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Contorsions jusqu’à la déraison Instrumentalisant l’émotion réprobatrice suscitée par les tueries terroristes de novembre 2015, Hollande a cru ruser avec l’opinion pour restaurer son estime en miettes : instauration de l’état d’urgence, promotion d’une loi liberticide et déchéance de nationalité à l’en- contre des binationaux auteurs ou complices de crimes de masse. Alors qu’il suffisait d’appliquer la loi de 1955 instituée pendant la guerre d’Algérie, le mo- narque républicain, jouant de malignité, s’est mué en jusqu’au-boutiste. La tactique dite de triangulation consistant à pio- cher arguments et mesures dans le camp de la droite extrême du FN, était censée couper l’herbe sous le pied aux adversaires, en l’intronisant grand mama- mouchi protecteur de la nation en danger. Mal en prit à François IV le petit (1), ce coup-là s’apparente à la strangulation. Pour le moins, Monsieur s’est pris les pieds dans le tapis ; les polémiques enflent dans son propre camp et le voilà bien empêtré pour 2 voire 3 mois au moins, pour obtenir au Congrès les 3/5 ème des voix requises de droite et de « gauche ». Car le ca- davre du PS bouge encore et lui crie : casse-cou, tu nous plombes ! Et ses proches godillots de tenter de trouver des artifices de langage pour faire passer l’amère pilule de la remise en cause de l’égalité des citoyens : déchéance pour tous ? Non. Indignité nationale ? Non. Déchéance nationale qui y ressemble ? Non. Renvoyons les conditions d’application à une loi…à venir. A droite, c’est la surenchère embarrassante, elle dénonce ces contorsions qui ne sont pas de saison et promettent de faire durer ce débat de déraison jusqu’à plus soif. Ah ! Ce François, il aura joué tous les rôles sans qu’aucun ne lui convienne : le « normal » au casque à scooter, l’aveugle en- nemi de la finance, le communiant s’agenouillant devant Merkel qui ne lui concéda aucune modification des traités européens. Puis, il endossa les habits dispendieux de l’arroseur du patronat : 43 milliards contre 1 million d’emplois… promis, mais la courbe du chômage ne frémit même pas. Alors, il se fit chef de guerre, VRP des marchands de canons, éradicateur de Daech et ce furent les attentats de janvier et de novembre. Alors, protecteur de la nation, il agita le drapeau, invoqua la république, la patrie, puis fut grand metteur en scène du sauvetage de la planète à la COP 21. S’apercevant que tous ces costards sont mal taillés à son insignifiance populaire, le voilà à nouveau promouvant l’assistanat au patronat : 2 milliards de plus, de la formation tous azimuts pour, en un tour de passe-passe statistique, faire passer nombre de chômeurs de la catégorie A trop voyante à celles plus dissimulées D et E. Ses colistiers s’apercevant que tout est plié, Valls le caudillo et Macron le fringuant libéral, entrent en concurrence pour lui ravir la candidature présidentielle. Une primaire à gauche ? Une primaire à droite ? Le bal des ego de la caste contre l’épouvantail Le Pen est ouvert… Sarko a déjà entonné ses lamentos « Je n’aurais pas dû mais je reste le meilleur à coup sûr ». D’autres vont suivre en proclamant : « Je peux mieux faire », pour que rien ne change sinon plus de régressions sociales, de racisme et d’islamophobie. L’overdose risque de tourner à la tragi-comédie d’un système à bout de souffle. (1) Titre du livre de Patrick Rambaud, éditions Grasset. A lire et à recommander pour rire de la déraison ambiante. N o 020 – 2 € - janvier 2016 (parution fin janvier)

Contorsions jusqu’à la déraison · chômeurs de la catégorie A trop voyante à celles plus dissimulées D et E. Ses colistiers s’apercevant que tout est plié, Valls le caudillo

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Contorsions jusqu’à la déraisonInstrumentalisant l’émotion réprobatrice suscitée

par les tueries terroristes de novembre 2015, Hollande a cru ruser avec l’opinion pour restaurer son estime en miettes : instauration de l’état d’urgence, promotion d’une loi liberticide et déchéance de nationalité à l’en-contre des binationaux auteurs ou complices de crimes de masse. Alors qu’il suffisait d’appliquer la loi de 1955 instituée pendant la guerre d’Algérie, le mo-narque républicain, jouant de malignité, s’est mué en jusqu’au-boutiste.

La tactique dite de triangulation consistant à pio-cher arguments et mesures dans le camp de la droite extrême du FN, était censée couper l’herbe sous le pied aux adversaires, en l’intronisant grand mama-mouchi protecteur de la nation en danger. Mal en prit à François IV le petit (1), ce coup-là s’apparente à la strangulation. Pour le moins, Monsieur s’est pris les pieds dans le tapis ; les polémiques enflent dans son propre camp et le voilà bien empêtré pour 2 voire 3 mois au moins, pour obtenir au Congrès les 3/5ème des voix requises de droite et de « gauche ». Car le ca-davre du PS bouge encore et lui crie : casse-cou, tu nous plombes ! Et ses proches godillots de tenter de trouver des artifices de langage pour faire passer l’amère pilule de la remise en cause de l’égalité des citoyens : déchéance pour tous ? Non. Indignité nationale ? Non. Déchéance nationale qui y ressemble ? Non. Renvoyons les conditions d’application à une loi…à venir. A droite, c’est la surenchère embarrassante, elle dénonce ces contorsions qui ne sont pas de saison et promettent de faire durer ce débat de déraison jusqu’à plus soif.

Ah ! Ce François, il aura joué tous les rôles sans qu’aucun ne lui convienne : le « normal » au casque à scooter, l’aveugle en-nemi de la finance, le communiant s’agenouillant devant Merkel qui ne lui concéda aucune modification des traités européens. Puis, il endossa les habits dispendieux de l’arroseur du patronat : 43 milliards contre 1 million d’emplois… promis, mais la courbe du chômage ne frémit même pas. Alors, il se fit chef de guerre, VRP des marchands de canons, éradicateur de Daech et ce furent les attentats de janvier et de novembre. Alors, protecteur de la nation, il agita le drapeau, invoqua la république, la patrie, puis fut grand metteur en scène du sauvetage de la planète à la COP 21.

S’apercevant que tous ces costards sont mal taillés à son insignifiance populaire, le voilà à nouveau promouvant l’assistanat au patronat : 2 milliards de plus, de la formation tous azimuts pour, en un tour de passe-passe statistique, faire passer nombre de chômeurs de la catégorie A trop voyante à celles plus dissimulées D et E. Ses colistiers s’apercevant que tout est plié, Valls le caudillo et Macron le fringuant libéral, entrent en concurrence pour lui ravir la candidature présidentielle. Une primaire à gauche ? Une primaire à droite ? Le bal des ego de la caste contre l’épouvantail Le Pen est ouvert… Sarko a déjà entonné ses lamentos « Je n’aurais pas dû mais je reste le meilleur à coup sûr ». D’autres vont suivre en proclamant : « Je peux mieux faire », pour que rien ne change sinon plus de régressions sociales, de racisme et d’islamophobie.

L’overdose risque de tourner à la tragi-comédie d’un système à bout de souffle.

(1) Titre du livre de Patrick Rambaud, éditions Grasset. A lire et à recommander pour rire de la déraison ambiante.

No 020 – 2 € - janvier 2016(parution fin janvier)

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Qué pasa en Espana ?Nous publions, ci-après, le travail de réflexion mené par le groupe des Amis de l’Emancipation Sociale(1) de Lure, qui s’est attaché à comprendre la spécificité de l’évolution de la société espagnole. Le retour sur l’Histoire du peuple espagnol, la sortie de l’ère franquiste puis l’instauration d’une démocratie contrôlée aboutissant à son entrée dans l’UE s’apparente à celle de la Grèce après la fin de la dictature des colonels. De même, la crise de 2007-2008 a profondément bouleversé leurs économies tournées vers le tourisme et la spéculation immobilière. Toutefois, l’émergence de Syriza en Grèce et celle de Podemos est différente. Il serait intéressant de poursuivre cette comparaison… d’autant que le fonctionnement de Podemos n’est guère différent des autres partis. Toutefois, la poussée du mouvement des Indignés et des associations et autres groupes politiques laisse penser que le bouleversement du paysage politique espagnol n’a pas fini de nous étonner. La crise politique en germe (absence de gouvernement volontés indépendantistes et autonomistes, remise en cause de la royauté) contient en elle-même la possibilité de transformations plus profondes. Toutefois, et il faut le souligner, Ciudadanos, parti fondé de toutes pièces (sonnantes) par un banquier, apparaît comme la solution de remplacement que se donnent les classes dominantes, tentant de rallier les couches moyennes pour marginaliser le mouvement populaire et Podemos. Mais cette nouvelle droite libérale, soutenue par les médias, se heurte aux volontés d’autonomie des régions. Cette spécificité espagnole se traduira-t-elle en un système fédéral stabilisateur ? Ou bien à l’image de cette déconstruction de l’union libérale de l’Europe (Ecosse, Brexit, Grexit, montée des nationalismes) ? Assistera-ton à l’éclatement de l’unité de l’Espagne ? Sachant que le mouvement indépendantiste en Catalogne, bien qu’il ait évincé Arthur Mas, ce dirigeant de la droite libérale catalane, lui substitue un nouveau leader issu de la même formation politique… et ce, sous la pression d’un parti d’extrême gauche. DP.

A travers cet article, nous allons tenter de répondre à 4 questions concernant la situa-tion actuelle en Espagne.

Question 1 : Comment un NOUVEAU parti politique, enregistré le 11/03/2014, peut-il, un an plus tard, remporter les villes de Ma-drid et Barcelone aux élections municipales et obtenir 21% des voix aux élections législa-tives un an après ?

Question 2 : Pourquoi l’Espagne se trouve-elle aujourd’hui, le 19/01/2016, sans gouvernement ?

Question 3 : Où est l’équivalent espagnol du Front National français ?

Question 4 : La Catalogne sera-t-elle in-dépendante en 2017 ?

1ère partie - Petit rappel historique

L’Espagne a connu la dictature de F. FRANCO, de 1936 à 1975, et donc pas de problèmes électoraux à cette époque !!! Se doutant qu’il allait mourir un jour, Franco choi-sit, forma, éduqua, son successeur en la per-sonne de Juan CARLOS, surnommé alors « le pantin de Franco ». Mais, à la surprise gé-nérale, et non sans un certain courage, Juan Carlos, nommé roi le 22/11/1975, quelques jours après la mort du Caudillo, convoqua un groupe d’experts afin de préparer une Consti-tution instituant la démocratie en Espagne : la Constitution de 1978 prévoyait en effet l’élec-tion au suffrage universel, tous les 4 ans, d’un Parlement qui désigne un premier mi-nistre chef du gouvernement.

Le 1er gouvernement de SUAREZ, cen-

triste, connut le coup d’État de 1981, pendant lequel des militaires putschistes prirent en otage l’Assemblée Nationale espagnole du-rant 17 heures, n’hésitant pas à faire usage d’armes à feu.

Juan Carlos intervint à la télévision pour demander à l’armée de soutenir le gouverne-ment légitime et le coup d’État échoua. Com-mença alors une alternance entre deux partis hégémoniques le PSOE, parti socialiste ou-vrier espagnol (gauche) et le PP, parti popu-laire (droite).

Scores électoraux

1982/1996 : Felipe Gonzalés, PSOE

1996/2004 : J M Aznar, PP, 44%

2004/2011 : JL Zapatero, PSOE, 43%

2011/ : M. Rajoy, PP, 45%

Ces scrutins se déroulent à la proportion-nelle par circonscription en un seul tour. Ces scores sont donc à comparer au 1er tour des élections françaises.

On peut s’étonner que les Espagnols se soient contentés, durant ces années, d’une offre politique si pauvre, mais ils avaient une bonne raison : ILS CONSOMMAIENT. Après la dictature, l’Espagne s’ouvrait à nouveau aux capitaux, aux industries, aux touristes… Les Espagnols avaient du travail et, en confiance, n’hésitaient pas à s’endetter pour acheter des maisons, des biens de consom-mation, dont ils avaient été privés sous Fran-co.

Le PIB fut multiplié par 8 (4 pour la France)

L’entrée dans l’Union Européenne, en 1986, dopa encore la croissance. En effet, l’Espagne bénéficia de subventions euro-

péennes en matière d’infrastructures (trans-port, agriculture, énergie…). Entre 2005 et 2008, la croissance en chiffres cumulés fut de 11,1% (6,4% pour la France).

Bref, les Espagnols avaient du travail, s’équipaient et la politique était le cadet de leurs soucis. Cette indifférence permit au PP et au principal syndicat l’UGT, proche du PSOE, de prospérer en toute quiétude, de s’affranchir parfois de règles légales.

Ce rappel historique a pour but de mon-trer que l’Espagne et la France abordent dif-féremment la crise de 2008 : la France connut les Trente Glorieuses puis une crois-sance faible, l’Espagne, une stagnation puis une croissance très forte.

2° partie - Réponse à la question n° 1La crise de 2008 et la

naissance du parti PODEMOS

La crise de 2008 transforma en France une croissance faible en une stagnation. Nous l’avons pourtant tous ressentie concrè-tement (retraite, Sécurité Sociale, conditions de travail, salaires,…). La croissance passa de 6,4% (chiffres cumulés) entre 2005 et 2008 à 0,9% entre 2009 et 2013.

En Espagne, on passa de 11,1 % à -5,8%. L’Espagne connut une réelle réces-sion.

POUR L’ÉMANCIPATION SOCIALE N°020– JANVIER 2016 (parution fin janvier)- 2

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La France a ralenti, l’Espagne, elle, a frappé un mur et est repartie en arrière. Le taux de chômage atteignit 25% en 2013 (50% pour les moins de 25 ans). De plus, pour sau-ver les banques espagnoles, l’UE octroya au pays un prêt de 41 milliards d’euros, assorti de l’obligation de coupes budgétaires san-glantes et de taux d’intérêts peu amicaux.

Ce séisme économique fit voler en éclats les pactes tacites entre gouvernement et syn-dicats et mit à jour moult affaires de corrup-tions, détournant de la classe politique tradi-tionnelle un grand nombre d’Espagnols.

Entre 2008 et 2014, de nombreuses as-sociations, collectifs citoyens virent le jour pour lutter contre les effets de cette crise. De nombreuses expériences de micro-écono-mies solidaires se créèrent et engendrèrent de grands mouvements sociaux, « marées vertes » dans l’éducation, « marée blanche » dans la santé, « mouvement des indignés », l’Espagne populaire et solidaire était en ébul-lition.

Dans ce contexte se créa à Madrid un collectif de professeurs de l’Université de Complutence en pointe sur le problème des expulsions, dont faisait partie un certain Pa-blo Iglésias, professeur de communication économique. Ce collectif en a fédéré de nom-breux autres qui souhaitaient poursuivre la lutte sociale sur le plan politique.

C’est ainsi que fut enregistré le 11/03/2014 un nouveau parti politique : PO-DEMOS (Nous pouvons).

En mai 2014, son score aux européennes est de 8%. Aux municipales, Podemos gagne la ville de Madrid (Manuela Carmena) et Bar-celone (Ada Colau).

En décembre 2015, Podemos fait 21% aux élections législatives.

C’est donc par l’engagement citoyen, hors des partis traditionnels, à travers des collectifs, des associations et la présence d’un leader fédérateur que Podemos a pu aussi rapidement obtenir de telles victoires électorales.

3° partie : Situation actuelle

A partir de 2013, les élections ne se jouent plus à deux partis mais à trois, voire à quatre ; car un autre parti apparaît égale-ment. Ce parti est né en Catalogne en 2005. C’est un parti anti-indépendantiste, libéral, qui va servir de support au plan national à des candidats libéraux venant de la société civile. Ce parti s’appelle : CIUDADANOS (ci-toyens) dont le leader s’appelle Albert Rivera.

En décembre 2015, les élections législa-tives se déroulent donc avec ces 4 principaux partis et le résultat fut :

1 : PP 28% 123 députés

2 : PSOE 22% 90 députés

3 : PODEMOS 21% 69 députés

4 : CIUDADANOS 14% 40 députés

5 : divers 15% 30 députés

Majorité absolue 176 députés.

Sachant,

1 que Ciudadanos refuse de s’allier avec les partis traditionnels (PP, PSOE),

2 que Podemos, lui, est prêt à des alliances à condition que le Parti concerné orga-nise un référendum d’auto-détermination en Catalogne et au Pays Basque (ce que refusent tous les autres partis),

3 et que l’alliance PP/PSOE apparaît ac-tuellement comme une alliance contre-nature,

vous obtenez la réponse à la question n° 2 : l’Espagne n’a pas de gouvernement car aucun parti n’a la majorité absolue et aucune alliance ne se dessine actuellement. Ces al-liances pouvant atteindre la majorité absolue grâce aux voix des députés « divers » négo-ciés à travers des accords individuels locaux.

La réponse à la question n°3 concernant le Front National espagnol est rapide. En ef-fet celui-ci n’apparaît pas en tant que parti mais les idées d’extrême-droite sont défen-dues par une partie du PP qui « phagocyte » ce mouvement.

4° partie : la Catalogne

On dit généralement que la Catalogne souhaite son indépendance car c’est une ré-gion riche qui refuse de payer pour les ré-gions pauvres d’Espagne. Ce n’est pas faux mais c’est loin d’être la seule raison.

Quelques rappels :

La langue officielle en Catalogne est le catalan. Les enfants suivent leur scolarité en catalan et apprennent l’espagnol (castillan) en 2° langue.

La Catalogne possède une police cata-lane (los mossos de Escuadra) qui a toutes les compétences (excepté celles concernant la police des frontières).

Elle possède plusieurs chaînes de TV en langue catalane (privée, publique).

Les Catalans parlent exclusivement entre

eux en catalan (langue totalement différente du castillan)

La corrida, symbole de l’Espagne est in-terdite en Catalogne depuis 2010.

Le mouvement indépendantiste y est très présent (drapeaux aux fenêtres, tags pro-in-dépendantistes nombreux…)

Les Catalans ne se sentent pas culturel-lement espagnols.

On aurait donc pu s’attendre à un raz-de-marée indépendantiste aux régionales de 2015. Pourtant, ce mouvement n’obtint que 48% et, grâce ou à cause du système électo-ral (élection proportionnelle par circonscrip-tion), a obtenu la majorité absolue au parle-ment catalan (72 sièges sur 135).

Il semble donc que la population catalane soit divisée en deux parties quasiment égales, l’une souhaitant une véritable indé-pendance et l’autre une autonomie plus grande au sein de l’Espagne. La Catalogne se trouve donc dans la pire situation : chaque camp revendiquant la victoire.

Le parlement a donc mis en route le pro-cessus d’indépendance avec la majorité des sièges mais sans la majorité des voix. La dé-termination totale dans la voie de l’indépen-dance est confirmée par l’élection du nou-veau président du Parlement catalan M. PUIGDEMONT, indépendantiste intransi-geant de la première heure, qui promet l’indé-pendance pour 2017 au plus tard.

Remarque : cette volonté pourrait inciter, au niveau national, le PP et le PSOE à s’allier pour ne pas laisser la voie libre à l’Indépen-dance catalane.

A la question n°4 : La Catalogne sera-t-elle indépendante fin 2017, le groupe des AES de LURE apporte une réponse unanime, claire et précise : on ne sait pas !!

Jean-Louis, Lucette, Danièle, Fabrice, Evelyne – groupe des AES de Lure, le 19.01.2016

POUR L’ÉMANCIPATION SOCIALE N°020– JANVIER 2016 (parution fin janvier)- 3

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2016. Que peut-il advenir ?Tenter de discerner, à partir de grandes

lignes de forces caractérisant la période ac-tuelle, ce qu’il peut advenir est un exercice périlleux. L’Histoire, en effet, dément le plus souvent les meilleures analyses, surprend toujours les observateurs les plus avisés.

Ils étaient peu nombreux ceux qui, lors de la séquence dite de la « mondialisation heu-reuse », avaient pu imaginer la naissance d’un mouvement altermondialiste d’ampleur mondiale, pour finalement s’échouer sur la croyance infondée d’une possible transforma-tion des institutions internationales (FMI, OMC)

Ils étaient encore moins nombreux ceux qui prédisaient la crise de 2007-2008, le sau-vetage des banques et de la finance, les poli-tiques d’austérité et de régression drastiques.

Rares étaient ceux susceptibles d’entre-voir que les dictatures arabes allaient être ébranlées…

Reste que, dans la dernière période, bien des certitudes largement admises se sont ef-fritées et qu’il est toujours utile de pointer les fissures du système-capitalisme.

1 – L’ébranlement de la domination du capitalisme

financiarisé va se poursuivre

La crise de 2007-2008 et les pseudo-re-mèdes administrés pour tenter de relancer la « croissance » par l’injection de liquidités n’ont rien réglé. « L’argent facile », la planche à billets sous forme de rachats de dettes par la BCE ou la FED américaine, ont surtout pro-fité aux banques et aux transnationales. Le capital fictif (1) n’a guère servi à surmonter la baisse des commandes et du pouvoir d’achat des ménages. En revanche, la spéculation et les inégalités ont désormais atteint des ni-veaux inégalés(2). La crise de surproduction, qui a pris la forme d’une crise financière de spéculation immobilière, est toujours là. Les médias en parlent de manière euphémisée en invoquant des « surcapacités » dont on ne nous dit pas d’où elles proviennent… La crise qui vient pourrait faire bien plus de dégâts.

Entre temps, le paysage politique s’est transformé dans de nombreux pays pour le pire et parfois le meilleur. En Grèce, en Es-pagne, notamment, les vieux partis tradition-nels d’alternance ont reçu les coups de bou-toirs des mouvements populaires défensifs contre les politiques d’austérité. De nouvelles

formations politiques ont surgi, y compris des mouvements nationalistes, identitaires et xé-nophobes. Les volontés de sauvegarder les « acquis » sociaux durant des Trente Glo-rieuses, de préserver l’environnement, tout comme les réflexes de repli face à la concur-rence des pays tiers, laissent penser que ce clair-obscur va persister. L’expérience grecque s’est traduite par un échec face aux diktats de Bruxelles et à la « trahison » de Sy-riza. En Espagne, le jeu reste ouvert mais Po-demos semble encore moins « radical » que Syriza…(3). Quant aux forces xénophobes, elles ont le vent en poupe, notamment dans les pays de l’Est (Pologne, Hongrie…).

Au Moyen-Orient, les soulèvements po-pulaires, appelés improprement « printemps arabes », ont ébranlé les dictatures. Les classes dominantes ont vite repris le dessus dans ces sociétés marquées par la culture is-lamique. La contre-révolution à l’œuvre a op-posé, et oppose encore, les forces libérales corrompues aux partis islamistes conserva-teurs, voire réactionnaires. En Égypte, l’armée a pris le pouvoir pour consolider les pre-mières, alors qu’en Tunisie une coalition im-probable de ces deux forces tente de se maintenir au pouvoir. L’Arabie Saoudite, cette pétromonarchie féodale et théocratique, a tout fait pour maintenir les forces dominantes au pouvoir (aide aux militaires en Égypte), lutter contre les Frères Musulmans concurrents, et remettre au pas le Qatar. Elle n’a pu, en re-vanche, contrer l’influence grandissante de Daech et la persistance d’Al Qaïda qui contestent la légitimité des pétro-monarques.

Au demeurant, la contre-révolution n’a provoqué que l’extension de la guerre sous la forme d’une opposition irréductible entre les tenants de l’islamisme rétrograde, des pétro-monarchies, de l’Iran chiite et du régime turc dont les visées hégémoniques sur cette partie du territoire persiste, malgré les revers subis par les Frères Musulmans. En outre, la misère sociale, les taux de chômage ahurissants, les inégalités pharaoniques, se sont accrus, lais-sant persister la possibilité de la reprise de mouvements populaires d’ampleur (Tunisie, Egypte…).

Autrement dit, les impérialismes, parrains des régimes, qu’ils soient occidentaux ou russes, ont de moins en moins de prise sur eux. Aucun d’entre eux n’a réussi, pour l’heure, à restaurer son hégémonie.

En Europe, les diktats de Bruxelles et de la Troïka auront désormais de plus en plus de mal à s’imposer. On imagine mal la reconduc-tion de cette même coalition au sein de l’Euro-

groupe pour imposer, comme elle l’a fait en Grèce et à Chypre, des mesures draco-niennes d’austérité à l’Espagne, à l’Italie… En effet, l’Europe, telle qu’elle s’est construite, entre dans un processus de déconstruction. Outre la fin de Schengen avec l’afflux des ré-fugiés fuyant la guerre et la misère, une sourde guerre souterraine pour s’accaparer des parts de marchés ou les protéger de la mainmise des grands groupes capitalistes, font surgir autant de réflexes nationalistes, heurtant les puissances dominantes. Le mythe de l’Europe harmonieuse et de la paix s’étendant à l’Est, semble avoir vécu : les concurrences sociales, fiscales, les tentatives de leadership allemand l’ont fragilisé à un point tel qu’elles menacent l’unité même des États (Écosse ou Royaume Uni, Catalogne en Espagne, Belgique et même la Corse en France).

Toutes les castes politiciennes au pouvoir, en alternance, se raidissent, se hérissent de ne plus pouvoir maîtriser les situations qu’elles ont elles-mêmes peu ou prou provo-quées à coups d’austérité, d’inégalités so-ciales et territoriales. La commission euro-péenne et le FMI en viennent timidement à proposer aux États de promouvoir une poli-tique de la demande contre celle de l’offre qu’ils ont préconisée jusqu’ici. En d’autres termes moins obscurs, il s’agirait de relancer des grands travaux, d’augmenter la masse salariale globale… tout en continuant à ré-duire l’endettement, donc à supprimer les dé-penses sociales jugées trop onéreuses. C’est la quadrature du cercle ! Car quoiqu’on laisse penser, les créanciers, les banques, les assu-rances, les fonds spéculatifs ne veulent pas en démordre (y compris les États prêteurs et les institutions financières) : remboursez, y compris les intérêts ! La renégociation de la dette promise à Tsipras, le grec, pourrait bien se révéler un mirage. D’ailleurs, les Grecs semblent l’avoir compris, les protestations po-pulaires face à la contre-réforme du régime des retraite et contre les privatisations-spolia-tions, reprennent.

Qui plus est, confrontée aux consé-quences imprévues (pour l’UE) des guerres successives d’Afghanistan, d’Irak, de Syrie et l’afflux des réfugiés qu’elles engendrent, la « solidarité » européenne n’est plus de mise. Elles confortent ainsi les mouvements xéno-phobes, y compris en Allemagne. En Grande-Bretagne, le Brexit, suite au référendum prévu cette année, pourrait inaugurer la déconstruc-tion de l’UE. Pour l’heure, les classes ou-vrières et populaires ne semblent guère se doter « d’outils » collectifs à la mesure des

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contraintes qu’elles sont amenées à subir.

Aux USA. Le faible frémissement de l’économie US ne repose que sur le sauve-tage des banques, l’injection massive de liqui-dités par la banque fédérale (la FED) sans que l’on n’assiste, pour autant, à une crois-sance fiable. Celle-ci ne s’appuie que sur la reprise fragile de l’endettement des ménages, ce recours au crédit qui, précisément, a pro-voqué la crise de 2007-2008. La production intensive de pétrole et de gaz de schiste a certes joué un rôle de stabilisateur mais, pour combien de temps et au prix de quels dégâts environnementaux ? La société états-unienne reste marquée par de profondes inégalités, le racisme et les peurs de la majorité blanche déclinante (4). Les humeurs néoconserva-trices et impériales sont de retour sous les formes les plus caricaturales dans le parti dit Républicain (Donald Trump). Elles laissent augurer un remake de l’ère bushienne. Certes, les jeux ne sont pas faits. Les traités de libre-échange transpacifique et le TAFTA avec l’Europe sont susceptibles de redonner du lustre à l’impérialisme US. Il n’empêche, l’aggravation brutale de la situation écono-mique mondiale peut tout bouleverser… et conférer à l’élection présidentielle prochaine un tour abracadabrantesque sur fond de mo-bilisation politicienne à coups dantesques en milliards. La ploutocratie états-unienne est en effet caractérisée par des luttes de clans où le carnet de chèques est décisif ! Au demeurant, ces guerres picrocholines ne doivent pas masquer l’essentiel : le recul de la superpuis-sance US. Obama, empêtré dans les guerres au Moyen-Orient, n’a guère réussi son « pi-vot » vers l’Asie afin de contrer l’influence de la Chine dans cette partie du monde. La mon-tée des nationalismes en Asie (Chine, Ja-pon…), la forte présence de populations mu-sulmanes travaillées par l’idéologie wahhabite (Indonésie, Malaisie) et l’irréductibilité de la Corée du Nord ne lui facilitent pas la tâche et ce, malgré le nombre de bases militaires ins-tallées dans la région. Bien des « déra-pages » sont possibles.

En Amérique latine. Les gouvernements « progressistes », issus des mouvements de contestation du « libre-échange » imposé par les États-Unis (ALENA) et de la volonté de se soustraire à l’endettement, sont soit renversés (Argentine) soit en grande difficulté. Les droites libérales reviennent au pouvoir dans une situation de marasme économique et de protestation des classes moyennes. Les équipes « progressistes » (d’autres diraient populistes), bien qu’affirmant leur volonté de se soustraire à la tutelle états-unienne, de promouvoir des mesures sociales y compris en faveur des peuples autochtones, ont révélé leur propre incapacité à construire une écono-mie diversifiée répondant aux besoins des po-pulations. Elles ont tout misé sur la rente (pé-

trole, matières premières) et ne se sont pas attaquées aux classes dominantes compradores, corrompues, voire maffieuses. Le très mal nommé Parti des Tra-vailleurs au Brésil a sombré dans le marigot des affai-ristes, tout comme les péro-nistes argentins. D’autres résistent encore sur des bases fragiles nationalistes, développementistes (Équa-teur, Bolivie…), coincés qu’ils sont par la domination du capitalisme financiarisé, voire par leur propre endet-tement. Le ralentissement économique de la Chine (voir plus loin) provoque dé-jà l’affaiblissement de l’ex-portation des matières pre-mières et la fuite des capi-taux. Dans ce continent, marqué par de puis-sants mouvements de luttes d’ouvriers et de sans-terre, le « socialisme bolivarien » pour-rait bien connaître des rebondissements inat-tendus.

La mondialisation du capitalisme financia-risé ébranlé possède toutefois un ennemi qui le conforte. La guerre contre le terrorisme inauguré par Bush n’a pas fini de produire ses effets.

2 – Vers l’extension du domaine de la guerre et

ses conséquencesEn période de crise, « le capitalisme porte

la guerre comme la nuée porte l’orage » disait à peu près en ces termes, Jean Jaurès. Dans l’état de rivalité entre puissances impériales, rien ne laisse supposer que les guerres en Syrie, en Irak et désormais en Libye et au Yé-men pourraient se clore en 2016. Avec les in-terventions russes et iraniennes d’une part, et, d’autre part, les soutiens occidentaux et des régimes du golfe persique aux différents pro-tagonistes, le régime du boucher Assad risque de perdurer et l’EI se perpétuer. La contre-ré-volution dans ces pays qui se déchirent entre ailes rétrogrades obscurantistes et dictato-riales, qui, en termes d’influence régionale, va l’emporter, de l’Iran ou de l’Arabie Saoudite ? Qui des Russes et des États-uniens, flanqués de leur sergent- chef Hollande comme force supplétive, tirera son épingle du jeu meurtrier pour assurer la « reconstruction-construc-tion » de ces sociétés délabrées et dislo-quées ? On voit mal l’Irak conserver son unité alors même que les Kurdes possèdent leur autonomie au nord, que les Chiites ont leur gouvernement à Bagdad et que les Sunnites sont sous la coupe de Daech.

Quant aux Kurdes syriens, les seuls jus-qu’à présent à avoir fait reculer l’État Isla-mique, ils ne sont pas en mesure de s’allier avec la plupart des groupes anti-Assad dont nombre d’entre eux sont sous la coupe des pays du Golfe. Enfin les « révolutionnaires-démocrates » syriens, qui avaient animé les manifestations pacifistes avant leur transfor-mation en guerre civile, sont soit noyés dans la masse des groupes rebelles islamistes, soit exilés dans des camps ou « parqués » en Eu-rope. Les haines recuites dans ce bourbier ne sont pas prêtes de s’éteindre et les frappes aériennes (tout comme l’armement des par-ties opposées) ne font que les attiser. Qu’il est loin le rêve bushien du grand Moyen-Orient li-béralisé sous la coupe des États-Unis !

La Turquie elle-même, malgré la pré-gnance du régime despotique d’Erdogan est en voie de déstabilisation : le flot des réfugiés sur son sol, la reprise de la guérilla kurde et sa répression, le muselage de la presse, l’in-carcération de journalistes et d’opposants, sont autant de divisions internes attisées, tout comme les attentats terroristes de Daech qui n’admet pas le revirement du gouvernement turc. En effet, « l’autoroute des djihadistes » permettant le recrutement d’Occidentaux et de Caucasiens, si elle se ferme, va inciter Daech à multiplier des attentats meurtriers. Nombre de cellules dormantes terroristes sont présentes sur le sol turc. Daech, dont on voit mal « l’éradication » survenir en 2016, va continuer à produire et à étendre ses nui-sances mortifères sur fond de misère sociale, de désarroi et de repli à caractère tribaliste.

Dans les couloirs des palais des grandes puissances occidentales, on parle désormais de la nécessité de frappes aériennes dans la Libye divisée en deux gouvernements hostiles et dans laquelle prospère l’influence territo-riale de ceux qui se revendiquent de Daech.

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Et l’on pourrait continuer cette énumération dans les pays africains du Sahel (Mali, Mauri-tanie, Centre Afrique…).

La seule éclaircie possible résulterait de la conjonction, improbable pour l’heure, de nouveaux soulèvements populaires en Tuni-sie, en Égypte… avec un mouvement anti-guerre dans les pays occidentaux.

3 - Vers une accélération du chaos ?

La mondialisation financière s’est construite sur l’exportation des capitaux, la délocalisation d’entreprises dans les régions à bas coût de main-d’œuvre. Ce fut le moyen de surmonter la crise des années 70 et la baisse des taux de profit. « L’ouverture » de la Chine en a été le pivot essentiel. Cet « atelier du monde » connaît désormais les affres du capitalisme. La crise de 2007-2008 a provo-qué dans les pays occidentaux, stagnation, déflation, et la récession menace. Le renfloue-ment des banques, l’injection de capital fictif ne permettent pas de relancer la croissance d’autant que les politiques d’austérité sont des facteurs asphyxiants. La Chine ne par-vient plus, comme avant, à exporter ses mar-chandises dans des économies plombées par l’endettement et toujours tentées par la spé-culation, que la préservation des paradis fis-caux favorise.

La prospérité relative de la Chine reposait sur ses énormes capacités d’exportation de marchandises qui se heurtent désormais à l’affaiblissement de la demande occidentale. La surproduction renforcée par le volonta-risme industriel et immobilier se traduit par la surabondance d’infrastructures et une pollu-tion insoutenable. La construction de tours et d’immeubles, favorisée par la spéculation im-mobilière, ne rencontrant plus les acheteurs nécessaires, tout comme la fin de l’exode ru-ral intensif, laissent présager la fin d’un cycle et la possibilité d’une crise économique et fi-nancière de grande ampleur. Déjà, la déroute boursière que ne parvient pas à contenir le PCC (que nous appelons Parti du Capitalisme Chinois, dirigiste) en est le signe le plus appa-rent. L’injection de liquidités démesurées, 512 milliards de dollars en 2015, pour la contenir ne suffit pas. Le pouvoir semble tenté par la dévaluation compétitive du yuan qui relance-rait les exportations à bas coût et freinerait les délocalisations d’entreprises (Vietnam…) et de capitaux. Il compte surtout, suite à l’entrée de la Chine à l’OMC, sur la suppression des barrières douanières à l’horizon 2017 pour inonder les marchés, détruisant par là-même les tissus industriels persistants dans les pays occidentaux.

Si la Chine, comme nombre de facteurs le laissent supposer, devait « dévisser » (ralen-

tissement de son taux de croissance, éclate-ment des bulles boursières et bancaires), l’en-semble des pays en serait affecté. C’est déjà le cas. Les pays exportateurs de matières premières, dont l’empire du Milieu était friand, sont déjà touchés. Ainsi en est-il du Brésil comme de nombreux pays dont l’économie repose sur cette rente.

Autre facteur qui risque d’accroître le chaos à venir, la baisse du prix des hydrocar-bures, suite à la politique menée par l’Arabie Saoudite. Pour contrer le pétrole de schiste US, affaiblir l’Iran, et, par voie de consé-quence, la Russie, la théocratie saoudienne a inondé le marché de pétrole faisant drastique-ment baisser le coût du baril. Il est passé sous la barre des 30 dollars ! Ce régime ploutocra-tique, malgré ses énormes réserves, se dé-stabilise lui-même ; en 2015 son budget a été voté en déficit ( !). Les dépenses d’armement, la guerre menée contre le Yémen, la lutte des clans tribaux et familiaux au sein du pouvoir, portent à penser que ce régime réactionnaire pourrait bien, à terme, rejoindre les poubelles de l’Histoire. Mais bien avant cette fin souhai-tée, d’autres régimes sont sur la sellette : l’Al-gérie, le Venezuela… et surtout la Russie. La puissance poutinienne, face à la récession qui l’étreint, pourrait bien devenir encore plus agressive pour se maintenir, et le conflit ukrai-nien reprendre pour contenir l’expansion de l’Union Européenne et de l’OTAN…

Autre impensé, en termes de consé-quences dramatiques, malgré la grand’messe médiatique de la COP 21 : l’impossible muta-tion du capitalisme productiviste, extractiviste, drogué à la finance, à la recherche erratique du maintien d’un taux de profit à 2 chiffres. Outre les déplacements brutaux de capitaux vers des actions rentables, le dérèglement-ré-chauffement climatique va se poursuivre mal-gré les promesses invoquées(5). Les catas-trophes humaines engendrées, famines et destructions, susciteront un flot incontrôlable de réfugiés climatiques. Certes, le pire n’est jamais certain mais les « maîtres du monde » réunis à Davos semblent s’en soucier comme d‘une guigne. Verra-t-on, comme souhaité, la convergence nécessaire des luttes écolo-giques et sociales pour mettre, pour le moins, un coup d’arrêt aux processus destructeurs et, pour le plus, l’apparition de mouvements politiques prônant un éco-socialisme démo-cratique tourné vers la satisfaction des be-soins des peuples ? Pour 2016, rien n’est moins certain.

Et la France. Que faire ?L’état d’urgence prolongé, c’est un état

d’exception permanent(6). Outre la lutte contre le terrorisme, dont on a pu mesurer l’in-efficacité patente, les mesures liberticides ins-crites dans la Constitution serviront à mater

les mouvements sociaux. C’est déjà d’ailleurs le cas (7) et la classe dominante et ses repré-sentants de « gauche » et de droite s’y pré-parent. Ils savent : la désindustrialisation, sus-citant un cortège de licenciements et de luttes défensives, va se poursuivre. La fragilité d’une agriculture productiviste tournée vers l’exportation provoque déjà des mouvements de colère. La caste politicienne, dans ses dif-férentes composantes, va poursuivre ses sur-enchères à l’approche des présidentielles : toujours plus de libéralisations-privatisations-régressions promettant ainsi de reconquérir le marché sur ses voisins européens. Il s’agit là d’un jeu à somme nulle sur fond de stagnation économique. Faute de mouvements sociaux d’ampleur, reconfigurant le paysage politique, le coup de Jarnac à la Chirac pourrait bien se reproduire : un candidat de la caste, quel qu’il soit, contre l’épouvantail Le Pen au 2ème tour des présidentielles. Sauf que, cette fois, la farce électorale risque de tourner à la tragi-co-médie : un fort taux d’abstention et une mon-tée inégalée du FN. L’élite politicienne, large-ment désavouée, ne pourrait alors se mainte-nir que par la répression.

Ce que l’on peut espérer de mieux, c’est un bouillonnement social tel, qu’il fasse surgir une force de transformation sociale et poli-tique venue d’en bas comme en Espagne, et ce, sans se faire d‘illusions sur les raccourcis car les chemins à parcourir restent semés d’embûches.

Reste pour l’heure, dans l’attente de ce qui peut advenir, à diffuser, à contre-courant, les idées d’émancipation sociale, d’éclairer autant que nous le pouvons, la réalité mou-vante dans laquelle nous sommes insérés. A nous souvenir également que la puissance médiatique n’a pu contrer les mouvements de 1995 ou les mobilisations contre le CPE ou contre le Traité Constitutionnel Européen. Quand le « peuple » veut, tout est possible.

Gérard Deneux, le 23.01.2016

(1) Cf article « Capital fictif, évasion fiscale et spécula-tion » dans PES n° 13 (avril 2015)

(2) « 62 personnes possèdent autant que la moitié de la population mondiale » article Oxfam National sur https://www.ox-fam.org/fr

(3) Cf article dans ce numéro « Que pasa en Espa-na ?»

(4) Lire à ce sujet Un nouveau rêve américain de Syl-vain Cypel (éditions Autrement), qui montre, entre autres, que les minorités « afro-américaines, latino, asiatiques) sont en passe de devenir majoritaires, ce qui provoque la « rage blanche » et laisse présa-ger, selon l’auteur, une démocratisation des USA( ?). Pour l’heure, c’est un rêve.

(5) Cf article dans ce numéro « COP 21. L’accord de Paris ignore l’état d’urgence climatique »

(6) Cf article dans ce numéro sur l’état d’urgence(7) Cf article dans ce numéro «Goodyear et meilleurs

vœux »

POUR L’ÉMANCIPATION SOCIALE N°020– JANVIER 2016 (parution fin janvier)- 6

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De l'état d'urgence à l'état d’exception permanent

Les attentats djihadistes de l'année 2015 ont profondément traumatisé la société fran-çaise. Le pays a à la fois découvert, de la manière la plus violente, que les aventures guerrières de son gouvernement ne pou-vaient pas ne pas rester sans aucune consé-quence et qu'une fraction infime d'une jeu-nesse se sentant perdue pouvait se jeter dans les griffes d'un monstre et devenir elle-même un monstre. Victime sans avenir d'une société fragmentée, elle en est devenue le bourreau. Car c'est bien la France qui a en-gendré ces barbares tuant au nom d'une idéologie prenant la religion musulmane et les musulmans en otage au nom d'Allah, qui, à supposer qu'il existe, n'y est strictement pour rien.

Si l'état d'urgence initial, d'une durée de 12 jours, pouvait se justifier au regard des événements tragiques et dangereux, sa pro-longation le 26 novembre impose un état d’exception ayant vocation à devenir perma-nent. Le Président de la République ne sou-haite-t-il pas le prolonger à nouveau ? Pire, la volonté de constitutionnaliser cet état d'ur-gence inscrirait la dérive sécuritaire, que tra-verse l'ensemble du monde dit « occiden-tal », dans la loi fondamentale de notre Ré-publique. L'autre volet du diptyque, la dé-chéance de nationalité, rebaptisée depuis peu déchéance nationale – décalage séman-tique visant à calmer les oppositions socia-listes – conforte un édifice nauséabond. La peur, la division et la répression deviennent les trois piliers d'un mode de gouvernement, important la théorie du choc des civilisations dans notre pays.

Les conséquences sur la société fran-çaise de cet état d’exception, de cette peur entretenue se font déjà ressentir, ainsi que les conséquences politiques et sociales. Mais avant de les aborder, il convient de re-placer l'état d'urgence dans une perspective historique afin de bien comprendre le jeu mortifère que veulent nous imposer les te-nants du système, enfin pour le moment !

Quelques rappels historiques

À travers l'Histoire, notamment la nôtre, l'état d'exception, dont l'état d'urgence n'est qu'une variante, fait partie de l’arsenal ré-pressif et punitif que l'État utilise lorsqu'il se sent menacé dans ses fondements.

Alors que la 1ère République de 1793 était menacée par les invasions des armées de l'Europe coalisée et que la guerre civile faisait rage, la Convention décréta les lois d'exception que fut la Terreur. Elles furent d'ailleurs utilisées par les thermidoriens afin de châtier les jacobins et autres sans-cu-lottes au lendemain de l’exécution de Robes-pierre et de la plus grande partie du comité de Salut Public. Entre 1799 et 1814-15, le Consulat puis l'Empire instaura des tribunaux militaires qui poursuivront leurs œuvres sous la Restauration avec les cours prévôtales. Le Second-Empire inventa les tribunaux mixtes, à la fois civils et militaires, ils étaient chargés de la répression judiciaire du mouvement ou-vrier et républicain. Nous « leur devons » le soin d'avoir peuplé l'Afrique du Nord, notam-ment l'Algérie, d'exilés. Durant la Première Guerre Mondiale, La Troisième République

envoya sur le front des tribunaux militaires ambulants afin d'assassiner « pour l'exemple ». Lorsque la France est envahie en juin 1940, les parlementaires affolés n'hé-sitent pas à donner les pleins pouvoirs, y compris constitutionnels au vieux maréchal Pétain qui instaura immédiatement un ré-

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Des voix s’élèvent…« Répondre au terrorisme en déployant une violence d’État, c’est perdre de vue la dé-

mocratie et la liberté. Aux États-Unis, la démocratie a été très sérieusement mise à mal par le Patriot Act. Qui sait le temps qu’il faudra pour répondre aux conséquences à long terme du Patriot Act ? » Angela Davis, le 16.01.2016

………………………………………………………………………….

Refusons la déchéance de nationalité et la constitutionnalisation de l’état d’urgence.

L’état d’urgence conduit à des décisions arbitraires, des dérives autoritaires (perquisi -tions, assignations à résidence, accroissement des discriminations à l’égard de populations déjà stigmatisées…). L’exécutif s’accapare le pouvoir législatif et relègue le pouvoir judiciaire hors de son rôle de gardien des libertés.

Inscrire l’état d’urgence dans la Constitution, c’est graver dans le marbre ce régime d’ex -ception qui permet l’action des forces de sécurité sans contrôle du juge.

Inscrire le retrait de la nationalité française aux binationaux condamnés pour crimes ter-roristes, c’est porter atteinte au principe même d’égalité des citoyens. C’est banaliser la lo-gique du rejet de l’autre.

N’acceptons pas la gouvernance de la peur : exigeons la sortie de l’état d’ur-gence !

Appel du Collectif « Nous ne céderons pas ! » Rassemblement le 30 janvier à Paris et partout en France et pétition à signer www.nousnecederonspas.org/

« La condamnation des syndicalistes de Goodyear règle d’une certaine manière la question de la primaire à gauche : messieurs Hollande, Valls et tous les membres du gou -vernement – je dis bien tous ! – sont définitivement disqualifiés pour y participer. Aucun d’entre eux ne peut se revendiquer “de gauche” ; une gauche et ses valeurs qu’ils vili -pendent, qu’ils déshonorent, qu’ils insultent par le verbe et par les faits. Si le cœur leur en dit, ils peuvent toujours se mêler à la primaire de droite, où ils retrouveront leurs amis, leurs complices et pourront célébrer en chœur l’entreprise, le Medef, la déchéance nationale, les racines chrétiennes de la France, la persécution des syndicalistes, des étrangers et de tous les opposants à leur vision ultralibérale ». Gérard Mordillat, romancier et cinéaste

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gime d'exception.

C'est sous la Quatrième République qu'est promulguée la loi du 3 avril 1955 afin de réprimer le mouvement nationaliste algé-rien et ses soutiens. C'est dans le cadre de cette loi que l'état d'urgence a été instauré dans la nuit du 13 au 14 novembre 2015 suite aux attentats de Paris et de Saint-De-nis.

Bilan et conséquences sociales de l’état d’urgence

Depuis la promulgation de l'état d'ur-gence et sa prolongation le 26 novembre 2015, nous vivons donc dans un état d'ex-ception qui limite fortement nos libertés et qui porte en lui les germes de l'arbitraire. Ef-fectivement, les perquisitions, les assigna-tions à résidence se font sous le sceau de la justice administrative. Les autorités judi-ciaires sont écartées des procédures. Offi-ciellement, cet état d'urgence a pour voca-tion de lutter plus efficacement contre le ter-rorisme. Mais qu'en est-il vraiment ? Quel est le bilan de l'état d'urgence ?

Le bilan du premier mois d'état d'urgence est affligeant au regard des moyens dé-ployés et des restrictions imposées. Entre le 14 novembre et le 15 décembre 2015 il y a eu 2 700 perquisitions administratives. En-tendez par là l'arrivée en force de la police en pleine nuit, défonçant votre porte d'entrée et se laissant aisément aller à des violences physiques allant jusqu'à parfois menotter des gamins. Durant ces perquisitions, les forces de l'ordre ont saisi 431 armes dont 41 de guerre. Il y eu 360 personnes assignées à résidence dont la presque totalité n'avait rien à voir de près ou de loin avec une quel-conque entreprise terroriste. On procéda à 334 interpellations débouchant sur 287 gardes à vue. Maigre bilan pour un poids sé-curitaire si lourd et des conséquences si graves pour la société française. D'autant plus que l'état d'urgence a également, et même surtout, été utile pour bâillonner toute contestation écologiste durant la COP 21. La manifestation pour le climat qui devait avoir lieu en même temps que la COP21 a été in-terdite et ses organisateurs assignés à rési-dence. Sont-ils des terroristes ? Menaçaient-ils l'ordre public ? Bien sûr que non. Et que dire à ces familles perquisitionnées pour rien et sans même une excuse ? La réalité concrète de cet état d’urgence, c'est ce couple de Tunisiens qui voient débarquer en pleine nuit des forces de l'ordre blessant au passage leur fillette âgée de 6 ans. C'est également ce père de famille assigné à rési-dence sur la base d'une dénonciation calom-nieuse de son ancien employeur et perquisi-tionné par des policiers confondant un por-trait Léonard de Vinci avec celui d'un quel-

conque barbu salafiste(1). Ces deux exemples illustrent bien la violence policière qui s’exerce d'autant plus facilement que la maréchaussée ressent un sentiment d’impu-nité. À tel point que le ministre de l'intérieur a dû rappeler ses troupes à l'ordre en leur de-mandant d'agir dans les règles de l'état de droit. Mais l'état d'urgence, Monsieur le mi-nistre, c'est déjà un état d’exception au droit.

Le climat en France est donc pesant. L'angoisse entretenue par l'état d'urgence et les débats autour de la déchéance de la na-tionalité ont réussi à créer une ambiance malsaine où chacun se regarde du coin de l’œil. Loin de répondre efficacement à la lutte contre le terrorisme, ces mesures que consti-tuent l'état d'urgence et la déchéance de na-tionalité pour les binationaux nés en France ont pour objectif de répondre à une opinion que le gouvernement juge un peu trop vite comme droitière. Le résultat est dramatique et peut s'avérer périlleux pour l'avenir car elles tendent à désigner un ennemi de l’inté-rieur et piègent toute la société dans une nasse sécuritaire sous le joug d'une justice administrative : « Avec le développement des écoutes, des surveillances, des assigna-tions à résidence et des perquisitions, la po-lice et la justice ont tissé une énorme toile d'araignée sur l'ensemble de la population, au risque de toucher des personnes qui n'ont rien à voir avec le terrorisme mais qui ont le tort d'être musulmans » (Le Monde, 28 novembre 2015).

Les actes islamophobes ont explosé du-rant l'année 2015 et nous pouvons concrète-ment sentir les dérives xénophobes qui tra-versent certaines franges de la population. En Corse, on n'hésite plus à manifester au cri de « Arabes dehors ». Près de chez nous, dans le Territoire de Belfort, un collectif anti-

migrants s'est créé contre l'installation d'un CADA(2) à Étueffont. La peur de l'autre et le repli identitaire se développent sans que cela ne déclenche aucune réaction d’ampleur au sein d'une « gauche » atone, paralysée par une sorte de torpeur qu'il faudra bien un mo-ment analyser. L'État et les médias jouent le jeu dangereux de la fragmentation de la so-ciété en montant les uns contre les autres et en opposant les communautés. Cela n'est pas sans conséquences politiques.

Conséquences politiques de l’état d’urgence

Les conséquences de l'état d'urgence sont tout d'abord liées à des objectifs de choix politiques. Effectivement, pourquoi faire perdurer un état d'exception qui ne semble pas très efficace pour lutter contre le terrorisme ? L'argument-massue du Pré-sident de la République est le suivant : s'il venait à lever l'état d'urgence et qu'il se pro-duisait un nouvel attentat, il devrait alors faire face à un peuple en colère contre le laxisme du gouvernement. Fadaise ! Même sous état d'urgence, un nouvel attentat ne fe-rait qu'aggraver les fractures qui traversent aujourd'hui notre société. C'est ailleurs là où il faut chercher les motivations qui poussent le gouvernement à prolonger l'état d'ur-gence. Premièrement, cette prolongation va dans le sens de projet de constitutionnalisa-tion de ce dernier. Puis, accessoirement, il y a la Coupe d'Europe de football, mais surtout une volonté politique, celle de détourner les regards de la question sociale en entretenant la peur et l'angoisse. Il s'agit également de disposer des outils légaux permettant d'anti-

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La réaction qui vient« Nous sommes les témoins non d’un « compromis historique », que certains appelaient

de leurs vœux, mais d’une compromission désormais généralisée et assumée avec les forces de la réaction, lesquelles triomphent par la grâce de celui qui affirmait en 2012 : « le changement c’est maintenant ». A son aversion rhétorique et feinte pour la finance a succé-dé la politique économique et sociale que l’on sait. S’y ajoute désormais une conversion brutale à l’état d’exception permanent (...) Observer la politique du chef de l’État, de son gouvernement et de la majorité qui les soutient depuis les attaques meurtrières de janvier et novembre 2015, c’est parcourir les pages d’un précis de décomposition politique au cours de laquelle les dernières velléités progressistes ont été abandonnées par celui-là même qui prétendait les incarner (…) A cette offensive, Manuel Valls ajoute une note singulière : la dé-nonciation réitérée des sciences sociales et humaines au motif « qu’expliquer, c’est déjà vouloir excuser »(…) Le parti socialiste donne raison à ses plus farouches adversaires. Jour après jour, il fait la démonstration remarquable qu’il est effectivement ce qu’ils disent : un rassemblement bureaucratique de coteries diverses qui, en dépit de leurs divergences, par-tagent un même appétit du pouvoir, et une machine électorale dont le seul but est d’être au service de l’actuel président de la République, quoi qu’il dise et quoi qu’il fasse(…) L’heure est crépusculaire mais ce n’est pas le doux crépuscule du matin qui annonce une journée lumineuse et légère : c’est le crépuscule du soir, prélude à une nuit longue et froide. S’y ré-soudre ? Jamais ».

Olivier Le Cour Grandmaison, universitaire (sur mediapart, le18.01.2016)

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ciper, de circonscrire et de réprimer toutes velléités de remise en cause de l'ordre so-cial. Preuve en est avec la condamnation des 8 ex-Goodyear à 9 mois de prison ferme. Le parquet, donc l'État, profite de l'ambiance de sévérité due à l'état d'urgence pour briser l'action syndicale. Il s'agit de ga-rantir la poursuite de la libéralisation de toute la société française et d'empêcher toute construction d'alternative progressiste. Pour-tant, les conséquences de ce petit jeu sont imprévisibles. Nous assistons à une véritable droitisation de la vie politique française. La déchéance de nationalité est une vieille lubie de l'extrême droite et elle est reprise par le Parti « Socialiste », c'est-à-dire la « gauche », dans la tête des gens. Cette tri-angulation politique orchestrée par Valls et Hollande place les idées du Front National au cœur des débats savamment instrumen-talisés par des experts cathodiques spéciale-ment choisis par la sphère médiacrate. PS et LR (les Républicains) font la course à l’écha-lote. Il s'agit de savoir qui sera le plus sécuri-taire. Donc, chacun joue la surenchère. Wau-quiez ne propose-t-il pas l'ouverture de camp pour les fichés S ? Syndicalistes et militants politiques n'ont qu'à bien se tenir ! L'une des conséquences voulue par l'oligarchie poli-tique et financière est la montée du Front National. Et pour clore le tout, c'est qu'ils réussissent. Le FN est devenu en suffrages le premier parti de France aux dernières élections régionales. Le rêve de tout candi-dat du système est donc à portée de mains : se retrouver au second tour avec comme ad-

versaire Marine Le Pen et faire jouer le vote utile. Bref, les électeurs doivent se retrouver devant un non-choix. There is no alterna-tive (3) : c'est soit les libéraux, soit le chaos.

Mais nous risquons également de faire face à un affolement sécuritaire de la part du gouvernement, face à son incapacité à s'at-taquer aux causes du terrorisme. C'est-à-dire à l'état d'urgence sociale. Pire, sa politique accentuera les phénomènes de relégation sociale dont souffre aujourd'hui une part im-portante de la population vivant dans les quartiers périphériques ou dans des zones d'exclusion sociale, y compris dans nos cam-pagnes. Comme la violence va à la violence, la violence d'état ne manquera pas de nourrir les vocations morbides de futurs candidats terroristes. Car c'est bien le sentiment d'inuti-lité, d'exclusion et l'impossibilité d'entrevoir l'avenir qui nourrissent le terreau sur lequel recrute Daech. D'où la nécessité d'apporter des réponses concrètes afin d'endiguer cet embrigadement.

En 2011, après les attentats d'Oslo qui avaient fait 92 morts, les autorités norvé-giennes avaient déclaré qu'il fallait plus de démocratie face à la barbarie terroriste, plus de progrès social. Car au-delà des néces-saires enquêtes de renseignement et des mesures de protection des populations, la démocratie, et le progrès social sont les seuls moyens d'endiguer le terrorisme car ils permettent à tous de trouver leur place au sein d'une « société apaisée ». Lutter contre le terrorisme, c'est aussi lutter pour une édu-cation apprenant le discernement, la connaissance de l'autre, le libre-arbitre. Cela nécessite un haut niveau de culture, des pro-fesseurs bien formés et des moyens consé-quents. Lutter contre le terrorisme, c'est aus-si lutter pour de nouveaux droits sociaux bri-sant l'arbitraire libéral et néoconservateur. Mais cela nous oblige à remettre en cause tout un système économique qui a besoin de briser les solidarités pour survivre. Ce sys-tème est dangereux pour toutes et tous. Il est prêt à inscrire dans la loi fondamentale de notre pays la possibilité à tout aventurier de mettre en place un régime autoritaire. La constitutionnalisation de l'état d'urgence et la déchéance de la nationalité donneraient tout l’arsenal légal à une Marine Le Pen pour qu'elle puisse appliquer son programme. L'une des solutions qui s'offre à nous, et sû-rement la seule, en tant que citoyens, c'est de s'unir afin de construire ensemble une vé-ritable alternative au capitalisme. C'est une lourde tâche mais elle est incontournable. C'est du peuple que viendra la solution. Op-posons notre unité à ceux qui veulent nous diviser. Mais cela fera l'objet d'un autre ar-ticle.

Laurent Dupré, le 25.01.2016

(1) Jean-Jacques Gandini, Le Monde Diploma-tique, janvier 2016

(2) CADA : Centre d’Accueil des Demandeurs d’Asile

(3) Il n’y a pas d’alternative de Margareth Thatcher (1983)

POUR L’ÉMANCIPATION SOCIALE N°020– JANVIER 2016 (parution fin janvier)- 9

Les Amis de l’Émancipation Sociale et les Amis du Monde Diplomatique Nord Franche-Comté

organisent une conférence-débat à Belfort, vendredi 12 février (20h30 à la Maison du peuple, entrée gratuite)

avec Olivier Le Cour Grandmaison

Sur le thème « état d’urgence, déchéance de nationalité : lois scélérates ? »

Dernier ouvrage paru d’Olivier Le Cour Grandmaison : l’Empire des hygiénistes. Vivre aux colonies, Fayard, 2014

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COP 21. L’accord de Paris ignore l’état d’urgence climatique

L’accord de Paris du 12 décembre 2015, à l’issue de la COP 21, est qualifié par ses organisateurs qui s’auto-glorifient, Hollande/Fabius, « d’ambitieux, juste, du-rable, dynamique, équilibré, juridiquement contraignant ». Bref, « un tournant vers un nouveau monde ». Rien que ça ! Des mou-vements pour la justice climatique affirment, au contraire, que c’est une « escroque-rie »(1) et, même, qu’il constitue « une peine de mort pour des millions de personnes » (2)

Les 195 États participants + l’UE, ont adopté, par consensus unanime, le texte proposé signifiant qu’ils sont d’accord pour maintenir un cadre international de « gouver-nance du climat ». La signature officielle est prévue le 26 avril à New York. Pour exister, il doit être ratifié par 55 des 195 États, repré-sentant 55% des émissions mondiales de gaz à effet de serre (on peut penser qu’en mai/juin, le Parlement français sera appelé à l’approuver, en notre nom). Ensuite, viendra le travail de réflexion sur les modalités de mise en œuvre et notamment celles qui vont obligatoirement concerner la sphère écono-mique et financière pour entrer en vigueur, seulement, en 2020 !

Force est de constater que l’urgence ne se mesure pas à la même aune selon qu’il s’agit de restreindre les libertés et de prolon-ger l’état d’urgence ou qu’il s’agit d’urgence climatique.

Certes, il n’est pas aisé d’emporter au consensus, l’accord de 195 pays, à intérêts très divergents(3), sur des engagements am-bitieux, dynamiques, contraignants et d’en préciser les contours. C’est pourquoi, à l’exa-men rapide de l’accord, on peut être inquiet quant à la volonté réelle de lutter contre le réchauffement climatique. L’accord semble être très en-dessous du changement de cap nécessaire. On est loin de la « révolution cli-matique »( !) souhaitée par Hollande… Ne feignons pas d’être étonnés !

Un accord « ambitieux » ?L’accord stipule qu’il s’agit de « maintenir

l’augmentation de la température moyenne mondiale au-dessous de 2°C de réchauffe-ment par rapport au niveau de la période préindustrielle » et « de poursuivre les ef-forts pour limiter cette augmentation à 1.5°C » d’ici à 2050. Ambition affichée. Mais, y parvenir sans contrainte, sans sanction, ou encore sans « gendarme du climat », est un

leurre. Certes, en affichant des sanctions et les moyens de les appliquer, il aurait été vain de penser aboutir à un accord.

Ce qui pouvait fâcher les puissants, et empêcher la signature des « petits », ce qui pouvait «gêner l’unanime consensus a été placé dans la première partie ou préambule qui n’est pas soumise à ratification des États. Dès lors, dès l’article 2, l’accord sent le frela-té. D’une part, la somme des « contribu-tions » (le terme « engagements » a été ban-ni car trop fort) fournies par les États (INDCs)(4), conduit à une augmentation du réchauffement entre 3 et 4°C. D’autre part, elles ne tiennent pas compte des transports aériens et maritimes exclus des calculs (!), soit environ 10% des émissions de gaz à ef-fet de serre globales.

Par ailleurs, pour parvenir à 1.5°C, les experts du GIEC(5) affirment qu’il faut ré-duire les émissions de gaz à effet de serre de 80%, ce qui signifie la fin de l’ère des énergies fossiles. Or, cet objectif ne figure ni dans le texte, ni dans les contributions pré-vues aux niveaux nationaux. L’accord oc-culte totalement la cause principale du ré-chauffement climatique, qui aurait pu faire du 12 décembre 2015, une « grande date pour l’humanité » celle du début de la fin du sys-tème capitaliste productiviste basé sur l’ex-traction et la surexploitation des énergies fossiles.

Qui, honnêtement, y croyait ? C’est la politique des petits pas (peut-on nous rétor-quer), certes, mais… à reculons !

Un accord « respectueux des possibilités de

chaque signataire » ?Il faut laisser chaque État décider de l’ef-

fort dont il est capable. Même pas question de fixer un pic des émissions à effet de serre au-delà duquel il y aurait contrainte. Non ! Il est écrit que les émissions devront atteindre un pic « aussi vite que possible ».

Les États ont fait des propositions, selon leurs « possibilités ». Pour exemples : la Do-minique qui émettait en 2010 l’équivalent de 3.2 tonnes de CO2/habitant, a promis l’effort le plus important, proposant une réduction de 73% d’ici 2030. Quant au Qatar, le plus gros émetteur mondial (72.1 tonnes de CO2/habitant en 2010), il s’engage à limiter

son augmentation à 2% d’ici 2030.

Que penser de la valeur de propositions de la part des États qui, pour certains, n’ont pas les moyens de les financer ? Que pen-ser du « volontariat » de ceux qui ne sont pas prêts à remettre en cause l’exploitation de leurs richesses en énergies fossiles, sou-vent les États les plus influents, les plus gros pollueurs ? Que penser d’un accord qui ne parle pas de transition énergétique et ne pré-voit aucun financement additionnel pour la mener à bien ? Cet accord met en danger le droit de vivre de nombreuses populations de la planète, et notamment les pays les plus vulnérables.

Certes, « le cerveau du pacte », Fabius, n’avait aucunement l’intention d’afficher les objectifs qui fâchent, comme la transition énergétique et la réduction de l’extraction des énergies fossiles. Non-on-on ! « Laurent, tu as fait un travail extraordi-naire » l’a complimenté John Kerry. Al Gore, quant à lui a salué « la diplomatie la plus ha-bile que j’ai vue depuis plus de deux décen-nies que j’assiste à ces réunions ». Le « cer-veau » de cette « task force » diplomatique reconnaissait que « dans une négociation à 195 pays, il faut mouiller le maillot ».

Hors de question de noter les signaux d’alerte, même si tous savent que « pour éviter un emballement climatique incontrô-lable, il faut parvenir à faire chuter de 40 à 70% les émissions de gaz effet de serre » comme l’écrit le GIEC, et par conséquent, de s’interroger sur le système extractiviste et productiviste actuel.

Cet accord se dit fondé sur la « justice

climatique »Les efforts doivent être accomplis sur la

base de l’équité. Cela se traduit en ces termes : les pays développés « continuent de montrer la voie en assumant des objectifs de réduction des émissions en chiffres abso-lus » et les pays en voie de développement devraient « continuer d’accroître leurs efforts d’atténuation… eu égard aux contextes na-tionaux différents ». Qu’en langage abscons cela est-il magnifiquement formulé ! Quel af-freux usage de langue de bois !

Alors, pour pratiquer l’équité, est-il prévu un soutien aux pays en voie de développe-

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ment ? Oui. Les nations économiques les plus avancées verseront 100 milliards de dollars par an ; c’est le « niveau plancher » à partir duquel « un nouvel objectif chiffré col-lectif devra être fixé avant 2025 », mais sans engagement pour la suite. Rappelons qu’en 2009, à Copenhague, les pays du Nord, avaient déjà promis 100 milliards de dollars par an, d’ici à 2020 ; il est impossible d’en connaître précisément la mise en oeuvre (6).

De plus, diplomatie oblige, pour être sûr d’obtenir la signature des États, et notam-ment l’aval du congrès des États-Unis, ce plancher de 100 milliards ne figure pas dans la partie du document soumise à ratification des États, il est inscrit dans la 1ère partie, non soumise à ratification. Eh oui ! La géné-rosité des pays riches a ses limites en ma-tière de justice climatique ! Dans le même esprit, si l’accord reconnaît les pertes et dommages déjà subis par les pays les plus vulnérables, il exclut toute « responsabilité ou compensation » des pays riches qui re-fusent de devoir indemniser les pays pauvres pour les préjudices climatiques dont ils ont été victimes.

Autrement dit, l’art de la diplomatie, c’est donner du contenu à un dossier vide, c’est affirmer que cet accord « historique » va « changer le visage de l’humanité », sans contrainte, en retirant tout ce qui peut faire obstacle à sa ratification. Ainsi les contribu-tions (INDCs) des pays à l’effort de réduction des émissions de gaz à effet de serre ne sont pas des engagements, et elles ne fi-gurent pas dans l’accord à ratifier. Elles sont volontaires et font l’objet de mécanismes de révision peu contraignants : une révision tous les 5 ans, la première étant prévue en 2025, beaucoup trop tardivement estiment les ONG. Hollande a annoncé que la France réviserait sa contribution « au plus tard en 2020 » mais… les promesses de Hol-lande….

Enfin, l’accord prévoit « qu’à tout mo-ment, après un délai de 3 ans, à partir de l’entrée en vigueur de l’accord, un pays pourra s’en retirer, sur simple notification ». Voilà qui rassure tous les inquiets !

En fait, ça sert à quoi ce « machin » qui n’est pas équilibré car aucun mécanisme clair n’est prévu pour faciliter le transfert des technologies permettant de remplacer les énergies fossiles, et qui confirme les méca-nismes de compensation carbone, plutôt que de prévoir des sanctions rédhibitoires aux pays et entreprises trop émetteurs ?

Curieusement ! Les mêmes négociateurs sont plus inventifs quand ils formulent des sanctions contre les États dans les accords de libre-échange bilatéraux qu’ils négocient, dans le cadre de la libéralisation du com-merce et de l’investissement (TAFTA, Parte-

nariat Trans-Pacifique et autres).

On l’a bien compris, la lutte contre le ré-chauffement climatique ne doit pas entraver le commerce. Cette volonté n’est pas nou-velle puisque le texte fondateur, la Conven-tion-Cadre sur le Changement Climatique de l’ONU établie en 1992 à Rio de Janeiro, sa-cralise la libéralisation du commerce et de l’investissement. Il n’est pas question que « les mesures prises pour lutter contre les changements climatiques… constituent un moyen d’imposer des discriminations arbi-traires ou injustifiables sur le plan du com-merce international, ou des entraves dégui-sées à ce commerce » (article 3.5)

Ce que l’on ne trouve pas dans l’accord de ParisLes droits des peuples autochtones, des

communautés locales, qui se sont fortement mobilisés contre le changement climatique ne figurent que dans le préambule. Le ré-seau des mouvements des peuples autoch-tones aux États-Unis, représentés par Kandi Mossett du Dakota du nord, s’indigne : « A la COP 21, ils proposent de fausses solutions à la crise climatique, ils proposent une mar-chandisation du sacré, ils veulent mettre un prix sur l’air que nous respirons… ils (les États-Unis) veulent déplacer nos frères et sœurs autochtones, afin de continuer de tuer notre peuple. Nous sommes en première ligne, nous sommes les lignes rouges ».

L’égalité des sexes et la question des en-fants ne figurent pas dans l’accord alors même que les femmes et les enfants sont les personnes les plus vulnérables face au changement climatique lors des catas-trophes climatiques ; ils sont 14 fois plus susceptibles de mourir que les hommes ; cela vaut plus particulièrement dans les pays tropicaux et du Sud (cyclone du Bangladesh de 1991 ou encore tsunami en Indonésie et au Sri Lanka en 2006).

L’agro-écologie ne figure pas dans l’ac-cord alors qu’elle pourrait être une des solu-tions au réchauffement climatique. Vandana Shiva, activiste indienne, affirme « l’agricul-ture écologique reste la seule option pour nous face aux dommages causés par l’ère des énergies fossiles… elle permettrait de séquestrer le carbone dans le sol en recou-rant aux semences autochtones résistantes au climat… » Faut-il s’étonner de ne trouver aucune mention de l’agriculture et des sols dans l’accord, Monsanto et Cie notamment étant bien représenté pour jouer de son in-fluence ?

Rien non plus pour freiner les émissions du secteur militaire, un contributeur impor-tant au changement climatique du fait des énormes quantités d’énergie et de matériaux

consommés, qui polluent et contaminent les terres et les humains. Un seul exemple, pour illustrer cette réalité : l’utilisation par les États-Unis en 2004 à Fallujah en Irak, de munitions à l’uranium, d’armes chimiques, y compris de bombes contenant du phosphore blanc, a non seulement détruit cette ville de 300 000 habitants, mais a contaminé l’air, l’eau et l’environnement, multipliant les mala-dies et la mortalité infantile.

L’océan fait une apparition surprise dans le préambule « notant qu’il importe de veiller à l’intégrité de tous les écosystème, y com-pris les océans… »

Les forêts font l’objet d’un article spéci-fique sans toutefois d’obligations ; les pays sont vivement encouragés à verser des fonds pour « réduire les émissions de gaz à effet de serre liées à la déforestation et à la dégradation des forêts ». Ce mécanisme consiste, pour les pays développés, à don-ner de l’argent aux pays en développement pour qu’ils préservent leurs forêts. Comment mettre en œuvre cette recommandation, face aux accords commerciaux sur l’investisse-ment que signent les parties à l’accord de Paris, notamment en matière de production de biocarburants ? L’UE, par exemple, a ren-forcé un accaparement massif des terres en Afrique pour la production d’un éthanol à destination des marchés européens. La Chine qui s’approvisionne actuellement en éthanol auprès du Pakistan et du Vietnam, investit massivement au Brésil (7), etc.

Les règles du commerce doivent pré-valoir, même au prix de la planète. Et, en la matière, les signataires de l’accord de Pa-ris ne sont pas à une contradiction près

En Amérique latine, Quillagua, au Chili, jusque dans les années 1990, était une oasis florissante à l’agriculture prospère ; les habi-tants, agriculteurs issus du peuple aymara, cultivaient le maïs et la luzerne, irriguant leurs champs avec l’eau du fleuve Loa. Mais aujourd’hui, le fleuve a disparu. Il ne reste plus que des flaques d’eau stagnante à l’odeur insupportable. Les multinationales minières ont dévasté des territoires, pompant et polluant l’eau, poussant à l’exil l’entière population des villages. Le nord du Chili (dé-sert d’Atacama) est constellé de mines, avec plus de 3 000 exploitations minières, pour l’extraction du cuivre. Le Chili est le principal producteur mondial de ce minerai(8).

En France, l’État offre ses terres agri-coles au Qatar. Le club de foot du PSG ayant décidé de déménager son centre d’en-traînement et de formation, l’État français est prêt à vendre le site abritant AgroParisTech à Thiverval-Grigon (30 kms de Paris) compre-nant : un château Louis XIII, de nombreux

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bâtiments d’époque, un parc de 291 ha et une ferme d’expérimentation sur 219 ha. Le PSG prévoit 18 terrains de foot, un stade de 5000 places et un parking de 1000 places pour une enveloppe globale de 300 millions d’euros. L’as-sociation Yvelines Environnement lance un mou-vement contre l’artificialisation des terres, où vivent des espèces particulières d’arbres dans une zone naturelle d’intérêt écologique, faunis-tique et floristique recelant des espaces d’un grand intérêt fonctionnel pour la préservation écologique locale » (7)

En France toujours, en pays de Loire, la nouvelle majorité régionale fait bloc avec Mati-gnon pour évacuer la ZAD de Notre Dame des Landes et commencer les travaux du nouvel aé-roport. Agissant pour le compte de l’État, le groupe Vinci demande à la justice de faire éva-cuer les quatre derniers agriculteurs et les 11 fa-milles qui vivent encore sur le site. De fortes as-treintes destinées à les ruiner, la confiscation des cheptels et du matériel agricole sont en jeu. Contrairement à son engagement, le gouverne-ment le renie et veut engager les expulsions sans attendre l’issue de tous les recours en sus-pens. Il s’agit là d’une trahison supplémentaire (9). Est-ce l’esprit de la COP 21 qui n’a pas souf-flé suffisamment fort ?

En conclusion, l’on peut faire nôtre la décla-ration du porte-parole d’ATTAC France, Maxime Combes qui affirme « utiliser les termes « ambi-tieux », « juste » et « juridiquement contrai-gnant » pour présenter l’accord de Paris est une escroquerie intellectuelle. Y accoler la référence à la « justice climatique », sans contenu, est méprisant envers toutes celles et ceux qui se mobilisent en ce sens depuis des années… L’accord de Paris est un accord à la carte qui permet à chaque État de faire ce qu’il veut en matière d’émissions de GES. Il est temps de tourner la page des énergies fossiles. Pas de faire semblant ». Pour ce faire, une seule voie : comprendre, s’organiser pour peser dans les dé-bats et les choix de la société dans laquelle nous voulons vivre.

En effet, à l’issue de ce tour d’horizon, une question : et si l’accord de Paris n’avait pas ob-tenu le consensus unanime, que ce serait-il pas-sé ? Un camouflet diplomatique pour la France, certes, mais au fond ?

Odile Mangeot, le 21.01.2016

(1) Maxime Combes – Attac France(2) http://www.investigaction.net (3) Cf nos précédents articles sur la COP 21 dans

PES n° 18 « Vrais engagements ou fausses pro-messes » et n° 19 « Qui décide vraiment ? »

(4) INDCs – Intended Nationally Determined Contributions (en français : Contributions prévues dé-terminées au niveau national)

(5) GIEC – Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat

(6) Cf PES n° 18, COP 21, page 10 « Promesses non tenues » (7) www.bastamag.net

(8) www.grain.org/ « Ces accords commerciaux qui dopent le changement climatique : le facteur ali-mentaire »

(9) Appel de la CGT, FSU et Solidaires de Loire Atlantique le 19.01.2016 Inde et COP 21 :

Inde et COP 21 : Un pays émergent face à son développement !

Le triomphalisme des comédiens Fabius et Hollande à l’issue de la COP 21 frise la pro -vocation devant la réalité des obstacles qui restent à franchir en particulier pour les pays émergents, comme l’Inde qui a cherché à faire entendre sa voix.

L’évolution de ce pays peut susciter des inquiétudes, en tout cas, elle risque d’être dé-terminante pour les objectifs à atteindre contre le réchauffement climatique.

Une réalité loin des intentionsAujourd’hui, un habitant de ce pays n’émet que 2.3 tonnes d’équivalent CO2/an, soit 5

fois moins qu’un Européen et 10 fois moins qu’un Américain. Mais, avec 1.3 milliard d’habi -tants, il est le 4ème pays émetteur de gaz à effet de serre, devenant ainsi un acteur de pre -mier plan du réchauffement climatique global. La demande énergétique de ce géant en pleine croissance explose et la part des énergies fossiles progresse.

D’après l’Agence Internationale de l’Energie (AIE), la demande d’énergie va doubler entre 2013 et 2030 (après avoir déjà doublé entre 2000 et 2013). La part d’énergie fossile va passer, elle, de 72 à 78%. Le charbon représentant une part de 44% en 2013, pourrait passer à 48% à cause d’une augmentation rapide de la production électrique.

Car, pour les dirigeants indiens, le problème du pays est celui de son développement : développer son industrie pour sortir 363 millions d’habitants de la pauvreté, répondre à une demande d’emploi de 1 million d’actifs arrivant chaque mois sur le marché du travail, fournir de l’électricité à 304 millions d’Indiens qui en sont privés !

Le gouvernement envisage ainsi de doubler les capacités hydroélectriques, alors que 5 102 barrages ont déjà saccagé des milliers d’hectares de forêts et entraîné le déplace-ment de centaines de milliers de personnes.

Il envisage aussi de construire une dizaine de centrales nucléaires, dont la plus grande au monde (6 réacteurs EPR) à Jaïtapur (près de Mumbai).

Cette politique n’empêchera pas les émissions du secteur électrique de s’envoler car la production sera encore fondée, pour la moitié, sur le charbon en 2030 = 2 830 Twh contre 1 200 Twh aujourd’hui (2.6 fois la production de la France).

De plus, la consommation de pétrole devrait suivre le même chemin. Le marché auto -mobile croît de 9.5% par an. Les générateurs au diesel pallient les coupures d’électricité et 90 millions de lampes à kérosène s’allument chaque soir dans les zones non électrifiées !

En 2015, le pays est devenu le 3ème consommateur mondial de pétrole (devant le Ja-pon). L’AIE prévoit ainsi une consommation de 10 millions de barils/jour en 2040, contre 3.6 millions aujourd’hui.

Dans une situation si complexe, l’Inde a accepté de prendre des engagements dans sa contribution à la COP 21 : réduire de 33 à 35% l’intensité carbone de son PIB (quantité de carbone, émis rapportée à la production de richesse), en 2030 par rapport à 2005, faire passer de 30% à 40% en 2030 la part des énergies non fossiles (plan d’installations éo-liennes et photovoltaïques, en particulier).

Une société civile active sur le terrainPollution de l’air élevée, 135 hectares de forêts disparaissant chaque jour, fleuves par -

mi les plus pollués du monde, et réserves d’eau qui pourraient être épuisées d’ici à 2035.Face à cela, une société civile militante s’oppose et propose une écologie concrète.

Dans l’État du Kérala, la ville de Kovalam, un « territoire zéro déchet » grâce aux habitants. La désertification est combattue comme dans le Rajasthan en récupérant les eaux de pluie. 700 000 habitants y vivent dans une vaste oasis agricole. Dans plusieurs zones densément peuplées, l’agriculture bio et la permaculture aident à l’autonomie alimentaire, produisent aussi des surplus. Dans plusieurs régions, des opérations citoyennes de reboisement et de nettoyage des fleuves sont organisées et des entreprises sociales installent éclairage so-laire et purificateur d’eau dans les villages (1).

L’Inde, consciente des impacts locaux et globaux des émissions à effet de serre n’en-tend pas se laisser dicter sa conduite et souligne, d’abord, à juste titre la responsabilité his -torique des pays industrialisés, ensuite, les appelle à partager leur technologie et leur as-sistance financière pour pouvoir décarboner la croissance.

C’est le sens de la « justice climatique » à laquelle elle appelait à la COP 21.Bernard Marion, le 18 janvier 2016

(1) Made in India, le laboratoire écologique de la planète. Bénédicte Manier (éd. Premier parallèle) 2015Sources : Alternatives économiques, décembre 2015

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Goodyear & meilleurs vœux Pour la justice de classe

Le mardi 24 novembre dernier, huit an-ciens salariés - dont cinq syndicalistes - étaient appelés à comparaître en correction-nelle au TGI d’Amiens. Motif : la séquestration de deux cadres dirigeants (le dirlo de produc-tion et le DRH) dans les locaux de l’usine Goodyear d’Amiens-nord, durant 30 heures, fin janvier 2014. L’audience s’était déroulée sans les plaignants. Les deux cadres, ainsi que Goodyear, avaient retiré leur plainte, en application de l’accord de fin de conflit.

Mais c’était sans compter avec le Parquet, le procureur d’Amiens indiquait alors que les prévenus encourent jusqu’à cinq ans d’empri-sonnement pour « séquestration et violences en réunion et voies de fait ». En matière pé-nale, l’État de droit stipule que la justice peut opérer, en parallèle du plaignant, avéré ou non. Mais un autre fait, qui fait toujours ses preuves, démontre que cet État de droit est à deux vitesses : celui pour les classes diri-geantes et celui pour toutes les autres. La jus-tice bourgeoise - car c’est bien de ça dont il s’agit - est faite de lacunes, au même titre que le gruyère est fait de trous. Sauf que pour ce fromage, le processus structurel est naturel alors que la justice est structurée avec partia-lité. Conclusion : 2 ans de prison dont 9 mois ferme pour les huit travailleurs !

De restructurations en conflits

De suite, quelques jours après la séques-tration et après sept années de conflit social, le centre de production de pneus mettait défi-nitivement la clé sous la porte et expédiait 1 143 salariés-es chez Pôle Emploi. De 2007 à 2014 (le second conflit en réalité) oppose de-puis 1996 une CGT combative (syndicat ma-joritaire depuis les années 60) à la direction. Cette année-là, un plan de licenciement avait provoqué plusieurs semaines de lutte. Puis à l'automne 2007, la direction de Goodyear dé-cide de mettre en place une nouvelle organi-sation du travail, passant des 3x8 aux 4x8, c'est-à-dire d’enchaîner deux journées de tra-vail le matin, deux l'après-midi, deux la nuit, avec une journée de pause au milieu et deux de repos. En échange, la direction s'engage à investir et à maintenir la production et les em-plois. La CGT refuse et, en octobre, les sala-riés répondent par un non massif au référen-dum organisé par la direction, qui menace de supprimer 402 emplois sur les 1 143 que compte le site. Début 2008, tout près de l'usine, les 1 300 salariés de Dunlop – filiale

de Goodyear depuis 2003 – acceptent la réor-ganisation. L'UNSA, FO et la CFTC signent l'accord.

Chez Goodyear, la CGT engage une lutte juridique. En novembre 2008, le tribunal de Nanterre interdit à l’industriel son « plan so-cial ». Début 2009, la direction retire ce projet portant sur 402 emplois à supprimer, pour en présenter un nouveau, menaçant cette fois les 820 postes de la division pneus tourisme. La direction du groupe invoque le contexte éco-nomique lié à la crise de l'industrie automobile à partir de 2008. Aussi, depuis plusieurs an-nées, le groupe n’investit plus sur ce site et la production chute de 20.000 pneus/jour à 2 700. Le combat juridique reprend et la CGT le gagne à nouveau : la justice suspend le se-cond plan de licenciements. Le climat est d'autant plus tendu en Picardie que la ferme-ture de l'usine Continental de Clairoix, près de Compiègne, vient d'être annoncée.

En mai 2013, la recherche d'un repreneur, menée depuis février par l'Agence française des investissements internationaux (AFII), échoue. Dans le même temps, la direction du groupe - qui affiche des bénéfices en hausse avec 2,5 Mds de profit et 800 millions pour les actionnaires - rejette le projet de SCOP (so-ciété coopérative ouvrière de production) de la CGT, destiné à maintenir la production de pneus agricoles. En juin, la justice rejette la demande de suspension du « plan social » tandis que le Parlement vote la création d'une commission d'enquête sur la fermeture du centre de production. Finalement, l'usine fer-mera ses portes fin janvier 2014 et vire ses 1 143 salariés-es. Le conflit n'est cependant pas terminé : procédures en mars auprès des Prud'hommes pour licenciements abusifs et, en avril, un peu plus de 800 ex-salariés-es préparent une action de groupe (class action) aux États-Unis, en faveur des salariés-es qui ont été exposés-es aux hydrocarbures aroma-tiques considérés comme cancérigènes.

Alors que le bras de fer juridique se pour-suit entre la CGT et Goodyear, Dunlop conti-nue ses activités dans le pneu haut de

gamme de l'autre côté de la rue de Poulain-ville, où 40 millions d'euros ont été investis ces dernières années. Claude Dimoff, délé-gué syndical à UNSA-Dunlop (exclu de la CGT pour avoir signé l'accord 4x8) dénonce le jusqu’au-boutisme de la CGT. Des « jaunes » affirment même que la CGT a conduit Goodyear-Amiens au suicide, alors que le doute n’était plus permis sur les réels projets de la direction générale : fermer défini-tivement le site (tout comme chez Continen-tal) et permettre à Titan (équipementier auto-mobile made in US et notamment fabricant de pneus) de s’y installer. En effet, en parallèle du projet Goodyear, Titan se positionne (…), avant de se retirer début 2013. Son PDG ex-plique les raisons de ce choix en février 2013 dans une lettre au vitriol adressée à Arnaud Montebourg, Ministre du Redressement pro-ductif. Pour les actionnaires le but était simple : réduire les « coûts » salariaux. Mais Titan a retiré son projet suite au conflit social. Au final, les 1 143 prolétaires sacrifiés sur l’autel du profit n’auront pas plus profité aux actionnaires de Goodyear/Titan.

Activité syndicale et activité criminelle sur le même banc

Après les années de lutte légitime, au cours desquelles les plans de restructuration et de licenciement de la direction ont été, à plusieurs reprises, jugées illégaux, et que, chez le voisin, dans le même groupe indus-triel, les syndicats cogestionnaires signent le recul social et l’accroissement de productivité pour un salaire égal, le Parquet amiénois a fait la différence entre celles/ceux qui font le choix de courber l’échine et celles/ceux qui ne se laissent pas impressionner. Pour ce procu-reur (et peut être bien la Chancellerie, dans le droit français, le Procureur est nommé par le Ministre de la Justice), séquestrer un patron ou ses proches collaborateurs est un acte violent, jeter à la rue les travailleurs-ses n’en est pas un. La « violence » de l’exploité, dans cette affaire, se résume à enfermer quelques heures deux cadres sans qu’aucune violence

POUR L’ÉMANCIPATION SOCIALE N°020– JANVIER 2016 (parution fin janvier)- 13

Raréfaction du travail à vitesse grand V.Quelques fermetures et, ou restructurations depuis les dix dernières années (les plus

médiatisées) :

Sanofi, Philips, Seita, Nike, TNS Sofres, Fnac, Caterpillar, Vedior, Continental, Arcelor Mittal, Sony, Airbus, Alcatel, Hewlett Packard, Labo Servié, Molex, Total, New Fabris, etc, etc… Merci patron !

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physique à leur encontre n’ait eu lieu. La vio-lence du dirigeant se traduit par une produc-tion tous azimuts de précarisation pour 1 143 personnes, qui, par ces temps socialement très difficiles, vont souffrir. Chez les Conti, après la fermeture de l’usine, ils/elles sont rares à avoir retrouvé un travail stable, un peu plus nombreux ont trouvé des CDD et la ma-jorité est toujours au chômage. Consé-quences : trois suicides, nombreux divorces et alcoolisme ont fait leur apparition. Chez Goo-dyear Amiens l’extinction de la production pro-duit une double peine, puisque 12 anciens sa-lariés se sont suicidés !

La sentence annoncée ce 12 janvier, six semaines après le procès, mais 2 ans après les faits bénins, en dit suffisamment long sur

la « justice sociale » de ce pays : 24 mois, dont 9 fermes, à l’encontre des huit ex-sala-riés. On n’avait pas vu tel verdict à l’encontre de travailleurs depuis la répression des mi-neurs grévistes de 1948 - même que le mi-nistre de la justice, André Marie, (PRRS – par-ti républicain, radical et radical-socialiste) l’avait à l’époque refusé. Au-delà du caractère inique et réactionnaire de ce jugement, c’est une arme lourde que le gouvernement et cer-tains magistrats ont choisi de dégainer pour intimider le monde du travail, au cas où il se-rait tenté de défendre ses intérêts matériels et moraux avec pugnacité. « L’épisode d’Amiens nord » affiche dorénavant la couleur : accep-ter, même la mort dans l’âme, les ambitions patronales (Dunlop), ou supporter une autre

double peine (licenciement et prison) en cas de franche confrontation ! L’État et la justice ont choisi leur camp : épauler le capital pro-ducteur des crises sociales, et imposer à la classe ouvrière l’abandon de la confrontation pacifique, et de béni-oui-oui-ir au dialogue so-cial - pure abstraction d’une négociation col-lective, arbitraire car toujours du coté du manche - où le droit au travail fait place au droit de travailler. Cela conduit à s’interroger sur l’effectivité du droit syndical : de la procla-mation de la liberté syndicale à l’exercice des droits syndicaux.

Ce jugement du TGI est bien l’expression manifeste d’un État qui confond le droit réga-lien impartial avec le « pouvoir » régalien : coercitif en temps de crise sociale, écono-mique et aujourd’hui politique. Il est moins ris-qué, pour ce pouvoir, de criminaliser les récal-citrants au jeu de massacre économique, plu-tôt que les lobbys et l’électorat de droite et d’extrême droite. Les exemples récents, d’Air France, d’une inspectrice du travail d’Annecy et d’un salarié de Téfal, confirment cette vo-lonté glaciale de l’État de frapper là où le risque est moindre. C’est donc bien à la classe ouvrière de reprendre son destin en main, car qui n’est pas avec elle, est contre elle !

Jano le 17 janvier 16.

Sources : mass-média et média alternatifs en ligne.

POUR L’ÉMANCIPATION SOCIALE N°020– JANVIER 2016 (parution fin janvier)- 14

Les 8 de Goodyear sont condamnés à la prison ferme mais… depuis le début des années 2000, les condamnations des patrons pour délit d’entrave à l’action syndicale ont été divisées par plus de trois et ce véritable délit vient d’être en partie dépénalisé par la loi Macron.

INACCEPTABLEINTOLERABLE

dans un pays se proclamant des Droits de l’Homme !La Fédération Nationale des Industries Chimiques CGT appelle à soutenir les salariés de Goodyear

Grève, rassemblements partout en France le jeudi 4 févrierLe gouvernement serait mieux inspiré à museler les politiques financières des multinationales qui cassent l’emploi, l’industrie, la re -

cherche qu’à s’attaquer aux salariés, à leurs représentants Il est de la seule responsabilité du gouvernement que de légiférer pour des lois promouvant le progrès social et non l’austérité !La relaxe des Goodyear, des Air France relève de décisions politiques : servir le patronat qui licencie ou les salariés qui défendent leurs

emplois, ce sont aussi des choix politiques.

HALTE à la REPRESSION !Les droits et libertés sont au cœur de cette condamnation à 9 mois de prison ferme avec 5 années de mise sous surveillance.Dénoncer l’injustice, manifester son mécontentement, faire grève, occuper une usine, ce n’est pas un crime

RELAXE pour les GOODYEAR, TOUT DE SUITERELAXE pour les AIR France, TOUT de SUITE !

RELAXE pour TOUS les MILITANTS, TOUS les SALARIES qui ne doivent leur condamnationqu’au refus de l’inacceptable, qu’à leur courage de dire NON

qu’à leur intelligence à se mobiliser collectivement pour donner de la force à leurs voix, à leurs revendications.

Un gouvernement qui laisse mettre en prison des syndicalistes qui défendent l’emploi, c’est un gouvernement aux couleurs du fascisme, aux oripeaux idéologiques d’extrême droite.

Arrêts de travail, grèves, pétitions, motions. Exigeons des choix politiques porteurs de progrès social, de paixFNIC CGT http://www.fnic-cgt.fr/

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Ils, elles luttentVictoire des postiers de Neuilly

Au 82° jour de grève, les efforts des pos-tiers de Neuilly (92) ont porté leurs fruits. Alors que pendant deux mois, la direction de La Poste des Hauts de Seine refusait toute négo-ciation, elle a été contrainte de céder sur l’es-sentiel des revendications, notamment :

- la délocalisation des tournées motori-sées sur le centre courrier de la Défense est annulée : les agents sont relocalisés sur Neuilly.

- deux tournées à vélo, supprimées, vont être réinjectées dans le cadre d’un réaména-gement des tournées. Aussi, le nombre d’em-plois supprimés ne sera pas de 15, comme prévu, mais « seulement » de 5.

- le principe « un facteur = une tournée » est maintenu.

- le régime de travail comportant un same-di libéré sur deux est maintenu pour deux tiers du personnel.

- la Poste s’est retrouvée contrainte d’em-baucher 25 agents en CDI, celle-ci ayant l’in-terdiction formelle de recourir à des CDD et des intérimaires durant ces 82 jours de dé-brayage.

Hors protocole de fin de grève, un agent licencié abusivement et sur la base de faux témoignages, va être réintégré à la Poste des Hauts-de-Seine

Rappelons que la direction de La Poste a tenté toutes sortes de manœuvres sournoises pour casser la lutte. Preuve est faite – s’il en faut – que seule la lutte menée dans l’unité (FO/CGT/SU/CNT) et la détermination, paie et peut infléchir les choix patronaux.

Les grévistes devront cependant patienter jusqu’à fin février pour percevoir leur salaire de janvier. Aussi, la solidarité pécuniaire est encore nécessaire (https://www.yoongo.com./fr-c-caisse-de-greve-des-postiers-du-92 - voir notre précé-dente parution, dans la même rubrique). En attendant, ils/elles ont décidé de fêter digne-ment leur victoire au local de la CNT. JLC

Un cheminot condamné pour « piquet de grève » Les récentes grèves dans les chemins de

fer belges ont fait l’objet d’une violente cam-pagne de presse, menée par le gouvernement et les dirigeants de la SNCF et Infrabel (ges-tionnaire de l’infrastructure ferroviaire belge). Mais les patrons ne cessent jamais la lutte

des classes : un contrôleur, militant de la CG-SP-Cheminots à Bruxelles, vient d’être condamné à 1 700 euros d’astreinte/amende pour avoir participé à un piquet de grève, les 6 et 7 janvier. Un cadre qui bouscule des gré-vistes, un huissier en renfort, et le tout est

joué ! Aucune identité relevée le jour-même, une dénonciation patronale envers un des 300 participant-e-s au piquet de grève suffit ! JLC

Campagne Boycott Désinvestissement Sanctions - BDSLe 20 octobre 2015, par deux arrêts, la

Cour de cassation déclarait illégal l’appel à boycotter des produits israéliens et confirmait la condamnation des militants du mouvement BDS (Boycott Désinvestissement Sanctions). Elle a utilisé pour cela, l’article 8 de la loi de la presse qui évoque le délit de « provocation à la discrimination, à la haine ou à la violence envers une personne ou un groupe de per-sonnes à raison de leur origine ou de leur ap-partenance à une ethnie, une nation, une race, ou une religion déterminée » (voir dans PES n° 19, l’article En France comme en Is-raël).

« La décision de la Cour de cassation est

totalement contraire à ce mouvement de fond de la société civile où les consommateurs se mobilisent sur des questions d’éthique », dé-nonce un magistrat qui soutient BDS. La CEDH (Commission Européenne des Droits de l’Homme) reviendra sur ce jugement mal-venu et ridiculisera la France, devenus le seul pays « démocratique » interdisant BDS. Pour un pays qui prétend trouver ses valeurs à tra-vers Charlie, c’est « fort de café ». Valls en ra-joute une couche en projetant l’interdiction to-tale de toutes critiques ou campagnes contre la politique raciste d’Israël.

De nombreuses associations et personna-lités diverses s’indignent de cette décision,

elles appellent à soutenir et renforcer la cam-pagne BDS, Pour l’Emancipation Sociale s’y associe, notamment à travers l’appel lancé par Médiapart : http://boycottproduitsisrae-liens.wesign.it/fr. JLC

Rappelons que, si vous ne l’avez déjà fait, vous pouvez participer à la collecte de soutien aux 12 condamnés de Mulhouse, pour aider à financer leur défense. https://www.le-potcom-mun.fr/pot/Ozd1ian0 ou par chèque à l’asso-ciation Justice pour la Palestine chez Mme Farida Trichine 33 bd de l’Europe 68100 Mul-house

Le projet du barrage de Sivens est abandonné, oui mais…Le 24 décembre 2015, les préfets du Tarn

et du Tarn-et-Garonne ont abrogé leur arrêté d’octobre 2013 qui déclarait d’intérêt général le projet de barrage de Sivens. En effet, l’abrogation figurait au protocole qui a été vali-dé par le Conseil Départemental (CD) le 11 décembre 15. Après de longs mois de négo-ciation entre le gouvernement et le départe-ment, un accord a été trouvé sur la base d’une facture de 3,4 millions d’euros dont 2,1 millions pour les dépenses engagées en pure perte et 1,3 pour les mesures compensatoires des atteintes à la zone humide (travaux à ve-nir).

Mais pour le collectif Testet, notamment, l’affaire ne s’arrête pas là, le combat continue sur divers fronts. Primo : condamner l’État pour son arrêté du 3 octobre 2013 de décla-ration d’intérêt général-loi sur l’eau. Secundo :

un recours pour la déclaration d’utilité public (DUT) propre au projet du barrage. Tertio : re-cours sur l’autorisation de détruire les habi-tats protégés (faune et flore). Le Tribunal Ad-ministratif devrait se prononcer durant ce printemps 2016. L’en-jeu est de taille sur la responsabilité de l’État, surtout pour l’avenir, car ce der-nier et le Conseil Dé-partemental espèrent conserver la DUP afin de prévoir un nou-veau barrage avec un volume de moitié : 750.000 M3 au lieu des 1,5 million ini-tiaux.

La lutte va donc se poursuivre, égale-ment pour la restitution des terres prises aux éleveurs et pour qu’enfin justice soit rendue à Rémi Fraisse. JLC

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Ce qu’elle et il disent nous intéresse…

Angela DavisNée en 1944 à Birmingham (Alabama),

Angela Davis est une icône de la rébellion américaine. Après des études de philosophie en Europe et aux États-Unis, elle rejoint les Black Panthers et le Parti communiste améri-cain – elle sera deux fois candidate à la vice-présidence américaine, en 1980 et 1984. Au début des années 1970, après une cavale de 15 jours, elle est arrêtée par le FBI. Accusée d’avoir fourni les armes d’une prise d’otages, elle est incarcérée pendant plus d’un an avant d’être acquittée en 1972. Exclue en 1969 de l’université de Los Angeles en raison de ses activités politiques, elle poursuit sa carrière d’universitaire en Californie.

Féministe, elle n’a pas rejoint les mouve-ments féministes américains, qui étaient es-sentiellement blancs, non parce que, dit-elle(1) « je ne croyais pas à la possibilité d’un combat commun. C’était plutôt parce que les mouvements féministes se concentraient, pour l’essentiel, sur ce que nous considérions alors comme des questions « bourgeoises ». J’étais évidemment en faveur des droits des femmes – mais de toutes les femmes. Je ne parvenais pas à m’identifier à un mouvement qui ne s’intéressait pas au racisme et à la lutte des classes car il fallait, selon moi, pen-ser à la fois la question de la race, celle du genre et celle de la classe sociale » (…).

(…) « Pour moi, le féminisme est néces-sairement antiraciste, anticapitaliste, anti-im-périaliste, anticolonialiste ! Il est évidemment impossible de penser toutes ces questions à la fois, mais il est utile, dans les combats comme dans les analyses, de garder à l’es-prit, en toile de fond, ces différentes ap-proches de la notion de justice. Par ailleurs, je me sens beaucoup plus à l’aise lorsque je défends les femmes qui sont au bas de l’échelle sociale : quand on remporte une vic-toire à cet endroit-là, tout le monde avance…

(…) « Aujourd’hui, comme hier, les em-ployés de maison sont des gens de couleur qui viennent, pour beaucoup, des anciennes colonies. Leur situation permet de voir, de manière parfois tragique, que le racisme, le colonialisme et la servitude n’ont pas disparu, même s’ils ont adopté d’autres formes. Les féministes doivent aborder ces questions. La situation des employés de maison n’est sans doute pas notre combat principal mais nous devons avoir conscience que l’égalité « éli-

tiste », l’égalité pour certaines, ne sera jamais l’égalité de toutes... Ma mère avait été em-ployée de maison mais elle est devenue une militante de l’égalité : une situation de sou-mission, voire de répression peut ouvrir la voie à l’émancipation et la liberté ».

Angela Davis n’a jamais déposé les armes pour lutter contre l’oppression sous ses différentes formes et organiser les masses pour la défense des Noirs, des tra-vailleurs, des femmes, des prisonniers(2)... Du Black Panthers Party à Occupy Wall Street, elle est le trait d’union vivant entre les luttes d’hier et d’aujourd’hui (3).OM

(1) extraits de propos recueillis par la jour-naliste Anne Chemin (le Monde Culture et idées du 16.01.2016)

(2) La prison est-elle obsolète ?, Angela Davis, éditions Au Diable Vauvert, 2014

(3) Autobiographie. Angela Davis, édition Aden, 2013

Christian Corouge

Ouvrier et syndicaliste chez Peugeot-So-chaux (aujourd’hui retraité), Christian Corouge a écrit avec le sociologue Michel Pialoux Ré-sister à la chaîne(1). Ce livre fait suite à un long dialogue commencé au début des an-nées 1980 sur le travail à la chaîne, l’entraide dans les ateliers, la vie quotidienne des fa-milles ouvrières, les difficultés de la résistance syndicale, traduit dans des ouvrages, notam-ment Retour sur la condition ouvrière. En-quête aux usines Peugeot de Sochaux-Mont-béliard(2).

Christian Corouge fait part de son opinion sur les attentats de Paris du 13 novembre (3) et sur le contexte social dans le quartier popu-laire de Champvallon à Bethoncourt, où il vit.

« Des copains me racontent ce qui se passe dans la police du coin. Les flics, à force d’ennuyer les jeunes avec des contrôles d’identité ou de tout le temps devoir montrer leur présence, se font haïr par les jeunes. Et vu la période actuelle, après les attentats, avec une mobilisation 24h/24, il y a une exas-pération des flics eux-mêmes. Tout ça aug-mente les risques de bavure, dès lors que tous les flics sont armés et aussi épuisés, d’où, d’ailleurs, des rapports de plus en plus tendus avec les gens. Avec les jeunes, ça n’a

jamais été facile, mais là, ça devient vraiment difficile. Sur le terrain, on leur demande de faire de plus en plus de trucs, pas mal d’entre eux voient bien que ce n’est pas ce qu’il faut faire, mais ils ne peuvent pas le dire (…).

(…) Quand on laisse des quartiers à l’abandon, où 35% à 40% des jeunes sont au chômage… la tension s’installe : elle est éco-nomique, elle devient communautariste, presque raciste, parce qu’il y a ceux qui ont du boulot et ceux qui n’en ont pas… Mais, le pire, c’est que tous les endroits de socialisa-tion qui existaient avant, même un bistrot, ont pour la plupart fermé. Il n’y a même plus d’en-droits où ces gamins peuvent communiquer avec d’autres personnes ».

(…) «Je regrette vraiment que le mouve-ment syndical n’ait pas réinstallé des universi-tés ouvrières. C’est, je crois, ce qu’il faudrait faire aujourd’hui. Parce que, dans ces quar-tiers où les gosses sont tous d’origine ou-vrière, ils fanfaronnent souvent, mais il y a aussi des moments où ils sont demandeurs d’informations sur l’histoire ouvrière, et aussi sur le code du travail : par exemple, à quelles prestations on peut prétendre quand on a tra-vaillé trois mois seulement. Ou comment les boîtes d’intérim gèrent les congés payés, versent les primes de fin de mission… Je crois en quelque chose d’essentiel : il faut re-tourner dans ces quartiers populaires pour avoir un contact social avec cette population que l’on n’arrive pas à toucher le long des chaînes car ils n’ont pas de contrats renouve-lés. Cela me fait penser à ces travailleurs ma-rocains qui se battent une fois à la retraite pour faire prendre en compte l’évolution de leur carrière ; cela m’a fait mal, syndicale-ment, de savoir que des copains de la CGT n’ont pas pris en compte les problèmes de copains marocains qui travaillaient à côté d’eux pour exiger un déroulement de carrière égal au leur. Il faut retourner auprès des classes populaires, c’est le devoir du mouve-ment syndical. Parce qu’il y a eu aussi trop de trahisons chez certains hommes politiques, qui parfois provenaient du syndicat ». GD

(1) Résister à la chaîne. Dialogue entre un ouvrier de Peugeot et un sociologue, éd. Agone, 2011

(2) Paru aux éditions Fayard, 1999 (3) Extraits de l’entretien entre Stéphane

Beaud, Michel Pialoux et Christian Corouge, retranscrit par Olivier Doubre dans Politis dé-cembre 2015 « Les valeurs ouvrières ne sont plus transmises »

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Nous avons luLes Français jihadistes.

Qui sont ces citoyens en rupture avec la République ?

800 Français (chiffres officiels) ont rejoint la Syrie et l’Irak, dont 500 au combat. Qui sont ces petits soldats du jihad ? Ce livre relate les récits de 18 d’entre eux/elles. 9 sont des convertis issus du chris-tianisme, français de souche ou des DOM. 9 sont français de culture musulmane. Pas un n’est issu d’un islam rigoriste. Beaucoup avaient un travail et une famille. Certains avaient commis des délits mais peu se radicalisent en prison. Leur dénominateur commun est une intense activité sur internet, You Tube, Facebook et réseaux sociaux. Ils s’y abreuvent de discours, d’images et de vidéos de propagande des groupes armés islamistes et des atrocités commises par Assad jus-qu’à rêver d’aller mourir en martyr, sans vraiment connaître l’histoire récente de la Syrie et de l’Irak. Certains se convertissent face à leur écran. Les ciberjihadistes en France sont peu nombreux mais organi-sés et ils sont connus. Et l’on peut aisément partir en Syrie, via la Tur-quie ou la Tunisie : pas de souci dans les aéroports, les services de police français laissent partir ceux qui sont repérés dans leurs fi -chiers. Le juge antiterroriste Trevidic précise qu’il y a 10 ans, le fait de détenir une vidéo de propagande jihadiste était suspect. Aujourd’hui, des centaines de jeunes en engrangent des milliers sur leurs disques durs, loin des mosquées et à l’insu des parents. Facebook a dépous-siéré le jihad de Ben Laden en le mettant sur des forums, il l’a sorti de la clandestinité. Ce livre nous livre des parcours de vie de jeunes, voire d’adolescents que l’on a du mal à croire, tellement ils sont à l’opposé de la vie « moderne » soi-disant libérée des croyances « aveugles ». Les récits sidèrent tant ils font sentir la perte de repères de ces jeunes et leur recherche individuelle d’un sens à donner à leur vie.

David Thomson, reporter au service Afrique de RFI, il a couvert la guerre en Libye et les révolutions arabes en tant que correspon-dant de France 24.Eédition les Arènes, novembre 2015, 18€. OM

François le petit. Chronique d’un règne.

Ne manquez pas de goûter ce plaisir de lecture qui invite à revisi-ter la 1ère partie du mandat présidentiel de Hollande. Dans la langue de Bossuet, corrosive, maniant l’humour et l’ironie, l’auteur, ce por-traitiste, croque avec délectation toutes ces « coteries de parvenus » au « système de pensée rétréci ». En appelant à Gracchus Babeuf, il nous invite à nous « débarrasser de ces nuisibles » afin que, « de ce chaos (dans lequel ils nous enfoncent) sorte un monde régénéré ». Au-delà des anecdotes oubliées qu’il nous fait revivre de la manière la plus savoureuse qui soit, nous est conté le « naufrage d’un monde de professionnels de la politique », amateurs « de calculs et de com-bines » en tous genres. Vous y retrouverez les figures vaudevil-lesques : sa majesté François le petit et son mépris pour les « sans dents » et toute sa basse-cour : Ségolène l’archiduchesse des Cha-rentes, la jalouse Pompatweet, Valls le colérique duc d’Evry, le cha-fouin duc de Villeneuve M. de Cahuzac, M. de Jouyet ce « haut servi-teur bien faisandé, cuit et recuit dans une technocratie bien mise »… et bien d’autres… sans oublier le reclus Nicolas l’ulcéré, flanqué de son inénarrable M. de Hortefouille. Tout ce beau monde n’a qu’un dé-sir inavouable, la mise en place, doucettement, de la « social-plouto-cratie » dont nous subissons les affres. Indispensable pour en rire et, à défaut, en pleurer de rage ! GD

Patrick Rambaud de l’Académie Goncourt, éditions Grasset, 2016, 16.50€

Irak, la revanche de l’histoire.

De l’occupation étrangère à l’État Islamique

L’intérêt de cet ouvrage consiste, pour une meilleure compréhen-sion de l’immédiateté, à adopter une vision élargie de l’histoire pour comprendre d’où vient l’État Islamique. Il ne suffit pas, même si c’est nécessaire, de revenir sur les désastres provoqués par le blocus de l’Irak, puis l’agression américaine contre ce pays en 2003. Certes, la politique consistant à traiter les Sunnites de parias, accusés d’avoir soutenu Saddam Hussein, la débaasification brutale de l’administra-tion et de l’armée, la lutte contre l’occupation US qui fit émerger la mouvance terroriste salafiste et la faillite de la stratégie bushienne, livrent des éléments clés d’explications. L’aboutissement est connu : une nation déchirée en voie d’éclatement. Mais remonter au partage du Moyen-Orient par les puissances coloniales britannique et fran-çaise, suite à la 1ère guerre mondiale et au démembrement de l’em-pire ottoman en disent plus. Les frontières qui furent dessinées sans tenir compte des réalités historiques, et encore moins de l’avis des populations et des peuples, renvoient aux réalités kurdes, chiites, sunnites… et, à la prégnance de l’histoire longue et à sa « re-vanche ». GD

Myriam Benraad, édition Vendémiaire, 2015, 22€

L’aveuglement. Une autre histoire de notre monde.

Du XXème siècle à 2016

L’histoire, telle qu’elle survient, est toujours faite d’imprévus qui étonnent ceux qui se prétendent les plus avertis. L’auteur, historien, revient sur l’avènement d’événements considérés a priori comme im-possibles : le surgissement de mai 68, l’effondrement de l’URSS, l’at-taque impensable du 11 septembre 2001, l’avènement de la puis-sance chinoise, la crise de 2007-2008, les « printemps arabes »… qui prirent au dépourvu le plus grand nombre. Cette enquête historique sur l’aveuglement partagé, face à « ce que l’on ne veut ni voir, ni sa-voir » en dit long sur la prégnance des idéologies dominantes et la propagande qu’elles diffusent. Ainsi, ces soldats allemands en 1918, prétendument invaincus, qui fêtèrent la fin de la guerre avec le même enthousiasme que les vainqueurs français. Pour compenser l’effon-drement de ce mythe, il en faudra un autre, imaginé également par le haut commandement allemand pour cacher la défaite. Ce fut celui du « coup de poignard dans le dos » de la social-démocratie et des com-munistes, qui déclencha l’hystérie sur laquelle prospéra le nazisme. Ce livre invite à un effort de lucidité, en fustigeant la crédulité mili-tante, sur la nature du régime stalinien, l’optimisme aveugle des gou-vernants et des capitalistes drogués aux profits sans limites, les dé-rives de l’information, l’esprit doctrinaire… Même si l’on peut ne pas partager la conclusion de l’auteur appelant à un réformisme progres-siste raisonné, sa mise en garde est salutaire : si nous n’y prenons garde (et pas seulement les États et les institutions), « la violence (du XXIème siècle) dépassera ce qui avait été vu auparavant ». GD

Marc Ferro, édition Tallandier, 2015, 21.90€

POUR L’ÉMANCIPATION SOCIALE N°020– JANVIER 2016 (parution fin janvier)- 17

Page 18: Contorsions jusqu’à la déraison · chômeurs de la catégorie A trop voyante à celles plus dissimulées D et E. Ses colistiers s’apercevant que tout est plié, Valls le caudillo

Quelle histoire ?

Comment peut-on resterà côté de la pure vérité ?Pendant toutes ces années,L’histoire s’est cristalliséeNous nous sommes aveuglésAu lieu de nous méfierDe cette industrie mondialisée.Cela passe aussi par la penséequi s’est consuméeNous nous sommes mis à marcherlà où on ne devrait pas aller.Ils nous ont condamnés sur la voie des damnésUniquement pour nous entre-tuer.Ils se sont organisés dans le plus pur respectà dévaloriser toute l’humanité,La nature de leurs politiques acharnéesa dénaturé le monde et ses beautésL’homme et la voiture ont été transformésL’origine s’est fait brutaliserNos racines ont été brûléesNotre histoire nous a été voléePour être falsifiéeC’est la haine qu’ils ont cultivéeEn déformant la réalitéNous nous sommes fait manipulerPour nous faire exploiter.

Hassen

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pages sommaire1 Édito : Contorsions jusqu’à la déraison

2 - 3 Qué pasa en Espana ?

4 - 6 2016. Que peut-il advenir ?

7 - 9 De l'état d'urgence à l'état d’exception permanent

10 - 12 COP 21. L’accord de Paris ignore l’état d’urgence cli-matique

12 Inde et COP 21 : Un pays émergent face à son déve-loppement !

13 - 14 Goodyear & meilleurs vœux Pour la justice de classe

15 Ils, Elles luttent

16 Ce qu’elle et il disent nous intéresse…

17 Nous avons lu

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POUR L’ÉMANCIPATION SOCIALE N°020– JANVIER 2016 (parution fin janvier)- 18

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