CONNAISSANCE ET MECONNAISSANCE DES ATTEINTES A LA SANTE LIEES AU TRAVAIL Perspective comparée internationale

Véronique Daubas-Letourneux

IRIS, Institut de recherche interdisciplinaire sur les enjeux sociaux(UMR 8156 CNRS-Inserm-EHESS-Université Paris-13)

CENS, Centre nantais de sociologie, Université de Nantes – MSH Ange Guépin

Centre Léa-Roback - Montréal, 25 avril 2008

2

Plan de l’exposé

1) La visibilité-invisiblité des atteintes à la santé liées au travail

2) Parcours de travailleurs accidentés : les angles morts d’une question de santépublique

3) Enjeux et questionnements

3

1.1) Les risques du travail : des connaissances préoccupantes

Des risques qui perdurentRisques liées à « l’ hyper sollicitation »Pénibilités physiquesExposition aux risques chimiques

L’organisation du travail en questionIntensificationFlexibilitéPrécarisation

4

Part des salariés européens exposés à des conditions de travail présentant des risques pour la santé

4%

6%

15%

16%

21%

21%

23%

23%

33%

44%

46%

49%

9%

0% 10% 20% 30% 40% 50% 60%

violence physique de la part de pers . extérieures (12 derniers m ois)

radiations au m oins 1/4tem ps

intim idation (dans les 12 derniers m ois)

tem pératures très hautes au m oins 1/2tem ps

subst., prod. dangereux au m oins 1/4 du tps

bruits très forts au m oins 1/2tem ps

pas assez de tem ps pour finir le travail

porter charges lourdes au m oins 1/2tem ps

vapeurs , fum ées toxiques au m oins 1/4 du tps

position douloureuses au m oins 1/2tem ps

cadences de travail é levées au m oins 1/2tps

m vt répétitifs m ain/bras au m oins 1/2tps

délais très serrés au m oins 1/2tps

à l'exclusion des personnes travaillant moins de 10 heures par semaine - 3ème Enquête Européenne sur les Conditions de Travail, 2000.

5

Risques physiques - Ensemble des salariés

16

2225

2932 32

37 38

31

05

10152025303540

Posture pénible ou fatigante à lalongue

Porter/déplacer des chargeslourdes

subir des pointes de bruits trèsforts ou très aigus

source : Enquêtes Conditions de Travail, DARES.1984 1991 1998

6

Enquête Sumer 2003 (Dares, Ministère du travail, France)

Nombre de situations d’exposition à un agent cancérogène au cours de la dernière semaine travaillée:

catégories 1 et 2 de l’UE : 1 440 000 situations d’exposition6,3 % des salariés

catégories 1 et 2A du CIRC : 3 445 000 situations13,3 % des salariés

Au total : 3 596 000 situations concernant 2 370 000 salariés soit 13,5 % des salariés

7

Les exposés (Sumer 2003) : principalement des ouvriers qualifiés……

… de type industriel 37 %… de type artisanal 34 % … agricoles 26 %

mais aussi

les ouvriers non qualifiés 22 %les contremaîtres et agents de maîtrise 25 %les techniciens 17 %les professions intermédiaires de santé 13 %

8

Enquête Conditions de Travail 2005 (Dares) :L’intensification du travail marque le pas

0,0

10,0

20,0

30,0

40,0

50,0

60,0

c adr es pr of es s i ons

i nt er médi ai r es

empl oy és

admi ni s t r at i f s

empl oy és de

c ommer c e et

s er v i c es

ouv r i er s

qual i f i és

ouv r i er s non

qual i f i és

ens embl e

"Devoir se dépêcher dans son travail, souvent ou toujours"

19982005

9

2005 :L’intensification du travail marque le pas

Rythme de travail fixé par une demande extérieure à satisfaire immédiatement

0102030405060

1984 1991 1998 2005

10

2005 : Le recours aux horaires atypiques s ’intensifie

De plus en plus de salariés travaillent habituellement la nuit

0

5

10

15

20

1991 1998 2005

% d

e sa

larié

s tr

avai

llant

la n

uit

occas ionnellem ent

habituellem ent

11

2005:Les contraintes industrielles progressent

encore pour les ouvriers

Travail à la chaîne

02468

101214

ouvriers

1984

1991

1998

2005

12

Enquête Conditions de Travail 2005Enquête Conditions de Travail 2005 ((DaresDares)) ::Stabilisation des pénibilités physiques,

sauf pour les ouvriers

Au m oins un effort phys ique

60

65

70

75

1984 1991 1998 2005

13

Subissent quatre pénibilités physiques ou plus

40

45

50

55

ouvriers qualif iés ouvriers non qualif iés

1998

2005

14

Type d’organisation du travail et risques liés à l’hypersollicitation dans l’UE (Enquête européenne Conditions de Travail 2000) - FEMMES

44,8

37,2

41,1

20,8

50,1

33,2

38,740,4 40,0

22,0

60,2

55,4 54,3

24,1

52,5 52,5

0,0

5,0

10,0

15,0

20,0

25,0

30,0

35,0

40,0

45,0

50,0

55,0

60,0

Mouvements répétitifs Délais stricts et courts Cadences élevées Pas assez de temps pourterminer le travail

travail "de servitude" (18%) travail "flexible" (7%) travail en autonomie (53%) travail sous automatisme (22%)

15

50,3

40,0

35,6

20,9

41,0

55,1

48,8

27,8

38,9

54,2

42,0

21,9

64,862,2

23,7

67,5

0,0

10,0

20,0

30,0

40,0

50,0

60,0

70,0

Mouvements répétitifs Délais stricts et courts Cadences élevées Pas assez de temps pourterminer le travail

travail "de servitude" (17%) travail "flexible" (16%) travail "en autonomie" (49%) travail "sous automatisme" (18%)

Type d’organisation du travail et risques liés à l’hypersollicitation dans l’UE (Enquête européenne Conditions de Travail 2000) - HOMMES

16

Type d’organisation du travail et risques physiques et toxiques dans l’UE (Enquête européenne Conditions de Travail 2000) - FEMMES

35,6

15,5

10,813,9

9,1

45,5

14,6

25,927,5

23,3

11,5

6,68,7 7,8

43,5

24,7

20,9 19,7

14,0

34,5

0,0

5,0

10,0

15,0

20,0

25,0

30,0

35,0

40,0

45,0

50,0

Positions douloureuses Port de chargeslourdes

Bruits très forts Fumées toxiques Substancesdangereuses

travail "de servitude" (18%) travail "flexible" (7%) travail en autonomie (53%) travail sous automatisme (22%)

17

Type d’organisation du travail et risques physiques et toxiques dans l’UE (Enquête européenne Conditions de Travail 2000) - HOMMES

35,533,9

23,9

29,1

16,6

29,6

22,626,0

28,425,724,5

20,121,8

23,6

15,4

48,5

38,6

56,1

46,7

29,9

0,0

10,0

20,0

30,0

40,0

50,0

60,0

Positionsdouloureuses

Port de chargeslourdes

Bruits très forts Fumées toxiques Substancesdangereuses

travail "de servitude" (17%) travail "flexible" (16%) travail "en autonomie" (49%) travail "sous automatisme" (18%)

18

1.2) Les limites de la connaissance statistique sur les atteintes d’origine professionnelle

Un système marqué par un compromis vieux de plus de 100 ans : la loi sur les accidents du travail de 1898

La « paix sociale » en jeuUne connaissance gestionnaire et circulaire

Une sous-déclaration reconnue et institutionnalisée

19

Répartition des maladies professionnelles reconnues en 2005 (CNAMTS, Caisse nationale de l’assurance maladie pour les travailleurs salariés)

57A Troubles péri-articulaires

73%

30A 30Bis Affetions dues àl'inhalation de

poussières d'amiante

14%

Autres8%

97A 98A Affections du

rachis lombaire5%

20

TMS : Disparités régionales

(Source INRS, 2001)

Rennes2.83

Bordeaux0.34

Toulouse0.41 Montpellier

0.24

Marseille0.26

Lyon0.51

Dijon0.90

Strasbourg1.04

Nancy0.95

Lille0.53

Rouen0.28

Paris0.23

Orléans0.97Nantes

2.42

Limoges1.00 Clermont

0.59

• Incidence T57: 0.70 pour 1000 salariés du régime général (1999)

21

Évolution du nombre de cancers professionnels reconnus par le régime général entre 1985 et

2004

Source : Caisse nationale de l’assurance maladie pour les travailleurs salariés. Statistiques trimestrielles accidents du travail et maladies professionnelles.

0

200

400

600

800

1000

1200

1400

1600

1800

2000

1985

1897

1989

1991

1993

1995

1997

1999

2001

2003

année

nom

bre

de c

ance

rs re

conn

us

total

tableauxamianteautrestableaux

22

Une connaissance questionnée

Émergence de problèmes de santé au travail dans le débat public Une « priorité » affichée au plan national : Plan santé travail / Plan santé environnementPosture de recherche

La santé au travail est inscrite dans le jeu des rapports sociauxLa santé : un processus dynamiqueDémarche de santé publique

23

2) Parcours de travailleurs accidentés : les angles morts d’une question de santé publique

Les accidents du travail : une triple invisibilitéL’AT : un processus inscrit dans un processusL’enquête

Post-enquête à l’Enquête Conditions de Travail de 1998 (Dares) puis suivi de 1999 à 2002Entretiens en face à face auprès de 32 personnes:

De la survenue de l’accident à la reprise Reconstitution de parcours professionnel et de l’histoire de la santé au travailDevenir professionnel et au plan de la santé

24

Les enseignements de l’enquête (1)

Polyaccidentabilité … ou polyexposition ?Polyaccidentabilité « en routine »Polyaccidentabilité « d’exposition »

Urgence organiséeSous-effectif structurelInfractions aux règles de sécurité

25

L'histoire de Tony, 26 ans, ou la construction sociale d'uneinaptitude définitive

• mars 1997 : AT, blocage du dos (15 jours d'arrêt de travail)

• novembre 1998 : AT, agression (pas d'arrêt)

• 16 mars 1999 : AT, blocage du dos (10 jours d'arrêt)

• 30 mars 1999 : rechute de l'AT du 16/03/99 (2 mois d'arrêt)

• 19 octobre 1999 : AT, une poutrelle sur le genou gauche (presque 6 mois d'arrêt)

• 18 mai 2000 : rechute de l'AT du 19/10/99 (15 jours d'arrêt)

• 5 juin 2000 : rechute de l'AT du 12/02/01

• 12 février 2001 : AT, "deuxième choc au genou" gauche (4 mois 1/2 d'arrêt de travail)

• 17 juin 2001 : consolidation avec séquelles

• 18 juin 2001 : visite de reprise auprès du médecin du travail de l'entreprise

• 2 juillet 2001 : date du certificat définitif d'inaptitude au poste de monteur suite àl'AT du 12/02/01

• 17 juillet 2001 : licenciement.

26

Les enseignements de l’enquête (2)

La « double inscription » des accidents du travail

Inscription « biographique », dans les corps et dans les parcoursInscription institutionnelle, via les procédures de déclaration-reconnaissance

27

Parcours d’accidentés : parcours accidentés ? Cinq types de parcours identifiés

Situation dans l'emploi

Santé

Stable Menacée Déstabilisée / Instable

Santé préservée

"stables" (10)

"déstabilisés" (4)

Santé fragilisée

"protégés"

(3) "menacés"

(4)

"déstabilisés fragilisés"

(11)

28

La « double inscription » des accidents du travailSituation

dans l'emploi

Stable Menacée

Déstabilisée / Instable

Santé préservée

"stables" (10 personnes)

14 AT déclarés + accidents bénins inscrits sur le registre

"déstabilisés" (4 personnes)

5 AT déclarés 1 non déclaré (litige avec maladie) 1 avec séquelles reconnues > IPP 5%

Santé fragilisée

"protégés" (3 personnes)

9 AT déclarés dont 1 non reconnu 3 souffrent des séquelles 1 en attente d'une expertise

"menacés" (4 personnes)

9 AT déclarés dont 1 "a dû se battre pour avoir la feuille" + acc bénins inscrits sur registre 1 AT non déclaré 2 souffrent de séquelles 2 IPP reconnues (4%, 2%)

"déstabilisés fragilisés" (11 personnes)

33 AT déclarés dont 2 avec version modifiée dont 2 non reconnus 8 AT non déclarés (dont 2 rechutes) + acc bénins non inscrits sur un registre 11 souffrent de séquelles 2 IPP reconnues (6%, 15%) 1 invalidité (50%) 2 inaptitudes

29

3) Enjeux et questionnements

Saisir la temporalité longue des parcoursPrécarisation et sur-expositionLa « traçabilité » en question

Quels vecteurs pour connaître les atteintes d’origine professionnelle ? L’exemple des maladies à caractère professionnel en FranceDe la « santé au travail » à la santé des travailleurs