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CONSTRUCTION D'UN MODÈLE DES CHANGEMENTS DU SYSTÈME SOCIAL Author(s): Thomas J. Cottle and John F. Marsh, Jr. Source: Cahiers Internationaux de Sociologie, NOUVELLE SÉRIE, Vol. 46 (Janvier-juin 1969), pp. 67-82 Published by: Presses Universitaires de France Stable URL: http://www.jstor.org/stable/40689480 . Accessed: 12/06/2014 17:28 Your use of the JSTOR archive indicates your acceptance of the Terms & Conditions of Use, available at . http://www.jstor.org/page/info/about/policies/terms.jsp . JSTOR is a not-for-profit service that helps scholars, researchers, and students discover, use, and build upon a wide range of content in a trusted digital archive. We use information technology and tools to increase productivity and facilitate new forms of scholarship. For more information about JSTOR, please contact [email protected]. . Presses Universitaires de France is collaborating with JSTOR to digitize, preserve and extend access to Cahiers Internationaux de Sociologie. http://www.jstor.org This content downloaded from 62.122.79.21 on Thu, 12 Jun 2014 17:28:08 PM All use subject to JSTOR Terms and Conditions

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CONSTRUCTION D'UN MODÈLE DES CHANGEMENTS DU SYSTÈME SOCIALAuthor(s): Thomas J. Cottle and John F. Marsh, Jr.Source: Cahiers Internationaux de Sociologie, NOUVELLE SÉRIE, Vol. 46 (Janvier-juin 1969), pp.67-82Published by: Presses Universitaires de FranceStable URL: http://www.jstor.org/stable/40689480 .

Accessed: 12/06/2014 17:28

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CONSTRUCTION D'UN MODÈLE DES CHANGEMENTS

DU SYSTÈME SOCIAL

par Thomas J. Cottle et John F. Marsh, Jr.

Introduction. - Dans cet article, nous sommes en quête d'une nouvelle mise en perspective des processus d'échange, notam- ment de ceux qui interviennent dans un « contexte non écono- mique » (1) et ne trouvent pas, en conséquence, d'explication appropriée dans la théorie économique traditionnelle de l'offre et de la demande. Notre perspective associe ainsi des variables économiques et sociologiques. De façon générale, nous essayons de reconsidérer d'anciens modèles de changement de système. Dans l'élaboration d'un modèle nouveau, nous nous appuierons sur quelques expressions historiques de la théorie de l'échange, et nous étudierons les relations entre les structures respectives des systèmes économiques et sociaux. Tout d'abord, nous exa- minerons les processus d'échange et de concurrence en tant que liés au maintien du système et au changement social. Cette étude a été suscitée par les œuvres de John Stuart Mill [15], plus particulièrement par son échec à expliquer le rôle primordial de la concurrence (2).

Au départ, nous construisons un modèle basé sur la théorie de l'action (3), qui a pour but de placer le champ économique dans une perspective telle qu'il devient à juste titre objet d'ana- lyse sociologique. Ensuite nous examinons les notions de rareté, de concurrence, de formes de l 'échange, afin de définir le but prin- cipal de ce travail, qui est l'élaboration d'un modèle de change- ment de système. Nous tentons ici de présenter une argumenta- tion en faveur du changement social, ce qui implique de subtiles

(1) Telle est l'expression de Neil Smelser dans The Sociology of Economic Life [23] ; cet ouvrage a beaucoup guidé notre réflexion. Les chiffres ren- voient à la liste des « références », en annexe.

(2) Un bon nombre de nos conceptions ont pour origine une série de conférences données à l'Université de Chicago, en 1963, par Abram Harris.

(3) Cf. Toward a General Theory of Action [17] de Parsons et Shils.

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THOMAS COTTLE ET JOHN MARSH JR.

nuances, fréquemment absentes d'argumentations plus ambi- tieuses dans lesquelles toute l'attention se concentre sur les constantes culturelles et sous-culturelles. Les dernières pages comportent des discussions sur l'intervention socio-économique et sur trois types généraux de contraintes des systèmes. L'étude est orientée vers le changement de système et non pas directement vers le changement social.

Le modèle. - Trois critères guident la construction de notre modèle analytique : 1. Il doit définir le paramètre économique en des termes à la fois

économiques et sociologiques ; 2. Il doit isoler la dynamique de la concurrence de Stuart Mill

et transformer cette dynamique en un cadre d'action ; 3. Enfin, le modèle doit lier la concurrence au système écono-

mique et redéfinir la position de ce système à l'intérieur du champ plus vaste des institutions macrosociales. Parsons et Smelser [18] estiment que tout système écono-

mique doit s'intégrer dans un système plus vaste d'institutions et donc devenir lui-même un sous-système dont l'unique fonction- nement dépend non seulement du maintien de sa propre intégrité, mais de cette intégrité en fonction des autres institutions macro- sociales. Le champ du marché économique est donc comparable à l'arène politique, à la sphère religieuse et au domaine familial. A un niveau microscopique, Parsons et Shils [17] suggèrent que l'action ou l'activité requièrent l'interaction d'au moins deux termes (units) et dépendent en outre des normes mutuellement acceptées pour diriger leur commune participation (1). Cette relation élémentaire définit les forces de cohésion essentielles à l'action. Des situations sociales caractéristiques se manifestent normalement par des types de rôles dominants. Les rôles de la mère, par exemple, sont typiquement d'élever et de protéger, tandis que le rôle de l'enfant est biologiquement déterminé comme dépendant. On peut affirmer que l'interaction de rôles récurrents suppose des modèles de rôles récurrents, d'une manière qui est nécessaire à l'apprentissage initial de ces rôles (2). Analogique- ment, tandis que l'activité principale du système économique

(1) II est intéressant de noter que Marx propose intentionnellement un terme à un type particulier d'action en se faisant l'avocat d'une vie économique sans classes. L'action, parce qu'elle demande la dualité d'interaction, est limitée dans les sphères économique et politique marxistes. La part la plus impor- tante de l'action se réduit donc, pour Marx, au domaine de l'interaction humaine fondamentale.

(2) Cf. Le jugement moral chez l enfant, de Jean Piaget, pour une bonne analyse de l'apprentissage du modèle de rôle chez l'enfant [19].

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est la production, le style principal d'action dans le système éco- nomique est en dernier lieu la concurrence. Cette dernière doit donc être considérée comme la forme d'action la plus fondamen- tale engendrée par les coexistences récurrentes d'au moins deux unités économiques, qui sont définies elles-mêmes comme des données économiques. En résumé, notre approche d'un change- ment de système se base sur les notions suivantes : 1. Pour exister, les systèmes requièrent l'action ou l'énergie

potentielle nécessaire à l'action ; 2. L'action dominante du système économique est la concurrence ; 3. La concurrence détermine les styles d'interaction des agents

économiques participants ; 4. Il en est de même lorsque les agents coexistants résident hors

de la sphère économique. Rareté et concurrence. - II va de soi que la concurrence pré-

domine dans une orientation économique. Cependant, la force directrice de la concurrence, l'orientation et la production de l'énergie ont leur origine dans la rareté (1). La rareté, au sens éco- nomique, se rapporte soit aux marchandises, soit aux services nécessaires à l'acquisition des produits. Il existe des domaines comparables dans le système social, par exemple celui des chances professionnelles effectives (2). Si un produit devient économique- ment nécessaire, c'est-à-dire s'il est demandé, soit par suite de processus socio-physiologiques, soit même par suite d'un besoin fictif, tous les systèmes devraient fonctionner, en principe, pour satisfaire cette demande. S'il y a rareté, un des résultats en est la concurrence. La concurrence implique que l'homme ait d'abord assigné une utilité ou une valeur au produit (en partie à cause de sa rareté) et que deuxièmement il ait commencé à le fournir (bien que cet ordre ne soit pas nécessairement invariable). La concurrence devrait finalement engendrer la spécialisation, la spécialisation conduire à un accroissement des besoins et de là à un renouvellement potentiel de la demande (3). Guidés par la théorie de la valeur dite du prix réciproque, et en contradiction

(1) II se peut qu'il y ait vraiment deux forces directrices, l'une la rareté déjà suggérée, mais étroitement liée - tout en étant distincte - à l'utilité ou à la valeur du « produit » rare. La valeur a une utilité marginale et habituelle- ment une élasticité qui est en partie fonction de la rareté absolue initiale. Dans le contexte courant, cependant, la notion de rareté est suffisante.

(2) Cf. Social Theory and Social Structure de Robert Merton [14]. [à) Telle est 1 interpretation classique. Lorsqu il y a concurrence parfaite,

et équilibre parfait, le prix se rapproche du coût de production jusqu'à l'équi- libre. Des innovations technologiques et la marge entre le coût et le prix tendent à imposer la spécialisation dans la fabrication d'un produit ou une spécialisation d'activité parmi des produits compétitifs. Ceci, ainsi que d'autres facteurs, a un effet direct de feedback sur la demande.

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avec quelques autres, comme la théorie de la quantité de travail, nous pouvons dire que le prix, aussi, est fonction de la rareté. Ici, la concurrence renvoie à la valeur, et la valeur, à son tour, renvoie à la rareté.

La concurrence devient le style d'action de la sphère écono- mique comme résultat indirect, mais inévitable, d'une rareté réelle ou en puissance. Ce style d'action peut impliquer une autonomie fonctionnelle (1), et demeurer un style de conduite approprié dans des situations d'interaction où la rareté réelle (ou absolue) ne nécessite plus une telle attitude. Les ramifications les plus remarquables d'une telle conduite sont démontrées dans la théorie de l'échange que nous examinerons.

Au sens fort, le déclin de la rareté (augmentation de l'abon- dance) est une condition préalable nécessaire à l'apparition d'une autonomie fonctionnelle.

Considérons le tableau suivant :

Schéma I

Concurrence fonctionnellement autonome

Conflit Concurrence j Coopération * | « a » î

| I i I

(Interaction) (Aucune interaction) (Interaction) (Grande rareté) (Rareté différentielle) (Abondance) (« Tout ou rien ») (Répartition par l'emploi (Partage)

et le marché)

Dans ce tableau, la rareté est prise comme la variable indé- pendante et l'on considère trois formes de relations vis-à-vis des produits. Aux points extrêmes, conflit et coopération, la relation est une relation d'interaction parmi les « contestants », car d'une part la grande rareté et le « tout ou rien » qui en découle conduisent au conflit, tandis que, d'autre part, l'abondance des produits engendre le partage et donc la coopération. Dans la relation de concurrence, il y a une rareté relative des produits et une répar- tition par le marché et/ou l'emploi. Une interaction ouverte parmi les contestants n'est pas nécessaire.

Au long de cette espèce de continuité, le point « a » repré- senterait approximativement l'apparition de la concurrence fonc-

¡1) En l'occurrence, nous avons emprunté l'expression de Gordon Allport, utilisée dans un autre contexte.

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tionnellement autonome telle que nous l'avons conceptualisée. L'autonomie fonctionnelle peut donc se développer lorsque :

1. L'interaction a commencé à émerger d'une relation de type purement concurrentiel à l'origine ;

2. Une certaine « ritualisation » de cette interaction a commencé à se fixer ;

3. La rareté des produits diminue à l'approche de l'abondance.

Lorsque ces conditions nécessaires sont réunies, bien qu'elles ne soient peut-être pas toujours suffisantes, on peut dire que la concurrence fonctionnellement autonome (placée arbitrairement au point « a ») se produit. D'une certaine façon, une partie de l'économie contemporaine (les oligopoles) est dans cette situa- tion. La concurrence entre quelques organismes géants est, dans ce cas, une relation d'interaction dépassant les types stric- tement concurrentiels, et correspond aussi à un relatif déclin de la rareté.

Par autonomie fonctionnelle, nous ne voulons pas dire que la dimension dynamique de la rareté (« stimulus-réponse ») condui- sant à la concurrence est un exemple de disjonction ou une condition exclusive. Elle n'est ni l'un ni l'autre, parce qu'à n'importe quel moment du temps, ou à n'importe quel endroit à l'intérieur de n'importe quel sous-système, la rareté peut régir ou ne pas régir les styles d'action. La rareté réelle ou absolue peut alors coexister avec la « pseudo-rareté », c'est-à-dire avec des relations concurrentielles prenant origine dans une rareté qui a disparu. A cet égard, nous ne soutenons pas la notion d'abondance simultanée dans tous les domaines des systèmes macrosociaux ou macro-économiques (1). Pour illustrer ce fait, prenons comme exemple la création, par un agent de publicité, d'un besoin jusqu'ici inexistant. Dans ce processus, un produit est lancé parmi une population, de telle sorte qu'une concurrence apparente ou artificielle accompagne le produit, quand bien même la rareté véritable n'existe pas. Ainsi, la rareté absolue n'a créé ni les niveaux de demande initiale du produit, ni la concurrence qui s'ensuit pour l'acquérir (2). La concurrence originellement occasionnée par la rareté reflète maintenant et

(1) En accord avec La Société de V Abondance [7] de Galbraith, nous ne soutenons pas que l'économie d'abondance supplante la rareté et/ou la concur- rence comme faits réels ou comme instruments analytiques, mais plutôt que la rareté « véritable » coexiste avec la « pseudo-rareté ».

(2) Les économistes discutent encore pour savoir si la prétendue demande artificielle dans l'économie de la consommation est réelle ou non, et si les vieux concepts tels que rareté ou élasticité sont applicables ou non. Quelques-uns soutiennent que la nouvelle demande est tout aussi réelle, dans la mesure où elle intéresse l'analyse économique, sans tenir compte des « besoins réels » du consommateur.

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exprime un nouvel ensemble de fonctions dans la réalité. Pour que cette notion puisse être exploitée, la concurrence

doit aussi présenter une méthode de transformation de la réalité même qu'elle exprime. A ce point, la rareté véritable devient la variable indépendante (1), et la concurrence la variable dépendante.

La concurrence en tant que rituel (2). - N'est-il pas étrange que la discussion qui précède présente la concurrence comme symbolique dans son action ? Ne pouvons-nous considérer la concurrence comme conception d'un « style » (économique) d'existence ? De ce point de vue, la notion d'une concurrence ritualiste (mis à part sa génératrice, la rareté) dictant les méthodes de marché, d'acquisition et d'interaction, permet d'expliquer les événements, que les possibilités d'action existent ou non. Dans le contexte du rituel, la concurrence s'appuie sur deux critères historiques (3) : 1. La concurrence (en tant que rituel) sert comme expression

structurale de valeurs culturelles, ou sous-culturelles, ayant pour origine son fonctionnement réel dans la communauté ;

2. Le rituel de la concurrence maintient et protège des valeurs culturelles et sous-culturelles dominantes. De ce point de vue, on peut avoir une attitude quasi religieuse en économie, car les rituels expriment et façonnent le climat du monde écono- mique, déterminant des motivations et assurant la dépen- dance de l'homme à l'égard de symboles. Dans ce cas, les symboles appartiendraient à la concurrence et/ou à l'échange mercantile (4). Le rituel de la concurrence permet :

1. Un style universaliste d'interaction qui peut opérer quand le comportement concurrentiel ne satisfait pas ou ne définit pas la situation ;

2. Une entrée légitime dans les activités du système social, même quand le postulant n'a pas la formation nécessaire, ni les lettres de créance ou le capital appropriés ;

3. Un respect de l'individu et sa protection en compagnie d'autres personnes dans le cadre des institutions qui reconnaissent aussi le rituel.

(1) Les économistes classiques pouvaient retrouver les origines de la rareté en en faisant ainsi la variable dépendante.

(2) Nous ayons été influencés par une conférence récente sur Religion as a sustem, de Clifford Geertz, à l'Université de Chicago, en 1963.

(3) Cf. Emile Durkheim, Les formes élémentaires de la vie religieuse [61. (4) Geertz, op. cit.

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En un mot, le concept d'autonomie fonctionnelle décrit le système d'action concurrentielle comme dominant, même quand la rareté ne demande pas une telle concurrence.

Fonction de la concurrence. - Lewis Coser [4] a mis en évi- dence la base fonctionnelle du conflit social, que nous soutenons être l'équivalent social de la concurrence économique. Coser parle des fonctions cohésives, unificatrices et structurantes du conflit social. Il soutient que le conflit, à l'intérieur d'un groupe ou entre des groupes, établit et maintient le pouvoir et l'équilibre du pouvoir (1). Coser cite cette phrase d'Albion Small : « La condition préalable la plus efficace pour empêcher la lutte, la connaissance exacte des forces relatives des deux parties, ne peut très souvent être satisfaite que par une lutte extérieure à ce conflit » (2).

Il se pourrait que Coser soit en train de manifester une fonc- tion utile de la concurrence quand il écrit : « En permettant l'expression immédiate et directe d'exigences rivales, de tels systèmes sociaux sont capables de réajuster leur structure en supprimant les sources de mécontentement. Les conflits mul- tiples qu'ils expérimentent peuvent servir à éliminer les causes de désaccord, et à rétablir l'unité » (3). Il se peut qu'il adopte la position selon laquelle les fonctions de la concurrence sont comme les mécanismes de réajustement et de réadaptation du système, nécessaires après un changement de système. Dans cette optique, il placerait le conflit social dans la section « G » (goal attainment) de la structure A-G-I-L de Parsons (4). Cette argumentation ne menacerait pas notre modèle, car nous placerions aussi la concur- rence dans la section « G ». Le « déterminant » rareté serait alors placé dans la section « A » (adaptive). D'après la thèse de Coser, la concurrence peut servir à définir, formaliser et justifier les types suivants d'échange.

La concurrence assure aux hommes une position dans le marché, c'est-à-dire une situation sociale à partir de laquelle ils peuvent échanger. Que la transition concurrence-échange soit étendue à des relations contractuelles plus individualistes, comme dans le schéma durkheimien (5), indique seulement que l'échange peut être classé dans la section « I » (integrative) de Parsons. Cette classification suggérerait que la concurrence assume un rôle de médiateur entre rareté et échange.

(1) II est intéressant de considérer la thèse de Coser à la lumière du débat antérieur sur une échelle de système.

(2) Ibid., p. 133. (3) Ibid., p. 154. (4) Parsons et Smelser, op. cit. (5) Cf. La division du travail social de Durkheim [5].

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De Véchange. - Sí nos suggestions concernant la concurrence, l'énergie dirigeant les forces sociales à l'intérieur du domaine économique, sont valables, une réflexion d'égal intérêt devrait être accordée aux questions d'échange. Pour les théoriciens classiques, coopération et concurrence sont deux bases impor- tantes de l'ordre social (1). Nous soutenons toutefois que cette base doit être modifiée, puisque tout d'abord la rareté règle le marché, et puisqu'ensuite la concurrence devient fonctionnelle- ment autonome. L'échange est maintenant la variable dépen- dante, la concurrence étant la variable indépendante. (Nous avions d'abord fixé la concurrence comme variable dépendante, la rareté comme variable indépendante.) Cette modification s'effectue tandis que s'opère le processus historique par lequel la concurrence acquiert une autonomie fonctionnelle, puisque avec l'apparition de cette autonomie fonctionnelle la rareté perd son caractère « absolu » ou « concrètement réel » pour prendre les apparences d'un ritualisme culturel. Si cette supposition est quelque peu exagérée, il peut être plus facile de penser la concur- rence comme médiatrice entre rareté et échange (2).

Nous maintenons que lorsque la rareté, au sens « absolu », régit le système économique, l'échange au sein de tous les sys- tèmes suit l'itinéraire de von Hayek (3), Frank Knight [10], Adam Smith [24] ; à savoir, que le profit d'un homme devrait engendrer dans le marché le profit d'un autre. Quand la rareté règle la valeur ou l'utilité du produit, les lois d'attribution et de distribution gagnent en importance. Donc, pour que le marché rétablisse l'équilibre passagèrement détruit pendant les périodes de rareté, on doit instituer des gains mutuels et prévenir les pertes (4). D'autre part, quand la concurrence, simplement

(1) La division du travail social de Durkheim [5] et la discussion de Tonnies sur Gemeinschaft et Gesellschaft [25] sont représentatives de ces positions (avec J. S. Mill et les utilitaristes). Le Pr Mayer Zald a suggéré que la concurrence, telle que nous l'avons décrite, est caractéristique de la solidarité mécanique, tandis que la coopération peut caractériser la solidarité organique. Donc T auto- nomie fonctionnelle représentée par le point « a » dans notre échelle de système laisse présager les débuts d'une solidarité organique de la société (Gesellschaft).

(2) Cet argument semble prêter foi à la Norm of Reciprocity d'Alvin GOULDNER [8j.

(3) Von Hayek a récemment repris cette position dans une conférence a l'Université de Chicago, en 1963.

(4) Cette notion peut également être liée à des graphiques représentant l'analyse de la courbe d'indifférence, ou expliquée par eux. Cf. The Price Systems and Resource Allocation de Leftwich [11]. Nous aurions alors dans n'importe quelle situation d'échange (en la supposant non dirigée par la force) un cas d'utilité différentielle de la part de chacun des membres, à la fois vis-à-vis de l'abandon de ses propres biens et de l'acquisition des biens d'un autre. L'utilité de l'échange serait alors fonction de : 1. La quantité de biens matériels offerte ou ce qui pourrait être appelé le

degré de rareté ; 2. La valeur perçue ou « valeur estimée » des biens à acquérir.

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comme style d'interaction, sans qu'il y ait rareté « absolue », régit le système économique, l'échange dans tous les systèmes prend la forme d'une justice distributive. Alors la notion de justice distributive d'Homans (1) ne devient pas seulement plausible mais prééminente (2). A ce moment-là, du profit chez un homme devrait résulter une perte chez un autre (3), puisque là où la concurrence entre seulement comme style d'interaction, tous les facteurs, sauf le principe de justice distributive, servent à dérouter l'échange ou à le rendre non équitable. En réalité, le phénomène semble se répercuter dans tous les secteurs du système social.

Concurrence, échange et monnaie. - Le débat sur l'échange, entre les psychologues sociaux contemporains et les économistes classiques, révèle un paradigme de la sociologie de la connais- sance, un problème qui ne peut être simplement résolu par une discussion du développement des opérations du système social formel et informel (4), mais doit plutôt tenir compte des phéno- mènes macroscopiques : 1. Quand la rareté réelle ou concrète fait loi, il y a adhésion au

système d'attribution et de distribution des produits, c'est-à- dire, concurrence véritable (5) ;

2. Quand la concurrence fonctionnellement autonome fait loi, il y a adhésion au système d' « attribution » et de « distribu- tion » de Y échange, c'est-à-dire, concurrence ritualiste ;

3. L'énergie de base du sous-système économique est la concur- rence qui dérive d'une rareté antérieure ;

4. La rareté et la concurrence, comme la plupart des variables des systèmes en fonctionnement, existent à l'origine dans un sous-système, mais leurs effets se ramifient nécessairement dans tous les systèmes (6) ;

5. La concurrence peut se séparer de la rareté, et devenir fonc- tionnellement autonome, de manière telle qu'elle engendre

(1) Cf. la discussion sur la justice distributive dans The Human Group de Homans [91.

(2) Ces conceptions sont aussi utiles dans l'apparition de la rareté réelle. (3) II est essentiel que la concurrence, en tant que style d'action, soit

placée dans un domaine dit « public ». Quand nous parlons de valeurs à domi- nante culturelle ou de valeurs de sous-système, nous nous référons à un domaine public. Ces modes d'interaction plus personnalisés, fussent-ils placés dans les sphères sociales, politiques ou économiques, sont réductibles à la sphère « privée » individuelle. A la lumière de ceci, il semble souhaitable d'utiliser une dimension public-privé au lieu de la dimension formel-informel de Homans (op. cit.). L'élément transcendant la classification d'Homans est cette orien- tation macrosociale privée-publique. Nous voudrions offrir deux types de structures normatives gouvernant les domaines privés et publics.

(4) Homans, op. cit. (5j Cf. l'exposé des lois d'attribution et de distribution de Mill (op. cit.). (6) C'est une notion de base de Parsons et Smelser (op. cit.) .

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THOMAS COTTLE ET JOHN MARSH JR.

« sociogénétiquement » des modes d'interaction économique et sociale, reconnus comme échange (1). Les douze étapes suivantes retracent le développement de

ce que nous appelons la concurrence fonctionnellement autonome. Leur importance provient aussi de ce qu'elles proposent une explication de rechange « non équitable » et préfigurent un schéma partiel d'explication du changement social. 1. L'ordre social, surimposé au monde physique, crée comme

lui des besoins ; 2. Certains produits font l'objet de demandes ; 3. Il en manque pour satisfaire tout le monde et même s'il n'en

manquait pas, les produits ne seraient pas toujours néces- sairement aux bons endroits, d'où l'existence d'un problème de distribution et d'un problème d'attribution ;

4. Au cours des efforts individuels visant à obtenir suffisamment, la relation connue sous le nom de concurrence peut se faire jour parmi ceux qui cherchent la satisfaction. A ce point, il n'est pas nécessaire qu'il y ait interaction ouverte ou exprimée entre deux participants à l'intérieur de la relation de concurrence (2) ;

5. Cependant, une interaction peut se développer, et en fait se développe souvent, entre les participants ;

6. La relation précédente, qui n'est pas réellement un acte social au sens d'interaction ouverte, détermine, en partie, le « style » de l'interaction qui suivra, et qui deviendra alors acte social ;

7. L'interaction humaine, engendrée par la relation de concur- rence, constitue une relation en elle-même ; elle possède un caractère propre ;

8. Il se peut qu'à un certain moment, la raison d'être originale de la relation et l'interaction qui s'ensuit perdent leur signi- fication, c'est-à-dire que le produit mutuellement recherché cesse d'être rare ;

9. Cependant, la relation d'interaction peut continuer de se manifester, dès lors que l'absence de rareté n'implique pas nécessairement la dissolution de la relation ;

10. La relation sociale qui subsiste conserve en grande partie le caractère apparent de la relation précédente (créée concur-

(1) Elle peut aussi ne pas se séparer de la rareté, c'est-à-dire que nous voulons laisser la porte ouverte au contexte de l'échange régi par la rareté, et accorder simplement la prédominance à la concurrence fonctionnellement autonome dans l'échange interindividuel.

(2) Ceci met en jeu un autre aspect qualitatif de la théorie de l'action (op. cit., Parsons et Shils).

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rentiellement), mais en un sens elle est vide, car le but et la fonction originels de la relation ont cessé d'exister ;

11. L'interaction, dans l'optique de la concurrence, consiste à donner et à acquérir ;

12. Lorsqu'un produit devient « bon marché » (n'étant plus rare), il se peut qu'un participant subisse une perte en compa- raison du gain d'un autre, et en fait il maintient les règles de la justice distributive (1). En analysant les déterminants de l'échange, nous pouvons

dégager des homologies dans le domaine social. La monnaie, bien que représentant un accroissement réel de la richesse, donne aussi à l'individu des occasions d'échange et/ou de commerce. Au sens où l'entend Weber, la monnaie reste un déterminant essentiel de la classe, non pas un régulateur du statut (2). Il conviendrait peut-être de placer les différenciations de classe dans le domaine économique et de voir dans les différenciations de statut de Weber leurs homologues du point de vue social. Si la monnaie est un élément de la dynamique de classe, quel rôle, si elle en a un, joue-t-elle dans le système social ? Est-il possible que la monnaie fasse partie du domaine social en tant que facteur de prestige, ou plus généralement en tant que struc- ture normative gouvernant méthodes et moyens d'échange interindividuel et intergroupai (3) ? Dans ce cas, l'homologue que nous cherchons peut être la norme de réciprocité de Gouldner (op. cit.). L'ensemble du sujet réclame une étude plus appro- fondie. A ce point, cependant, il nous faut signaler le travail de recherche nécessaire en vue de déterminer une variable sociale qui soit étalonnée et calculable comme l'est la monnaie. La monnaie possède un étalon de valeur qui apparaît aussi bien dans son usage que dans son origine. Elle a donc des valeurs « standards », « non réelles » et « réelles » (selon notre propre termi- nologie) qui lui sont propres (4), comme celles que présente la concurrence.

En conclusion, la concurrence est le moyen par lequel on

(1) L'aspect normatif de la justice distributive d'Homans implique que, pour tout le monde, l'échange se fasse avec équité. C'est donc l'aspect normatif plutôt que rationnel de la règle qui prédomine.

(2) Cf. la distinction entre classe et statut dans The Theory of Social and Economic Organization de Max Weber [261.

(3) Dans une conférence, Frank Knight a discuté son « effet annexe » (neighbouring effect) qui se révèle ici des plus pertinents. Knight note les obli- gations d'un individu envers des idéaux et des normes en plus des obligations vis-à-vis des autres individus. Mill (op. cit.) a dit la même chose quand il a noté que les devoirs pouvaient être moraux ou légaux.

(4) La monnaie peut être étalonnée en fonction de son usage et grâce à cela recevoir une valeur fiduciaire. Cependant l'association constante de la monnaie avec son étalon-or constitue sa « valeur réelle » dans cette terminologie.

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atteint la fin : l'échange. (On pourrait dire la mêma chose de la rareté qui est l'antécédent de la concurrence, car elle est le moyen grâce auquel celle-ci se produit.) Cette séquence peut être confirmée en utilisant une théorie économique rigoureuse. Plutôt que de soutenir que l'échange (la fin) se distingue de la concur- rence (le moyen), il est peut-être plus fructueux de soutenir que les modes d'échange transcendent le moyen et existent dans une situation dont l'orientation diffère. L'existence de l'objet, l'échange, est alors différente de l'ensemble économique qui le comprenait à l'origine. La fin, donc, non seulement transcende et justifie les moyens, mais elle réagit sur sa source « fonction- nelle » : la concurrence. C'est dans cette direction que se tourne Gouldner (op. cit.) lorsqu'il met en garde les théoriciens fonc- tionnalistes contemporains contre leur échec à considérer les variations résiduelles.

Les contraintes du système. - Dans tous les systèmes, phy- siques ou sociaux, l'énergie n'existe pas sans contrainte. De façon analogue, les individus résidant à l'intérieur de ces systèmes ne peuvent exister sans contrainte. Les normes, ou plus générale- ment, les règles de conduite gouvernent l'action dans ses formes soit individuelles, soit institutionnelles. Les systèmes écono- miques rencontrent aussi des facteurs de contrôle, par exemple l'intervention extérieure du gouvernement, de façon explicite sous la forme du contrôle des prix. L'intervention dans le sys- tème économique est donc proportionnelle à l'intervention des institutions dans les modes d'interaction, se reflétant à nouveau dans le paradigme système/sous-système de Parsons et Smelser (op. cit.) (1).

La discussion de l'ouvrage de Coser nous a conduit à dire que la concurrence, fonctionnant simultanément comme déter- minant de l'échange et de l'unification, servait aussi d' « équili- brant » du pouvoir. En un mot, il existe à l'intérieur du système des contraintes internes. Le contrôle des prix, l'arbitrage du travail, les formes familières de l'intervention gouvernementale devraient être appelés contraintes externes. Ici, le mot externe signifie que la direction du contrôle économique est venue d'un

(1) La notion d'intervention fut admise en certains cas par John Stuart Mill (op. dt). Il est bien entendu, cependant, que l'intervention n'exclut pas les principes essentiels de Mill concernant la liberté. Il s'opposa évidemment au programme de fixation des prix.

On peut soutenir que la surimposition de la fixation des prix au système des prix n'est pas une négation du processus mercantile. C'est une position favorite de nombre d'économistes modernes, partisans de la concurrence impar- faite, de l'oligopole et des conditions de bien-être. Une telle attitude, diamétra- lement opposée à celle des libéraux classiques, aboutit à une position plutôt présomptueuse mais n'en est pas pour autant insoutenable.

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domaine extérieur à la sphère économique, ce domaine étant habituellement le domaine politique.

Un troisième foyer de contrainte du sous-système provient de la zone plus vaste de la structure de la valeur culturelle ou structure morale, à l'intérieur de laquelle tous les sous-systèmes coexistent. Ce niveau de contrainte se manifeste dans la société moderne organisée et complexe (Gesellschaft), dans ce qui a été appelé, par divers auteurs, l'homme dirigé, aliéné, victime de I' « opinion publique ».

Afin qu'il y ait différenciation fonctionnelle, mais interrelation des différents sous-systèmes, tous les systèmes doivent accepter ces valeurs directrices suprêmes. Des valeurs macroculturelles plus importantes servent à contrôler certains comportements et à unifier les multiples aspects de l'existence individuelle dans les différents systèmes. En même temps, la moralité permet une continuité entre les systèmes jouant au bénéfice de l'intégrité du système comme de celle de l'individu (1).

Nous avons dégagé trois types principaux de contraintes de système :

Type I. - La contrainte qui provient du système générateur de l'énergie nécessaire à l'action, qu'elle conduise à un change- ment de système ou non. La structure normative interne est un exemple de ce type de contrainte.

Type IL - La contrainte qui provient d'un sous-système hors du système générateur d'énergie. L'intervention du poli- tique en serait un exemple.

Type III. - La contrainte qui provient d'une source transcen- dant tous les systèmes d'action, par exemple celle qui découle des impératifs moraux (2).

Si l'on devait admettre que l'intervention (active dans le cas du contrôle des prix par le gouvernement, passive lorsque les valeurs culturelles « pèsent » sur l'individu), soit efficace et que par conséquent elle serve à délimiter l'action, alors elle deviendrait une des sources de contrôle du système. Cette notion ne contredirait pas les conceptions précédentes de Parsons [16]. Dans les paradigmes de l'énergie, le contrôle ne doit pas être considéré comme un facteur régressif ou un frein. La résistance ou le contrôle de l'énergie joue plutôt comme un déterminant primordial du rendement. L'intervention, en acte ou en puissance,

(1) Cf. Parsons et Shils (op. cit.). (2) La Russie offre un exemple d'absence de contrainte morale, substituant

à celle-ci une contrainte politique hypertrophiée. L'économie de la Russie s'appuie sur la théorie marxiste de la valeur du travail, en s'opposant naturel- lement à la théorie de l'intérêt capitaliste. C'est, selon les économistes occi- dentaux, une vaine poursuite, car les forces économiques existent, mais elles sont contraintes par les forces d'un domaine différent : le domaine politique.

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se traduit dans le contrôle du système, dans son maintien et plus généralement dans la préservation de son intégrité. La concurrence, en acte ou en puissance, peut être le point de départ d'un changement de système. Alors la rareté est le point de départ de l'action économique et c'est d'elle que dépend le caractère du système économique.

Exemples d'activité contrainte. - S. Mill dit que la fixation des prix modifie les relations de l'offre et de la demande. De façon semblable, la perspective d'une influence autoritaire peut modifier les relations interpersonnelles. En d'autres termes, le double lien de contingence de l'action sociale pourrait être comparé à l'offre et à la demande en économie. Si une situation impose à ses membres un type de rôle dominant-dominé, comme dans le système militaire, les rôles se durcissent et perdent de leur spontanéité. Quand cela se produit, l'énergie du système : l'interaction humaine dans le domaine social (social role playing), l'offre et la demande dans le domaine économique (economic role playing), se fige. A un certain niveau, le système assure efficacité, continuité et permanence. A un autre cependant, l'intervention s'accroît et les possibilités de changement diminuent (1).

Il se peut donc que l'on empêche l'énergie d'atteindre ses buts. Le marché réel, suggère Abram Harris (op. cit.), devient le marché noir où la concurrence prospère au milieu de secrètes intrigues d'entrepreneurs qui n'en sont pas moins libres. Le marché noir, comme la délinquance juvénile, a été considéré comme une manifestation d'une énergie non maîtrisée et dirigée vers des fins socialement et économiquement illégitimes (2).

Les deux phénomènes, le marché noir dans le domaine éco- nomique et le « marché » de la délinquance dans le domaine social, sont intéressants parce qu'ils présentent des modes comparables d'interaction et d'échange qui se produisent comme résultat de la rareté et non pas d'une concurrence fonctionnellement auto- nome antérieurement acquise. De façon similaire, les deux phé- nomènes prouvent la prédominance des contraintes de Type II et de Type III. Les contraintes de Type I, résultant de la concur- rence à l'intérieur du système, sont remarquablement absentes, et c'est précisément à cause de leur absence que des formes inno-

(1) II y a ici une implication cachée que nous ne voulons pas accentuer. C'est que l'intervention gouvernementale dans l'économie sous forme de fixa- tion des prix, arbitrage du travail, etc., rend impossible le changement dans le système économique. Nous maintenons seulement que c'est un facteur de conditionnement avant auelaue influence en ce sens.

(2) Ces notions sont empruntées à Robert Merton : Social Theory and Social Structure [14] et à Richard Cloward et Lloyd Ohlin, Delinquency and Opportunity [3].

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vatrices et créatrices de conduite économique et sociale sont expérimentées (1). Le changement de système suppose la pré- sence d'énergie et de contraintes dans un système, et non seu- lement l'absence de contraintes. En outre, nous remarquons qu'en l'absence de contraintes, l'énergie qui dirigerait la forme de cette contrainte subsiste pour orienter les potentialités de changement (2).

Harvard University, University of California.

(1) Cf. Merton (op. cit.), exposé sur l'anomie. ('¿) Un pourrait en conclure que notre position, a une certaine raçon, est

peu différente de celle des libéraux classiques, c'est-à-dire que l'invention fleurit en l'absence d'intervention et se fige en sa présence. Telle n'est pas cepen- dant notre intention. Si quelque chose favorise le changement, ce sont les contraintes.

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