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Douleurs Évaluation - Diagnostic - Traitement (2009) 10, 237—243 FAITES LE POINT Constipation induite par les opioïdes : état des lieux et nouvelles approches Opioid-induced constipation: Current findings Florentin Clère Consultation pluridisciplinaire de la douleur et équipe mobile de soins palliatifs, centre hospitalier de Châteauroux, 216, avenue de Verdun, 36000 Châteauroux, France Disponible sur Internet le 16 septembre 2009 MOTS CLÉS Constipation ; Opioïdes ; Douleur chronique ; Oxycodone ; Naloxone ; Méthylnaltrexone Résumé Un traitement antalgique efficace doit faire en sorte que le bénéfice de l’analgésie obtenue soit supérieur à l’impact des effets indésirables. La constipation est l’effet indésirable le plus fréquemment décrit par les patients bénéficiant d’un traitement opioïde au long cours. Elle a parfois plus de conséquences sur la qualité de vie que la douleur elle-même. C’est la raison pour laquelle la constipation induite par les opioïdes doit avant tout faire l’objet d’une approche préventive, basée sur des règles hygiénodiététiques et sur l’utilisation systématique d’un laxatif. Des recommandations nationales existent, elles décrivent également la conduite à tenir en cas de constipation installée. Au-delà, la prise en charge du patient peut encore être améliorée en réduisant l’incidence de certaines dysfonctions intestinales dont la constipation induite par les opioïdes et donc les besoins en laxatifs. L’association oxycodone—naloxone à libération prolongée limite significativement l’impact de la constipation et peut permettre d’améliorer l’observance du traitement au long cours. Chez les patients en soins palliatifs, de nouvelles molécules peuvent apporter plus de confort et améliorer la qualité de vie. Ce sont ces nouvelles approches, et leur positionnement respectif dans la prise en charge de la constipation induite par les opioïdes, qui sont présentées dans cet article. © 2009 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés. KEYWORDS Constipation; Opioids; Chronic pain; Summary An analgesic treatment is effective if the benefit of analgesia is higher than the impact of its side effects. Constipation is the most frequently reported adverse effect in patient receiving chronic strong opioid therapy. It can be a more frequent cause of distress than pain. This is why opioid-induced constipation needs a preventive approach, based on a patient’s education and the systematic use of a laxative. National guidelines are available, they also Adresse e-mail : [email protected]. 1624-5687/$ — see front matter © 2009 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés. doi:10.1016/j.douler.2009.07.001

Constipation induite par les opioïdes : état des lieux et nouvelles approches

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Douleurs Évaluation - Diagnostic - Traitement (2009) 10, 237—243

FAITES LE POINT

Constipation induite par les opioïdes : état des lieuxet nouvelles approches

Opioid-induced constipation: Current findings

Florentin Clère

Consultation pluridisciplinaire de la douleur et équipe mobile de soins palliatifs,centre hospitalier de Châteauroux, 216, avenue de Verdun, 36000 Châteauroux, France

Disponible sur Internet le 16 septembre 2009

MOTS CLÉSConstipation ;Opioïdes ;Douleur chronique ;Oxycodone ;Naloxone ;Méthylnaltrexone

Résumé Un traitement antalgique efficace doit faire en sorte que le bénéfice de l’analgésieobtenue soit supérieur à l’impact des effets indésirables. La constipation est l’effet indésirablele plus fréquemment décrit par les patients bénéficiant d’un traitement opioïde au long cours.Elle a parfois plus de conséquences sur la qualité de vie que la douleur elle-même. C’est laraison pour laquelle la constipation induite par les opioïdes doit avant tout faire l’objet d’uneapproche préventive, basée sur des règles hygiénodiététiques et sur l’utilisation systématiqued’un laxatif. Des recommandations nationales existent, elles décrivent également la conduiteà tenir en cas de constipation installée. Au-delà, la prise en charge du patient peut encore êtreaméliorée en réduisant l’incidence de certaines dysfonctions intestinales dont la constipationinduite par les opioïdes et donc les besoins en laxatifs. L’association oxycodone—naloxone àlibération prolongée limite significativement l’impact de la constipation et peut permettred’améliorer l’observance du traitement au long cours. Chez les patients en soins palliatifs, denouvelles molécules peuvent apporter plus de confort et améliorer la qualité de vie. Ce sont cesnouvelles approches, et leur positionnement respectif dans la prise en charge de la constipationinduite par les opioïdes, qui sont présentées dans cet article.© 2009 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés.

KEYWORDSConstipation;Opioids;Chronic pain;

Summary An analgesic treatment is effective if the benefit of analgesia is higher than theimpact of its side effects. Constipation is the most frequently reported adverse effect in patientreceiving chronic strong opioid therapy. It can be a more frequent cause of distress than pain.This is why opioid-induced constipation needs a preventive approach, based on a patient’seducation and the systematic use of a laxative. National guidelines are available, they also

Adresse e-mail : [email protected].

1624-5687/$ — see front matter © 2009 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés.doi:10.1016/j.douler.2009.07.001

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Oxycodone;Naloxone;Methylnaltrexone

describe the treatment of an installed constipation. Beyond that, with a reduced incidence ofopioid-induced constipation and subsequent need for laxatives, the management of patientscan be improved. The combination tablet of oxycodone—naloxone reduces the impact of cons-tipation and may therefore improve the acceptability of long-term opioid treatment for chronicpain. In patients with advanced illness, new agents may provide relief from current burdens andrestore some quality of life. Those new approaches, and their specific actions, are described inthis article.© 2009 Elsevier Masson SAS. All rights reserved.

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es opioïdes forts sont considérés comme les antalgiquese référence pour traiter les douleurs d’intensité sévère.eur utilisation fait l’objet de recommandations nationalest internationales, aussi bien pour les douleurs d’origineancéreuse (les paliers de l’OMS ont été décrits en 1986)u’en dehors du contexte du cancer (recommandations deimoges [1] pour les douleurs rachidiennes, de l’Afssaps poures douleurs chroniques et de l’IASP [2] pour les douleurseuropathiques). À ce jour, quatre molécules sont dispo-ibles en France (fentanyl, hydromorphone, morphine etxycodone) avec au total cinq voies d’administrations pos-ibles (orale, transdermique, transmuqueuse, sous-cutanée,ntraveineuse). Le panel à disposition du clinicien est doncmportant, des outils ont pu être développés pour l’aider

passer d’une molécule à une autre selon des règles’équianalgésie [3]. Le recours aux opioïdes forts a ainsi puettement progresser depuis les 20 dernières années, tra-uisant ainsi une progressive amélioration des pratiques. Sies patients bénéficient de l’effet antalgique de ces pro-uits, ils doivent aussi fréquemment faire face à leurs effetsndésirables. Nausées, troubles cognitifs et sédation sont lelus souvent transitoires ou résolus par un changement deolécule (rotation des opioïdes). Ce n’est, en revanche, pas

e cas de la constipation. . .

onstipation et opioïdes : quelle réalité ?

e recours aux opioïdes peut être à l’origine deombreux symptômes digestifs (nausées, vomissements,allonnements, inconfort. . .) regroupés sous l’appellationdysfonction intestinale » [4]. Ce travail se propose de se

imiter au symptôme le plus problématique en termes deréquence, de durée et d’impact sur la vie quotidienne : laonstipation.

hysiopathologie [4]

e tractus digestif est composé de plusieurs couches :uqueuse, sous-muqueuse et musculeuse, elle-même

omposée d’une couche circulaire (interne) et d’une coucheongitudinale (externe). La motricité digestive est donciée à l’activité de cette musculeuse, elle-même sous laommande d’un système nerveux complexe, à la fois intrin-

èque (composé des plexus sous-muqueux et myentériques)t extrinsèque (sympathique et parasympathique). D’unoint de vue pratique, c’est l’acétylcholine qui est le princi-al neuromédiateur responsable de la motricité intestinale,ais aussi de la sécrétion digestive. L’action antalgique

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es opioïdes est principalement liée à l’activation desécepteurs de type mu situés au niveau du systèmeerveux central. Cependant, ces récepteurs sont ubiqui-aires : ils sont présents dans l’ensemble de l’organisme,t notamment au sein des plexus myentériques de la parointestinale. Leur stimulation lors d’un traitement opioïde aour effet de bloquer la commande de la contraction dea musculeuse, ralentissant ainsi le transit intestinal. Elleiminue également le volume des sécrétions digestives ennhibant la libération d’acétylcholine. Ces deux mécanismesxpliquent que les opioïdes, en activant les récepteurs muériphériques, favorisent le développement de la constipa-ion.

pidémiologie [5—8]

es critères diagnostiques développés pour caractériser laonstipation [5] s’adressent surtout aux patients présentantes troubles fonctionnels intestinaux : il ne s’agit pas duontexte traité ici. Lors de l’introduction d’un traitementpioïde, la mise en évidence d’une constipation repose sur-out sur le vécu du patient et sur la modification du transitabituel.

Trois signes sont primordiaux à rechercher : lenombre hebdomadaire de selles, des efforts de

défécation plus importants, une impressiond’exonération incomplète.

En pratique quotidienne, la constipation est quasi-onstante au cours d’un traitement par opioïde. Elle peutpparaître dès la première prise et persister tout au longu traitement. La mise en place de mesures préventiveseste souvent décevante : selon les données de la littéra-ure [4—9], 33 à 95 % des patients sous opioïdes déclarentrésenter une constipation. Cette fréquence est plus éle-ée dans le contexte du cancer (supérieur à 90 %) que danse cadre de douleurs chroniques non cancéreuses (40 à 50 %).es chiffres sont à comparer aux 10 % de prévalence de laonstipation dans la population générale.

onséquences cliniques [5—8]

’apparition d’une constipation peut avoir deux types de

onséquences. Tout d’abord, il s’agit d’un facteur fréquent’arrêt du traitement opioïde par le patient lui-même, cetrrêt nuisant à la qualité de la prise en charge de la dou-eur. À l’inverse, la douleur abdominale liée à la constipationeut mener à l’augmentation des doses d’opioïdes, donc à

elles approches 239

Tableau 1 Principaux types de laxatifs.

Famille de laxatifMolécules Noms commerciaux

Osmotiques Macrogol Transipeg®, Forlax®

Macrogol +électrolytes

Movicol®

Lactulose Duphalac®

Lactitol Importal®

Mannitol Manicol®

Sorbitol Sorbitol Delalande®

Pentaérythritol Auxitrans®

Stimulants Cascara Peristaltine®

Bourdaine ArkogelulesBourdaine®

Aloès VulcaseSéné Arkogelules Sene®

Bisacodyl Contalax®,Dulcolax®

Huile de ricin Huile de ricinCooper®

Docusate desodium

Jamylene®

Picosulfate desodium

Fructines®

Lubrifiants Paraffine Huile de paraffine®,Lansoyl®, Lubentyl®

Laxatif de lest Gomme desterculia

Normacol®

Psyllium Transilane®

Ispaghul Spagulax®

Son de blé Infibran®

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Constipation induite par les opioïdes : état des lieux et nouv

l’aggravation du trouble du transit, ce qui crée un véritablecercle vicieux. Enfin, la constipation peut conduire au féca-lome, voire à un syndrome occlusif, qui peut nécessiter ungeste chirurgical. Ces complications sont parfois difficiles àrepérer, notamment chez la personne âgée peu communi-cante. L’apparition d’une diarrhée, d’une confusion et/oud’une agitation doit faire rechercher un fécalome. Pourl’ensemble de ces raisons, la constipation doit faire l’objetd’une attention particulière de la part des professionnels desanté. D’autant que la rotation des opioïdes, recommandéeen cas d’effet indésirable rebelle, ne semble pas apporter deréponse à cette problématique. En effet, aucun des quatreopioïdes forts disponibles en France n’a réellement prouvésa supériorité [6—8] sur les autres en termes de prévalenceou de sévérité de la constipation.

Prise en charge de la constipation induitepar les opioïdes : état des lieux

La constipation induite par les opioïdes est fréquente etcomplexe à prendre en charge. C’est en partant de ceconstat que la Société francaise d’accompagnement et desoins palliatifs (Sfap) a décidé de travailler sur le sujet.C’est ainsi qu’ont été publiées en octobre 2008 [9] desRecommandations pour la prévention et le traitement de laconstipation induite par les opioïdes chez le patient rele-vant de soins palliatifs. Ayant utilisé la méthodologie de laHaute Autorité de santé pour l’élaboration de recomman-dations de bonnes pratiques, ce texte fait la synthèse de lalittérature internationale en y apportant l’expérience d’unpanel pluridisciplinaire d’experts.

Prévention de la constipation

C’est bien connu, « prévenir vaut mieux que guérir ». La fré-quence de la constipation induite par les opioïdes impliqueune prise en charge proactive, mettant l’accent sur une pré-vention la plus efficace possible. Celle-ci repose sur quatrepiliers principaux, décrits dans les recommandations de laSfap sous la forme d’un arbre décisionnel [9] :• des règles hygiénodiététiques, basées sur une hydrata-

tion suffisante (en apportant des petits moyens tels que ladiversification des types de boisson, thés, soupes. . .) et surune alimentation adaptée riche en fibres. De nombreuxcompléments alimentaires, aux goûts variés, contiennentdes fibres, certains en sont même spécialement enrichis.Il est recommandé d’ajouter progressivement 10 à 20 gde fibres par jour à une alimentation normale. L’ajout dematières grasses peut également avoir un effet lubrifiant ;

• un environnement favorisant l’exonération : respect del’intimité (laisser le patient seul, laisser du temps, lecouvrir s’il utilise un bassin. . .), des horaires et des habi-tudes du patient (en lui permettant d’appeler si besoin),favoriser une bonne installation aux WC, avec si néces-saire mise en place d’aides techniques adaptées au degré

d’autonomie ;

• le maintien d’une activité physique, avec idéalement uneactivité de marche régulière, plus ou moins complétée pardes exercices de respiration et/ou des massages abdomi-naux dans le sens du transit intestinal ;

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l’utilisation systématique d’un traitement laxatif osmo-tique ou stimulant (Tableau 1), à adapter à chaquesituation clinique.

Il s’agit là de mesures simples, mais qui ne sont pas sys-ématiquement appliquées lors de la mise en place d’unraitement opioïde. Afin d’aider le patient dans sa vieuotidienne, la Sfap [9, p. S14] propose de lui remettre sys-ématiquement un document intitulé « Quelques règles etonseils hygiénodiététiques si vous recevez un traitementar opioïdes ». L’intérêt d’un traitement laxatif systéma-ique y est également abordé. Et pourtant cette pratique estoin d’être standardisée en pratique clinique quotidienne.’étude menée en long séjour gériatrique par Max et al.10] a pu montrer que seuls 66 % des patients sous traite-ent opioïde bénéficiaient d’un laxatif. De plus, il existe

ne grande variabilité interindividuelle [6] en termes deonstipation induite par les opioïdes : certains patients neéveloppent jamais de constipation, d’autres sont épargnésarce qu’ils sont déjà sous laxatifs. D’autres encore pré-

entent une constipation résistante à un traitement laxatifforte dose. Aucun facteur n’ayant pu être identifié pour

xpliquer de telles différences entre les patients, la stra-égie préventive de la constipation induite par les opioïdesérite d’être optimisée.

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raitement de la constipation induite par lespioïdes

algré le recours aux quatre piliers de la préventionécrits plus hauts, la constipation peut s’installer et deve-ir problématique chez tout patient sous opioïdes. Il estlors intéressant d’évaluer la situation de manière glo-ale : en effet, d’autres facteurs [9] peuvent contribuer

cette constipation. Il peut s’agir des conséquencesirectes de la pathologie, cancéreuse ou non (obstruc-ion tumorale, hypercalcémie, neuropathie. . .), ou deséquelles de son traitement (déshydratation, confusion,épression, radiothérapie. . .). Une maladie intercurrenteeut également être en cause (diabète, hypothyroïdie,roubles métaboliques. . .). Enfin, les causes iatrogènes deonstipation sont nombreuses : les antidépresseurs et lesntiépileptiques, souvent prescrits pour leurs effets antal-iques, peuvent y contribuer. Le rapport bénéfice—risquee ces traitements mérite donc d’être évalué régu-ièrement. Au-delà, si le rapport direct de cause àffet entre la constipation et les opioïdes a pu êtreonfirmé, des mesures thérapeutiques s’imposent. Faut-l alors modifier le traitement opioïde ? Diminuer la dose,’est risquer de moins bien soulager la douleur. Chan-er de molécule et/ou de voie d’administration dans leadre d’une rotation des opioïdes ? Pourquoi pas, mais leénéfice de ces stratégies semble limité [8]. Au final, lesecommandations de la Sfap [9] s’inscrivent globalementans la lignée des écrits publiés sur le sujet en 200111,12] :

au troisième jour sans selles, après avoir éliminé uneocclusion intestinale : renforcer les règles hygiénodiété-tiques, augmenter la posologie du laxatif osmotique oustimulant, traitement rectal par suppositoire ;au quatrième jour sans selles, après avoir éliminé un féca-lome au toucher rectal : mettre en place une bithérapielaxative (osmotique + stimulant) ou associer au laxatif unantagoniste opioïde périphérique [13—17]. En l’absencede reprise de transit à 48 heures, utiliser un péristaltogèneintestinal (pyridostigmine ou néostigmine) ou une prépa-ration aux investigations coliques (PEG), plus ou moinsassocié à un grand lavement.

Par ailleurs, une fois l’obstacle levé, un tel épisodempose la poursuite au long cours d’une bithérapie laxative.

n dehors des soins palliatifs ?

i la fréquence de la constipation induite par les opioïdesst plus faible dans un contexte de douleur chronique nonancéreuse, les bases des traitements préventif et curatifestent les mêmes.

Il est cependant important de noter que lepatient douloureux chronique est un individu leplus souvent valide, potentiellement en activitéprofessionnelle, dont la qualité de vie est déjà

altérée par les conséquences de la douleur.

L’observance des règles hygiénodiététiques peut’épuiser dans le temps. Il peut en être de même poura prise au long cours d’un laxatif. Le développement de

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F. Clère

ouvelles approches paraît donc nécessaire pour s’adapteru mieux aux réels besoins de ces patients.

erspectives d’avenir : utilisation desntagonistes des récepteurs mu, seuls oun association

’analgésie opioïde est principalement liée à un effet cen-ral alors que la constipation résulte de l’activation deécepteurs périphériques : l’idéal serait donc de pouvoirctiver uniquement les récepteurs mu centraux, ce qui n’estas réalisable avec les molécules disponibles. En revanche,ne autre possibilité existe : laisser l’opioïde fort activer’ensemble des récepteurs mu et lui associer un antagonistees récepteurs mu qui n’agirait qu’au niveau périphérique.

tilisation des antagonistes des récepteurs mun traitement de la constipation :éthylnaltrexone et alvimopan

a méthylnaltrexone est une molécule développée en 1985,our laquelle les premiers essais chez des volontaires sainsphases I et II) remontent à 1997 [17—20]. Il s’agit d’unérivé de la naltrexone, antagoniste central des récepteursu : l’adjonction d’un groupe méthyl a permis d’obtenir unrofil pharmacologique différent. La méthylnaltrexone estn effet faiblement polarisée et très peu liposoluble, ceui l’empêche de franchir la barrière hémato-encéphalique.es études de phase I ont ainsi pu confirmer que cetteolécule est un antagoniste des récepteurs opioïdes péri-hériques intestinaux sans avoir d’action centrale. Dee fait, les études cliniques sur la méthylnaltrexone seont multipliées depuis cinq ans : des méta-analyses suron efficacité et sur sa sécurité d’emploi sont mêmeéjà publiées [21—26], y compris dans la base Cochrane.cNicol [23] a ainsi pu calculer que la méthylnaltrexone

éduit le transit gastro-intestinal de 52 minutes en moyenne93—110 minutes contre 140—163 minutes pour le placebo).ui plus est, elle est trois fois plus efficace que le placebon termes d’effet laxatif, quatre heures après son adminis-ration. Cette efficacité a pu être observée à la fois paroie orale ou parentérale, intraveineuse et sous-cutanée,ais seule cette dernière voie (SC) a été retenue pour sonéveloppement. Ses effets indésirables sont statistiquementomparables à ceux du placebo. Le développement de cetteolécule s’effectue dans le contexte des soins palliatifs :

es études de phase III les plus récemment publiées [27,28]nt été réalisées chez des patients atteints de maladies àn « stade avancé ». Les recommandations de la Sfap [9] enont un produit de seconde intention, en alternative à laithérapie laxative. La méthylnaltrexone (Relistor®) a ainsibtenu une AMM européenne dans l’indication suivante :Traitement de la constipation liée aux opioïdes chez lesatients présentant une pathologie à un stade avancé etelevant de soins palliatifs, lorsque la réponse aux laxatifs

abituels a été insuffisante ». Cette AMM permet son exploi-ation en France. En effet, l’avis du 10 décembre 2008 de laommission de transparence indique que : « le service médi-al rendu de cette spécialité est important chez les patientsrésentant une pathologie à un stade avancé et relevant de

elles approches 241

Tableau 2 Les différentes phases des essais cliniques.

Phase IÉvaluer la tolérance et l’absence d’effets indésirables

chez des volontaires sains. Cette phase permetégalement d’étudier la cinétique et le métabolismechez l’homme de la substance étudiée. Les groupesétudiés sont le plus souvent de petite taille (20 à 80participants)

Phase IIDéterminer la dose optimale du médicament concerné

par l’étude et de contrôler les effets indésirables.Cette phase fait appel à des groupes de 20 à 300participants

Phase IIIÉtude comparative d’efficacité proprement dite, soit à

un placebo, soit à un traitement de référence. Lesgroupes sont de taille plus importante

Phase IV ou postmarketing

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Constipation induite par les opioïdes : état des lieux et nouv

soins palliatifs ». D’un point de vue pratique, la posologierecommandée de bromure de méthylnaltrexone est de 8 mg(0,4 ml) pour les patients pesant de 38 à 61 kg et de 12 mg(0,6 ml) pour les patients pesant de 62 à 114 kg. Le schémad’administration recommandé est d’une dose unique un joursur deux. Les doses peuvent également être administrées àintervalles plus longs, selon le besoin clinique.

L’alvimopan est une molécule synthétisée plus récem-ment (1994). Son haut poids moléculaire permet derestreindre son absorption intestinale (biodisponibilité aprèsingestion orale de 6 %). Les essais de phase I datent de2001 [22] : l’alvimopan a par la suite surtout fait l’objetd’essais de phase III orientés vers la prise en charge de l’iléuspostopératoire. Or il existe de très nombreux facteurs méca-niques, hémodynamiques, humoraux ou neuroendocrinienspouvant déclencher ou prolonger l’iléus postopératoire :celui-ci n’est pas uniquement induit par les opioïdes. Lecontexte de prescription de cette molécule déborde donc del’objet de ce travail (constipation induite par les opioïdes).En pratique, il est recommandé d’utiliser une gélule de12 mg juste avant la chirurgie, puis deux fois 12 mg par jourpendant un maximum de sept jours. Du fait de la mise en évi-dence d’une surmortalité cardiaque (1 à 3 % contre 0 % pourle placebo), ce produit n’est plus utilisé aux États-Unis quesous couvert d’une procédure stricte de gestion des risques.

Utilisation d’une associationagoniste—antagoniste des récepteurs mu poursoulager la douleur tout en limitant laconstipation (oxycodone—naloxone)

La naloxone est le principal antagoniste pur des récepteursmu : administrée par voie intraveineuse, elle antagonisel’effet des opioïdes exogènes, d’où une utilisation commeantidote, réservée aux surdosages en opioïdes forts (dépres-sion respiratoire, coma. . .). La naloxone exerce alors sonaction antagoniste aussi bien sur les récepteurs centrauxque périphériques. Dans ces conditions, peut-on demanderà la naloxone de lutter contre la constipation (récep-teurs périphériques) sans diminuer l’efficacité des opioïdesadministrés (récepteurs centraux) ? Certainement pas sila naloxone est administrée par voie parentérale, maisd’autres voies sont possibles. En effet, après adminis-tration orale, la biodisponibilité de la naloxone est trèsfaible, de l’ordre de 2 %, du fait d’un effet de premierpassage hépatique très important [13]. Pour cette raison,après administration orale, la naloxone est presque indé-tectable au niveau plasmatique. En revanche, elle a letemps d’antagoniser les récepteurs périphériques intesti-naux avant d’être dégradée au niveau hépatique. C’estdonc tout naturellement qu’il a été proposé aux patientssous opioïdes de boire les ampoules de naloxone injectablepour lutter contre la constipation, avec un certain suc-cès, mais sans pouvoir déterminer une dose précise. Pourcette raison, certains patients n’ont tiré aucun bénéfice(dosage trop faible), d’autres ont vu apparaître une diar-

rhée, voire une augmentation de l’intensité douloureuse,probablement du fait d’une dégradation hépatique insuf-fisante (dosage trop élevé). L’utilisation de la naloxonesous cette forme, c’est-à-dire à libération immédiate, nepeut donc être recommandée en pratique clinique. Mais

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Suivi à long terme d’un traitement et dépistage deseffets indésirables rares ou des complications tardives

’histoire ne s’arrête pas là : une naloxone à libération pro-ongée administrable par voie orale a pu être développée.econde idée : l’associer à un des opioïdes forts disponiblen France, l’oxycodone. Si l’idée d’une telle association’est pas récente, les premiers travaux (Tableau 2) publiésur cette association ne font leur apparition qu’au cours de’année 2008 [13—17]. D’un point de vue purement phar-acologique, les biodisponibilités de l’oxycodone et de la

aloxone ne sont pas affectées par le fait de les associer dansn seul et même comprimé [13], et cela quels que soientes dosages utilisés. Reste à déterminer le bon dosage dealoxone de cette association oxycodone—naloxone (O/N).ne étude multicentrique de phase II a permis de détermi-er cette donnée [14] : la dose de naloxone (N) à administreroit être proportionnelle à celle d’oxycodone (O), avec unapport optimal O/N de 2/1. Dans cette étude, les 202atients recrutés bénéficiaient déjà d’un traitement parxycodone avant l’utilisation de l’association O/N pendantuatre semaines : l’effet antalgique est resté comparable.

Ces patients ont été amenés à évaluer leurconstipation grâce au bowel function index

(BFI) : l’introduction de la naloxone réduisait cescore de facon significative, le ramenant en

moyenne sous les 30 sur une échelle numériquede 0 à 100.

L’arrêt de la naloxone après quatre semaines de trai-ement ramenait le BFI au score initial. L’association O/Nermettait donc une analgésie comparable à celle obtenuear l’oxycodone seule tout en réduisant significativement’impact de la constipation. L’effet indésirable principaltait le développement d’une diarrhée, restant transitoire.

es données, obtenues en phase II de développement, ontu être complétées lors de trois études de phase III, ran-omisées, en double insu, comparant l’association O/Nu traitement de référence, l’oxycodone [15—17], et au

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lacebo pour l’une d’entre elles [15]. Ces trois étudesnt été menées chez 1064 patients présentant en grandeajorité des douleurs chroniques non cancéreuses. Leurs

ésultats vont dans le même sens : l’effet antalgique de’association O/N (rapport de 2/1) est comparable à celuie l’oxycodone seule. Autrement dit, la naloxone utili-ée ne réduit pas l’efficacité de l’oxycodone. Par ailleurs,’association O/N réduit l’impact de la constipation liée à’oxycodone, mesuré par le BFI, de 15 à 17 points [16,17].es autres effets indésirables constatés étaient comparableshez les patients traités par oxycodone, seule ou associée àa naloxone. Ce sont les données de ces trois études de phaseII qui permettent d’envisager l’utilisation en pratique cli-ique quotidienne d’une association O/N avec un rapporte 2/1. Ce produit (Targinact®) a récemment obtenu sonMM en France dans l’indication suivante : « traitement de

a douleur sévère qui ne peut être correctement traitéeue par des analgésiques opioïdes. La naloxone, antago-iste opioïde, est ajoutée afin de neutraliser la constipationnduite par l’opioïde en bloquant localement l’action de’oxycodone au niveau des récepteurs intestinaux ».

onclusion

a constipation est l’effet indésirable le plus fréquent sousraitement opioïde. Sa prévention fait appel à des règlesygiénodiététiques, qui peuvent s’avérer contraignantesorsqu’elles s’inscrivent dans la durée, et au recours sys-ématique à un laxatif, ce qui impose au moins une priseédicamenteuse supplémentaire. De plus, il existe une

rande variabilité interindividuelle en termes d’efficacitées laxatifs : ils n’empêchent pas systématiquement le déve-oppement d’une constipation opiniâtre, qui peut aboutir à’arrêt du traitement opioïde et/ou à une prise en chargelus lourde. Devant une telle problématique, le développe-ent de nouvelles approches ne peut qu’être bénéfique :dans le contexte de soins palliatifs, la méthylnaltrexonefavorise la reprise du transit en cas de constipation ins-tallée. Elle nécessite cependant de recourir à la voiesous-cutanée ;plus en amont, c’est-à-dire dès l’instauration du trai-tement antalgique, l’utilisation de Targinact® permetune gestion proactive de la constipation induite par lesopioïdes. Cette nouvelle association rentre parfaitementdans le cadre des recommandations de l’OMS sur la priseen charge de la douleur : privilégier la voie orale tantqu’elle est possible et prendre en charge les effets indé-sirables associés dès l’instauration du traitement [29,30].

De nouvelles perspectives s’offrent donc aux profession-els de santé pour améliorer la qualité de vie des patientsous opioïdes.

éférences

[1] Trèves R, Bannwarth B, Bertin P, Javier RM, Glowinski J, Le

BarsM, et al. Les recommandations de Limoges. Usage de lamorphine dans les douleurs rhumatologiques non cancéreuses.Douleurs 2000;1:33—8.

[2] Dworkin RH, O’Connor AB, Backonja M, Farrar JT, Finne-rup NB, Jensen TS, et al. Pharmacologic management of

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