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Mec. Ind. (2000) 1, 609–619 2000 Éditions scientifiques et médicales Elsevier SAS. Tous droits réservés S1296-2139(00)01071-X/FLA Corde frottée sur un violon : dynamique, mouvements standard et instabilités Xavier Boutillon * Laboratoire d’Acoustique Musicale, Université Paris 6, CNRS, Ministère de la Culture, 11 rue de Lourmel, 75015 Paris, France (accepté le 20 octobre 2000) Résumé — La corde de violon est un système auto-oscillant sous l’effet non linéaire de la friction de l’archet. Le mouvement périodique dit « de Helmholtz» (MDH), recherché par les musiciens, se caractérise notamment par l’alternance d’une phase de glissement et d’une phase d’adhérence entre la corde et l’archet au cours d’une période. A ce mouvement de base peuvent se superposer diverses perturbations, causes d’apériodicités audibles plus ou moins gênantes. On ne peut espérer rendre compte de la qualité d’un instrument que par une compréhension fine de phénomènes et par conséquent un raffinement des modèles : tribologie de la colophane, présence des ondes de torsion sur la corde, mobilité du chevalet. La stabilité du MDH, les conditions de son obtention après un transitoire d’attaque, les écarts au mouvement idéal sont analysés ainsi que d’autres mouvements rencontrés par accident ou volontairement. 2000 Éditions scientifiques et médicales Elsevier SAS corde frottée / violon / friction / dynamique / mouvement de Helmholtz / transitoires / stabilité Abstract Bowed string dynamics: standard motions and instabilities. A bowed string is self-oscillating in response to the nonlinear friction of the bow upon the string. The periodic, so-called Helmholtz motion which is sought by musicians is characterised by a succession of one sticking phase and one slipping phase per period. Perturbations may superimpose onto this movement and be the cause of aperiodicities which might eventually be heard as musical disturbances. Accounting for the quality of a violin requires that a thorough understanding of the phenomenon be achieved: tribology of rosin, torsional waves on the string, mechanical mobility of the bridge. The stability of the Helmholtz motion, the conditions to reach it after an initial transient, the discrepancies from the ideal motion are analysed and other motions are presented. 2000 Éditions scientifiques et médicales Elsevier SAS bowed string / violin / friction / dynamics / Helmholtz motion / transients / stability Nomenclature c célérité des ondes de flexion soit (F T /ε) 1/2 m·s -1 F force transversale exercée par l’archet sur la corde .................. N F 0 force transversale à la tension exercée par la corde sur le chevalet .......... N F p force d’appui de l’archet sur la corde . . N F T tension de la corde ............ N L longueur de la corde ........... m T période du mouvement .......... s v vitesse instantannée prise par la corde . m·s -1 v a vitesse de l’archet ............ m·s -1 v H vitesse qu’aurait la corde à un instant donné si la friction cessait à cet instant . m·s -1 Y c admittance caractéristique de la corde . kg -1 ·s * Correspondance et tirés à part : [email protected] Z c impédance cactéristique de la corde soit (εF T ) 1/2 ................. kg·s -1 β distance réduite (normalisée à L) du chevalet à l’archet ε masse linéique de la corde ........ kg·m -1 μ d coefficient de frottement dynamique μ s coefficient de frottement statique 1. INTRODUCTION L’étude du violon et des instruments à cordes frottées (alto, violoncelle, contrebasse et autres instruments de la famille des violes) se rapporte à la fois à la physique, à l’ingénierie — acoustique, mécanique, matériaux, chi- mie du vernis, conservation... — et aux sciences hu- maines : psychologie cognitive, psychoacoustique, esthé- tique. Comme la plupart des instruments de musique, les 609

Corde frottée sur un violon : dynamique, mouvements standard et instabilités

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Page 1: Corde frottée sur un violon : dynamique, mouvements standard et instabilités

Mec. Ind. (2000) 1, 609–619 2000 Éditions scientifiques et médicales Elsevier SAS. Tous droits réservésS1296-2139(00)01071-X/FLA

Corde frottée sur un violon : dynamique, mouvementsstandard et instabilités

Xavier Boutillon *Laboratoire d’Acoustique Musicale, Université Paris 6, CNRS, Ministère de la Culture, 11 rue de Lourmel, 75015 Paris, France

(accepté le 20 octobre 2000)

Résumé —La corde de violon est un système auto-oscillant sous l’effet non linéaire de la friction de l’archet. Le mouvement périodiquedit «de Helmholtz» (MDH), recherché par les musiciens, se caractérise notamment par l’alternance d’une phase de glissementet d’une phase d’adhérence entre la corde et l’archet au cours d’une période. A ce mouvement de base peuvent se superposerdiverses perturbations, causes d’apériodicités audibles plus ou moins gênantes. On ne peut espérer rendre compte de la qualitéd’un instrument que par une compréhension fine de phénomènes et par conséquent un raffinement des modèles : tribologie de lacolophane, présence des ondes de torsion sur la corde, mobilité du chevalet. La stabilité du MDH, les conditions de son obtentionaprès un transitoire d’attaque, les écarts au mouvement idéal sont analysés ainsi que d’autres mouvements rencontrés par accidentou volontairement. 2000 Éditions scientifiques et médicales Elsevier SAS

corde frottée / violon / friction / dynamique / mouvement de Helmholtz / transitoires / stabilité

Abstract —Bowed string dynamics: standard motions and instabilities. A bowed string is self-oscillating in response to thenonlinear friction of the bow upon the string. The periodic, so-called Helmholtz motion which is sought by musicians is characterisedby a succession of one sticking phase and one slipping phase per period. Perturbations may superimpose onto this movement andbe the cause of aperiodicities which might eventually be heard as musical disturbances. Accounting for the quality of a violin requiresthat a thorough understanding of the phenomenon be achieved: tribology of rosin, torsional waves on the string, mechanical mobilityof the bridge. The stability of the Helmholtz motion, the conditions to reach it after an initial transient, the discrepancies from theideal motion are analysed and other motions are presented. 2000 Éditions scientifiques et médicales Elsevier SAS

bowed string / violin / friction / dynamics / Helmholtz motion / transients / stability

Nomenclature

c célérité des ondes de flexion soit(FT/ε)1/2 m·s−1

F force transversale exercée par l’archet surla corde . . . . . . . . . . . . . . . . . . N

F0 force transversale à la tension exercée parla corde sur le chevalet . . . . . . . . . . N

Fp force d’appui de l’archet sur la corde . . NFT tension de la corde . . . . . . . . . . . . NL longueur de la corde . . . . . . . . . . . mT période du mouvement . . . . . . . . . . sv vitesse instantannée prise par la corde . m·s−1

va vitesse de l’archet . . . . . . . . . . . . m·s−1

vH vitesse qu’aurait la corde à un instantdonné si la friction cessait à cet instant . m·s−1

Yc admittance caractéristique de la corde . kg−1·s

* Correspondance et tirés à part :[email protected]

Zc impédance cactéristique de la corde soit(εFT)

1/2 . . . . . . . . . . . . . . . . . kg·s−1

β distance réduite (normalisée àL) duchevalet à l’archet

ε masse linéique de la corde . . . . . . . . kg·m−1

µd coefficient de frottement dynamiqueµs coefficient de frottement statique

1. INTRODUCTION

L’étude du violon et des instruments à cordes frottées(alto, violoncelle, contrebasse et autres instruments de lafamille des violes) se rapporte à la fois à la physique,à l’ingénierie — acoustique, mécanique, matériaux, chi-mie du vernis, conservation. . .— et aux sciences hu-maines : psychologie cognitive, psychoacoustique, esthé-tique. Comme la plupart des instruments de musique, les

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Figure 1. La double boucle de rétroaction que constitue leviolon dans son environnement. Caractères droits : élémentslinéaires ; caractères italiques : éléments non-linéaires.

instruments à cordes frottées se sont développés à un ni-veau de raffinement qui dépassait (et dépasse encore) lacompréhension des phénomènes qui y prennent lieu. Enceci, le violon, terme adopté ici dans un sens générique,représente pour le scientifique un objet de nature, donnéa priori, plutôt qu’un objet de technique tel une auto-mobile dont la fabrication estconsécutiveau développe-ment des connaissances et des capacités technologiques.Ce sujet d’étude est loin d’être épuisé, comme le prouvela consultation des deux sommes écrites sur l’acoustiquedu violon, de natures très différentes, l’une par l’acous-ticien allemand Cremer [1] et l’autre rassemblée plus ré-cemment par Hutchins [2]. On peut aussi consulter unarticle bibliographique déjà ancien [3] et réédité plus ré-cemment [4].

La figure 1présente comment les éléments constitutifsde l’instrument interagissent dans leur environnement.On peut considérer l’ensemble comme un système àdeux boucles. La première est mécanique, interne àl’instrument (en trait gras sur le diagramme), et faitintervenir l’excitateur (archet) et le résonateur (corde)qui interagissent pour générer l’oscillation. La boucleexterne, acoustique, véhicule le son émis par l’instrumentet fait intervenir le musicien : il s’agit d’une boucle oùl’élément perceptif est primordial. Nous restreindrons icinotre attention à la boucle interne.

L’interaction entre la corde et l’archet (interactionconstituant lemoteurde l’instrument) est non-linéaire etpose des problèmes de nature physique dont plusieursrestent à résoudre : la nature des attracteurs (dans l’espacedes phases ou des états d’un système, l’attracteur est lafigure géométrique correspondant à un régime stable devibration), le bassin d’attraction des différents régimesde vibration, la sensibilité aux conditions initiales. . . Parailleurs, le système lui-même n’est pas toujours connuavec précision : tribologie de la colophane (résine dont onfrotte les crins de l’archet pour leur permettre d’adhérerà la corde), dynamique de l’archet, caractéristiques descordes, conditions aux limites.

Figure 2. Corde frottée par l’archet.

La corde et le corps de l’instrument ont un fonction-nement mécanique pratiquement linéaire : les outils pouren décrire le fonctionnement sont connus mais il manqueune description de l’instrument à plus haut niveau pourpermettre de réduire la complexité de sa description mé-canique (grand nombre de modes propres, rayonnementacoustique) à quelques paramètres pertinents.

La perception de l’instrument par l’intermédiaire desoreilles, des doigts, du bras qui tient l’archet. . . , doit êtreregardée sous deux aspects bien distincts : perceptionde l’instrument par le violoniste, qu’on peut qualifierpar le terme de « facilité de jeu », et perception duson émis par les auditeurs, y compris le violoniste, etqu’on pourrait décrire sous l’appellation de « qualité duson ». La dichotomie élémentaire « bon/mauvais » estévidemment beaucoup trop sommaire pour décrire lesdifférents aspects de ces perceptions.

La présentation qui suit a pour objectif de décrire lesphénomènes et les mécanismes qui président à l’auto-oscillation de la corde frottée, d’analyser leurs incidencesmusicales et d’introduire à la bibliographie afférente audomaine.

2. LA CORDE, L’ARCHET ET LE VIOLON:PRÉSENTATION SYNTHÉTIQUE

Le violoniste applique à l’archet une vitesseva etune forceFp dite force de pression, perpendiculaire auplan formé par les directions de l’archet et de la corde( figure 2). Il choisit également la positionβ de l’archetsur la corde et l’angle d’inclinaison de la nappe des crins(non figuré). Ces grandeurs sont « lentement variables »et constituent les paramètres de réglage du système par lemusicien [5, 6]. L’archet exerce une forceF sur la cordequi la met en mouvement d’auto-oscillation.

Jusqu’à récemment, l’action de l’archet sur la cordeétait toujours représentée par une fonctionF(v) clas-

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sique : pour une force d’appuiFp et une vitesse d’ar-chetva données, collage jusqu’à une certaine valeurF =µsFp de la force de contact et glissement représenté pardeux branches d’hyperbole (une seule est représentée surles diagrammes de lafigure 4) convergeant versµdFp.Typiquement,µs vaut 0,6 à 0,8 etµd vaut 0,2. On verraplus loin comment ce modèle tribologique simple a étéremis en cause.

La corde est elle caractérisée par sa longueurL, satensionFT et sa masse linéiqueε. En vertu du frottemententre les crins et la corde, celle-ci prend un mouvementalternatif dont la nature est l’objet même de cet article.L’auto-oscillation de la corde frottée provient de la sourced’énergie continue que représente l’archet. Ceci montreen passant qu’une non-linéarité est nécessaire pour fairefonctionner le système. Sur le plan dynamique, la cordeest un système légèrement dissipatif relié à l’extérieur parses extrémités, dissipatives également, et par l’archet ;celui-ci exerce sur la corde la forceF en un pointd’application qui se déplace tantôt dans le même sensqueF (phases d’adhérence, travail moteur), tantôt dans lesens oppsé (glissement, travail résistant). Du fait de sonmouvement, la corde exerce sur le chevalet une forceF0qui le fait vibrer le chevalet et partant, met en mouvementforcé le violon entier, pour générer finalement le son quiparvient aux auditeurs. L’amplitude du mouvement duchevalet est largement inférieure à celle de la corde quiapparaît donc comme une extrémité presque fixe.

Le régime de vibration pratiquement toujours souhaitépar les musiciens est périodique et a été décrit et observépar Helmholtz en 1862 [7]. On peut le définir commela succession au cours d’une périodeT d’une phased’adhérence et d’une phase de glissement seulement. Cen’est bien sûr pas le seul mouvement qu’il est possibled’obtenir en frottant une corde et les sons produits par lesdébutants sont là pour en témoigner ! Raman (plus tardtitulaire du prix Nobel de physique pour ses travaux enspectroscopie) analyse dans une étude magistrale [8] ungrand nombre d’autres mouvements possibles de la cordefrottée.

Un objectif essentiel de l’étude physique de la cordefrottée est de décrire les particularités du mouvement deHelmholtz (MDH) : écarts au mouvement idéal, dévia-tions en fréquence (toujours mauvaises), limites haute etbasse des valeurs des paramètres de commande compa-tibles avec l’entretien du mouvement, durée du transi-toire, perturbations, conditions de stabilité. . . L’étude desconditions de l’obtention du MDH est également fonda-mentale : jouer du violon, c’est obtenir ce mouvement àpartir de conditions transitoires très variées et le mainte-nir ensuite en en faisant varier les caractéristiques. Tout

ceci véhicule l’essentiel de l’expressivité du musicien.D’autres régimes que le MDH seront également considé-rés dans le cours de cet article : atteints par « erreur » parles musiciens ou imposés par la structure (note de loup)ou encore cultivés pour des effets spéciaux (ALF).

Le violon en tant que structure mécanique intervienten imposant des conditions aux limites aux extrémi-tés de la corde, tout particulièrement au chevalet. Cesconditions aux limites provoquent de légers écarts entrele MDH réel et le MDH idéal. Comme un violon res-semble toujours à un autre (frotter une corde tendue surune planche donne d’ailleurs un résultat assez proche !),on voit que la qualité d’un instrument se manifeste pardesdifférencessur les CL et donc par des effets vibra-toires faibles, voire très faibles dans l’absolu. Pour espé-rer rendre compte de la « qualité », il faut donc donner desphénomènes une description au moins aussi précise. . .

Les connaissances sur les aspects perceptifs de l’ins-trument n’ont pas fait l’objet d’études systématiques. Lestermes dans lesquels on doit mener l’analyse scientifiquesont donc établis sur la base du bon sens ou de l’in-tuition : pour le violoniste, un bon instrument est « trèsprobablement » celui sur lequel on peut jouer fort, quiprésente une grande dynamique de jeu (rapport entre lesniveaux de jeu le plus fort et le plus faible possibles), dontles transitoires intrinsèques sont brefs, pour lequel la sen-sibilité du régime de Helmholtz aux conditions initialesn’est pas trop forte (pour éviter l’apparition de régimesnon souhaités). L’instrument devra cependant garder uneassez grande sensibilité de certaines caractéristiques dece même régime au réglage des paramètres de jeu afin depermettre l’expression musicale.

3. MOUVEMENT DE HELMHOLTZ

Le mouvement de Helmholtz doit être compris commeun mouvement périodique compatible avec les équationsde propagation des ondes sur la corde, d’une part, et lesconditions de frottement de la corde par l’archet, d’autrepart. On peut le représenter sur le plan cinématiquepar la propagation le long de la corde (à la céléritéc = (FT/ε)

1/2 des ondes transversales) d’une variationbrusque de vitesse, ou encore d’un « coin » si l’on neconsidère que la déformation due aux ondes de flexion.La périodeT du mouvement varie typiquement entre≈ 5 ms pour la note la plus grave (Sol2) et 8 fois moinspour une note située 3 octaves au-dessus.

Les états successifs de la position de la corde au coursd’une période d’un MDH idéal sont représentés sur lafigure 3. Arrivant depuis le côté du doigt vers l’archet

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Figure 3. Mouvement de Helmholtz idéal. L’archet partage lacorde dans un rapport β/(1− β). Un coin circule sur la corde,initie le glissement sous l’archet (diagrammes 2, 3 et 4) puisl’adhérence a nouveau lieu. Ceci explique pourquoi le rapportprécédent se retrouve dans les durées respectives des phasesde glissement et d’adhérence, indiquées sur la figure 5.

alors en phase d’adhérence sur la corde, le coin déclenchele glissement, se propage jusqu’au chevalet, revient àl’archet (ce qui marque la fin de la phase de glissementet le début d’une nouvelle phase d’adhérence), se propagevers le doigt, s’y réfléchit, revient vers l’archet. . .Chaquepoint de la corde prend successivement deux vitessesconstantes au cours d’une période. Marquée par lesdeux points sur le graphe du haut de lafigure 4, lavitesse à l’emplacement de l’archet vautva pendantla phase d’adhérence, de durée(1 − β)T (durée depropagation du coin de l’archet au doigt et retour)( figure 3). La vitesse vaut−(1 − β)va/β pendant laphase de glissement de duréeβT (traits rectilignes dudiagramme temporel représentéfigure 5). La valeur de lavitesse durant la phase de glissement est bien sûr fixéepar la condition de vitesse moyenne nulle au cours d’une

Figure 4. Haut : caractéristique de friction pour Fp faible etMDH idéal ; la vitesse de la corde sous l’archet prend deux va-leurs discrètes, marquées par des points sur la caractéristique.Milieu : MDH réel ; la vitesse de la corde évolue continuementsur la caractéristique en suivant la construction graphique in-diquée (voir texte). Bas : MDH avec hystérésis causée par uneforce d’appui Fp importante ; la pente de la caractéristique defriction devient supérieure à 2Zc= 2/Yc ce qui oblige la vitesseà opérer deux sauts lors du début du glissement (au sommetde la courbe) et lors du début de l’adhérence (flèche inférieure).Ces sauts ont lieu à des emplacements différents sur la carac-téristique de friction, d’où l’hystérésis.

période. L’amplitude du mouvement vaut doncva/β etest indépendante deFp pour le MDH idéal.

Pour une corde parfaitement flexible, fixe aux extré-mités, soumise à une friction d’archet classique (ponc-tuelle et monovaluée), le MDH présente des caractéris-tiques de spectre et de fréquence indépendantes des pa-ramètres de réglage. Il génère sur l’extrémité de la cordeune force en dents de scie parfaitement rectilignes. Il fautsouligner que ce modèle idéal de corde ne fait interveniraucun élément dissipatif. Le modèle est biencompatibleavec la présence du MDH sur la corde mais insuffisanten ce sens que le MDH est instable dans ce contexte. En

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Figure 5. Mouvement pris par le centre de la corde au pointfrotté par l’archet. MDH idéal (deux vitesses successives) etréel : durant la phase d’adhérence, la vitesse vaut pratique-ment va, avec des écarts dus aux ondes de torsion.

effet, examinons ce qu’il advient à une perturbation ve-nant se superposer au MDH. Cette perturbation ne perdd’énergie ni lors de sa propagation sur la corde, ni lors desréflexions aux extrémités. La perturbation peut parvenirà l’emplacement frotté par l’archet soit lors d’une phased’adhérence, soit lors d’une phase de glissement. L’ar-chet se présente à la perturbation comme une résistancemécanique locale valant d(−F)/d(v − va). Cette résis-tance dynamique est infinie lors des phases d’adhérenceet négative lors des phases de glissement (figure 4). Laperturbation ne « voit » donc jamais de dissipation maisest susceptible de recevoir de l’énergie lorsqu’elle passesous l’archet durant une phase de glissement. Ceci est ty-pique d’un comportement instable. . . De nombreux élé-ments viennent (heureusement !) troubler cette belle sim-plicité : largeur finie de l’archet, dynamique des crins,tribologie de la colophane, oscillations de torsion, rigi-dité de la corde, conditions aux limites dissipatives. . .

Sur le graphe du milieu de lafigure 4, la corde suit unmouvement de Helmholtz réel. La corde étant un systèmelinéaire, la vitesse sous l’archet à un instant donnée peutêtre obtenue en superposant le résultat de deux ondesvirtuelles indépendantes :

• la vitesse résultant de la contrainte imposée par lafriction F(v) sur une corde infinie s’étendant de part etd’autre de l’archet (donc l’équivalent de deux cordes),soitFYc/2,

• la vitessevH qu’aurait une corde finie mais libre (sansla contrainte de l’archet :F = 0).

Ceci explique la construction graphique du milieu et dubas de lafigure 4. Sur le graphe du bas, la pente de la ca-ractéristique de friction dépasse 2Zc= 2/Yc et une hysté-résis apparaît dans le mouvement. D’autres mouvementsont été observés qui font également apparaître une seulephase d’adhérence et une seule phase de glissement aucours d’une période [9] ; vus à l’emplacement de l’archet,

Figure 6. D’après Woodhouse et al. [12] : coefficient de frictiond’un archet rigide en verre en fonction de la vitesse de lacorde. La vitesse est mesurée directement sur la corde parun vibromètre laser et la force sous l’archet est reconstruiteà partir de cette vitesse et de mesures des forces sur lesextrémités de la corde.

ils ressemblent beaucoup au MDH mais ne correspondentplus à la circulation d’un « coin » le long de la corde.

4. ÉLÉMENTS MÉCANIQUES ETPHÉNOMÈNES EN PRÉSENCE

4.1. La colophane : tribologie

Une caractéristique de friction comme celle repré-sentéefigure 4 a été mesurée dans le cadre d’une fric-tion continue, stable, non variable dans le temps. Dansle cas qui nous intéresse d’une friction dynamique, lestravaux récents de Smith et Woodhouse [10, 11] et deWoodhouse et al. [12] ont remis en cause ce modèle uni-versellement adopté jusqu’alors. Ces auteurs observentqu’une hystérésis existe toujours dans le cycle de fric-tion mais ne peut être expliquée par le modèle précé-dent (figure 6). Ils concluent qu’une autre variable d’étatdu système doit être prise en compte, en l’occurence latempérature. Deux modèles paraissent plausibles : soit lacolophane fond lors de chaque phase de glissement etse solidifie durant la phase d’adhérence ; soit le frotte-ment de la colophane s’accompagne d’une déformationthermo-plastique elle-même fortement dépendante de latempérature. Comme la température de la colophane nevarie pas instantanément, elle intervient nécessairementcomme variable d’état d’un régime dynamique. Le mo-dèle plastique semble le plus prometteur pour expliquer

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X. Boutillon

les particularités du mouvement de la corde frottée bienqu’on ait pu mettre en évidence la fusion de la colophanedans des conditions expérimentales proches de celles ob-servées sur un archet.

4.2. La corde : ondes en tous genres

Les cordes de violon sont le siège d’ondes de flexiontrès peu dissipatives, régies par leur la tension et lamasse linéique. La rigidité interne rend ces ondes faible-ment dispersives. Les ondes de torsion, non dispersives,sont nettement plus dissipatives que les précédentes. Lesondes longitudinales ne semblent pas jouer un rôle im-portant dans la dynamique du système, ce qui ne veutpas dire qu’elles soient absentes ou inaudibles. Commel’archet agit à la surface de la corde, les ondes de tor-sion et de flexion sont toujours excitées simultanément.L’observation de la vitesse du centre de la corde fait ap-paraître un tracé du type représenté en trait plein sur lafigure 3 (le trait pointillé indiquant un MDH idéal). Eneffet, la vitessev faisant l’objet de lafigure 4est cellede la périphériede la corde. Durant l’adhérence, c’estbien sûr la périphérie de la corde qui colle à l’archet etgarde la vitesse constanteva ; la vitesse à la surface dela corde est la somme de la vitesse due aux ondes deflexion et de celle due aux ondes de torsion. Les ondesde torsion confèrent alors au centre de la corde une vi-tesse (des ondes de flexion) légèrement différente deva.Les deux types d’ondes sont couplées par l’archet et sansdoute également par les conditions aux limites. Les ondesde torsion jouent un rôle important dans le bilan éner-gétique et augmentent la stabilité du MDH : une ondede flexion perturbatrice parvenant sur l’archet durant laphase d’adhérence transfère une partie de son énergiedans une onde de torsion au lieu de se réfléchir totale-ment. L’archet agit donc maintenant sur cette perturba-tion comme une résistance mécanique dynamique posi-tive et finie, au lieu d’une résistance infinie ainsi qu’ilétait expliqué plus haut.

4.3. Conditions aux limites : chevalet,doigt, archet

4.3.1. Chevalet

La mobilité mécanique du chevalet a fait l’objet d’unelittérature assez abondante (cf. une revue bibliographiquerécente dans [13]) mais rien n’est publié relativement à lafonction mécanique du doigt. Ces conditions aux limites

Figure 7. D’après Schelleng : l’écart entre la force maximale(trait supérieur) et la force minimale (trait inférieur) permettantl’entretien du mouvement de Helmholtz dépend de la positionde l’archet βL sur la corde. La dynamique possible diminue etil est difficile de jouer piano près du chevalet (i.e. à β faible).

sont certainement le point clé de la qualité de l’instru-ment, vu par le violoniste ; sur le plan physique, la mobi-lité fait le lien entre la dynamique de la corde frottée et lastructure modale de l’instrument. Etant données la com-plexité du régime de vibration de la corde et l’étendue del’espace possible des paramètres à explorer, ce lien n’aété que relativement peu exploré. Les simulations numé-riques du mouvement d’une corde frottée [14, 15] utili-sent des conditions aux limites arbitraires ou très simpli-fiées. L’approche analytique du mouvement est limitéepar la non-linéarité forte due à la friction. Malgré ces dif-ficultés ou restrictions, deux résultats ont cependant étéclairement établis :

(1) Le premier résultat est relatif aux forces mini-male et maximale d’appui de l’archet sur la corde, les-quelles constituent à l’évidence des paramètres d’impor-tance cruciale pour le musicien. Lorsque la force d’ap-pui de l’archet dépasse une certaine valeur, l’entretiendu MDH cesse. Ceci provient simplement du fait quel’onde de forceZcva/β associée à la propagation ducoin (c’est à dire du saut de vitesseva/β) n’est plussuffisante pour dépasser la valeurµsFp et déclencher leglissement. D’autre part, en-deçà d’une certaine forced’appui qui dépend de la mobilité mécanique du che-valet et deβ , l’archet ne peut fournir assez d’éner-gie à la corde pour l’entretien du MDH. Dans le cadred’un modèle réaliste, la dynamique de jeu (rapport entreamplitude maximale et amplitude minimale de jeu) dé-pend en partie de la force d’appui. Elle sera donc limi-tée pour les valeurs faibles deβ (favorisant par ailleursune sonorité brillante) ainsi que le montre schémati-quement lafigure 7 et par la partie réelle de l’admit-tance ou mobilité mécanique du chevalet [16, 17]. Ce-

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Figure 8. D’après Woodhouse [17] : force minimale d’appuide l’archet Fp en fonction de la fréquence de la note jouéepour des admittances mesurées sur un violon (haut) et sur unvioloncelle (bas).

pendant, il convient de se rendre compte qu’une mobi-lité finie du chevalet est nécessaire pour assurer le trans-fert d’énergie de la corde vers le corps de l’instrument etdonc l’amplitude de son rayonné. Woodhouse a calculéanalytiquement la force minimale d’appui en fonctionde la fréquence, pour une admittance de chevalet don-née (figure 8). Ces résultats montrent qu’un compromisexiste certainement entre facilité de jeu et volume sonoreproduit par l’instrument. On peut s’en convaincre en ins-tallant une sourdine massive sur le chevalet : la mobilitédiminue, mais le son transmis également ; en revanche, lafacilité de jeu augmente considérablement. C’est égale-ment ce que l’on observe sur les instruments muets pro-duits par Yamaha et amplifiés par des moyens électroa-coustiques.

(2) Le deuxième résultat est qu’un régime bipério-dique, gênant sur le plan musical, apparaît lorsque lacaisse du violon possède une résonance forte à une fré-quence proche de celle de la note jouée. La vibrationimportante du chevalet compromet alors la stabilité duMDH qui dégénère alors en «note de loup », régime quisera présenté plus loin.

4.3.2. Archet

De nombreux crins frottent simultanément la surfacede la corde, sur une largeur finie. Il s’ensuit que ledéclenchement du glissement sur chacun des crins n’apas lieu au même instant puisque le « coin » se propagesur la corde et donc sous la largeur finie de l’archet. Leseffets du glissement différentiel ont été largement étudiés[18–22]. Pour une partie des résultats expérimentauxou issus de simulations numériques, on peut rendrecompte de l’effet de largeur de l’archet en prenantµs (coefficient de friction statique apparent de l’archetdans son ensemble) sensiblement inférieur à ce qu’ilest pour un seul crin d’archet colophané : 0,6 au lieude 0,8. La largeur finie de l’archet rend la transitionentre un mouvement acceptable pour le musicien et unmouvement qui ne l’est pas plus progressive qu’elle ne leserait pour un archet infiniment étroit. Lorsque la forcede pression de l’archet sur la corde augmente, certainscrins se mettent à glisser durant la phase d’adhérence sansque l’ensemble de la nappe de crins n’en fasse autant, cequi repousse d’autant le moment où le MDH cesse tout àfait. En revanche, il apparaît au chevalet des irrégularitésdans la forme d’onde qui peuvent devenir néfastes à lamusicalité du son. Enfin, la modélisation d’un archetlarge permet de comprendre comment l’inclinaison del’archet par les violonistes leur permet de diminuer laforce d’appui sur l’archet tout en maintenant l’entretiendu mouvement.

La dynamique de l’archet (flexibilité et amortissementde la baguette, caractéristiques longitudinales des crins)joue un rôle important dans la physique du contact maiségalement, aux dires des luthiers, dans l’appréciation duviolon lui-même. Pitteroff et Woodhouse, dans une ana-lyse très fouillée des différents paramètres [22], mon-trent que les glissements partiels des crins durant la phased’adhérence, source de bruits gênants, sont moins fré-quents avec des crins plus souples (à la fois en amortis-sement intrinsèque et en raideur longitudinale), mais auprix éventuel d’une augmentation des variations de fré-quence du régime de Helmholtz. L’amortissement des vi-brations longitudinales des crins semble jouer à cet égardun rôle plus important.

5. LA CORDE FROTTÉE : UN SYSTÈMEDYNAMIQUE NON-LINÉAIRE

Peu d’auteurs [23, 24] ont abordé la corde frottée avecles concepts et les techniques propres aux systèmes dy-namiques non-linéaires : étude des différents régimes de

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vibration et des bifurcations en fonction de l’évolutiond’un paramètre de contrôle. Les deux études citées iciont porté sur une corde montée sur un banc et non surun violon. Dans l’une d’entre elles [23], la corde estauto-excitée par un dispositif électromagnétique simulantl’action de l’archet. Les études n’aboutissent pas à desconclusions sur la qualité des instruments mais explorentdifférents régimes de vibration. Les représentants habi-tuels de la zoologie de ces régimes ont été observés :mouvements périodiques, bipériodiques, tripériodiques,chaotiques (avec toutefois une excitation externe activepour ces derniers). En fait, l’espace d’état et celui des pa-ramètres de contrôle sont si vastes qu’une telle approcheest irréaliste si on veut être systématique ; par ailleurs,si on se restreint à un ou deux paramètres de contrôle,on risque fort de n’être pas pertinent. Raman a montréen 1918 que les seuls mouvements périodiques (à la fré-quence naturelle de la corde) possibles sur une corde frot-tée correspondent, sur le plan cinématique, à la circula-tion d’un ou de plusieurs coins le long de la corde. Laplupart des auteurs se sont donc concentrés sur le seulrégime accepté couramment par les musiciens : le MDH(un seul « coin » circule).

5.1. Écarts et perturbationsdu mouvement de Helmholtz

5.1.1. Stabilité

Nous avons vu plus haut que dans sa forme idéale, leMDH n’était pas stable car le modèle de corde et d’ar-chet correspoondant ne prévoit nulle part de dissipationd’énergie. Les instabilités prennent la forme de sous-harmoniques qui croissent en se superposant au mouve-ment de base [18, 25]. Naturellement, un modèle de corderéaliste inclut de la dissipation : dans l’archet lui-même,aux extrémités et dans la corde (en particulier par lesoscillations de torsion). Les sous-harmoniques sont tou-tefois souvent présents, audibles pour certaines valeursde β , et parfois très gênants. Plusieurs analyses de sta-bilité ont été menées pour des modèles plus réalistes decorde [26, 27] et confirment l’idée de Cremer selon la-quelle les mouvements sont plus stables lorsque l’archetcolle plus longtemps à la corde. Ceci tient au fait quel’instabilité tire son origine de la résistance dynamiquenégative offerte par la courbe de friction durant la phasede glissement. Cela dit, Weinreich et Caussé montrentque toutes les perturbations ne peuvent pas être stabili-sées par le seul effet des dissipations localisées sur l’ar-chet (où se produit en particulier le couplage aux ondestorsion, assez fortement dissipatives) : les perturbations

qui passent par l’archet lors de phase de glissement seule-ment resteraient croissantes sans d’autres raffinements dumodèle de la corde idéal. Woodhouse analyse la stabilitéd’un grand nombre de mouvements outre le MDH, dansdiverses situations plus ou moins idéalisées. Il apparaîtque la largeur temporelle de la fonction de réflexion auxextrémités (chevalet ou doigt) ait tendance à stabiliser lemouvement.

5.1.2. Fréquence

Contrairement à l’intuition ou à une observation som-maire, la fréquence de jeu est une variable du mouve-ment et il s’agit d’un point très sensible en musique : unécart de 1 % est très perceptible et plus ou moins bienaccepté. La présence des ondes de torsion, d’ondes deflexion dispersives (raideur de la corde due à son dia-mètre fini), de conditions aux limites réactives fait quela corde ne présente pas des résonances à des fréquencesexactement multiples d’un fondamental. Or par défini-tion, un mouvement périodique est une combinaison defréquences harmoniques. Il vient donc nécessairementque les fréquencesharmoniquesdu mouvement d’auto-oscillation ne coïncident pas exactement avec les réso-nances (fréquences propres)inharmoniquesde la corde.En fait, le compromis fréquentiel adopté par la corde dansun MDH est très proche de la fréquence naturelle de lacorde idéale,c/2L, et quasi-indépendant des détails dumouvement. L’écart provient en fait de l’hystérésis dansle cycle de friction du point frotté par l’archet qui pro-voque l’abaissementde la fréquence (flattening effect)dans certaines conditions. Cet hystérésis a deux origines :la tribologie de la colophane (voir plus haut) et le fait quel’impédance caractéristique de la corde est finie. Il appa-raît alors que, même pour une caractéristique de friction« classique », le point de fonctionnement ne peut explorertoute la caractéristique de friction. Au-delà d’un certainseuil de force de pression d’archet, il se produit des sautsdans la vitesse de la corde qui diffèrent entre la transi-tion glissement–adhérence et la transition inverse (voirfigure 4, bas). Cet effet a été abordé de différentes fa-çons [21, 28–31]. Il constitue une gêne pour le musicienqui doit limiter la pression qu’il peut mettre sur l’archetafin d’en éviter l’apparition. Les études citées montrentl’influence des nombreux paramètres de l’instrument surl’effet, son seuil d’apparition, son importance. Ainsi, l’ef-fet d’abaissement est d’autant plus marqué que la vitessede l’archet est faible, ce qui explique qu’on puisse l’en-tendre lors d’un transitoire d’attaque. Une corde courte lefavorise également (notes aiguës).

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Corde frottée sur un violon : dynamique, mouvements standard et instabilités

5.1.3. Transitoires

Le régime transitoire est d’une importance crucialepour le musicien. Pour une conduite d’archet donnée(évolution de la force d’appuiFp et de la vitesse d’ar-chetva vers leurs valeurs stabilisées), la durée de la phasetransitoire vers le MDH peut varier considérablement enfonction des paramètres mécaniques du violon (mobilitédu chevalet, caractéristiques mécaniques des cordes) etsérieusement altérer la perception d’un son [32, 33]. Lerégime transitoire peut aussi être considéré comme unensemble de conditions initiales menant ou non vers leMDH [17, 34]. Au moyen de simulations numériquesmassives, la question du bassin d’attraction du MDH apu être abordée par ces auteurs sur un petit sous-espacede l’espace des paramètres de contrôle. Chaque simula-tion est faite en prenant une force d’appuiFp qui évolueexponentiellement (no-) d’une valeur initiale vers une va-leur asymptotique finale avec une constante de temps de8 périodes. La question est de savoir quelles sont les ré-gions du plan (Fp finale,Fp initiale/Fp finale) qui vont donnerlieu à un MDH. Lafigure 9montre les zones de cet espace(zones blanches du graphe supérieur) et caractérise briè-vement le type des autres mouvements obtenus (graphedu bas). On retrouve là une géométrie typique des sys-tèmes non-linéaires, éventuellement chaotiques.

5.2. Autres régimes de vibration

5.2.1. Note de loup

La note de loup apparaît comme une instabilité musi-cale alors qu’il s’agit d’un régime physiquement stablemais bipériodique, ce que les musiciens n’aiment pas.Lorsque la note jouée correspond à la fréquence d’une ré-sonance de l’instrument, le mouvement du chevalet croîtjusqu’à produire sur la corde une force perturbatrice suf-fisante pour générer un deuxième glissement au milieude la phase d’adhérence. Le MDH primaire décroît alors(ce qui fait décroître le mouvement d’extrémité) tandisqu’un nouveau MDH, déphasé par rapport au premier,prend naissance. Ce mouvement secondaire croît (en fai-sant croître à nouveau le mouvement du chevalet) jusqu’àce qu’il subisse à son tour le sort du premier. . . On en-tend une espèce de roulement, qu’on peut atténuer plusou moins en appuyant l’archet plus fort, ou en changeantde position. Les violoncelles et altos sont davantage su-jets à ce défaut, très gênant pour les musiciens, que lesviolons. Pour une analyse physique précise, il faut se re-porter à la plupart des articles de McIntyre et Woodhouseou au livre de Cremer [1].

Figure 9. D’après Woodhouse [17] : résultat de la simulationdu mouvement d’une corde frottée (440 Hz) pour différentesconfigurations du transitoire d’attaque.

5.2.2. Régimes ALF (anomalous lowfrequency) ou FAB

D’autres régimes périodiques de vibration correspon-dant à une note de hauteurnettement plus grave(unetierce à une octave, voire plus) que la fréquence natu-relle de la corde ont été découverts à peu près simultané-ment au début des années 1990 par une violoniste, MariKimura [35, 36] et des scientifiques travaillant indépen-damment les uns des autres : Hanson et al. [37] et Guet-tler [38]. Ces régimes ne sont pas des sous-harmoniques

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de vibration (comme dans le cas des instabilités concur-rentes au MDH) et apparaissent pour des forces de pres-sion de l’archet excédant largement la limite permettantl’entretien du MDH, c’est à dire le déclenchement alternédu glissement et de l’adhérence parchaquepassage du« coin » circulant sur la corde. Ne pouvant déclencher leglissement, le « coin » se réfléchit sur l’archet en se dé-composant en onde de torsion et onde de flexion. La pro-pagation de ces ondes doit donc continuerplus longtempsqu’un simple aller-retour sur la corde avant le déclenche-ment du glissement suivant. Celui-ci résultera à la fois del’augmentation de la force de l’archet (qui tire la cordede plus en plus loin de sa position d’origine) et de l’arri-vée suivante d’une onde de torsion (de plus grande célé-rité) ou d’une onde de flexion. La famille de sons plusgraves correspondante possède des marges de stabilité(position de l’archet, force de pression d’archet, vitessed’archet) plus faibles que pour le MDH ; ces mouvementssont donc délicats à obtenir et à entretenir. Les fréquencesobtenues dépendent de la position de l’archet, du rapportentre les vitesses de propagation des ondes de flexion etdes ondes de torsion, de la force de pression de l’archetet de la durée effective des fonctions de réflexion aux ex-trémités.

6. CONCLUSION

La principale voie de recherche actuelle sur la phy-sique de la corde frottée en vue de la compréhension deson interaction avec un violoniste consiste en la simu-lation numérique et l’exploration de l’espace d’état dusystème ; les modèles sont maintenant élaborés au de-gré de précision permettant de faire la différence entreplusieurs instruments qui restent tout de même des vio-lons. Les dispositifs à archet automatique ont aussi donnédes résultats intéressants. De nombreuses caractéristiquesdu régime de vibration de la corde frottée relativementà l’usage qu’en fait le musicien ont ainsi été élucidées.Dans la mesure où l’intérêt est focalisé sur l’influencedes conditions aux limites de la corde, une autre voiede recherche consisterait à garder la corde frottée tellequelle et à imposer des conditions aux limites au moyend’un transducteur contrôlé en temps réel (synthèse hy-bride). La grande dimensionalité de l’espace des para-mètres de contrôle est cependant à mettre en regard de lasimplicité de l’énoncé du jugement (le violon est-il excel-lent, très bon. . .?). Cependant, la définition des critères àutiliser pour qualifier un tel instrument reste à élaborer,sans doute par une étude concomitante de la dynamiquedu violoniste (commande de l’archet) et de la perceptionqu’il a de son propre jeu.

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Corde frottée sur un violon : dynamique, mouvements standard et instabilités

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