce temps où toutsemblait alors possible à la jeune fille en fleur mi-closequ’elle était encore.

Ce qu’Annabelle garde caché secret au plus profondde son cœur, c’est l’identité de celui qui lui a alorsoffert cette jupe, tandis qu’ils se séparaient sur le quaide cette gare écossaise balayée par un vent polisson etjoueur sous les jupes du chef de gare et qui confirma àAnnabelle ce qu’elle savait déjà sur l’effet d’un courantfroid sur les attributs du mâle sans culotte.

Vlad, tel était son nom à cet étudiant polonais, toutcomme elle, là pour parfaire sa langue, reste unsouvenir ému le jour et parfois humide la nuit pourAnnabelle. Car Vlad cueillit sa fleur, et lui apprit bienplus qu’à tourner sept fois sa langue dans sa boucheavant de prononcer porridge. Annabelle vérifia ainsiauprès de Vlad le principe d’Archicon, selon lequel uncorps chaud au contact d’une masse d’air (ou d’eau)froid rétrécit vivement ; puis le principe d’Archisexeselon lequel le même corps refroidi nécessite un travailplus long pour pouvoir en faire quelque chose, et quedans ces conditions la bouche vaut mieux que la main,surtout si on a des moufles… Mais je m’égare ! Letartan donc.

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Dès lors, le lundi, lorsqu’elle se glisse, toujours aussisensible au contact de la laine bariolée sur sa peau,dans son écrin court et plissé, à ses yeux, ultime deféminité, est bien la journée qu’Annabelle préfère. Ellese sent alors pleine d’une charge érotique, si évidentepour elle que le rose lui monte instamment aux joueslorsqu’elle s’admire dans le miroir Louis Philippe de lachambre conjugale.

Annabelle choisit toujours de passer sa jupe avanttout le reste. Cérémonie sensuelle isolée dans unesemaine terne et néanmoins débordante de tâches entous genres, l’habillement du lundi est le dernier carréde pelouse encore verte dans le jardin secretd’Annabelle. Enfiler le tartan, et le plaisir luit.

Sortant d’une douche plus longue que les autresjours de la semaine, Annabelle procède avec lenteur,douceur, et ce que d’aucun voyeur qualifierait d’éroti -que candeur. Elle libère ainsi rapidement son corps del’affreux peignoir de grand-mère, cadeau d’une antiquefête des mères de la part de Jean-Charles, son si tristemari, aussi plat qu’une cornemuse sans air.

Le lundi, Annabelle ne se frotte pas pour se sécher.Dans le relatif frimas de la chambre à coucher qui dressechair de poule et met tétons en fête, tandis qu’elle choisitses sous-vêtements, Annabelle laisse les dernièresgouttes d’eau perler sur sa peau. Puis elle enfile saculotte, et rapidement sa jupe, prunelle de ses yeux.

Annabelle s’admire souvent alors devant la glace,ainsi sommairement vêtue. Elle s’aime bien Annabelle.

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Elle aime surtout ses seins. Vlad les chérissait déjàlorsqu’elle n’avait que dix-sept ans, et les flattait,gourmand, de sa polonaise langue experte. Annabelleaime à se dire que Vlad serait fou de cette lourdepoitrine abondante, fortifiée de sept maternités, maisqu’un miracle, accordé à cette bonne paroissienne, afait en sorte de ne pas abîmer par le temps et l’appétitgoulu de ses sept enfants.

Annabelle se souvient alors du temps où Jean-Charles, lui aussi, succombait à la gourmandise pour yenfouir tête, mains, et autre au comble de son exci -tation juvénile. Seulement voilà, depuis la naissance deCharles-Auguste, leur premier, Jean-Charles jure quece serait pécher de passer là où son fils se nourrit.Annabelle avait cessé d’être une femme pour devenirune mère. Amen.

Alors Annabelle, le lundi, se souvient.Jean-Charles quitte bien vite son esprit pour céder

la place au fougueux Vlad.Vlad qui fut le seul à lui faire véritablement

entrevoir la lumière, lorsqu’il lui faisait répéter au seuilde la jouissance ultime “bierze mnie na rosyjski… bierzemnie na rosyjski”, soit “prends-moi à la russe… prends-moi à la russe” ; Vlad qui fut le seul à lui apprendre àboire de la vodka et qui la faisait tant rire lorsqu’ils’asseyait sur la bouteille et se mettait à danser lekazatchok en kilt dans des bruits de verre pilé.

Annabelle se souvient. Elle caresse ses seins lourdset avides de trop manquer d’attention. Ses tétons

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majestueux semblant d’année en année se grandircomme pour réclamer un autre sort que celui auquelils sont depuis trop longtemps confinés, se bandent,vibrants et durs, réagissant si vivement au doigtéd’Annabelle, qui bien souvent finit par les pincer entreses doigts fébriles et agités ; ce qui lui arrache un petitcri de plaisir, ce petit cri si rare désormais que Jean-Charles s’astreint le moins souvent possible à saconjugale besogne avec un égal bonheur qu’il irait sependre, et que rien dans son désir éteint et ses brasmous ne vient réchauffer la couche nuptiale et le corpsen jachère et si froid d’Annabelle, qui elle, voudraittant sentir son “corps contre son corps, lourd commeun cheval mort”.

Alors, le lundi, après le petit cri, Annabelle achèvede se vêtir, comme l’on referme à clé une petite boîte àtrésor. Elle enfile un collant opaque sous cette jupe sichaude, chausse ses souliers plats et sans artifice, puis,sur un soutien-gorge si merveilleusement empesé,referme un chemisier dont les boutons semblent sedébattre tant ils tirent sur leur attache, avant debientôt devoir céder sous la tension de l’enveloppepudique de coton.

Ainsi exquisément mise en condition pour se livrerà la prière du soir, dans l’esprit d’Annabelle, le lundiglisse tel un rêve. Lorsqu’elle rentre le lundi soir del’église, Annabelle s’étonne parfois d’en être à préparer

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le dîner. Où est donc passé le reste de cette journée? Leplus souvent dans la douceur ouatée de rêvesinassouvis, enrobés de la tiédeur sucrée du secret et dusuc rare et précieux de l’inavouable. Et lorsqu’il s’agitenfin de retirer cette jupe fantastique, à l’heure ducoucher, Annabelle prend un temps infini et un soin demère aimante à ne pas se réveiller elle-même ensursaut de ce rêve éveillé que peut être le lundi. Letiroir se referme alors sur l’étoffe d’Édimbourg, etarrache à Annabelle un soupir mélancolique etgourmand à la fois.

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Mercredi, Rondelle & Pincemi

Le deuxième jour de la semaine où Annabellefréquente l’église est le mercredi, le fameux jour desenfants.

Ce jour-là Annabelle fait les courses de la mi-semaine, se presse pour préparer le déjeuner pour huitpersonnes, puis lance le lave-vaisselle, se prépare àemmener la cinquième et la sixième à la danse, et lequatrième au tennis, tandis que la troisième fait sesdevoirs avant qu’Annabelle ne revienne pourl’emmener à l’équitation, et que les trois autres ontcharge de faire leurs devoirs et de s’occuper duseptième avant que tout le petit monde se retrouvevers 17 heures, pour se rendre au catéchisme.

Dans une maison appartenant à l’évêché, voisine de Sainte-Gudule, les cours de catéchisme sont initiés par l’abbé Cottard, un homonyme qui, à la

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connaissance de ses paroissiens, n’a encore noyépersonne.

Les enfants d’Annabelle sont séparés entre garçonset filles. Alors que les garçons ont cours avec l‘abbéCottard, les filles suivent mademoiselle Rondelle, unesorte de jeune duègne vieille fille. Les garçonss’ennuient un peu lors des cours de l’abbé, vieuxtraditionaliste sans fantaisie ni imagination, quiressasse comme la dernière des aventures son seulpériple que fut un pèlerinage à Paray-le-Monial en1964, et réclame de vendre à la tombola annuelle de laparoisse des calendriers de rugbymen aux quatre-cinquième nus, au prétexte que ça se vend très bienauprès du club des veuves, partenaire de la tombola.

De leur côté, il n’est pas rare que les filles ressortenteffrayées par mademoiselle Rondelle et ses histoires deBelzébuth à queue fourchue qui tour à tour défloreraitles vierges qui n’ont pas été sages ; s’emparerait del’âme de celles qui joueraient trop souvent à comptersur leurs doigts, la main dans la culotte ; ou encorevouerait aux flammes de l’enfer toutes celles déman -gées avant le mariage par l’acte que mademoiselleRondelle a toujours refusé de nommer, et surtoutjamais réussi à pratiquer.

Dans ce groupe, aux âges divers et à la crédulitévariable, Anne-Sophie, la première fille d’Annabelle etJean-Charles, a, depuis des années, trouvé rassurante laprésence de la belle Sacha. Du haut de ses deux ans de

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plus qu’Anne-Sophie, Sacha moque depuis toujours lesincantations de mademoiselle Rondelle. Grande brune,intelligente, rebelle et forte en gueule, Sacha et sesseize ans sont l’incarnation du mauvais exemple pourmademoiselle Rondelle, inconsciemment jalouse de laremarquable précocité de Sacha en bon nombre dematières.

Sacha est une source intarissable de réponses àtoutes les questions qu’Anne-Sophie n’ose poser à samère, et qui la taraudent bien souvent quand lesommeil ne vient pas, que la lune est pleine, que lacoupe est prête à déborder, et que, morbleu, pourquoic’est si bon quand on y met les doigts ?

Durant les cours de catéchisme, Annabelle retrouvequelques mères de famille et discute poliment avecelles, comme elle l’a toujours appris et toujours fait.Mais Dieu, que ce ne sont pas des amies ! Du reste, à laréflexion, Annabelle n’a pas d’amies. Du moins, pasdans l’environnement immédiat de Sainte-Gudule oude son foyer, mais c’est une autre histoire…

Par ailleurs, les premier et troisième mercredis dechaque mois, sont aussi le jour que choisit Annabellepour aller se confesser, dans le confessionnal ouest deSainte-Gudule.

Depuis près de quatre années, Annabelle se confesseauprès d’un jeune prêtre, l’abbé Pincemi, tout justeordonné, et pour lequel les souvenirs du séminaire sontencore à vif, principalement lorsqu’il s’assoit.

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L’abbé Cottard l’a pris sous son aile, après l’avoirpris sur la table du presbytère, et avoir jugé là unebonne recrue pour Sainte-Gudule. L’abbé Pincemi, quin’était plus à une humiliation près, a saisi l’abbé aubond, et estimant devoir ne pas fléchir aux épreuves dela foi, se précipita sur l’offre.

Dès son arrivée, l’abbé Pincemi s’est épanoui àSainte-Gudule. Les ouailles sont fidèles, ferventes, etnombreuses. Son aisance et sa jeunesse lui ont garantiau fil des offices et des cérémonies un succès certainqui le rassure quant à la succession programmée del’abbé Cottard. Seulement voilà, l’abbé Pincemi a unproblème qui le hante et le meurtrit. Annabelle.

L’abbé Pincemi a beau se fouetter avec des ortieschaque semaine, à la nuit tombée, dans la petitechapelle isolée du cimetière attenant à Sainte-Gudule,rien n’y fait. Annabelle peuple ses nuits, trempe sesdraps, tend sa soutane, l’aube et la chasuble avec.

L’abbé Pincemi, dans le secret de ses nuits, ne rêveque d’un enfer brûlant où les flammes lécheraient lecorps ruisselant d’Annabelle offerte en croix ausommet d’un bûcher si difficile à escalader. Et là,Pincemi de se réveiller en hurlant et de se lever enchemise de nuit pour aller planter des orties dans lejardin du presbytère en récitant l’Ave Maria en latin.

Le choc remonte à la première confessionqu’accorda l’abbé Pincemi en l’église Sainte-Gudule,quatre ans auparavant. Ce qui devait être unerécompense, une preuve de plus de son installation

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dans la paroisse, va se révéler bien plus que cela : uneporte, une trappe, un tunnel, une brèche dans son âmed’ecclésiastique, ouvrant vers une évasion possible,vertigineusement tentante, absolument infernale, etirrémédiablement obscène.

Annabelle se présenta dans le confessionnal un deces mercredis anonymes, submergée comme elle peutl’être quotidiennement de chaussettes orphelines, deNutella sur chemisette, d’équation à deux inconnues,ou de lames de rasoirs inadaptées car trop irritantes.Annabelle, en pénitente traditionnelle se mit à genouxdans le compartiment du confessionnal ouest deSainte-Gudule. De l’autre côté, l’abbé Pincemi fitglisser le volet pour découvrir le grillage le séparant desa paroissienne. Dogmatiquement droit, sans aucunregard pour sa pénitente, il découvrit à la douce voixd’Annabelle, qu’il s’agit de confesser une femme, cesêtres dont il se méfie pour trop mal en connaître lescontours.

Annabelle commença le détail de ses péchés auprèsdu zélé et attentif Pincemi, légèrement noué parl’émotion de cette première confession depuis sonaccession à la prêtrise. Annabelle commença par uneénumération de quelques gros mots qui lui avaientéchappé depuis deux semaines, dont trois d’entre euxfurent malencontreusement prononcés en présence detrois de ses enfants.

Lorsque l’abbé Pincemi lui glissa de continuer sonrécit, Annabelle s’interrompit un instant. Légèrement

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déstabilisée, elle remarqua qu’il ne s’agissait pas del’abbé Cottard, et fit part de sa surprise à sonconfesseur. L’abbé Pincemi se présenta brièvement,puis Annabelle poursuivit en abordant le récit de sajournée du lundi qui précédait.

Comme à chaque fois, persuadée de prendre unplaisir coupable à s’habiller le lundi, Annabelle abreuval’abbé Pincemi de détails. Elle assaillit le jeune abbé dequestions sur le bien ou le mal à s’aimer, sur lenarcissique désir de s’admirer ainsi régulièrement,jusqu’à la question de se donner du plaisir par elle-même en se caressant seulement les seins, territoirejachère de l’amour conjugal et ce désir hebdomadaireauquel elle succombait de ses doigts hésitants maisnon moins avides…

C’en était trop pour le jeune abbé Pincemi qui dansun « pardon » étranglé claqua le volet sur la grille quile séparait de sa pénitente, afin de reprendre un souffledevenu trop court, étouffé de tant d’excitationinattendue.

Annabelle fut surprise d’être ainsi interrompue. Nesachant que faire, elle resta à genoux dans soncompartiment.

Elle en appela doucement au père de l’autre côtéafin de savoir si tout allait bien.

— Je vous demande de m’excuser, mon père… y a-t-il un problème? Ai-je dit quelque chose de mal ?

L’abbé restait silencieux.

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— Aidez-moi mon père à savoir où est ma faute ?Après quelques instants de silence, le volet se

rouvrit.L’abbé Pincemi, plus raide que jamais, présenta ses

excuses à Annabelle, et lui confia que l’émotion l’avaitsubmergé à l’heure de sa première confession enqualité de confesseur, et qu’il avait préféré prendre uninstant pour s’isoler dans la réflexion et pouvoirachever l’exercice de sa confession du mieux qu’il lepouvait.

Tant de franchise mit Annabelle dans uneconfiance définitive envers le jeune abbé. Elle se juraqu’il serait désormais son seul et unique confesseur, etse félicita de ne plus avoir à faire à l’abbé Cottard quiavait la fâcheuse habitude de ronfler dès lors qu’unefemme venait se confesser.

La confession s’acheva sans autre incident. L’abbéPincemi absout Annabelle de façon si rapide etclémente qu’Annabelle crut avoir à faire à unprogressiste ; ce qui la rassura sur la gravité de sespéchés. En réalité Pincemi en avait seulement une àfaire péter le caleçon et les cloisons du confessionnal.Les orties devaient ne pas attendre la nuit.

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Dimanche, de pelle à gâteaux en psalmodies

Le dernier jour de la semaine qui voit Annabelle serendre à Sainte-Gudule est le dimanche, jour duSeigneur et de la famille.

Annabelle, Jean-Charles, Charles-Auguste, Anne-Sophie, Marie-Cécile, François-Baptiste, Diane-Astrid,Jeanne-Béatrice, Marc-Antoine, se rendent tous lesneuf, en famille, à l’office de dix heures, après le petit-déjeuner.

La famille revêt pour l’occasion les vêtements dudimanche, portés à cette occasion seulement. Le pèreet ses fils portent des ensembles plus ou moins marineet gris, tandis que la jupe plissée se décline de mère enfilles.

Pour la messe dominicale, c’est habituellementl’abbé Cottard qui monte en chaire pour célébrer larésurrection du Christ. Annabelle et les siens occupenttraditionnellement un banc ni trop en avant, pour ne

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pas être arrosés de postillons, fussent-ils bénis, ni tropen arrière afin de pouvoir suivre quelque chose auprêche chevrotant de l’abbé Cottard.

Cela fait quatre ans maintenant, que l’abbé Cottardest assisté de l’abbé Pincemi pour l’Eucharistie et laCommunion principalement.

C’est l’abbé Pincemi qui s’est porté volontaire pourl’assister, dés que l’abbé Cottard lui avait signalé quecela devenait de plus en plus fatigant pour lui. PourPincemi, c’est la seule occasion de pouvoir admirerAnnabelle, sans qu’un grillage de confessionnal nevienne parasiter sa vision, Jésus-Marie-Joseph-mère-de-Dieu, quelle femme… Et “nom d’une pipe en boisque la mienne c’est pas du liège”, quelle poitrine,lorsqu’Annabelle prend son inspiration, un genou àterre, avant d’engloutir l’hostie tremblotante délivréepar l’abbé Cottard. Et je ne vous parle même pas duprintemps ou de l’été, les saisons où le supplice est,pour Pincemi, à la hauteur du plaisir de voir venirAnnabelle communier.

N’allez pas croire qu’Annabelle profite de cessaisons pour se laisser aller à des tenues légères.Seulement, pour Pincemi, un bras à moitié dénudé, ouune cheville sans collant opaque, sont un comble del’allumage de mèche érotique, un sommet de lasuggestion lubrique, une outrageuse locomotive à lacompression des corps caverneux, ah Dieu me tripote,que c’est bon ! Ainsi posé l’effet d’Annabelle surPincemi, comprenez maintenant ce qu’ont pu être

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jusque-là ces quatre printemps et quatre étés déjà subispar le jeune abbé.

Chacun se souvient encore du tintamarre fait undimanche de juin par la chute de la coupelle à hostiesen argent sur le sol de l’église, échappée de la mainmoite de l’abbé Pincemi. Madame Cussec, une des plusvieilles paroissiennes de Sainte-Gudule, est depuisprête à parier son sonotone que l’abbé Pincemi éternuaalors un “mmm… Dieu, branle-moi” !

L’abbé Cottard, se voulant rassurant, mais à moitiésourd, soutient depuis à madame Cussec, que jamaisl’abbé Pincemi n’a pu prononcer une telle chose et queses mots furent “oh, Dieu, pardonne-moi”.

Mais au Club des Tilleuls Fanés, à l’heuretraditionnelle du thé, chaque jeudi, au milieu de latraditionnelle partie de scrabble, madame Cussecestime qu’il manquait alors une syllabe à la phrase del’abbé Pincemi, avant de poser son non-moinstraditionnel “incontinence” sur le mot-compte-tripleen bas à gauche du plateau de jeu.

La vie coulait ainsi pour Annabelle. Une vie faite derituels, de rendez-vous, de souvenirs déjà nombreux,d’espoirs encore en petit nombre, de joies simples, etde plaisirs menus ; peu de mouvement, surtout pas deremous, et des jalons bien installés, guidant ainsi sa vie.

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Le clou du Christ, genou sans hibou

Un lundi comme un autre, flottante dans ce parfumdélicieux de souvenirs et de plaisirs intimes, Annabelleallait basculer dans une dimension nouvelle, et plus rienne serait alors comme avant.

À l’issue des vêpres chantées, Annabelle s’attarda unmoment dans la prière, agenouillée sur un prie-dieu dupremier rang, face à l’abside.

Nous étions en octobre, Annabelle portait déjà uncollant opaque marine sous sa jupe écossaise, synonymede relatif répit pour l’abbé Pincemi, qui lorsqu’il ladécouvrait parfois priant ainsi à l’issue des vêpres, nevoyait que ses mollets habillés de tissu bleu ou marron.La suggestion existait certes, mais con trainte et dissi -mulée, elle était bien plus supportable et bien moins saleà l’esprit de l’abbé.

Ce soir-là, Annabelle, absorbée par sa prière, ne sen -tit pas son genou se poser tout contre un clou saillant del’assise du prie-dieu.

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Au moment où elle se releva, Annabelle poussa unpetit cri, en tout point semblable à celui qu’elle pousseseule devant son miroir, le lundi matin.

Annabelle fut tout autant surprise de son cri que dedécouvrir ce qui l’avait provoqué. Son collant étaitlégèrement déchiré au niveau du genou, et un peu desang coulait du peu de chair qui apparut alors sous ladéchirure. Annabelle, légèrement honteuse de son cri,se retourna pour observer aux quatre coins de l’églisequi avait pu l’entendre. Elle ne vit sur le côté qu’unevieille femme rabougrie sur une chaise, qui nesemblait pas avoir fait attention à elle et qui resta aussiimmo bile que la flamme des cierges qui lui faisaientface.

Mais l’abbé Pincemi, alerté par le petit cri d’Anna -belle, accourut en sa direction. Lorsqu’il arriva face àAnnabelle, celle-ci se tenait penchée sur son genou,l’index gauche dans la bouche. L’abbé eut un tempsd’arrêt, comme frappé de stupeur, plongé en pleinequatrième dimension mystique.

Annabelle était là, face à lui, dans ce halo de divinelumière, pénitente écorchée et ce clou que lui désignaitla main de Dieu apparut en un étrange panneau cligno -tant. L’abbé tomba à genoux aux pieds d’Annabelle, etcaressa le clou assassin.

— Les clous du Christ, souffla l’abbé Pincemi dema nière quasi imperceptible pour tout être ici-bas.

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Annabelle sortit son doigt ainsi humecté de la boucheet le posa sur son genou meurtri. Elle s’accroupit etdécouvrit l’abbé Pincemi, livide.

— Tout va bien mon Père… Je… Je me suis juste unpeu blessée avec un clou du prie-dieu… Je vous prie dem’excuser pour le bruit.

L’abbé, comme rappelé à l’ordre, se releva maissembla rester interdit.

— Je… Je… vous… Ne vous excusez pas… Je suisnavré de ce qui vous arrive. Avez-vous… besoin…besoin de quelque chose ?

Annabelle se releva à son tour.Sa proximité avec l’abbé Pincemi, tandis qu’elle se

relevait, lui permit de sentir cette odeur boisée etautomnale du corps de l’homme qui a renoncé àvouloir séduire, cette odeur qui bientôt l’entêtera, sansqu’elle n’en sache alors rien, bien que de manièreinexpliquée, Annabelle se pinçait la lèvre inférieure deses dents qui dans sa bouche semblaient alors déjàsavoir quel monde s’ouvrait à elle.

— Non, je vous remercie… J’ai là un petit kleenexqui fera tout à fait l’affaire. Ce n’est qu’une égratignure,glissa Annabelle, soudain confuse et empressée.

— Avec tout mon respect, madame, je peux jeter unœil si vous le souhaitez. J’étais aumonier-infirmier lorsde mon service militaire, “doigts de fée” était monsurnom.

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— Je vous remercie mon Père. Mais je vais rentrer.Je n’ai déjà que trop tardé… Au revoir.

Prestement Annabelle quitta l’église de sadémarche aérienne, sous le regard en détresse commejamais de l’abbé Pincemi.

Pour Annabelle, le problème n’était pas dans cequ’elle ignorait de la flamme de l’abbé à son endroit,mais dans ce qu’elle ne voulait pas encore savoir dupourquoi de ce petit cri et du trouble qui s’en suivit. Lerefus de cet aveu semblait une fuite impossible loin dugouffre inéluctable auquel Annabelle se savait sansdoute déjà vouée, empesée qu’elle était de tantd’années d’envies refoulées et de désirs enfouis sous leterreau désormais si meuble de sa foi ébranlée.

Ce collant déchiré et ce genou meurtri, dont le sangcoagulait déjà dans le frais vespéral de ce lundi d’octo -bre, sous le coup de la marche affolée d’Annabelle pourrentrer chez elle, seraient-ils la boîte de Pandore que ledestin ouvrirait à la face de cette femme aux espoirs siténus ?

De Pandore, l’abbé Pincemi avait trouvé la sienne.Annabelle était pour lui La Femme, la première,l’unique. La vision de ce genou mi-écorché, mi-dénudélui avait laissé une impression rétinienne si forte, quel’abbé Pincemi prétexta un torticolis et se promenaainsi toute la fin de journée, la tête légèrement enarrière, les yeux au ciel, sûr qu’il était de pouvoir éviter

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ainsi de croiser quelque genou que ce soit, jusqu’à ceque l’impression s’estompe. Mais son plan fit long feu.Las, en fin de journée, à l’heure où si loin les fauvesvont boire, et où si proche les lycéens se bécotent avantde rentrer au bercail, l’habile plan de l’abbé vintfracasser sa fragile structure sur les brisants de labienséance et les pierres de taille du mur d’enceinte dupresbytère que l’abbé était en train de rejoindre. Ainsi,le nez en miettes, les vœux en pièces, Annabelle lehanta toute la nuit suivante, peuplant ses rêves,mouillant sa couche, et semblant ruiner définitivementsa destinée sacerdotale. Alors Pincemi rêva, Pincemilutta, Pincemi se débattit, mais Pincemi céda, et à laraison dut se rendre : les orties, désormais, n’y suffirontplus. Il lui faudra trouver de nouveaux moyens decoercition à son déraillement galopant, ou se résignerà se vautrer dans la foule de ses fantasmes jusqu’àensevelissement total de sa vocation.

Si pour Pincemi tout était aussi dur que clair, il n’enallait pas de même pour sa si chère paroissienne. Quelétait donc ce trouble qui envahissait Annabelle ?

Ce soir-là, Annabelle s’enfonça un peu plus vers cechemin aux contours encore mal définis qu’elle venaitde découvrir aux confins de son plaisir. En effet, aucours de sa toilette précédant le coucher, Annabelle,sans trop savoir pourquoi, retira violemment lepansement qu’elle avait collé à la hâte sur son genoublessé au retour de l’église. De nouveau, ce petit cri lasaisit autant qu’il la surprit. Annabelle contempla le

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petit filet de sang nouveau qui se mit à suinter aucentre de la petite croûte en formation autour de lacicatrice avortée. Annabelle torturait quelque peu sablessure pour faire abonder le sang neuf lorsque Jean-Charles l’interrompit de la chambre à coucher.

— Tout va bien ma chérie ? s’enquit Jean-Charles,déjà confortablement installé dans le lit matrimonial,le dernier numéro de Valeurs Actuelles entre les mains,absorbé par le visiblement passionnant dossier spécialsur “l’effet positif de la colonisation sur la valeurmarchande des antiquités des arts primitifs”.

— Euh… oui, oui… mon amour… ce n’est rien…répondit dans un premier temps Annabelle, encorefrémissante de la pourtant décharge de plaisir qu’ellevenait de subir.

Subir était le mot, tant son inconscient semblaitdésormais guider ses gestes vers des attitudes encore siétrangères.

— Je me suis seulement, euh… cogné le petit orteilcontre le coin du… tabouret, poursuivit-elle, en quêtedésespérée d’une excuse.

— Enfin m’amour, tu sais bien que maladroitecomme tu es, tu devrais porter tes mules, lança Jean-Charles avant de s’humecter l’index et de tourner lapage de son dossier spécial si absorbant.

Annabelle, soudain tirée de sa félicité extatique parce rappel à l’ordre de considérations si bassementfrigides, soupira. Elle se leva de son tabouret, renoua

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assez sèchement la ceinture de sa robe de chambre, ets’en vint rejoindre son époux sous l’édredon brodé àleurs initiales.

Mais cette nuit-là, Annabelle eut un sommeilhabité. Dans ses songes, des formes se dessinaient.D’abord indistinctes, elles disparaissaient tour à tour,laissant place à d’autres : plus précises, plusenvoûtantes, plus… charnelles. Annabelle commença àremuer. D’esquisses en tableaux, les pensées quipeuplaient son esprit commencèrent à posséder soncorps. Elle s’entortilla autour de l’édredon, semblantvouloir l’étouffer entre des cuisses soudain dénudéessous sa chemise de nuit relevée par cette agitationd’une presque pleine lune, offrant à la pâle lumière del’astre, échappée des volets, la chair glabre et tendre detrop peu de pétrissage. Alors ses mains lâchèrent lefroissement du drap désormais si chaud. Ses doigtsvinrent sur cette peau depuis si longtemps orphelined’un amant rugueux, et ses ongles s’enfoncèrent telsqu’ils voudraient la transpercer, pour finalementcourir du genou à l’entrejambe, laissant derrière eux latrace de leur forfait passionné en une dizaine degriffures parallèles, arrachant à la belle endormie un criétouffé dans l’oreiller qui ne vint pas mêmeinterrompre la métronomie de son sonneur de mari, nimême l’horloge de grand’tata Astrid, dont le timbrevenait de conclure sa double paire de coups des quatreheures du matin.

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Stigmate m’était conté

Le lendemain, après que la maison eut recouvré soncalme, une fois débarrassée de l’époux et de laprogéniture, Annabelle s’apprêtait à faire sa toilette.

Elle découvrit, une fois nue, ses jambes griffées.Annabelle n’avait qu’un souvenir parcellaire etcotonneux de sa nuit.

— Ce ne peut-être l’œuvre de Jean-Charles, tant ilse ronge les ongles, se dit-elle.

Quoiqu’interloquée, Annabelle, ne s’inquiéta pastellement de cette découverte. Cela tendait même àl’amuser de s’imaginer rêver si fort. Elle en vint à sedire que sa vie nocturne devait finalement être plusexaltante que sa vie réelle. Annabelle a toujours eu une“imagination fertile”, comme aimait à le répéter samère, lorsqu’elle la trouvait jouant à la nonneprisonnière et suppliciée sur le bûcher, ligotée avec dufil de fer, sur la table du salon, alors qu’elle n’était âgéeque de treize ans.

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Aussi, au sortir d’une douche sans accrocs,Annabelle décida, sans autre espèce de questions, des’oindre les jambes de crème hydratante afind’accélérer la cicatrisation autant que d’atténuer lesbrûlures. Là, le phénomène de la veille se reproduisit.L’hypersensibilité de sa chair à vif, au contact froid dufluide apaisant déclencha chez Annabelle un courtfeulement mourant dans un petit cri. Un frissonparcourut son corps nu et vulnérable. Un plaisir divinse mêlait à la douleur de la blessure ainsi palpée.Annabelle dut s’asseoir au sol, en une glissade le longd’un mur carrelé qui n’en demandait pas tant. Soncorps tressaillit au contact du carrelage froid quijamais n’avait été à pareille fête. Annabelle sentit savolonté mourir, étranglée par le délice que la douleurfaisait naître.

Alors la déraison la poussa à s’acharner sur soncorps meurtri, de ses doigts, de ses ongles, à prolongercette douleur par tous les moyens que ses mainspouvaient lui permettre.

Une lumière naquit alors dans le reflet de la faïencedu bidet, dont Annabelle ne pouvait plus voir que lepied, désormais allongée de tout son long sur le solfroid qui restait de marbre, la tête poissée d’un résidude sortie de bain, en l’espèce quelques épaisses gouttesd’eau savonneuse sur le sol. La lumière devint alorsaveuglante. Dieu peut-être ?

Annabelle sentit son corps lui échapper. Demouvements incontrôlés en secousses involontaires,

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Annabelle crut voir la mort, l’enfer, et enfin des anges,le paradis… Son corps s’enfuit alors totalement en unesuccession de convulsions. Annabelle cria comme ellene crut jamais crier de sa vie. Ses yeux la brûlèrent dela lumière si blanche, son sexe lui sembla s’enflammer.Sa tête vint frapper violemment le bidet. Annabelleperdit connaissance.

Lorsqu’elle revint à elle, la journée était déjà bienentamée, et l’on s’approchait à grands pas de sexte,sans que cela ne soit un mauvais jeu de mots du destin.Totalement perturbée par les événements, ne sereconnaissant plus en rien, Annabelle se releva avecprécipitation, et prit à peine le temps de constater uneimportante bosse sur l’arrière de son crâne, les cheveuxencore poissés d’eau et d’un travail sudoripareconséquent de ce qui aura finalement été un orgasmecataclysmiquement divin.

Annabelle enfila rapidement sa robe de chambre,avant de se ruer sur son bréviaire dans le tiroir de satable de chevet afin de tenter d’y trouver réconfort, audétour d’une prière. Dans cet état curieux qui était lesien, Annabelle se sentit en effet soudainementpoussée à la prière, à cette petite heure monastique desexte, à laquelle sa vie de pratiquante n’avait plus goûtédepuis ses désormais lointaines heures de catéchismejuvénile. Comme si cette frontière repoussée et inéditedu plaisir la rapprochait du sacré.

Après une courte prière qui sembla l’apaiser,Annabelle décida de jeûner, ayant pris du retard sur

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son programme du jour de mère et femme dévouée,dont la vie dédiée à celle des siens devait immua -blement être le quotidien. Cependant, elle se dit queces étranges manifestations de plaisir, coupables sansnul doute puisque sanctionnées d’un assommantévanouissement, et ce rapprochement lumineux ausacré et à la prière, méritaient certainement conseilsauprès de l’abbé Pincemi.

Escamotant donc le déjeuner, Annabelle eut tout letemps de se préparer et de mettre en ordre son foyer,avant de rejoindre Sainte-Gudule pour none, soitquinze heures environ, pour les mécréants séculiersqui tentent de suivre.

Il faisait beau en cet après-midi d’octobre, bien quel’été indien soit traditionnellement rare et court danscette ville plus souvent habituée à un temps bienpourri, très tôt dans la saison. Dès lors, la satisfactionde ses habitants n’était pas feinte lorsqu’il s’agissait depouvoir prolonger les plaisirs de la jambe nue et dubras de chemise.

Annabelle, dans la fébrilité qui l’habitait depuis laveille, ne voyait même pas la joliesse du temps quil’enveloppait alors qu’elle cinglait d’un pas soutenu,en direction de sa paroisse, les cheveux ne chevelantpas, le serre-tête serrant, les joues rosissant, et lesouffle raccourcissant. Ses doigts serrés sebalançaient au bout de ses bras marquant la cadence.Sa jupe assez strictement grise offrait ses plissementschastes à un vent seulement tiède de ne pouvoir être

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fripon. Sa poitrine se balançait, insidieusementrebelle et excitante sous un pull ajusté bien qu’horsd’âge. Quelle n’était pas sa hâte de pouvoir se confierà la seule personne à laquelle elle pensait pouvoir lefaire, ignorant que c’était la dernière personne àlaquelle elle devait le faire.

L’abbé Pincemi, en Sainte-Gudule, semblait jusque-là serein, heureux sans doute du répit qu’il pensait êtrele sien en ce mardi, où il ne souffrait jusqu’alors pas duplaisir de voir Annabelle en son église. Le sourire franc,il saluait les quelques ouailles égarées dans les travéesde Sainte-Gudule que ni le beau temps miraculeux, niune vie remplie n’appelaient à l’extérieur.

Soudain, ses yeux, de part et d’autre de son nezcabossé, bleui et pansé, s’écarquillèrent. Sa silhouettese figea, sa gorge s’assécha.

Là, débouchant sur le seuil de la grande porte, sesignant d’un geste hâtif, traversant l’antéglise,déboulant du déambulatoire, Annabelle se précipitaitvers lui. Pincemi ne bougea pas.

Annabelle, hors d’haleine, la gorge chaude,quelques cheveux collés par la sueur sur les tempes,s’arrêta face à l’abbé.

— Mon père, loué soit Dieu, avez-vous quelquesinstants à m’accorder ?

Durant un instant, l’abbé Pincemi songea à ladouleur qui devait être celle d’Annabelle lorsqu’ils’agissait, l’hiver venu, de fermer son duffle-coat sur

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cette poitrine qui, en ce moment même, sous larespiration accélérée d’Annabelle, donnait la pleinemesure de sa générosité.

— Bien sûr ma chère. Que se passe-t-il ?— Je n’en sais rien justement. Mais je dois vous

confesser différents événements survenus depuis mavenue, hier.

— Rien de grave j’espère ?— Ce sera à vous de me le dire mon père… Je… Je

crains d’être envoûtée, ou du moins mise à l’épreuvepar notre Seigneur.

Perplexe, l’abbé Pincemi invita Annabelle à le suivrevers le confessionnal où traditionnellement Annabellese confesse le mercredi, le confessionnal ouest.

Tandis que tous les deux s’avançaient, à l’orée dutransept, Annabelle aperçut le pansement barrant lenez contusionné de l’abbé.

— Mon père, vous a-t-on agressé ?— Oh, mon nez… Non, non… absorbé dans mes

pensées, hier après-midi, je me suis… comment dirais-je… égaré du droit chemin… et hmm… heurté à la dureréalité… en fait un pilier… à la croisée du transept, del’autre côté.

— Oh. Que ce doit être douloureux.

— En effet, ça l’est. Mais la douleur est unenécessité parfois.

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Tout à la réflexion sur cette dernière phrase,Annabelle prit place dans le confessionnal. Néanmoins,pressée d’avoir l’avis de l’abbé sur les événements desdernières heures, Annabelle entreprit instamment sonrécit.

Avec force application et précision, elle racontachaque instant et n’épargna à l’abbé aucuns détails, sur ses gestes, sensations, décrivant son corps, lescirconstances, les tenants et les aboutissants del’effroyable plaisir. Dans sa naïveté sublime de vouloiraider au mieux l’abbé à lui trouver les solutions à sontrouble et à ses craintes, Annabelle ne voyait aucunemalice à narrer ainsi les plus menues vétilles de sonintimité.

De l’autre côté du confessionnal, l’abbé Pincemi secrispa de minute en minute sur son petit bancinconfortable et lustré par tant d’années de péchésécoutés. Des craquements de bois commencèrent à sefaire entendre. L’abbé Pincemi avait désormais les yeuxfermés, refusant de voir plus longtemps Annabelle, àgenoux, offerte au pardon, sa bouche contant sans fin,dans une si impudique candeur, les affolantes tur -pitudes de ses dernières heures. Il se cala l’occiput surla cloison de chêne centenaire de ce qui ressemblait deplus en plus à une chambre de torture. Il tenta derespirer de plus en plus amplement. Mais tout à coup,de la main gauche, l’abbé agrippa la petite grille de boisle séparant de la pécheresse. Annabelle, surprise etfébrile, s’arrêta.

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Pincemi lui souffla de continuer, tandis que sonbas-ventre était depuis un moment déjà soumis à unepression immémoriale dans ce caleçon long qu’il avaitpris l’habitude de revêtir six mois de l’année durant,tant Sainte-Gudule n’était pas chaude. Annabellepoursuivit, loin de penser au supplice récurrent auquelelle soumettait l’abbé, aujourd’hui et depuis tantd’années déjà ; elle si heureuse de se délivrer de sesdoutes, et de ce poids qui oppressait depuis quelquesheures seulement la foi de la fervente catholiquequ’elle était.

Cependant, Annabelle ne voyait pas l’abbé Pincemien perdition de l’autre côté.

Depuis quelques minutes déjà, après s’être arrachéquelques poignées de cheveux qu’il avait pourtant ras,l’abbé avait cédé de sa main droite à un onanismevirulent.

Annabelle conclut alors son récit par une question.— Pensez-vous, mon père, que je sois sous l’emprise

d’un envoûtement ?

Seul un silence et un fort soupir, suivi d’unraclement de gorge vinrent en réponse du côté del’abbé.

Annabelle, en confiance et libérée, mais en proie àtoutes sortes de questions, poursuivit.

— Ou serait-ce peut-être alors une crise de foimystique?

Grincement du banc de bois lustré.

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— Mon père ?— Oui, Annabelle… Je suis là.

La voix de l’abbé était un peu étouffée, etétrangement grave.

— Ta foi semble mise à l’épreuve… Dieu, dans sagrande sagesse, a peut-être reconnu en toi unechrétienne apte à la béatitude.

— Mais puis-je être assez bonne pour mériter pareilsigne?

— Ça, pour être bonne !!! éructa d’un coup l’abbé.

Annabelle sursauta, surprise par cet éclat.L’abbé se reprit, mais semblait toujours affairé sous

l’habit.

— Annabelle, Dieu ne se trompe jamais…Seulement, à toi de ne pas le décevoir.

Annabelle joignit les mains et ferma ses beaux yeuxsi pleins d’interrogations.

— Mais comment? glissa-t-elle.

— La béatitude est au bout du chemin que tu viensd’entreprendre de suivre. À toi de poursuivre la routede la foi mystique, dans la prière, mais pas que, etquand je dis que… je… je dis… aaahh.

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Annabelle ne vit alors pas le volatile sans aile, chétifet blanchâtre qui vint brusquement se poser sur sonserre-tête, échappé de la cage consacrée, de l’autre côtéde la grille, où le vit trop plein de vie de Pincemiéchappa à son preste maître de prêtre.

— Mon père ? Tout va bien.— Bien ou mal, là n’est pas la question quand on voit

“ce qu’on pressent quand on pressent l’entre voyure...”— Je ne suis pas certaine de comprendre, mon père.— Ce n’est rien. Va, tendre Annabelle. Va, poursuis

au-delà de ta destinée et surtout ne change rien dans“le poivre feu des gerçures”. Dieu t’a choisie, Dieut’accompagne. Il te mettra à l’épreuve autant qu’il m’ymet. Et reviens me voir autant que besoin sur ce longchemin qu’il te désigne. Va, “toi fille verte, monspleen…”

— Euh… Merci mon père.

Annabelle sortit du confessionnal sans être certained’avoir obtenu toutes les réponses espérées maisheureuse de la révélation faite et soulagée del’absolution reçue, quand bien même elle ne lui parutguère fidèle au dogme.

Quelques minutes plus tard, Pincemi s’extirpa duconfessionnal devenu cimetière de ses dernièresrésistances, et partit se retirer au presbytère, chan -celant et poisseux, psalmodiant de poétiques parolesmais profanes autant qu’explicites.

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— “…Dans le désordre de ton cul, poissé dans desdraps d’aube fine, je voyais un vitrail de plus”.

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Absous, tabou dissous

De retour à la maison, Annabelle ne s’imaginait pasautant blanchie qu’elle allait bientôt le découvrir.

Alors qu’il s’agissait de préparer le retour de l’école,collège, lycée, des enfants, Annabelle se mira uninstant dans le miroir du vestibule de l’entrée.Réajustant son serre-tête, ses doigts rencontrèrent latexture étrange d’une matière singulière, qu’Annabellen’eut qu’en de lointaines circonstances, l’occasion devoir de près et de toucher.

Croyant de prime abord avoir à faire, la minedégoûtée, au fruit de l’aisance mal venue d’un pigeonqui l’aurait survolée lors de son retour de Sainte-Gudule, Annabelle eut la surprise de s’apercevoir qu’ildevait s’agir de tout autre chose. De l’index et dupouce, elle identifia l’insolite substance, en se remé -morant les belles heures vécues avec Vlad.L’incorrigible polonais avait prétendu en son temps

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que si le retrait est le meilleur des contraceptifs, lafemme trouverait en la semence une crème de jour desplus efficaces. Ainsi la nostalgie de ses années debatifolage linguistique, permit à Annabelle de certifieraprès un examen minutieux entre ses doigts, qu’ils’agissait bien de ce précieux liquide à vocationreproductrice.

Mais de qui ? Instantanément, telle est la questionqui tourmente Annabelle.

Brusquement, la voix et le soupir de l’abbé Pincemidans le confessionnal résonnent aux oreilles d’Anna -belle, soudain interdite, devant son miroir, les doigtscollants.

Tel le bourdon de la cathédrale de Chartres,Annabelle est subitement sonnée. Son récit aurait-ilainsi provoqué la mâle et incontrôlée (il ne pouvait enêtre autrement de la part de l’homme d’église) réactionde son confesseur ?

Est-elle à ce point le jouet du plaisir charnel, que sonsimple rapport oral de sa vie accule l’ecclésias tique?

Peut-être même, est-elle provocante à son corpsdéfendant, ce corps depuis trop longtemps tu ?

Semblable à la réplique d’un séisme, Annabelleressent alors le même trouble que la veille juste aprèss’être blessée, lorsque l’abbé Pincemi fut si près d’elle.

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À ses narines, revient le parfum de l’homme quel’habit trop faible du prêtre ne parvient pas à taire, ceparfum qui l’avait subrepticement “envournée” laveille, au pied de ce prie-dieu, là où tout a finalementcommencé.

Annabelle vacille, chavire, et s’assied. Elle a chaud,froid. Des gouttes perlent sur son front. Son mondesemble s’affaisser. Bien que ses pieds touchent terre,elle cherche le sol de ses chaussures plates, noires, sibourgeoises et néanmoins exquises de féminité. Elledoit dégrafer son chemisier. Elle étouffe. Sa poitrinegonfle. Un bouton éclate. Elle tombe de chaise.Annabelle geint, mais ne sait si elle souffre.

Ce n’est pas une douleur, seulement l’inconnu qu’ellevient de prendre de plein fouet. Son monde c’était descadres, des lignes, des arrêtes, du blanc, du noir, du fixeet de l’étalonné. Là, dans son regard abasourdi, l’irisavide, se bousculent courbes, couleurs, ensemblesindistincts et pointillés, du flou, du gris, du brouil -lardeux, mais surtout de l’éblouissant en mouvement.

Annabelle rampe sur le sol. Elle se traîne dans lesalon. Les plis de sa jupe sont contrariés, écrasés qu’ilssont sur le sol.

S’approchant, l’on peut apercevoir les fibres de lainerompre les unes après les autres, condamnant à unpassé sans retour l’alignement parfait des plis en lesconjuguant à un présent de maelström textile, uncarnage en règle de l’uniforme instantanément fripé etmué en une jupe irrémédiablement impie.

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Son collant, bien qu’épais, file au contact dequelques nervures proéminentes du bois du parquet.Des échardes viennent s’accrocher au collant etcertaines se glissent sous sa peau avant qu’Annabellen’atteigne le grand tapis au pied de la bibliothèque.Annabelle parvient à se hisser en tirant de ses bras surles rayons de la bibliothèque. Tremblante, elle se saisitd’une Bible, puis en se retournant, elle arrache lecrucifix accroché au mur perpendiculaire à la large etrobuste bibliothèque Henry II.

Annabelle comme conquise, tombe à genoux aumilieu du salon, Bible et crucifix en main. Elle éclate ensanglots, murmurant une prière, dans l’effroi qui est lesien d’être parvenue à la frontière d’un nouveaumonde. Elle lève la tête vers le ciel. Des larmes tombentà ses genoux.

Étrangement, Annabelle sourit.La secousse a manifestement été ressentie jusqu’à

Sainte-Gudule, où l’abbé Pincemi est l’autre victime del’embrasant désastre. L’immaculée conception de sa foien a pris un sacré coup. Dans le secret de sa robesouillée, l’abbé revoit le film de la glissade fatale que futle récit d’Annabelle à ses oreilles par trop de fois déjàviolentées. Comme un boomerang revenant à sonesprit, il repense à la phrase dite à Annabelle en préam -bule de sa confession : “la douleur est une nécessitéparfois”. Pincemi sait désormais que seule la douleurlui permettra d’expier ses pensées impures et ses actesimmoraux.

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Sa croyance n’est pas en jeu. Dieu le voit, mais Dieua vu tout autant ce que, lui, Pincemi a subi de la part deCottard et des autres. Donc la colère de Dieu, en s’yprenant pas trop comme un manche, il devrait pouvoiréviter qu’elle lui soit fatale, se dit Pincemi, reprenantprogressivement son calme. Se considérant passé ducôté obscur, l’abbé décide d’employer les grandsmoyens. “Fini les orties et les petites douleursgentillettes de sacristain, passons aux bonnes grossespunitions qui font mal”, se motive-t-il, étonnammentremonté comme le coucou du presbytère. Avec un jolibrin de perversion, l’abbé se dit que plus il se fera mal,plus il pourra continuer à s’adonner au si doux calvairede voir Annabelle. Ainsi réussira-t-il sans doute àcanaliser ses fantasmes, non pas en les refoulant, maisen les encadrant et en les châtiant. Assez satisfait de saréflexion, l’abbé Pincemi souffle de soulagement, et sechange.

La nuit tombe sur cette relative accalmie à l’heuredu souper, tandis que l’abbé, “faisant chabrot”, concluten son for intérieur, que son chemin de croix seraforcément plus supportable, si dans ses rêves abritée,Annabelle, douce et charnelle dans sa jupe en tartan, setrouve au bord dudit chemin.

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Table des matières

Il était une fois, Annabelle . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 5Lundi, tartan & tétons . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 7Mercredi, Rondelle & Pincemi . . . . . . . . . . . . . . . . . 13Dimanche, de pelle à gâteaux en psalmodies . . . . 21Le clou du Christ, genou sans hibou . . . . . . . . . . . . 25Stigmate m’était conté . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 33Absous, tabou dissous . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 45Jésus crie, Annabelle aime, et Leroy merline . . . . . 51Confession, reddition, érection . . . . . . . . . . . . . . . . 57Dépravée n’attend pas le nombre des années . . . . 71Dimanche plus raide que la justice . . . . . . . . . . . . . 81Prière de seins à J.-C. en pyjama . . . . . . . . . . . . . . . 85La gégène de l’abbé Fouré . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 93Le tartan avance ses pions de plis en complies . . . 97Aimer Annabelle et ses seins . . . . . . . . . . . . . . . . . 107Pendant ce temps à Vera Cruz . . . . . . . . . . . . . . . 115Gloubi y Boulga vaya con Dios . . . . . . . . . . . . . . . 121Et la lumière fut au fond d’un c… . . . . . . . . . . . . . 127Ah le beau cadeau du fléau . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 133Épistolaire et pis c’est tout . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 141Dans resurrectum, il y a… . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 151Le tirelipimpon sur la cornemuse . . . . . . . . . . . . . 159Plaid…oirie, ouaf, ouaf ! . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 167

Annexe : le tartan . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 171

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Contes pour petites filles libertinesNadine Monfils

Nuits retroussées à VeniseNadine Monfils

Les souliers de SatanNadine Monfils

Le Boycott du bonheurS. Korr

Se torcher aux plumes des angesS. Korr

1000 serpents sur l’ÉdenS. Korr

Gonzo à gogoAnge Rebellini et Jack Maisonneuve

La Philosophie dans le devoirSon Excellence Otto

Les agonies de l’innocenceVioletta Liddel

TENDANCE ROUGE

Six Cadavres dans un cerclePatrice Herr Sang

Les Griffes de sangPatrice Herr Sang

Snuff MovieJean-Michel Jarvis

Doloris CausaCarolyn Cardway

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ACHEVÉ D’IMPRIMER SUR LES PRESSES

DE L’IMPRIMERIE SEPEC

01960 PÉRONNAS, FRANCE,

EN MARS 2013.

N° D’IMPRESSION : 05643130335

DÉPÔT LÉGAL : 2e TRIMESTRE 2013

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édition papierISBN 978-2-36326-006-2

édition numériqueISBN 978-2-36326-504-3

éditeur sans interdit

www.tabou-editions.com

Confessez-moi!Mathias LAHIRE

Annabelle joue à la perfection ses rôles de mère,d’épouse et de paroissienne. Sa vie est réglée commeun missel. Mais, l’ennui est fécond… Alors, histoired’égayer ses jours et de rompre avec sa routine bientrop sage, Annabelle va se livrer à des jeux de moinsen moins innocents. Et c’est dans un lieu saint que ladébauche prendra son envol. Car, de part et d’autredu confessionnal, Annabelle et l’abbé Pincemi vontdécouvrir de nouveaux émois qui vont les menerloin, mais alors, vraiment très loin, des chemins de la vertu…

Mathias LAHIRE a suivi des études qui le destinaient au métier de journaliste. Passionné par le voyage, il vitaujourd’hui entre Los Angeles, où il travaille, et Rome, où il vit et écrit. À trente-cinq ans, sa comédie érotique, “Confessez-moi !”,est son premier roman.

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Photo de couverture : Christian Peter (www.christianpeter.biz)

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