Constitution pastorale sur lEglise dans le monde de ce temps : « Gaudium et spes » (GS) On...
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Constitution pastorale sur l’Eglise dans le monde de ce temps : « Gaudium et spes » (GS) On trouvera ici le texte intégral de la première partie de GS, sans les notes (pour gagner de la place). Pour faciliter la lecture, dans le texte de la constitution, j’ai mis en rouge ce qui me semble être des passages « clés ». En bleu, sous le texte, quelques petits résumés ou commentaires.
Constitution pastorale sur lEglise dans le monde de ce temps : « Gaudium et spes » (GS) On trouvera ici le texte intégral de la première partie de GS,
Constitution pastorale sur lEglise dans le monde de ce temps :
Gaudium et spes (GS) On trouvera ici le texte intgral de la premire
partie de GS, sans les notes (pour gagner de la place). Pour
faciliter la lecture, dans le texte de la constitution, jai mis en
rouge ce qui me semble tre des passages cls . En bleu, sous le
texte, quelques petits rsums ou commentaires.
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Les chrtiens nont pas besoin dtre envoys dans le monde Ils y
sont dj ! Aprs de longues dcennies o lEglise considrait le monde
comme un adversaire plus ou moins dangereux, elle fait cette
dcouverte surprenante : les membres de lEglise sont des hommes et
des femmes parmi les autres. A ces autres ils ont pour mission de
manifester lamour du Christ. Les premiers mots du texte illustrent
magnifiquement lesprit douverture qui caractrise le Concile Vatican
II. Originalit, aussi, de cette constitution Gaudium et Spes : elle
est adresse, non pas aux seuls catholiques, mais tous les hommes,
pour dialoguer avec eux. Etroite solidarit de l'Eglise avec
l'ensemble de la famille humaine 1 Les joies et les espoirs, les
tristesses et les angoisses des hommes de ce temps, des pauvres
surtout et de tous ceux qui souffrent, sont aussi les joies et les
espoirs, les tristesses et les angoisses des disciples du Christ,
et il n'est rien de vraiment humain qui ne trouve cho dans leur
cur. Leur communaut, en effet, s'difie avec des hommes, rassembls
dans le Christ, conduits par l'Esprit Saint dans leur marche vers
le royaume du Pre, et porteurs d'un message de salut qu'il faut
proposer tous. La communaut des chrtiens se reconnat donc rellement
et intimement solidaire du genre humain et de son histoire. A qui
s'adresse le Concile 2 C'est pourquoi, aprs s'tre efforc de pntrer
plus avant dans le mystre de l'Eglise, le deuxime Concile du
Vatican n'hsite pas s'adresser maintenant, non plus aux seuls fils
de l'Eglise et tous ceux qui se rclament du Christ, mais tous les
hommes. A tous il veut exposer comment il envisage la prsence et
l'action de l'Eglise dans le monde d'aujourd'hui. Le monde qu'il a
ainsi en vue est celui des hommes, la famille humaine tout entire
avec l'univers au sein duquel elle vit. C'est le thtre o se joue
l'histoire du genre humain, le monde marqu par l'effort de l'homme,
ses dfaites et ses victoires. Pour la foi des chrtiens, ce monde a
t fond et demeure conserv par l'amour du Crateur; il est tomb
certes, sous l'esclavage du pch, mais le Christ, par la Croix et la
Rsurrection, a bris le pouvoir du Malin et l'a libr pour qu'il soit
transform selon le dessein de Dieu et qu'il parvienne ainsi son
accomplissement.
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Nous nous adressons au monde - dit lEglise - mais de quoi
allons nous parler ? De ce qui nous est commun tous, de ce qui nous
proccupe tous juste titre : de lhomme. Ce sera quelques annes plus
tard un slogan de Jean Paul II : Lhomme est la route de lEglise.
Des expressions nouvelles apparaissent : famille humaine , vocation
humaine . Le service de l'homme 3 De nos jours, saisi d'admiration
devant ses propres dcouvertes et son propre pouvoir, le genre
humain s'interroge cependant, souvent avec angoisse, sur l'volution
prsente du monde, sur la place et le rle de l'homme dans l'univers,
sur le sens de ses efforts individuels et collectifs, enfin sur la
destine ultime de choses et de l'humanit. Aussi le Concile, tmoin
et guide de la foi de tout le peuple de Dieu rassembl par le
Christ, ne saurait donner une preuve plus parlante de solidarit, de
respect et d'amour l'ensemble de la famille humaine, laquelle ce
peuple appartient, qu'en dialoguant avec elle sur ces diffrents
problmes, en les clairant la lumire de l'Evangile, et en mettant la
disposition du genre humain la puissance salvatrice que l'Eglise,
conduite par l'Esprit-Saint, reoit de son Fondateur. C'est en effet
lhomme qu'il s'agit de sauver, la socit humaine qu'il faut
renouveler. C'est donc l'homme, l'homme considr dans son unit et sa
totalit, l'homme, corps et me, cur et conscience, pense et volont,
qui constituera l'axe de tout notre expos. Voila pourquoi, en
proclamant la trs noble vocation de l'homme et en affirmant qu'un
germe divin est dpos en lui, ce saint Synode offre au genre humain
la collaboration sincre de l'Eglise pour l'instauration d'une
fraternit universelle qui rponde cette vocation. Aucune ambition
terrestre ne pousse l'Eglise; elle ne vise qu'un seul but:
continuer, sous l'impulsion de l'Esprit consolateur, l'oeuvre mme
du Christ, venu dans le monde pour rendre tmoignage la vrit, pour
sauver, non pour condamner, pour servir, non pour tre servi.
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EXPOSE PRELIMINAIRE : LA CONDITION HUMAINE DANS LE MONDE
D'AUJOURD'HUI Dans cet expos prliminaire , le concile esquisse une
analyse de la situation du monde en 1965. Le regard port sur le
monde est remarquablement bienveillant : il sagit de discerner le
meilleur. Mais il est aussi lucide : les aspects dramatiques, voire
tragiques, de la vie du monde ne sont pas ignors. Evidemment le
temps a pass Cependant presque tout ce que dit ce texte est encore
valable aujourdhui. Plus prcisment, bien souvent, ces constatations
sont encore plus vraies aujourdhui quil y a cinquante ans !
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Scrutant les signes des temps - voir plus loin, au N 11 lEglise
prend conscience dune mutation profonde et rapide. Ce qui, comme
nous le disions plus haut, est encore plus vrai aujourdhui Des
contradictions apparaissent dans tous les domaines : pouvoir et
impuissance ; savoir et incertitude ; richesse et pauvret ; libert
et servitudes ; changes et conflits, etc. Espoirs et angoisses 4
Pour mener bien cette tche, l'Eglise a le devoir, tout moment, de
scruter les signes des temps et de les interprter la lumire de
l'Evangile, de telle sorte qu'elle puisse rpondre, d'une manire
adapte chaque gnration, aux questions ternelles des hommes sur le
sens de la vie prsente et future et sur leurs relations rciproques
(cf. aussi N 11). Il importe donc de connatre et de comprendre ce
monde dans lequel nous vivons, ses attentes, ses aspirations, son
caractre souvent dramatique. Voici, tels qu'on peut les esquisser,
quelques-uns des traits fondamentaux du monde actuel. Le genre
humain vit aujourd'hui un ge nouveau de son histoire, caractris par
des changements profonds et rapides qui s'tendent peu peu
l'ensemble du globe. Provoqus par l'homme, par son intelligence et
son activit cratrice, ils rejaillissent sur l'homme lui-mme, sur
ses jugements, sur ses dsirs, individuels et collectifs, sur ses
manires de penser et d'agir, tant l'gard des choses qu' l'gard de
ses semblables. A tel point que l'on peut dj parler d'une vritable
mtamorphose sociale et culturelle dont les effets se rpercutent
jusque sur la vie religieuse. Comme en toute crise de croissance,
cette transformation ne va pas sans de srieuses difficults. Ainsi,
tandis que l'homme tend si largement son pouvoir, il ne parvient
pas toujours s'en rendre matre. S'efforant de pntrer plus avant les
ressorts les plus secrets de son tre, il apparat souvent plus
incertain de lui-mme. Il dcouvre peu peu, et avec plus de clart,
les lois de la vie sociale, mais il hsite sur les orientations
qu'il faut lui imprimer. Jamais le genre humain n'a regorg de tant
de richesses, de tant de possibilits, d'une telle puissance
conomique, et pourtant une part considrable des habitants du globe
sont encore tourments par la faim et la misre, et des multitudes
d'tres humains ne savent ni lire ni crire. Jamais les hommes n'ont
eu comme aujourd'hui un sens aussi vif de la libert, mais, au mme
moment, surgissent de nouvelles formes d'asservissement social et
psychique. Alors que le monde prend une conscience si forte de son
unit, de la dpendance rciproque de tous dans une ncessaire
solidarit, le voici violemment cartel par l'opposition de forces
qui se combattent: d'pres dissensions politiques, sociales,
conomiques, raciales et idologiques persistent encore, et le danger
demeure d'une guerre capable de tout anantir. L'change des ides
s'accrot; mais les mots mmes qui servent exprimer des concepts de
grande importance revtent des acceptions fort diffrentes suivant la
diversit des idologies. Enfin, on recherche avec soin une
organisation temporelle plus parfaite, sans que ce progrs
s'accompagne d'un gal essor spirituel. Marqus par une situation si
complexe, un trs grand nombre de nos contemporains ont beaucoup de
mal discerner les valeurs permanentes; en mme temps, ils ne savent
comment les harmoniser avec les dcouvertes rcentes. Une inquitude
les saisit et ils s'interrogent avec un mlange d'espoir et
d'angoisse sur l'volution actuelle du monde. Celle-ci jette l'homme
un dfi; mieux, elle l'oblige rpondre.
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Lextraordinaire volution des sciences et des techniques
bouleverse nos existences. Cela a pour effet de changer notre faon
de nous situer dans le temps : alors que, jadis, on considrait que
les choses essentielles taient immobiles, ou mme que lon rvait dun
ge dor situ dans un pass lointain, nous voici convoqus une nouvelle
manire dtre, dynamique et volutive Une mutation profonde 5
L'branlement actuel des esprits et la transformation des conditions
de vies sont lis une mutation d'ensemble qui tend la prdominance,
dans la formation de l'esprit, des sciences mathmatiques,
naturelles ou humaines et, dans l'action, de la technique, fille
des sciences. Cet esprit scientifique a faonn d'une manire
diffrente du pass l'tat culturel et les modes de penser. Les progrs
de la technique vont jusqu' transformer la face de la terre et, dj,
se lancent la conqute de l'espace. Sur le temps aussi,
l'intelligence humaine tend en quelque sorte son empire: pour le
pass, par la connaissance historique; pour l'avenir, par la
prospective et la planification. Les progrs des sciences
biologiques, psychologiques et sociales ne permettent pas seulement
l'homme de se mieux connatre, mais lui fournissent aussi le moyen
d'exercer une influence directe sur la vie des socits par l'emploi
de techniques appropries. En mme temps, le genre humain se
proccupe, et de plus en plus, de prvoir dsormais son propre
dveloppement dmographique et de le contrler. Le mouvement mme de
l'histoire devient si rapide que chacun peine le suivre. Le destin
de la communaut humaine devient un, et il ne se diversifie plus
comme en autant d'histoires spares entre elles. Bref, le genre
humain passe d'une notion plutt statique de l'ordre des choses une
conception plus dynamique et volutive: de l nat, immense, une
problmatique nouvelle, qui provoque de nouvelles analyses et de
nouvelles synthses.
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Industrialisation urbanisation dveloppement des communications
migrations socialisation (au sens de dveloppement des liens entre
les personnes et les groupes ... Particulirement frappant dans
cette numration : limportance que le Concile accorde aux nouveaux
moyens de communication, qui vont dvelopper des ractions en chaine.
Or en ce temps-l, les ordinateurs commenaient tout juste ; il ntait
pas encore question dInternet et de tout ce qui va avec !
Changements dans l'ordre social 6 Du mme coup, il se produit des
changements, de jour en jour plus importants, dans les communauts
locales traditionnelles (familles patriarcales, clans, tribus,
villages), dans les diffrents groupes et les rapports sociaux. Une
socit de type industriel s'tend peu peu, amenant certains pays une
conomie d'opulence et transformant radicalement les conceptions et
les conditions sculaires de la vie en socit. De la mme faon, la
civilisation urbaine et l'attirance qu'elle provoque
s'intensifient, soit par la multiplication des villes et de leurs
habitants, soit par l'expansion du mode de vie urbain au monde
rural. Des moyens de communication sociale nouveaux, et sans cesse
plus perfectionns, favorisent la connaissance des vnements et la
diffusion extrmement rapide et universelle des ides et des
sentiments, suscitant ainsi de nombreuses ractions en chane. On ne
doit pas ngliger non plus le fait que tant d'hommes pousss par
diverses raisons migrer, sont amens changer de mode de vie. En
somme, les relations de l'homme avec ses semblables se multiplient
sans cesse, tandis que la "socialisation" elle- mme entrane son
tour de nouveaux liens, sans favoriser toujours pour autant, comme
il le faudrait, le plein dveloppement de la personne et des
relations vraiment personnelles, c'est--dire la "personnalisation".
En vrit, cette volution se manifeste surtout dans les nations qui
bnficient dj des avantages du progrs conomique et technique; mais
elle est aussi l'oeuvre chez les peuples en voie de dveloppement
qui souhaitent procurer leurs pays les bienfaits de
l'industrialisation et de l'urbanisation. Ces peuples, surtout
s'ils sont attachs des traditions plus anciennes, ressentent en mme
temps le besoin d'exercer leur libert d'une faon plus adulte et
plus personnelle.
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Tous ces changements provoquent de multiples remises en causes,
surtout chez les jeunes Quelques annes avant mai 68, les Pres du
Concile sont conscients des bouleversements venir. Les mentalits et
valeurs anciennes semblent dpasses, en particulier en ce qui
concerne la religion ; celle-ci, dans un sens, peut tre purifie par
un sain esprit critique, mais aussi beaucoup de gens sen cartent.
Changements psychologiques, moraux, religieux 7 La transformation
des mentalits et des structures conduit souvent une remise en
question des valeurs reues, tout particulirement chez les jeunes:
frquemment, ils ne supportent pas leur tat; bien plus, l'inquitude
en fait des rvolts, tandis que, conscients de leur importance dans
la vie sociale, ils dsirent y prendre au plus tt leurs
responsabilits. C'est pourquoi il n'est pas rare que parents et
ducateurs prouvent des difficults croissantes dans
l'accomplissement de leur tche. Les cadres de vie, les lois, les
faons de penser et de sentir hrits du pass ne paraissent pas
toujours adapts l'tat actuel des choses: d'o le dsarroi du
comportement et mme des rgles de conduite. Les conditions nouvelles
affectent enfin la vie religieuse elle-mme. D'une part, l'essor de
l'esprit critique la purifie d'une conception magique du monde et
des survivances superstitieuses, et exige une adhsion de plus en
plus personnelle et active la foi, nombreux sont ainsi ceux qui
parviennent un sens plus vivant de Dieu. D'autre part, des
multitudes sans cesse plus denses s'loignent en pratique de la
religion. Refuser Dieu ou la religion, ne pas s'en soucier, n'est
plus, comme en d'autres temps, un fait exceptionnel, lot de
quelques individus: aujourd'hui en effet on prsente volontiers un
tel comportement comme une exigence du progrs scientifique ou de
quelque nouvel humanisme. En de nombreuses rgions, cette ngation ou
cette indiffrence ne s'expriment pas seulement au niveau
philosophique; elles affectent aussi, et trs largement, la
littrature, l'art, l'interprtation des sciences humaines et de
l'histoire, la lgislation elle-mme: d'o le dsarroi d'un grand
nombre.
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Sous le choc de ces volutions se multiplient les contradictions
et les tensions au niveau de la personne, de la famille et des
groupes sociaux de toutes dimensions... - Les dsquilibres du monde
moderne 8 Une volution aussi rapide, accomplie souvent sans ordre
et, plus encore, la prise de conscience de plus en plus aigu des
cartlements dont souffre le monde, engendrent ou accroissent
contradictions et dsquilibres. Au niveau de la personne elle-mme,
un dsquilibre se fait assez souvent jour entre l'intelligence
pratique moderne et une pense spculative qui ne parvient pas
dominer la somme de ses connaissances ni les ordonner en des
synthses satisfaisantes. Dsquilibre galement entre la proccupation
de l'efficacit concrte et les exigences de la conscience morale,
et, non moins frquemment, entre les conditions collectives de
l'existence et les requtes d'une pense personnelle, et aussi, de la
contemplation. Dsquilibre enfin entre la spcialisation de l'activit
humaine et une vue gnrale des choses. Tensions au sein de la
famille, dues soit la pesanteur des conditions dmographiques,
conomiques et sociales, soit aux conflits des gnrations
successives, soit aux nouveaux rapports sociaux qui s'tablissent
entre hommes et femmes. D'importants dsquilibres naissent aussi
entre les races, entre les diverses catgories sociales, entre pays
riches, moins riches et pauvres; enfin entre les institutions
internationales nes de l'aspiration des peuples la paix et les
propagandes idologiques ou les gosmes collectifs qui se manifestent
au sein des nations et des autres groupes. Dfiances et inimitis
mutuelles, conflits et calamits s'ensuivent, dont l'homme lui-mme
est la fois cause et victime.
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Nouveaut remarquable et trs positive (cela fait partie des
signes des temps dj reprs par Jean XXIII dans lencyclique Mater et
Magistra ), les mentalits se transforment. On voit grandir
l'aspiration un ordre politique, social et conomique qui soit au
service de l'homme, sous la forme de revendications face aux
injustices. Les groupes lss : peuples du Tiers Monde, femmes,
travailleurs... rclament partage, galit, indpendance, conditions de
vie plus humaines. Les aspirations de plus en plus universelles du
genre humain 9 Pendant ce temps, la conviction grandit que le genre
humain peut et doit non seulement renforcer sans cesse sa matrise
sur la cration, mais qu'il peut et doit en outre instituer un ordre
politique, social et conomique qui soit toujours plus au service de
l'homme, et qui permette chacun, chaque groupe, d'affirmer sa
dignit propre et de la dvelopper. D'o les pres revendications d'un
grand nombre qui, prenant nettement conscience des injustices et de
l'ingalit de la distribution des biens, s'estiment lss. Les nations
en voie de dveloppement, comme celles qui furent rcemment promues
l'indpendance, veulent participer aux bienfaits de la civilisation
moderne tant au plan conomique qu'au plan politique, et jouer
librement leur rle sur la scne du monde. Et pourtant, entre ces
nations et les autres nations plus riches, dont le dveloppement est
plus rapide, l'cart ne fait que crotre, et, en mme temps, trs
souvent, la dpendance, y compris la dpendance conomique. Les
peuples de la faim interpellent les peuples de l'opulence. Les
femmes, l o elles ne l'ont pas encore obtenue, rclament la parit de
droit et de fait avec les hommes. Les travailleurs, ouvriers et
paysans, veulent non seulement gagner leur vie, mais dvelopper leur
personnalit par leur travail, mieux, participer l'organisation de
la vie conomique, sociale, politique et culturelle. Pour la premire
fois dans l'histoire, l'humanit entire n'hsite plus penser que les
bienfaits de la civilisation peuvent et doivent rellement s'tendre
tous les peuples. Mais sous toutes ces revendications se cache une
aspiration plus profonde et plus universelle: les personnes et les
groupes ont soif d'une vie pleine et libre, d'une vie digne de
l'homme, qui mette leur propre service toutes les immenses
possibilits que leur offre le monde actuel. Quant aux nations,
elles ne cessent d'accomplir de courageux efforts pour parvenir une
certaine forme de communaut universelle. Ainsi le monde moderne
apparat la fois comme puissant et faible, capable du meilleur et du
pire, et le chemin s'ouvre devant lui de la libert ou de la
servitude, du progrs ou de la rgression, de la fraternit ou de la
haine. D'autre part, l'homme prend conscience que de lui dpend la
bonne orientation des forces qu'il a mises en mouvement et qui
peuvent l'craser ou le servir. C'est pourquoi il s'interroge
lui-mme.
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Pour l'Eglise, la cause de ces tensions est dans le cur de
l'homme : faible et pcheur / aspirant une vie suprieure. Devant ces
volutions, beaucoup d'hommes (pas tous: certains, pour diverses
raisons, passent cot de la question) s'interrogent sur le sens de
la vie humaine. Pour les chrtiens, la rponse est dans le CHRIST. Il
est la cl, le centre et la fin de toute histoire humaine, lumire
sur lhomme parce qu Image de Dieu. Chacun des chapitres de la
premire partie de Gaudium et Spes va ainsi aboutir une
contemplation de Jsus. Les interrogations profondes du genre humain
10 En vrit, les dsquilibres qui travaillent le monde moderne sont
lis un dsquilibre plus fondamental qui prend racine dans le coeur
mme de l'homme. C'est en l'homme lui-mme, en effet, que de nombreux
lments se combattent. D'une part, comme crature, il fait
l'exprience de ses multiples limites; d'autre part, il se sent
illimit dans ses dsirs et appel une vie suprieure. Sollicit de tant
de faons, il est sans cesse contraint de choisir et de renoncer.
Pire: faible et pcheur, il accomplit souvent ce qu'il ne veut pas
et n'accomplir point ce qu'il voudrait. En somme, c'est en lui-mme
qu'il souffre division, et c'est de l que naissent au sein de la
socit tant et de si grandes discordes. Beaucoup, il est vrai, dont
la vie est imprgne de matrialisme pratique, sont dtourns par l
d'une claire perception de cette situation dramatique; ou bien,
accabls par la misre, ils se trouvent empchs d'y prter attention.
D'autres, en grand nombre, pensent trouver leur tranquillit dans
les diverses explications du monde qui leur sont proposes. Certains
attendent du seul effort de l'homme la libration vritable et plnire
du genre humain et ils se persuadent que le rgne venir de l'homme
sur la terre comblera tous les voeux de son coeur. Il en est
d'autres qui, dsesprant du sens de la vie, exaltent les audacieux
qui, jugeant l'existence humaine dnue par elle-mme de toute
signification, tentent de lui donner, par leur seule inspiration,
toute sa signification. Nanmoins, le nombre crot de ceux qui, face
l'volution prsente du monde, se posent les questions les plus
fondamentales ou les peroivent avec une acuit nouvelle. Qu'est-ce
que l'homme ? Que signifient la souffrance, le mal, la mort, qui
subsistent malgr tant de progrs ? A qui bon ces victoires payes
d'un si grand prix ? Que peut apporter l'homme la socit ? Que
peut-il en attendre ? Qu'adviendra-t-il aprs cette vie ? L'Eglise,
quant elle, croit que le Christ, mort et ressuscit pour tous, offre
l'homme, par son Esprit, lumire et forces pour lui permettre de
rpondre sa trs haute vocation. Elle croit qu'il n'est pas sous le
ciel d'autre nom donn aux hommes par lequel ils doivent tre sauvs.
Elle croit aussi que la cl, le centre et la fin de toute histoire
humaine se trouve en son Seigneur et Matre. Elle affirme en outre
que, sous tous les changements, bien des choses demeurent qui ont
leur fondement ultime dans le Christ, le mme hier, aujourd'hui et
jamais. C'est pourquoi, sous la lumire du Christ, image du Dieu
invisible, premier-n de toute crature, le Concile se propose de
s'adresser tous, pour clairer le mystre de l'homme et pour aider le
genre humain dcouvrir la solution des problmes majeurs de notre
temps.
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PREMIERE PARTIE L'EGLISE ET LA VOCATION HUMAINE
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Ce paragraphe indique lesprit de lensemble de lexpos. Il sagit,
comme dj annonc au N 4, de discerner les signes des temps. Quest-ce
que ces signes des temps ? Le P. Chenu les dfinissait ainsi : des
phnomnes qui par leur gnralisation et leur grande frquence
caractrisent une poque, et par lesquels sexpriment les besoins et
les aspirations de lhumanit prsente. Le Concile affirmera au N 26
que LEsprit de Dieu, qui par une providence admirable conduit le
cours des temps et rnove la face de la terre, est prsent cette
volution (malgr les rticences dun certain nombre dvques qui
trouvaient lexpression trop darwinienne !) Rpondre aux appels de
l'Esprit 11 M par la foi, se sachant conduit par l'Esprit du
Seigneur qui remplit l'univers, le peuple de Dieu s'efforce de
discerner dans les vnements, les exigences et les requtes de notre
temps, auxquels il participe avec les autres hommes, quels sont les
signes vritables de la prsence ou du dessein de Dieu. La foi, en
effet, claire toutes choses d'une lumire nouvelle et nous fait
connatre la volont divine sur la vocation intgrale de l'homme,
orientant ainsi l'esprit vers, des solutions pleinement humaines.
Le Concile se propose avant tout de juger cette lumire les valeurs
les plus prises par nos contemporains et de les relier leur source
divine. Car ces valeurs, dans la mesure o elles procdent du gnie
humain, qui est un don de Dieu, sont fort bonnes; mais il n'est pas
rare que la corruption du coeur humain les dtourne de l'ordre
requis: c'est pourquoi elles ont besoin d'tre purifies. Que pense
l'Eglise de l'homme ? Quelles orientations semblent devoir tre
proposes pour l'dification de la socit contemporaine ? Quelle
signification dernire donner l'activit de l'homme dans l'univers ?
Ces questions rclament une rponse. La rciprocit des services que
sont appels se rendre le peuple de Dieu et le genre humain, dans
lequel ce peuple est insr, apparatra alors avec plus de nettet:
ainsi se manifestera le caractre religieux et, par le fait mme,
souverainement humain de la mission de l'Eglise.
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CHAPITRE PREMIER LA DIGNITE DE LA PERSONNE HUMAINE Ce chapitre
et les deux suivants dessinent toute une image de lhomme (une
anthropologie). Trois dimensions de ltre humain vont apparaitre, et
lordre dans lequel elles vont apparaitre est fort important :
1.Lhomme comme personne. 2.Lhomme comme tre communautaire. 3.Lhomme
considr dans son action.
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Tous s'accordent aujourd'hui reconnatre l'homme comme centre et
sommet de l'univers ; mais Qu'est-ce--que l'homme? La rvlation
rpond : Ds sa cration, ltre humain est image de Dieu, seigneur et
non pas esclave, tre fait pour la relation. L'homme l'image de Dieu
12 Croyants et incroyants sont gnralement d'accord sur ce point:
tout sur terre doit tre ordonn l'homme comme son centre et son
sommet. Mais qu'est-ce que l'homme ? Sur lui-mme, il a propos et
propose encore des opinions multiples, diverses et mmes opposes,
suivant lesquelles, souvent, ou bien il s'exalte lui-mme comme une
norme absolue, ou bien il se rabaisse jusqu'au dsespoir: d'o ses
doutes et ses angoisses. Ces difficults, l'Eglise les ressent fond,
instruite par la Rvlation divine, elle peut y apporter une rponse,
o se trouve dessine la condition vritable de l'homme, o sont mises
au clair ses faiblesses, mais o peuvent en mme temps tre justement
reconnues sa dignit et sa vocation. La Bible, en effet, enseigne
que l'homme a t cr " l'image de Dieu", capable de connatre et
d'aimer son Crateur, qu'il a t constitu seigneur de toutes les
cratures terrestres pour les dominer et pour s'en servir, en
glorifiant Dieu. "Qu'est-ce donc l'homme, pour que tu te souviennes
de lui ? ou le fils de l'homme pour que tu te soucies de lui ? A
peine le fis-tu moindre qu'un dieu, le couronnant de gloire et de
splendeur: tu l'tablis sur l'oeuvre de tes mains, tout fut mis par
toi sous ses pieds" (Ps 8,5-7). Mais Dieu n'a pas cr l'homme
solitaire: ds l'origine, "il les cra homme et femme" (Gn 1,27).
Cette socit de l'homme et de la femme est l'expression premire de
la communion des personnes. Car l'homme, de par sa nature profonde,
est un tre social, et, sans relations avec autrui, il ne peut vivre
ni panouir ses qualits. C'est pourquoi Dieu, lisons-nous encore
dans le Bible, "regarda tout ce qu'il avait fait et le jugea trs
bon" (Gn 1,31).
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Le pch, rupture avec Dieu, a provoqu une rupture dans l'homme
et entre les hommes, entranant un esclavage que le Seigneur lui-mme
est venu abolir. (Dans chacun des N' 14 17, on retrouvera le mme
mouvement : - un aspect de la dignit humaine - les dommages causs
par le pch - lappel retrouver la dignit premire). Le pch 13 Etabli
par Dieu dans un tat de justice, l'homme, sduit par le Malin, ds le
dbut de l'histoire, a abus de sa libert, en se dressant contre Dieu
et en dsirant parvenir sa fin hors de Dieu. Ayant connu Dieu, "ils
ne lui ont pas rendu gloire comme un Dieu (...) mais leur coeur
inintelligent s'est entnbr", et ils ont servi la crature de
prfrence au Crateur. Ce que la Rvlation divine nous dcouvre ainsi,
notre propre exprience le confirme. Car l'homme, s'il regarde
au-dedans de son coeur, se dcouvre enclin aussi au mal, submerg de
multiples maux qui ne peuvent provenir de son Crateur, qui est bon.
Refusant souvent de reconnatre Dieu comme son principe, l'homme a,
par le fait mme, bris l'ordre qui l'orientait sa fin dernire, et,
en mme temps, il a rompu toute harmonie, soit par rapport lui-mme,
soit par rapport aux autres hommes et toute la cration. C'est donc
en lui-mme que l'homme est divis. Voici que toute la vie des
hommes, individuelle et collective, se manifeste comme une lutte,
combien dramatique, entre le bien et le mal, entre la lumire et les
tnbres. Bien plus, voici que l'homme se dcouvre incapable par
lui-mme de vaincre effectivement les assauts du mal; et ainsi
chacun se sent comme charg de chanes. Mais le Seigneur en personne
est venu pour restaurer l'homme dans sa libert et sa force, le
rnovant intrieurement et jetant dehors le prince de ce monde (cf.
Jn 12,31), qui le retenait dans l'esclavage du pch. Quant au pch,
il amoindrit l'homme lui-mme en l'empchant d'atteindre sa plnitude.
Dans la lumire de cette Rvlation, la sublimit de la vocation
humaine, comme la profonde misre de l'homme, dont tous font
l'exprience, trouvent leur signification ultime.
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L'homme est constitu "corps et me, mais vraiment un". Il lui
faut donc d'une part respecter son corps et d'autre part reconnatre
en lui-mme un tre spirituel et libre qui dpasse l'univers matriel.
La grandeur de l'intelligence humaine est reconnaissable dans les
progrs de toutes les sciences, mais surtout en ce qu'elle tend vers
la sagesse. Constitution de l'homme 14 Corps et me, mais vraiment
un, l'homme est, dans sa condition corporelle mme, un rsum de
l'univers des choses qui trouvent ainsi, en lui, leur sommet, et
peuvent librement louer leur Crateur. Il est donc interdit l'homme
de ddaigner la vie corporelle. Mais, au contraire, il doit estimer
et respecter son corps qui a t cr par Dieu et qui doit ressusciter
au dernier jour. Toutefois, bless par le pch, il ressent en lui les
rvoltes du corps. C'est donc la dignit mme de l'homme qui exige de
lui qu'il glorifie Dieu dans son corps, sans le laisser asservir
aux mauvais penchants de son coeur. En vrit, l'homme ne se trompe
pas lorsqu'il se reconnat suprieur aux lments matriels et qu'il se
considre comme irrductible, soit une simple parcelle de la nature,
soit un lment anonyme de la cit humaine. Par son intriorit, il
dpasse en effet l'univers des choses: c'est ces profondeurs qu'il
revient lorsqu'il fait retour en lui- mme o l'attend ce Dieu qui
scrute les coeurs et o il dcide personnellement de son propre sort
sous le regard de Dieu. Ainsi, lorsqu'il reconnat en lui une me
spirituelle et immortelle, il n'est pas le jouet d'une cration
imaginaire qui s'expliquerait seulement par les conditions
physiques et sociales, bien au contraire, il atteint le trfonds mme
de la ralit. Dignit de l'intelligence, vrit et sagesse 15
Participant la lumire de l'intelligence divine, l'homme a raison de
penser que, par sa propre intelligence, il dpasse l'univers des
choses. Sans doute son gnie au long des sicles, par une application
laborieuse, a fait progresser les sciences empiriques, les
techniques et les arts libraux. De nos jours il a obtenu des
victoires hors pair, notamment dans la dcouverte et la conqute du
monde matriel. Toujours cependant il a cherch et trouv une vrit
plus profonde. Car l'intelligence ne se borne pas aux seuls
phnomnes; elle est capable d'atteindre, avec une authentique
certitude, la ralit intelligible, en dpit de la part d'obscurit et
de faiblesse que laisse en elle le pch. Enfin, la nature
intelligente de la personne trouve et doit trouver sa perfection
dans la sagesse. Celle-ci attire avec force et douceur l'esprit de
l'homme vers la recherche et l'amour du vrai et du bien; l'homme
qui s'en nourrir est conduit du monde visible l'invisible. Plus que
toute autre, notre poque a besoin d'une telle sagesse, pour
humaniser ses propres dcouvertes, quelles qu'elles soient. L'avenir
du monde serait en pril si elle ne savait pas se donner des sages.
Pourquoi ne pas ajouter cette remarque: de nombreux pays, pauvres
en biens matriels, mais riches en sagesse, pourront puissamment
aider les autres sur ce point. Par le don de l'Esprit, l'homme
parvient, dans la foi, contempler et goter le mystre de la volont
divine.
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La conscience morale est "le sanctuaire o l'homme est seul avec
Dieu et o sa voix se fait entendre. Mais cette conscience a besoin
dtre informe et forme. La libert est une valeur bon droit estime
par nos contemporains. Elle trouve son sens vritable quand elle
s'exprime dans des choix conscients, dgags des servitudes
extrieures, tendant vers le bien, et, avec l'aide de la grce,
ordonns Dieu. Dignit de la conscience morale 16 Au fond de sa
conscience, l'homme dcouvre la prsence d'une loi qu'il ne s'est pas
donne lui-mme, mais laquelle il est tenu d'obir. Cette voix, qui ne
cesse de le presser d'aimer et d'accomplir le bien et d'viter le
mal, au moment opportun rsonne dans l'intimit de son coeur: "Fais
ceci, vite cela". Car c'est une loi inscrite par Dieu au coeur de
l'homme; sa dignit est de lui obir, et c'est elle qui le jugera. La
conscience est le centre le plus secret de l'homme, le sanctuaire o
il est seul avec Dieu et o sa voix se fait entendre. C'est d'une
manire admirable que se dcouvre la conscience cette loi qui
s'accomplit dans l'amour de Dieu et du prochain. Par fidlit la
conscience, les chrtiens, unis aux autres hommes, doivent chercher
ensemble la vrit et la solution juste de tant de problmes moraux
que soulvent aussi bien la vie prive que la vie sociale. Plus la
conscience droite l'emporte, plus les personnes et les groupes
s'loignent d'une dcision aveugle et tendent se conformer aux normes
objectives de la moralit. Toutefois, il arrive souvent que la
conscience s'gare, par suite d'une ignorance invincible, sans
perdre pour autant sa dignit. Ce que l'on ne peut dire lorsque
l'homme se soucie peu de rechercher le vrai et le bien et lorsque
l'habitude du pch rend peu peu sa conscience presque aveugle.
Grandeur de la libert 17 Mais c'est toujours librement que l'homme
se tourne vers le bien. Cette libert, nos contemporains l'estiment
grandement et ils la poursuivent avec ardeur. Et ils ont raison.
Souvent cependant ils la chrissent d'une manire qui n'est pas
droite, comme la licence de faire n'importe quoi, pourvu que cela
plaise, mme le mal. Mais la vraie libert est en l'homme un signe
privilgi de l'image divine. Car Dieu a voulu le laisser son propre
conseil pour qu'il puisse de lui-mme chercher son Crateur et, en
adhrant librement lui, s'achever ainsi dans une bienheureuse
plnitude. La dignit de l'homme exige donc de lui qu'il agisse selon
un choix conscient et libre, m et dtermin par une conviction
personnelle et non sous le seul effet de pousses instinctives ou
d'une contrainte extrieure. L'homme parvient cette dignit lorsque,
se dlivrant de toute servitude des passions, par le choix libre du
bien, il marche vers sa destine et prend soin de s'en procurer
rellement les moyens par son ingniosit. Ce n'est toutefois que par
le secours de la grce divine que la libert humaine, blesses par le
pch, peut s'ordonner Dieu d'une manire effective et intgrale. Et
chacun devra rendre compote de sa propre vie devant le tribunal de
Dieu, selon le bien ou le mal accomplis.
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La mort pose de faon radicale et incontournable la question du
sens de la vie humaine. L'homme rejette juste titre cette
perspective de sa propre destruction. L'Eglise trouve dans la
rsurrection de Jsus la certitude que la mort est vaincue ainsi que
l'esprance de la communion avec Dieu. Le mystre de la mort 18 C'est
en face de la mort que l'nigme de la condition humaine atteint son
sommet. L'homme n'est pas seulement tourment par la souffrance et
la dchance progressive de son corps, mais plus encore, par la peur
d'une destruction dfinitive. Et c'est par une inspiration juste de
son coeur qu'il rejette et refuse cette ruine totale et ce dfinitif
chec de sa personne. Le germe d'ternit qu'il porte en lui,
irrductible la seule matire, s'insurge contre la mort. Toutes les
tentatives de la technique, si utiles qu'elles soient, sont
impuissantes calmer son anxit: car le prolongement de la vie que la
biologie procure ne peut satisfaire ce dsir d'une vie ultrieure,
invinciblement ancr dans son coeur. Mais si toute imagination ici
dfaille, l'Eglise, instruite par la Rvlation divine, affirme que
Dieu a cr l'homme en vue d'une fin bienheureuse, au-del des misres
du temps prsent. De plus, la foi chrtienne enseigne que cette mort
corporelle, laquelle l'homme aurait t soustrait s'il n'avait pas
pch, sera un jour vaincue, lorsque le salut, perdu par la faute de
l'homme, lui sera rendu par son tout-puissant et misricordieux
Sauveur. Car Dieu a appel et appelle l'homme adhrer lui de tout son
tre, dans la communion ternelle d'une vie divine inaltrable. Cette
victoire, le Christ l'a acquise en ressuscitant, librant l'homme de
la mort par sa propre mort. A partir des titres srieux qu'elle
offre l'examen de tout homme, la foi est ainsi en mesure de rpondre
son interrogation angoisse sur son propre avenir. Elle nous offre
en mme temps la possibilit d'une communion dans le Christ avec nos
frres bien-aims qui sont dj morts, en nous donnant l'esprance
qu'ils ont trouv prs de Dieu la vritable vie.
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Beaucoup de personnes nient larelation intime de l'homme Dieu,
son origine et son but. Le Concile numre ici les diffrentes formes
de l'athisme contemporain. De cet athisme, tous, incroyants et
croyants (dont les chrtiens) portent une part de responsabilit.
Formes et racines de l'athisme 19 L'aspect le plus sublime de la
dignit humaine se trouve dans cette vocation de l'homme communier
avec Dieu. Cette invitation que Dieu adresse l'homme de dialoguer
avec Lui commence avec l'existence humaine. Car, si l'homme existe,
c'est que Dieu l'a cr par amour et, par amour, ne cesse de lui
donner l'tre; et l'homme ne vit pleinement selon la vrit que s'il
reconnat librement cet amour et s'abandonne son Crateur. Mais
beaucoup de nos contemporains ne peroivent pas du tout ou mme
rejettent explicitement le rapport intime et vital qui unit l'homme
Dieu: tel point que l'athisme compte parmi les faits les plus
graves de ce temps et doit tre soumis un examen trs attentif. On
dsigne sous le nom d'athisme des phnomnes entre eux trs divers. En
effet, tandis que certains athes nient Dieu expressment, d'autres
pensent que l'homme ne peut absolument rien affirmer de lui.
D'autres encore traitent le problme de Dieu de telle faon que ce
problme semble dnu de sens. Beaucoup outrepassant indment les
limites des sciences positives, ou bien prtendent que la seule
raison scientifique explique tout, ou bien, l'inverse, ne
reconnaissent comme dfinitive absolument aucune vrit. Certains font
un tel cas de l'homme que la foi en Dieu s'en trouve comme nerve,
plus proccups qu'ils sont, semble- t-il, d'affirmer l'homme que de
nier Dieu. D'autres se reprsentent Dieu sous un jour tel que, en le
repoussant, ils refusent un Dieu qui n'est en aucune faon celui de
l'Evangile. D'autres n'abordent mme pas le problme de Dieu: ils
paraissent trangers toute inquitude religieuse et ne voient pas
pourquoi ils se soucieraient encore de religion. L'athisme, en
outre, nat souvent, soit d'une protestation rvolte contre le mal
dans le monde, soit du fait que l'on attribue tort certains idaux
humains un tel caractre d'absolu qu'on en vient les prendre pour
Dieu. La civilisation moderne elle-mme, non certes par son essence
mme, mais parce qu'elle se trouve trop engage dans les ralits
terrestres, peut rendre souvent plus difficile l'approche de Dieu.
Certes, ceux qui dlibrment s'efforcent d'liminer Dieu de leur coeur
et d'carter les problmes religieux, en ne suivant pas le "dictamen"
de leur conscience, ne sont pas exempts de faute. Mais les croyants
eux-mmes portent souvent cet gard une certaine responsabilit. Car
l'athisme, considr dans son ensemble, ne trouve pas son origine en
lui-mme; il la trouve en diverses causes, parmi lesquelles il faut
compter une raction critique en face des religions et spcialement,
en certaines rgions, en face de la religion chrtienne. C'est
pourquoi, dans cette gense de l'athisme, les croyants peuvent avoir
une part qui n'est pas mince, dans la mesure o, par la ngligence
dans l'ducation de leur foi, par des prsentations trompeuses de la
doctrine et aussi par des dfaillances de leur vie religieuse,
morale et sociale, on peut dire d'eux qu'ils voilent l'authentique
visage de Dieu et de la religion plus qu'ils ne le rvlent.
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On note en particulier deux formes d'athisme systmatique : 1)
Une ide de la libert humaine qui exclut la dpendance l'gard de Dieu
(cf. lexistentialisme) ; 2) Une ide de la libration conomique et
sociale pour laquelle la religion serait un obstacle (cf. le
marxisme). Rponse de lEglise devant lathisme (cf. diapo suivante)
L'athisme systmatique 20 Souvent l'athisme moderne prsente aussi
une forme systmatique, qui, abstraction faite des autres causes,
pousse le dsir d'autonomie humaine un point tel qu'il fait obstacle
toute dpendance l'gard de Dieu. Ceux qui professent un athisme de
cette sorte soutiennent que la libert consiste en ceci que l'homme
est pour lui-mme sa propre fin, le seul artisan et le dmiurge de sa
propre histoire. Ils prtendent que cette vue des choses est
incompatible avec la reconnaissance d'un Seigneur, auteur et fin de
toutes choses ou, au moins, qu'elle rend cette affirmation tout
fait superflue. Cette doctrine peut se trouver renforce par le
sentiment de puissance que le progrs technique actuel confre
l'homme. Parmi les formes de l'athisme contemporain, on ne doit pas
passer sous silence celle qui attend la libration de l'homme
surtout de sa libration conomique et sociale. A cette libration
s'opposerait, par sa nature mme, la religion, dans la mesure, o,
rigeant l'esprance de l'homme sur le mirage d'une vie future, elle
le dtournerait d'difier la cit terrestre. C'est pourquoi les
tenants d'une telle doctrine, l o ils deviennent les matres du
pouvoir, attaquent la religion avec violence, utilisant pour la
diffusion de l'athisme, surtout en ce qui regarde l'ducation de la
jeunesse, tous les moyens de pression dont le pouvoir public
dispose. L'attitude de l'Eglise en face de l'athisme 21 L'Eglise,
fidle la fois Dieu et l'homme, ne peut cesser de rprouver avec
douleur et avec la plus grande fermet, comme elle l'a fait dans le
pass, ces doctrines et ces manires de faire funestes qui
contredisent la raison et l'exprience commune et font dchoir
l'homme de sa noblesse native. Elle s'efforce cependant de saisir
dans l'esprit des athes les causes caches de la ngation de Dieu et,
bien consciente de la gravit des problmes que l'athisme soulve,
pousse par son amour pour tous les hommes, elle estime qu'il lui
faut soumettre ces motifs un examen srieux et approfondi. L'Eglise
tient que la reconnaissance de Dieu ne s'oppose en aucune faon la
dignit de l'homme, puisque cette dignit trouve en Dieu lui-mme ce
qui la fonde et ce qui l'achve. Car l'homme a t tabli en socit,
intelligent et libre, par Dieu son Crateur. Mais surtout, comme
fils, il est appel l'intimit mme de Dieu et au partage de son
propre bonheur. L'Eglise enseigne, en outre, que l'esprance
eschatologique ne diminue pas l'importance des tches terrestres,
mais en soutient bien plutt l'accomplissement par de nouveaux
motifs.
Page 22
Devant l'athisme, l'Eglise : - dit sa dsapprobation mais essaie
de comprendre ; - affirme que la reconnaissance de Dieu augmente le
sens de la dignit humaine (au lieu de la nier) et quelle encourage
l'homme agir pour un monde plus humain (au lieu de len dtourner) ;
- incite les chrtiens donner un juste tmoignage de la foi, par la
parole et par laction, - invite tous les hommes, croyants et
incroyants, travailler ensemble la construction du monde, dans un
esprit de respect mutuel et de dialogue. A l'oppos, lorsque
manquent le support divin et l'esprance de la vie ternelle, la
dignit de l'homme subit une trs grave blessure, comme on le voit
souvent aujourd'hui, et l'nigme de la vie et de la mort, de la
faute et de la souffrance reste sans solution: ainsi, trop souvent,
les hommes s'abment dans le dsespoir. Pendant ce temps, tout homme
demeure ses propres yeux une question insoluble qu'il peroit
confusment. A certaines heures, en effet, principalement l'occasion
des grands vnements de la vie, personne ne peut totalement viter ce
genre d'interrogation. Dieu seul peut pleinement y rpondre et d'une
manire irrcusable, lui qui nous invite une rflexion plus profonde
et une recherche plus humble. Quant au remde l'athisme, on doit
l'attendre d'une part d'une prsentation adquate de la doctrine,
d'autre part de la puret de vie de l'Eglise et de ses membres.
C'est l'Eglise qu'il revient en effet de rendre prsents et comme
visibles Dieu le Pre et son Fils incarn, en se renouvelant et en se
purifiant sans cesse, sous la conduite de l'Esprit-Saint. Il y faut
surtout le tmoignage d'une foi vivante et adulte, c'est--dire d'une
foi forme reconnatre lucidement les difficults et capable de les
surmonter. D'une telle foi, de trs nombreux martyrs ont rendu et
continuent de rendre un clatant tmoignage. Sa fcondit doit se
manifester en pntrant toute la vie des croyants, y compris leur vie
profane, et en les entranant la justice et l'amour, surtout au
bnfice des dshrits. Enfin ce qui contribue le plus rvler la prsence
de Dieu, c'est l'amour fraternel des fidles qui travaillent d'un
coeur unanime pour la foi de l'Evangile et qui se prsentent comme
un signe d'unit. L'Eglise, tout en rejetant absolument l'athisme,
proclame toutefois, sans arrire-pense, que tous les hommes,
croyants et incroyants, doivent s'appliquer la juste construction
de ce monde, dans lequel ils vivent ensemble: ce qui, assurment,
n'est possible que par un dialogue loyal et prudent. L'Eglise
dplore donc les diffrences de traitements que certaines autorits
civiles tablissent injustement entre croyants et incroyants, au
mpris des droits fondamentaux de la personne. Pour les croyants,
elle rclame la libert effective et la possibilit d'lever aussi dans
ce monde le temple de Dieu. Quant aux athes, elle les invite avec
humanit examiner en toute objectivit l'Evangile du Christ. Car
l'Eglise sait parfaitement que son message est en accord avec le
fond secret du coeur humain quand elle dfend la dignit de la
vocation de l'homme, et rend ainsi l'espoir ceux qui n'osent plus
croire la grandeur de leur destin. Ce message, loin de diminuer
l'homme, sert son progrs en rpandant lumire, vie et libert et, en
dehors de lui, rien ne peut combler le coeur humain:"Tu nous as
faits pour toi, Seigneur "et notre coeur ne connat aucun rpit
jusqu' ce qu'il trouve son repos en toi".
Page 23
Le Christ nous rvle, non seulement qui est Dieu, mais aussi qui
est l'homme. Dans son incarnation la nature humaine est assume
(cest--dire prise tout entire et non amoindrie) et restaure comme
image de Dieu. Par la croix il nous rconcilie avec Dieu et nous
libre. Par sa glorification et le don de l'Esprit il nous vivifie.
Le Christ, homme nouveau 22 En ralit, le mystre de l'homme ne
s'claire vraiment que dans le mystre du Verbe incarn. Adam, en
effet, le premier homme, tait la figure de celui qui devait venir,
le Christ Seigneur. Nouvel Adam, le Christ, dans la rvlation mme du
mystre du Pre et de son amour, manifeste pleinement l'homme lui-mme
et lui dcouvre la sublimit de sa vocation. Il n'est donc pas
surprenant que les vrits ci-dessus trouvent en lui leur source et
atteignent en lui leur point culminant. "Image du Dieu invisible" (
Col 1,15 ), il est l'homme parfait qui a restaur dans la
descendance d'Adam la ressemblance divine, altre ds le premier pch.
Parce qu'en lui la nature humaine a t assume, non absorbe, par le
fait mme, cette nature a t leve en nous aussi une dignit sans gale.
Car, par son incarnation, le Fils de Dieu s'est en quelque sorte
uni lui-mme tout homme. Il a travaill avec des mains d'homme, il a
pens avec une intelligence d'homme, il a agi avec une volont
d'homme, il a aim avec un coeur d'homme. N de la Vierge Marie, il
est vraiment devenu l'un de nous, en tout semblable nous, hormis le
pch. Agneau innocent, par son sang librement rpandu, il nous a mrit
la vie; et, en lui, Dieu nous a rconcilis avec lui- mme et entre
nous, nous arrachant l'esclavage du diable et du pch. En sorte que
chacun de nous peut dire avec l'Aptre: le Fils de Dieu "m'a aim et
il s'est livr lui-mme pour moi" ( Ga 2,20 ). En souffrant pour
nous, il ne nous a pas simplement donn l'exemple, afin que nous
marchions sur ses pas, mais il a ouvert une route nouvelle: si nous
la suivons, la vie et la mort deviennent saintes et acquirent un
sens nouveau. Devenu conforme l'image du Fils, premier-n d'une
multitude de frres, le chrtien reoit "les prmices de l'Esprit" ( Rm
8,23 ), qui le rendent capable d'accomplir la loi nouvelle de
l'amour. Par cet Esprit, "gage de l'hritage" ( Ep 1,14 ), c'est
tout l'homme qui est intrieurement renouvel, dans l'attente de "la
Rdemption du corps" ( Rm 8,23 ): "Si l'Esprit de celui qui a
ressuscit Jsus d'entre les morts demeure en vous, celui qui a
ressuscit Jsus-Christ d'entre les morts donnera aussi la vie vos
corps mortels, par son Esprit qui habite en vous ( Rm 8,11 ).
Certes, pour un chrtien, c'est une ncessit et un devoir de
combattre le mal au prix de nombreuses tribulations et de subir la
mort. Mais, associ au mystre pascal, devenant conforme au Christ
dans la mort, fortifi par l'esprance, il va au-devant de la
rsurrection. Et cela ne vaut pas seulement pour ceux qui croient au
Christ, mais bien pour tous les hommes de bonne volont, dans le
coeur desquels, invisiblement, agit la grce. En effet, puisque le
Christ est mort pour tous et que la vocation dernire de l'homme est
rellement unique, savoir divine, nous devons tenir que l'Esprit
Saint offre tous, d'une faon que Dieu connat, la possibilit d'tre
associ au mystre pascal. Telle est la qualit et la grandeur du
mystre de l'homme, ce mystre que la Rvlation chrtienne fait briller
aux yeux des croyants. C'est donc par le Christ et dans le Christ
que s'claire l'nigme de la douleur et de la mort qui, hors de son
Evangile, nous crase. Le Christ est ressuscit; par sa mort, il a
vaincu la mort, et il nous a abondamment donn la vie pour que,
devenus fils dans le Fils, nous clamions dans l'Esprit: Abba, Pre !
(Avec les paragraphes finaux des autres chapitres, ce texte forme
une magnifique synthse de lenseignement de lEglise sur le
Christ)
Page 24
CHAPITRE II LA COMMUNAUTE HUMAINE Lhomme, dimension
communautaire
Page 25
Ce que le Concile appelle la "socialisation, cest--dire la
multiplication des relations entre les hommes, tend vers le
dialogue fraternel mais ne suffit pas l'assurer. Il y faut une
communion base sur le respect des personnes. La rvlation chrtienne
favorise cette communion et en claire le sens. Dieu a voulu que
tous les hommes soient une seule famille. C'est pourquoi le grand
commandement du Christ demande la fois l'amour de Dieu et du
prochain. Plus encore (Jn 17, 20-23) : l'union des hommes, dans un
esprit de don dsintress, est l'image de l'union du Pre et du Fils.
But poursuivi par le Concile 23 Parmi les principaux aspects du
monde d'aujourd'hui, il faut compter la multiplication des
relations entre les hommes que les progrs techniques actuels
contribuent largement dvelopper. Toutefois le dialogue fraternel
des hommes ne trouve pas son achvement ce niveau, mais plus
profondment dans la communaut des personnes et celle-ci exige le
respect rciproque de leur pleine dignit spirituelle. La Rvlation
chrtienne favorise puissamment l'essor de cette communion des
personnes entre elles; en mme temps elle nous conduit une
intelligence plus pntrante des lois de la vie sociale, que le
Crateur a inscrites dans la nature spirituelle et morale de
l'homme. Mais comme de rcents documents du magistre ont abondamment
expliqu la doctrine chrtienne sur la socit humaine, le Concile s'en
tient au rappel de quelques vrits majeures dont il expose les
fondements la lumire de la Rvlation. Il insiste ensuite sur
quelques consquences qui revtent une importance particulire en
notre temps. Caractre communautaire de la vocation humaine dans le
plan de Dieu 24 Dieu, qui veille paternellement sur tous, a voulu
que tous les hommes constituent une seule famille et se traitent
mutuellement comme des frres. Tous, en effet, ont t crs l'image de
Dieu, "qui a fait habiter sur toute la face de la terre tout le
genre humain issu d'un principe unique" ( Ac 17,26 ), et tous sont
appels une seule et mme fin, qui est Dieu lui-mme. A cause de cela,
l'amour de Dieu et du prochain est le premier et le plus grand
commandement. L'Ecriture, pour sa part, enseigne que l'amour de
Dieu est insparable de l'amour du prochain: "... tout autre
commandement se rsume en cette parole: tu aimeras le prochain comme
toi-mme... La charit est donc la loi dans sa plnitude" ( Rm 13,9-10
cf. 1Jn 4,20 ). Il est bien vident que cela est d'une extrme
importance pour des hommes de plus en plus dpendants les uns des
autres et dans un monde sans cesse plus unifi. Allons plus loin:
quand le Seigneur Jsus prie le Pre pour que "tous soient un...
comme nous nous sommes un" (Jn 17,21-22), il ouvre des perspectives
inaccessibles la raison et il nous suggre qu'il y a une certaine
ressemblance entre l'union des personnes divines et celles des fils
de Dieu dans la vrit et dans l'amour. Cette ressemblance montre
bien que l'homme, seule crature sur terre que Dieu a voulue pour
elle-mme, ne peut pleinement se trouver que par le don dsintress de
lui-mme.
Page 26
La personne a un besoin essentiel de la relation aux autres
pour grandir. Mais dautre part les institutions sociales doivent
avoir la personne pour principe, sujet et fin. Donc la famille et
toutes les autres formes d'associations sont indispensables ou
utiles pour le bien de la personne humaine. Mais souvent la socit
nuit la personne humaine par des dsordres provenant de mauvaises
structures sociales et, en dernire analyse, du pch. Interdpendance
de la personne et de la socit 25 Le caractre social de l'homme fait
apparatre qu'il y a interdpendance entre l'essor de la personne et
le dveloppement de la socit elle-mme. En effet, la personne humaine
qui, de par sa nature mme, a absolument besoin d'une vie sociale
(3), est et doit tre le principe, le sujet et la fin de toutes les
institutions. La vie sociale n'est donc pas pour l'homme quelque
chose de surajout; aussi c'est par l'change avec autrui, par la
rciprocit des services, par le dialogue avec ses frres que l'homme
grandit selon toutes ses capacits et peut rpondre sa vocation.
Parmi les liens sociaux ncessaires l'essor de l'homme, certains,
comme la famille et la communaut politique, correspondent plus
immdiatement sa nature intime; d'autres relvent plutt de sa libre
volont. De nos jours, sous l'influence de divers facteurs, les
relations mutuelles et les interdpendances ne cessent de se
multiplier: d'o des associations et des institutions varies, de
droit public ou priv. Mme si ce fait, qu'on nomme socialisation,
n'est pas sans danger, il comporte cependant de nombreux avantages
qui permettent d'affermir et d'accrotre les qualits de la personne,
et de garantir ses droits. Mais si les personnes humaines reoivent
beaucoup de la vie sociale pour l'accomplissement de leur vocation,
mme religieuse, on ne peut cependant pas nier que les hommes, du
fait des contextes sociaux dans lesquels ils vivent et baignent ds
leur enfance, se trouvent souvent dtourns du bien et ports au mal.
Certes, les dsordres, si souvent rencontrs dans l'ordre social,
proviennent en partie des tensions existant au sein des structures
conomiques, politiques et sociales. Mais, plus radicalement, ils
proviennent de l'orgueil et de l'gosme des hommes, qui
pervertissent aussi le climat social. L o l'ordre des choses a t
vici par les suites du pch, l'homme, dj enclin au mal par
naissance, prouve de nouvelles incitations qui le poussent pcher:
sans efforts acharns, sans l'aide de la grce, il ne saurait les
vaincre.
Page 27
La socialisation fait que le bien commun prend une dimension
toujours plus universelle. En mme temps grandit la conscience de
"l'minente dignit de la personne humaine" (numration de ses droits
fondamentaux) C'est la personne qui est premire et tout
dveloppement de la socit doit lui tre subordonn (cf. l'ordre du
texte: Chapitre 1: la personne ; Chapitre 2 : la socit). L'Esprit
de Dieu est luvre dans ces volutions : socialisation et sens des
droits de l'homme. Promouvoir le bien commun 26 Parce que les liens
humains s'intensifient et s'tendent peu peu l'univers entier, le
bien commun, c'est--dire cet ensemble de conditions sociales qui
permettent, tant aux groupes qu' chacun de leurs membres,
d'atteindre leur perfection d'une faon plus totale et plus aise,
prend aujourd'hui une extension de plus en plus universelle, et par
suite recouvre des droits et des devoirs qui concernent tout le
genre humain. Tout groupe doit tenir compte des besoins et des
lgitimes aspirations des autres groupes, et plus encore du bien
commun de l'ensemble de la famille humaine (5). Mais en mme temps
grandit la conscience de l'minente dignit de la personne humaine,
suprieure toutes choses et dont les droits et les devoirs sont
universels et inviolables. Il faut donc rendre accessible l'homme
tout ce dont il a besoin pour mener une vie vraiment humaine, par
exemple: nourriture, vtement, habitat, droit de choisir librement
son tat de vie et fonder une famille, droit l'ducation, au travail,
la rputation, au respect, une information convenable, droit d'agir
selon la droite rgle de sa conscience, droit la sauvegarde de la
vie prive et une juste libert, y compris en matire religieuse.
Aussi l'ordre social et son progrs doivent-ils toujours tourner au
bien des personnes, puisque l'ordre des choses doit tre subordonn
l'ordre des personnes et non l'inverse. Le Seigneur lui-mme le
suggre lorsqu'il a dit: Le sabbat a t fait pour l'homme et non
l'homme pour le sabbat . Cet ordre doit sans cesse se dvelopper,
avoir pour base la vrit, s'difier sur la justice, et tre vivifi par
l'amour; il doit trouver dans la libert un quilibre toujours plus
humain. Pour y parvenir, il faut travailler au renouvellement des
mentalits et entreprendre de vastes transformations sociales.
L'Esprit de Dieu qui, par une providence admirable, conduit le
cours des temps et rnove la face de la terre, est prsent cette
volution. Quant au ferment vanglique, c'est lui qui a suscit et
suscite dans le coeur humain une exigence incoercible de
dignit.
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Enumration des aspects pratiques et urgents du respect de la
personne : - Respect des pauvres (vieillards, migrs, enfants... -
Condamnation de toute atteinte la vie, lintgrt de la personne, la
dignit de l'homme... Respect de la personne humaine 27 Pour en
venir des consquences pratiques et qui prsentent un caractre
d'urgence particulire, le Concile insiste sur le respect de
l'homme: que chacun considre son prochain, sans aucune exception,
comme "un autre lui-mme", tienne compte avant tout de son existence
et des moyens qui lui sont ncessaires pour vivre dignement, et
garde d'imiter ce riche qui ne prit nul souci du pauvre Lazare. De
nos jours surtout, nous avons l'imprieux devoir de nous faire le
prochain de n'importe quel homme et, s'il se prsente nous, de le
servir activement: qu'il s'agisse de ce vieillard abandonn de tous,
ou de ce travailleur tranger, mpris sans raison, ou de cet exil, ou
de cet enfant n d'une union illgitime qui supporte injustement le
poids d'une faute qu'il n'a pas commise, ou de cet affam qui
interpelle notre conscience en nous rappelant la parole du
Seigneur: "Chaque fois que vous l'avez fait l'un de ces plus petits
de mes frres, c'est moi que vous l'avez fait ( Mt 25,40 ). De plus,
tout ce qui s'oppose la vie elle-mme, comme toute espce d'homicide,
le gnocide, l'avortement, l'euthanasie et mme le suicide dlibr;
tout ce qui constitue une violation de l'intgrit de la personne
humaine, comme les mutilations, la torture physique ou morale, les
contraintes psychologiques; tout ce qui est offense la dignit de
l'homme, comme les conditions de vie sous-humaines, les
emprisonnements arbitraires, les dportations, l'esclavage, la
prostitution, le commerce des femmes et des jeunes; ou encore les
conditions de travail dgradantes qui rduisent les travailleurs au
rang de purs instruments de rapport, sans gard pour leurs
personnalit libre et responsable: toutes ces pratiques et d'autres
analogues sont, en vrit, infmes. Tandis qu'elles corrompent la
civilisation, elles dshonorent ceux qui s'y livrent plus encore que
ceux qui les subissent et insultent gravement l'honneur du
Crateur.